Peinture- musée d'orsay

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Temps modernes Stéphane Guégan

Ce livre marque moins un anniversaire qu’une renaissance. Orsay, bien entendu, vient de souffler ses vingtcinq premières bougies. En un quart de siècle, le musée a inscrit dans la durée et le succès son destin unique. Même réduit à ses tableaux – l’objet des pages qui suivent –, il n’a pas d’équivalent et couvre les années 1840 - 1914 comme aucune autre institution. Un privilège qu’il doit d’abord à la richesse de ses collections, où le souvenir des grands collectionneurs l’emporte de loin sur l’action de l’État, très frileuse en matière d’art « moderne » à partir du Second Empire. Aucune raison de le déplorer, du reste, sauf à rêver d’une régulation exclusive de l’activité créatrice par les pouvoirs publics ! Mais la vraie singularité d’Orsay, précisément, c’est qu’il donne accès à une tranche entière de l’histoire des arts, et éclaire d’une lumière égale ceux qui ont traversé le temps en vainqueurs, de Manet à Matisse, et leurs victimes, de Couture à Bonnat. Vérifiant l’adage biblique, les derniers sont devenus les premiers. Les favoris des ministères, de la révolution de 48 à la guerre de 14, sont désormais distancés par les « refusés » de l’administration. Faut-il pour autant souligner à nouveau le divorce qui se serait creusé après 1850 entre la culture vivante et le mécénat officiel ? Le présent ouvrage voudrait secouer cette opposition manichéenne et lui substituer une approche plus mêlée, plus synchronique et dialectique à la fois, de la peinture du moment. Il prend acte du retour de certains tableaux sur les murs d’Orsay, comme des enrichissements qui ont modifié récemment la physionomie des salles, déjà révolutionnées par la remise en couleurs des cimaises et leur éclairage sensiblement perfectionné. Nous parlions à dessein d’une renaissance en commençant. Paradoxe, elle concerne en premier lieu cette secte mal définie que l’on appelle les « pompiers ». Au fil des années, et au mépris de l’œcuménisme qui avait présidé à son programme originel, Orsay s’était en effet dépeuplé de ses grandes machines, voire de ses vastes tartines, où le génie du xıx e siècle eut sa part autant que les pires chromos dont le Grand Larousse prolongea la survie jusqu’aux années 1920. Que l’on puisse à nouveau juger sur pièce les toiles jadis fêtées de Bouguereau, Barrias, Robert-Fleury, Gervex, Dinet et même Geoffroy, voilà qui est réconfortant. C’est surtout un préalable nécessaire à qui veut saisir en profondeur la vie des formes tout au long de notre période, et les liens que nouent l’histoire et l’art, autre centre de gravité du nouvel accrochage. On aurait tort de parler de réhabilitation, comme on a pu le dire lors de l’ouverture du musée, quand il était de bon ton 7


Peintures

Eugène Delacroix, Chasse aux lions, 1854 17


Les Romains de la décadence 1847 Thomas Couture

Jean-Léon Gérôme, Jeunes Grecs faisant battre des coqs, 1846 20


Les Romains de la décadence, 1847 Thomas Couture

Depuis sa création, le musée d’Orsay réunit les deux tableaux qui firent l’éclat du Salon de 1847, le dernier avant la fin brutale du règne de Louis-Philippe. Les tensions politiques de l’époque, du reste, s’y font sentir de façon inégale ! Chez Jean-Léon Gérôme ( 1824 - 1904 ) et ses Jeunes Grecs faisant battre des coqs, où s’inaugure un nouvel hellénisme plus solaire que spartiate, il semble impossible de dégager la moindre allusion aux difficultés du régime moribond. À l’inverse, elles se dessinent clairement derrière la tapageuse mise en scène des Romains de la décadence et les vers de Juvénal qu’ils illustrent. Thomas Couture, trente-deux ans, revenait au Salon après une longue absence, pour y sceller sa réputation naissante et rafraîchir la vieille peinture d’histoire. Seuls la grandeur de sa toile et son décor architectural à colonnes corinthiennes font songer à la déclamation des classiques. D’héroïsme infaillible, en revanche, il n’est plus question. Cette immense orgie renvoyait davantage aux vices de l’ancienne Rome, saisie à son crépuscule, s’épuisant dans les plaisirs et tournant le dos aux vertus qui avaient forgé et soudé la République. Miroir grossissant de la société philipparde, les noceurs de Couture, entre le vin et les femmes, finissent de s’ébattre sous l’œil sévère des ancêtres de marbre, rangée de statues inflexibles évocatrice des ficelles du drame romantique. Le peintre, il est vrai, fréquente alors les fils de Victor Hugo et l’historien Jules Michelet, en délicatesse avec la monarchie de Juillet. En plus de ses lectures et de ses amitiés, propres à l’éloigner de l’académisme de l’École des beaux-arts, Couture n’a pas oublié l’enseignement d’Antoine-Jean Gros, dont la verve sanglante est inséparable des batailles de Napoléon I er. L’œuvre majeure du Salon de 1847 en découle à sa façon, qui consiste à redonner vie aux codes, eux aussi épuisés, du « grand genre ». Aux yeux des contemporains, Couture passe aussitôt pour « plus curieux du vrai que du beau, du réel que de l’idéal ; son génie, et c’est là sa force, est essentiellement moderne » (Théophile Gautier). Manet, qui devait rester six ans auprès de l’auteur fêté des Romains, ne choisit pas ce maître au hasard, dès la fin de l’année 1849 en pleine République retrouvée.

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Carolus-Duran, La Dame au gant, 1869 1 02

Édouard Manet, Portrait d’Émile Zola, 1868

Édouard Manet, Le Balcon, 1868 - 1869 103


← Vincent Van Gogh, La Nuit étoilée, 1888 Vincent Van Gogh, Eugène Boch, 1888 2 10

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