Sur la route des plus belles légendes celtes

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Sur la route des plus belles

légendes celtes

Alan Stivell

Alors qu’il était enfant, Alan Stivell, en jouant sur la harpe celtique créée par son père, a fait avec lui renaître l’instrument. Quelques années plus tard, il le fera connaître dans le monde entier. Avant de devenir un chanteur, arrangeur, compositeur et auteur célèbre, il étudie la culture celte sous tous ses aspects, et conceptualise la musique celtique, le rock celtique, la world music et ses métissages, puis en devient le promoteur. Dès les années 1970, il connaît un énorme succès auprès du public européen et international. Un succès étonnant pour quelqu’un qui s’exprime le plus souvent en langue bretonne et propose des musiques innovantes et hors des formats commerciaux. Ce renouveau de la musique celtique a eu une réelle influence sur les mentalités et sur l’image de la Bretagne et de sa culture. À près de 70 ans, Alan Stivell continue à explorer de nouveaux champs d’expression très personnels, tout en installant encore davantage une « celtitude », affirmée et ouverte, dans la vie quotidienne du xxie siècle.

Une promenade lyrique et légendaire en terres celtes, aux côtés d’Alan Stivell

AVEC THIERRY JOLIF PHOTOGRAPHIES YVON BOËLLE

Compositeur et musicien attaché à composer au présent la culture de ses ancêtres, Alan Stivell nous entraîne de la Bretagne au pays de Galles, en passant par l'Irlande et l'Écosse,

Sur la route des plus belles

à la découverte des grands mythes celtes. Au fil des lieux magnifiquement photographiés par Yvon Boëlle, Alan Stivell évoque avec Thierry Jolif les grands textes qui ont nourri son imaginaire et sa créativité musicale.

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légendes celtes

Thierry Jolif est un chanteur, musicien, écrivain et essayiste. Il a étudié la civilisation celtique, le breton et l’irlandais, ses domaines de prédilection vont des religions anciennes aux formes d’art contemporain les plus extrêmes. C’est avec le groupe Dervenn et le compositeur et musicologue italien Grégorio Bardini qu’il a exprimé son intérêt pour la musique et la poésie celtiques.

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Création Studio Flammarion

Une échappée poétique à la découverte de contrées millénaires. Prix France : 35  ISBN : 978-2-0812-9294-9

ALAN STIVELL

Yvon Boëlle poursuit ses rêves photographiques en Bretagne et dans les pays celtes depuis plus de trente ans. Photographe de nature et de patrimoine, ses terrains de prédilection sont les pays de l'arc atlantique et les chemins de Compostelle.

11/10/13 11:10


sommaire Avant-propos | 8 Légendes de Bretagne | 10 Ker Ys | 12 Azenor | 16 Tour an Arvor (répertoire AS) | 22 Sawenn | 26

Légendes de Brocéliande | 34 Brocéliande (répertoire AS) | 36 La Fontaine de Barenton | 38 Guenièvre | 46 La Dame du Lac | 54 Le Val sans retour | 60 Des chevaux là-haut sur les monts | 66 La Coupe sacrée | 74 Avalon | 82 The Return (répertoire AS) | 90

Légendes de Cornouailles et du pays de Galles | 92 Le Chant de Taliesin | 94 Le Chant de Taliesin (répertoire AS) | 103 La Courtise d’Olwen | 106

Légendes d’Écosse, d’Irlande et de l’île de Man | 118 La Fille de la mer | 120 La Venue des peuples dieux de Dana | 132 Le Dagda et la Morrigan | 142 Le songe d’Angus | 148 Erinn | 156 Les Neuf Vagues et le pacte du Sidh | 166 Le voyage de Brann | 172 Tir na nÓg | 182 An Chathair Ghlegeal (répertoire AS) | 188 Lexique | 190


Ker Ys Comment échapper à la fascination de la légende d’Ys ? Ys, la rebelle, dont on disait que, lorsqu’elle resurgirait, Paris serait alors submergé. Et je rêvais, gamin, d’une grande vague celtique engloutissant Paris, comme je rêvais d’une cité de l’espace – à l’instar de la Station spatiale internationale (ISS). La légende de la cité d’Ys, que l’on situe en général dans la baie de Douarnenez, est certainement l’un des récits bretons les plus populaires. Si le Barzhaz Breizh, ou de vieilles femmes au coin de l’âtre, ont conté l’engloutissement de Ker Ys, je choisis de revenir à l’essentiel, à l’archétype. Ces deux lettres – YS – donnent une clef. Ys signifie « sous », « sous la mer », au plus profond. Évocation sans fin d’un monde enseveli qui pourrait resurgir. Cette histoire, vous allez l’entendre comme moi. Et comme moi, je l’espère, vous vous prendrez à rêver, à inverser le réel et à le réinventer. Place à la cité sous la mer. Place à Ker Ys.

K

er Ys, ville royale, la ville « basse » disait son nom, la ville « d’en dessous ». Belle ville bâtie au bord de la mer. Ville d’un roi, bon et affable, mais ville basse, menacée par les eaux proches et par l’orgueil de ses habitants peu soucieux des sages préceptes d’antan… Ys était protégée par la grande et mystérieuse barrière de la mer, une écluse étonnante, magique, disaient certains. Mais était-elle protégée pour toujours et à jamais ? Les anciens s’en souvenaient vaguement : rois, reines, princes et princesses étaient garants de ce mystérieux et subtil équilibre, de ces forces et énergies invisibles qu’ils se représentaient sous les traits d’une déesse. Une déesse mère, bonne et aimable mais parfois ombrageuse, cruelle guerrière et amante, aussi fougueuse que froide et résolue. Comme les eaux usent au fil des ans le bois, la pierre et le métal, le pouvoir use les hommes. Et les rois aussi bons et sages qu’ils soient devenus, de sauvages et brutaux qu’ils étaient, doivent à leur tour se rendre aux arrêts de cet usage. De grande bonté était Gralon le roi d’Ys ; son pouvoir était respecté. On le saluait avec admiration lorsqu’il se promenait dans la cité, dans son ample manteau de pourpre, ses cheveux blancs comme neige flottant au gré du vent et toujours sa chaîne d’or autour du cou. À la chaîne pendait une clef d’or, une clef aux grands pouvoirs. Mais désormais, il n’était plus craint et les débordements tempétueux de sa jeune fille Dahud n’étaient plus qu’un sujet étonnant pour les habitants de la ville basse, la ville d’Ys. Tout le monde remarquait que chacun de ses bijoux étincelants rehaussait la singulière beauté de Dahud, la fille du roi, que ses vêtements somptueux s’accordaient à merveille à l’éclat de sa peau et au chatoiement de ses cheveux. Blancheur profonde du cygne, reflets ondoyants et brunissant de l’or. Parmi la grande beauté et l’authentique noblesse de la jeunesse de la ville, Dahud se distinguait toujours. Elle ne semblait pas « d’ici ». Blanche comme les lys, Dahud, princesse de Ker Ys. Fille du roi ? En vérité, nul ne savait vraiment d’où elle venait. On n’avait, alors, d’une reine aucun souvenir. À dire vrai, on ne lui connaissait pas même de mère et si, sur le vieux roi, le passage des ans se marquait, le temps ne semblait avoir aucune prise sur la belle enfant d’Ys. Belle, si belle oui. Mais, dans

Ker Ys, ville basse protégée par la grande et mystérieuse barrière de la mer…

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Pointe de Pern, île d’Ouessant, Finistère.

sa beauté, quelque chose troublait le regard et le cœur. Sa splendeur faisait un peu peur. Dahud, da-hud, « bonne magie », c’était son nom… Était-ce le seul ? Gralon connaissait encore bien, lui, les coutumes anciennes, les forces à l’œuvre au-dessus et autour des hommes. À son cou, il portait une clef qu’à certaines dates seulement il fallait utiliser pour canaliser les flots, et tenir en équilibre harmonieux les forces, les énergies qui entourent et dominent les hommes. Mais hélas, les secrets les mieux gardés sont faits pour être divulgués. Pendant les réjouissances, les fêtes et les danses que la princesse organisait presque quotidiennement, de beaux et valeureux jeunes hommes venaient la courtiser. Et eux, princes, guerriers, artisans doués de leurs arts, solaires, bienveillants, galants autant que virils, pour quelques danses accordées, pour quelques accolades acceptées, quelques regards un peu appuyés se croyaient souvent vainqueurs et déjà fiers époux de la splendide Dahud. On raconte que c’est pour relever le défi d’un de ses amants que la fille déroba la clef à son père. Ker Ys fut dévastée, noyée, ensevelie sous les flots tumultueux. Dahud vola la clef et ouvrit en grand les portes qui contenaient la mer. Combien de générations depuis l’ont appelée la « maudite éclusière » ? Les grandes eaux, grises et glacées, dévastèrent

Légendes de Bretagne . 13


Légendes de

Brocéliande

B

rocéliande : une autre Bretagne, à la fois ici et ailleurs. Brocéliande ressemble à Ys. Ce monde

féerique devient ici celui de la forêt, cet autre océan tout aussi « glas », puisque, pour le Breton, vert et bleu ne sont qu’une super couleur fondamentale. An Argoad (l’Argoat) ou An

Arvor (l’Armor) sont deux mondes jumeaux. Brocéliande est aussi l’image d’une Bretagne universelle. Quel Européen, quel Américain n’a pas entendu parler d’Arthur, du Graal, de Lancelot ou de Viviane ? Peu connaissent l’ancrage réel de cette

épopée et la résistance de ses sources, en Bretagne, comme en Galles. Mais revenons à la forêt

enchantée.

Cette Brocéliande, aujourd’hui quelques lambeaux vers Paimpont (Haute Bretagne), un autre vers Le Huelgoat (Basse Bretagne), couvrait alors tout l’intérieur du pays. Dans ce monde, s’emmêlaient peur des brigands, peur de créatures de l’autre monde et merveilles promises. La présence mégalithique, les châteaux et les anciennes demeures ont favorisé de multiples

légendes. Des toponymes y évoquent le cycle arthurien comme c’est le cas aussi dans certains lieux de Grande-Bretagne et, pour être honnête, de Basse-Normandie. Le romantisme a ancré encore davantage ces légendes dans l’imaginaire breton. Brocéliande est un merveilleux terrain d’envol pour la pensée. La sensibilité de chaque être humain

peut y prendre force pour s’évader d’un réel trop trivial vers des mondes

Plus tard, je me suis installé à Langoned, non loin de lieux aux noms brocéliandais, à l’extrémité occi-

parallèles, se dépasser

dentale de la forêt magique. Je me suis installé maintenant non loin de ses confins orientaux (la forêt de

soi-même – ce qu’offrait de mieux la chevalerie, le genou à terre devant la dame et entrevoyant les pas-

Rennes, son cromlec’h de la Grande-Lune et un autre Belenton sont à deux pas).

serelles entre la terre et le ciel.

En 1970, je me trouvais enfin dans des conditions qui permettaient mon envol.

J’ai connu, très jeune, les forêts proches de Paimpont et celle du Huelgoat. Puis des tournages pour la

Le premier disque (single deux titres) dont j’étais entièrement maître d’œuvre ne pouvait, à mon

sens, qu’évoquer deux thèmes : la fête jusqu’à l’étourdissement et une Bretagne-poésie sublimée par le

télévision avec Paul-André Picton m’ont conduit en son cœur, dès la fin des années 1960. J’y ai joué des improvisations qui préfiguraient Ys. Puis j’y suis retourné, une nuit, avec Danièle Auray et Louis Roger

mythe ; la Bretagne au plus profond, celle dont on ne peut accepter la mort, ensevelie. Une récurrence

(le fabuleux peintre et réalisateur du film Vive eau dont j’ai créé la musique), en quête de la fontaine de

ou une obsession chez moi, enfant ou jeune adulte.

Barenton. Mais il aura fallu que je sois seul pour la retrouver un jour. Je me souviens que quelques instants avant de la trouver, je m’étais reposé et j’avais vu alors un grand oiseau multicolore s’envoler.

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Étang des Forges, forêt de Paimpont, Ille-et-Vilaine.

Car Brocéliande évoque, avant tout pour moi, le féerique et les « reflets » d’une Celtie au bois

dormant.

Légendes de Brocéliande . 35


58 . Sur la route des plus belles lĂŠgendes celtes

LĂŠgendes de BrocĂŠliande . 59



Il tourna quelque temps autour du navire, tout en chantant les merveilles d’Emain Ablach. C’était Mananann Mac Lir, le dieu des mers. Dans son poème, il mettait aussi en garde les hommes contre les dangers de leur périple et les îles aux plaisirs mensongers. Captivés par cet étrange et magnifique ballet, les compagnons de Brann n’entendaient que les merveilles et restaient comme sourds aux mises en garde. Le chant prit fin et le char fila, rapide comme le saumon remontant le courant. Aussitôt, tous se mirent à leur poste et ils suivirent le char divin. Rapidement ils le perdirent de vue, mais, gardant le cap, ils aperçurent bientôt une île verdoyante. Sur le rivage, il y avait une grande foule. Ils s’approchèrent et hélèrent les habitants de l’île afin que ceux-ci leur lancent une corde pour qu’ils puissent accoster. Personne ne leur prêta attention. Tous les habitants riaient, ils riaient à gorge déployée et le bruit de leurs rires couvrait tout autre son ; il s’amplifiait jusqu’à devenir un terrifiant grondement. L’un des marins, fatigué par la longue navigation et fâché d’être ainsi traité, sauta à l’eau dans le but de poser pied à terre et de lancer une amarre à ses compagnons. Mais, sitôt qu’il eut posé un pied sur la rive, il fut pris d’un rire frénétique et convulsif. Jamais plus il ne répondit aux appels de ses amis, il se joignit à la foule et disparut. Brann et ses compagnons durent repartir sans lui. La colère et la nostalgie enflaient parmi les marins. Ils naviguèrent encore et encore sans rien apercevoir que l’étendue des eaux. Mais un matin, alors que le soleil faisait paresseusement

glisser ses premiers rayons sur la surface des flots, apparut le char d’écume de Mananann. Brann et ses compagnons retrouvèrent joie et entrain. Ils suivirent le char d’argent, guidés par lui, comme tirés par lui. Longtemps, longtemps. Et enfin ils aperçurent, resplendissante, l’île merveilleuse, l’île de cristal, l’île tournoyante. Le char de Mananann Mac Lir s’effaça doucement, et le navire perdant paisiblement et petit à petit de la vitesse s’approcha de la côte. Brann était debout à la proue du navire. Parmi les femmes merveilleusement belles qui se tenaient sur la rive de l’île des plaisirs, Brann reconnut sa messagère, plus somptueuse et plus douce que toutes. C’est elle qui lança un filin d’or afin que le navire puisse accoster. C’est là que Brann et ses hommes restèrent, chacun trouvant une compagne, chacune choisissant un compagnon à aimer. Dans cet amour inaltérable ils demeurèrent. Et c’était une seule journée, toujours, éternelle qui durait. Aucune nuit, aucune obscurité, aucun conflit.

Jamais plus il ne répondit aux appels de ses amis, il se joignit à la foule et disparut

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Le pilier sculpté de Kilnaruane (copie), ixe siècle, Skellig Experience Centre, île de Valentia, comté de Kerry, Irlande.

C’est un jour de beau temps éternel Qui répand l’argent sur les terres, Rocher très blanc sur le brillant de la mer, Sur lequel vient la chaleur du soleil. On écoute la musique dans l’île aux multiples couleurs Splendeur sur un beau diadème où brille la nuée blanche.

Légendes d’Écosse, d’Irlande et de l’île de Man . 177


Sur la route des plus belles

légendes celtes

Alan Stivell

Alors qu’il était enfant, Alan Stivell, en jouant sur la harpe celtique créée par son père, a fait avec lui renaître l’instrument. Quelques années plus tard, il le fera connaître dans le monde entier. Avant de devenir un chanteur, arrangeur, compositeur et auteur célèbre, il étudie la culture celte sous tous ses aspects, et conceptualise la musique celtique, le rock celtique, la world music et ses métissages, puis en devient le promoteur. Dès les années 1970, il connaît un énorme succès auprès du public européen et international. Un succès étonnant pour quelqu’un qui s’exprime le plus souvent en langue bretonne et propose des musiques innovantes et hors des formats commerciaux. Ce renouveau de la musique celtique a eu une réelle influence sur les mentalités et sur l’image de la Bretagne et de sa culture. À près de 70 ans, Alan Stivell continue à explorer de nouveaux champs d’expression très personnels, tout en installant encore davantage une « celtitude », affirmée et ouverte, dans la vie quotidienne du xxie siècle.

Une promenade lyrique et légendaire en terres celtes, aux côtés d’Alan Stivell

AVEC THIERRY JOLIF PHOTOGRAPHIES YVON BOËLLE

Compositeur et musicien attaché à composer au présent la culture de ses ancêtres, Alan Stivell nous entraîne de la Bretagne au pays de Galles, en passant par l'Irlande et l'Écosse,

Sur la route des plus belles

à la découverte des grands mythes celtes. Au fil des lieux magnifiquement photographiés par Yvon Boëlle, Alan Stivell évoque avec Thierry Jolif les grands textes qui ont nourri son imaginaire et sa créativité musicale.

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légendes celtes

Thierry Jolif est un chanteur, musicien, écrivain et essayiste. Il a étudié la civilisation celtique, le breton et l’irlandais, ses domaines de prédilection vont des religions anciennes aux formes d’art contemporain les plus extrêmes. C’est avec le groupe Dervenn et le compositeur et musicologue italien Grégorio Bardini qu’il a exprimé son intérêt pour la musique et la poésie celtiques.

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Une échappée poétique à la découverte de contrées millénaires. Prix France : 35  ISBN : 978-2-0812-9294-9

ALAN STIVELL

Yvon Boëlle poursuit ses rêves photographiques en Bretagne et dans les pays celtes depuis plus de trente ans. Photographe de nature et de patrimoine, ses terrains de prédilection sont les pays de l'arc atlantique et les chemins de Compostelle.

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