Marc de france xv Des matchs et des héros Duzan
de
france Des matchs
L’histoire du XV de France est parsemée des destins contrastés, multiples et discordants des mille douze joueurs ayant, un jour, une heure, un soir, enfilé sa Des rires, des larmes, des révolutions de palais, et des héros tunique. des destinées brisées, des glorioles passagères et des triomphes immortels constellent les six cent soixante-trois matchs de l’équipe de France de rugby. Parmi tous ceux-là, j’ai choisi d’en retenir trente-six, victoire ou défaite, parce qu’ils étaient à mon sens porteurs de la dimension humaine propre à ce sport. Le contexte historique, les coulisses, les secrets de vestiaire ou le making of, comme on dit aujourd’hui, ont ainsi tout autant d’importance – voire davantage – que les matchs en eux-mêmes. Des pionniers de 1906, qui ne s’étaient jamais rencontrés avant de pousser la porte de leur vestiaire, à la stupéfiante affaire Bastareaud, en passant par la touchante confession de Jean-Pierre Garuet ou les coups de force de la bande à Fouroux, cet ouvrage tente d’aborder l’épopée du XV de France par le prisme des hommes qui en ont écrit les grandes lignes. Une Histoire, des histoires et des hommes…
Flammarion
11-IX P
Prix France : 29,90 ISBN : 978-2-0812-6083-2
Flammarion
xv
Marc Duzan
xv de
france Des matchs
Journaliste au Midi olympique, Marc Duzan a déjà publié un ouvrage sur le rugby – Rugby, les rois de la coupe du monde 2007, chez Solar.
et des héros
Flammarion
Couverture : © Michel Birot 4e de couverture et portrait de Marc Duzan : © Patrick Derewiany
SOMMAIRE
xv de
france Des matchs et des héros
1er janvier 1906
16 août 1958
21 janvier 1984
16 juin 2001
Le jour s’est levé
Une tournée en enfer
La confession de Garuet
Les coqs aux hormones
8
68
128
190
2 janvier 1911
13 janvier 1962
20 juin 1987
17 novembre 2001
Le péché originel
Crauste et l’« Étrangleur » d’Édimbourg
L’aube du monde
Le fabuleux destin des jeunes poulains
14
134
74
3 avril 1920
198
16 mars 1991
Introduction
Révolution irlandaise
Very nice Guy
Le non de la Rose
6
20
82
142
28 mars 1921
23 mars 1968
3 juillet 1993
L’homme qui a dit non
Les autres « soixante-huitards »
150
26
88
25 février 1967
9 novembre 2002
Un renoncement historique 206
Out of Africa 3 juillet 1994
La belle et la bête
21 février 1948
16 janvier 1971
Ainsi parlait Robert Soro
Spectre blanc et princes de Galles
156
96
17 juin 1995
34
24 février 1951
La liste 42
27 février 1954
Le show et le froid 48
10 avril 1954
« Boni » : les mots pour le dire 56
26 février 1972
Le temps des adieux 102
29 juin 1974
La créature d’Ocampo
La fièvre de l’or 162
Des poings, du sang, des points
La nuit des longs couteaux 62
14 juillet 1979
I have a dream 122
27 mars 2004
Chasseur de « prime » 222
11 février 2007
Croque park ! 6 octobre 2007
Bleu nuit 234
170
13 juin 2009
Une journée en enfer
Piège de cristal 240
176
13 novembre 2009
5 février 2000
248
114
29 mars 1958
212
228
31 octobre 1999
Sur un air d’opéra…
Morts un jour de pluie
5 avril 1998
110
19 mars 1977
16 novembre 2003
« Bernie » première 184
Gang de Boks
Introduction
Des histoires et des hommes Serge Simon, un ancien pilier international, docteur en médecine depuis 1992, écrit à propos des journalistes sportifs : « Quelques amis avaient décidé de suivre l’équipe de France. Pour financer le voyage, ils se proposèrent d’écrire quelques comptes rendus de matchs pour le journal du pays. Ils ne pouvaient pas imaginer qu’un esprit pervers allait décider d’en faire un métier. Depuis, des milliers de types se font payer leurs voyages de la sorte, sans que personne ne puisse rien faire. Remarque : Antoine Blondin fut un modèle pour les journalistes sportifs. Or il picolait sec. Du coup, beaucoup de journalistes se sont mis à la picole croyant que le talent se trouvait au fond des bouteilles. Par effet boomerang, un paquet d’alcoolos s’est lancé dans le journalisme sportif pour voyager gratos. » Je suis journaliste sportif. C’est tout du moins ce qui est imprimé, en lettres capitales, au dos de ma carte de presse. Le syndrome « Serge Simon », je m’y suis frotté très vite. Aux balbutiements, même, pour être tout à fait clair. Mes deux premiers mois dans la vie active ne se sont pas écoulés que déjà j’ai gravé mon nom au bas d’un reportage, une page à dessein sociologique sur le calendrier des Dieux du Stade, parue dans le Midi Olympique, en 2005. Ma mère l’a aussitôt encadrée dans la véranda. Mon père l’a exhibée au village comme s’il tenait là les reliques de saint Jacques. De quoi jouer du col, c’était évident. Au lendemain de la parution, un enterrement de vie de garçon me mène à Pau, la préfecture des PyrénéesAtlantiques, où j’ai validé mon cursus universitaire deux ans plus tôt. Aux heures fourbes du petit matin, je croise une ancienne camarade de fac dans une discothèque du centre-ville. Elle est agrégée de Lettres classiques et promise à une belle carrière d’enseignante. Elle m’expose une vision de la pédagogie qui, à cette heure avancée de la nuit, me semble assez absconse ; me parle de sa vocation, de la fierté que lui procure sa mission divine, « transmettre le savoir à plus ignorant que soi ». Je n’ai pas le temps de lui souhaiter
mes meilleurs vœux de réussite pour son premier mandat, qui la verra, en septembre, prof de latin à Sarcelles, qu’elle me demande où j’en suis, professionnellement parlant. « Je suis journaliste. » L’étonnement que trahit son regard me fait aussitôt me demander quelle triste image je lui ai laissé en cours de grec ancien. Sûr de mon effet, je poursuis dans la même voix : « Oui, journaliste sportif ! » L’étonnement fait place à une moue dubitative, suivie d’un « Ah, ok… » plutôt glaçant. « Et tu écris sur quoi ? » Du rugby. « Que du rugby ? » Oui. « Ah… Et ça ne t’ennuie pas, à force ? » Douche froide. Le temps de la gloriole est passé. La sincérité d’Aurore, puisque c’est sous ce prénom-là que je la connais, me confronte à plusieurs interrogations fondamentales : écrire le sport est-il, comme elle semble me le souffler, d’une vacuité sans nom ? Aurais-je réellement été moins inutile en tant que prof de français au Mali, missionnaire en Éthiopie ? La repartie m’ayant lâchement abandonné, je laissai mon ancienne camarade au dance floor, un rien abattu…
Aujourd’hui, je dirais donc à Aurore que j’aime le rugby parce qu’il m’a permis de découvrir l’histoire de LubinLebrère, international français du début du siècle, noyant la préparation physique d’un match en Irlande dans un pub de Dublin, sous des flots de Guinness et aux côtés de quelques fanatiques de l’IRA. Je dirais à Aurore que j’aime écouter Dimitri Yachvili, le numéro 9 du XV de France, évoquer ses racines et le périple de Chaliko, un aïeul géorgien retenu prisonnier par les Nazis. Je lui raconterais l’histoire de Bismarck du Plessis, le talonneur des Springboks, de race afrikaner et élevé parmi des garçons de ferme, ces Noirs qui ne parlaient que sotho. Je lui expliquerais enfin comment, une nuit de bringue à Wellington, le mensonge de Mathieu Bastareaud provoqua, à l’autre bout du monde, les excuses officielles de François Fillon au premier ministre néo-zélandais. Je raconterais tout ça à Aurore, en paraphant mon soliloque par ce mot de Jean Lacouture, journaliste et écrivain : « Le rugby, c’est un monde. » L’histoire du XV de France est parsemée des destins contrastés, multiples et discordants des 1 012 joueurs ayant, un jour, une heure, un soir, enfilé sa tunique. Des rires, des larmes, des révolutions de palais, des destinées brisées, des glorioles passagères et des triomphes immortels constellent les 663 matchs de l’équipe de France de rugby. Parmi tous ceux-là, j’ai choisi d’en retenir 36, victoire ou défaite, parce qu’ils étaient à mon sens porteurs de la dimension humaine propre à ce sport et évoquée précédemment. Le contexte historique, les coulisses, les secrets de vestiaire ou le making of, comme on dit aujourd’hui, ont ainsi tout autant d’importance – voire davantage – que les matchs en eux-mêmes. Des pionniers de 1906, qui ne s’étaient jamais rencontrés avant de pousser la porte de leur vestiaire, à la stupéfiante affaire Bastareaud, en passant par la touchante confession de JeanPierre Garuet ou les coups de force de la bande à Fouroux, cet ouvrage tente d’aborder l’épopée du XV de France par le prisme des hommes qui en ont écrit les grandes lignes. Une Histoire, des histoires et des hommes…
Je sais, six ans plus tard, ce que j’aurais dû répondre à Aurore. Probablement parce que je sais, aujourd’hui, pourquoi ce métier me plaît. Au vrai, on peut envisager le rugby sous divers aspects : techniquement, via la domination d’une mêlée sur une autre, la réussite dans ses coups de pied d’un buteur sur son vis-à-vis ; psychologiquement, suivant que l’Anglo-Saxon s’enferme dans un cadre immobile lui offrant une régularité dans la performance et une linéarité dont il peine aussi à s’affranchir, ou que le Latin s’octroie, par atavisme, des triomphes ou des débâcles qui ne surprennent plus que lui. Mais on peut aussi envisager le rugby sous un aspect purement humain. Ce que j’aime par-dessus tout, lorsque je parle de rugby, c’est souligner la variété et la disparité des individus qui en font la richesse. Car le rugby n’existe que par les hommes qui le pratiquent et diverge radicalement selon qu’il est joué en Argentine ou en Afrique du Sud.
XV de FrancE
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des matchs et des héros
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2 janvier 1911 Leader, à la fin de 1910. Ils perdent la tête trop fréquemment. Ils n’ont pas le sang-froid du joueur britannique au moment où les chances de marquer sont les plus grandes. » Que les coéquipiers de Marcel Communeau pratiquent alors un rugby de garçons bouchers, c’est une certitude. Que cette insidieuse réputation colle encore, de nos jours, aux prestations des Tricolores, en est une autre…
Le péché originel
Ras la gueule, Colombes accueille cet après-midi-là huit mille personnes. Un tableau d’affichage a été érigé à la hâte. Des braseros, autour desquels se massent des grappes de mômes, trônent au milieu des pesages. Tout est sous contrôle, ou presque. Une demi-heure avant le coup d’envoi, une émeute éclate dans un coin du stade. Le public, entassé sur le béton, est en colère. Un groupe de cinq personnes, mécontentes du traitement infligé aux spectateurs corsetés en « populaires », prend alors à partie Charles Brennus, le président de l’USFSA : « Monsieur, nous sommes les délégués de cinq mille personnes, les spectateurs à vingt sous. Si vous ne nous faites pas tout de suite passer aux places à trois francs, nous vous prévenons que nos clients vont tout casser ! » Brennus, imperturbable, lève les bras au ciel en signe d’impuissance. Le public des « populaires » brise alors les barricades. Plus de mille personnes s’invitent, de force, en tribunes. Quelques centaines d’autres investissent la piste d’athlétisme entourant, de ses bras d’argile, la pelouse de Colombes. Puisque tout le monde a désormais un siège, place au sport.
Ce 2 janvier 1911, Marcel Communeau et ses coéquipiers avaient fait sensation à Colombes.
R
ebonds de l’histoire. Le président Armand Fallières en est au crépuscule de son investiture. Il y a de cela six mois, l’ancien maire de Nérac (Lot-et-Garonne) a inauguré le Vel’ d’Hiv’, dont les dix-sept mille places assises initialement destinées aux séants des aficionados de vélos seront, plus tard, largement dévoyées par le régime de Vichy. Aristide Briand, son Premier ministre, vient de démissionner. Le pays, sans être à l’agonie, est bel et bien malade… Ce 2 janvier est un autre de ces jours affligeants de l’hiver, où un brouillard épais et un froid pénétrant engourdissent et attristent les êtres vivants. La foule, qui se meut bruyamment vers Colombes, est tourmentée par une interrogation lancinante : ce XV de France, reconnu par tous comme largement inoffensif, a-t-il une chance de vaincre les Écossais ? La dernière saison internationale a en effet confirmé que les Britanniques avaient encore plusieurs longueurs, sinon quelques années-lumière, d’avance sur le jeu un brin rustique et désordonné que pratiquent alors les Français. « Ceux-ci n’ont pas le meilleur tempérament pour le jeu de rugby, analysait le quotidien anglais Cambrian Daily
« Quelqu’un a vu Vareilles et Francquenelle ? » Dans les vestiaires français, le hurlement d’Allan Muhr, sélectionneur national, a laissé place à un silence contrit. Charles Vareilles, le trois-quarts centre, n’est toujours pas arrivé. Son remplaçant, le sauteur à la perche Antoine Francquenelle, est lui aussi introuvable. Alors que le match démarre dans une poignée de minutes, l’équipe de France de rugby, qui n’a encore jamais gagné la moindre rencontre internationale, n’est composée que de quatorze éléments. Branle-bas de combat. Muhr, surnommé le « Sioux », imagine déjà le concert de quolibets que lui réservent les Britanniques. Hanté par cette vision d’horreur, il se met aussitôt en quête d’un quinzième homme. En tribunes, il aperçoit René Duval et Jacques
1911
Dedet, deux joueurs du Stade français. Il les interpelle, leur expose la situation, avant de leur demander, au nom de la patrie en danger, de rejoindre les vestiaires. Dedet et Duval se regardent, hésitent. Enfin, ils se confondent en excuses : les « Stadistes » sortent d’un repas gargantuesque, n’ont pas fait le moindre exercice depuis près de quinze jours et, comble de malheur, ont très mal vécu leur non-sélection en équipe de France. Allan Muhr tourne les talons, furax. C’est alors qu’un comparse lui présente le poilu Marcel Laffitte. Le soldat, jusque-là installé en pesages, arbore sa traditionnelle tenue de sergent. Conciliabule entre les deux hommes. Une poignée de main scelle le premier grand secret du rugby français. À toutes jambes, Laffitte gagne les vestiaires, dépose ses godillots sous un banc de bois et accroche sa vareuse sur un porte-manteau. Et là… « Francquenelle, vous voilà enfin ! Mais où diable étiez-vous ? » Allan Muhr accueille le remplaçant de Vareilles, toujours aux abonnés absents, dans un grondement terrifiant. L’athlète de Vaugirard s’explique. Il a raté son train à Saint-Lazare et a dû prendre un taxi à la hâte. L’honneur est sauf. Le XIV de France, concept qu’auraient probablement adoré les British, n’entrera finalement pas dans l’histoire de ce jeu.
France - Écosse
À Colombes, France (le 2 janvier 1911) : France bat Écosse 16-15 (11-8 à la mi-temps) France : 4 essais : G. Laterrade, P. Failliot (2), G. Peyroutou – 2 transformations : P. Decamps Écosse : 3 essais : J. McCallum, P. Munro, C. Abercrombie – 1 transformation : B. Tod – 1 drop-goal : J. Pearson Arbitre : M. Jones (Angleterre) Équipe française : J. Combes (Stade français) – P. Failliot (Racing CF), M. Burgun (Racing CF), A. Francquenelle (SC Vaugirard), G. Lane (Racing CF) – (o) G. Peyroutou (CA Périgueux) – (m) G. Laterrade (Stadoceste tarbais) – M. Legrain (Stade français), (cap.) M. Communeau (BOUC), J. Bavozet (FC Lyon) – P. Decamps (Racing CF), F. Forgues (Aviron bayonnais) – P. Mauriat (FC Lyon), P. Mounicq (Stade toulousain), P. Guillemin (Racing CF) Équipe écossaise : B. Tod – W. Sutherland, Th. Young, F Buchanan, J. Pearson – (o) (cap.) P. Munro – (m) F. Osler – J. McCallum, R. Stevenson, A. Moodie – C. Abercrombie, R. Fraser – F. Turner, J. Scott, A.M. Stevenson
Reichel, pionnier du sport automobile et athlète accompli, il écrivait dans les colonnes du Figaro : « Le meilleur athlète était de notre côté. Sans Failliot, dont la prodigieuse vitesse nous a victorieusement servis dans l’attaque et dans la défense, l’équipe de France n’aurait peut-être pas battu l’Écosse. » Le XV de France, dont l’antihéros portait ce jour-là des mitaines de laine noire, venait de goûter au péché originel de la victoire. Suivraient, au fil du siècle, une centaine d’autres… L’attaquant du XV de France,
« C’est un véritable temps écossais. On gagnera de quinze points. » Le trois-quarts centre des Highlands Buchanan a beau être l’attaquant le plus craint des îles Britanniques, il n’a jamais brillé par ses aptitudes médiumniques. A-t-il vu, dans ses songes éthérés, qu’un ailier nommé Pierre Failliot offrirait à la France, ce 2 janvier 1911, sa première victoire dans le Tournoi des cinq nations ? Visiblement, non. Failliot (un mètre quatre-vingt-un et quatre-vingt-dix kilos), surnommé l’« Autobus » par ses pairs et considéré comme le précurseur des colosses polynésiens trustant aujourd’hui les postes d’ailier, s’invite à la table des grands. Alors que les Écossais ont remis la main sur le score (11-12), il se saisit de façon acrobatique d’une passe flottante de son centre Burgun, prend de vitesse son adversaire direct, place une double accélération et aplatit, au bout d’une course féline, son deuxième essai du match. Qui osera encore reprocher à l’ailier du Racing, qui court le 400 mètres en quaranteneuf secondes, ses penchants certains pour la maladresse ? À Colombes, personne. En toute fin de match, ledit Failliot, d’un plaquage énergique et appuyé, pour l’anecdote, d’un terrible hurlement, exécutait même l’attaquant écossais Sutherland à trois mètres de l’en-but français… On raconte qu’au milieu de la foule, au moment où le capitaine Marcel Communeau était porté en triomphe, une voix s’est levée pour entonner La Marseillaise. Dans une irréelle cacophonie qui résonna alors jusqu’aux confins du boulevard Valmy, la horde sauvage prit le relais du patriote inconnu. Les Latins tenaient leur victoire. « La France bat l’Écosse ! » titrait le quotidien L’Auto au lendemain de ce match. Quant à Frantz
Antoine Francquenelle, excellait aussi au saut à la perche.
XV de FrancE
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Page de gauche : Il ne manquait que le grand Estève (deux mètres deux) ici face au petit Fouroux (un mètre soixante-neuf) pour s’opposer à la furia argentine. 112
Ci-dessus, en bas à gauche : Le pack du Tournoi (Boffelli, Bénésis, C. Spanghero, Cester, Vaquerin, Iraçabal, Estève et Skrela – de gauche à droite) n’avait hélas pu être reconstitué dans la pampa argentine.
Ci-dessus, en haut : Jean-François Gourdon, ici face aux Springboks en 1974, franchit la ligne argentine à quatre reprises. 113
Ci-dessus, en bas à droite : Hugo Porta, la machine à buter des Pumas, ici sous le maillot de la sélection argentine en tournée en Angleterre en 1978.
Page de gauche, en haut : Robert Paparemborde n’était pas seulement un pilier de mêlée. Il démontre ici, face à l’Écosse en 1977, qu’il pouvait se transformer en un redoutable attaquant. Page de gauche, en bas : Jean-Luc Averous, l’ailier de La Voulte, dégage le camp français d’un maître coup de pied. Ci-dessus : Jean-Pierre Rives dans les vestiaires après un match du Tournoi : ses images christiques feront de lui l’une des premières stars du rugby.
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13 juin 2009
Piège de cristal
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l ne l’explique pas vraiment. Sa mère Dania est « assez menue », son père Jacques « pas extraordinaire ». Lui ? 3,9 kg à la naissance, cent seize aujourd’hui. Mathieu Bastareaud est sans conteste le trois-quarts centre le plus lourd de l’histoire. Des mensurations pantagruéliques. Une morphologie irréelle, à faire passer Ma’a Nonu et Scott Gibbs pour des moines tibétains en grève de la faim depuis six semaines. Fabien Galthié, son coach au Stade français, s’était juré en 2008 de lui faire perdre du poids. Il surveillait ses repas, lui imposait des séances supplémentaires, lui conseillait le vélo, beaucoup de vélo, « tous les matins à 8 heures. Résultat, je n’avançais plus le week-end. Il ne faut pas se battre contre la nature. Je n’aurai jamais des abdos en forme de plaquettes de chocolat. Et devenir ou pas une couverture de calendrier m’indiffère. Je suis né comme ça. » Et il s’en contrefout. Tous les dimanches, au su de tous, il sacrifie donc au même rituel, son plaisir de fin gourmet à lui. Au crépuscule, quand le périphérique parisien vomit ses derniers vagabonds, il pousse la battante d’un fast-food du coin, le KFC de la porte de Saint-Cloud. Le sol y est gluant, les relents de graillon tenaces, le personnel ravi d’être là. « Suivant ! – Un Bucket Hot 33 s’il vous plaît. » Et quelques frites. Enfin, pour apaiser sa conscience, un Coca Light. Là, Mathieu Bastareaud empoigne son butin, se libère de sa casquette et contemple le seau d’ailes de poulet avec un sourire extatique. Piano piano, chicken wing après chicken wing, il se demande enfin pourquoi il faut toujours attendre une semaine, avant de se vautrer à nouveau dans cette débauche très bon marché… « Et alors ? Contrairement à beaucoup d’autres, je ne m’en cache pas. Si vous écoutez les rugbymen d’aujourd’hui, ils mangent des blancs d’œuf matin, midi et soir ! Tout ça, c’est du mytho. » Beaucoup de choses l’agacent, « Basta ». Il promène sur le monde un regard de Droopy désabusé, une démarche de gros chat nonchalant, un cynisme désopilant, un humour à la Bacri. La messagerie de son téléphone por-
table, réduite à un « Salut… Mathieu… » étouffé dans un soupir, est un appel au suicide. Il est poli mais ne se fourvoie jamais dans l’obséquiosité, se force peu, râle souvent. Il aime la Guadeloupe, la terre de sa maman, mais « pas plus d’un mois. T’en as vite fait le tour. » Il y a peu, son coéquipier Guillaume Boussès, qui l’exhortait ironiquement à travailler son développé-couché, lui a donné des envies de meurtre. Le même jour, il s’en est pris à son pote Julien Saubade, coupable à ses yeux d’avoir contraint le groupe parisien à une séance de course, à la fois supplémentaire et fatale. Alors, quand les ayatollahs de la technique individuelle et de la passe sur un pas lui reprochent aujourd’hui de n’être qu’un « coffre à ballons », il se contente de hausser les épaules et de lever les yeux au ciel avant de lâcher, sans jamais faire vaciller ses intonations de rogomme : « Quand j’étais môme, on m’a jamais demandé de faire une passe. Mais ça viendra peut-être un jour… »
François Trinh-Duc vient d’échapper à toute la défense néo-zélandaise. Le flanker Adam Thomson est impuissant.
Au début de 2009, son début de saison fracassant lui offre naturellement un destin international. L’« homme qui gagne tous ses duels » (Fabien Galthié), le « centre le plus puissant du monde » (Fabrice Landreau) découvre le plus haut niveau. Dans un jeu fondé sur des principes élémentaires de territoire et d’occupation, son exceptionnelle capacité à avancer devient rapidement indispensable au XV de France. Ce 13 juin, Marc Lièvremont, le successeur de Bernie le Dingue à la tête de la sélection nationale, a donc convoqué le phénomène
2009
Bastareaud pour affronter les All Blacks au Carisbrook Stadium de Dunedin, surnommé « The House of Pain », la « maison de la douleur », par les locaux. Avant le match, on sent néanmoins que les maîtres du monde, amputés de leurs leaders Dan Carter et Richie McCaw, sont vulnérables. Le déroulé de la rencontre confirme les espoirs de Marc Lièvremont et les craintes de Graham Henry. À la dixhuitième minute de jeu, le numéro 8 Louis Picamolès négocie parfaitement une sortie de mêlée et sert son ouvreur François Trinh-Duc, lancé comme une balle. Le numéro 10 montpelliérain raffute Kieran Read, humilie Liam Messam et Mils Muliaina par une accélération foudroyante. Il résiste au retour désespéré d’Adam Thompson et marque. Dix minutes plus tard, Picamolès récupère un coup de pied de Messam dans ses quarante mètres. Il sprinte le long de la touche, fixe la défense des All Blacks et sert son ailier Vincent Clerc. Après un passage au sol, Damien Traille prend le trou et croise avec Maxime Médard, plaqué à trois mètres de l’en-but adverse. Le ballon sort pour William Servat, qui marque en force. Les All Blacks sont dépassés. Au centre du terrain, la puissance de « Basta Rocket » fait des dégâts immenses. Fait-il peur aux trois-quarts néo-zélandais ? On le jurerait, tant ceux-ci balbutient chacune de leurs offensives. Lorsque Médard, en fin de match, profite d’une mauvaise passe entre McAlister et Muliaina pour filer seul à l’essai, la House of Pain capitule. « Nous avons été ridiculisés, soufflera le boss des All Blacks Graham Henry en conférence de presse. Bastareaud est le phénomène attendu. Quant à Médard, il nous a tués… » À Dunedin, Marc Lièvremont décroche le premier succès majeur de son jeune règne. Le coach des Bleus exulte. Il ne le sait pas encore, mais les jours qui suivront son premier triomphe incarneront à jamais son pire cauchemar…
France Nouvelle-Zélande
À Dunedin, Nouvelle-Zélande (le 13 juin 2009) : France bat Nouvelle-Zélande 27-22 (17-11 à la mi-temps) France : 3 essais : F. Trinh-Duc (17e), W. Servat (29e), M. Médard (70e) – 3 transformations et 2 pénalités (4e, 66e) : J. Dupuy Nouvelle-Zélande : 2 essais : L. Messam (40e), M. Nonu (75e) – 4 pénalités (13e, 39e, 50e, 58e) : S. Donald Arbitre : M. Clancy (Irlande) Équipe française : M. Médard (Stade toulousain) – V. Clerc (Stade toulousain), M. Bastareaud (Stade français ; remplacé par Y. Jauzion, Stade toulousain, 69e), D. Traille (Biarritz olympique), C. Heymans (Stade toulousain) – (o) F. Trinh-Duc (Montpellier HR) – (m) J. Dupuy (Leicester Tigers ; remplacé par D. Yachvili, Biarritz olympique, 73e) – F. Ouedraogo (Montpellier HR), L. Picamolès (Montpellier HR ; remplacé par J. Puricelli, Aviron bayonnais, 62e), (cap.) Th. Dusautoir (Stade toulousain) – R. Millo-Chluski (Stade toulousain), P. Papé (Stade français ; remplacé par S. Chabal, Racing Metro, 53e) – S. Marconnet (Stade français ; remplacé par N. Mas, USA Perpignan, 59e), W. Servat (Stade toulousain ; remplacé par D. Szarzewski, Stade français, 51e), F. Barcella Équipe néo-zélandaise : (cap.) M. Muliaina – J. Rokocoko, I. Toeava (remplacé par L. McAlister, 60e), M. Nonu, C. Jane – (o) S. Donald – (m) J. Cowan (remplacé par P. Weepu, 51e) – A. Thomson (remplacé par T. Latimer, 60e), L. Messam, K. Read – I. Ross (remplacé par B. Evans, 74e), B. Thorn – N. Tialata (remplacé par J. Afoa, 63e), A. Hore (remplacé par K. Mealamu, 20e), T. Woodcock
tombé dans ma chambre et me suis ouvert la pommette. J’ai eu honte. J’ai paniqué. » En coulisses, nul ne croit sa version des faits. Selon le docteur du XV de France Jean-Philippe Hager, qui a soigné le Parisien aux abords de 4 heures du matin, le joueur était bel et bien en état de choc lorsqu’il frappa à sa porte. La thèse de l’accident domestique est une vaste blague. Que s’est-il passé durant les vingt-cinq minutes au cours desquelles les caméras de l’Holiday Inn ont perdu la trace de Bastareaud ? Entre le moment précis où on le vit pénétrer le hall de l’hôtel en compagnie de Fulgence Ouedraogo, Louis Picamolès et de deux jeunes filles et l’instant où le passe de sa chambre fut actionné ? S’est-il battu ? Si oui, avec qui ? Plusieurs noms circulent. Les rumeurs persistent. Mais rien ne tient. Rien de sérieux, en tout cas. En réalité, on n’est même certain que d’une seule chose : au bout du monde, les Bleus ont signé un pacte, un serment retenant la vérité en otage, pour l’éternité. Mais cette nuit du 20 juin 2010, la vie de Mathieu Bastareaud a bel et bien basculé. Et depuis, les chicken wings du KFC n’ont plus vraiment le même goût…
Une semaine plus tard, les Bleus, incapables de rééditer leur performance du Carisbrook Stadium, sont logiquement battus (14 à 10) par les All Blacks. À 3 heures du matin, Mathieu Bastareaud rentre seul à l’Holiday Inn, l’hôtel des Tricolores à Wellington. Le lendemain, c’est la stupeur : l’entourage du XV de France annonce que le joueur a été violemment agressé par quatre ou cinq individus à la sortie d’un taxi. Le mardi suivant, Basta rentre en France, le visage meurtri, le vague à l’âme. À son arrivée à l’aéroport de Roissy, il s’étonne de l’ampleur médiatique qu’a prise cette affaire. Une chaîne de télé néo-zélandaise, TV One, a en effet révélé que le joueur français n’avait pas été agressé dans la rue, comme il le prétendait. La police de Wellington s’est procuré les vidéos montrant Bastareaud, indemne, rentrant à l’hôtel en compagnie de deux joueurs du XV de France. Le scandale est sans précédent. Entre la France et la Nouvelle-Zélande, on frise l’incident diplomatique. François Fillon, le premier ministre français, s’excuse officiellement auprès de John Key, son équivalent néo-zélandais, qualifiant le comportement du joueur d’« inexcusable ». Basta Rocket est sommé de s’excuser. Ce qu’il fait : « Je suis rentré à l’hôtel après avoir trop bu. Je suis
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L’histoire du XV de France est parsemée des destins contrastés, multiples et discordants des mille douze joueurs ayant, un jour, une heure, un soir, enfilé sa Des rires, des larmes, des révolutions de palais, et des héros tunique. des destinées brisées, des glorioles passagères et des triomphes immortels constellent les six cent soixante-trois matchs de l’équipe de France de rugby. Parmi tous ceux-là, j’ai choisi d’en retenir trente-six, victoire ou défaite, parce qu’ils étaient à mon sens porteurs de la dimension humaine propre à ce sport. Le contexte historique, les coulisses, les secrets de vestiaire ou le making of, comme on dit aujourd’hui, ont ainsi tout autant d’importance – voire davantage – que les matchs en eux-mêmes. Des pionniers de 1906, qui ne s’étaient jamais rencontrés avant de pousser la porte de leur vestiaire, à la stupéfiante affaire Bastareaud, en passant par la touchante confession de Jean-Pierre Garuet ou les coups de force de la bande à Fouroux, cet ouvrage tente d’aborder l’épopée du XV de France par le prisme des hommes qui en ont écrit les grandes lignes. Une Histoire, des histoires et des hommes…
Flammarion
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Prix France : 29,90 ISBN : 978-2-0812-6083-2
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Marc Duzan
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Journaliste au Midi olympique, Marc Duzan a déjà publié un ouvrage sur le rugby – Rugby, les rois de la coupe du monde 2007, chez Solar.
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Couverture : © Michel Birot 4e de couverture et portrait de Marc Duzan : © Patrick Derewiany