Beauté, Morale et Volupté dans l'Angleterre d'Oscar Wilde

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Cet ouvrage a été publié à l’occasion de l’exposition « Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde », organisée par le Victoria & Albert Museum, Londres, et les Fine Arts Museums of San Francisco en collaboration avec le musée d’Orsay, Paris.

SOMMAIRE

Londres, Victoria & Albert Museum, 2 avril – 17 juillet 2011 Paris, musée d’Orsay, 13 septembre 2011 – 15 janvier 2012 San Francisco, Legion of Honor, 18 février – 17 juin 2012

PRÉFACE L'exposition “The Cult of Beauty : The Aesthetic Movement 1860 – 1900” a été conçue à l'origine par et présentée pour la première fois au Victoria & Albert Museum, à Londres en 2011.

YVES BADETZ, CONSERVATEUR, MUSÉE D’ORSAY, PARIS STEPHEN CALLOWAY, CONSERVATEUR, VICTORIA AND ALBERT MUSEUM, LONDRES GUY COGEVAL, PRÉSIDENT DES MUSÉES D’ORSAY ET DE L’ORANGERIE, PARIS DR LYNN FEDERLE ORR, CONSERVATEUR, FINE ARTS MUSEUMS OF SAN FRANCISCO

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LA QUÊTE D’UNE NOUVELLE BEAUTÉ 8 PAR STEPHEN CALLOWAY L’AVANT-GARDE VICTORIENNE ET SON CONTEXTE 20 PAR LYNN FEDERLE ORR AESTHETIC MOVEMENT ET ARTS DÉCORATIFS OU LES COMPOSANTES D’UN STYLE 34 PAR YVES BADETZ UN MYTHE INEXTINGUIBLE : SALOMÉ DE WILDE, BEARDSLEY, STRAUSS, NAZIMOVA 44 GUY COGEVAL, ENTRETIEN AVEC STÉPHANE GUÉGAN À LA RECHERCHE D’UNE NOUVELLE BEAUTÉ 52 L’ART POUR L’ART 72 LES ESTHÈTES, PORTRAITS ET MAISONS 120 LE CRÉPUSCULE DE L’AESTHETIC MOVEMENT 188 LISTE DES ŒUVRES EXPOSÉES INDEX

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BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

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LA QUÊTE D’UNE NOUVELLE BEAUTÉ William Morris, Panneau de céramique pour Membland Hall, Devon, détail, 1876. Londres, Victoria & Albert Museum.

STEPHEN CALLOWAY

D

e la confusion des styles et des théories contradictoires qui agitèrent l’art, la poésie, l’architecture et les arts décoratifs anglais vers le milieu du XIXe siècle se dégage une même volonté, affirmée et révolutionnaire : celle d’échapper à la laideur et au matérialisme vulgaire de l’époque en créant un nouvel idéal de beauté. L’Aesthetic Movement ne visait à rien d’autre qu’à faire de cette nouvelle beauté le principe directeur de l’existence et l’étalon de tous les arts. Délaissant à la fois les préceptes de la vieille garde artistique, incarnée par la Royal Academy, et les conventions sociales, les membres du mouvement aspiraient à vivre de manière « artistique » et à créer de nouveaux types d’art qui, par leur culte de la beauté, échapperaient aux carcans de la pensée et des préjugés sociaux, et à la morale corsetée de l’époque. Les « esthètes » voulaient écrire de la poésie « pure », peindre des tableaux dégagés de toute intention narrative ou didactique et dénués de tout cliché sentimental, et réaliser des sculptures entièrement dédiées au plaisir visuel et tactile du spectateur, sans hésiter à faire référence aux voluptés sensuelles. Ils prônaient « l’art pour l’art », défendant un art narcissique, conscient du passé mais œuvrant pour le présent, un art dont le seul but serait la beauté.

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De Valeriola, Éventail, vers 1880. Londres, Museum of London.

James Tissot, L’Éventail, vers 1875. Hartford, Wadsworth Atheneum.

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À LA RE CHERCHE

D’UNE NOUVELL E

1860 1870

Un idéal clair, le désir d’échapper à la laideur et au matérialisme, ouvre les voies d’une nouvelle pensée dans l’Angleterre victorienne. Cette véritable quête va donner lieu à la redéfinition des critères de la beauté aussi bien dans le domaine de la peinture que dans celui des arts appliqués. Ces recherches s’emparent très rapidement de tous les secteurs des arts décoratifs (textiles, papiers peints, céramiques), alors que les peintres et sculpteurs s’ingénient à concevoir leurs travaux dans le seul cadre de la beauté. Dans cette recherche s’unissent à la fois les romantiques bohèmes comme Dante Gabriel Rossetti, Edward Burne-Jones, William Morris ou le poète Algernon Swinburne, mais aussi les rebelles comme James McNeill Whistler, récemment rentré de Paris, et le cercle autour de Frederic Leighton représentant les olympiens. Ces artistes s’emploient à définir les canons d’un nouvel idéal féminin en rupture avec les critères de la société victorienne. L’absence de sentiments – fussent-ils humains, religieux ou sociaux – met ouvertement en cause cette « école de la sensualité ». Les objectifs de ce nouveau mode de pensée sont relayés dans les photographies de David Wynfield ou encore dans les gravures et reliures de Rossetti qui marqueront pour longtemps l’édition anglaise. Parallèlement, les écrivains et les peintres se prennent d’une véritable frénésie de collectionneurs pour les porcelaines bleu et blanc de Chine ou du Japon. Oscar Wilde, Whistler et Rossetti succombent à cette mode qui se répand très rapidement parmi les acteurs économiques de l’Aesthetic Movement, comme dans la salle à manger de l’armateur Frederick Leyland décorée de porcelaines sur des étagères, plus connue sous le nom de Peacock Room, qui lui vient du décor que Whistler y a peint en 1876. Dans le domaine des arts décoratifs, les artisans défenseurs de cette nouvelle démarche artistique sont en premier lieu les artistes eux-mêmes qui entreprennent la décoration de leurs demeures. L’influence de la couleur reste récurrente dans les premières réalisations imaginées dans la continuation du Gothic Revival. Ainsi, dans la logique de ce premier courant, les créateurs sont attentifs à donner au mobilier une impulsion nouvelle sans toutefois hésiter à s’entourer de meubles anciens, de cuivres, de céramiques et de textiles qui participent à la création d’une atmosphère « cultivée » particulière aux intérieurs d’artistes.

BEAUTÉ


Henry Treffry Dunn, La Chambre Ă coucher de Rossetti Ă Tudor House, Cheyne Walk, vers 1874-1875. Wolverhampton, Wightwick Manor, National Trust.

Henry Treffry Dunn, Dante Gabriel Rossetti et Theodore Watts-Dunton dans le salon de Tudor House, Cheyne Walk, 1882. Londres, National Portrait Gallery.

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William Morris, Papier peint Fruit (ou Grenade), détail, 1866. Londres, Victoria & Albert Museum.

intitulée « The Value of Art in Modern Life » (« La valeur de l’art dans la vie moderne »). 19. Garrett, 1876 ; Panton, 1888. 20. Pour une description de la tournée de Wilde en Amérique, voir O’Brien, 1974. 21. Ibid., p. 409. 22. Morris dans sa conférence de 1882, « The Lesser Arts of Life » (« Les arts les plus modestes de la vie »), dans Morris, 1910-1915, vol. 22, p. 262. 23. O’Brien, 1974, p. 406. 24. Aslin, 1969, p. 128. 25. Leighton, Addresses 9, 10, cité dans Corbett, 2004, p. 90. 26. Wilson, 2000, p. 3. 27. Ibid., p. 6. 28. Gere et Hoskins 2000, p. 28. 29. Wilde, « The Critic as Artist » (« Le critique comme artiste »), 1890, Wilde, 1966, p. 1030. 30. Ibid., p. 1058. Sur l’impact de Darwin sur les arts, voir Eisenman, 2008 ; Donald et Munro, 2009. 31. Wilde, 1966, p. 1058. Darwin et d’autres scientifiques, comme le géologue Charles Lyell (1797-1875), remettent en question la théorie de la création divine exposée dans la Bible et redéfinissent l’âge de la Terre en termes géologiques. L’historien et critique français Ernest Renan (1823-1892) adopte un point de vue historique plutôt que théologique dans son Histoire des origines du christianisme. Le premier volume, La Vie de Jésus, connaît un très grand succès et décrit Jésus comme un homme doté d’un remarquable talent oratoire mais sans aucune ascendance divine. Renan adopte les mêmes méthodes que les spécialistes de littérature allemands et soumet la Bible à une analyse structurelle et syntactique, pour conclure qu’il s’agit d’une compilation de textes écrits à des époques différentes et très divers du point de vue du style ou de la voix, plutôt qu’un texte d’origine divine. À la même époque, la Bible fait l’objet d’une nouvelle traduction, ce qui remet en cause l’idée d’une version définitive. 32. Bell, 1914, p. 177. 33. Prettejohn, 2006, p. 7. 34. Sur l’influence de l’esthétisme sur le champ critique, voir Prettejohn, 2006 ; Teukolsky, 2009, p. 192-201. 35. Jefferies, 1884, p. 13.

Double page suivante : p. 32 : James McNeill Whistler, Symphonie en blanc no 1 : La Fille blanche, détail, 1862. Washington, National Gallery of Art. p. 33 : James McNeill Whistler, Harmonie en gris et vert : Miss Cicely Alexander, détail, 1872-1874. Londres, Tate.

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1. Rossetti et Swinburne parlent d’un « culte des choses formellement belles » (1868, p. 32). 2. Parmi les publications les plus importantes sur l’Aesthetic Movement, on peut citer : Aslin, 1981 ; Spencer, 1972 ; Lambourne, 1996 ; Gere et Hoskins, 2000 ; Prettejohn, 2007 ; Teukolsky, 2009 ; Gere, 2010. 3. Pour une réévaluation des liens entre l’esthétisme et les canons du modernisme, voir Teukolsky, 2009. 4. En 1848, des révoltes secouent Paris, Vienne, Berlin, Venise, Milan et Rome. 5. A.W.N. Pugin, True Principles of Pointed Architecture, Londres, 1853, p. 34 ; cité par Lubbock, 1995, p. 246. Voir Les Vrais Principes de l’architecture ogivale et chrétienne, d’après le texte de Pugin de 1841, remanié et traduit en français, 1850. 6. Milner Gibson déclare au Comité parlementaire mis en place en 1849 pour discuter de l’enseignement des arts appliqués : « Il serait superflu de s’étendre sur les avantages qu’il y a à cultiver le goût du peuple... et sur l’effet moral et anoblissant que le goût exerce en l’écartant justement des objets et des poursuites dégradants », Journal of Design and Manufactures, 2, p. 33, cité dans Bizup, 2003, p. 117. 7. Matthew Digby Wyatt (1849), cité dans Pevsner 1968, vol. 2, p. 107. 8. The Times, 15 janvier 1851, cité dans Armstrong, 2008, p. 142. 9. Arnold, 1869. 10. Rossetti et Swinburne, 1868, p. 32. 11. Pater, 1877, School of Giorgione (L’École de Giorgione), p. 111. 12. William Morris, dans sa conférence de 1880 intitulée « The Beauty of Life » (« La beauté de la vie »), dans Morris, 1910-1915, vol. 22, p. 76. 13. Rossetti, 2004, p. 26. 14. Muthesius, 2009, p. 245. 15. Morris, 1987, vol. 2, p. 227. 16. Cité dans Pevsner, 1968, p. 120. 17. Plus modeste mais tout aussi représentative du goût esthétique, la demeure du dessinateur satirique Edward Linley Sambourne, Stafford Terrace, à Kensington, décorée en 1874, a été récemment rénovée et ouverte au public. 18. Oscar Wilde, dans sa conférence de 1883


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