LOUIS
XIV L’HOMME & LE ROI
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LE GOÛT DU ROI
Philippe Beaussant, de l’Académie française
Lorsque Voltaire intitule son grand ouvrage Le Siècle de Louis XIV, que veut-il dire ? De quoi veut-il parler ? Des grandes victoires ? Du passage du Rhin (« cet air de grandeur dont le roi relevait toutes ses actions, le bonheur rapide de ses conquêtes », etc.) ? Du gouvernement, de la manière de gérer son royaume (« on voit quels changements Louis XIV fit dans l’État », etc.). Ou des beaux-arts et de la littérature (« Il ne s’éleva guère de grands génies depuis les beaux jours de ces artistes illustres ; et à peu près vers le temps de la mort de Louis XIV, la nature semble se reposer […] Le génie n’a qu’un siècle, après quoi il faut qu’il dégénère. ») ? C’est à tout cela, bien entendu, que pensait Voltaire : et il ne se trompait pas puisque jamais il n’a été véritablement démenti… Qu’on le veuille ou non, et quoi qu’il doive à Richelieu, à Mazarin, à Louis XIII et à Henri IV, ce siècle s’appelle bien toujours « le siècle de Louis XIV » : mais c’est vrai surtout dans le domaine des arts et de la culture. On peut avoir oublié le nom et la date de ses victoires et de ses traités – Riswick, Nimègue, le passage du Rhin, la conquête de la Franche-Comté –, ce qui revient à l’esprit, de manière presque automatique, irréfléchie (dois-je dire : inconsciente ?), lorsqu’on parle de Louis XIV, c’est Versailles, Phèdre, Le Bourgeois gentilhomme, Armide, comme si c’était lui qui l’avait fait, et non Hardouin-Mansart, Le Brun, Racine, Molière et Lully. Aucun souverain, aucun empereur, si ce n’est peut-être Auguste, n’a réussi comme le Roi-Soleil l’identification de l’art de son temps avec sa personne : sans doute voulait-il qu’on y pense – mais Voltaire aussi, pour qui, dans l’histoire du monde, il n’y a que quatre grands siècles « où les arts ont été perfectionnés et qui, servant d’époque à la grandeur de l’esprit humain, sont l’exemple de la postérité ». Voltaire veut dire : le siècle de Périclès, celui d’Auguste, celui des Médicis, et celui de Louis XIV. Le « siècle de Louis XIV » s’identifie donc bien, depuis trois siècles, avec ce que ce roi a aimé, avec ce qu’il a voulu, et avec ce que des artistes, comme nous disons, peintres, architectes, poètes et musiciens, ont fait. Mais la vraie question qu’il faudrait se poser, c’est celle-ci : a-t-il eu sur les arts de son temps une véritable influence ? Son goût personnel, ce qu’il aimait, a-t-il conduit, entraîné, piloté, guidé ceux qui élaboraient les œuvres qui sont aujourd’hui auréolées de sa couronne, ou au contraire ne fit-il qu’accompagner les créateurs de son temps et, parce qu’il était roi, leur conférer les marques de son prestige ?
Le goût du roi, est-ce un détail de l’histoire des arts, ou un élément essentiel ? Fig. 1
Antonio Allegri, dit le Corrège, Le Mariage mystique de sainte Catherine, huile sur bois. Paris, musée du Louvre, département des Peintures, inv. INV41.
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On peut prendre le problème de plusieurs manières. D’abord en mesurant ses compétences : et lui-même nous donne une première piste à suivre, dans une anecdote où l’on voit Louis XIV recevant des mains de M. Bontemps un tableau du Corrège dont l’ambassadeur de Suède veut lui faire cadeau. Toute l’assemblée discute et s’extasie. Le roi : « Je vois bien qu’il est fort beau, mais je ne m’y connais pas assez pour découvrir toutes ses beautés. » Plus loin : « L’on trouve des draperies d’un autre goût que celles des autres tableaux de Corrège. » En effet, il y en a plusieurs dans ses collections – dont Le Mariage mystique de sainte Catherine (fig. 1) et La Sainte
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LOUIS XIV ET LA PEINTURE
Nicolas Milovanovic
Fig. 1
Charles Le Brun, La Tente de Darius, huile sur toile, vers 1660. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 6165.
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Il y a un paradoxe dans le goût de Louis XIV pour la peinture. Devant un Corrège qui lui avait été offert, le roi déclarait qu’il ne s’y connaissait pas assez « pour en découvrir toutes les beautés », mais il ajoutait aussitôt une remarque digne d’un connaisseur : « L’on trouve les draperies d’un autre goût que celles des autres tableaux du Corrège, mais comme c’est l’esquisse du grand à ce qu’on prétend qui est à Parme, il ne faut pas s’en étonner1. » S’il est vrai que la peinture n’a pas été la passion dominante du roi, les témoignages directs de son intérêt, de ses critiques ou de ses préférences sont nombreux et permettent de tracer le portrait d’un véritable amateur, d’un goût bien différent que celui qu’on lui prête habituellement pour les
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« maîtres italiens » et correspondant aux hiérarchies admises2. Car il est important de souligner qu’il y eut toujours deux Louis XIV : l’homme public qui collectionnait par devoir de magnificence, et l’amateur qui n’hésitait pas à affirmer ses choix personnels et surtout à former son goût par le lien très fort qu’il savait établir avec les meilleurs artistes de son temps.
Le roi et son peintre
Fig. 2
Paolo Caliari, dit Véronèse, Les Pèlerins d’Emmaüs, huile sur toile, vers 1559. Paris, musée du Louvre, département des Peintures, inv. INV146.
Charles Le Brun fut le peintre qui sut capter l’attention du roi, établir avec lui une relation de confiance et même d’amitié. Tout commença à Fontainebleau en 16613 : les sources concordent pour souligner les discussions entre Louis XIV et Le Brun alors que celui-ci peignait La Tente de Darius (fig. 1). L’artiste était logé près du souverain, qui venait le voir à l’improviste, y passant « plusieurs heures4 », et lui marquant « chaque jour ce qu’il voulait voir peindre le lendemain5 ». Louis XIV a particulièrement admiré ce tableau puisqu’il le choisit entre tous ceux de l’école française pour le mettre en comparaison avec l’un des plus beaux tableaux italiens de sa collection, Les Pèlerins d’Emmaüs de Véronèse (fig. 2), dans le salon de Mars à Versailles : « Sa Majesté, dont le discernement est si juste en toutes choses, l’ayant choisi pour l’opposer à celui de Paul Véronèse ; je crois que ce choix fait aussi son éloge, sans qu’il soit besoin qu’on en dise davantage6 . » Le roi n’hésita pas à modifier, en 1682, les formats des deux toiles afin que la comparaison fût plus explicite7. L’objectif était de démontrer que Le Brun valait Véronèse et que la France était désormais la patrie des arts aux dépens de l’Italie. Le Brun
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Cérémonies et symboles
Nicolas Milovanovic
La première et la plus importante des cérémonies monarchiques était le sacre, qui confirmait aux yeux de tous la place et le pouvoir du prince. Le sacre des rois de France procédait du changement de dynastie entre Mérovingiens et Carolingiens : Pépin le Bref rechercha une légitimité nouvelle auprès de l’Église (751 et 754)1. Le sacre consista, selon le modèle biblique (déjà appliqué en Espagne wisigothique), en l’onction du roi par une huile consacrée2. La cérémonie du sacre se développa d’abord pour l’empereur germanique. Elle comportait une succession de rites (serment, onction, couronnement), ainsi que la remise d’insignes (épée, couronne, sceptre)3. Les éléments spécifiques du sacre des rois de France furent élaborés au ixe siècle autour de la légende du baptême de Clovis (premier roi germanique converti au christianisme non arien) par l’évêque saint Rémi au moyen d’une huile apportée du ciel par une colombe. Cette légende contribua à imposer, sous les premiers Capétiens, le lieu du sacre, la cathédrale de Reims, et l’utilisation d’une fiole miraculeuse conservée dans l’église Saint-Rémi, qui distinguait les rois de France de tous les autres souverains européens. Louis XIV osait ainsi écrire au pape : « Vous avez été sacré avec une huile tirée de la terre et moi avec une huile venue du ciel4. » Une pièce de la tenture de l’Histoire du roy montre le sacre de Louis XIV, le 7 juin 1654 (fig. 1 ; cat. 62), au moment où le jeune souverain (âgé de seize ans) reçoit à genoux la couronne de Charlemagne des mains de l’évêque de Soissons (l’archevêché de Reims était vacant). Le couronnement eut lieu après l’onction, tandis que le roi était entouré des
Fig. 1
D’après Charles Le Brun, Sacre de Louis XIV Roy de France et de Navarre… (détail), manufacture des Gobelins, tapisserie de base lisse, or, laine et soie [atelier de Jean Mozin], 1665-1680. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. GMTT 982 ; V 3841. Voir cat. 62.
douze pairs de France (six pairs laïques à droite et six pairs ecclésiastiques à gauche)5. Ceux-ci ont « soutenu la couronne au-dessus de la tête du roi, comme les arcs-boutants du trône, avant que l’archevêque ne l’imposât seul, car c’est dieu qui donne la couronne de gloire et de justice6 ». Le sacre comprenait aussi la remise des regalia7, c’est-à-dire des symboles de la monarchie appelés « insignes de Charlemagne » : couronne, épée, sceptre et main de justice8. La couronne de Charlemagne apparaît sur la tapisserie du sacre : elle comprend quatre fleurs de lys et quarante-huit pierres précieuses : seize rubis, seize émeraudes et seize saphirs. Sur la tapisserie, c’est la couronne de la reine (identique mais plus légère)9 qui est représentée, car la couronne du roi avait été détruite par la Ligue lors des guerres de Religion. Elle est surmontée d’une tiare rouge ornée de perles et servit aux sacres de Louis XIII, Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Elle datait probablement du xiie siècle. Elle a été détruite à la Révolution10. L’épée de Charlemagne est figurée dans le portrait de Louis XIV peint par Hyacinthe Rigaud et conservé au musée du Louvre (cat. 33). Elle était surnommée la Joyeuse car, selon la Chanson de Roland, elle abritait dans son pommeau les reliques de la Passion. C’est une œuvre composite dont les éléments datent d’époques diverses : du xe au xiiie siècle. Au plan symbolique, elle figure la Justice, dont l’attribut principal (avec la balance) est une « épée, nue et droite », car « il faut qu’elle soit toujours prête à punir les vices »11. Le sceptre de Charlemagne est représenté dans le grand portrait du roi en protecteur des arts peint par Henri Testelin pour l’Académie
Fig. 2
D’après Charles Le Brun, Cérémonie du mariage de Louis XIV (détail), manufacture des Gobelins, tapisserie de basse lisse, or, laine et soie. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. GMTT 984 ; V 3842.
Cat. 1
Henri Testelin, Portrait de Louis XIV, huile sur toile, 1667. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
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Cat. 2
Adam Frans van der Meulen, Louis XIV passant sur le Pont-Neuf pour se rendre au Palais le 22 dĂŠcembre 1665, huile sur toile, vers 1666, Grenoble, musĂŠe de Grenoble.
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Cat. 3
François Marot, La Première Promotion des chevaliers de l’ordre de Saint-Louis, huile sur toile, 1710, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
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royale de peinture et de sculpture (cat. 1) : il date de Charles V, mesure près d’un mètre quatre-vingt-dix et comprend à son extrémité Charlemagne trônant et tenant le globe surmonté de la croix, symbole de la domination universelle du Christ et insigne des empereurs germaniques. Enfin, la main de justice de Charlemagne figure sur le portrait de Louis XIV conservé à Furnes (palais de justice)12. C’était le deuxième sceptre des rois de France, le sceptre court, qui comprenait à l’origine une fleur de lys à son extrémité, remplacée par une main bénissant à la fin du xiiie ou au début du xive siècle. Ce sceptre n’appartenait qu’au roi de France et sa forme, sans doute inspirée de la main divine surgissant des nuages, fréquente dans l’iconographie du Moyen Âge, peut probablement être mise en relation avec la canonisation de Saint Louis en 129713. L’anneau était l’un des insignes du sacre, dont la remise symbolisait le mariage mystique du roi avec le royaume. Six ans après avoir reçu l’anneau du sacre, le roi remit à son épouse l’anneau du mariage : c’est le moment précis représenté dans une pièce de la tenture de l’Histoire du Roy (fig. 2). Louis XIV épousa Marie-Thérèse d’Autriche, fille du roi Philippe IV d’Espagne, le 9 juin 1660. La cérémonie eut lieu dans l’église de Saint-Jean-de-Luz. L’évêque de Bayonne, qui officiait, est peint entre le roi et la reine. Le cardinal de Mazarin, qui avait négocié ce mariage scellant la paix avec l’Espagne, est figuré derrière Louis XIV. Louis XIV contribua à la symbolique monarchique en créant, en 1693, un nouvel ordre de chevalerie français : l’ordre militaire de
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180 LE PORTRAIT DU ROI
Cat. 46
Joseph Werner, Louis XIV en Apollon conduisant son char, gouache sur papier, vers 1664. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
Cat. 47
Joseph Werner, Louis XIV en Apollon triomphant du serpent Python, gouache sur papier, vers 1664. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
Cat. 48
Devise de Louis XIV, médaille en argent, 1674. Paris, Bibliothèque nationale de France.
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181 LE ROI-SOLEIL
Cat. 49
Charles de La Fosse, Apollon et Téthys, huile sur toile, 1688-1689. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
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Cat. 68
Pierre Mignard, Portrait équestre de Louis XIV devant Namur, huile sur toile, vers 1694. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
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Cat. 69
Attribué à Jean Nocret, Portrait équestre de Louis XIV, huile sur toile, vers 1653. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
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La famille royale
Nicolas Milovanovic
Fig. 1
Jean Nocret, La Famille de Louis XIV en habits mythologiques, huile sur toile, 1670. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 2157.
Les représentations du roi parmi les membres de sa famille sont très rares. La plus fréquemment reproduite montre la famille royale en habits mythologiques (fig. 1). Cette œuvre, conservée au château de Versailles depuis Louis-Philippe, a été peinte par Jean Nocret vers 16701. Louis XIV est représenté en Apollon (le Soleil). Sa cousine germaine, la duchesse de Montpensier, est figurée en Diane (la Lune) désignant le Soleil de la main. Anne d’Autriche est peinte en Cybèle, la Mère universelle, tenant le globe terrestre entre les mains. La reine Marie-Thérèse est représentée en Junon, devant le roi, auprès de ses trois enfants : le Dauphin, le duc d’Anjou (mort en 1671) et MarieThérèse (morte en 1672). Deux autres enfants du couple royal, morts avant d’avoir atteint un mois, Anne Élisabeth (1662) et Marie-Anne (1664) sont curieusement représentés dans un « tableau dans le tableau » au tout premier plan. Dans la partie gauche de la composition, Henriette de France est figurée en Amphitrite avec sa fille, Henriette d’Angleterre, peinte en Flore, et son beau-fils, Philippe d’Orléans (Monsieur), frère de Louis XIV, représenté en Point du jour. Remarquons que la métaphore solaire est « filée » comme lors du carrousel de 1662 aux Tuileries et lors des Plaisirs de l’Isle enchantée en 1664 : le roi étant peint en Apollon (le Soleil), sa cousine est en Diane (la Lune), qui reflète sa lumière, et son frère en Point du Jour, qui annonce sa venue (voir p. 150). Deux autres peintures réunissent Louis XIV et sa famille sans recours au portrait mythologique. La première est conservée au musée de Berlin et attribuée à Jacob van Loo2 (cat. 98). Louis XIV est peint assis au premier plan à droite, tandis que son frère Philippe d’Orléans est derrière lui. Marie-Thérèse et Anne d’Autriche désignent toutes deux de la main le Dauphin. Henriette d’Angleterre, l’épouse de Philippe d’Orléans, est aisément reconnaissable au second plan avec sa fille Marie-Louise dans les bras. Les âges du Dauphin (un an environ ; né en novembre 1661) et de Marie-Louise (six mois environ ; née en mars 1662) permettent de dater assez précisément le tableau vers la fi n de 1662. Le buste du grand-père, Louis XIII, est placé au centre de la composition. Une peinture conservée en collection particulière dérive du même modèle que l’œuvre précédente (cat. 98). Elle montre la scène avec cette différence notable que les positions respectives du roi et de son frère ont été inversées : Louis XIV est passé au second plan et Monsieur au premier (fig. 2).
Fig. 2
Anonyme, La Famille de Louis XIV, miniature, vers 1663, collection particulière.
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Ces deux peintures illustrent l’harmonie de la famille royale précisément au moment où elle a été rompue par la relation ambiguë que le roi entretint pendant quelques mois, en 1661, avec sa belle-sœur, Henriette d’Angleterre, au grand dépit de son frère. L’abbé de Choisy décrivait Henriette comme une princesse « touchante » et « ornée de charmes », « elle avait les yeux noirs, vifs, et plein de feu contagieux que les hommes ne sauraient fi xement observer sans en ressentir l’effet »3. De plus, elle avait « tout l’esprit qu’il faut pour être charmante4 » tandis que la reine était « la meilleure femme et la plus vertueuse du monde » mais « de la plus grande niaiserie »5 (cat. 99, 100). Malgré la longue série d’infidélités du souverain qui suivit la liaison avec sa belle-sœur6, la reine conservait « une telle passion pour le roi
qu’elle cherchait à lire dans ses yeux tout ce qui pouvait lui faire plaisir7 ». Il en était de même pour Monsieur et pour le Grand Dauphin : le roi exerçait une véritable fascination sur les membres les plus proches de sa famille en dépit d’une attitude pas toujours chaleureuse. SaintSimon décrit en une phrase terrible les rapports du roi avec son fils : « Toujours roi, presque jamais père avec lui, ou, s’il lui en échappa bien rarement quelques traits, ils ne furent jamais purs et sans mélange de royauté, non pas même dans les moments les plus particuliers et les plus intérieurs8 » (cat. 101). Selon le mémorialiste, Louis XIV écrasa la personnalité du Dauphin pour le maintenir dans une dépendance absolue : « Il n’avait pas l’ombre seulement de crédit auprès du roi ; il
Cat. 98
Attribué à Jacob van Loo, La Famille de Louis XIV, huile sur toile, 1662-1663. Berlin, Deutsches Historisches Museum.
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Le sceptre et le compas
Alexandre Gady
L’historiographie contemporaine a volontiers fait de Louis XIV un « roi architecte1 », parangon de l’orgueilleux plaisir de bâtir qui travaille tous les chefs d’État – depuis les empereurs antiques jusqu’aux présidents de la Ve République… Derrière une figure convenue du Pouvoir, à laquelle souscrivaient d’ailleurs les contemporains – « rien ne marque davantage la grandeur et l’esprit des princes que les bastiments » (Colbert) –, se cachent en fait un roi dont le goût est « dans le grand et le noble » (Voltaire), un architecte aussi génial que docile, Jules Hardouin-Mansart, enfin un système complexe, la surintendance des Bâtiments du roi. Subtile alchimie, où chaque partie agit sur l’autre presque insensiblement, pour s’incarner, au sens le plus fort du terme, dans un lieu et un édifice : Versailles.
Louis XIV en architecte Dès son adolescence, comme en témoigne son attitude lors de la pose de la première pierre de Saint-Roch en mars 16532, Louis XIV a aimé l’architecture. Ce goût, qu’il tenait de son grand-père Henri IV et qui passera à son arrière-petit-fils Louis XV, devient chez lui, dès 1661, un de ses passe-temps favoris. Mme de Lafayette, auteur de l’immortelle Princesse de Clèves, rapporte que « ses bastiments […] l’amusoient infiniment et il en jouissoit avec les personnes qu’il honore de son amitié ». Quant au diplomate Spanheim, il affirme que Louis XIV « se connoît particulièrement en musique, en peinture et en bâtiments ». Cette connaissance, réelle, implique trois choses, qui le distinguent de la masse des maîtres d’ouvrage que leurs architectes manipulent aisément. D’abord, qu’il sait lire un plan et comprendre la projection d’un édifice dessiné. Ensuite, qu’il a des idées précises sur ce qu’il aime et n’aime pas ; la correspondance de Colbert comme celle de Louvois le montrent très interventionniste, tandis que les Mémoires de SaintSimon se font l’écho de ses goûts. Il a ainsi une faveur pour les toits plats, « à l’italienne », qui triomphent à la Colonnade du Louvre, à Versailles, à Marly et à Trianon – une toiture donnerait à ce dernier édifice « l’air d’une grosse maison », dit le roi – il est sensible à certains matériaux, tel le marbre rouge de Languedoc, qu’il « préfère » selon Louvois. Ce goût affirmé n’exclut d’ailleurs pas les erreurs, les tâtonnements ou même les repentirs, dont l’histoire architecturale du règne est remplie : l’attestent l’échec de la Colonnade du Louvre venant après celui du Bernin, les deux places Vendôme qui se succèdent à quinze ans d’intervalle ou les innombrables rapetassages versaillais… Enfin, le titre d’architecte revient au roi comme deviseur, c’est-à-dire un donneur d’idées et non plus seulement d’avis : cette « pensée » du roi, que l’on recherche, voire que l’on essaie de deviner, pour mieux faire sa cour. Louis XIV passe ainsi pour l’inventeur de certains aménagements de jardins, tel le bosquet des Trois Fontaines à Versailles ou bien, à Trianon, du fameux « péristyle ».
Cat. 198
Cat. 197
Jean Louis Lemoyne, Buste de Jules HardouinMansart, marbre, 1703. Paris, musée du Louvre.
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Jean-Baptiste Martin, Vues des cours du château de Versailles et des écuries, huile sur toile, 1688. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
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315 LE SCEPTRE ET LE COMPAS
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326 LE GOÛT DU ROI
Cat. 210
Jean II Cotelle, L’entrée du Labyrinthe du jardin de Versailles avec des Nymphes et des Amours qui prennent des oiseaux aux filets, gouache sur papier, vers 1688. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
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Cat. 211
Jean II Cotelle, L’entrée du bosquet du Théâtre d’eau avec Vénus vêtue et portée par les Heures en présence d’Ouranos, gouache sur papier, vers 1688. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
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Cat. 241
Antoine Coysevox, Louis XIV, buste, marbre, 1686. Dijon, musĂŠe des Beaux-Arts.
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353 DE L’IMAGE AU MYTHE
Cat. 242
Marc Arcis, Louis XIV, buste, terre cuite, 1674-1675. Toulouse, musée des Augustins.
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LOUIS
XIV L’HOMME & LE ROI