Sommaire
Miquel Barceló 18 Bartabas 30 Guy Bedos 38 Christian Boltanski 48 Denis Dailleux 58 Jérôme Deschamps 66 Natalie Dessay 74 Catherine Frot 84 Gilbert Garcin 94 Jérôme Garcin 102 Gérard Garouste 116 Christophe Honoré 126 Juliette 134 Jean-Paul Kauffmann 6
Manu Larcenet 150 Bruno Mantovani 160 Laurent Mauvignier 168 Miss.Tic 142
178
Orlan
Alain Passard 196 Angelin Preljocaj 206 Olivier Py 216 Pierre Soulages 230 Alexandre Tharaud 240 Jean-Louis Trintignant 248 Fabienne Verdier 260 Mâkhi Xenakis 188
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Remerciements
L’atelier dE Miquel barcelO « Je maintiens que l’échec est un droit et que si on le craint, on ne peut rien faire. Dans l’art, il faut savoir traverser l’échec, c’est toujours après qu’il se produit quelque chose. »
Vous avez grandi sous Franco, vous avez reçu et rejeté une éducation catholique et vous êtes aujourd’hui athée.
J’ai reçu une éducation lamentable avec une présence de l’Église partout, dans une sorte de grisaille générale. Pourtant, ce sont surtout les gens qui ont dix ou quinze ans de plus que moi qui ont vraiment souffert de Franco. J’ai reçu quelques coups de matraque, ce n’est pas grand chose, en comparaison des amis qui ont passé du temps en prison. En 1975, j’avais 18 ans et le sport national était de courir vite pour échapper aux flics ! Les livres m’ont permis de sortir de cette éducation étriquée. La littérature et l’art étaient une planche de salut, mais la littérature, dans un premier temps, était plus accessible. Je me rappelle bien, très jeune, avoir lu Borges ou Kafka. Ce sont de grands moments pour moi, aussi importants que ma découverte de Picasso ou de Pollock. La poésie aussi m’a marqué. Parmi mes amis d’adolescence, il y avait plus de poètes que de peintres. Dans les années 1970, vous dessinez et vous peignez, vous n’êtes pas encore au stade de la céramique…
Je créais alors des objets avec de la viande pourrie, des choses « anti-peinture », plutôt conceptuelles. Quand la boîte se cassait, ça sentait très mauvais parce que la viande était en état de putréfaction ! Il y avait 225 boîtes, 15 séries de 15 éléments, 15 cœurs de mouton, 15 poissons et l’exposition durait 15 jours. Dès le premier jour de l’exposition, il y avait un cœur tout frais et un cœur de 15 jours… Vous voyez bien le processus de dégradation. Ensuite, vers 1975 ou 1977, j’ai réalisé des peintures en mélangeant de la matière organique à la peinture, pour provoquer des moisissures, des craquelures… Mais je me rappelle très bien le moment où j’ai décidé de trancher sur le fait de peindre des tableaux stables ou non. Je me suis dit que c’était une imposture de faire des « anti-tableaux » pour faire, au fond, des tas de peinture ! En ce moment, je fais des tableaux tout noirs… Celui-là, c’est un tableau carré, un grand tableau de 2,50 par 2,50 m. D’abord, je peins une vague de peinture en utilisant beaucoup de matière. Avec une sorte de pâte, je crée un relief. Il faut quelques kilos de peinture pour réaliser une, deux, trois, quatre, cinq vagues diagonales. Ensuite, je cuis la toile dans la cheminée à céramiques, une grande cheminée, un four énorme. La suie se fixe sur la toile. C’est comme si la toile avait survécu à un incendie. Ensuite, je gratte avec un ongle pour créer un visage, par exemple.
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L’Atelier
L’Atelier de Catherine Frot « J’ai envie de dépasser l’ordinaire du théâtre, d’être dans quelque chose d’un peu extraordinaire, qui m’interroge profondément. »
Zavata s’est suicidé, c’était un drôle de bonhomme paraît-il, mais l’artiste que j’ai vu au cirque quand j’étais petite, je ne l’ai jamais oublié.
je ne peux plus faire les jeunes filles… Les jeunes premières sont merveilleuses chez Molière et les soubrettes… Mais les tragédies aussi, m’attirent, Phèdre ou Bérénice…
Qu’est-ce qui a déclenché une envie de scène ?
Ma mère était prof de maths, mais elle a toujours joué du piano ; mon père, ingénieur dans le pétrole, passait son temps à faire le clown. Quant à ma sœur, la comédienne Dominique Frot, elle a démarré par le piano. Elle a été concertiste dans ses toutes premières années étudiantes et après elle s’est lancée dans le théâtre. Notre histoire familiale est vraiment liée à l’art.
Oui, je vous vois bien chez Racine aussi.
Mais oui, moi aussi je m’y vois bien !
Vous vous racontez une histoire quand vous jouez ?
Plus ou moins, je ne sais pas encore bien laquelle et puis on a recherché des données concrètes : un sac, une ombrelle, il fait chaud, un mari se réveille, il y a le réveil-matin, puis il y a le coucher, l’ennui, celui qui consiste à savoir comment on occupe une journée et quelle relation on a encore au bout de tout ce temps de mariage mon cher mari et moi-même, c’est la question, ce n’est que ça, c’est concret et ça appartient absolument à tout le monde… Nous voyons cette femme qui est en train de s’enfoncer dans la terre, qui vit une journée sous le soleil, peut-être sa dernière journée, et elle ne vit que dans le présent, sans voir la tragédie qui est la sienne.
C’est drôle parce qu’au début, ce texte m’apparaissait abstrait, j’avais une sensation évanescente des choses. Or, plus on travaille, plus je vois apparaître quelque chose de net, de clair, comme si une photo se révélait. Je voudrais rendre cette apparition. Vous êtes passée de l’abstraction au réalisme ?
Oui. Un rôle se révèle comme une photo ?
Certains rôles, oui. Quand il y a une vraie écriture, une écriture un peu solide. On ressent ça avec les grands classiques : Shakespeare, Molière. Molière, vous ne l’avez pas joué ?
Non. Je l’ai beaucoup travaillé quand j’étais à l’École, au Conservatoire, mais je ne l’ai pas joué. J’aimerais bien jouer les grandes servantes, les mères,
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L’Atelier
catherine frot
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