Houellebecq

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L’homme par qui le scandale arrive Le roman d’un monde en décomposition

HOUELLEBECQ le grand désenchanteur Michel



Editorial

© BLANDINE TOP.

par Michel De Jaeghere

On pourrait se contenter de voir en lui un provocateur et un pornographe. Ce serait si reposant, si simple. Considérer que le burlesque même des situations qu’il met en scène, l’accumulation poussée jusqu’à l’absurde de détails pratiques, consignés avec une méticulosité maniaque, le prosaïsme étriqué des motivations de ses personnages, la répétition mécanique de scènes de sexe que l’on croirait directement tirées d’un script de film X dénoncent le caractère de farce de son œuvre, de ses fictions. Ce qu’il y a de tragique, avec Michel Houellebecq, c’est qu’à l’image des vidéos que tourne l’un de ses personnages avec des caméras fixées dans la forêt, le long des chemins creux, pour mesurer jour après jour la prolifération des espèces végétales et le passage du temps, ses romans nous présentent le monde dans lequel nous vivons comme dans un miroir. Il n’est pas beau à voir. L’égoïsme le plus monstrueux y est payé par l’amertume et par la solitude, la misère sexuelle côtoie la recherche effrénée de la satisfaction des sens dans un consumérisme mesquin, l’instabilité du désir débouche sur le grand délaissement de l’âme, l’attente d’une mort sans espérance. On a pu faire avec raison le procès du nombrilisme des romanciers contemporains. Dénoncer l’égotisme qui avait rivé leur regard sur les plus minuscules de leurs états d’âme de bourgeois bohèmes hantés par l’introspection méthodique de leur néant. Les avait cantonnés à des riens ; détournés d’offrir à leurs lecteurs une vision du monde, un tableau de leur temps analogue à ceux qu’avaient brossés les maîtres des siècles précédents : Balzac, Flaubert, Zola, Proust ou Céline. Michel Houellebecq aura réconcilié l’autofiction avec l’art de la fresque, quelque délavées que soient les couleurs de ses compositions. Depuis la publication d’Extension du domaine de la lutte, en 1994, ses personnages n’ont cessé de nous apparaître comme autant de dédoublements de lui-même. Dans l’affichage de leur exténuation, la cruauté de l’exercice d’autodérision auquel il a paru tenter de faire correspondre, parfois, la dégradation volontaire de ses propres traits, de son visage, se lit le même projet de se faire le chroniqueur de la condition humaine jusqu’à son stade ultime : la disparition progressive des joies de l’existence, la déchéance et la mort. Il n’en aura pas moins rempli dans le même temps le programme qu’il affecte au peintre autour duquel s’ordonne l’intrigue de La Carte et le Territoire : produire une œuvre dont le propos serait de donner une description méthodique d’un monde en décomposition. Chercher avec Lovecraft la poésie dans la peinture minutieuse du réel, tout en affrontant comme Balzac les grandes révolutions de l’époque – la libération des mœurs, l’émergence de l’individualisme de masse, le transhumanisme, la montée en puissance de l’islam –, pour en donner à voir dans toute leur crudité les développements. Ses Particules élémentaires sont àMai68cequeLesDéracinésavaientétéàlanaissancedelaFrancerépublicaine. Plateforme se veut L’Education sentimentale de notre temps. La fadeur de ses personnages, la transparence de sa phrase (telle est sans doute l’origine de son aversion pour Léon Bloy : ce procureur qui prend la pose, ce professionnel de l’indignation qui force inutilement la voix) n’ont pas d’autre raison d’être que de donner à ses observations la froide autorité d’un constat, d’en rendre l’objectivité incontestable. Le génie de Houellebecq est d’avoir pris appui sur cette affectation de neutralité pour instruire, contre le monde moderne, le procès le plus accablant. Qu’il s’agisse des impostures de l’art contemporain ou des ravages de la psychanalyse, de l’impasse du matérialisme libertaire ou des illusions de la révolution sexuelle, de la mondialisation ouverte à « l’homme du supermarché » par l’ère de la communication, le tourisme de masse et la circulation des biens, de la spiritualité New Age ou de l’épanouissement promis par la « culture de l’entreprise » aux cadres

du tertiaire, des faux-semblants de la démocratie représentative ou de la lâcheté des élites devant la montée de l’islam, il aura renversé les idoles et percé les baudruches de l’époque avec une cruauté jubilatoire, un humour d’autant plus ravageur qu’il s’enveloppait dans une impassibilité de clown blanc, une impavidité digne de Buster Keaton. Les clones de La Possibilité d’une île, comme ceux de l’épilogue des Particules élémentaires, dont ce roman étrange est en quelque sorte le prolongement, n’appartiennent que par de trompeuses apparences à la science-fiction. Ils ne sont ni plus ni moins pour lui que la figure de l’homme moderne poussée jusque dans ses ultimes retranchements : des êtres qui ne sont plus rattachés au réel que par des connexions virtuelles, des monades affranchies de tout passé, tout héritage, tout avenir, tout contact physique, tout lien ; ignorants ce que c’est que le rire, l’amour, la souffrance, le bonheur ou la compassion. « Les joies de l’être humain nous restent inconnaissables, ses malheurs à l’inverse ne peuvent nous découdre, confesse l’un d’entre eux dans une mélopée d’hexamètres baudelairiens. Nos nuits ne vibrent plus de terreur ni d’extase ; nous vivons cependant, nous traversons la vie, sans joie et sans mystère, le temps nous paraît bref. » Conspué par les bien-pensants, mais reconnu, quand même, par la société du spectacle, couronné par le Goncourt et célébré aujourd’hui par l’exposition de ses photos au Palais de Tokyo, Michel Houellebecq aura multiplié les masques – comme autant de pieds de nez à ceux qui proclament leur admiration envers une œuvre dont ils ne semblent pas comprendre toujours toute la signification – pour échapper à la lapidation qu’aurait dû lui valoir la férocité du portrait qu’il faisait d’une époque qui se rengorge de sa curiosité universelle, mais n’aime, en définitive, qu’elle-même : il aura campé au cœur du cloaque dont il détaillait les puanteurs avec un art inégalable de brouiller les pistes, de mener avec les idées à la mode un double jeu permanent. Dans une vision toute pascalienne de la misère d’un monde privé de la Grâce, le deuil d’une chrétienté à ses yeux à jamais défunte, il semble nous dire que la partie est jouée et qu’elle est perdue sans retour. Son plus grand mérite tient à ce qu’il n’aura jamais cessé de faire affleurer, pourtant, lointaines, inaccessibles, les valeurs éternelles auxquelles tendait son moi profond. Le « royaume perdu » d’une enfance que n’aurait pas saccagée l’égoïsme féroce de ceux qui lui ont tenu lieu de parents ; la figure volatile et tendre d’une femme rendue à sa vocation de mère, de jeune fille, d’épouse, d’amante ; la nostalgie d’une société fondée sur la confiance, le lien féodal d’homme à homme ; la beauté de l’accomplissement par le don ; le désir d’un Dieu transcendant qui viendrait ordonner le chaos, donner aux plus tristes de nos vies un sens. Et la figure de l’amour vrai, inconditionnel, émergeant, çà et là, comme une fleur d’eau flottant, miraculeuse, à la surface boueuse d’un étang. C’est parfois un alexandrin dissimulé dans sa prose. Ailleurs une caresse, un regard, une main tendue qui démentent, au détour d’un chapitre, l’étalage de cynisme et d’indécence dont il fait profession. Plus explicites encore, quelques quatrains, où la certitude de n’être lu, compris, que par le petit nombre l’autorise soudain à cette confidence : « Nous voulons retourner dans l’ancienne demeure / Où nos pères ont vécu sous l’aile d’un archange, / Nous voulons retrouver cette morale étrange / Qui sanctifiait la vie jusqu’à la dernière heure. / Nous voulons quelque chose comme une fidélité, / Comme un enlacement de douces dépendances, / Quelque chose qui dépasse et contienne l’existence ; / Nous ne pouvons plus vivre loin de l’éternité. » Prophète désenchanté des lendemains glaçants, Michel Houellebecq est, parfois, accusé d’être réactionnaire. Il est, définitivement, beaucoup mieux que cela : antimoderne.


Illustration par Peggy ViallatLanglois d’un extrait choisi par Michel Houellebecq dans son roman La Possibilité d’une île (livre d’artiste publié en 2014 par les éditions de la Galerie du Bourdaric).

© PEGGY VIALLAT-HTTP://WWW.PEGGYVIALLAT.COM

ESPACE PAISIBLE

Houel


COMMENT

ON DEVIENT MICHEL HOUELLEBECQ PAR SÉBASTIEN LAPAQUE

« Je ne m’aime pas. Je n’éprouve que peu de sympathie, encore moins d’estime pour moi-même ; de plus, je ne m’intéresse pas beaucoup. (…). Adolescent, encore jeune homme je parlais de moi, je pensais à moi, j’étais comme empli de ma propre personne ; ce n’est plus le cas. Je me suis absenté de mes pensées, et la seule perspective d’avoir à raconter une anecdote personnelle me plonge dans un ennui voisin de la catalepsie. Lorsque j’y suis absolument obligé, je mens. »

lebecq


COMMENT ON DEVIENT MICHEL HOUELLEBECQ

1978

Naissance d’un artiste

Son état civil n’est pas fiable ? Qu’importe ! Michel Houellebecq est né en 1978, lorsque commence sa route d’artiste avec un court-métrage.

© COLL CHRISTOPHE L. © PHILIPPE MATSAS/OPALE/LEEMAGE.

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quoi rêvait Michel Houellebecq lorsqu’il avait vingt ans ? A révolutionner le destin de l’humanité grâce à une découverte scientifique ? A devenir un petit maître en littérature, tel cet étrange Lovecraft auquel il consacrerait en 1991 son premier livre ? A être reconnu un jour comme un grand poète, l’égal de Paul Valéry ? A laisser son nom dans l’histoire du cinéma aux côtés des maîtres fondateurs ? Pour commencer, quelle année a-t-il eu vingt ans ? En 1978, selon une biographie officielle qui le fait naître en 1958 à La Réunion ? Ou bien en 1976, ainsi que l’a établi un journaliste qui a assuré qu’il avait menti sur son état civil – à moins que ce soit sa mère. La belle affaire ! Créateur attiré par toutes les formes d’expression, l’écrivain a toujours revendiqué le privilège de s’élaborer lui-même, faisant « de son corps, de son comportement, de ses sentiments et passions, de son existence, une œuvre d’art », selon un mot de Michel Foucault sur Charles Baudelaire, dont Les Fleurs du mal ont hanté l’adolescence de l’auteur de La Poursuite du bonheur. Le corps d’un écrivain, c’est son œuvre : c’est elle qu’il convient d’ausculter. Pas le misérable petit tas de secrets que savent exhumer les biographes inquisiteurs. Dans le fond, il importe peu de savoir que Michel Houellebecq s’appelle en réalité Michel Thomas, qu’il est né le 26 février 1956, et non deux ans plus tard, le 20 août, à 3 heures du matin, ainsi qu’il l’a affirmé, opposant avec une délectation affichée le mentir-vrai du poète souverain aux fiches de police. Ce qui est intéressant, c’est de savoir que sa route d’artiste a commencé en 1978 par un courtmétrage muet en noir et blanc intitulé Cristal de souffrance. Et qu’il a un jour revendiqué ce film sous un patronyme, Houellebecq, qui n’était plus celui de son père, mais celui de sa grandmère paternelle, auprès de laquelle il avait vécu à Alger au début des années 1960, après l’éclatement du couple brièvement formé par ses parents. Même s’ils sont flous, ces éléments biographiques se lisent entre les lignes de sa poésie et de ses romans. Comme Bruno, l’écrivain raté des Particules élémentaires, il a vécu le rapatriement en métropole après l’indépendance de l’Algérie et vu son aïeule dépérir après avoir été arrachée à la terre africaine : « Elle marchait d’une pièce à l’autre, tenant parfois une serpillière ou une casserole dont elle avait oublié l’usage. » Avec Cristal de souffrance, suivi de deux autres courts-métrages, Déséquilibres, en 1982, et La Rivière, en 2001, un artiste faisait son entrée dans la carrière. Jeune ingénieur frais émoulu de l’Institut national agronomique Paris-Grignon, l’auteur inconnu de ce petit film de trente minutes avait déjà

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composé quelques poèmes publiés dans la revue Karamazov – un nom prémonitoire lorsqu’on songe à l’inspiration ultérieure du romancier –, mais il rêvait de cinéma. Après l’Agro, il a d’ailleurs suivi les cours de l’Ecole nationale supérieure Louis-Lumière, dont il est sorti en 1981. Sa carrière de romancier ne mettra pas un terme à sa passion pour le cinéma. Il participera, au contraire, à l’écriture du scénario de l’adaptation d’Extension du domaine de la lutte par Philippe Harel, sortie en 1999. Et il exigera de porter lui-même à l’écran La Possibilité d’une île, le plus conceptuel de ses romans. Un parcours du combattant. En 2008, le film recevra un accueil glacial. N’importe. En artiste de pure race, Michel Houellebecq n’a jamais tenté de se soustraire au risque d’être incompris. Il aurait pu choisir de donner aux Trissotin de la critique cinématographique branchée la pâtée qu’ils voulaient manger : un ressort narratif tendu, une scène de sexe non simulée et quelques passages provoquant les ciseaux de la censure. Ecoutant sa seule inspiration, il a tourné le film qu’il portait en lui sans se soucier de sa réception. Plus tard, on le verra faire l’acteur dans L’Enlèvement de Michel Houellebecq de Nicloux (2014), Near Death Experience de Kervern et Delépine (2014), Saint Amour des mêmes Kervern et Delépine (2016). A l’occasion, l’on a découvert un grand comique. Et l’on s’est souvenu que son acteur préféré s’appelait Louis de Funès. S. L.

ADAPTATION En 2008, Houellebecq porte lui-même

à l’écran son roman le plus conceptuel, La Possibilité d’une île (ci-dessus, lors du tournage). Page de droite : l’écrivain en 2001, alors qu’il s’est installé dans la petite île de Bere, au sud-ouest de l’Irlande, montrant une photo de lui enfant.



COMMENT ON DEVIENT MICHEL HOUELLEBECQ

1998

Mise à feu

Avec Les Particules élémentaires, Houellebecq sème la terreur chez les bien-pensants. Scandale et succès deviennent sa marque de fabrique.

© COLLECTION CHRISTOPHEL-LAZENNEC FILMS/DR. © EWA KLOS/LEEMAGE.

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amais, jamais, jamais, nous ne nous lasserons d’offenser les imbéciles ! » prévenait Georges Bernanos. Une proclamation que Michel Houellebecq aurait pu reprendre à son compte. Même s’il sait, lorsqu’il déclenche des ouragans chez les bien-pensants, afficher sa mine triste de Droopy. Qui dit bien-pensant, ici, ne songe pas aux bourgeois à rouflaquettes et aux curés qui persécutèrent Flaubert et Baudelaire. C’était au XIXe siècle. Lorsque Houellebecq sème la terreur chez les bienpensants, il ne se trompe pas de cible. Il frappe au cœur, ajustant les grandes têtes molles du gauchisme culturel, gens de presse, de mode et de publicité à l’égard desquels son mépris est infini – même si un art de la guerre incomparable lui a souvent permis de se mettre Libération et Les Inrockuptibles dans la poche. Par là, il fait coup double, en fournissant la preuve que ces vigilants ne savent pas lire : aucun libéral-libertaire conséquent ne devrait pouvoir goûter son œuvre. Son premier scandale public date de l’été 1998, lorsque les membres du groupe Perpendiculaire, des zoïles qui ont tous sombré dans l’oubli, l’excluent du comité de rédaction de leur revue après avoir jugé hérétique Les Particules élémentaires. Quel roman, pourtant. Quatre années après Extension du domaine de la lutte, l’écrivain y poursuivait son examen artistique et scientifique d’une civilisation technique et capitaliste soumise au sexe, au désir, à la cruauté et au nihilisme. Mais avec le scandale qui accompagnait ce livre, il cessait d’être l’écrivain pour quelques-uns, pour devenir le grand écrivain – chose dont il avait toujours rêvé. Mis en place en librairie le 24 août, ce roman fait trembler le paysage. François Nourissier s’est battu pour qu’il soit couronné par le prix Goncourt, qui est finalement allé à Confidence pour confidence de Paule Constant. La perspective d’un triomphe des Particules élémentaires chez Drouant avait obligé les Perpendiculaires à durcir leurs anathèmes en accusant le romancier de véhiculer des fantasmes eugénistes dans une tribune intitulée « Houellebecq et l’ère du flou », parue dans Le Monde du 10 octobre. A l’excommunication de ces cancres savants se sont joints les gémissements des propriétaires du camping naturiste posthippie L’Espace du Possible qui ont essayé de faire interdire le roman qui les ridiculisait. Le nom du camping a changé dans le deuxième tirage et l’affaire a été oubliée. Trois ans plus tard, en matador sachant descendre dans l’arène pour faire affronter la bêtise à front de taureau, Michel Houellebecq accompagnera la parution de son troisième roman, Plateforme, d’entretiens dopés à la provocation pure.

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Dans Le Figaro Magazine, pour commencer : « La lecture du Coran est une chose dégoûtante. Dès que l’islam naît, il se signale par sa volonté de soumettre le monde. Dans sa période hégémonique, il a pu apparaître comme raffiné et tolérant. Mais sa nature, c’est de soumettre. C’est une religion belliqueuse, intolérante, qui rend les gens malheureux. » Puis dans le magazine Lire : « Et la religion la plus con, c’est quand même l’islam. Quand on lit le Coran, on est effondré… effondré ! La Bible, au moins, c’est très beau, parce que les juifs ont un sacré talent littéraire… » Poursuivi pour injure raciale et incitation à la haine religieuse par quatre associations musulmanes, l’écrivain sera relaxé par le tribunal correctionnel de Paris en octobre 2002. Toujours plus de scandales, toujours plus de succès. D’inconnu, Michel Houellebecq était, entre-temps, devenu définitivement célèbre. A savourer dans son art : cette façon de jouer avec les situations d’énonciation. Qui parle dans ses livres ? Le créateur ou ses créatures ? Envisagées comme des romans à thèse, ses fictions ne sont pas très cool. Mais ce ne sont pas des romans à thèse. Ce sont des métaphores inédites. Qui se demande si l’écrivain est pour ou contre les horreurs que racontent ses personnages doit se souvenir de cette réponse faite par François à Myriam dans Soumission (2015) : « Je ne suis pour rien du tout, tu le sais bien. » Ou uniquement pour exaspérer les imbéciles, comme disait Léon Bloy. S. L.

ULTRAMODERNE SOLITUDE Ci-dessus : Philippe

Harel interprète Notre Héros, le personnage principal d’Extension du domaine de la lutte, qu’il a adapté au cinéma en 1999, et pour lequel Houellebecq était coscénariste. Page de droite : Portrait de Michel Houellebecq, par Ewa Klos, 2014.




L’image et le cliché

ENTRETIEN AVEC MICHEL HOUELLEBECQ, PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-RENÉ VAN DER PLAETSEN

© PHILIPPE MATSAS/OPALE/LEEMAGE.

Très tôt séduit par l’idée de pouvoir cadrer le monde dans un viseur, Michel Houellebecq s’est mis jeune à la photographie. L’exposition du Palais de Tokyo, qu’il a réalisée à la manière dont il compose un recueil de poèmes, se doit, à ses yeux, d’être un lieu de méditation.


Réactionnaire, antilibéral, antimoderne, nihiliste ? Par ses provocations et ses ambiguïtés idéologiques, Michel Houellebecq n’a cessé de brouiller les cartes et de dérouter ses lecteurs. Une certitude, pourtant : par la force de son œuvre, l’audience qu’il a acquise et le retentissement international de ses livres, il s’impose comme l’écrivain français majeur de ce début du XXIe siècle.

PAR BRUNO DE CESSOLE, ILLUSTRATIONS RABATÉ

Radiographie du


E

désastre

tre là où il faut au moment qu’il faut » : voilà, rappelait Paul MoranddanssonJournalinutilelesecretdusuccès.Al’évidence, Michel Houellebecq maîtrise cet art d’occuper les « créneaux porteurs » au moment opportun, tout comme il sait susciter une forme de consensus qui relativise son caractère subversif. Livre après livre, l’auteur a su jouer avec maestria tant de l’emballement pavlovien des médias, pour qui il constitue unesourceintarissablederéactions,négativesoupositives,que de son indéniable talent à saisir l’esprit du temps, et à répondre auxattentesd’unpublicqu’ilcaresse,irrite,etprovoqueàlafois. Appliquant à lui-même le conseil qu’il donnait naguère à son voisin Marc-Edouard Nabe – « Si tu veux avoir des lecteurs, metstoi à leur niveau ! Fais de toi un personnage aussi plat, flou, médiocre, moche et honteux qu’eux. C’est le secret ! » –, il exploite avec ruse la dissonance entre la teneur, sulfureuse, crue, de ses livres etlecôtéterne,falot,desonpersonnage.Notrepseudo-ennemi public national, comme il se définit dans un livre de correspondance avec Bernard-Henri Lévy, Ennemis publics, n’a rien d’un flamboyant provocateur comme le fut Jean-Edern Hallier. Il n’a pas, non plus, la séduction retorse du clerc libertin Philippe Sollers, qu’il met savoureusement en scène dans l’un de ses romans.Minedecockertriste,alluredepréparateurenpharmacie chafouin au fond d’une province écartée, dégaine misérabiliste de clochard à la Léautaud : voilà un provocateur couleur de muraille, un pervers polymorphe discret et secret comme un petit fonctionnaire des impôts. Sur les photos de la remise du Goncourt chez Drouant, il arborait, parmi les très bourgeois jurés du prix, son habituelle panoplie de chômeur en recherche d’emploi : parka fatiguée, jean usé, et chemise bleue flottante, aussi emblématique que le gilet rouge de Théophile Gautier à la première d’Hernani. Commentant le résultat attendu, Raphaël Sorin, ancien éditeur de Houellebecq, aurait lâché : « Il les a bien niqués ! » Et tel est le sentiment que l’on ne peut s’empêcher d’éprouver. Dans La Possibilité d’une île, Daniel 1, cynique, déclarait : « Si l’on agresse le monde avec une violence suffisante, il finit par le cracher, son sale fric ; mais jamais, jamais il ne vous redonne la joie. » Mission accomplie et même davantage pour l’écrivain combléquiempochanonseulementle«salefric»–toujoursbon à prendre – mais l’hommage repentant du milieu littéraire, et même la joie, à défaut du bonheur, cette illusion sentimentale. Imposteur selon ses ennemis, contemporain capital, pour ses admirateurs,prophètevisionnairevoiregourouauxyeuxdeses « fans », nouveau Balzac ou moderne Zola pour les plus exaltés, en quoi et pourquoi Michel Houellebecq, à qui sont consacrés thèses et colloques et dont les livres sont, à chaque parution, des best-sellers, s’est-il imposé comme une icône du paysage littéraire ? Ses trois premiers livres, un essai sur l’écrivain américain de science-fiction Howard Phillips Lovecraft, un recueil d’aphorismes à la manière des Nourritures terrestres de Gide, Rester vivant, et un recueil de poésie, La Poursuite du bonheur, si intéressants soient-ils, n’avaient pas séduit les foules ni attiré la lumière. Il a fallu attendre Extension du domaine de la lutte, roman culte et séminal, pour que cristallise une légende. Pourtant, de son propre aveu, rien ne prédisposait Michel Houellebecq à devenir romancier : « J’ai toujours préféré la poésie, j’ai

hors-sérien

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IILLUSTRATION : © RABATÉ POUR LE FIGARO HORS-SÉRIE.

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H.P. LOVECRAFT,

CONTRE LE MONDE, CONTRE LA VIE (1991)

C’

Essai

toujours détesté raconter des histoires. Mais là j’ai senti, dès le début (et je sens toujours), comme une espèce de devoir (…) : j’étais requis à sauver les phénomènes ; à donner de mon mieux une retranscription de ces phénomènes humains qui se manifestaient, si spontanément, devant moi. » (Ennemis publics). Etre le sismographe d’une époque de désastres, tels sont le devoir et la fonction que s’est assignés l’écrivain, et la sensibilité de ses antennes lui a fait pressentir le surgissement des secousses sismiques majeures, des attentats du 11 septembre 2001 (Plateforme) à l’attaque contre Charlie Hebdo (Soumission) ou aux événements de Bruxelles (Lanzarote). Plus profondément, l’écrivain est celui qui, alors que la littérature française s’enlisait dans l’autofiction, le formalisme, ou l’esthétisme, a osé entreprendre, à ses risques et périls, la dissection de la société contemporaine, des causes du malaise et des tabous français : l’individualisme hédoniste, l’érosion du lien social, l’idéologie libertaire, l’atomisation des individus, la frustration économique ou sexuelle, le vide spirituel, la réduction du monde à un hypermarché social, l’extension de la logique capitaliste à tous les secteurs de la vie des hommes. Et ce, dans un style simple et direct, redoutablement efficace, ne reculant devant aucune trivialité, dont la critique a volontiers stigmatisé la pauvreté, alors que pour l’auteur, invoquant Schopenhauer, le critère du style est d’abord d’avoir quelque chose à dire. Une vertu que personne ne déniera à Michel Houellebecq. Sa revanche obtenue, sa mission largement remplie, l’écrivain continuera-t-il sur sa lancée ou suivra-t-il l’exemple de Jed Martin, le protagoniste de La Carte et le Territoire renonçant à exposer mais persévérant, pour lui seul, à rendre compte du monde ? Michel Houellebecq a annoncé qu’il abandonnerait le genre romanesque. Peut-être reviendra-t-il à la poésie, les premières amours de cet « écrivain romantique », hanté par la chute mais aussi par la rédemption, selon la thèse de son exégète, Aurélien Bellanger (Houellebecq, écrivain romantique). A moins qu’il ne creuse la veine de la science-fiction, l’autre de ses prédilections, qu’il ne se lance dans le polar, comme dans la troisième partie de La Carte et le Territoire, ou ne poursuive la politiquefiction comme dans Soumission. En réalité, on peut tout attendred’unauteurquientretientsoigneusementlesmalentendus, et dont le plaisir semble avoir été de dérouter et de choquer ses lecteurs. Issu de la gauche, nostalgique d’une certaine France à la fois stalinienne et catholique, ayant voté « non » à Maastricht et soutenu Chevènement à la présidentielle, Houellebecq a pu être stigmatisé à la fois comme « nouveau réactionnaire » et comme emblème d’une extrême gauche branchée. S’il est assurément antimoderne, s’il dénonce l’individualisme contemporain, et la « racaille gauchiste », s’il se gausse du socialisme, il affirme, surtout, n’avoir qu’un ennemi : le libéralisme. Nul doute que la fascination qu’exerce Michel Houellebecq ne tienne au caractère insaisissable de ce pessimiste irréductible, faux cynique mais moraliste paradoxal, convaincu, à l’instar de Schopenhauer, que « la vie oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui », et préférant, comme lui, à l’humanité, la compagnie de ses chiens.

est à l’âge de seize ans, confie-t-il, que Houellebecq a découvert les écrits d’Howard Phillips Lovecraft (1890-1937), qui ont exercé sur lui une durable fascination, pourtant « contradictoire avec le reste de [ses] goûts littéraires ». Entre le maître américain de l’horreur et du fantastique, dont il ne savait alors rien de la vie, et le jeune auteur français s’établit une connivence, fondée sur des affinités à la fois psychologiques et intellectuelles. Il semble qu’en l’auteur de L’Appel de Cthulhu, longtemps considéré comme un écrivain mineur voire réprouvé avant d’être réévalué comme égal voire supérieur à Edgar Poe, Houellebecq à ses débuts se soit en partie identifié : mêmes tendances dépressives et léthargiques, même incapacité à s’adapter à la société, même dégoût


RESTER VIVANT, MÉTHODE (1991)

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Poème en prose

ILLUSTRATIONS : © RABATÉ POUR LE FIGARO HORS-SÉRIE.

de la civilisation moderne et capitaliste, même vision radicalement pessimiste du monde, où ni la vie ni la mort n’ont de sens, même vision d’une nature indifférente et même hostile à l’humanité, même pressentiment de l’apocalypse finale. Même intérêt, aussi, pour les théories scientifiques et philosophiques, et leur exploitation littéraire à travers la science-fiction. Les points de divergence, cependant, ne sont pas négligeables : rien de commun entre le « gentleman » déchu de la côte Est, fier de ses ascendances WASP, puritain inhibé, étranger au monde du sexe et de l’argent, raciste et réactionnaire, entre l’écrivain antiréaliste, dédaigneux du succès et de la renommée, et le dandy misérabiliste, mais très averti des techniques de marketing et de l’autopromotion, l’explorateur du continent noir et rose du sexe, le romancier passionnément réaliste qui se donne pour mission de rendre compte d’une manière exhaustive de la vie et du monde. On pourrait donc avancer que si Michel Houellebecq a été fasciné par H.P. Lovecraft et son œuvre, c’est tout autant par les ressemblances qu’il discernait entre la personnalité de l’écrivain et la sienne que par les divergences entre leurs théories et leur esthétique respectives. De la vie sans événements de Lovecraft, « vie réduite au minimum, dont toutes les forces vives ont été transférées vers la littérature », Houellebecq se plaît à louer le caractère exemplaire et extrait une morale d’écrivain : apprendre à rater sa vie, pour, éventuellement, réussir son œuvre. Un modèle à suivre pour luimême ? Voire. Quand Houellebecq, en revanche, célèbre dans l’œuvre de Lovecraft une « hostilité agissante » et une « opposition permanente » à la vie, comment ne pas y voir la mission que lui-même assigne à la littérature ?

oème en prose ou essai ? L’auteur (ou ses éditeurs) a choisi d’inclure ce court texte dans l’œuvre poétique, et l’on peut songer, toutes proportions gardées, aux poèmes en prose de Baudelaire et de Lautréamont. Mais, tout autant sinon davantage, Rester vivant peut suggérer, en mineur, la comparaison avec les Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke, ou Le Banquier anarchiste de Fernando Pessoa. Par ailleurs, la forme aphoristique (exposé stratégique d’un programme de survie en milieu hostile) et le ton (mi-péremptoire, mi-ironique) ne sont pas sans rappeler Guy Debord et les situationnistes (Raoul Vaneigem, par exemple, et son célèbre Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations). Bien qu’il ne soit pas cité, Schopenhauer et sa philosophie imprègnent la vision du monde qui s’exprime dans Rester vivant : l’univers perçu comme une souffrance universelle (« Le monde est une souffrance déployée. (…) Toutes les choses souffrent, jusqu’à ce qu’elles soient. (…) La première démarche poétique consiste à remonter à l’origine. A savoir : à la souffrance ») et le renoncement au vouloir-vivre comme échappatoire à cette souffrance (« Dans le tumulte de la vie, être toujours perdant (…). Apprendre à devenir poète, c’est désapprendre à vivre. » ; « Bien sûr, la vie vous déchirera encore ; mais, de votre côté, vous n’avez plus tellement à faire avec elle. Souvenez-vous-en : fondamentalement, vous êtes déjà mort. Vous êtes maintenant en tête à tête avec l’éternité. »). Avant l’anéantissement final, l’objectif que l’auteur fixe au poète est d’utiliser au mieux une espérance de vie suffisante pour survivre en « parasite sacré » aux crochets d’une société en décomposition, afin de frapper au défaut de la cuirasse, d’appuyer fort sur ses plaies : « Creusez les sujets dont personne ne veut entendre parler. L’envers du décor. Insistez sur la maladie, l’agonie, la laideur. Parlez de la mort, et de l’oubli. De la jalousie, de l’indifférence, de la frustration, de l’absence d’amour. Soyez abjects, vous serez vrais. » Entre aimer le monde et aimer la vérité, il faut choisir. Au prix de la solitude et de l’incompréhension, le poète doit creuser son chemin vers la vérité, qui, toujours, « est scandaleuse », « mais, sans elle, il n’y a rien qui vaille ». Il fallait le flair et le culot du grand éditeur que fut Joaquim Vital, le fondateur des Editions de la Différence, pour publier ce texte glaçant, cynique, et lucide, où Michel Houellebecq se livre à l’autoportrait (« D’une manière générale, vous serez bringuebalé entre l’amertume et l’angoisse. Dans les deux cas, l’alcool vous aidera. L’essentiel est d’obtenir ces quelques moments de rémission qui permettront la réalisation de votre œuvre. Ils seront brefs ; efforcez-vous de les saisir. ») et où sont déjà en germe ses livres à venir.

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La possibilité d’une œuvre PAR SOLANGE BIED-CHARRETON

Solitude, dépression, quête vaine de l’être aimé, le monde dont Michel Houellebecq se fait le témoin n’est pas réjouissant. Mais en bon clinicien, une fois le diagnostic posé, le romancier avance des propositions pour tenter d’échapper à cette apocalypse. ILLUSTRATIONS PASCAL BLANCHET


ILLUSTRATIONS : © PASCAL BLANCHET POUR LE FIGARO HORS-SÉRIE.


Postmodern melody PAR ALEXANDRE DEVECCHIO

Comme Balzac avant lui, Houellebecq décrit un changement de monde. Il dresse, roman après roman, le portrait d’une France postmoderne bouleversée par la mondialisation.

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st-il l’héritier de Balzac, Flaubert, Zola ou membre de la confrérie des Clouscard, Guilluy ou Caldwell ? Si, à première vue, le prix Goncourt 2010 est romancier et poète, ses livres ne dépareraient pas au milieu des meilleurs essais contemporains. « La première – et pratiquement la seule – condition d’un bon style, c’est d’avoir quelque chose à dire », aime répéter Houellebecq citant Schopenhauer. L’auteur de Soumission semble ainsi privilégier le propos sur le style. A la musique des mots, préférer la justesse de l’observation, la précision chirurgicale de l’analyse. « Pourquoi écrire encore des romans alors qu’il y en a eu tant d’écrits, et de très bons ? s’interroge-t-il dans Le Figaro Magazine. Parce que le monde a changé. (…) Balzac n’aurait pas pu prédire l’apparition des informaticiens ni des geeks. Je me

concentre sur ce qui, dans le monde dans lequel nous vivons, est nouveau. Et, forcément, je tombe sur ce qu’on appelle des “sujets de société”. » Balzac avait pour projet d’identifier les « espèces sociales » de son époque comme Buffon avait identifié les espèces zoologiques, afin d’« écrire l’histoire oubliée par tant d’historiens, celle des mœurs ». Michel Houellebecq, qui habite au sommet d’une tour du XIIIe arrondissement au bord du périph pour mieux observer ses contemporains, procède lui aussi en sociologue. « Les hommes de Cro-Magnon chassaient le mammouth et le renne : ceux d’aujourd’hui avaient le choix entre un Auchan et un Leclerc », écrit-il dans Soumission. L’auteur d’Extension du domaine de la lutte a fait entrer dans la littérature les classes moyennes urbaines, leur paysage


© FLORIANE DE LASSÉE. © MARK GRIFFITHS/GETTY IMAGES.

standardisé et leur mode de vie déshumanisé : « Meaux » et « Rouen », « Monoprix » et « Leader Price », « les discothèques de province » et « le Gymnase Club », « Radio Nostalgie » et « le 20 heures de David Pujadas », « les vacances au ski » et « les campings naturistes du Cap d’Agde ». Michel, le personnage central des Particules élémentaires et double littéraire de l’écrivain apparaît particulièrement emblématique : il « vivait dans un monde (…) rythmé par certaines cérémonies commerciales – le tournoi de Roland-Garros, Noël, le 31 décembre, le rendez-vous bisannuel des catalogues 3 Suisses ». Houellebecq, comme Balzac, décrit un changement de monde. L’auteur d’Illusions perdues dressait le tableau de la France postrévolutionnaire marquée par la naissance du capitalisme, l’essor de la bourgeoisie, la révolte de la chouannerie et la disparition progressive des valeurs aristocratiques. Celui de La Carte et le Territoire fait le portrait de la France

postmoderne bouleversée par la mondialisation, la révolution techno-scientifique et leurs corollaires : la désindustrialisation, la paupérisation des couches intermédiaires et la montée de l’islamisme. « S’il y a quelqu’un aujourd’hui, dans la littérature mondiale et pas seulement française, qui pense l’espèce d’énorme mutation que nous sentons tous en cours sans avoir les moyens de l’analyser, c’est lui », s’enthousiasme Emmanuel Carrère. Son premier roman, Extension du domaine de la lutte, a souvent été lu comme une critique acerbe du libéralisme libertaire. C’est le cas. L’écrivain s’inspire du sociologue Michel Clouscard qui dans Le Capitalisme de la séduction (1981) puis Les Métamorphoses de la lutte des classes (1996)montrequelalibérationdesmœurs est allée de pair avec l’aliénation économique et sociale de la classe moyenne. Mais le premier roman de Michel Houellebecq, alors informaticien, est aussi une chronique de la troisième révolution industrielle.

Paru en 1994, soit quatre ans après la naissance du web mondial et au tout début de la bulle Internet, il dépeint le milieu des cadres informatiques qui préfigure la société des années 2000. Houellebecq montre comment l’ère du numérique bouleverse aussi bien l’économie mondiale que les rapports humains. « La liberté n’était rien d’autre que la possibilité d’établir des interconnexions variées », explique un personnage. Or, Houellebecq montre que loin de rapprocher les hommes, le

DÉSOLATION

Tout comme Balzac qui projetait d’identifier les « espèces sociales » de son époque, Houellebecq procède en sociologue. Il montre comment l’ère du numérique a bouleversé les rapports humains, le réseau isolant en réalité les hommes, plongés dans un néant existentiel.

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Tue-l’amour Dans sa Comédie humaine, Michel Houellebecq dresse un portrait sombre et cynique de la femme occidentale. La liberté des mœurs a tué le désir, et l’extension du domaine de la lutte gagné la chambre à coucher. L’islam devient alors l’instrument fantasmé d’une reconquête du corps féminin. ILLUSTRATIONS YASMINE GATEAU

© YASMINE GATEAU POUR LE FIGARO HORS-SÉRIE.

PAR EUGÉNIE BASTIÉ


Un monde composé de femmes

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LA CHAIR EST TRISTE

« Les femmes qui avaient eu vingt ans aux alentours des “années 68” se trouvèrent, la quarantaine venue, dans une fâcheuse situation. Généralement divorcées, elles ne pouvaient guère compter sur cette conjugalité – chaleureuse ou abjecte – dont elles avaient tout fait pour accélérer la disparition. (…) Enfin, le culte du corps qu’elles avaient puissamment contribué à constituer ne pouvait, à mesure de l’affaissement de leurs chairs, que les amener à éprouver pour elles-mêmes un dégoût de plus en plus vif – dégoût d’ailleurs analogue à celui qu’elles pouvaient lire dans le regard d’autrui. » (Les Particules élémentaires).

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onnasse », « boudins », « ultimes résidus, consternants, de la chute du féminisme » : dès les premières pages d’Extension du domaine de la lutte, le premier roman de Michel Houellebecq, le ton est donné. Nous ne sommes pas chez Musset ni chez Stendhal. Houellebecq ne nous parlera pas de l’amoureuse, de l’intrigante, de la femme de tête ou de cœur. Dans sa Comédie humaine, la femme est au mieux une prostituée, au pire une « emmerdeuse », dont l’action principale consiste à faire des fellations au héros du roman avec une fréquence qui peut lasser les lecteurs les plus obsédés. Mères dénaturées, filles paumées, vieilles peaux, carriéristes sans âme, masseuses thaïlandaises : Houellebecq dresse un tableau sombre et cynique de la condition féminine. Le sociologue Eric Fassin en fait même le maître à penser du « roman noir de la sexualité française », prototype de la littérature antiféministe et réactionnaire.

LA MORT DE LA MÈRE

D’oùvientcerejet,cetéchecàdécrireunamour durable ? Houellebecq mérite-t-il l’infamant qualificatif de « misogyne » ? On peut lui trouver un motif psychologique. « Lorsque j’étais bébé, ma mère ne m’a pas suffisamment bercé, caressé, cajolé ; elle n’a simplement pas été suffisamment tendre ; c’est tout, et ça explique le reste, et l’intégralité de ma personnalité à peu près », écrit-il dans Mourir, un journal publié en 2005 et disponible uniquement en ligne. Un traumatisme qui restera, selon lui, fondateur : « Aujourd’hui encore, lorsqu’une femme refuse de me toucher, de me caresser, j’en éprouve une souffrance atroce, intolérable ; c’est un déchirement, un effondrement, c’est si effrayant que j’ai toujours préféré, plutôt que de prendre le risque, renoncer à toute tentative de séduction. » Le ressentiment de Michel envers le genre féminin viendrait d’un banal manque d’amour maternel ? On décrit parfois notre monde comme celui de la disparition du père, de l’autorité du pater familias, bafouée par une prétendue « féminisation » de la société. Houellebecq, dans son œuvre, décrit l’inverse. Le monde qu’il peint est celui de la perte de la mère. Mère absente,

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dénaturée, libérée et égoïste dont l’archétype se retrouvera dans la mère de Bruno et Michel dans Les Particules élémentaires. Une mère qui privilégie sa carrière à sa famille, son désir à sa descendance. Une soixante-huitarde qui a sacrifié ses enfants sur l’autel du plaisir. Cette mère, femme « libérée » d’une intelligence hors du commun, s’appelle dans la vraie vie Lucie Ceccaldi. En 2008, elle a refait surface dans un livre intitulé L’Innocente, où elle assume ouvertement son désamour pour un enfant non désiré et s’estime outragée par la parution des Particules. Abandonné, l’enfant Michel fut confié à sa grand-mère Mme Henriette Thomas, née Houellebecq, dont il prendra le nom et dont le dévouement et la tendresse lui laisseront des souvenirs impérissables. Il lui réservera un portrait attendri dans Les Particules : celle de la femme d’avant la révolution sexuelle, préféministe, dévouée, fidèle, patiente. Car il serait faux de dire que Houellebecq déteste les femmes. Ce que raconte son œuvre, c’est la production par la révolution sexuelle soixante-huitarde d’une autre femme. Face à cette femme, qui contrôle son plaisir et maîtrise le désir, l’homme houellebecquien est un solitaire, dépressif et dévirilisé, qui ne trouve que le maigre secours d’étreintes éphémères auprès de prostituées, à qui l’auteur réserve sa tendresse. Houellebecq hait la féministe, mais il aime les femmes. Dans la jungle libérale sans merci, il leur réserve une place à part, digne de celle que réserve l’Eglise aux « sentinelles de l’Invisible » : « Elles étaient plus caressantes, plus aimantes, plus compatissantes et plus douces ; moins portées à la violence, à l’égoïsme, à l’affirmation de soi, à la cruauté. Elles étaient en outre plus raisonnables, plus intelligentes et plus travailleuses. (…) Un monde composé de femmes serait à tous points de vue infiniment supérieur », écrit-il encore dans Les Particules élémentaires. Il fait de la chose qu’elles ont au creux des reins le refuge de la tendresse et de la douceur. Son drame est que ce refuge, les femmes, du haut de leur émancipation fraîchement gagnée, se refusent à le lui offrir. Elles rechignent, elles voient dans la drague un vestige machiste et ferment leurs jambes aux pulsions masculines.


LE GRAND DÉSENCHANTEUR

serait infiniment supérieur . Elles sont libres. Elles sont seules. Elles n’ont plus besoin de l’Homme. Hormis la grandmère, on ne trouvera dans son œuvre que trois portraits de femmes amoureuses, dignes d’être aimées, échappant à l’universelle déréliction : Valérie, dans Plateforme, Annabelle et Christiane, dans Les Particules élémentaires. Ce sont des femmes non pas libérées mais libres, non pas féministes mais féminines, ni soumises ni revanchardes, qui savent encore donner de l’amour aux hommes.

L’AMERTUME ET

ILLUSTRATIONS : © YASMINE GATEAU POUR LE FIGARO HORS-SÉRIE.

LA DISPARITION DU DÉSIR

Toute l’œuvre de Houellebecq est une réflexion sur la disparition du lien, dont la dissolution du lien fondateur entre la mère et son enfant peut être considérée comme la matrice initiale, la blessure originelle. « S’il fallait résumer l’état mental contemporain par un mot, c’est sans aucun doute celui que je choisirais : l’amertume. » (Extension du domaine de la lutte). Quand la mère disparaît, c’est l’amer qui triomphe. Mais le dégoût houellebecquien de l’amour va trèsviteêtrethéorisé.Car,pourlui,c’estlelibéralisme qui a tué la possibilité de l’amour. Houellebecq lui-même a admis avoir été fortement influencé par Michel Clouscard, sociologue qui écrivit dès 1981 Le Capitalisme de la séduction, essai où celui-ci démontrait comment le passage d’une morale victorienne à l’anomie libertaire, encouragée par le féminisme soixante-huitard, avait permis au marché du désir de trouver un nouveau souffle. Telle est la fameuse « extension du domaine de la lutte ». Lutte au cœur de l’amour, au cœur de la vie, au cœur du rapport social le plus intime, celui entre l’homme et la femme. Dans Les Particules élémentaires, on trouve ainsi exposée



ILLUSTRATION : © SÉBASTIEN THIBAULT POUR LE FIGARO HORS-SÉRIE.

La marche du siècle PAR THÉOPHANE LE MÉNÉ

Derrière un détachement apparent, Michel Houellebecq laisse transparaître dans ses romans une ébauche de pensée politique, remise en cause fondamentale du libéralisme et de l’individualisme qui ont atomisé la société. ILLUSTRATIONS SÉBASTIEN THIBAULT


Je crois que je me suis toujours senti

J «

e suis en système libéral / Comme un loup dans un terrain vague, / Je m’adapte relativement mal / J’essaie de ne pas faire de vagues. » (Le Sens du combat). La vie des personnages de Michel Houellebecq, héros laissés sur le bord du chemin par un monde trop violent, trop cruel, commence généralement ainsi, c’est-à-dire plutôt mal. Il en va de même de leur rapport à la politique. On sait l’éternel dilemme : opposer totalement un auteur à son narrateur serait une hérésie, mais les confondre serait une erreur. La question est pourtant renouvelée chez Houellebecq qui attribue régulièrement son propre prénom à ses personnages et met tout en œuvre pour qu’on identifie leur existence à la sienne, le trouble culminant dans le film L’Enlèvement de Michel Houellebecq, perturbante mise en abyme où Michel Houellebecq comédien joue le rôle de Michel Houellebecq écrivain. Le statut à accorder à son discours devient énigmatique. Est-il l’auteur de ses propres tirades, ou les met-on dans sa bouche ? Ainsi de cette scène finale sur une aire d’autoroute qui prend aujourd’hui un aspect prémonitoire, où Michel Houellebecq enlevé, emprisonné mais libéré vitupère la construction européenne et termine par ces mots : « Bruxelles serait un très bel endroit pour une guerre civile. » On peut en tout état de cause relever une évolution chez ses personnages. Tandis que le héros d’Extension du domaine de la lutte est singulièrement éloigné de tout engagement politique, alors qu’il subit et découvre au monde par son expérience la rigueur du régime entièrement libéral, où la compétition sexuelle est le décalque de la concurrence économique, le Jed Martin de La Carte et le Territoire tente d’imaginer une existence personnelle selon d’autres canons, ceux de l’artisanat et de l’homme paysan libre, retiré dans sa campagne, où il pourrait être heureux ; le narrateur de Soumission plonge, quant à lui, entièrement dans le débat politique, pris dans une révolution islamique qui de toute façon ne lui laisse pas d’autre choix que celui de se coucher. Dans Les Particules élémentaires, en 1998, le personnage en demeurait au stade de

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l’observateur intrinsèquement abstrait des affaires : « La traditionnelle lucidité des dépressifs, souvent décrite comme un désinvestissement radical à l’égard des préoccupations humaines, se manifeste en tout premier lieu par un manque d’intérêt pour les questions effectivement peu intéressantes. Ainsi peut-on, à la rigueur, imaginer un dépressif amoureux, tandis qu’un dépressif patriote paraît franchement inconcevable. » On ne saurait être plus clair. Mais Soumission s’en fait l’écho inversé : « Que l’histoire politique puisse jouer un rôle dans ma propre vie continuait à me déconcerter, et à me répugner un peu. Je me rendais bien compte pourtant, et depuis des années, que l’écart croissant, devenu abyssal, entre la population et ceux qui parlaient en son nom, politiciens et journalistes, devait nécessairement conduire à quelque chose de chaotique, de violent et d’imprévisible. La France, comme les autres pays d’Europe occidentale, se dirigeait depuis longtemps vers la guerre civile, c’était une évidence ; mais jusqu’à ces derniers jours j’étais encore persuadé que les Français dans leur immense majorité restaient résignés et apathiques – sans doute parce que j’étais moi-même passablement résigné et apathique. Je m’étais trompé. » De là à conclure que Michel Houellebecq lui-même se soit « trompé », et qu’il ait évolué, il y a un pas. Cependant, son œuvre entière, si on la décompose chronologiquement, témoigne d’une évolution, qui était d’ailleurs déjà inscrite dans chacun de ses livres. Car dans sa conception de la société politique, qu’il emprunte en grande partie au « holisme » d’Auguste Comte (une religion civile et un catéchisme social dont les thèmes et le vocabulaire imprègnent son œuvre), il s’agit toujours du vertige océanique de l’individu solitaire cherchant comment se fondre dans un monde qui paraît entièrement organisé pour l’avaler. La critique des mutations métaphysiques qui détruisent les ordres séculaires y revient comme un leitmotiv. Le christianisme médiéval y est au contraire décrit comme un système théologique abouti qui « constituait un système complet de compréhension de l’homme et de l’univers, (…) servait de base au


LE GRAND DÉSENCHANTEUR

un peu ethnologue dans mon pays.

PROPOSER UN MONDE NOUVEAU

La violence du néolibéralisme que découvrent ses personnages n’est jamais pourtant le dernier mot de ses idées politiques. Le héros houellebecquien ne se résigne jamais à la sortie de l’histoire : au contraire, il tente sans cesse d’y retourner avec la technique narrative du glissement continuel vers l’avenir, un effet de distanciation qui permet de décrire une situation actuelle comme un contemporain parlerait des années 1970, mais qui sert aussi à proposer un monde nouveau. Lequel est parfois atroce, comme dans La Possibilité d’une île, avec ses clones Elohimites inspirés des raëliens, fruits du génie extraterrestre ; glaçant dans Soumission avec la charia, même lénifiante et acceptée par la population ; mais qui peut être aussi apaisé, comme dans La Carte et le Territoire et paradoxalement encore dans

Soumission. Le personnage de Houellebecq, malgré sa dépression et sa condition anachorétique, ne peut s’empêcher d’espérer dans le grand matin positiviste qui remettra toute chose en ordre. « Nous voulons retourner dans l’ancienne demeure / Où nos pères ont vécu sous l’aile d’un archange », chantait-il pris d’un accès de nostalgie médiévale dans La Poursuite du bonheur. Mélancolie romantique XIXe où, soudain, tout se confond : les premiers socialistes qu’il invoque dans La Carte et le Territoire, Fourier, SaintSimon, Pierre Leroux, Owen, Carlyle, théoriciens d’un monde organique et égalitaire ; mais aussi Baudelaire et Huysmans (un Huysmans que l’on retrouve bien entendu dans Soumission puisqu’il est l’occasion de la conversion ratée du héros au catholicisme), critiques du « stupide XIXe siècle » qui donna naissance au monde moderne et à l’éclatement de l’organisation sociale dans un contexte de révolution industrielle. Sa conception de l’économie a été admirablement mise en lumière par Bernard Maris dans Houellebecq économiste, où sont vouées aux gémonies la théorie des « individus rationnels et utilitaristes » d’Alfred Marshall dans laquelle les liens collectifs doivent être brisés pour que règne pleinement le marché ; la « destruction créatrice » de Schumpeter où l’offre et la demande se renouvellent en permanence ; et la loi psychologique fondamentale établie par Keynes selon laquelle la consommation augmente avec le revenu. Il y oppose, dans La Carte et le Territoire, l’éloge de William Morris et de son mouvement artistique réformateur Arts & Crafts, né dans les années 1860 en Angleterre. Un mouvement qui fit alors écho aux préoccupations devant le progrès (besoin d’individualisation, recherches de véritables valeurs) et tenta de renouer avec l’artisanat médiéval tout en annonçant le distributisme d’un Chesterton, régime politique ni libéral ni socialiste, éminemment catholique dans son inspiration – car pure extrapolation de la doctrine sociale de l’Eglise –, mais dont Houellebecq attribuera le mérite de l’application au président musulman de

DRAPEAU EN BERNE

ILLUSTRATIONS : © SÉBASTIEN THIBAULT POUR LE FIGARO HORS-SÉRIE.

gouvernement des peuples, (…) organisait la production et la répartition des richesses » (Les Particules élémentaires). Le tout étant évidemment empreint de contradictions : de même que l’hystérique cherche un maître sur qui régner, le personnage houellebecquien est cet enfant unique réclamant une mère qu’il hait. Il exige son plaisir solitaire, dans tous les sens du terme, en même temps qu’il rêve une société qui le prenne en main et lui indique comment vivre. De la France, il ne sait trop que faire, puisqu’elle est partie de cet Occident qui lui répugne pour sa déchéance morale et politique : « Je crois que je me suis toujours senti un peu ethnologue, à vrai dire… dans mon propre pays », reconnaissait Houellebecq en novembre 2002, dans un entretien avec son traducteur hollandais, Martin de Haan. Ce n’est d’ailleurs pas tant la France elle-même que toute entité politique contemporaine liée à la corruption de la démocratie, à celle qu’on dit représentative, et qui est à ses yeux déracinée : « Pour moi, les mots de “démocratie représentative” recouvrent une imposture totale ; la seule démocratie, c’est la démocratie directe », affirmait-il à la revue politique Charles en 2013.

« [Mon père] s’était engagé dans la Résistance dès le début (…). Déjà, à son époque, le patriotisme français était une idée un peu dépréciée – on peut dire qu’il est né à Valmy en 1792, et qu’il a commencé de mourir dans les tranchées de Verdun (…). Un peu plus d’un siècle, au fond, c’est peu. Aujourd’hui, qui y croit ? Le Front national fait semblant d’y croire, c’est vrai, mais il y a quelque chose de tellement incertain, tellement désespéré dans leur croyance ; les autres partis, eux, ont carrément fait le choix de la dissolution de la France dans l’Europe. » (Soumission).

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