Flanders (i) Magazine #29 - edition française

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EN

FRANÇAIS

1. GUST VAN DEN BERGHE

4. PETER BOUCKAERT

Le tableau final d'une grande histoire

8. JÉRÉMIE RENIER

PAR Ian Mundell PHOTO Bart Dewaele

Après le tournage de Little Baby Jesus of Flandr sur ses terres puis de Blue Bird au Togo, Gust Van den Berghe a situé son dernier film, Lucifer, au Mexique. Malgré des styles et des décors différents, les trois films sont liés pour former un véritable triptyque. « Lucifer est le tableau final d'une grande histoire dans laquelle j'essaie d'évoquer l'émergence de la conscience au sein de l'humanité. Et c'est une histoire sur le Paradis. »

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Photos: tournage de Lucifer

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Little Baby Jesus of Flandr s’inspirait d’une pièce de Noël de 1924, dans laquelle un groupe de mendiants font une rencontre religieuse alors qu’ils parcourent la campagne flamande en hiver. Gust Van den Berghe a tourné le film en noir et blanc avec un casting d’acteurs handicapés. Blue Bird a lui aussi des racines littéraires : un conte de 1908 détaillant la quête de deux enfants pour trouver l’oiseau bleu du bonheur. Le film a été tourné en monochrome bleu dans un format très large que Van den Berghe appelle Überscope. Lucifer est basé sur une pièce de théâtre du même nom de Joost van den Vondel, un des plus importants dramaturges néerlandais du 17e siècle. Il décrit le conflit céleste opposant les anges fidèles à Dieu à un groupe d'anges rebelles qui craignent la suprématie de l’Homme. L’ange rebelle Lucifer finit par être expulsé, entraînant la chute de l’Humanité. Le réalisateur a été tout particulièrement interpellé par la conclusion de la pièce. Le film commence d’ailleurs avec l’expulsion de Lucifer des cieux et son arrivée sur Terre, qui est alors encore le Paradis. « Cette partie m’a beaucoup intéressé », se rappelle-t-il, « et j’ai naturellement inventé de nouveaux personnages car je voulais transposer l’histoire dans un cadre auquel on puisse se rattacher. » .2.


Lucifer gagne la confiance d’une famille pauvre, composée d’une vieille femme, Lupita, de son frère invalide Emanuel et de sa petitefille Maria. Il guérit Emanuel sans grande difficulté puis se sert de ce 'miracle' pour convaincre la famille et la communauté locale qu’il est un ange. Lorsqu’il s’en va, aussi soudainement qu’il est arrivé, la ville n’est plus innocente. Le péché s’y est immiscé et le Paradis est perdu. Gust Van den Berghe n’arrive pas à expliquer clairement pourquoi il s’est rendu dans la ville d’Angahuan, dans l’État mexicain du Michoacán. « Je ne réfléchis pas trop à ces choses-là. On a des idées et des images en tête, qu’on projette dans un lieu défini. » Un des éléments phares a été le volcan Parícutin, qui a ravagé la ville de San Juan Parangaricutiro dans les années 40. « Il y a une histoire à propos d’un volcan que je trouve vraiment fascinante. C’est une terre nouvelle, qui nous rappelle la création de la Terre »,

explique-t-il. « Cela nous renvoie aussi, d’une certaine façon, à la fin du monde. Au bout du compte, il ne restera que des cendres. » Comme ses prédécesseurs, Lucifer possède une signature visuelle distinctive, puisqu’il est présenté dans un format circulaire baptisé Tondoscope® par Gust Van den Berghe. Ce dernier s’est inspiré de l’utilisation de cercles dans les premières peintures de la Renaissance traitant du paradis et de l’enfer, ou plus modestement dans la présentation de paraboles ou des sept péchés capitaux. « Je voulais une référence visuelle à ce langage pictural. » L’enthousiasme de Van den Berghe pour l’expérimentation et ses sujets de prédilection lui ont souvent valu d’être qualifié de prétentieux, ce qu’il n’accepte pas. « Je pense sincèrement qu’il y a une différence entre la prétention et l’ambition. Et si on commence à étouffer l’ambition des jeunes réalisateurs, cela rejaillira sur les générations futures. »

Gust Van den Berghe (à droite)

« Je pense sincèrement qu’il y a une différence entre la prétention et l’ambition »

Le Tondoscope®

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La méthode Bouckaert PAR Ian Mundell PHOTO NYKLYN

Peter Bouckaert, de la société Eyeworks Belgique, n’est pas le genre de producteur à donner des chèques en blanc. « Je crois fermement en la sainte trinité des scénariste, réalisateur et producteur », explique-t-il. « J’aime m’investir dans un projet dès ses débuts. On peut alors développer une vision commune. Si on partage une même vision de ce qui doit apparaître à l’écran, toutes les barrières tombent. »

Le développement de nouveaux talents est une des missions centrales d'Eyeworks. « Au cours des six dernières années, j’ai produit cinq premiers longs métrages », annonce Peter Bouckaert. Et cela devrait continuer. « Nous visons une relation durable avec les talents que nous lançons et nous voulons poursuivre le développement de leur carrière. » Pour attirer son attention, un réalisateur doit posséder deux qualités essentielles. « Premièrement, une voix unique. Il doit raconter une histoire d’une façon originale. Deuxièmement, et c’est très important pour moi, il doit s’adresser à un public. C’est très variable : tenter de toucher un public de 50 000 personnes avec un sujet difficile peut se révéler aussi ambitieux que viser 300 000 entrées pour un film plus conventionnel. » interview

Peter est également habitué à se battre pour ses films. Et quand ceux-ci connaissent un certain succès, comme Marina et Le verdict récemment, il a l'habitude d'entendre qu'il n'y est pour rien. « Les gens ont tendance à expliquer les succès commerciaux, lorsqu'ils sont indéniables, comme étant

Marina

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naturels et évidents », souffle-t-il, « mais nous avons dû nous battre pendant sept ans pour réaliser Marina, et nombreux étaient ceux qui n’y croyaient pas. » À sa grande satisfaction, le film a désormais passé la barre des 500 000 entrées en Belgique, tandis que Le verdict se rapproche des 400 000 entrées, ce qui place les deux films dans le top 20 des productions locales les plus plébiscitées de tous les temps. Les trois films sortis via Eyeworks Belgique au cours des 12 derniers mois incarnent tous sa philosophie de la production cinématographique, à mi-chemin entre le film grand public (mainstream) et le cinéma d’auteur. « La réalisation d'un film à haut potentiel commercial exige qu'il soit d'une certaine qualité et apporte une valeur ajoutée : différents niveaux de lecture, par exemple, ou un sujet inédit. Si on fait un premier film ou un film traitant d'un sujet complexe, l'objectif n'est pas qu'il soit vu par seulement quelques centaines de personnes dans quelques festivals. Nous voulons atteindre un vaste public. » Marina raconte l’histoire d’un jeune Italien arrivé en Belgique dans les années 50, qui traverse les épreuves de la vie en tant qu’immigré pour finalement devenir un chanteur célèbre. Basé sur l'enfance et l'adolescence de Rocco Granata, ce film pourrait facilement

se dérouler comme un biopic conventionnel. Son réalisateur Stijn Coninx a pourtant choisi de mettre d’autres thèmes en valeur. « Il n’est pas question de raconter ici l’évolution 'from zero to hero', mais bien la découverte de sa propre identité », précise Peter Bouckaert. Si Luc et Jean-Pierre Dardenne sont coproducteurs de Marina, Peter Bouckaert a pour sa part coproduit Deux jours, une nuit, qui sera présenté par 'les frères' au prochain Festival de Cannes. Le verdict s’intéresse quant à lui à un criminel libéré pour vice de procédure et aux efforts d’une de ses victimes pour se faire justice. Ce film critique également le fonctionnement du système judiciaire. « Une fois encore, ce n’est pas un sujet facile, et la moitié du film se passe dans un tribunal, avec beaucoup de dialogues », ajoute Peter Bouckaert. C’est aussi un film inhabituel pour le réalisateur Jan Verheyen (Zot van A., Dossier K.), qui a également écrit le scénario. « Beaucoup de gens craignaient que le film manque de subtilité, alors qu’au contraire, le thème est traité de façon très équilibrée. » Depuis lors, le film a déjà remporté plusieurs récompenses dans des festivals internationaux tels que Montréal et Chicago, et entame maintenant sa carrière internationale.

Tax shelter v.02 Le tax shelter belge joue depuis une dizaine d’années un rôle important dans la croissance du secteur cinématographique local, en fournissant aux producteurs un financement complémentaire précieux et en stimulant les coproductions internationales. Il a toutefois aussi été exploité pour d’autres raisons, ce qui a nui à son efficacité. Après une campagne engagée de la part des producteurs, une nouvelle version du système devrait entrer en vigueur dans le courant de cette année. Créé en 2003, le tax shelter est un incitant fiscal qui permet aux contribuables belges d’investir dans des productions audiovisuelles, tout en limitant les risques d’une telle opération. Pourtant, au fil des ans, il est peu à peu devenu un produit financier avec un retour sur investissement garanti, indépendamment de la production concernée. Ce qui a à son tour engendré une course vers des rendements toujours plus élevés, souvent obtenus en puisant dans les fonds destinés à la production, par exemple en exigeant la vente et l’achat de droits liés à la production. « Nous étions arrivés à un point où, dans la plupart des cas, seuls 20 € sur 100 € récoltés étaient disponibles pour les frais de production réels. Le système avait perdu toute efficacité », affirme Peter Bouckaert qui, outre sa fonction d'administrateur d'Eyeworks Belgique, est président de l'association des producteurs de films flamands (VFPB). « Si on dépend de cette mesure pour obtenir les 25 derniers pour cent de son financement, cela peut faire la différence entre entrer en production ou ne pas entrer en production. » Afin de remédier à cette situation, Peter Bouckaert et d’autres producteurs de films ont pressé le gouvernement afin qu’il réforme le dispositif. Cependant, plutôt que de revenir à la conception d’origine du tax shelter, ils ont proposé une approche plus pragmatique. Le système devrait tenir compte de la préférence du marché pour un produit fiscal offrant un retour sur investissement garanti, mais d’une façon plus transparente et en ne laissant aucune place aux dérives. Le principe désormais est que chaque production éligible reçoit un certificat mentionnant le montant des dépenses prévues en Belgique – et plus largement en Europe. Ces certificats sont ensuite vendus aux investisseurs qui peuvent à leur tour les utiliser pour demander un avantage fiscal au gouvernement. Le montant mis à la disposition des sociétés de production sera significativement supérieur à ce qu’il est aujourd’hui. Les investisseurs peuvent toujours compter sur un rendement net de 5,5 à 7,5 %, et le gouvernement obtient la garantie que le système est directement lié aux obligations de dépenses. « Tout le monde restera en place, mais la concurrence sur le marché se basera dorénavant sur la réputation, les relations avec les investisseurs et la qualité des projets concernés », conclut Peter Bouckaert.

Le verdict

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« Tout ce que les gens considèrent aujourd'hui comme risqué, ils le trouveront évident si le succès est au rendez-vous »

L'homme du soir

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Brabançonne

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Enfin, L'homme du soir est l’histoire sombre et complexe d’un inspecteur tourmenté enquêtant sur une affaire d’enlèvement d’enfant. Écrite par Carl Joos et réalisée par Hans Herbots, cette production est la première adaptation sur grand écran d’un roman policier de l’auteure britannique Mo Hayder. « Nous avons fait le film sans en édulcorer le sujet, mais en veillant à ce qu’il reste accessible au public », commente Peter Bouckaert. Bien que tous ces films soient l’œuvre de réalisateurs confirmés, Peter Bouckaert n’hésite pas non plus à prendre des risques avec de nouveaux talents, tels que Cecilia Verheyden, qui se lancera avec Achter de wolken, ou Adil El Arbi et Bilall Fallah, auteurs de la prochaine sortie d'Eyeworks. Ces derniers ont croisé sa route en tant qu’étudiants en cinéma, alors qu’ils tournaient le 'making of' du film Dossier K. de Jan Verheyen. « J’ai beaucoup aimé leur énergie et leur façon de travailler. Je leur ai dit : 'si vous comptez un jour réaliser un long métrage, je le produirai.' » Ils l’ont pris au mot et ont injecté euxmêmes de l’argent dans le projet après avoir gagné une 'Wildcard' du Fonds Audiovisuel de Flandre pour leur film de fin d’études Broeders. Peter Bouckaert a tenu sa promesse, mais les a aussi mis en contact avec le coproducteur A Team Productions, accoutumé au style de production 'guérilla' qu’ils avaient en tête. Le résultat est Image, l’histoire d’une journaliste de télévision qui explore les entrailles de Bruxelles avec l’aide d’un jeune Marocain, mais qui doit remettre son rôle en question face à une flambée de violence. Le film aborde sans détour les thèmes de la tension raciale, de la manipulation des médias et de l’ambition personnelle. Il affiche en outre une finition beaucoup plus soignée que ne le laisse penser son budget minimaliste. « Il a les imperfections mais aussi

la fougue et l'intensité d'un premier film », explique Peter Bouckaert. « Et c'est une histoire qui a des racines, tirée de leur expérience. » La sortie d'Image en Belgique est prévue cet automne. Par ailleurs, le tournage de Brabançonne a commencé. Il s’agit du quatrième long métrage de Vincent Bal (Miaou !, Zigzag Kid) encore un film pour lequel Peter Bouckaert s’est battu pendant des années. « Tout ce que les gens considèrent aujourd’hui comme risqué, ils le trouveront évident si le succès est au rendez-vous. » Cette histoire à la Roméo et Juliette est celle de deux amoureux séparés par la frontière linguistique belge. Lui est soliste dans une fanfare en Wallonie francophone, elle est la fille du chef d’une fanfare rivale du côté flamand. Le film sera aussi une comédie musicale mettant en scène des chansons populaires des deux communautés. « Ce sera un film très original, typiquement belge, avec beaucoup de chaleur et d’humour et des chansons d’un style très particulier », ajoute Peter Bouckaert. Il entrevoit également un potentiel européen plus large, un peu à l’instar de la comédie française sur le choc des cultures Bienvenue chez les Ch’tis. Outre des films pour le grand écran, Eyeworks produit aussi des séries télé, deux activités que Peter Bouckaert perçoit comme complémentaires. « Elles s’enrichissent mutuellement. Nos séries télé ont gagné en qualité car nous collaborons avec des personnes dotées de compétences cinématographiques », précise-t-il. De la même façon, la possibilité de travailler pour la télévision donne une certaine continuité de carrière aux réalisateurs tout en complétant leur expérience. « Les budgets sont moins conséquents en télévision, il faut être plus rapide et résoudre en permanence toute une série de problèmes. Lorsqu’on repasse .6


ensuite au cinéma, ça paie. » Parmi les succès récents, citons la comédie Home Grown, la série criminelle De Ridder et l’apocalyptique Cordon. « Cordon est pour moi une sorte d’aboutissement », raconte Peter Bouckaert. « C'est une série qui montre de grandes qualités de production. Elle est nerveuse, elle semble américaine par son sujet mais est traitée à l’européenne, en s’appuyant sur des personnages forts. Elle est intense et réaliste. » La prochaine production sera De bunker, qui abordera les activités d’une cellule locale des services secrets en vue de rassembler des renseignements et d’infiltrer des groupes représentant une menace pour l’État. Pendant la phase de préparation, ses auteurs ont eu le privilège d’accéder aux archives des services secrets afin de pouvoir baser la série sur des faits réels. Peter Bouckaert s’attend-il à des changements majeurs après l’acquisition récente du réseau international de sociétés Eyeworks par le groupe Warner Bros.

Television ? « Quand nous avons intégré Eyeworks en 2005, nous sommes restés une des sociétés de production de référence, pour les longs métrages comme pour les séries télé, mais à une échelle plus importante. Nous avons toujours pu laisser libre cours à nos talents et affirmer notre personnalité propre, tout en bénéficiant du soutien d'une structure plus solide.

Pour moi, c’est une nouvelle étape, avec une structure encore plus renforcée. » Il ne pense pas que Warner cherchera à brider sa liberté. « Ce qui les intéresse, c’est la production locale et son développement à l’échelle internationale, pourvu que le potentiel soit présent », ajoute-t-il. « Je n’y vois que des opportunités. »

Cela dégage surtout une nouvelle source d’expertise lorsqu’il s’agit de sortir des films et séries télé sur le marché américain et les marchés anglophones en général. « Je peux facilement prendre mon téléphone et parler à une personne investie d’un pouvoir décisionnel, pour lui dire que tel ou tel projet pourrait être intéressant. »

Dossier K.

En préparation Le prochain film d’Eyeworks en tournage sera la comédie romantique Lee & Cindy C, dans laquelle un jeune chanteur rock imitant Kurt Cobain s’éprend d’une artiste populaire issue du monde de la pop sentimentale – ou 'schlager'. Le film sera écrit et réalisé par Stany Crets, mieux connu en Flandre en tant que personnalité du petit écran et acteur (Germaine, Ancienne Belgique). « Je ne vois pas cela comme la conversion d’un acteur en réalisateur », déclare Peter Bouckaert. « C’est une personnalité intéressante qui veut raconter une histoire, et je pense qu’il convient parfaitement. » Viendra ensuite Achter de wolken, dans lequel deux amants de jeunesse se retrouvent cinquante ans plus tard, après un décès et un divorce. Ils vont vivre ce dernier amour avec la même intensité qu’au premier jour, mais teinté de l'expérience de leurs deux vies. « C’est une histoire magnifique sur les effets du temps et les choix de la vie », explique Peter Bouckaert, « et sur la sexualité au troisième âge. » Derrière la caméra, Cecilia Verheyden, une réalisatrice débutante dont Peter Bouckaert suit la carrière depuis quelque temps. « Je savais que cette histoire l’intéresserait beaucoup, et que le traitement de ce

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sujet par un jeune réalisateur déboucherait sur un mix intéressant », ajoute-t-il. Un autre film en préparation est Say Something Funny, le troisième de Nic Balthazar, après Ben X et À tout jamais. Il met en scène un comédien comique qui traverse la crise de la quarantaine et doit faire face à la dépression et au doute dans un monde extrêmement compétitif. Peter Bouckaert travaille également au troisième et dernier film avec les inspecteurs de police Vincke et Verstuyft, après La mémoire du tueur et Dossier K. Il possède aussi une option sur le prochain livre de la série de romans policiers ténébreux de Mo Hayder. Enfin, Eyeworks poursuit son partenariat de coproduction avec Savage Film, qui a commencé avec Tête de bœuf de Michaël R. Roskam. On peut s’attendre cet été à la sortie de l’aventure familiale Labyrinthus, de Douglas Boswell, que Peter Bouckaert a élaborée avec le scénariste Pierre De Clercq avant l’implication de Savage. La production de l’année prochaine débutera avec le prochain film de Roskam, The Faithful, qui marquera aussi la troisième collaboration entre Savage et Eyeworks.

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Un chevalier noir

PAR Ian Mundell PHOTO Bart dewaele

Waste Land est un thriller psychologique qui explore le côté sombre de Bruxelles. Et même si cela a nécessité beaucoup de travail après les heures régulières pour son acteur principal, Jérémie Renier, celui-ci ne s'en plaint pas. « J'adore tourner la nuit, dans une ville », confie-t-il. « Il y a quelque chose de différent, l'ambiance n'est pas la même. » Le fait de jouer dans sa ville natale y a aussi beaucoup contribué, bien que ce soit un événement plutôt rare. « C'est vrai que je n'ai pas fait beaucoup de films à Bruxelles, mais chaque fois, c’est un peu comme enfiler une paire de pantoufles confortables. C'est très agréable car je suis chez moi, et je ressens immédiatement une certaine forme de liberté. J'ai l’impression qu’au fur et à mesure que j’intègre mon rôle, j’ai moins besoin de jouer et je peux être davantage qui je suis. » interview

Malgré ses racines bruxelloises, Jérémie Renier est souvent associé au sud industriel de la Belgique et au paysage urbain dévasté rendu célèbre par les réalisateurs Jean-Pierre et Luc Dardenne. Il a fait son entrée dans l'imaginaire collectif par le biais de leurs films La Promesse (1996) et L’Enfant (2005), et a depuis lors joué dans pratiquement tous leurs autres films. Cette année, Deux jours, une nuit fera figure d’exception. Sa carrière s’est entre-temps développée en Belgique et en France, où il a collaboré notamment avec les réalisateurs François Ozon et Olivier Assayas, et même audelà. Il a commencé par de petits rôles dans les films en langue anglaise Atonement et In Bruges, pour assumer plus récemment des rôles majeurs dans Elefante blanco, du réalisateur argentin Pablo Trapero, et le Lady Grey à venir d'Alain Choquart, tourné en Afrique du Sud. Waste Land marque toutefois sa première collaboration avec un réalisateur flamand. Il s’agit de Pieter Van Hees, qui s’est fait connaître avec des films sombres et décalés tels que Left Bank et Dirty Mind, qui fusionnent différents genres cinématographiques. Waste Land continue sur cette même lancée et vient conclure une trilogie singulière décrite par le réalisateur comme une 'anatomie de l’amour et de la douleur'. Jérémie Renier incarne l’inspecteur de police Leo Woeste, qui doit enquêter sur un crime commis à Matongé, un quartier africain proche du centre de Bruxelles. Au fil du temps, il va faire face à une obsession pour cette affaire et le besoin de la résoudre, tout en s’éloignant de plus en plus de sa femme, enceinte de leur premier enfant. « C’est un personnage très dur, qui a du mal à communiquer.

Et sa vie va être bouleversée », explique Jérémie Renier. Le personnage l’a séduit dès le moment où il a lu le scénario. « Je l’ai trouvé très, très beau », se souvient-il. « Il est difficile, mais même à la lecture du scénario, on perçoit la profondeur artistique qui caractérise la vision du réalisateur. Ce n’est pas toujours le cas avec un script. » Non content de les réaliser, Pieter Van Hees a aussi à ce jour rédigé tous les scripts de ses films. « Si je dois faire une comparaison, je dirais qu'on ne voit pas le style de réalisation des frères Dardenne dans leur écriture, mais celle de Pieter est tout de suite très dense, très profonde. J’ai vraiment senti une grande richesse dans le personnage. C’est un rôle très lourd et puissant, qui affiche aussi une grande fragilité. » Amateur de films et de théâtre flamands, Jérémie Renier a été ravi de pouvoir travailler avec des acteurs de l’autre côté de la frontière linguistique belge. « Tous les acteurs flamands présents dans le film ont été fantastiques », commente-t-il. Il y a là une grande différence par rapport à la collaboration avec des acteurs français ou même des acteurs belges francophones. « Chaque acteur devrait savoir jouer de cette façon et se permettre une telle liberté », poursuit Jérémie Renier. « On peut être rigoureux, citer son texte et suivre les instructions du réalisateur, et puis tout à coup se laisser complètement guider par son inspiration du moment. » Après Waste Land, il aimerait beaucoup participer à d’autres projets flamands, même s’il reconnaît que la langue reste un obstacle. « Les réalisateurs intéressants ne manquent pas, mais je ne parle pas le néerlandais, c’est un vrai problème. Il faut que je l’apprenne. » .8


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