Club des 100

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Le Club des Cent a 100 ans. Pour une institution, c’est beaucoup ; pour un cercle d’amis, c’est considérable. Rompant avec une séculaire discrétion, quelques Centistes ont troqué fourchette et couteau pour la plume. S’appuyant sur de nombreuses illustrations, ils racontent la naissance et l’histoire de ce club de gastronomes, son ambition, son esprit, son action, ses règles, ses usages. Et, depuis 1912, l’évolution de ses goûts à travers les menus, les plats et les vins. Le Club des Cent : un siècle de passion pour la cuisine et la viticulture françaises.

LES 100 ANS DU CLUB DES CENT

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LES

100 ANS DU

Flammarion


Sommaire

Préface Erik Orsenna

Histoire de la cravate centiste 4

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le Club sans jamais oser le demander Jean Solanet

Jean-François Lemaire

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Les voyages du Club Édouard Copper-Royer

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9

Le Club et le cinéma La naissance du Club Jean Castarède

Jean Tulard et François Brocard

Leurs souvenirs

L’examen d’entrée Bernard Pivot

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Le brigadat Jean Labbé

43

L’art de la critique Guy Jost

51

L’évolution des menus et des plats Jean Vitaux

57

L’évolution du goût en France depuis 1912 Jean Ferniot

87

L’évolution des vins Guy Jost

97

Un gage de longévité Claude Bébéar

143

19

117

Jacques Sereys

17

Nicolas d’Estienne d’Orves

27

Antoine Hébrard

41

Alain Ducasse

47

Daniel Bouton

53

Claude Imbert

81

Bruno Mantovani

91

Philippe Bouvard

105

Alain Boucheron

115

Pierre Arditi

121

Éric de Rothschild

135

Annexes Les diplômes

151

Les présidents

155

Les auteurs

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La naissance du Club Jean Castarède

L

e Club des Cent est né en 1912 de la rencontre de quelques hommes d’esprit, dégoûtés des palaces et fervents de bonne cuisine. Son premier président, Louis Forest, a raconté cette naissance, quelques années après, dans le journal L’Auto. En voici quelques extraits : « Comme toutes les associations qui ont pris de l’influence, la nôtre est née de rien, d’une sorte de génération quasi spontanée. Si l’on racontait l’histoire de la plupart d’entre elles, on serait fort étonné de constater que celles qui sont parties avec de grandes ambitions ne sont pas celles qui ont le mieux réussi. Le Club des Cent a germé d’une idée de Dominique Lamberjack. Celui-ci vendait des autos. Je lui en avais acheté une, une petite 10 chevaux Zedel, qui marchait comme jamais plus n’a marché aucune de mes voitures. Et pourtant un jour, je décidai de m’en défaire. Non que j’en fusse dégoûté, loin de là : j’étais dégoûté de me mettre à table. Il faut dire qu’à cette époque nous étions quelques-uns, sur les routes de France, qui nous désolions. Lorsqu’on circulait beaucoup, on ne pouvait pas ne pas être frappé, en même temps que du danger imminent, d’une sorte d’abdication générale de la personnalité française qui le rendait plus grave encore… Elle était surtout sensible dans l’hôtellerie. Très rapidement, à vue d’œil, nos hôtels passaient aux mains des étrangers, et, dans les hôtels, les bonnes places étaient pour les étrangers. Il y avait colonisation de l’industrie hôtelière. Les Allemands, qui auparavant préféraient se dire Suisses, Hongrois ou Autrichiens, commençaient à dominer, sûrs de l’avenir. Loin de moi la pensée de nier nos défauts. Nos hôtels étaient, dans l’ensemble, peu propres. Ils étaient négligés et les domestiques manquaient de tenue, voire de fierté. Mais lorsqu’ils étaient soignés, ils étaient incomparables, car on y pouvait manger, et lorsque le personnel y était de bonne souche, il était unique au monde par l’affabilité, l’esprit, le sourire et l’ensemble de qualités que résume cette expression si française : la bonne grâce. Ces hôtels,

Le président fondateur du Club des Cent, le journaliste Louis Forest. Sur son portrait figure la lettre de recrutement des premiers membres. La fin de la phrase précise : « […] notez aussi qu’en la déclinant vous seriez immédiatement tenu pour un mufle par quelques-uns de vos plus notoires contemporains. »

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Le brigadat Jean Labbé

armi les institutions emblématiques du Club des Cent, il faut citer en premier lieu le brigadat. Ce nom étrange, inventé le 1er décembre 1938, désigne la responsabilité d’un membre du Club chargé de superviser une brigade, c’est-à-dire un ensemble de cuisiniers (et éventuellement pâtissiers) qui, sous la responsabilité d’un chef, sont chargés de préparer un repas qui sera servi aux membres. Chaque repas est ensuite soumis à une appréciation orale, appelée « critique », réalisée par le président ou par un autre camarade. C’est donc un nouvel examen que repasse, à cette occasion, le brigadier, chargé de régaler ses camarades qui peuvent quelquefois se montrer exigeants. C’est autour des concepts de solitude et de puissance que s’articuleront ces réflexions1. La solitude du brigadier s’est forgée au fil des quatre-vingt-dix-neuf ans d’existence du Club. Le brigadier agit seul ; il n’est pas tenu d’en référer au président ou au comité pour le choix du restaurant. Toutefois, en cas de choix trop répétitifs de certains restaurants, un commissaire à la table, chargé de l’ordonnancement des repas et du choix des brigadiers, peut lui demander de présenter une solution alternative. Sauf en cas de « sortie » en province, le déjeuner doit avoir lieu à Paris, dans l’enceinte des anciennes fortifications ou dans la très proche banlieue pour permettre à tous les membres de se réunir à 12 h 30 précises, dites « l’heure du chef », et d’être libérés à 14 h 30, pour ne pas entraver les activités professionnelles des Centistes. Le plat unique est proscrit par l’usage. Généralement, trois plats dont le dessert doivent être prévus, le fromage étant facultatif bien que recommandé.

P

(Ci-contre et page suivante) Une excursion en hauteur à la tour Eiffel, le 29 juin 1934, mêla tourisme (ascension jusqu’au troisième étage pour admirer le coucher de soleil sur Paris), dîner gastronomique au second étage (actuel restaurant Jules Verne) et feu d’artifice.

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la prédominance à toutes les époques des poissons, des crustacés et des volailles ; les viandes et le gibier sont moins représentés, sans doute aussi parce que les femmes sont nombreuses et moins sensibles à ces produits. Le veau fut cependant servi en 1930, et récemment en 2009. La toque du président Adolphe Clerc, dont la recette fut rapportée par Lucien Tendret dans La Table au pays de Brillat-Savarin, fut servie en l’honneur de Brillat-Savarin en 1932. En 1934, le dîner de l’assemblée générale fut un modèle d’originalité : crème Germigny, soufflé à l’armoricaine, ris de veau, selle d’agneau Polignac et parfait de foie gras Crillon. Le perdreau et le chevreuil furent épisodiquement servis à ces occasions. Le retour au dîner d’assemblée générale en 1946 (le premier depuis 1939) associa un consommé double, un filet de sole Madeleine, une noisette de chevreuil grand veneur et un dindonneau truffé rôti. L’année 1960 inaugura le schéma classique à trois plats : foie gras à la gelée de porto (consommé), timbale de homard Vendôme, suprême de volaille. Le cinquante-neuvième dîner d’assemblée générale en 1985 inaugura le menu moderne du grand dîner contemporain : homard en gelée, canard de Challans, salade de saison, ananas voilé à l’orientale. Le regret nous étreint quand nous relisons le menu du vingt-quatrième dîner d’assemblée générale en 1949, où fut servi un coq de bruyère rôti flanqué d’ortolans. Ce qui a disparu avec le temps Une habitude, curieuse à nos yeux aujourd’hui, a complètement disparu dans les années 1960 : on servait souvent, après les services de poisson et de viande et avant ou après la salade, des terrines, pâtés ou timbales. Ainsi, le 16 décembre 1920, on servit une terrine de gibier après un cuisseau de veau ; en 1953, à Loué, à l’hôtel Ricordeau, une terrine de perdreau et sa gelée après des soles et un pintadeau. On servit à plusieurs reprises un parfait de foie gras après un poisson et une volaille en 1951 et en 1955. En 1962, chez Dumaine à Saulieu, le chapeau de Mgr Gabriel Courtois de Quincey, pâté cher à Brillat-Savarin et décrit par son neveu Lucien Tendret, fut servi après un boudin de brochet grillé et des noisettes d’agneau Cendrillon, juste avant les fromages sélectionnés. Cette attitude disparut ensuite et les terrines, pâtés et timbales ne sont plus servis de nos jours qu’en entrée, tel le célèbre pâté Alexandre Dumaine. Les soupes, potages, veloutés, consommés ne sont plus que rarement servis au Club des Cent. Si présents au début du XXe siècle, occupant des dizaines de pages dans le Guide culinaire d’Auguste Escoffier, ils ont disparu de nos menus. La salade n’est plus guère présente de nos jours, alors qu’il a longtemps été inconcevable de s’en passer : on la sert encore parfois en accompagnement, souvent en décoration homéopathique. Pour simplifier les impératifs du service, l’habitude s’était prise dans les années 1990 de servir le fromage avec la salade, mais cette habitude tend à s’estomper.

Menu du 22 novembre 1928 au Chapon Fin. Typique des menus de l’époque, il comprend un poisson, une viande et une volaille.

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Pierre Chenal (1904-1990) est le réalisateur du film. Ce fut son premier long métrage. Ainsi qu’il le raconte dans sa biographie1, il s’est souvenu qu’au début du XIe siècle, Louis VI, dit le Gros, amateur de bonne chère, avait fait scier une demi-lune dans la table afin de pouvoir y caser sa bedaine (personnage repris dans Les Visiteurs). Pierre Chenal fit donc pratiquer des demi-lunes identiques dans la table du festin pour les seize membres du club. La table ronde d’environ quatre mètres de diamètre est sans doute aussi un rappel des chevaliers de la Table ronde. Par une amusante coïncidence, l’on peut se demander si cette représentation d’une grande table ronde n’a pas influencé un vrai dîner du Club des Cent, du 2 février 1935 et donc postérieur au film de 1932. À ce repas parisien qui eut lieu à l’Hôtel Majestic, le Club des Cent reçut le Club des 33, son correspondant belge. Justin LaurensFrings, troisième président du Club des Cent (1935-1949), présidait du côté centiste et Raymond Vaxelaire, du côté 33. Dîner en habit de cent trois couverts servi en un temps record d’une heure quinze minutes. Selon les notes de l’époque, « La noisette de pré-salé obtint l’unanimité des suffrages, ce qui, dans cette réunion de rouspéteurs bien tassés qui s’appelle le Club des Cent, est une qualité assez rare pour être signalée… ». La table présidentielle était ronde, avait presque huit mètres de diamètre et accueillait quarante-cinq membres. Nous connaissons bien ce repas, car il a été filmé par Serge Sandberg, Centiste et grand producteur. Le film a été sauvegardé et l’on y voit du dessus la table présidentielle. On peut constater sur le film que les membres du Club des 33 et du Club des Cent n’ont pas la bedaine attribuée par Pierre Chenal aux membres fictifs du Club des 100 kilos ! Surprise, notre Club est évoqué directement dans Voici le temps des assassins (1956), un film de Julien Duvivier, réalisateur injustement oublié. Jean Gabin (André Chatelin) est le propriétaire du Rendez-Vous des Innocents, où l’on sert écrevisses au chablis, quenelles de brochet, chaud-froid de volaille Aurore (une recette décrite par Escoffier) et rognons flambés à l’armagnac dans un décor de bistrot. Vers la fin du film, on assiste à un repas d’environ vingt-cinq membres du Club des Cent dont on ne précise pas le menu. Mais il devait être excellent, car le président du Club, légèrement éméché, fait une critique fort élogieuse du dîner: « Je lève mon verre à la gloire de notre hôte de ce soir, le maître queux André Chatelin. À lui revient tout l’honneur d’avoir su orchestrer les prestigieux mouvements de cette symphonie culinaire dont nous venons d’avoir la primeur. Grâces soient rendues à sa cuisine, une cuisine qui parle au ventre, au cœur, à l’esprit, une cuisine bien française, une cuisine bien de chez nous, une cuisine tricolore. Messieurs, vive la France ! », et il donne l’accolade au chef sous un tonnerre d’applaudissements. Son discours promeut des valeurs de convivialité et de gastronomie patriotique que le Club a souvent défendues2 et qu’il continue à propager. À l’époque glorieuse des Halles – le « ventre de Paris » –, ces valeurs s’accordaient bien avec un certain embonpoint. La séquence du repas ne dure que trois minutes et, sans incidence sur l’action du film, ne semble avoir été introduite que pour rendre hommage à notre Club.

Dans les années 1930, plusieurs cinéastes professionnels membres du Club des Cent ont réalisé des films sur la vie du Club. Ces images sont issues d’un film récemment restauré qui montre le discours du président Laurens-Frings, le verre à la main.

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Le Club des Cent a 100 ans. Pour une institution, c’est beaucoup ; pour un cercle d’amis, c’est considérable. Rompant avec une séculaire discrétion, quelques Centistes ont troqué fourchette et couteau pour la plume. S’appuyant sur de nombreuses illustrations, ils racontent la naissance et l’histoire de ce club de gastronomes, son ambition, son esprit, son action, ses règles, ses usages. Et, depuis 1912, l’évolution de ses goûts à travers les menus, les plats et les vins. Le Club des Cent : un siècle de passion pour la cuisine et la viticulture françaises.

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