Flanders (i) Magazine #30 - edition française

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EN

FRANÇAIS

4. TEODORA ANA MIHAI

6. JONAS GOVAERTS

Chantez avec votre cœur

Après plusieurs années de travail à l’étranger, Vincent Bal rentre en Belgique pour Brabançonne, une histoire dans la veine de Romeo et Juliette avec la division linguistique de la Belgique en toile de fond. Cela pourrait bien être aussi la toute première comédie musicale flamande.

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Bal a suivi sa formation cinématographique et réalisé son premier film Man van staal en Belgique, avant de partir travailler aux Pays-Bas. Il a donné son premier rôle à Carice van Houten dans le populaire film pour enfants Miaou! (2001), puis a réalisé le film pour les familles Zigzag Kid (2012), un film international avec Isabella Rossellini et Burghart Klaußner. Entre-temps, il a travaillé sur des séries TV telles que Kika & Bob et a conçu d’autres projets de films. L’idée de Brabançonne (le titre fait référence à l’hymne national de la Belgique) remonte à 2008, lorsque Bal a rencontré le producteur Peter Bouckaert sur le plateau de Los. « Il m’a demandé quel genre de film j’aimerais tourner et je lui ai répondu : une comédie musicale. Je songeais à une comédie musicale avec des chansons populaires belges. » Bouckaert a aimé l’idée et a suggéré de construire une histoire mettant en scène les deux principales communautés linguistiques du pays : les Flamands néerlandophones et les Wallons francophones. Bal se souvient : « Je lui avais préparé un CD avec des morceaux qui me paraissaient correspondre au

8. CECILIA VERHEYDEN

PAR Ian Mundell PHOTO Bart Dewaele

film. Il l’a écouté dans sa voiture et m’a envoyé un simple texto : Wow ! Je viens juste d’écouter ton film et je l’ai vraiment apprécié ! » Pour construire l’histoire, Bal s’est associé à Pierre De Clercq (Hasta la vista, Halfweg, Labyrinthus). C’est ce dernier qui a eu l’idée de la faire se dérouler dans le monde des fanfares amateur. « Cela semblait une idée intéressante. Mettre en scène deux groupes de musiciens provenant des deux côtés de la frontière linguistique, plutôt que de parler de politique. Et cela a évidemment aussi aidé à mettre la musique dans le film. » L’intrigue porte sur deux fanfares rivales, en lutte pour représenter la Belgique dans une compétition internationale. Le groupe wallon En Avant, possède un formidable trompettiste, Hugues, mais durant la finale, Willy son alter ego flamand se dépasse au point de mourir sur scène. Il en résulte que les deux groupes sont sélectionnés pour la compétition européenne, mais sans Willy, la fanfare flamande Sint-Cecilia est sérieusement désavantagée. Dans le groupe wallon, tout n’est pas rose non plus : Hugues se dispute avec le chef de interview


« Avec Brabançonne, j’ai cherché à changer ma manière de diriger : pratiquement pas de scénarisation et la fanfare, qui refuse de voir ses compositions jouées pendant la compétition. Elke, la fille du chef de Sint-Cecilia, est au courant de ce qui se passe et en profite pour chercher à attirer Hughes dans leur groupe. C’est forcément à ce moment que les tensions s’exaspèrent entre les deux fanfares…et que commence l’idylle entre Elke et Hugues. « En jouant avec les clichés à propos de ‘l’autre’, nous cherchons à rendre la situation comique. Mais en même temps, nous ne caricaturons pas, nous montrons des personnages de chair et de sang. » Pour préparer le film, Bal et De Clercq ont passé beaucoup de temps auprès de vraies fanfares et visionné de nombreux ‘musicals’. Ils recherchaient les exemples à suivre, mais aussi les pièges à éviter. « Nous n’aimions pas les passages où la chanson bloque le déroulement de l’histoire. Du style : un gars vient de vivre quelque chose de spécial et se met ensuite à chanter : ‘je viens de vivre quelque chose de interview

spécial’… ! Quel ennui ! » Leur préférence allait clairement vers des transitions plus naturelles. « Quand les émotions deviennent trop fortes, les gens se mettent à chanter plutôt que de continuer à parler. » Etant donné qu’ils comptaient utiliser des partitions existantes, cela posait une exigence supplémentaire : « Il nous fallait trouver les paroles qui colleraient à l’histoire, qui la feraient progresser, et qui pourraient servir au dialogue entre les personnages, lorsque c’était possible. » L’inspiration est surtout venue de la série TV The Singing Detective de Dennis Potter, de On connaît la chanson d’Alain Resnais et de Les chansons d’amour de Christophe Honoré, que Bal appréciait tout particulièrement pour son réalisme. Un aspect que Bal voulait mettre en avant dans Brabançonne. « On doit comprendre pourquoi les personnages se mettent à chanter, mais dans le même temps nous voulions que tout cela baigne dans la réalité du monde des fanfares. »

discussions sur le plateau pour voir comment faire les choses… »

L’inspiration est aussi venue de l’âge d’or d’Hollywood. « Mamma Mia est très amusant, mais on a l’impression que tout ce beau monde a pris des amphétamines. Dans ces anciens films avec Fred Astaire, tout est beaucoup plus naturel et il y a ce côté sophistiqué qui me plaît énormément. » Dès le début, Bal a décidé que les rôles principaux devaient être tenus par des acteurs capables de chanter un peu plutôt que par des chanteurs aptes à jouer un peu. En choisissant Elke, Bal a tiré le gros lot : « En plus d’être actrice, Amaryllis Uitterlinden est une fantastique chanteuse. Lors de son passage au casting, tous ceux qui étaient présents ont eu la chair de poule. Les rôles qu’elle

avait joués avant n’avaient rien à voir avec celui du film, et je trouve qu’elle a fait du très bon boulot. » Pour le rôle d’Hugues, Bal a été frappé par la forte présence de l’acteur français Arthur Dupont, qui venait de jouer l’un des personnages principaux de la comédie wallonne Mobile Home. L’agent de Dupont n’était pas chaud pour le laisser jouer dans une autre comédie musicale, mais Bal est quand même parvenu à ses fins. Alors qu’il était membre du jury d’un festival du film, Dupont avait dit tout le bien qu’il pensait de Hasta la vista. « Lorsque nous lui avons dit que Brabançonne avait été écrit par le même auteur, il a demandé à lire le script. Il l’a .2


des maisons plus anciennes en pierre du pays et au charme désuet. Les deux villages du film comportent des éléments de divers endroits de Flandre et du Grand-duché de Luxembourg. Cette approche a été rendue nécessaire pour satisfaire les conditions posées par le Luxembourg pour participer au financement. La communauté française de Belgique, réticente au départ, s’est finalement ralliée au projet pour une petite part. « Cela nous a pris un certain temps pour les convaincre, mais je suis content qu’on y soit parvenu, parce que cela aurait été bizarre de faire un film aussi belge dans sa quintessence, sans leur soutien. »

Photos : Brabançonne

aimé et a accepté de participer à l’audition. » Le talent de chanteur d’Amaryllis et Arthur était tel que certaines prises ont été réalisées en live sur le plateau, mais la plupart du temps, les acteurs ont réenregistré leurs chansons dans le studio. « Ils ne sont pas tous les meilleurs chanteurs du monde, mais parfois cela aide à rendre la scène plus réaliste. Le fait qu’ils n’aient pas été formés au chant ajoute sûrement au charme. » Les acteurs étaient accompagnés par le directeur musical Steve Willaert. « Il a participé à toutes les auditions avec un petit piano, et accompagnait les scènes un peu comme à l’époque du cinéma muet. Pour Bal : « C’était une belle expérience. Je voudrais toujours avoir un pianiste sur le plateau, c’est tellement bénéfique pour les acteurs. » Willaert s’est aussi impliqué dans l’arrangement des morceaux et l’écriture de pièces originales pour les orchestres. Le directeur de la photographie Danny Elsen (Loft, A tout jamais) .3

est un ami de longue date, qui a collaboré avec Bal sur des spots publicitaires. « Il est polyvalent et très vif. Le tournage a pris 37 jours, ce qui n’est pas si peu, mais avec tous ces morceaux de musique cela prend du temps. » Elsen et Bal se trouvaient également sur la même longueur d’onde à propos du style. Bal voulait un style plus souple, plus réaliste que dans ses films précédents. Zigzag Kid était une sorte de puzzle qu’il a fallu assembler de manière précise sur la base d’un scénario très détaillé. Avec Brabançonne, j’ai cherché à changer ma manière de diriger : pratiquement pas de scénarisation et des discussions sur le plateau pour voir comment faire les choses… » La question se posait par ailleurs de définir les deux communautés en termes visuels. Ce travail s’est fait avec le scénographe Gert Stas (The Spiral, My Queen Karo). Pour la Flandre, des constructions en brique rouge caractéristiques de la région et des signes plus évidents de bienêtre économique. Pour la Wallonie,

Pour ce qui est des perspectives internationales du film, la principale question qui se pose est de savoir si le public sera capable de s’identifier aux morceaux. A part peut-être 'Ça plane pour moi', un succès international des années 1970 de Plastic Bertrand, la plupart seront peu connus. « Je suis impatient de voir comment le film sera reçu

à l’étranger. Nous connaissons les chansons, mais voir le film sans les connaître en fait changer le contexte. Cela peut se révéler intéressant. Je crois quand même qu’elles ont tout le potentiel voulu. » Quels sont les plans futurs de Bal ? Après Zigzag Kid et Brabançonne , il n’y a rien de prévu pour l’instant. « Je crois au hasard. Il faut pouvoir répondre favorablement dès qu’une opportunité se présente. » Une option pourrait être de tenter un genre nouveau. « Cela me plairait assez de faire un thriller dans le genre Agatha Christie, je le verrais se dérouler dans une ambiance plutôt maussade. Ou bien une comédie à 100 %, mais cela doit être très difficile ». Il aimerait aussi refaire des films familiaux. « C’est un genre qui me convient, parce qu’il permet de faire des choses originales et délassantes. »

vincentbal.be

Faire de la musique ensemble Vincent Bal n’avait qu’une connaissance limitée des fanfares lorsqu’il a entamé son projet de Brabançonne, c’est pourquoi il a assisté à plusieurs répétitions, en guise de préparation. « Des personnes de tout âge et de toute condition se réunissent dans une ville pour faire de la musique. Il n’y a pas de musiciens professionnels. Ce n’est évidemment pas parfait, mais ils mettent tout leur cœur dans ce qu’ils font, au point que c’est émouvant par moment. » Il n’a toutefois pas été possible de faire jouer l’une de ces fanfares réelles dans le film. « Ces personnes répètent durant le week-end et travaillent pendant la semaine. C’est pourquoi nous avons constitué nous-mêmes deux nouvelles formations. » Cela a été fait en associant des musiciens et acteurs de Flandre et du Luxembourg. Et la passion est venue en jouant. « Pour bon nombre d’entre eux, c’était leur première expérience de tournage, mais ils se sont donnés vraiment à fond. Ils voulaient que le film soit une réussite. L’expérience a vraiment été enrichissante pour tout le monde. » interview


Seuls à la maison en Roumanie PAR

Lisa Bradshaw

L’histoire se répète en Roumanie, c’est ce que déclare Teodora Ana Mihai. Lorsqu’elle était enfant, ses parents ont fui le régime de Ceaucescu, la laissant au pays tant qu’ils n’auraient pas réussi à s’installer à l’étranger et ne seraient pas en mesure de la faire venir. De nos jours, les enfants restent au pays du fait de l’émigration pour motifs économiques ; des centaines de milliers de citoyens quittent en effet chaque année la Roumanie dans l’espoir de trouver du travail à l’étranger. Ces enfants sont souvent désignés comme étant la 'génération des laissés seuls.' Waiting for August, le film primé de Mihai relate plusieurs mois du parcours d’une de ces familles.

La famille Halmac vit dans les faubourgs de Bacău, une ville moyenne de l’Est de la Roumanie. Waiting for August nous introduit dans cette famille de sept enfants, que la mère a quittée pour se rendre en Italie où elle travaille comme domestique. Ionut est avec ses 17 ans le plus âgé, mais c’est sa sœur Georgiana qui se charge de tout, faire à manger, nettoyer et veiller à ce que tout ce petit monde – elle y compris – se rende à l’école le matin. La courageuse Georgiana devient rapidement le point focal du film, l’œil de la caméra la suit en effet constamment, aussi bien à l’intérieur de l’appartement qu’à l’extérieur, à un moment où sa vie oscille entre l’adolescence et la vie adulte. interview

Waiting for August a connu une sortie remarquée sur les écrans ; en témoignent : le Prix du Meilleur Film International (Best International Feature Award) au festival Hot Docs de Toronto et le Prix du Meilleur Film Documentaire (Best Documentary Film) au Festival du Film International de Karlovy Vary. Il a aussi reçu au début de cette année, une mention spéciale aux Visions du Réel en Suisse. On peut ajouter que ce premier film de Mihai présente de nombreuses similitudes avec sa propre vie. La scénariste/réalisatrice du film avait sept ans lorsque ses parents ont quitté Bucarest. « Je constituais l’assurance qu’ils reviendraient à la maison » explique Mihai, âgée maintenant de 33 ans, mais pour éviter les déchirements, ses parents

lui avaient raconté qu’ils partaient en vacances et seraient de retour au bout de deux semaines. « J’étais entre de bonnes mains chez mon oncle et ma tante, mais j’ai fini par leur poser des questions. Ils m’ont alors exposé la situation aussi simplement que possible en me demandant de ne rien dire aux autres. » Les parents de Mihai ont obtenu l’asile politique en Belgique. « Tous les membres de ma famille devaient bien entendu faire semblant qu’ils ne connaissaient rien des plans de mes parents, car cela aurait pu avoir des conséquences pour eux. Les communications téléphoniques internationales étant surveillées par le régime, mes parents utilisaient par conséquent un langage codé pour nous informer qu’ils étaient

autorisés à rester en Belgique : « Il fait beau, mais il pleut beaucoup ! » Mihai a fini par retrouver ses parents à Anvers, où elle vit toujours aujourd’hui. Elle a vécu cependant pendant plusieurs années aux Etats-Unis, où son oncle et sa tante avaient posé leurs bagages après avoir fui le régime de Ceaucescu. « Mes parents voulaient me donner l’opportunité d’apprendre l’anglais et d’acquérir l’expérience qui me permettrait d’élargir mon horizon. » C’est donc aux États-Unis qu’elle a suivi les deux dernières années de l’enseignement secondaire avant d’être admise au Sarah Lawrence College à Yonkers, ville située à la limite de New York City, où elle a fait des études de cinéma. En dernière année, elle a gagné le prestigieux .4


Thomas J. Watson Fellowship, qui lui a permis de voyager partout en Europe et en Inde afin d’étudier l’identité des Roms. Mihai est retournée en Belgique pour chercher du travail, juste au moment où un cancer a été diagnostiqué chez son père. Ses parents avaient divorcé et sa mère était retournée vivre en Roumanie, ce qui a amené Mihai à devoir s’occuper de son père et de son plus jeune frère. Bien que cette situation puisse être rapprochée sous certains aspects de l’histoire de Georgiana, ce sont surtout des sentiments très forts qui ont ressurgi dans son esprit – au sujet de parents obligés de partir et de laisser leurs enfants derrière eux. « J’ai fait ce film parce que j’avais l’impression que l’histoire était en train de se répéter. Mes parents sont partis pour des raisons politiques ; maintenant, les parents partent pour des motifs économiques. Mais les enfants continuent comme avant à rester au pays. J’ai pensé que le moment était venu d’en parler, parce que c’est l’histoire de tellement de familles. Je ne connais pas une seule famille roumaine dont un membre n’est pas à l’étranger. Il y a toujours quelqu’un quelque part pour envoyer de l’argent. Cela peut briser des familles et c’est incroyablement triste. » Ce n’est pas pour autant qu’il a été facile pour Mihai de trouver la famille de son documentaire. Elle explique : « Laisser les enfants seuls constitue un tabou, même si de nombreuses familles se trouvent dans ce cas. En parler est déjà difficile, vous imaginez ce qu’il en est lorsqu’il s’agit de les filmer. J’ai eu énormément de chance que cette famille comprenne qu’il n’y avait aucune raison d’être honteux et que ce n’était que par ce genre de démarche que la situation pourrait s’améliorer. » Ce que Mihai a choisi de ne pas montrer dans le film est presque .5

aussi intéressant que ce qu’elle y a mis. Elle a par exemple tourné des scènes de la mère partant pour l’Italie, mais a choisi finalement de ne pas les utiliser. « C’était un moment rempli d’émotion, mais je me suis rapidement rendu compte que je devais les laisser de côté et me concentrer vraiment sur les enfants. Il était en effet important de mettre l’accent sur l’absence des adultes. » De même, il n’est jamais fait mention d’un père, ni de l’endroit où il pourrait se trouver. « Le père était un homme dur » reconnaît Mihai. « Mais dans ce cas, il n’avait plus été avec les enfants depuis six ans et ceux-ci étaient habitués à cette situation. Ils préféraient ne pas parler de son absence et j’ai jugé que je ne devais pas les forcer. Seul importait le fait qu’il n’était pas là et que les enfants étaient obligés de s’en sortir seuls. » Ce qu’ils font d’ailleurs avec beaucoup plus de réussite que l’on ne pourrait imaginer. Bon, c’est vrai que les gamins se lèvent souvent trop tard, qu’ils font des choses que leur mère ne supporterait pas – se balancer sur les portes, jouer avec des couteaux par exemple – et que Ionut semble passer la totalité des huit mois à jouer sur des jeux vidéo. Mais quand la mère revient, ils sont tous en bonne santé et en sécurité. Et tout cela grâce à Georgiana, qui malgré ses 15 ans, tient toute la fratrie en main : tout à la fois mère et ménagère, mentor et grande sœur. « Lorsque la mère est partie » explique Mihai, « elle a délégué spécifiquement toutes ses responsabilités à Georgiana. Il est vrai que son frère aîné se trouvait dans une période ‘ordi’, mais la mère n’a pas non plus fait appel à lui. » La situation n’était d’ailleurs pas nouvelle pour Georgiana ou les autres enfants. Ce n’était en effet pas la première fois – et ce ne sera pas non plus la dernière – que la mère quittait le pays pour pourvoir aux besoins de la famille. Au début,

elle avait demandé à une personne de venir aider les enfants, mais l’expérience ne s’était pas avérée concluante. C’est pourquoi, ils avaient décidé de s’en passer dorénavant. Bien que ce soit durant ses études secondaires que son intérêt pour le cinéma se soit manifesté – en particulier par le biais d’un club art & essai mis sur pied par Ronald Chase, un artiste basé à San Francisco – c’est bien avant que Mihai s’était sentie attirée par les arts : son père était un photographe averti. Elle se souvient : « Il voulait devenir photographe voire metteur en scène de cinéma. Mais sous le régime de Ceaucescu, il craignait de devoir être à un moment donné, forcé de faire de la propagande, c’est pourquoi il a préféré s’orienter vers un travail de bureau, tout en pratiquant la photographie comme hobby, mais sa passion pour celle-ci est restée intacte » Plus tard, deux metteurs en scène devaient exercer une forte influence sur elle, dans sa recherche sur la

le rythme de ses films. Il prend le temps de décrire les choses et c’est très beau. Ses films sont une source d’apprentissage sans fin pour moi, je le dis du fond du cœur. » Nobody Knows, le film tourné en 2004 par le cinéaste japonais Hirokazu Koreeda, est une œuvre de fiction contemporaine, mais comme le fait remarquer Mihai, « elle est inspirée par des événements réels et l’approche de Koreeda m’est apparue comme très voisine de celle du documentaire. J’aime vraiment la façon dont il joue avec la frontière entre documentaire et fiction. Je trouve que ce que l’on peut voir dans le style et l’approche de Waiting for August, rend l’expérience particulièrement féconde et intéressante en termes d’expérimentation. » Mihai assure que c’est certainement une méthode qu’elle utilisera dans son prochain projet, sur lequel elle travaille en ce moment au Mexique. « Le film traite d’ados orphelins dans une zone très dangereuse du Tamaulipas. Une zone où sévissent les cartels de la drogue et où les

Waiting for August

réalisation d’un documentaire. « J’ai grandi en admirant les films de Krzysztof Kieslowski ; il n’y a aucun doute sur le fait qu’il a exercé une influence sur moi. » dit-elle « Il a réalisé de nombreux documentaires au début de sa carrière, et cela se remarque dans la manière dont il montre ses personnages et dans

habitants sont quotidiennement en butte à la violence. Des tas de gamins ont perdu leurs parents, du fait de leur implication dans de mauvais coups ou parce qu’ils se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment. » waitingforaugust.be interview


Préparez-vous… à paniquer !

PAR Ian Mundell PHOTO Bart dewaele

A l’époque où Jonas Govaerts poursuivait ses études cinématographiques, on lui enseignait que la règle d’or dans l’écriture était de s’inspirer de sujets que l’on connaît. « Je n’ai jamais marché là-dedans. » dit-il. « Je voulais écrire des films d’horreur, sans être pour autant un tueur en série. » Au bout du compte, il a quand même fini par suivre ce conseil, puisque Cub, son premier long métrage, fait appel à ses souvenirs de boy-scout.

Cub

L’histoire de Cub met en scène un groupe de louveteaux partis en camp avec leurs chefs, des jeunes à peine plus âgés qu’eux. Quittant le site de leur campement, ils s’aventurent dans la forêt profonde, où les événements ne tardent pas à prendre un tour sinistre. Des pièges sournois ont été placés et quelque chose ou quelqu’un se manifeste insidieusement dans le sous-bois. C’est en resongeant à ce qu’il ressentait à l’écoute des histoires racontées autour du feu de camp par les chefs plus âgés, que Govaerts a trouvé son sujet. « Les chefs cherchaient à effrayer les plus jeunes de la meute, par exemple en les faisant marcher. Ce n’était pas grand-chose, mais quand vous êtes un grand imaginatif de 12 ans, cela peut suffire à vous faire paniquer. L’idée de base du film est donc : partons d’une histoire de feu de camp et ajoutons-y quelque chose d’autre qui interagisse avec les ingrédients du début. » Coécrit avec Roel Mondelaers, le film cherche à être une 'sombre aventure', associant des éléments horrifiques à certains aspects que l’on rencontre dans des films d’aventure plus innocents tels que Les Goonies. « L’aspect ‘aventure’ est relativement important et je voulais une longue exposition, tout comme dans ce film des années 80. Si des adeptes du gore devaient aller voir Cub en pensant qu’il s’agit d’un pur film d’horreur, ils seraient déçus ! » Govaerts a développé son intérêt

interview

pour l’horreur au travers de plusieurs courts métrages, dont Of Cats & Women, récompensé par un Méliès d’Or et les séries TV Super8 et Monster ! qui touchent à la comédie surréaliste. Jonas Govaerts : « L’horreur m’a toujours fasciné, car c’est un genre qui laisse toute liberté », avant d’ajouter « Tu peux être aussi sauvage et dingue que tu le veux. » Comme les films d’horreur ne sont pas légion dans le cinéma flamand, la plupart de ses modèles proviennent des États-Unis et d’autres pays européens. Bien qu’il se voie aussi suivre les traces de metteurs en scène du cru, tels qu’Harry Kümel (Les lèvres rouges) et Fabrice Du Welz (Alléluia, Calvaire). Trouver les acteurs pour Cub a d’emblée constitué un sérieux défi, dès lors que le film exigeait une troupe d’acteurs juvéniles. Sur ce point, Govaerts a reçu l’aide de Joke De Bruyn, une actrice qui enseigne également la comédie aux enfants. « Je crois que nous avons vu près de 200 enfants, que nous avons simplement réunis et mélangés. Et cela a merveilleusement fonctionné. » Le rôle de Sam, le louveteau par les yeux duquel l’histoire se déroule, est tenu par Maurice Luyten. Govaerts se souvient : « Je l’ai découvert dans une vidéo musicale qui n’avait même pas été diffusée. Il ressemblait à River Phoenix dans Stand by Me. J’ignorais s’il était capable de jouer, mais le charisme était présent. J’avais pensé devoir .6


peut-être le doubler s’il n’avait pas su jouer, mais finalement il s’est révélé au moins aussi professionnel que les acteurs adultes. » Viennent ensuite les rôles des chefs, dont l’âge est censé être celui de grands adolescents. « Les acteurs sont tous un peu plus vieux que l’âge de leur rôle, mais quand vous avez 12 ans – et le film est raconté selon la perspective d’un gamin de 12 ans – les jeunes de 18 ans paraissent plus vieux qu’ils ne le sont, et nous avons un peu tiré parti de cette idée. » La première est Evelien Bosmans, que Govaerts avait découverte dans le film Germaine. « J’avais aimé son énergie et pensé : pas besoin de chercher plus loin. » Bien que sa carrière soit en pleine évolution dans des productions grand public telles que Marina et Halfweg, elle n’a marqué aucune réticence à s’impliquer dans un film d’horreur. « Elle m’a dit que vu le nombre insignifiant de films d’horreur tournés en Flandre, le jour où tu as la chance d’être la fille blonde qui s’enfuit en hurlant à travers les bois, tu dois profiter de l’occasion. J’ai alors pensé qu’elle avait tout à fait raison. » Stef Aerts a aussi été recruté après que Govaerts l’eut vu dans un film, cette fois il s’agissait d’Oxygène de Hans Van Nuffel. « Stef possédait lui aussi l’énergie que je recherchais. » Il se fait qu’il s’était aussi déjà produit sur scène avec Maurice Luyten. « La scène qu’ils avaient jouée ensemble était particulièrement violente, ce qui était de bon augure pour moi. » Enfin, il y a Titus De Voogdt, le personnage central, entre autres films, de Steve + Sky de Felix van Groeningen. Govaerts : « C’était bizarre qu’il n’ait jamais été choisi pour un rôle de chef scout. Il était tellement dans son élément, en train de commander les gamins, en culottes courtes … » Sans oublier évidemment le rôle de l’infâme Poacher (le braconnier), .7

Cub

tenu par l’acteur de genre flamand Jan Hammenecker. « La tête de l’emploi ! Et on lui a ajouté quelques grimages supplémentaires qui lui donnent des allures de loup-garou. » A ses côtés se tient Kai, l’enfant sauvage, joué par Gill Eeckelaert, un peu plus âgé que les autres enfants. « Il était plus petit que la plupart des enfants de 14 ans, mais pour nous c’était parfait. Il avait la taille d’un gamin de 12 ans, mais possédait l’expérience nécessaire pour être capable de diriger les plus jeunes. » L’ambiance propre à la forêt profonde résulte de tournages réalisés dans les Ardennes et dans les environs de Liège, en Belgique francophone, de même que dans la campagne flamande proche de Kasterlee. Vient s’ajouter à cette atmosphère, le monde souterrain surréaliste auquel appartient le Poacher (le braconnier). Un monde qui nous a été inspiré par l’Ark Two Shelter, un abri nucléaire construit

dans les années 1980 au Canada et constitué de bus scolaires enterrés après avoir été coulés dans le béton. « Une source d’inspiration énorme pour le département artistique ! » Cub a été tourné par Nicolas Karakatsanis (Tête de bœuf, Violet), un condisciple de Govaerts qui a travaillé sur tous ses courts métrages. Ils ont visionné ensemble bon nombre des premiers films de Steven Spielberg et John Carpenter, de manière à trouver la bonne approche. Govaerts admet que ce n’est pas ainsi que Karakatsanis procède habituellement. « Mais si vous cherchez à amadouer Carpenter et consorts, il vous faut étudier leur langage. C’est ce que nous avons essayé de faire… » Ce qui n’empêche pas que la touche personnelle de Karakatsanis soit bien présente. « Il a l’art d’empreindre ses images de poésie, on la retrouve dans notre film et cela contribue grandement

à sa réussite. » Il a ainsi trouvé un moyen fort simple pour éclairer les scènes nocturnes, un moyen très différent de la manière dont un film d’horreur conventionnel aurait été éclairé. Govaerts : « Cela aurait pu être très kitsch, et c’est bien ce que Nicolas n’est pas, » avant d’expliquer : « Il dit toujours qu’il s’agit de combiner mon mauvais goût et son bon goût. » Govaerts ambitionne aussi de traiter d’autres genres que l’horreur, le drame psychologique ou la comédie par exemple. « J’adore tout ce que Steve Martin et Carl Reiner font ensemble » dit-il en se référant à des films tels que Un vrai schnock et l'Homme aux deux cerveaux. « Les plaisirs que l’on ressent à la base d’un film d’horreur sont fort proches de ceux d’une comédie. C’est même plus difficile à réaliser, mais j’aimerais tourner une comédie légère et bien rythmée avec un comédien talentueux. »

Musique pour un carnage De nos jours, les films d’horreur tendent à s’appuyer soit sur des partitions orchestrales, soit sur des musiques électroniques minimalistes. Pour Cub, Jonas Govaerts voulait retrouver les musiques irremplaçables utilisées par John Carpenter et Dario Argento dans leurs films des années 1970 et 1980. « Des tas de synthés, une musique bourdonnante très simple » dit-il. « Pour moi, il n’y avait pas d’autre option que ce genre de musique.» La bande sonore a été composée par Steve Moore du groupe américain Zombi, fortement influencé par Goblin, le groupe de rock progressif derrière les films d’Argento. « Je voulais ce type de bande sonore palpitante, pour moi fort efficace, et dont nous nous rapprochons très fort. » Depuis lors, Moore a rejoint Goblin, reformé pour sa tournée américaine 2014. Govaerts est aussi musicien, puisqu’il jouait de la guitare jusqu’il y a peu dans le groupe The Hickey Underworld, et certains de ses partenaires dans le groupe ont aussi contribué à des morceaux utilisés dans le film. interview


sous influence PAR

Ian Mundell PHOTO Bart dewaele

Cecilia Verheyden a décidé de devenir réalisatrice après avoir vu Dogville alors qu’elle n’avait pas encore 20 ans. Elle avait été frappée par la manière dont Lars von Trier s’était distancié de tant de conventions cinématographiques. « Dogville n’est qu’une histoire et rien de plus » se souvient-elle. « Cela m’a vraiment émue et donné l’envie de raconter des histoires. Pas de la même manière, mais à propos des mêmes choses, les gens et leurs façons d’interagir. » Inscrite dans la section film de la RITS à Bruxelles, Cecilia Verheyden ne s’est pas limitée à découvrir les classiques de l’histoire du cinéma, comme le font la plupart des étudiants. Elle a plutôt été marquée par des films contemporains comme Sweet Sixteen de Ken Loach, Central do Brasil de Walter Salles et l’œuvre des frères Dardenne. « Ce qui m’inspire le plus, ce sont les films réalisés de nos jours, qui traitent de choses qui se passent aujourd’hui et racontent quelque chose sur des gens qui vivent maintenant. » Et rien n’a changé, puisque ses plus récentes inspirations sont par exemple Fish Tank d’Andrea Arnold et A Single Man de Tom Ford. Son diplôme en poche, Verheyden a fait des stages et a dirigé des extras, en particulier pour des séries TV et des films de Jan Verheyen, tels que Urgence disparitions, Dossier K. et Zot van A. Dans l’intervalle, elle a réalisé des publicités et a commencé à travailler sur ses premiers courts métrages. Puis lui est venue l’idée de travailler avec Steven Spielberg, un projet fou ourdi avec deux anciens collègues interview

de classe de la RITS, Senne Dehandschutter et Raf Roosens. L’équipe s’est rendue à Hollywood avec l’intention optimiste de recueillir l’opinion du grand homme sur un script de film. Ils avaient aussi l’intention plus réaliste sans doute, de tourner un documentaire sur la manière dont Hollywood fonctionne. La série qui en a résulté, Climbing Spielberg, était déjà diffusée lorsque les trois compères reçurent un message les informant que le metteur en scène souhaitait les recevoir. Ils sont retournés à Hollywood avec la promesse d’une interview de 5 minutes qui s’avéra durer 40 minutes en fin de compte. Verheyden reconnaît être plus inspirée par l’homme Spielberg que par ses films : « C’est une personne foncièrement honnête, et ce qu’il fait, il le fait parce qu’il aime tourner des films et raconter des histoires. » Sa percée date du moment où Jan Verheyen l’a invitée à travailler sur la longue série policière Urgence disparitions, avant de passer à des sketches pour les séries comiques What If..? et se lancer alors dans sa propre série dramatique Vriendinnen. Cette série suit la vie de deux femmes de 1945 à nos jours, en racontant à la fois leur histoire personnelle et leur expérience des changements dans la société.

Bien que n’étant pas la scénariste de la série, Verheyden s’est sentie très concernée par l’histoire, qui se déroule dans sa ville de Louvain. « En fait, c’est la vie de mes grandmères. Elles ont vécu comme mes personnages principaux. » Chaque épisode de la série progresse de cinq ans par rapport à l’épisode précédent, avec un bond plus important et un changement dans le casting entre1960 et 1970. Ce qui présenté toutes sortes de défis à devoir relever : « À chaque épisode, il fallait changer les costumes, la direction artistique, l’éclairage. Chaque épisode était un monde différent. » L’inspiration provenait d’un large spectre allant des films de Bert Haanstra à Annie M.G., une série musicale dramatique sur la vie de l’écrivaine pour enfants hollandaise Annie M.G. Schmidt. Le drame américain Mad Men a aussi été une source d’idées, mais il n’était pas question d’être exagérément inspirée, vu la modestie du budget… Parallèlement à sa carrière TV, Verheyden a acquis une solide réputation dans la direction de spots publicitaires basés sur des gags avec caméras cachées. Cela a débuté par une publicité pour la marque Carlsberg, avec un couple assis au milieu d’une salle

de cinéma remplie de motards monstrueusement tatoués. Comme Carlsberg et d’autres clients se sont mis à en demander plus, les gags sont devenus plus complexes et son expérience s’est accrue en relevant ces défis successifs. « De nombreux clients et agences ne savent pas comment réaliser ces gags. Résultat, ils me disent : fais ton truc, on croit en toi. Avec çà, j’ai pas mal de liberté. » Sa dernière publicité imposait de bloquer plusieurs rues à Los Angeles pour un gag plutôt compliqué, destiné à convaincre les gens qu’une appli installé sur leur portable leur permettrait de pirater la ville, déverrouiller les voitures, ouvrir les distributeurs de billets et commander les feux de signalisation. Le film de quatre minutes qui en a résulté pour promouvoir le jeu Ubisoft 'Watch Dogs', a été vu plus de 13 millions de fois sur YouTube. Le prochain projet de Verheyden sera son premier long métrage, Achter de wolken. Basé sur une pièce de théâtre populaire de Michael De Cock, le film met en scène deux personnages qui étaient amants dans leur vingtaine, et se sont ensuite perdus de vue avant de se retrouver cinquante ans plus tard. Cet ultime amour est vécu avec autant d’intensité que le premier, bien qu’altéré par l’expérience de toute une vie. En l’adaptant pour le grand écran, Verheyden et De Cock ont apporté de nouveaux éléments au scénario, en ajoutant des intrigues avec la fille et la petite-fille de l’héroïne principale. Il est toutefois trop tôt pour évoquer les sources d’inspiration. « J’aime l’histoire, mais j’ai besoin de me l’approprier » et Verheyden de conclure : « Je veux avoir le sentiment que je suis la seule à pouvoir raconter cette histoire. »

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