TRA édition française
EN CAVALE Quand Caroline Strubbe remporte son prix d'écriture à Cannes pour Lost Persons Area, elle a un secret inavouable. « Le film a eu du succès mais je me disais : 'Je ne prends aucun plaisir au processus, je me demande vraiment si j'ai envie d'être réalisatrice.’ » Mais pas question pour elle d'abandonner, car Lost Persons Area ne raconte que le début de l'histoire. Elle veut la raconter en entier. Heureusement, I’m the same I’m an other a été pour elle une expérience plus positive. Le film est sélectionné pour le Festival International du Film de Toronto. PAR Ian Mundell PHOTO Bart Dewaele « Pour la première fois, on s’est amusés, » admet Caroline Strubbe. « J’étais très soulagée de savoir que c’était possible. » En abandonnant la caméra-film pour passer au numérique, elle a pu travailler avec une équipe plus réduite, qui, chose importante, croyait en sa méthode. « C’était une équipe beaucoup plus jeune que la précédente, ils adoraient cette manière de travailler. » Le fait que l’histoire soit inachevée tient à
la méthode de Strubbe. « Ma manière de tourner est très organique, » expliquet-elle. « Je n’ai pas de découpage, je tourne de manière chronologique et la caméra suit l’action des acteurs, qui peuvent se déplacer où ils veulent, un peu comme dans un documentaire. » Plutôt que fixer à l’avance le style du film, elle le laisse émerger de l’interaction entre les acteurs et le lieu, en n’utilisant que la lumière ambiante. « La caméra
capture l’énergie des acteurs dans la scène, le style en découle. » Le film qu’elle tourne en 2008, originellement conçu comme une trilogie, a été comprimé en un seul, combinant présent et flashbacks. « J’ai commencé à tourner, mais toutes les scènes étaient trois fois plus longues que prévu, » se souvient-elle. « J’ai tourné les flashbacks, mais il ne restait plus de temps ni de pellicule pour tourner les autres parties.
INTERVIEW
« Au début, j'ai dû me battre, car c'était mon premier long et tout le monde veut t'apprendre à faire ça ‘dans les règles’. Maintenant, je fais ce que je veux. » I'm the same I'm an other
J’ai dû arrêter, j’ai commencé à monter la matière que j’avais et ça a donné un film complet. » Se retrouver avec un tiers du film escompté aurait pu être gênant, mais le résultat, Lost Persons Area, est sélectionné pour la Semaine de la Critique à Cannes et récolte un prix. « Heureusement, il y a eu ce moment fort à Cannes, qui m’a permis d’être plus libre. Au début, j’ai dû me battre, car c’était mon premier long et tout le monde veut t’apprendre à faire ça ‘dans les règles’. Maintenant, je fais ce que je veux. » Elle décide de combiner les deux autres parties de la trilogie en un deuxième film, mais cette fois encore les personnages s’affirment et s’approprient l’histoire. « Le processus s’est répété. Le film était mieux sans la troisième partie, je finirai donc par réaliser la trilogie que je voulais faire depuis le début. » Lost Persons Area raconte l’histoire d’un couple passionné mais replié sur lui-même, dont la fille de neuf ans, Tessa, laissée à elle-même, s’invente un monde merveilleux dans le no man’s land industriel où la famille vit et travaille. « C’est un film qui parle du fait qu’on est marqué par ce qu’on vit dans l’enfance, qu’il faut vivre avec, que notre
relation avec nos parents détermine nos relations futures. »
une résonance personnelle
I’m the same I’m an other reprend l’histoire au moment où Tessa fuit la maison familiale avec Szabolcs, un ingénieur hongrois qui travaille pour son père. Ils disparaissent, rejoignent l’Angleterre en bateau et louent un appartement dans une station balnéaire à l’abandon. Dans cet espace clos, Szabolcs et Tessa testent la limite de leur relation. Le titre est tiré d’un poème de Gianluca Manzi, lu par le grand trompettiste de jazz Chet Baker lors d’un de ses derniers enregistrements. « En rencontrant quelqu’un, on change, même si on reste qui on est, » explique Strubbe. Tout comme Lost Persons Area, cette histoire a pour Strubbe une résonance personnelle. « Elle évoque la recherche d’une figure paternelle. J’ai toujours voulu être adoptée par une autre famille. Je voulais que quelqu’un me dise : ‘Je veux vraiment être ton père, viens dans ma famille.’ J’ai vécu de tels moments dans ma vie, de très beaux moments. » On pense au syndrome de Stockholm - où une personne s’identifie à son
ravisseur - ou à d’autres relations inégales. « Pour moi, cette histoire parle aussi du rapport entre hommes et femmes, même si Tessa n’est qu’une petite fille. Elle illustre la condition de la femme. Dès un très jeune âge, les filles adoptent un certain rôle... » Kimke Desart reprend son rôle de Tessa. À 11 ans, elle paraît nettement plus âgée que dans le premier film, mais pour Strubbe, c’est un avantage plutôt qu’un problème. « Il est important pour moi que le film montre cette ambiguïté d’une enfant qui devient une jeune femme, » explique-t’elle. « À un moment, Tessa doit d’une certaine manière séduire Szabolcs, et cette ambiguïté n’est pas facile à jouer. Kimke l’a fait sans problème. J’étais soulagée car c’est un des thèmes du film, ce côté séducteur des filles, que les hommes interprètent souvent mal. » Szabolcs (Zoltan Miklos Hajdu) doit pour sa part démêler la relation dans laquelle il s’est fourré. « Il a peur d’être aimé, peur que cette fillette attende quelque chose de lui. C’est un jeu où on rejette, on revient, puis on finit par accepter. Ils acceptent les rôles qu’ils jouent, en ce sens c’est une sorte d’histoire d’amour. » Son personnage diffère de celui de
INTERVIEW
Lost Persons Area. « Dans le premier film, Szabolcs est un type bien, alors qu’ici il oscille entre ange et démon. Il est limite et finit par faire le bon choix. »
caméra numérique
Strubbe filme selon le même principe que dans le premier film, en laissant les acteurs dicter le style et le rythme. La différence principale, c’est le décor, beaucoup plus confiné que dans Lost Persons Area. « Tessa ne quitte pas cet appartement très étroit, les acteurs étaient plus contraints dans leurs mouvements. » La caméra numérique lui permet de laisser plus encore de liberté aux acteurs. « On pouvait tourner beaucoup et capturer le bon moment, » dit-elle. Elle écrit toujours en cours de tournage et modifie des éléments quand la situation évolue. « Il faut avoir une équipe qui apprécie cette manière de travailler. C’est un peu comme de l’improvisation musicale, il faut bien connaître ses notes. Je connais très bien mon scénario pour l’avoir travaillé pendant cinq ans. » Son directeur photo, Nicolas
I'm the same I'm an other
Karakatsanis, n’étant pas disponible pour le tournage, c’est David Williamson, un jeune réalisateur très demandé en tant que directeur photo, qui le remplace derrière la caméra. « Il y avait beaucoup plus d’interaction avec l’équipe. Tout le monde s’intéressait au film, pas seulement à son propre job. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble, toute l’équipe a contribué au processus. C’était pareil après le tournage avec mon monteur, David Verdurme. Notre collaboration a été très intense. Ou avec mon producteur Tomas Leyers, qui accepte le concept et comprend que la manière dont on travaille détermine ou influence forcément le résultat final. C’est, je pense, une qualité assez rare chez les producteurs aujourd’hui. » Il ne reste plus maintenant qu’à réaliser le dernier chapitre de la trilogie, Deep In A Dream of You, titre également tiré d’une chanson de Chet Baker. Dans cette troisième partie, Tessa retrouve Szabolcs plusieurs années après le dénouement dramatique du second film. Le contenu exact de l’histoire est encore en flux. « J’ai changé en faisant ces deux
films, » dit Strubbe, « les personnages changeront donc peut-être aussi. »
ombre et lumière
Outre la complétion de la trilogie entamée avec Lost Persons Area, Caroline Strubbe a plusieurs projets en tête. Notamment un retour à Leysdownon-Sea, la station balnéaire à l’abandon dans l’estuaire de la Tamise ou elle a tourné les séquences anglaises de I’m the same I’m an other. « Les gens sont très pauvres mais incroyablement chaleureux, » dit-elle, évoquant les rencontres qu’elle a faites pendant les séances de casting de figurants. « Ils ont tant d’histoires à raconter. Je veux y retourner pour un documentaire ou pour un projet où je pourrais avoir recours à eux en tant qu’acteurs. » Un autre projet de documentaire porte sur trois femmes artistes ayant en commun le suicide, plus précisément leur décision de se donner la mort en sautant dans le vide. « Je cherche à comprendre ce qui les unit, » dit Strubbe, expliquant qu’un facteur commun semble être la jalousie de leur partenaire. « C’est un aspect de cette problématique qui me fascine. » Pour prendre le contrepied de cette noirceur, elle a aussi écrit une comédie relatant les quiproquos et déboires qui émaillent le premier weekend où un père a la garde de son enfant en bas âge. Alors que la mère prend ses premiers jours et nuits de liberté en cinq ans, l’enfant s’échappe par la porte d’entrée et s’enfonce dans la ville. Des chemins se croisent, la confusion monte, mais tout s’arrange à la fin. « C’est une comédie soft, légère, » dit Strubbe, citant You and Me and Everyone We Know de Miranda July et After Hours de Martin Scorsese. « Je veux travailler avec les acteurs, sur le dialogue, le contraire de ce que je fais pour l’instant, » poursuitelle. « Maintenant que j’ai bouclé le scénario, je suis curieuse de découvrir le style qui en résultera. Comment réaliser une comédie en tournant de cette manière ? »
RENCONTRE
SEUL DANS LA FOULE Pour se préparer en vue de son rôle dans le drame judiciaire Le verdict, qui sera présenté en compétition au festival de Montréal, Koen De Bouw s'est entraîné... à ne rien faire. « J'ai pensé aller au tribunal pour observer comment ça se passe, » dit-il, « mais c'est aussi le premier jour au tribunal pour le personnage que j'incarne. La meilleure façon de me préparer, c'était de ne pas y aller, pour que le premier jour de tournage soit aussi ma première journée au tribunal. » PAR Ian Mundell PHOTO Bart Dewaele Il ressent un frisson quand la caméra entre en action et que la foule de figurants commence à le prendre à partie. « Même en tant qu’acteur, c’était parfois dur d’être assis là en me sachant innocent, ou en me disant que si j’avais fait quelque chose, c’était pour une bonne raison, pendant que des gens me hurlaient dessus alors qu’ils ne savaient pas ce qui s’était passé. » se rappelle-t-il. Cette sensation perdure avec la progression des scènes d’accusation. « Tout ce qu’on peut faire c’est rester assis et se taire pendant que d’autres parlent... Ça a été une expérience éprouvante. » De Bouw joue le rôle de Luc Segers, un
homme qui perd sa femme et son jeune enfant lors d’une rencontre violente avec un criminel. Quand le tueur est libéré suite à une erreur de procédure, Segers prend les choses en mains. Il pourchasse l’homme et l’abat. Puis il met le système judiciaire au défi de le libérer lui aussi. Segers est le genre de personnage troublé que De Bouw aime incarner à l’écran. « C’est un rôle subtil. Il faut pouvoir exprimer beaucoup d’un simple regard, sans une parole, et je sais que j’en suis capable, » dit-il. « Un tiers du film se passe dans une salle d’audience. Cet homme est simplement assis là, mais il faut qu’on sente sa souffrance. »
De Bouw cite une référence inattendue pour décrire sa méthode. « C’est un peu comme l’effet Buster Keaton, » dit-il, évoquant la scène dans Steamboat Bill Jr. où quand une façade d’immeuble tombe sur lui, Keaton reste debout, indemne, dans l’espace laissé par la fenêtre. « C’est pour moi une image très marquante. Elle illustre un peu la manière dont je travaille en tant qu’acteur. Le reste du monde est en mouvement mais j’essaie d’être le plus serein possible. Les scènes de tribunal en sont un bon exemple, quand tout bouge autour de Segers et qu’il reste immobile. » Cette façon de faire exige une grande
RENCONTRE
attention aux détails. « Quand je joue, je 'joue' aussi peu que possible, ce qui n’est pas évident. Chaque geste doit être là pour une raison, même quand le geste en question n’est pas censé avoir de raison. » La performance minimaliste de De Bouw dans Le verdict contraste fortement avec les scènes déclamatoires de Jappe Claes, Veerle Baetens (Alabama Monroe - The Broken Circle Breakdown) et Johan Leysen (The American) dans les rôles judiciaires principaux. « Bien sûr, les discours d’avocats comme ceux qu’on a donnés à Johan et Veerle, c’est génial. C’est super à faire. L’acteur a de la matière à se mettre sous la dent. »
sujet
Dans les premières versions du scénario, Segers ne disait pas un mot au tribunal. Puis l’auteur-réalisateur Jan Verheyen change d’avis et lui donne une déclaration finale. C’est néanmoins modeste comparé aux autres discours prononcés au tribunal. « Ça a été un défi pour moi de le dire avec le moins de mots possible, » dit De Bouw. « Ceci dit, j’essaie toujours de réduire le plus possible mon texte. Moins on utilise de mots, meilleure sera la performance. » De Bouw a tourné deux autres films avec Verheyen. Dans Urgence disparitions il jouait le rôle d’un chef de police en
charge de la cellule des personnes disparues qui enquête sur la disparition d’une adolescente, tandis que dans Dossier K., il reprenait son rôle de l’inspecteur de police Eric Vincke de L’affaire Alzheimer (La mémoire du tueur), affrontant cette fois une bande de gangsters albanais. Son rôle dans Le verdict est différent, mais il y voit un lien. « Jan sait que quand je joue Vincke dans Dossier K. ou dans L’affaire Alzheimer, il n’est pas simplement un officier de police. Le personnage est plus riche que ce que décrit l’histoire, donc Jan sait que je peux enrichir le rôle. Je crois que c’est pour ça qu’il m’a choisi. » Il voit aussi le film comme un nouveau départ pour Verheyen. « C’est le premier film qu’il écrit lui-même, ce qui exige un autre niveau d’engagement. Et c’est un sujet qui le concerne. Ce film tombe à pic pour lui, » dit De Bouw. « J’ai senti sur le plateau qu’il se développait en tant que réalisateur, c’est pourquoi il a pu faire ce film maintenant. Il a un savoir-faire qu’il n’avait pas il y a 10 ans. » Le sujet était séduisant pour De Bouw. « J’étais content de pouvoir entrer dans une histoire d’actualité, même si c’est désolant qu’elle le soit. Les journaux relatent chaque jour des histoires d’erreur de procédure, et il est très difficile pour les gens concernés de comprendre pourquoi ça leur arrive. »
« Quand je joue, je ‘joue’ aussi peu que possible, ce qui n’est pas évident. Chaque geste doit être là pour une raison, même quand le geste en question n’est pas censé avoir de raison. » Le verdict
effet
S’il s’attend à ce que Le verdict suscite un débat passionné à sa sortie en Belgique en octobre, il ne le considère pas comme un film militant. « Je ne crois pas que nous ayons la prétention de raconter une histoire qui va changer les choses, mais je ne voudrais pas non plus sous-estimer l’impact qu’elle pourrait avoir. C’est un film qui suscitera beaucoup de débats au sein de public et des médias. D’autre part l’histoire est suffisamment forte pour que le film fonctionne sans ça. »
www.hetvonnis.be
RENCONTRE
DOSSIER KOEN
Koen De Bouw poursuit des études au prestigieux Studio Herman Teirlinck à Anvers, qui le destinent au théâtre. Quand il en sort en 1987, le monde du cinéma et de la télévision est encore très fermé. « Le directeur de l’école ne voulait rien savoir du cinéma et de la télévision, » se souvient-il. « Tout l’accent était mis sur le théâtre et la danse. » Puis il se voit proposer un rôle dans un film hollandais, Han de Wit de Joost Ranzijn. Frustré d’être cantonné à des rôles de jeunes premiers au théâtre, il saisit l’occasion de jouer un anti-héros au grand écran. « C’était mon premier rôle au cinéma, très important pour moi à l’époque. C’était très impressionnant. J’étais fasciné par le fait de jouer pour la caméra, avec la caméra. C’est ainsi que je suis passé au monde du cinéma et de la télévision. » Si Han de Wit n’a pas à proprement parler marqué l’histoire du cinéma, De Bouw le considère comme le rôle décisif de sa filmographie. Il joue ensuite celui de l’inspecteur Eric Vincke dans L’affaire Alzheimer d’Erik Van Looy, qu’il reprend dans Dossier K. de Jan Verheyen. « Ce sont de bonnes histoires, de bons films, dans lesquels j’ai pu jouer des rôles principaux. Vincke est un beau personnage mélancolique. J’ai pu lui donner une autre dimension, au-delà de l’intrigue policière. » Il cite aussi The Intruder de Frank Van Mechelen, qui raconte l’histoire d’un père qui recherche désespérément sa fille en fugue. « C’est un personnage qu’on peut comparer à Luc dans Le verdict. J’aime jouer des personnages un peu perturbés, ou même très perturbés, mais qui n’en sont pas moins des hommes ordinaires. » Parallèlement aux rôles sombres qu’il incarne, De Bouw s’essaie aussi à la comédie. « Je suis heureux du fait que les gens découvrent aussi mon côté humoristique, » dit-il. Il joue dans des comédies populaires comme Germaine ou romantiques comme Madly in Love et Brasserie Romantique. « Il y a 10 ans, personne n’aurait prédit qu’on ferait un jour des comédies romantiques en Flandre. C’est un genre que nous venons de découvrir. C’est nouveau, il ne faut pas hésiter à expérimenter. » De Bouw choisit ses rôles sur base de la force de l’histoire. « Quand l’histoire est intéressante, les personnages le sont aussi, » dit-il. À l’horizon, des rôles comiques et d’action pour la télévision, dont un retour à la série Urgence disparitions distribuée dans plus de 90 territoires. Au grand écran, on le verra dans le nouveau film de Hilde Van Mieghem, Speechless, tiré d’un roman de Tom Lanoye, et dans Double Face, troisième film avec l’inspecteur Eric Vincke. Aucun réalisateur n’a été annoncé pour ce projet à ce jour. Et à plus long terme, il a déjà signé pour travailler avec Erik Van Looy sur un long métrage dont le tournage aura lieu en 2015. On le verra prochainement dans les salles obscures en Belgique dans la comédie Los Flamencos de Daniel Lambo, qui raconte l’histoire de trois frères qui préparent une attaque de banque pour honorer leur mère décédée. De Bouw joue à nouveau le rôle d’un policier, mais différent de tout ce qu’il a fait jusqu’ici. « C’est un homme à la fois très triste et très drôle, » dit-il. « Je ne sais pas vraiment à quoi m’attendre. C’est un de ces films qu’on joue sans avoir la moindre idée de ce que ça donnera à l’écran. On s’est bien amusés sur le tournage, ce qui est déjà important. Quand l’ambiance est bonne sur le plateau, en général le film est bon. »
SOUS INFLUENCE
PAR Ian Mundell PHOTO Bart Dewaele
Alors que ses études de cinéma touchent à leur fin, Bart Van den Bempt doit répondre à l’un de ses professeurs demandant à ses étudiants ce qu’ils comptent faire par la suite. Van den Bempt se souvient avoir lancé « J’ai d’abord envie de voir le monde, et si dans 10 ans je peux faire quelque chose d’intéressant, ça me va. » C'est près de 20 ans plus tard qu’il présente son premier long métrage, 82 jours en avril, en première mondiale au Festival des Films du Monde de Montréal.
GROS-PLAN
« C’est un début très tardif, » reconnaît-il en riant. « Mais j’aime le chemin que j’ai suivi, un chemin long et tortueux, mais je me suis amusé et j’ai vu des tas de choses intéressantes. » Plus jeune, il est passionné de photographie et de jazz, mais pour raisons pratiques, il décide d’étudier la psychologie. Il était déjà cinéphile convaincu. « J’allais au cinéma quasiment tous les soirs et ce qui me plaisait le plus, c’était le cinéma européen, » ajoute-t-il, citant Mauvais sang de Leos Carax comme l’un de ses premiers favoris.
Sokurov et Depardon
Son diplôme de psychologie en poche, il passe l’examen d’entrée de l’école de cinéma Sint-Lukas à Bruxelles, un peu pour le fun, et il est pris. C’est là qu’il va découvrir des films qui inspireront son propre travail, mais surtout qui lui donneront envie de voyager. « Durant toutes ces années, le cinéma et les voyages ont toujours été liés dans mon esprit. » C’est par exemple Days of the Eclipse d’Aleksandr Sokurov qui le conduit en Asie centrale. « C’est un film très étrange, très lent, incroyablement beau. » Il admire également les documentaires de Raymond Depardon. « J’ai adoré son travail en Afrique, » reconnaît-il. Après l’école de cinéma, Bart Van den Bempt travaille comme assistant réalisateur et ingénieur du son. « Je mettais de l’argent de côté puis je voyageais pendant des mois. J’ai notamment fait le tour du monde en bateau cargo, pendant presque un an. Ce sont des moments essentiels dans ma vie. »
inspiration dans le voyage
Si certains de ses projets sont inspirés par le voyage, comme son documentaire sur la vie en Afrique du poète Arthur Rimbaud, la plupart ne se réalisent pas, par manque de financement ou par simple malchance. Entre-temps,
il se laisse persuader de réaliser une pub télévisée. « Sans qu’on s’en rende compte, on se réveille sept ans plus tard et on a fait des dizaines de pubs. » Il travaille ensuite pour la télévision, réalisant des reportages factuels sur tous les sujets, de la recherche d’une maison à la reproduction des animaux au zoo. Ça lui permet de payer le loyer tout en lui laissant le temps d’écrire 82 jours en avril, également inspiré par ses voyages. À bord d’un avion qui le ramène du Kirghizistan, il se demande ce qui arriverait si l’avion s’écrasait. Comment ses parents réagiraient-ils à son décès ? L’avion atterrit sans mal à l’aéroport de Bruxelles, mais l’idée lui reste en tête. 82 jours en avril s’ouvre sur un couple belge d’une cinquantaine d’années qui se rend à Istanbul pour récupérer les effets de leur fils décédé là-bas alors qu’il voyageait en routard. C’est leur premier voyage hors d’Europe. Le père devient obsédé par le dernier périple de son fils, qu’il reconstruit au départ de son journal, de tickets et autres indices qu’il retrouve. La mère, elle, résiste. « Le film se concentre sur la façon dont ils gèrent leur deuil, chacun à sa manière, comment ils se perdent l’un l’autre pour par la suite se retrouver, » explique Bart Van den Bempt. La Turquie est un pays qu’il connaît bien. « Du coup, je pouvais placer mes scènes dans des paysages ou des villes que je connaissais. On a tourné dans des chambres d’hôtel où j’avais séjourné quand j’avais 20 ans. » Il a également incorporé les saisons dans son récit. « À mesure que les deux personnages principaux se rapprochent, le monde se réchauffe autour d’eux, » explique-t-il. Il filme la pluie à Istanbul, la neige dans l’est du pays près de l’Iran, le printemps à la frontière avec la Syrie. À l’écriture du scénario, il a sciemment choisi de ne pas rechercher de films de référence. « Il fallait que l’inspiration me vienne de mes propres voyages et des rencontres faites au cours de ces périples. » Il a également puisé
dans ses études de psychologie, plus particulièrement dans ce qu’il avait appris sur le processus de deuil.
Arnold et Ceylan
Mais la musique qu’il écoutait à l’époque s’infiltre dans le processus : les notes du trompettiste norvégien Arve Henriksen. « Au bout d’un moment, ça a commencé à avoir une influence sur le texte, » se souvient Bart Van den Bempt. Après une prise de contact informelle, les deux hommes se rencontrent. « Il a compris ce que j’aimais dans sa musique et comment je voulais l’utiliser. C’est lui qui compose maintenant la bande-son du film. » Le tournage approchant, Bart Van den Bempt commence à chercher des références visuelles en compagnie du directeur photo Rik Zang. Parmi les noms le plus souvent cités, les photographes Antoine D’Agata, Jonas Bendiksen et Yiorgos Kordakis, chacun avec un regard très particulier sur le monde. Du côté des exemples cinématographiques : le Wuthering Heights d’Andrea Arnold pour son traitement elliptique des émotions, et l’œuvre du réalisateur turc Nuri Bilge Ceylan. Mais l’important était de pouvoir répondre à ce qu’ils trouveraient sur place. « On s’est toujours dit : on a ça au cas où, mais on verra au moment du tournage s’il n’y a pas moyen de faire mieux. »
SHORTISSIMO
HOUSES WITH SMALL WINDOWS Le court métrage Houses With Small Windows de Bülent Öztürk est en compétition à La Mostra de Venise. Produit par Clin d’oeil Films, le film raconte l’histoire d’une jeune femme kurde condamnée à mourir de la main de ses frères pour avoir bafoué l’honneur de sa famille. Comme le veut la tradition, le meurtre doit être compensé... il y aura une autre victime. PAR Ian Mundell Né en Turquie, Bülent Öztürk arrive en Belgique en 1995 en tant qu’étudiant réfugié. Dans le cadre de sa formation cinématographique à Bruxelles, il retourne en Turquie pour réaliser son film de fin d’études, un documentaire sur les habitants d’un village prétendument désert. Il enchaîne ensuite avec Waiting, un documentaire consacré aux survivants du tremblement de terre qui a frappé l’est de la Turquie en octobre 2011.
À l’origine, Houses With Small Windows était aussi un projet de documentaire. Öztürk voulait explorer le thème des mariages arrangés entre les Kurdes de Turquie, en s’inspirant de l’expérience de sa mère pour amorcer l’histoire. Mais après seulement deux jours de tournage, sa mère est incapable de continuer, traumatisée qu’elle est par la confrontation avec cette période de l’enfance où elle a été effectivement
donnée à une autre famille. Öztürk décide alors d’adopter une approche moins directe et opte pour la fiction. L’histoire qu’il a choisi de raconter est dramatique. C’est celle d’une jeune femme victime d’un crime d’honneur en représailles d’une liaison adultère, et d’une fillette de six ans donnée en ‘compensation ̓ par la famille de son amant. Mais la manière de raconter l’histoire est indéfinissable : Öztürk se concentre sur les périodes d’attente et de préparation de cet échange de femmes réduites à l’état de propriété. Dans ce décor rural, l’histoire semble intemporelle ; rien n’a changé entre l’expérience de sa mère il y a 60 ans et le présent qui perpétue la coutume. Le résultat nous remplit d’un sentiment de tristesse plus que d’indignation, et pardessus tout du sentiment d’une enfance idyllique brisée. Le prochain projet d’Öztürk, Blue Silence, sera également une fiction, développant cette approche poétique de la narration et de la cinématographie déjà à l’œuvre dans ses documentaires et dans cette première fiction. www.houseswithsmallwindows.be