Gustave Doré

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SOMMAIRE Gustave Doré, l’usine à rêves

230 Lac en Écosse après l’orage

Guy Cogeval, Marc Mayer

Baldine Saint Girons

Une vie d’artiste​

Doré sculpteur

Philippe Kaenel

Édouard Papet

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34 Les Saltimbanques

Erika Dolphin

Paul Lang

Caricatures et bande dessinée Autour du Journal pour rire, 1848-1855

Doré et l’Amérique

David Kunzle

Imaginer la littérature

272 Le Triomphe du christianisme sur le paganisme

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Philippe Kaenel

L’Espagne et Londres Visions de l’Europe

121

Philippe Kaenel

248 Le Poème de la vigne

259

Paul Lang

Doré et la Russie

275

David Skilton

La stylisation de l’histoire

Bertrand Tillier

170 L’Énigme

Côme Fabre

« Preacher painter » Art, dévotion et spectacle

175

Valérie Sueur-Hermel

211 Paysages « De ses doigts et de son imagination »

Isabelle Saint-Martin

Philippe Kaenel

Doré et le cinéma Valentine Robert

296 Entretien avec Philippe Druillet

annexes

306

Biographie sommaire

Philippe Kaenel, avec la collaboration de Philippe Mariot

313

Liste des œuvres exposées

325 Liste sommaire des illustrations de Gustave Doré

327

Salons, expositions

329

Bibliographie sélective

332

Index des noms cités

194 Les éditions de la Sainte Bible

287

Philippe Kaenel

192 Le Néophyte

Anna Markova

postérité

148 Vision de Londres

157

Eric Zafran


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LES SALTIMBANQUES

De par la teneur émotionnelle du drame représenté, la façon dont Doré aborde le thème des saltimbanques diffère de celle de ses contemporains. Dans cette peinture d’abord intitulée La Victime, un petit acrobate est tombé lors d’un numéro d’équilibriste et s’est gravement blessé. Le calme domine la scène, mais la douleur et le désespoir n’en sont pas moins palpables. Doré s’intéresse ici à l’enfant blessé et non au thème plus vaste de la misère des saltimbanques parisiens et des artistes de cirque ou encore à leur place dans la société ¹. Selon la journaliste américaine Lucy H. Hooper, qui avait vu le tableau dans l’atelier de Doré en 1874, puis une nouvelle fois l’année suivante : « Doré entend intituler ce tableau La Victime, l’enfant étant […] victime de la cupidité de ses parents et Les Charlatans constituant un titre par trop explicite ². » Doré lui-même laissa clairement entendre que les parents du garçonnet étaient en tout état de cause responsables de la tragédie. Lorsqu’on l’interrogeait au sujet de cette œuvre, il racontait : « Il se meurt. J’ai voulu dépeindre une prise de conscience tardive chez ces deux êtres endurcis, presque brutaux. Pour gagner de l’argent, ils ont tué leur enfant et en le tuant, ils ont découvert qu’ils avaient un cœur ³. » À la fin du xix e siècle, les dangers, tant physiques que moraux, qui menaçaient les enfants du cirque étaient un sujet de préoccupation récurrent. Les jeunes acrobates comme le célèbre Niño Farini (ill. 22) étaient, en France et en Angleterre, une attraction majeure pour une industrie du cirque en plein essor. À mesure que leur nombre augmentait, les accidents, de plus en plus fréquents, suscitaient toujours plus d’indignation ⁴. L’acrobate en tant que victime est un thème clé pour comprendre la peinture de Doré. Connu pour sa nature juvénile et ses talents de gymnaste, l’artiste s’identifiait très probablement à l’enfant acrobate ⁵. Nous savons que Doré se considérait comme victime des critiques français ⁶. Sa biographe, Blanche Roosevelt, dépeint de façon saisissante les déboires de Doré avec ces derniers, n’hésitant pas à recourir à des métaphores

21  Gustave Doré, Les Saltimbanques, dit aussi L’Enfant blessé, 1874 Huile sur toile, 224 × 184 cm Ville de Clermont-Ferrand, collection du musée d’art Roger-Quilliot

qui pourraient tout aussi bien décrire le sort réservé au malheureux acrobate : « Lorsque la pauvre victime de l’imagination populaire et de la fausse critique, encouragée par ses premiers succès, s’élance pour tenter de s’envoler plus haut dans l’empyréen, non content de la ramener brutalement au sol, l’obligeant ainsi à quitter ses hauteurs éthérées, on lui coupe aussi les ailes et on lui fait comprendre qu’elle ne peut en aucun cas laisser libre cours à sa volonté propre ⁷. » D’après Roosevelt, Doré se voyait comme une victime de sa peinture, cette dernière constituant à ses yeux le désespoir de sa vie ⁸. Il était aussi étouffé par une mère autoritaire et, bien qu’elle fût son plus fervent soutien, dut souffrir du contrôle qu’elle exerçait sur lui, victime des ambitions maternelles, comme des siennes propres ⁹. Enfin, Doré fut victime de son plus grand amour, la chanteuse d’opéra Adelina Patti qui, en en épousant un autre en 1868, lui brisa le cœur. Quand ce mariage prit fin, en 1877, Doré lui avoua avoir peint ses peines et l’avoir représentée dans ses œuvres de façon quasi imperceptible pour d’autres que lui-même ¹⁰. Les photographies d’Adelina Patti, une très belle femme à la longue chevelure sombre, nous laissent à penser que Doré se serait inspiré d’elle pour peindre la mère du jeune acrobate. L’atmosphère tragique qui se dégage du tableau bouleversa au moins deux contemporains de l’artiste. Blanchard Jerrold, biographe et ami de Doré, déclara qu’il était « presque impossible 1  Les saltimbanques et les forains étaient une source d’inspiration importante pour les artistes et les écrivains du xix e siècle. Honoré Daumier a traité ce thème à de nombreuses reprises, en se concentrant sur l’aspect sinistre de leur vie marginale. Dans l’œuvre littéraire de plusieurs écrivains de l’époque, parmi lesquels Charles Baudelaire et Théodore de Banville, le saltimbanque apparaît également comme la métaphore de l’artiste mis au ban de la société. Sur ce thème de l’artiste en saltimbanque, voir Pierre Théberge et Jean Clair (sous la direction de), La Grande Parade, portrait de l’artiste en clown, Paris, Gallimard, 2004. Sur le thème de l’artiste en bohémien, voir Philippe Kaenel, « Imag(in)er la vie d’artiste », [à paraître].  2  Lucy H. Hooper, « Among the Studios of Paris. II », The Art Journal, 1875, vol. 1, p. 90. Le tableau était intitulé La Victime lorsqu’on l’exposa à Paris en 1877 ; voir R. B., « Exposition du Cercle de l’union artistique », La Chronique des arts, n o 2, 1877, [p. 9], et Lucy H. Hooper, « Art in Paris », The Art Journal, vol. 3, 1877, p. 60.  3  Lucy H. Hooper, « Gustave Doré and His Latest Works », Appletons’ Journal, 18 juillet 1874, p. 81.  4  Voir Brenda Assael, The Circus and Victorian Society, Charlottesville et Londres, University of Virginia Press, 2005, p. 137-152.  5  Voir Philippe Kaenel, Le Métier d’illustrateur, 1830-1880, Rodolphe Töpffer, J.-J. Grandville, Gustave Doré, 2 e éd., Genève, Droz, 2005, p. 457-460.  6  Blanche Roosevelt, La Vie et les œuvres de Gustave Doré, d’après les souvenirs de sa famille, de ses amis et de l’auteur, Paris, Librairie illustrée, 1887, p. 259-264.  7  Blanche Roosevelt, The Life and Reminiscences of Gustave Doré, New York, Cassell & Company, 1885, p. 322.  8  Blanche Roosevelt, La Vie et les œuvres de Gustave Doré […], op. cit., p. 264.  9  Voir Philippe Kaenel, op. cit., p. 481-485.  10  À propos de Patti, voir Dan Malan, Gustave Doré: Adrift on Dreams of Splendor, Saint Louis, Malan Classical Enterprise, 1995, p. 109-113. Malan identifie Adelina Patti comme étant l’auteur d’un petit pamphlet sur Doré paru en 1893 (p. 116).

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45  Gustave Doré, « Les bains de mer », Musée français-anglais, no 21, septembre 1856 Lithographie, 32,7 × 45 cm New York, The Morgan Library & Museum 46  Gustave Doré, « 1830 – ou Romantisme, bon ton et promenade sur le lac », lithographie pour Folies gauloises depuis les Romains jusqu’à nos jours […] de Vayron, Paris, au bureau du Journal amusant, 1859, in-4o oblong Bourg-en-Bresse, musée du Monastère royal de Brou 47  Gustave Doré, La Nuit de Noël, s. d. Encre noire et gouache, 75 × 51,5 cm Paris, musée d’Orsay

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GARGANTUA ET PANTAGRUEL

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48-53  Œuvres de Rabelais, illustré par Gustave Doré, Paris Garnier Frères, 1873, 2 vol., in-fol. LI, ch XXXVI ; LI, ch XIV ; LIV, ch XXXVII ; LV, ch X ; LV, ch XL ; LV, ch XXVII

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chez Cassel, Petter and Galpin en 1866, qui montrent la bestialisation de Satan, Lucifer, ange déchu, et qui s’achèvent sur l’image d’Adam et Ève quittant le paradis ¹². La Bible monumentale de Doré n’est ni la première ni la dernière du genre au xix e siècle : que l’on songe à celles d’Achille Devéria en 1839, de Célestin Nanteuil en 1858 et surtout de Julius Schnorr von Carolsfeld en 1860, dont l’ouvrage compte deux cent quarante xylographies. L’édition de 1866 précède deux autres entreprises françaises majeures : celles d’Alexandre Bida pour Hachette en 1873 et de James Tissot, chez Mame encore, en 1896-1897. Jamais dans l’histoire des représentations chrétiennes n’avait-on tant imagé, tant imaginé la Bible, tant amplifié par la narration visuelle des textes offrant en euxmêmes très peu d’appuis scénographiques. La « Bible de Doré » a joué un rôle central dans cet essor, ne serait-ce que par sa diffusion mondiale ¹³, son format et sa technique en clair-obscur. Tous les artistes des générations ultérieures ont dû se positionner par rapport à cette nouvelle vulgate visuelle, mais aussi face aux révisions contemporaines du Nouveau Testament et en particulier de l’image de Jésus. En effet, alors que l’ouvrage est en cours d’exécution paraît un livre polémique qui fait date dans l’histoire de la culture religieuse occidentale. En 1863, la Vie de Jésus d’Ernest Renan, alors professeur au Collège de France, connaît huit éditions en trois mois et cinq traductions en allemand, devenant l’un des best-sellers de la librairie au xix e siècle. Renan fait de Jésus le personnage d’un roman historique et anthropologique : un doux rêveur, un promeneur dans la campagne de Galilée, surpris par le drame auquel il prend part. Son récit participe surtout de la quête du Jésus historique par la théologie, depuis Hermann Samuel Reimarus, Friedrich Schleiermacher et surtout David Strauss. Notons que les dessins de Doré ne suivent pas les textes qu’ils illustrent. Ils forment une séquence visuelle parallèle, non synchronisée avec eux. Tout en rendant hommage aux modèles incontournables de la tradition artistique (les Michel-Ange, Raphaël, Rubens, Rembrandt, Poussin, Martin, Delacroix…), ce corpus iconographique, d’une ampleur sans égale, offre nombre de scènes de pure invention qui ont renouvelé le répertoire contemporain. Relevons encore que Doré n’a pas été en mesure de jouer de la couleur locale comme avec son Don Quichotte (ill. 95-102). En effet, à la différence de ses concurrents contemporains et futurs, Alexandre Bida et James Tissot, il ne s’est jamais rendu au Moyen-Orient. Tout distingue Bida de Doré. Marqué par l’éducation de son oncle abbé, après des études de latin, grec, théologie, celui-là renonce à une carrière dans les ordres, rejoint l’atelier de Delacroix et voyage à plusieurs reprises au Moyen-Orient, en 1843, 1850 et 1856 ¹⁴. Peintre orientaliste de renom, il est envoyé en 1861 par Hachette en Palestine en vue de l’illustration de la Bible – raison pour laquelle, à peu près au même moment, Doré entre en relation avec Mame. À Jérusalem, Bida tombe sur un certain 12  Sur Milton en images, voir Roland Mushat Frye, Milton’s Imagery and the Visual Arts: Iconographic Tradition in the Epic Poems, Princeton, Princeton University Press, 1978.  13  Dan Malan (op. cit., p. 81 et suiv.) a relevé près de sept cents éditions contenant des illustrations de la Bible : « Ne sommes-nous pas en mesure d’affirmer qu’il s’agit des illustrations les plus célèbres de l’histoire de l’humanité ?» (p. 81.)  14  Sur Bida, voir notamment Michèle Malembits, « Alexandre Bida, un Orient en noir et blanc », Histoire de l’art, n o 51, novembre 2002, p. 101-113.  158

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158  Gustave Doré, Ecce homo, 1878 Huile sur toile, 240 × 162 cm Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris 159  Gustave Doré, Le Christ au roseau, 1874 Plume, pierre noire et rehauts de blanc, 58 × 44 cm Pontoise, musée Tavet-Delacour

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190  Gustave Doré, Souvenir de loch Lomond, 1875 Huile sur toile, 131 × 196 cm New York, French & Company

191  Gustave Doré, Loch Lomond, 1875 Huile sur toile, 121,9 × 190,5 cm Saint Louis Art Museum

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le xix e siècle, et lors de l’étape parisienne de l’exposition, à l’autre grand plâtre original connu, La Gloire étouffant le Génie. La compo­sition triangulaire de La Parque et l’Amour est classiquement ramassée, ce qui n’est guère surprenant pour un premier essai en sculpture. Elle est rythmée par la pose élégante, praxitélisante, du jeune adolescent et se place, dans le traitement du lourd drapé enveloppant Atropos, dans la lignée des représentations de la Vierge et l’Enfant renaissantes. L’œuvre se veut savante par l’abondance des symboles, ciseaux (ou plutôt sécateurs), sablier, carquois, quenouille, arc (aujourd’hui disparu)… qui alourdit quelque peu un ensemble déjà démonstratif, comme le souligna la critique lors de la deuxième présentation du groupe à l’Exposition universelle de 1878 : « Le nombre de statues qui visent à la profondeur est de plus en plus restreint. Cependant, on en voit toujours quelques-unes où il y a trop d’intentions, par exemple L’Amour et la Parque de M. Doré ¹¹. » Doré fit rarement simple et elliptique, mais sa première sculpture concentre sa démonstration de manière assez synthétique. Il comptait beaucoup sur le succès éventuel de cette première image forte, qui faillit d’ailleurs être refusée par le jury du Salon ¹², comme il l’expliquait aux propriétaires de la Doré Gallery à Londres : « Je vous envoie les épreuves de l’œuvre avec laquelle je vais me présenter au public dans huit jours au Salon (ma statue) et dont je crois qu’il serait fait grand bruit […]. Je ne manquerai pas de critiques et d’attaques car je crois qu’il y en a plus d’un que cela contrariera de me voir sculpteur, mais enfin, j’espère trouver aussi de bons défenseurs ¹³. » La Parque et l’Amour se distinguait, par sa masse et son sujet, des autres groupes imposants exposés cette annéelà, tel l’Hercule et Omphale de Blanchard. Sur une vue du Salon conservée dans les précieux albums Michelez, le groupe de Doré domine figures isolées et bustes éparpillés au milieu des plantes vertes ¹⁴ ; il n’est pas encore patiné bronze. La réception fut plutôt favorable, marquée par l’étonnement général de cette nouvelle facette, convaincante, d’un talent aussi prolixe, mais ne fut pas à la hauteur des espérances de l’artiste. Le critique Charles Timbal résuma bien l’opinion commune, qui n’était pas sans injustice : « À quoi ne forces-tu pas les mortels, famae sacra

fames ? M. Doré n’est pas content de n’être qu’un dessinateur, voire même qu’un peintre. Lui aussi, il a voulu faire œuvre de sculpteur, et vraiment, pour un débutant, il n’a pas trop échoué. La Parque et l’Amour offre de bonnes parties, presque suffisamment étudiées, où se retrouve avec plus de précision – sculpture oblige – la facilité du célèbre improvisateur. Le tout se présente avec la modestie d’une ébauche, et l’espoir secret d’être accepté comme quelque chose d’achevé ; mais il y manque ce je-ne-saisquoi, sans lequel la plus belle des esquisses retourne à l’atelier et appelle de nouveau l’ébauchoir […]. Évidemment, il faut ranger M. Doré parmi ces enfants bien doués, mais quelquefois gâtés par leurs dons, qui réussissent à peu près dans tout ce qu’ils entreprennent. Avec tant de lauriers déjà placés sur sa tête, comment ne se tient-il pas pour satisfait et pourquoi ceux des autres l’empêchent-ils de dormir ¹⁵ ? » D’autres appréciaient « la délicate précision bien surprenante de la part d’un homme qui pour la première fois a pétri la glaise et manié l’ébauchoir ¹⁶ ». Castagnary expédia lapidairement ce début de Doré, mais quelle part de l’œuvre aurait pu trouver grâce à ses yeux ? « Nous constaterons avec tristesse, que, mauvais dessinateur et mauvais peintre, M. Gustave Doré vient d’ajouter à sa réputation celle de mauvais sculpteur. Quel bénéfice en tirera-t-il ¹⁷ ? » Doré fut blessé de l’accueil réservé fait à son groupe, comme semble l’indiquer la caricature empathique de son ami Cham publiée dans Le Salon pour rire de 1877 ¹⁸. Il n’en persévéra pas moins, ayant sans doute déjà bien avancé son prochain envoi, La Gloire étouffant le Génie et Le Poème de la vigne, comme en témoigne le Journal des Goncourt début septembre 1877 ¹⁹.

LES AMBIGUÏTÉS DE L’ALLÉGORIE Doré déclina comme un leitmotiv, dans sa sculpture symbolique monumentale, le motif du corps juvénile contrastant avec la vieillesse ou enveloppé dans une étreinte mortelle. Il connaissait sans doute l’œuvre d’un macabre impressionnant exposée par Émile Hébert aux Salons de 1859 et 1863, Et toujours ! Et jamais ! (ill. 208), quintessence de la sculpture postromantique, mais n’alla jamais jusqu’à cette illustration brutale du thème de la jeune fille et la Mort. Les grands groupes allégoriques de Doré se focalisent sur le corps masculin, nu, captif ou victime d’une figure féminine maléfique vêtue : l’Amour, adolescent gracieux niché dans les lourdes draperies de la Parque, le génie éphèbe poignardé de La Gloire étouffant le Génie, ou encore, plus attendu, avec un certain accent néobaroque, Ganymède, tel un saint Sébastien, enlevé par l’aigle de Zeus (1878, plâtre, non localisé). La Gloire étouffant le Génie, présentée au Salon de 1878, est un autre manifeste, un peu plus « opaque » selon la critique du temps, que le premier envoi, l’année précédente. Désormais aptère, le plâtre original, malgré sa forte présence, ne donne plus toute la mesure visuelle qui prenait corps dans une envolée d’ailes, comme en témoigne la vue du Salon de 1878 11  Louis Ménard, « La sculpture à l’Exposition universelle de 1878 », L’Art, 1879, t. I, p. 261.  12  « Voici M. Gustave Doré qui se fait sculpteur après avoir fait tout ce qui concerne son état d’improvisateur sur bois et sur toile et il faut convenir qu’il ne s’en tire pas mal pour un premier essai. On dit que son groupe a failli être refusé », « Le Salon de 1877 », L’Art, t. ix, p. 152.  13  Cité par Clapp et Lehni, art. cit., p. 219.  14  Album Michelez, « Salon de 1877 », fol. 30, Paris, Archives nationales.  15  Charles Timbal, « La sculpture au Salon, 1 er article », Gazette des beaux-arts, 1877, t. I, p. 544.  16  Henry Houssaye, « Le Salon de 1877 », Revue des deux mondes, repris dans L’Art français depuis dix ans, Paris, Didier et C  ie, 1883, p. 185.  17  Castagnary, « Année 1877, sculpture », in Salons (1872-1879), Paris, G. Charpentier et E. Fasquelle, 1892, t. II, p. 286.  18  Cham, « M. Gustave Doré. L’Amour de l’art raconte tout ce que Gustave Doré a fait pour lui, demandant pour ce grand artiste une juste récompense », caricature publiée dans Le Salon pour rire, 1877.  19  Edmond et Jules de Goncourt, Journal, 1 er septembre 1877, Paris, Fasquelle-Flammarion, 1956, t. IV, p. 1199.

206  Gustave Doré, La Gloire étouffant le Génie, 1878 Plâtre, 255 × 163 × 146 cm Ville de Maubeuge, musée Henri-Boez 207 Gustave Doré, Joyeuseté, dit aussi À sautemouton, 1881 Bronze, 36,5 × 27 × 17 cm, Paris, musée d’Orsay 206

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