SOMMAIRE
Albert Harlingue, Rodin au milieu de ses antiques à Meudon, vers 1910
Épreuve gélatino-argentique, 12 × 17,2 cm. Ph. 8
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INTRODUCTION
10 22 28
RODIN – 1900-1914 Le temps des expositions Les métamorphoses du sculpteur La reconnaissance du génie
34 43 46 50 58 60
L’ŒUVRE ULTIME – 1900-1917 La qualification monumentale L’autonomie de la forme Les figures de l’inachèvement « L’absolue liberté de l’esprit » Figurer les corps L’œuvre ultime
70 74 78 80 82 87
LES ANNÉES DE GUERRE « C’est la fin » « Tous sont malheureux » « Des doutes amers » « Quelle douleur » Londres, Rome, Paris : la fin d’un voyage S’enraciner
92 98 102 104 108
INCARNER LA SCULPTURE L’idée d’un musée Un sculpteur français Les trois donations « Un art libre dans un État protecteur » « Un précieux auxiliaire de l’éducation du peuple »
114 114 116 124
L’ANNÉE 1917 Le conseil de famille « Rodin-Gestion artistique (Léonce Bénédite) » L’atelier sans maître « Pour répondre à votre désir »
132 134 139
LA MORT DE RODIN – Épilogue « Je lègue ma montre à Auguste Beuret » Le moine de l’art « Le génie de Rodin »
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ANNEXES Notes Bibliographie Index des noms propres Index des œuvres de Rodin
Rodin 1900-1914
1. Nadar, Portrait d’Auguste Rodin, vers 1900
Aristotype, 14,5 Ă— 10,6 cm. Ph. 176
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rodin. les métaphores du génie
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19. Anonyme, Rainer Maria Rilke à l’hôtel Biron en 1908
Épreuve gélatino-argentique, 16 × 11,5 cm. Ph. 694
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et où elle peut être identifiée, par les visiteurs, à la personne même de son créateur. Il en sera aussi ainsi pour l’hôtel Biron, un exceptionnel édifice du xviiie siècle bâti entre cour et jardin sur une parcelle de cinq hectares, au 77, rue de Varenne, que Rodin découvre grâce à Rainer Maria Rilke en 1908 et occupe partiellement dès cette même année. L’artiste en deviendra, après avoir été menacé d’en être expulsé, le seul locataire en juillet 1912. Il s’agissait d’un ancien établissement d’enseignement religieux, propriété depuis 1820 de la Société du Sacré-Cœur-de-Jésus, loué à des artistes après le départ des religieuses à la suite de la loi sur les congrégations de 1904 ; l’État en fera l’acquisition en 1911 auprès de la Société du Sacré-Cœur pour la somme de six millions de francs. Consentie à Rodin à titre précaire, l’autorisation d’occupation lui fut périodiquement renouvelée par le soussecrétariat aux Beaux-Arts jusqu’en 1915. Le sculpteur aménagea l’hôtel en le meublant succinctement, mais surtout en y disposant ses propres œuvres, ses dessins, ainsi qu’une
partie de sa collection d’antiques. Demeure historique et aristocratique, l’hôtel Biron confère symboliquement à l’œuvre la légitimité de l’histoire et, à la figure de l’artiste, une postérité que son âge ne saurait désormais démentir. C’est là que Rodin reçoit les personnalités et les collectionneurs qui le sollicitent plutôt que dans son atelier du dépôt des marbres, cet atelier de travail qui lui avait été attribué par l’État en 1880, lors de la commande de la Porte de l’Enfer. Disposer, à Paris – comme à Meudon –, d’un lieu de présentation de ses œuvres, distinct de celui de leur conception, en y associant, dans l’hôtel comme dans le jardin, des antiques et des sculptures médiévales, c’était aussi, pour l’artiste, la possibilité d’en faire le support de son propre discours sur l’art45. De manière convergente, au cours de cette même décennie, Rodin prend d’ailleurs l’initiative de rapporter, sous son nom et sous la forme d’articles et d’entretiens, ses propos sur l’art : en 1904 et 1914, il fait paraître deux articles sur la statuaire antique46, et en 1911, sous le titre de L’Art, ses entretiens avec Paul Gsell47, suivis, en 1913, de ceux avec Henri Dujardin-Beaumetz48 qui avait occupé les fonctions de sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts jusqu’en 1912. Dans ces publications, Rodin substitue sa propre parole à l’élaboration littéraire et critique qu’en faisaient écrivains et journalistes depuis le début des années 1880.
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20. Claude Harris, Le vestibule de l’hôtel Biron en décembre 1913
Épreuve gélatino-argentique, 15,8 × 20,2 cm. Ph. 1981
La reconnaissance du génie En 1910, Rodin a soixante-dix ans. Outre le cercle de ceux, artistes, écrivains, journalistes, critiques d’art, intellectuels, qui le côtoient depuis plus de deux décennies, il appartient à une « élite49 » dont la fréquentation des membres qui la constitue peut être induite par leur activité – industriels, aristocrates, politiciens, hommes de lettres ou musiciens éminents, dont il reçoit parfois la commande d’un buste ou d’un portrait. Mais il peut aussi bien s’agir de chefs d’État ou de gouvernement, de ministres, de responsables politiques, de hauts fonctionnaires, de collectionneurs, qui visitent son atelier, à Paris ou à Meudon, ou de ceux qu’il rencontre dans les palais de la République et les ambassades, ou encore de ceux qu’il fréquente, avec qui 21. Jacques-Ernest Bulloz, Vue d’ensemble du pavillon—musée de Meudon, 1904-1905
Épreuve gélatino-argentique, 28,5 × 37,8 cm. Ph. 1100
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28. Anonyme, Le Penseur devant le Panthéon, après 1906 Épreuve gélatino-argentique, 27,9 × 21,8 cm. Ph. 2881
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29. Edvard Munch, “Le Penseur” dans le parc du docteur Linde à Lübeck, 1907
Huile sur toile, 122 × 78 cm. P. 7612
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46. Auguste Rodin, Architecture-sculpture. Femme nue une jambe levée, après 1900
Crayon au graphite, aquarelle et gouache sur papier, 32,5 × 49,6 cm. D. 4713
45. Auguste Rodin, Femme nue debout, une jambe levée devant l’autre, après 1900
47. Auguste Rodin, Femme nue assise de dos les bras levés, après 1896
Crayon au graphite, encres rouge et noire, aquarelle sur papier, 32,5 × 25 cm. D. 3978
Crayon au graphite et aquarelle sur papier, 32,3 × 49,1 cm. D. 4559
111. Auguste Rodin, Les Grandes Ombres, 1923 ?
Bronze, 191,5 × 191,8 × 115 cm. S. 6411
témoins lors du procès en contrefaçon intenté en 1919 par le musée Rodin contre le fondeur Montagutelli. Agissant avec la même circonspection, il avait alors préalablement décidé, cette même année 1919, « qu’aucun marbre ne serait plus exécuté pour la vente », en précisant « que les seuls marbres auxquels il a[vait] été travaillé durant [son] mandat étaient des commandes en train ordonnées par Rodin luimême, soit pour répondre à des engagements, soit pour son musée ».
“Pour répondre à votre désir” De même que pour sa gestion artistique, Léonce Bénédite invoque, pour l’installation du musée, l’assentiment préalable de Rodin en produisant un projet qui semble lui avoir été dicté par le sculpteur, mais qui avait été de fait rédigé par ses soins. Ce projet du musée avait d’ailleurs déjà été évoqué, en des termes similaires, à partir d’éléments préparés par Bénédite, dans le rapport élaboré pour l’examen du projet de loi de la donation, d’abord en commission,
puis au Sénat, les 26 octobre et 9 novembre 1916, mais aussi ultérieurement54. « Pour répondre à votre désir, écrit Léonce Bénédite en se substituant à Rodin, je vous donne ici quelques instructions pour préciser la part de collaboration que j’attends de vous et que vous voulez bien me donner. En ce qui concerne le musée, je vous ai déjà exposé mon programme ; je vous rappelle ici le plan qu’il convient d’adopter : la chapelle devra être consacrée particulièrement à mon œuvre monumentale et à mes grandes pièces […]. Les galeries latérales pourront être utilisées pour l’exposition des bustes ou des petits sujets en vitrines, terres cuites ou plâtres originaux […]. L’hôtel Biron, proprement dit, devra être consacré de préférence aux petits groupes en marbre dont le caractère concordera tout à fait avec l’aspect des lieux. Nous ferons un choix de dessins qui seront répartis dans toutes les salles avec les peintures modernes et nous disposerons également dans chaque pièce les meubles et objets d’art, céramiques ou bronzes, qui font partie de ma donation, de manière à donner à cet ensemble l’apparence d’une grande collection d’amateur. Les plus beaux antiques devront être rassemblés dans le vestibule et dans l’escalier de l’hôtel pour bien affirmer dès l’entrée la source d’inspiration à laquelle j’ai puisé toute ma vie […]. Vous trouverez aisément le moyen de grouper ou de disperser, suivant les besoins, les sujets d’Orient ou d’Extrême-Orient […]. Il faudra constituer dans le grand hall [de Meudon] un musée des modèles et des études de manière à présenter pour chacun de mes travaux son développement historique […]. » Faute de disposer d’une véritable référence pour concevoir un tel musée monographique, Léonce Bénédite tente d’opérer une synthèse de différents modèles existants : un musée des chefs-d’œuvre dans la chapelle ; une maison, prestigieuse et aristocratique, aménagée dans l’hôtel Biron, symbole du « génie artiste » dont le talent et la singularité55 se confondent désormais avec la postérité, où le visiteur sera reçu en l’absence du maître – c’est le modèle qui a prévalu, non sans nostalgie pro domo, jusqu’en 201256 ; un musée des modèles, enfin, à Meudon, dont la conception évoluera, après
l’année 1917
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rodin. les métaphores du génie
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112. Auguste Rodin, La Porte de l’Enfer, 1880-1917 Bronze, fonte au sable, 1926-1929, 635 × 400 × 85 cm. S. 1304