36—
Joseph Crépin (Fleury Joseph Crépin) 1875-1948
—
Les peintures de Joseph Crépin (Fleury Joseph Crépin) représentent des architectures oniriques que l’auteur dit percevoir en rêve. Ses temples et ses palais, constitués de formes géométriques, sont agrémentés d’étoiles, de croix, de croissants de lune, de tourelles, d’arabesques ou d’éléments végétaux stylisés. Des visages accompagnés d’un bestiaire symbolique, comptant des animaux exotiques et des oiseaux, se fondent dans ces compositions généralement bipartites. Celles-ci sont formées d’un plan terrestre fait d’édifices, et d’un plan céleste illustré par des formes sinueuses descendant du ciel, qui incarnent des esprits. Adepte du spiritisme, Joseph Crépin nomme certaines de ses productions « Tableaux merveilleux ». Il dit les réaliser sous la dictée d’esprits de défunts. Ses peintures sont fondées sur un principe rigoureux de symétrie. Féru de géométrie, l’auteur commence par dessiner des motifs au crayon de couleur qu’il trace à l’aide d’une règle sur des feuilles de cahiers d’écolier quadrillés. Il les recopie ensuite sur des toiles en agrandissant leurs proportions. Il privilégie dès lors des coloris francs. Dans la plupart des cas, la première couche de peinture unie, bros-
sée en aplat, est recouverte d’une constellation de petites touches qui s’apparentent à des gouttelettes. Cette technique, dont il est le fier inventeur, donne du relief et de la profondeur à l’espace pictural tout en dynamisant la composition ; les sujets semblent ainsi se détacher de l’arrière-plan. Chacune de ses œuvres est signée, contresignée, paraphée, datée et numérotée avec un soin méticuleux. Fleury Joseph Crépin (1875-1948) est né à HéninLiétard, dans le Pas-de-Calais, en France. Il exerce plusieurs métiers avant d’ouvrir une entreprise de forage, assortie d’une quincaillerie. Il s’adonne aussi à la musique, compose pour divers instruments à piston et dirige une société locale de trompettes. Par la suite, il se marie et devient père de trois enfants. Durant la Première Guerre mondiale, sa ville est presque entièrement détruite par les Allemands. La reconstruction de la région assure la prospérité de sa petite entreprise. En 1927, sa fille aînée tombe malade et reste recluse dans sa chambre jusqu’à sa mort. Initié au spiritisme trois ans plus tard, Crépin découvre et expérimente, dit-il, ses talents de
médium et de guérisseur : il intervient auprès des malades par l’imposition des mains ou par le souffle. Il traite également à distance, par télépathie. Un jour, alors qu’il retranscrit de la musique, sa main se met à tracer librement de petits dessins. Quelques mois après cet événement, en 1939, Crépin, âgé de soixante-quatre ans, réalise ses premières compositions picturales. Le « peintre-médium » est convaincu que la fin de la Seconde Guerre mondiale coïncidera avec l’exécution de son trois centième tableau. Sa dernière œuvre est datée du 7 mai 1945. L’ensemble de sa production comprend trois cent quarante-cinq huiles sur toile, ainsi que de nombreux dessins. 01 02
01—Composition n° 151, 1941 Huile sur toile, 57 × 65 cm 02—Composition n° 6, 1939 Huile sur toile, 51 × 33,5 cm 03—Dessin n° 4, 1939 Crayon de couleur sur papier, 32 × 24 cm
03
128—
Scottie Wilson (Louis Freemann) 1888-1972
—
L’œuvre graphique de Scottie Wilson (Louis Freemann) se caractérise par un extrême raffinement et une syntaxe linéaire rigoureuse. L’auteur représente essentiellement des poissons, des oiseaux, des canards, des plantes luxuriantes et des paysages aquatiques. D’autres sujets figurent à son répertoire iconographique, comme des châteaux à tourelles, des constructions imaginaires et des personnages, notamment des autoportraits. Quels qu’ils soient, les motifs sont constitués de plusieurs formes récurrentes – demi-lunes, sphères ou losanges – qui s’emboîtent les unes dans les autres. Les compositions s’organisent en partant du centre du support, de façon symétrique à un axe. Elles se détachent d’un arrière-plan vierge ou recouvert d’une teinte unie, et sont souvent encadrées d’éléments décoratifs ou d’arabesques stylisées. Scottie Wilson dessine le contour de ses sujets en noir et blanc sur des feuilles de papier, puis il les traite en hachures, avec des encres de couleurs différentes, produisant de subtils effets de transparence. Certains motifs sont parfois remplis de petites gouttelettes d’encre qui évoquent les mailles d’un tricot. D’autres sont contenus dans des cercles que l’auteur trace au compas.
Louis Freemann (1888-1972) est né à Glasgow, en Écosse. Son père est un Juif russe émigré. L’enfant ne suit aucune formation scolaire et reste illettré. À l’âge de seize ans, le jeune homme s’engage dans l’armée, puis travaille dans des fêtes foraines et des cirques. Il possède une petite échoppe ambulante qu’il promène dans les marchés de Londres. Après une succession de déplacements et un exil forcé en Irlande, il émigre au Canada vers 1928, s’installe à Toronto et devient brocanteur. À l’âge de quarante ans, il commence à dessiner dans son arrière-boutique. Il déménage ensuite à Vancouver, consacrant alors tout son temps à son activité créatrice. De retour à Londres au début des années 1950, l’auteur vend ses dessins à bas prix sur les marchés et organise des expositions de ses travaux dans des lieux insolites : un hall de cinéma, un négoce désaffecté ou une caravane. Dix ans plus tard, il peint aussi sur des assiettes, suite à une commande de l’entreprise Wedgwood pour réaliser un service de table. À la même période, des galeries s’intéressent à son travail et organisent des manifestations de plus grande envergure, mais le créateur en ressent un profond malaise.
01 02
01—Crystal Gazers, entre 1950 et 1951 Encre sur papier, 43 × 38,5 cm 02—Sans titre, entre 1938 et 1940 Encre sur papier, 50 × 27 cm 03—Thinking about Houses, 1950 Encre et aquarelle sur papier, 57 × 38 cm
03
130—
Adolf Wölfli 1864-1930
—
Adolf Wölfli est l’auteur d’une œuvre colossale, constituée de vingt-cinq mille pages, réunissant des domaines aussi divers que le dessin, la musique, la philosophie, la littérature, les mathématiques et la géographie. Dans le même temps, il se voue à l’écriture, à l’expression graphique, ainsi qu’à la création de partitions musicales. Ses dessins sur feuilles volantes sont réalisés entre 1917 et 1927 essentiellement. Wölfli crée alors des œuvres complexes, qu’il enrichit parfois de collages et de découpages. La plupart d’entre elles contiennent également des partitions qui relèvent d’un solfège inventé, et que plusieurs musiciens contemporains ont tenté de décrypter. Des architectures fantastiques, des plans de villes, des notes de musique, des écrits rédigés en allemand et des formes géométriques aux couleurs vives, qui s’articulent dans des encadrements orthogonaux, se côtoient au cœur de cette production monumentale. Wölfli dessine en outre des visages dont les yeux sont systématiquement cernés d’un masque. Il fait preuve d’une grande maîtrise de la composition, où la rigueur architectonique s’allie à une inventivité débridée. À partir de 1916, il signe ses travaux « St. Adolf II ». Dans ses textes, l’auteur se réapproprie le langage commun, qu’il développe et transforme en une voix personnelle : il transgresse les règles orthographiques, fait usage de dialectes, joue avec les sonorités des
mots et fait des associations successives. Son premier texte, qui date de 1895, année où il est interné dans un hôpital psychiatrique, est autobiographique, tout comme le suivant, rédigé en 1908. Mais après quelques lignes, ce dernier se transforme en une autofiction qui raconte l’enfance majestueuse de Doufi (diminutif d’Adolf), son alter ego, un héros qui quitte la Suisse avec sa famille pour s’installer en Amérique. L’ouvrage, de trois cents pages, contient aussi des descriptions, des inventaires, des poèmes, des calculs et des compositions musicales. Le tout est accompagné de nombreux dessins. Wölfli écrira par la suite quatre autres textes, entre 1912 et 1930. Il puise son inspiration notamment dans un atlas et dans des livres qu’il trouve à l’hôpital. Pour ses dessins, il emploie des feuilles de papier et des crayons de couleur fournis par l’établissement, jusqu’à n’utiliser plus que la mine entre ses ongles. Adolf Wölfli (1864-1930) est né à Bowil, dans le canton de Berne, en Suisse. Il est issu d’une famille indigente de sept enfants. Son père, tailleur de pierre, quitte le domicile conjugal en 1870. Sa mère assure alors la subsistance de la famille en travaillant comme blanchisseuse. Mais elle décède trois ans plus tard. Orphelin à l’âge de huit ans, le garçon travaille comme domestique, chevrier et valet de ferme dans différentes familles paysannes. Victime
de maltraitance, il mène une existence misérable et connaît quelques ruptures amoureuses dues à sa condition sociale. Durant cette période, bien qu’il fréquente l’école de manière irrégulière, il apprend à lire et à écrire. Il travaille également comme manœuvre dans les cantons de Berne et de Neuchâtel. Il effectue son service militaire en 1883, avant d’être arrêté sept ans plus tard pour attentat à la pudeur, et condamné à deux ans de prison. À sa sortie, il est à nouveau employé comme manœuvre et vit dans un isolement total. Il récidive et est interné en 1895, à trente et un ans, à la Waldau, hôpital psychiatrique près de Berne, où il est déclaré schizophrène. Il y demeure jusqu’à sa mort. L’auteur commence à élaborer sa mythologie personnelle dès son arrivée dans l’établissement, travaillant sans relâche du matin au soir. Il entame d’abord son œuvre littéraire, puis, quatre ans après, sa production graphique. Mais les premiers dessins conservés datent de 1904 seulement. De nature agitée, Wölfli retrouve son calme quand on lui donne du tabac à chiquer et des crayons de couleur. Le Dr Walter Morgenthaler, médecin-chef de la Waldau, s’avise de la qualité de sa création et lui consacre une monographie en 1921, intitulée Ein Geisteskranker als Künstler (Un aliéné artiste), premier ouvrage monographique portant sur un patient désigné par son nom au complet.
01—Couronne d’épines de Rosalie en forme de cœur, 1922 Mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 50,5 × 67 cm 02—Saint Adolf portant des lunettes entre les deux villes géantes Niess et Mia, 1924 Mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 51 × 68 cm 03—La Sainte Trinité dans la ville géante de Chant-Saint-Adolf, 1922 Mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 51 × 51 cm
01 02
03