insolites
TrĂŠsors
De la PrÊhistoire au XXe siècle, cet ouvrage est une incitation à sortir des sentiers battus des traditionnelles visites guidÊes, voire guindÊes par l’obligation d’admirer les chefs-d’œuvre cÊlèbres. Proposant une balade à travers plus de 130 musÊes de France, les auteurs nous font dÊcouvrir ou redÊcouvrir des artistes oubliÊs ou trop cÊlèbres, des sujets classiques en apparence mais revisitÊs, des crÊations allant de l’inÊdit au bizarre pour terminer avec le fabuleux destin de certaines œuvres. Ces escapades insolites sont un merveilleux moyen de revisiter l’extraordinaire richesse de notre patrimoine.
DES MUSÉES DE FRANCE
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TrĂŠsors insolites
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Flammarion
Couverture : Jean-Marie Faverjon, Autoportrait en trompe-l’œil, vers 1868. Š RMN (MusÊe d’Orsay) / HervÊ Lewandowski
Flammarion
Prix France : 35 â‚Ź TTC ISBN : 978-2-0812-4269-2
11-IV P
CrĂŠation Studio Flammarion
DES MUSÉES DE FRANCE
Flammarion
Gustave Caillebotte 1848-1894
Périssoires
1878, huile sur toile, 157 × 113 cm, Rennes, musée des Beaux-Arts
L’œuvre de Gustave Caillebotte, qu’on a longtemps résumée aux Raboteurs de parquet (1875, musée d’Orsay), demeure difficilement classable, en marge de l’impressionnisme. La reconnaissance de son talent est un peu tardive en France ; il faut en effet attendre le dernier quart du xxe siècle pour que d’importantes expositions lui soient consacrées, alors que les musées étrangers, surtout américains, le célèbrent depuis longtemps. Cette situation est sans doute due à la polémique qui a accompagné son legs à l’État français de soixante-sept toiles impressionnistes, dont des œuvres majeures tels Le Moulin de la Galette de Renoir ou encore Le Déjeuner de Monet. Mais les peintres officiels, menés par Gérôme, s’opposent à leur accrochage au Luxembourg (le musée des peintres vivants de l’époque), permettant ainsi aux héritiers de revendre la majeure partie du legs
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artistes à redécouvrir
au docteur Barnes, le célèbre collectionneur américain. Disposant à l’âge de vingt-cinq ans d’une belle fortune léguée par son père, Caillebotte aide ses amis impressionnistes et ne se consacre pas seulement à la peinture. Partageant avec Monet son amour des fleurs, il va jusqu’à créer des espèces d’orchidées ; il participe également à la fondation du Cercle de la voile de Paris, l’ancêtre de l’actuelle Fédération française de voile. Passionné de sports nautiques, il concourt d’ailleurs aux régates pour lesquelles il conçoit ses embarcations. À l’origine destinées à un ensemble décoratif en triptyque avec la Pêche à la ligne et les Baigneurs (France, collection particulière), les Périssoires immortalisent ces loisirs fluviaux qui se développent à la fin du xixe siècle. Créé en 1867, le mot vient du verbe « périr » et désigne ce monoplace plutôt instable et sujet aux moqueries.
Séraphine Louis 1864-1942
L’Arbre du Paradis
vers 1929, huile sur toile, 195 × 130 cm, Senlis, musée d’Art et d’Archéologie, don d’Anne-Marie Uhde (Paris) en 1948
Dorénavant Séraphine Louis aura le visage de Yolande Moreau. Le cinéma aura rendu plus proche du public cette artiste ; il faut toutefois se reporter à l’époque où Wilhelm Uhde (1874-1947) la découvre. C’est le temps où pour prouver que son client, le Douanier Rousseau, est un simple d’esprit incapable de commettre une escroquerie, un avocat montre au jury l’un de ses tableaux. Si une peinture qui utilise le vocabulaire sinon la technique du chromo peut ainsi passer pour une aberration aux yeux du public, la peinture de Séraphine n’a aucune chance d’être comprise. Cependant c’est l’époque où les artistes cherchent la voie qui mène aux zones mystérieuses de l’esprit où s’élabore la création, celles que les psychanalystes vont nommer l’inconscient et les occultistes et spirites le périsprit. Avec ce qu’ils ont appelé « les sommeils de Desnos »,
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artistes à redécouvrir
les surréalistes adoptent l’appareil extérieur du spiritisme sans en adopter la croyance aux esprits. Séraphine est l’exemple par excellence de l’artiste autodidacte dont la création dépend de crises mystiques. Après un labeur exténuant de femme de ménage durant la journée, elle peint la nuit en chantant des cantiques à la Vierge. Le jeune Allemand Uhde vient s’installer à Senlis en 1912 pour se reposer de la vie parisienne dans une petite ville provinciale un peu morne. Chez des voisins il voit une toile représentant des pommes « que Cézanne lui-même n’aurait pas reniées ». Il s’enquiert de son auteur et apprend avec surprise que c’est sa propre femme de ménage ! Elle crée un univers onirique de fleurs vivantes. L’éclat de son œuvre et sa bonne conservation sont dus au fait que l’artiste utilisait son propre mélange élaboré à partir de peinture industrielle.
Franz Xaver Winterhalter 1805-1873
L’Impératrice Eugénie entourée de ses dames d’honneur
1855, huile sur toile, 300 × 420 cm, Compiègne, musée du Second Empire, château
Malgré l’avis de ses conseillers, Napoléon III épouse en 1853 Eugénie de Montijo pour sa grande beauté. « L’Aigle épouse une cocotte », commente Hugo. Annoncée comme une nouvelle Joséphine, la fille du comte de Teba, qui servit aux côtés de Napoléon Ier, admire la reine Marie-Antoinette. Les Français ne tardent pas d’ailleurs à la désigner comme « l’Espagnole », de manière aussi péjorative que l’épouse de Louis XVI était nommée « l’Autrichienne ». Eugénie n’hésite pas à demander à Franz Xaver Winterhalter, portraitiste attitré des cours royales et impériales, de la représenter dans des poses rappelant Marie-Antoinette. Lors de la première Exposition universelle organisée à Paris en 1855, le tableau L’Impératrice Eugénie entourée de ses dames d’honneur est présenté dans le salon d’honneur et devient l’emblème des fastes du Second Empire. Dans le domaine des Beaux-Arts, Eugénie encourage son ami Prosper Mérimée, qui l’a connue enfant, dans la mission qui lui a été confiée. Nommé inspecteur des Monuments historiques, il a en effet contribué à recenser et à sauver un grand nombre de chefs-d’œuvre. L’impératrice décore également de la Légion d’honneur Rosa Bonheur, première femme peintre à être ainsi distinguée. Son goût pour l’art asiatique génère le musée chinois de Fontainebleau. Elle est en outre à l’origine du style Second Empire. L’un de ses plus célèbres représentants, l’architecte Charles Garnier, ne manque pas d’humour en répondant aux réticences de l’impératrice devant son projet d’Opéra de Paris : « C’est du Napoléon III. »
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les sujets dévoilés
Petro di Cristiforo Vannucci, dit
le Pérugin
vers 1448-1523
Le Mariage de la Vierge 1504, huile sur bois, 234 × 185 cm, Caen, musée des Beaux-Arts Raffaello Sanzio, dit
Raphaël 1483-1520
Le Mariage de la Vierge 1504, huile sur bois, 170 × 118 cm, Milan, pinacothèque de Brera
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de l’inédit au bizarre
Lorsque le Pérugin peint Le Mariage de la Vierge, sa réputation a atteint son sommet. Alors considéré comme le meilleur peintre d’Italie, il répond aux très nombreuses commandes en animant deux ateliers productifs, l’un à Pérouse, la ville à l’origine de son surnom, et l’autre à Florence, le berceau de la Renaissance. Ses œuvres équilibrées et harmonieuses répondent en effet au désir d’une piété sereine, à l’image de l’anneau, ici offert à Marie, que l’Église
souhaite en ce début du xvi e siècle transformer en symbole de l’union entre époux. La figure de la Vierge est alors devenue si importante qu’elle suscite une floraison de scènes la représentant, scènes qui ne sont pas tirées de la Bible mais de textes apocryphes. Et les impulsions innovantes du Pérugin seront développées par ses élèves, au premier rang desquels se place Raphaël. En donnant lui-même en 1504 un Mariage de la Vierge, il s’inspire de l’œuvre du maître
et d’une fresque réalisée pour la chapelle Sixtine, la Remise des clefs à saint Pierre (1481-1482). Sur le même sujet, Raphaël intègre la leçon du Pérugin et la dépasse. Son Mariage de la Vierge marque le début de l’affirmation de son style et contribue à faire entrer l’histoire de la peinture dans l’âge de la Renaissance classique. Ainsi, le Pérugin joue le rôle d’un artiste de transition aux intuitions géniales, malheureusement étouffées par la notoriété.
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La collection de masques esquimaux d’Alphonse Pinart (1852-1911)
Artiste Yupik, Alaska 1800-1850, bois sculpté, h. 49 cm, ancienne collection Alphonse Pinart ; dépôt du château-musée de Boulogne-sur-Mer
Fils d’un maître de forges, c’est-à-dire d’un propriétaire de fonderie, Alphonse Pinart (1852-1911) dispose d’une importante fortune personnelle qui lui permet de voyager très jeune. À dix-neuf ans il organise une expédition en Alaska. Il va d’ailleurs devenir l’un des premiers collectionneurs de ces arts qu’on n’appelait pas encore « premiers ». Il va aussi donner de savants comptes rendus à des sociétés savantes et en même temps fournir des récits de voyages à la revue Le Tour du monde, déjà passionnants à l’époque mais aujourd’hui augmentés de l’intérêt historique, comme son excellent témoignage sur l’île de Pâques. Il est lié à Ernest Hamy (1842-1908), Boulonnais comme lui, premier conservateur du musée du Trocadéro dont Pinart fut un des premiers donateurs. À propos de son séjour en Alaska du printemps 1871 au printemps 1872, sa note de 1875 à l’Académie des sciences porte sur un abri-sépulture à Aknanh dans l’île d’Ounga (archipel des Aléoutiennes), témoignage particulièrement précieux puisque les sites fouillés par Pinart ont été détruits depuis par un tremblement de terre : « Jetés çà et là dans les différentes parties de l’abri, gisaient des fragments de grands masques de bois
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de l’inédit au bizarre
sculptés et peints. […] Ces masques, qui servaient aux danses funèbres, étaient brisés après la cérémonie pour laquelle on les avait exécutés, et jetés dans la sépulture. Avec les masques destinés aux acteurs de la cérémonie funèbre s’en trouvaient d’autres qui avaient dû servir à un autre usage. C’était un rite chez les anciens Aléoutes de poser sur la face du mort un masque représentant une figure humaine ou animale (un des masques d’Aknanh représente une tête de lion de mer) pour que, dans le trajet que l’âme du défunt était supposée faire pour se rendre dans l’ouest, où est située la demeure des âmes, ils ne pussent pas être effrayés ou détournés de leur route par les mauvais esprits qu’ils rencontreraient en chemin. » Il reste de cette expédition la collection unique au monde de masques esquimaux – en plus des huit masques trouvés à Ounga – conservée à Boulogne-sur-Mer. Si l’on peut douter de l’authenticité d’un de ces fameux crânes de cristal pseudo-amérindiens 1 de sa collection, il n’y a aucune raison de douter de l’authenticité de ces masques : leur beauté parle pour eux, ainsi que la reconnaissance des descendants de leurs créateurs qui sont venus les admirer. 1. En fait probablement un travail allemand du xixe siècle.
Cratère de Vix
vase de bronze, fin du vie siècle avant J.-C., h. 164 cm, Châtillon-sur-Seine, Musée archéologique
En 1953, sur le territoire de la petite commune de Vix, des archéologues fouillent une tombe celte (500 av. J.-C.), et ils vont faire une découverte étonnante. La femme qui est inhumée là devait avoir un rang prestigieux car elle repose sur un char avec un torque d’or autour du cou, objets guerriers et virils. À côté d’elle se trouve tout un service pour le vin : œnochoé étrusque, coupes grecques et surtout un grand vase, un cratère en bronze, grec lui aussi. Ses dimensions sont impressionnantes. Rien que les anses pèsent 45 kilos ! Il est haut de 1,64 mètre, son diamètre est de 1,27 mètre, son poids de 208,6 kilos et il pouvait contenir 1 100 litres de vin ! Sa frise sculptée et son décor en font une création artistique de premier plan mais c’est aussi un exploit technique. Un chercheur du C2RMF 1, Benoît Mille, pense qu’il serait sans doute impossible de reproduire une telle œuvre car nous avons perdu le savoir-faire pour marteler 60 kilos de bronze ! 1. Ce sigle désigne le laboratoire de restauration des musées de France.
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le fabuleux destin des œuvres
Statue-menhir 3000 avant J.-C., Rodez, musée Fenaille
Quel est le département français qui compte le plus de menhirs ? Posée à brûle-pourpoint, la question va faire hésiter votre interlocuteur entre les divers départements bretons. Eh non ! l’Aveyron compte à lui seul plus de menhirs que toute la région Bretagne, environ un millier. Parmi ceux-ci une soixantaine est sculptée : en 1892 l’abbé Hermet leur consacre un mémoire puis en 1898, dans un article « Les Statuesmenhirs de l’Aveyron et du Tarn 1 », leur donne le nom qui sera entériné en 1900 au Congrès préhistorique international de Paris et qui sert encore à les désigner aujourd’hui. Le terme « statue » peut faire penser à une œuvre en ronde bosse, en fait il faut penser à cette définition de Jean-Pierre Serres : «Une statue-menhir est un menhir gravé ou sculpté représentant une figuration humaine. Plus précisément, c’est une dalle de grès, de granit, de schiste ou de toute autre roche régularisée sur toutes les faces représentant recto-verso un personnage » (1997). Elles mesurent de 68 centimètres à 4,5 mètres, et dix-neuf de ces œuvres sont exposées au musée Fenaille de Rodez. On les date de 3000 avant J.-C. sans que l’on sache quel peuple les a conçues. Elles sont masculines ou féminines avec des attributs distincts, même s’il existe des cas de statues masculines féminisées. Les statues dites masculines portent des baudriers auxquels peuvent être accrochés poignards, haches, arcs et flèches. La ceinture porte toujours une boucle. Les statues féminines, comme la fameuse « Dame de Saint-Sernin », ont des seins gravés, des parures et une représentation de la chevelure dans le dos. Les genoux placés au-dessous de la ceinture laissent croire qu’il s’agit là d’une convention pour dire que le personnage est assis, peut-être en train de siéger. 1. Abbé Hermet, « Les Statues-menhirs de l’Aveyron et du Tarn », Le Bulletin archéologique, 1898.
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De la PrÊhistoire au XXe siècle, cet ouvrage est une incitation à sortir des sentiers battus des traditionnelles visites guidÊes, voire guindÊes par l’obligation d’admirer les chefs-d’œuvre cÊlèbres. Proposant une balade à travers plus de 130 musÊes de France, les auteurs nous font dÊcouvrir ou redÊcouvrir des artistes oubliÊs ou trop cÊlèbres, des sujets classiques en apparence mais revisitÊs, des crÊations allant de l’inÊdit au bizarre pour terminer avec le fabuleux destin de certaines œuvres. Ces escapades insolites sont un merveilleux moyen de revisiter l’extraordinaire richesse de notre patrimoine.
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Couverture : Jean-Marie Faverjon, Autoportrait en trompe-l’œil, vers 1868. Š RMN (MusÊe d’Orsay) / HervÊ Lewandowski
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Prix France : 35 â‚Ź TTC ISBN : 978-2-0812-4269-2
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