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N N U U M M
NUMÉRO UMÉRO55––D DÉCEMBRE ÉCEMBRE2012 2012-J N - JANVIER ANVIER 2013 2013––BBIMESTRIEL IMESTRIEL
É É R R O O
Le vrai visage du Roi-Soleil Bilan d’un règne Louis XIV et Dieu Saint-Simon le menteur magnifique
FRANÇOISFERDINAND L’INCONNU DE SARAJEVO
BEL : 7,60 € - CAN : 14 $C - CH : 11 FS - DOM : 8 € - LUX : 7,60 € - MAR : 75 DH - NL : 8 € - PORT CONT : 8 €
VENISE ET LE TITIEN MAUDIT
Louis XIV Roi ou Roi des
Soleil ombres
L’ÂGE D’OR
DES CARTES MARINES
M 05595 - 5 - F: 6,90 E - RD
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ÉDITORIAL © BLANDINE TOP.
Par Michel De Jaeghere
L
SOUS LE SOLEIL EXACTEMENT
a majesté du château de Versailles a quelque chose d’un fauxsemblant. Elle a pour toujours associé le règne de Louis XIV à l’idée d’une grandeur immobile et sereine. Sur le plafond de la galerie des Glaces, le roi n’avait pas voulu que Le Brun raconte l’histoire des dieux de l’Olympe : Apollon écorchant Marsyas, ou Hercule accueilli au banquet des dieux. Lui avait-elle paru moins éclatante que la sienne ? On lui avait préféré le passage du Rhin et la guerre de Hollande. La pratique gouvernementale n’avait pas démenti ce manifeste. Le roi ne s’était pas contenté de s’abstenir, après la mort de Mazarin, de pourvoir au poste de principal ministre (Le Roi gouverne par lui-même), d’écarter de son conseil sa mère et les princes du sang. Il avait choisi ses ministres parmi des « gens de rien » (SaintSimon). Entendre : des commis souvent issus de la noblesse de robe ou de la bourgeoisie industrieuse. Son service était, à ses yeux, la seule source de véritable anoblissement. La liturgie royale donnait à l’existence du souverain la régularité d’horloge, la majesté de la course du soleil. La réception d’ambassadeurs venus de pays lointains avait offert autant d’occasions d’entretenir l’illusion d’une monarchie universelle. Les fêtes de Cour avaient fait le reste. Dès le Grand Carrousel de 1662, le roi avait paru costumé en empereur romain. Il avait vaincu successivement les Perses de Monsieur, les Turcs de Condé, les Indiens du duc d’Enghien et jusqu’aux sauvages d’Amérique menés par le duc de Guise. Louis XIV y portait une cuirasse en brocart d’or et d’argent parsemé de rubis, une écharpe ornée de roses de diamants, un cimeterre en or massif, un casque en argent surmonté d’une crête de plumes noires et feu. Sur son écu, la devise « Ut vidi, vici » (« Sitôt que j’ai vu, j’ai vaincu ») renvoyait à la victoire de César sur le roi du Pont. Celles des princes traduisaient la soumission des nations (et la leur !) au monarque tout-puissant : « Seul le soleil est plus grand que moi », « Sans toi, je ne suis rien », « De tes regards, viens mon ardeur ». Un an après la prise de pouvoir personnel du jeune souverain, et dix mois après la disgrâce de Fouquet, les Grands avaient ainsi joué « la parade de leur propre déclin » (Jean-Pierre Néraudau). A plus de trois siècles de distance, le spectacle nous éblouit encore ; il explique la floraison d’ouvrages que continue de susciter la personne de Louis XIV. Vingt-cinq ans après le flamboyant plaidoyer de François Bluche, dix-sept ans après la biographie de référence de JeanChristian Petitfils, portraits, biographies, essais monographiques ou romans historiques continuent, pour le meilleur et pour le pire, de paraître en avalanche. L’esprit français aidant, avec sa méfiance naturelle pour les hommes providentiels, sa tendance à moquer ce qui semble trop grand, le
phénomène entretient, symétriquement, la légende noire d’un « roi des ombres » édifiant son pouvoir sans pitié pour la peine des hommes, sans considération des peuples obligés de ployer sous sa férule pour la satisfaction d’un prince fou d’orgueil, assoiffé de puissance, insoucieux du bien commun. Dans l’un et l’autre cas, le regard que nous portons sur Louis XIV est trop souvent faussé, peut-être, par l’oubli des circonstances. Ce règne avait commencé par une guerre civile, et c’est sur la paille du château de Saint-Germain, sans meuble, sans feu, contraint de fuir Paris, que Louis XIV avait fait les premiers pas de son éducation politique. La révolte brouillonne des parlements, le jeu des ambitions rivales des Grands, l’enchevêtrement des complots, des retournements, des intrigues clandestines, avaient mis le pays à feu et à sang, alors même que pesait sur lui la menace de l’invasion étrangère. Rude école pour un prince de 10 ans. Tout son effort avait consisté à en conjurer le renouvellement. Cette obsession est à la source de l’affirmation répétitive de sa gloire par l’architecture, la peinture, la sculpture, les arts décoratifs, la littérature, la musique ou la danse. Elle explique les succès du règne : la paix à l’intérieur, obtenue par l’assujettissement des feudataires, la splendeur des beaux-arts, la constitution d’une armée, d’une marine et d’une industrie, la consolidation des frontières du nord et de l’est par la guerre de conquête et la mise en place du formidable réseau défensif conçu par Vauban. Elle explique aussi ses erreurs et ses faiblesses : la persécution de PortRoyal, la révocation de l’édit de Nantes, quelques guerres où le prestige royal eut plus de part que l’intérêt de la France, le verrouillage excessif des corps intermédiaires, qui isola la monarchie de la nation. C’est à son aune que doit être fait, en toute justice, le bilan d’un règne au terme duquel, recru d’épreuves, de deuils et de revers, le vieux monarque laissa la France revigorée, malgré tout, par un demi-siècle de paix civile, nantie de frontières renforcées, et nimbée du prestige que lui avait donné le rayonnement sans pareil de sa civilisation. Le plus extraordinaire est que Louis XIV avait lui-même prévu, très tôt, les retours de balancier dont sa personne n’allait cesser de faire l’objet dans l’opinion. Dans les Mémoires pour l’instruction du Dauphin, écrits entre 1664 et 1670 par un jeune souverain de moins de 30 ans, alors que courtisans, peintres, poètes célébraient à l’unisson « le plus grand roi du monde », il faisait cette observation : « L’homme, naturellement ambitieux et orgueilleux, ne trouve jamais en lui-même pourquoi un autre lui doit commander, jusqu’à ce que son besoin propre le lui fasse sentir. Mais ce besoin même, aussitôt qu’il a un remède constant et réglé, la coutume le lui rend insensible. » !
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COMITÉ SCIENTIFIQUE. Président : Jean Tulard, de l’Institut. Membres : Jean-Pierre Babelon, de l’Institut ; Marie-Françoise Baslez, professeur d’histoire ancienne à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Simone Bertière, historienne, maître de conférences honoraire à l’université de Bordeaux-III et à l’ENS Sèvres ; Jean-Paul Bled, professeur émérite (histoire contemporaine) à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Jacques-Olivier Boudon, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Maurizio De Luca, ancien directeur du Laboratoire de restauration des musées du Vatican ; Jacques Heers, professeur émérite (histoire médiévale) à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Nicolaï Alexandrovitch Kopanev, directeur de la bibliothèque Voltaire à Saint-Pétersbourg ; Eric Mension-Rigau, professeur d’histoire sociale et culturelle à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Arnold Nesselrath, professeur d’histoire de l’art à l’université Humboldt de Berlin, délégué pour les départements scientifiques et les laboratoires des musées du Vatican ; Dimitrios Pandermalis, professeur émérite d’archéologie à l’université Aristote de Thessalonique, président du musée de l’Acropole d’Athènes ; Jean-Christian Petitfils, historien, docteur d’Etat en sciences politiques ; Jean-Robert Pitte, de l’Institut, ancien président de l’université de Paris-IV Sorbonne, délégué à l’information et à l’orientation auprès du Premier ministre ; Giandomenico Romanelli, professeur d’histoire de l’art à l’université Ca’ Foscari de Venise, ancien directeur du palais des Doges ; Jean Sévillia, journaliste et historien.
Au
Sommaire EN COUVERTURE
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
8. Les tragédies du 19 mars Par Henri-Christian Giraud 16. Le vert et le brun Par Jean Sévillia 18. François-Ferdinand, l’inconnu de Sarajevo. Entretien avec Jean-Paul Bled. Propos recueillis par Jean-Louis Thiériot 24. Côté livres 30. Gai ! Gai ! Marions-nous ! Par Jean-Louis Thiériot 32. Passeur d’histoire Par Marie-Amélie Brocard 36. Cinéma Par Geoffroy Caillet 38. Expositions Par Albane Piot 40. Patrimoine Par Lucile Saint-Jean 41. Archéologie Par Michel De Jaeghere En partenariat avec
44. Ombres et lumière du Soleil Par Jean-Christian Petitfils 52. Pleins feux sur Le Roi des ombres Par Simone Bertière 56. 9 idées reçues sur Louis XIV Par Jean-Christian Petitfils 66. Le lieutenant de Dieu Entretien avec Alexandre Maral. Propos recueillis par Albane Piot 70. Saint-Simon, le menteur magnifique Par Olivier Chaline 78. Librairie royale 82. A la Cour du Roi-Soleil Par Jean-Louis Thiériot 90. Le cabinet des antiques 94. Le règne personnel de Louis XIV ParAlbane Piot
L’ESPRIT DES LIEUX
102. Venise et le Titien maudit Par Giandomenico Romanelli 112. Les tsars de Nice Par Tatiana Verbitskaia 118. L’âge d’or des portulans Par Geoffroy Caillet 126. Au pied de la lettre Par Sophie Humann 130. L’enquête corse Par Vincent Tremolet de Villers
Société du Figaro Siège social 14, boulevard Haussmann 75009 Paris. Président Serge Dassault. Directeur Général, Directeur de la publication Marc Feuillée. Directeur des rédactions Alexis Brézet. LE FIGARO HISTOIRE. Directeur de la rédaction Michel De Jaeghere. Rédacteur en chef Vincent Tremolet de Villers. Grand reporter Isabelle Schmitz. Enquêtes Albane Piot. Chef de studio Françoise Grandclaude. Secrétariat de rédaction Caroline Lécharny-Maratray. Rédacteur photo Carole Brochart. Editeur Sofia Bengana. Chef de produit Emilie Bagault. Directeur de la production Sylvain Couderc. Chefs de fabrication Philippe Jauneau et Patricia Mossé-Barbaux. Responsable de la communication Olivia Hesse. LE FIGARO HISTOIRE. Commission paritaire : 0614 K 91376. ISSN : 2259-2733. Edité par la Société du Figaro. Rédaction 14, boulevard Haussmann 75009 Paris. Tél. : 01 57 08 50 00. Régie publicitaire Figaro Médias. Président-directeur général Pierre Conte. 14, boulevard Haussmann 75009 Paris. Tél. : 01 56 52 26 26. Photogravure Key Graphic. Imprimé par Roto France, rue de la Maison-Rouge, 77185 Lognes (France). Novembre 2012. Imprimé en France/Printed in France. Abonnement un an (6 numéros) : 29 € TTC. Etranger, nous consulter au 01 70 37 31 70, du lundi au vendredi, de 7 heures à 17 heures, le samedi, de 8 heures à 12 heures. Le Figaro Histoire est disponible sur iPhone et iPad. CE NUMÉRO A ÉTÉ RÉALISÉ AVEC LA COLLABORATION DE HENRI-CHRISTIAN GIRAUD, JEAN-CHRISTIAN PETITFILS, SIMONE BERTIÈRE, GIANDOMENICO ROMANELLI, TATIANA VERBITSKAIA, OLIVIER CHALINE, JEAN SÉVILLIA, JEAN-LOUIS THIÉRIOT, ROSELYNE CANIVET, PHILIPPE MAXENCE, JEAN-LOUIS VOISIN, MARIE-AMÉLIE BROCARD, THÉOPHANE LE MÉNÉ, GEOFFROY CAILLET, LUCILE SAINT-JEAN, SOPHIE HUMANN, FRÉDÉRIC VALLOIRE, PIERRE-HIPPOLYTE PÉNET, ANTOINE CERRUTI, BLANDINE HUK, SECRÉTAIRE DE RÉDACTION, VALÉRIE FERMANDOIS, MAQUETTISTE, MARIA VARNIER, ICONOGRAPHE, CAMILLE DE LA MOTTE. EN COUVERTURE. ILLUSTRATION : CLAUDE DÉSIRÉE. PHOTOS : © AISA/LEEMAGE. © COLLECTION: HEERESGESCHICHTLICHES MUSEUM WIEN. © MDJ. © SERVICE HISTORIQUE DE LA DÉFENSE. Le Figaro Histoire est imprimé dans le respect de l’environnement.
© KEYSTONE-FRANCE
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
8 L 19
ES TRAGÉDIES DU MARS
LES CONTROVERSES SUR LA DATE OFFICIELLE DE LA FIN DE LA GUERRE D’ALGÉRIE TÉMOIGNENT DE LA MÉMOIRE ENCORE VIVE ET DOULOUREUSE DE CEUX QUI FURENT VICTIMES DES COMBATS, DES MASSACRES ET DES RÈGLEMENTS DE COMPTES QUI SE SONT DÉROULÉS APRÈS LE CESSEZ-LE-FEU.
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ENTRETIEN AVEC JEAN-PAUL BLED
L’ASSASSINAT DE FRANÇOIS-FERDINAND D’AUTRICHE EST L’UN DES ÉPISODES LES PLUS CÉLÈBRES DE NOTRE HISTOIRE. SA VIE RESTE CEPENDANT MÉCONNUE. JEAN-PAUL BLED LUI CONSACRE UNE PASSIONNANTE BIOGRAPHIE.
38 B
EAUTÉS CHYPRIOTES ELLE ÉTAIT LE CARREFOUR
© KYKKO, MUSEUM OF THE HOLY MONASTERY.
DE GRANDES CIVILISATIONS : BYZANCE, L’OCCIDENT, L’ORIENT CHRÉTIEN. UNE MAGNIFIQUE EXPOSITION RETRACE DOUZE SIÈCLES DE L’HISTOIRE ARTISTIQUE DE L’ÎLE DE CHYPRE.
© MATHIEU WALTER/LE FIGARO HISTOIRE.
ET AUSSI
LE VERT ET LE BRUN CÔTÉ LIVRES GAI ! GAI ! MARIONS-NOUS ! PASSEUR D’HISTOIRE CINÉMA PATRIMOINE ARCHÉOLOGIE
À
L’A F F I C H E
Par Henri-Christian Giraud
Les tragédies
du
19 mars
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
En choisissant le 19 mars comme journée de commémoration du conflit algérien, la loi adoptée le 8 novembre dernier fait l’impasse sur les violences et les crimes qui ont suivi le cessez-le-feu.
«
© ROGER-VIOLLET
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n peut choisir n’importe quelle date sauf le 19 mars ! » avait prévenu François Mitterrand. En votant, le 8 novembre, la proposition de loi socialiste d’inspiration communiste visant à faire du 19 mars, date anniversaire du cessez-le-feu en Algérie, une « journée nationale du souvenir en mémoire des victimes du conflit », la majorité de gauche au Sénat a donc décidé de passer outre l’avertissement, prenant ainsi, délibérément, la responsabilité d’« un risque grave de division de la communauté nationale » selon les termes de l’Union nationale des combattants. Soixante sénateurs UMP ont d’ailleurs déposé un recours devant le Conseil constitutionnel. Les associations de rapatriés ne désarment pas. Leurs dirigeants sont unanimes. Non seulement parce que la date du 19 mars est celle d’une défaite, mais parce qu’elle n’a même pas marqué, sur le terrain, la fin de la guerre : bien plutôt la fin de l’engagement des autorités françaises dans la défense de leurs ressortissants et le début des terrifiantes violences dont furent victimes les Français d’Algérie et les supplétifs engagés aux côtés de la France. Sur le plan diplomatique, la « défaite » française en Algérie est de fait incontestable. Mais il est également vrai qu’elle était inscrite dès le début dans le processus des négociations. Et ce, pour une raison simple : l’Elysée était demandeur et pressé…
C’est le 20 février 1961 que, dans le plus grand secret, Georges Pompidou et Bruno de Leusse prennent contact en Suisse, à l’hôtel Schweitzer de Lucerne, avec les représentants du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne), Ahmed Boumendjel, Taïeb Boulahrouf et Saad Dalhab. Selon les instructions reçues, il ne s’agit pour les représentants français que d’une mission d’information sur les objectifs à long terme du FLN et sur les voies et étapes qu’il compte emprunter pour y parvenir.
Immédiatement, Georges Pompidou donne le ton en affirmant que la France a la situation bien en main, que l’Algérie n’est pas l’Indochine – « Il n’y aura pas de Diên Biên Phu » –, que les menaces de Khrouchtchev ou de tout autre ne font pas peur à De Gaulle et, pour finir, que la France ne craint pas l’indépendance algérienne. Elle exige seulement un arrêt des combats avant d’entreprendre des pourparlers avec toutes les tendances sur les conditions de l’autodétermination dont
INDEPENDANCE DAY Ci-dessus : le 19 mars 1962, au lendemain de la signature des accords d’Evian, le général De Gaulle annonce à la télévision le cessez-le-feu en Algérie. En bas, à droite : l’ordre officiel de cessez-le-feu. En haut, à droite : image de la liesse des indépendantistes à Alger, le 3 juillet, lors de la reconnaissance de l’indépendance.
PHOTOS : © KEYSTONE-FRANCE.
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dynamique » qui serait fonction des progrès de la négociation… Que va décider De Gaulle ? Le 8 mars, lors d’une nouvelle réunion, Bruno de Leusse lit devant les émissaires du GPRA un communiqué du chef de l’Etat appelant à l’ouverture de discussions «sans conditions préalables ». En bref, le cessezle-feu n’en est pas une. Il ne sera qu’un objet de négociation comme un autre… Ce 8 mars 1961, De Gaulle vient donc d’en passer par la première des quatre volontés du FLN. Les trois autres exigences du mouvement révolutionnaire algérien sont claires : 1) le FLN doit être considéré comme le seul représentant qualifié du peuple algérien ; 2) l’Algérie est une, Sahara compris (ce qui
!
elle a accepté, depuis le référendum du 8 janvier 1961, le principe. Mais tout de suite aussi, les Algériens font connaître leur refus de bouger d’un pouce sur la question du cessez-le-feu qui, disent-ils, doit résulter d’un accord politique. C’est l’impasse. Et la situation n’évolue guère lorsque les mêmes se retrouvent pour une nouvelle réunion, le 5 mars suivant, à Neuchâtel. « Les contacts secrets confirmaient l’absence complète d’accord sur les liens à établir entre les éventuels pourparlers officiels et la cessation des violences», écrit Bernard Tricot, qui assurait alors le secrétariat de la Direction des affaires algériennes à l’Elysée (1). A la « trêve statique » des Français, les Algériens opposent leur « cessez-le-feu
© N. TIKHOMIROFF/MAGNUM PHOTOS.
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE 10
n’a aucun fondement historique : le Sahara n’a appartenu à l’Algérie que sous la souveraineté française); 3) le peuple algérien est un, et ce que décidera sa majorité vaudra pour tout le territoire et pour tous ses habitants. Il ne doit donc y avoir aucun statut particulier pour les Européens. C’est le futur gouvernement algérien qui, une fois installé, décidera avec son homologue français des garanties dont ils jouiront, des modalités de la coopération et des questions de défense. En attendant, il convient de discuter des garanties de l’autodétermination. Le 15 mars, un communiqué du Conseil des ministres « confirme son désir de voir s’engager, par l’organe d’une délégation officielle, des pourparlers concernant les conditions d’autodétermination des populations algériennes concernées ainsi que les problèmes qui s’y rattachent ». Tricot constate : « Les commentateurs les plus avertis se doutèrent bien que si le cessez-le-feu n’était pas mentionné séparément, c’est qu’il faisait désormais partie des problèmes qui se rattachaient à l’autodétermination et qu’il ne constituait pas un préalable. » Le 30 mars, le gouvernement français et le GPRA annoncent simultanément que les pourparlers s’ouvriront le 7 avril à Evian.
DERNIER VOYAGE Le 9 décembre 1960, le général De Gaulle entame un séjour en Algérie pour préparer le pays au référendum sur l’autodétermination, prévu en janvier 1961. A Aïn Témouchent (ci-dessus), première étape de son voyage, il manque de se faire agresser par des pieds-noirs en colère. Mais le lendemain, interrogé par la presse sur ses contacts avec Messali Hadj, le leader du Mouvement national algérien (MNA), rival du FLN, Louis Joxe, le ministre en charge des Affaires algériennes, déclare qu’il consultera le MNA comme il consultera le FLN. Aussitôt la nouvelle connue, le GPRA annule les pourparlers. Que va faire De Gaulle ? Le 6 avril, le Conseil des ministres publie un communiqué prenant acte de l’ajournement de la conférence d’Evian et concluant sobrement : « Le gouvernement s’en tient, pour ce qui le concerne, à l’esprit et aux termes de son communiqué du 15 mars. » Le FLN sera donc l’interlocuteur unique et le représentant exclusif du peuple algérien. Ce 6 avril 1961, De Gaulle vient donc d’en passer par la deuxième des quatre volontés du FLN. Cette double capitulation en l’espace d’un mois explique peutêtre les termes un peu crus de sa déclaration du 11 avril : « L’Algérie nous coûte, c’est le moins que l’on puisse dire, plus qu’elle nous rapporte (…). Et c’est pourquoi, aujourd’hui,
la France considérerait avec le plus grand sang-froid une solution telle que l’Algérie cessât d’appartenir à son domaine. » Sur ce, le 21 avril, éclate le putsch des généraux dont l’échec entraîne la création de l’OAS par Pierre Lagaillarde et JeanJacques Susini. La violence atteint vite un seuil insoutenable et De Gaulle avoue à Robert Buron, ministre MRP des Travaux publics et des Transports, ne plus rien maîtriser. « Il n’y a plus, dit-il, que deux forces en présence : le FLN et l’OAS. » C’est dans ce contexte que, le 20 mai, les négociations s’ouvrent à Evian. Du côté français, outre Louis Joxe, la délégation comprend, entre autres, Bernard Tricot, Roland Cadet, Claude Chayet et Bruno de Leusse. Tous des professionnels de la négociation. Du côté algérien, le chef de file n’est autre que Krim Belkacem, dont l’instruction se résume à un passé de maquisard. Pour marquer sa bonne volonté, le chef de l’Etat annonce une trêve unilatérale d’un mois (l’action des troupes françaises sera limitée à l’autodéfense), la libération de