II. TERRE DES OURS, LE FILM PAR GUILLAUME VINCENT – 3 – Au pays des ours qui pêchent
I. KAMTCHATKA, LA TERRE DES OURS PAR YVES PACCALET
– 1 – Destins. Les derniers des ours bruns
Terre des ours Sommaire
L’ours cosmologique… 17 Ursus arctos… 20 L’homme est un ours comme les autres, légende koriak… 22
– 2 – Kamtchatka, aux origines de la vie À dos d’hélicoptère… 29 La caldeira d’Uzon… 30 Le chaudron magique… 31 Le b-a-ba de la vie… 34 Les époques de la nature… 35 L’œuf et la poule… 36 Les nids du vivant… 37
Medved ! Medved !… 42 Un saumon entre les dents… 43 L’insouciance des oursons… 45 Chasses et braconnages… 46 Un chemin d’ours… 47 Le « coup du cow-boy »… 48 Abasourdi de bonheur… 49 Un dessert d’airelles bleues… 50 Lagopèdes, renards et rennes… 52 Des vagues grouillantes de saumons… 54 Le mystère du retour… 56 S’accoupler, pondre et mourir… 57
–4 – Un géant fragile. Histoire naturelle L’ours brun… 61 Ursus arctos, l’ours du Nord… 62 De la tanière à la tanière… 64 Des bébés grands prématurés… 66 Une aire de répartition en peau de chagrin… 68 Une démographie inquiétante / L’ours brun des Pyrénées… 69 L’ours brun chassé… 70
Le mot du réalisateur… 75 Acte I, Hiver… 77 Kamtchatka / La tanière / Le réveil du jeune ours Making of : un tournage aux conditions extrêmes Acte II, Printemps… 89 La vallée des geysers / Making of : l’enclos / Le frère et la sœur / Le réveil du gros mâle / Le soir dans la vallée / Le voyage des saumons / Making of : les storyboards / Le plan de masse / L’attente
Acte III, Été… 107 Les premiers saumons / L’expérience des anciens / Les ripailles / Écorchés vifs / Le lac Kourile / L’heure d’affluence / L’ours nageur / Le devoir maternel / Making of : des techniques de tournage insolites / La proximité avec les ours / Kostia, le ranger poète / L’élégance de l’ours / Le gavage L’apprentissage / La loi du plus fort Acte IV, La fin de l’été… 139 Les poissons pourris / Plus rien
La technique au service de la poésie… 146 Le relief / Sur le terrain / L’équipe
[ TERRE DES OURS ]
Kamtchatka, aux origines de la vie
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Carnets d’Yves Paccalet
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32 TERRE DES OURS
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KAMTCHATKA, AUX ORIGINES DE LA VIE
Je descends dans un chenal profond, en partie couvert de feuilles flottantes de nénuphars jaunes, dont les fruits mûrs arquent leur pédoncule et se cachent sous la surface avant de lâcher leurs semences dans la vase. Je me penche sur le fluide. Des saumons ondulent à un mètre. Je ferme les yeux. Un étrange phénomène se produit. Mon corps grossit et se couvre de fourrure. Mes mains et mes pieds enflent, s’allongent, s’arment de griffes. Ma tête se fait lunaire, mes oreilles s’arrondissent, mes yeux rétrécissent. Mes canines, mes lèvres et mon nez s’hypertrophient. Je deviens ours. Je hume, j’explore un univers d’odeurs dont je ne
UN DESSERT D’AIRELLES BLEUES
soupçonnais même pas l’existence. Je grogne. J’avance
une litanie. Il engrange ainsi des sucres et des vita-
plantigrade, avec aussi mes pieds plats, ma gourman-
mines pour l’hiver. Il a besoin de ce dessert : les fruits
dise congénitale et mes exploits de Mai 68.
complètent son régime saumoné.
la patte. Je plonge la tête en ouvrant les mâchoires.
Nous marchons à travers saules et bouleaux, en fran-
Il les adore ! Il y revient. Il se goinfre…
Je me relève, un saumon entre les dents. Mes frères les
chissant des clairières envahies de buissons aux feuilles
Il est gourmand. Épicurien. Rabelaisien. C’est un
ours applaudissent…
d’or ou d’écarlate. Des airelles aux fruits bleus (les
jouisseur sans entraves… Un enfant de Mai 68, comme
Désespérant principe de réalité ! Je reprends
Québécois disent : des « bleuets »), des camarines aux
moi-même !
pied dans le monde objectif. Ma métamorphose ursine
baies noires, des raisins d’ours aux pendeloques carmi-
était un rêve. Sacha me demande si je me sens bien.
nées… Délicieux desserts pour la gent ursine !
Retour à la rivière Kronotski… L’océan et le volcan constituent les deux forces majeures de la planète, les deux puissances de la vie. Pour les réunir, il y a la rivière, les arbres et les ours. Et les saumons ! Les saumons jouent un rôle
J’ai joué l’ours en mettant la tête dans l’eau pour
essentiel. Ils forment le trait d’union, le lien organique
attraper un poisson. Aucune raison pour que je m’en
entre la mer et la terre. Ils naissent dans les ruisseaux et
Je lui souris d’un air niais – l’une de mes spécialités les
Un ours achève de s’emplir la panse en gobant
tienne là : j’imite à nouveau le plantigrade. Je me mets à
descendent vers l’océan à l’âge d’un an, sous forme de
plus reconnues. Lorsqu’il insiste et veut savoir pourquoi
force baies d’airelles bleues. Il en a les babines teintées.
quatre pattes et je cueille. Je m’empiffre d’airelles, dont
juvéniles qu’on nomme « tacons ». Pendant trois ou
j’ai plongé la tête dans la rivière, je lui rétorque que
Il les cueille à toute vitesse, d’un mouvement de lèvres
le jus bleu-violet dégouline sur mes lèvres et les poils
quatre ans, ils profitent des richesses du large : planc-
c’est pour la science.
comique (à la fois torsion et succion), comme on récite
de ma barbe, lesquels composent ce que j’ai de plus
ton, crustacés, mollusques…
50 TERRE DES OURS
51 AU PAYS DES OURS QUI PÊCHENT
[ TERRE DES OURS ]
Un géant fragile
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Histoire naturelle
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LES RIPAILLES Pour les ours, l’enjeu de cet été qui commence à peine consiste à se gaver de saumons – jusqu’à cinquante par jour ! Ils doivent emmagasiner de l’énergie et refaire leur couche de graisse pour passer l’hiver. Telle est la condition impérative de leur survie.
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acte iii, été
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making of : un tournage aux conditions extrêmes