Paris Haute Couture

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3 – Dieulafait,

sortie de bal, vers 1880. Façonné de soie, broderies.

4 – Worth,

robe, vers 1869. Taffetas de soie, dentelle, toile de coton.


SYLVI E R OY E T AN N E Z A Z ZO

Images de marque

À la croisée des influences esthétiques de ce début du xxe siècle, la publication de l’album commandité par Paul Poiret à Paul Iribe en 1908 inaugure une ère nouvelle dans l’histoire de l’illustration de mode. Paul Iribe, jeune caricaturiste et publiciste de renom, est impressionné par sa visite à l’hôtel de l’avenue d’Antin, où il découvre les collections de Paul Poiret. Celui-ci rapporte dans ses Mémoires les paroles de l’illustrateur : « J’ai souvent rêvé de robes de ce genre, […] mais je ne pouvais pas supposer que quelqu’un les eût déjà réalisées. C’est ad-mi-ra-ble […] 1 ! » Dix planches de dessins sont publiées le 20 octobre sous le titre Les Robes de Paul Poiret racontées par Paul Iribe. La précision du dessin au trait noir, les compositions inédites, le jeu de contrastes entre les aplats de couleurs vives, l’épure des éléments du décor, la silhouette gracile des figures féminines sont autant d’inventions d’une nouvelle grammaire stylistique dans laquelle se devine l’influence de l’estampe japonaise, en vogue à Paris depuis la fin du xixe siècle. Cet album, qui est la première manifestation du style Art déco, inaugure des liens que couturiers et artistes seront amenés à tisser ensemble. Son influence sur la génération des illustrateurs de revues luxueuses telles que la Gazette du bon ton perdurera pendant plus de vingt ans. Trois ans plus tard, Paul Poiret confie la réalisation d’un second album à Georges Lepape, encore inconnu. « Ne dites rien ! Vous avez eu une impression. Cette impression, je voudrais que vous me la traduisiez comme vous l’entendez. » Une nouvelle fois, Paul Poiret semble laisser une totale liberté d’exécution au dessinateur. Mais il fournit à ce dernier divers morceaux d’étoffes, des broderies, ainsi qu’une cordelière constituée de nœuds et de glands. La cordelière utilisée comme ceinture de robe est un détail emblématique chez Paul Poiret ; elle orne plusieurs modèles de l’année 1911. Rappelant les motifs traditionnels asiatiques, l’illustrateur s’en inspire pour la couverture même de l’album Les Choses de Paul Poiret vues par Georges Lepape. À l’intérieur de l’ouvrage, la tech-

Georges Lepape, Les Choses de Paul Poiret vues par Georges Lepape, Paris, Maquet, 1911, planche XII, « La Cage ». Imprimé. Double page précédente (pl. 32) Paul Poiret, boîte (d’emballage), années 1910.

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nique de la gravure sur bois, coloriée au pochoir, se prête à la stylisation des formes et à la sobriété des compositions ; la sinuosité de la ligne transcrit parfaitement la fluidité des robes de Poiret. Ce nouvel album – un succès pour la maison de couture qui conforte son image de modernité – lance Georges Lepape dans une longue carrière d’illustrateur de mode. C’est vers 1910 que naît le marketing visuel de la haute couture. Moins soucieuse de renom littéraire que d’images publicitaires, la couture use, renouvelle et relie tous les identifiants visuels possibles au travers de médias variés. Apparaissent les premiers dessins de logos, comme la rose de Poiret, les motifs exclusifs, le design d’accessoires. Ainsi, Poiret lance en 1911 – avant d’imaginer diffuser un vernis à ongles, dix ans plus tard ! – le premier parfum de couturier. Ce produit dérivé, d’un très grand raffinement, met à contribution ses illustrateurs favoris et l’atelier Martine pour la conception des bouteilles et de leurs emballages. Les traits naïfs décorant les flacons et leurs boîtes se retrouvent en motifs reconnaissables dans les collections et les accessoires produits sous l’égide de la maison Poiret. Le couturier a été visionnaire en ce qu’il a fait des objets et de l’art vivant de pures images. Dès 1904, il accessoirisait les tenues de ses défilés – concevant ainsi des looks, c’est-à-dire littéralement des silhouettes pensées en images. À l’été 1910, il faisait photographier pour la revue L’Illustration un défilé de ses modèles chorégraphié en files gracieuses traversant le jardin de sa maison 2. Depuis la fin des années 1890, des présentations de collections ont lieu dans les salons de Lucile à Londres et, à partir de 1903, dans les grands magasins américains comme Wanamaker ou ceux de Hirsch en Europe. Pour la première fois cependant, avec Poiret, le défilé devient une représentation imagée, un motif. Les maisons à la pointe ont recherché après lui la cohérence entre toutes les images identifiant leur marque et ont souhaité bénéficier, à travers elles, d’une valeur artistique qui ennoblisse – ou, mieux, masque – leur activité industrielle et commerciale de masse. Poiret semble être l’exemple parfait de cette volonté conjuguée de maîtriser l’image de sa marque à grande échelle et d’atteindre une esthétique distinctive. Cette prétention double le conduit même à entrer en compétition avec les artistes qu’il sollicite, de l’illustration traditionnelle au défilé de mode… L’époque, favorable aux collaborations entre différentes disciplines du monde de l’art, l’est plus encore sur la scène théâtrale où s’expriment les nouvelles tendances artistiques. Illustrateurs, décorateurs, couturiers se retrouvent au théâtre, au sein duquel se jouent aussi les rivalités entre créateurs. La pièce de A. Hermant et M. de Toledano, Rue de la Paix, présentée pour la première fois le 22 janvier 1912, raconte l’histoire d’une concurrence entre un couturier célèbre et

Facture à l’en-tête de la maison Paul Poiret, illustration de Georges Lepape, vers 1911. Imprimé.

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un jeune couturier. Désireux de donner une unité esthétique à la pièce, Paul Porel, le directeur du théâtre du Vaudeville, demande à Paul Iribe d’en concevoir les décors et les costumes. Plusieurs magazines relaient l’événement et publient des articles, des dessins, des photographies des actrices, Henriette Roggers et Jeanne Iribe, portant les costumes dessinés par Iribe et réalisés par Mme Paquin. En écho au scénario de la pièce, les propos d’Iribe sur sa conception de la mode laissent entrevoir une inimitié avec Paul Poiret : « On semble me reprocher […] d’avoir “commis” des excentricités inqualifiables. Je n’ai pourtant jamais infligé, par ma conception, à nos modernes Parisiennes ni jupe entravée, ni jupe-culotte, ni jupe à cerceaux sur pantalons bouffants 3 ! » Au printemps 1913, la maison Poiret conçoit à son tour des costumes pour la pièce Le Minaret, jouée au théâtre de la Renaissance. Quelques années plus tard, dans ses Mémoires, le mépris silencieux du couturier pour le travail d’Iribe est cinglant : « Laissez-moi vous rappeler le coup d’État que fut […] la première représentation du Minaret […] le véritable effort était dans les costumes et les décors. Pour la première fois, le couturier et les décorateurs s’étaient concertés et avaient adopté le même parti, contrairement à tout ce qui s’était fait jusqu’alors… 4. » La centaine de robes apparaissant dans la pièce était dessinée par les employés de la maison, Erté et José de Zamora. Leurs noms ont bien sûr été escamotés sous la griffe Poiret : Poiret le magnifique, Poiret le terrible œuvre pour que sa marque reste sous les feux de la rampe. Il impose par son talent le style « Minaret » en Europe et aux États-Unis. À l’automne 1913 – point d’orgue de sa stratégie commerciale – est annoncée, à New York cette fois, la présentation du film du défilé de sa collection. Montré à Paris à une trentaine d’invités, ce film ne passera pas la douane, mais le défilé mis en scène de façon spectaculaire dans plusieurs grands magasins favorise la diffusion formidable de ses modèles sur le marché américain. Cet extraordinaire jeu de correspondances iconiques fait de Paul Poiret un constant chef d’orchestre de l’art visuel : lorsque se conclut l’aventure de la collection « Minaret », le concept de la communication moderne des maisons de couture des xxe et xxie siècles vient bel et bien de voir le jour. 1. Paul Poiret, En habillant l’époque, Paris, Grasset, 1930, p. 68. 2. Sylvie Lécallier, « Le défilé

surexposé », dans Showtime. Le défilé de mode, cat. exp., Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris, mars-juillet 2006, Paris, Paris-Musées, 2006, p. 114. 3. Paru dans Comœdia illustré le 1er février 1912. 4. Paul Poiret, En habillant l’époque, op. cit. , p. 65.

Georges Lepape, Les Choses de Paul Poiret vues par Georges Lepape, Paris, Maquet, 1911, planche IV, « Une robe et deux manteaux ». Imprimé. Christian Dior par John Galliano, ensemble du soir Stowe, défilé printemps-été 1998. Collection Christian Dior.

Georges Lepape, « Lassitude, robe de dîner de Paul Poiret », Gazette du bon ton, nº 1, 1912-1913, planche VIII. Gravure au pochoir.

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porter un regard intérieur ou distant sur ce qui les entoure, leur conférant infiniment de grâce et d’élégance. L’une des compositions inscrit le mannequin dans un environnement dont la description correspond au salon de couture dépeint dans un article du Miroir des modes de juin 1912 : « Les murs, décorés de panneaux vert Nil, se rehaussent d’encadrements filetés de vert sombre et d’or vieilli […]. Le mobilier appartient à cette délicieuse époque du Directoire, qui se souvient des grâces à peine évanouies de la période Louis XVI… » Dans une autre planche, la silhouette évolue cette fois au milieu du jardin de l’avenue d’Antin, dont le décor de treillage sera repris dans des projets d’architecture intérieure dessinés par Guy-Pierre Fauconnet, proche collaborateur de Paul Poiret à l’atelier Martine. Georges Barbier choisit également un jardin pour y mettre en scène deux modèles de Poiret qui feront la couverture du numéro d’avril 1912 de la revue Les Modes. Cette représentation de la femme dans certaines circonstances de sa vie sociale, déjà exploitée par Paul Iribe pour le papier à lettres de Paul Poiret, propose à la cliente un effet de miroir. L’univers du couturier, source d’inspiration pour les illustrateurs, sert de toile de fond à la mise en image de son œuvre. En retour, certaines figures féminines dessinées par Paul Iribe et Georges Lepape sont reproduites au trait noir afin d’orner les factures, le papier à lettres ou les cartons d’invitation. Ainsi, la répétitivité de ces silhouettes apposées sur divers documents envoyés par la maison de couture impose non seulement une mode, mais dicte également des poses, des allures, des « attitudes Poiret », auxquelles les clientes peuvent se conformer et dont le reflet offre une image flatteuse. 1. Paul Poiret, En habillant l’époque, Paris, Grasset, 1930, p. 68. 2. Ibid., p. 57. 3. Harold Koda, dans Harold Koda et Andrew

Bolton (dirs.), Poiret, cat. exp., New York, The Metropolitan Museum of Art, New Haven et Londres, Yale University Press, 2007.

Raoul Dufy, papier à l’en-tête de la maison Paul Poiret « Les Jours de la semaine », vers 1919. Xylogravure et pochoir, impression sur papier vergé. Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris.

Couverture du magazine Les Modes, avril 1912. Modèles de Paul Poiret, illustrations de Georges Barbier. Imprimé. Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris.

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104 – Carven,

tailleur (veste et jupe) Esperanto, 1951. Toile, boutons de nacre, applications de ganse de crin sur la veste.

105 – Jacques

Heim, robe, vers 1959. Soie sauvage.


100 – Roger

Scémama pour Christian Dior, collier ras de cou, vers 1958-1960. Cristaux, monture en métal.

101 – Christian

Dior, robe du soir, printemps-été 1955. Taffetas de soie imprimé sur chaîne, tulle de coton, tulle de rayonne acétate de cellulose.


MADELEINE VIONNET ET L’ANTIQUITÉ GRECQUE

(pl. 58)

Toute la carrière de Madeleine Vionnet se place sous le signe de l’Antiquité grecque, source majeure d’inspiration, constamment renouvelée. Son goût pour la pureté classique et la beauté du corps en mouvement la conduit à se réapproprier l’art grec – et non à le copier – dans une démarche quelque peu comparable à celle d’Isadora Duncan quelques années plus tôt. Les premières robes « à la grecque » datent de 1919. Liane de Pougy, qui évoque Madeleine Vionnet comme « le grand couturier du moment », note dans son journal en juillet 1922 : « J’avais mon péplum de Madeleine Vionnet en crêpe Georgette noir, une chose unique, admirable, si bien réussie qu’on ne peut la décrire » (Mes cahiers bleus). Les jeux complexes de pans, de quilles, de panneaux, puis de savants drapés hérités du chiton ionien dans les années 1930, permettent au travail du biais, qui moule le corps sans jamais l’entraver, de se donner libre cours. La presse s’en fait l’écho. En octobre 1924, on lit dans Vogue : « Vionnet s’attache à la ligne grecque » ; et en octobre 1928 dans Femina : « […] ses panneaux s’envolent à la marche avec une élégance digne de la statuaire antique. […] La grâce de ses draperies est surprenante : elles échappent autant à la description que la tunique aérienne de la Victoire de Samothrace. » Dans les années 1920, l’influence grecque s’exprime également à travers le répertoire ornemental des broderies. La célèbre robe du soir Aux petits chevaux ou Vases grecs, conservée au musée de la Mode et du Textile, datée de l’hiver 1921, en constitue le meilleur exemple. Et les fresques de Georges de Feure se déploient à la manière d’une frise antique dans le grand salon du 50, avenue Montaigne, où Madeleine Vionnet s’installe en 1923. Ernesto Thayaht, qui collabora avec cette dernière dans la première moitié des années 1920, créa le logo de la maison en 1919 : en adéquation totale avec le style de Madeleine Vionnet, le motif, que l’on retrouve sur les griffes, les factures, les publicités, les flacons de parfum…, représente une femme en péplos levant les bras, debout sur une colonne à chapiteau ionique et inscrite dans un cercle. C’est de ce logo antiquisant, qui fut utilisé jusqu’à la fermeture de la maison en 1939, que s’inspire ce modèle. La broderie dessine ici de longs sautoirs précieux en trompe l’œil, tandis que les dégradés de vert se déclinant en panneaux superposés confèrent à cette robe du soir une grande originalité. On retrouvera ce vert absinthe, très apprécié dans les années 1920, dans le salon Lanvin du pavillon français de l’Élégance à l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes en 1925. s.g.

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PAQUIN ET LA FOURRURE

(pl. 63)

Fondée en 1890 au 3, rue de la Paix, la maison Paquin connut, grâce à Jeanne Paquin, un immense succès, tant en France qu’à l’étranger. L’emploi de la fourrure, parfois associée à des étoffes légères, contribua très tôt à la renommée du style Paquin. En 1912 s’ouvrit à New York une succursale consacrée aux seules fourrures. Madeleine Wallis, elle-même issue d’une famille de fourreurs, prit la direction de la maison en 1920. On notera ici la subtilité du travail de broderie qui joue sur les oppositions de matière. De minuscules miroirs, rehaussés de perles et de fils polychromes, multiplient les jeux de lumière. La disposition des motifs géométriques de cette robe en accentue la verticalité. La présence discrète des garnitures des poignets en lamé introduit un raffinement supplémentaire. Sur les côtés, un effet de trompe-l’œil simule des fentes. Le répertoire décoratif relève ici de cet engouement pour le folklore et les broderies slaves que connaît l’immédiat aprèsguerre. La présence de nombreux réfugiés russes à Paris renforce cette tendance « à la russe » qui marquera de son empreinte toutes les maisons de couture, à commencer par Chanel. La présence d’une bande de fourrure, ici au bas de la robe, ailleurs rehaussant le col et les poignets, est chargée de réminiscences russes. s.g.

1920. les métiers d’art

49 – Jérôme,

robe du soir, vers 1925. Sergé de soie, broderies de fils métalliques, de perles et de cristaux, paradis, fleur en taffetas de soie.


Robert Piguet entre les sacs de sable ou les vitrines des boutiques de luxe protégées de rubans adhésifs. Élégante en toutes circonstances, la Parisienne est active dans une ville en prise avec le réel. En 1945, Cecil Beaton photographie une veste et un pantalon de Balmain devant le mur délabré d’une cour parisienne – ce réalisme nouveau dans la photographie de mode choque les rédactrices de Vogue. Progressivement pourtant, le Paris populaire va bénéficier d’une imagerie qui valide l’authenticité des lieux. En 1948, Richard Avedon fait poser ses mannequins dans le quartier du Marais, au milieu des saltimbanques de rue. Par des détails prosaïques (sol mouillé, chien de passage…), Willy Maywald accentue l’écart entre la tenue et le lieu, entre le manteau immaculé de Pierre Cardin et l’oisellerie des quais. Dans les années 1960, William Klein se joue des lumières artificielles de Pigalle et du Moulin-Rouge dans des instantanés dynamiques et plonge ses mannequins au cœur de la ville. Les quartiers de Paris deviennent des éléments de fiction, les mannequins des personnages. Dans les années 1970, Helmut Newton, berlinois d’origine, met en scène dans une atmosphère cinématographique un Paris nocturne en noir et blanc et en couleurs pour figurer des personnages ultrachic, en costume pantalon ou robe du soir Yves Saint Laurent. Plus récemment, avec un sujet intitulé « Paris, je t’aime » réalisé en 2004 pour le Vogue italien, Steven Meisel, dans sa relecture des décennies passées, reconstitue le Paris des années folles, comptoirs en zinc et chaises de bistrot à l’appui. Les tenues haute couture sont les costumes de cette fiction historique. Alors que les prises de vues en extérieur tendent généralement à encourager l’identification des lectrices en plaçant le mannequin dans une situation réelle, les images de mode prises dans Paris échappent à cette règle et trouvent un parfait écho dans cette phrase de Roland Barthes : « Dans la photographie de mode, le monde est d’ordinaire photographié sous les espèces d’un décor, d’un fond, ou d’une scène, bref d’un théâtre 1. » Aujourd’hui, les grands noms du luxe (Dior, Yves Saint Laurent avec le parfum Parisienne) scénarisent leurs films publicitaires dans un Paris galvaudé – la place de la Concorde, la tour Eiffel… –, des sites identifiables d’un bout à l’autre de la planète, pour une industrie mondialisée. Les maisons de haute couture et les photographes en manque d’inspiration trouvent désormais dans la capitale un cadre prêt-à-photographier pour robes, accessoires, bijoux ou parfums… Paris est une valeur sûre, un cliché qui fait vendre – plus qu’un décor, une marque. 1. Roland Barthes, Système de la mode, Paris,

Willy Maywald, collection automnehiver 1958-1959 de Pierre Cardin, 1959. Tirage au gélatino-bromure d’argent. Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris.

Éditions du Seuil, 1967, p. 303.

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1950. le luxe

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AN N E Z A Z ZO

La cliente des années 1950 : un luxe de détails

La cliente couture des années 1950 est rarement représentée dans les photoreportages de l’époque : des injonctions lui sont adressées au travers de figures emblématiques, modèles identificatoires aisés, comme l’éternelle « Parisienne », la riche « Américaine » ou l’élégante « Anglaise ». Ailleurs, encore par des récits détournés, la lectrice est séduite par l’histoire de couturiers au travail recevant des investisseurs aux femmes élégantes – ces dernières, vivant dans un luxe raffiné, ne manquent pas d’élaborer leur garde-robe en accompagnant leur mari venu pour affaire dans la maison de couture. Incidemment, les clientes étrangères, moins avantagées que les Parisiennes, sont évoquées en filigrane à l’occasion du portrait d’un acheteur qui saura sélectionner pour elles les tenues promises au succès de la saison à Paris. L’idée prégnante dans cette décennie où les maisons développent leurs boutiques d’accessoires est qu’une Parisienne ne se procure pas seulement une robe chez le couturier, mais la complète de façon harmonieuse de chaussures, bijoux, gants, chapeaux, foulards, maquillage… La présentation des articles illustrés de photographies ou de dessins raconte la manière dont la lectrice des années 1950 peut accéder aux modèles couture d’une collection. En raison de la très stricte convention du press release, destinée à combattre la copie, le magazine rapporte l’ambiance d’un défilé, alimentant ainsi la curiosité. Les modèles sont cependant censurés dans le reportage par des caches rayés en noir et blanc qui laissent seulement deviner la silhouette à la mode, les volumes construits, la longueur de la jupe – sujet encore crucial. La Parisienne, invisible muse, symbole d’élégance, mais dernière informée dans les faits, a accès aux modèles après les journalistes et les acheteurs venus de la province ou de l’étranger. Les tenues ne sont par ailleurs pas diffusées dans les grands magasins parisiens, ce qui entretient l’idée de luxe et d’exclusivité de la haute couture de la capitale française.

Henry Clarke, Le mannequin Dovima portant une robe Dior, printempsété 1956. Photographie. Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris.

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1950. le luxe

Jardin des modes nº 401, mai 1955, p. 52-53

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