Onl magazine 33 frans

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EN

FRANÇAIS

4. PIETER-JAN DE PUE

6. ABOUBAKR BENSAÏHI ET MARTHA CANGA ANTONIO

8. JAN ET RAF ROOSENS

Robin Pront, l’oeuvre au noir

PAR Alain Lorfèvre PHOTO FILIP VAN ROE

Deux frères, une femme, Anvers et les Ardennes belges : pour son premier long métrage, Robin Pront signe un road-movie dans la veine de ses courts métrages, haletant, nerveux et délicieusement sombre, que le Festival International de Toronto a présenté en première mondiale en septembre dernier.

Robin Pront

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« Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu être un artiste. » Robin Pront paraphrase presque malgré lui Henry Hill, le mafieux incarné par Ray Liotta dans Les Affranchis (1990) de Martin Scorsese. Clin d’oeil inconscient à un des réalisateurs favoris du jeune réalisateur flamand. « Mon père était livreur pour Warner Belgique. A la maison, nous avions une vidéothèque gigantesque dans notre cave. J’y ai pioché très vite des films de réalisateurs remarquables. J’ai eu la chance de me construire une culture cinématographique éclectique très tôt. Je serai incapable de dire quand m’est venue l’envie de devenir réalisateur,

mais vers l’âge de quinze ou seize ans, je savais que je suivrais cette voie. » Première étape de son parcours : des études à l’Académie SintLukas à Bruxelles, où il signe deux courts métrages remarqués, Plan B (2008) et Injury Time (2010). Ce dernier, dont les rôles principaux étaient tenus par Jeroen Perceval et Matthias Schoenaerts, est en quelque sorte une lointaine matrice de D’Ardennen (Les Ardennes), son premier long métrage qui ne devrait pas laisser indifférents la critique et le public. Injury Time mettait en scène deux hooligans flamands lancés dans une cavale vengeresse contre des supporters wallons interview


jamais si le spectateur ne pouvait pas s’attacher un minimum à cette fille », confesse Robin Pront. Problème : Pront n’avait jamais écrit de personnage féminin. Pour s’aider, il a pensé à une actrice qu’il aimerait diriger. Et il a tout naturellement pensé à Veerle Baetens (Alabama Monroe). « Ce qui m’a évidemment poussé à développer correctement le personnage de Sylvie : il fallait que cela devienne un rôle digne de Veerle, si on souhaitait qu’elle

Schoenaerts tenait le rôle de la bête furieuse forçant la main de son frère d’arme joué par Perceval. « Je ne sais pas pourquoi, mais j’aime les personnages de mecs pas très futés, un peu bas du front. Il y a quelque chose qui résonne en moi. » UNE CAVALE SIDÉRANTE D’Ardennen, produit par le très éclectique Bart Van Langendonck et sa société Savage Film, met cette fois en scène des frères de sang. Kenny (Kevin Janssens) sort de prison où il a purgé une peine suite à un cambriolage dramatique. Son jeune frère Dave (Jeroen Perceval), dont Kenny a tu la participation au délit, est aussi pondéré que Kenny est un chien fou. Incontrôlable et soupçonnant son ex-petite amie Sylvie (Veerle Baetens) d’avoir un nouveau fiancé, Kenny va entraîner Dave dans une nouvelle cavale, sidérante, aux fin fond des Ardennes belges. D’Ardennen a été co-écrit avec Jeroen Perceval, éclectique acteur flamand - il jouait l’ami d’enfance homosexuel de Matthias Schoenaerts dans Rundskop (Bullhead en France, 2012) de Michaël R. Roskam - qui vient luimême de signer un premier court métrage, August. « Jeroen et moi nous nous connaissons depuis longtemps. La collaboration à l’écriture fut assez naturelle. A l’origine, le interview

scénario était essentiellement un road-movie, centré sur la partie ardennaise. J’ai apporté à Jeroen tout un volet portant sur le passé de Kenny et Dave. De fil en aiguille, nous en avons conclu qu’il convenait d’ouvrir le film avec une partie plus importante précédent le cavale ardennaise. » En développant cette première partie du film et les relations entre les trois protagonistes principaux, Robin Pront a aussi intégré dans D’Ardennen un important volet urbain qui lui est cher. « J’aime tous les types de cinéma et je ne souhaite pas, comme réalisateur, être cantonné à un genre. Mais j’aime les films noirs et j’ai toujours aimé les films se déroulant dans les grandes villes, notamment New York, que j’aime autant à travers les oeuvres de Spike Lee, Martin Scorsese ou Woody Allen… »

Son New York à lui est Anvers - dont il explorait déjà les bas -fonds minés par la drogue dans son court métrage Plan B. Cette peinture de la métropole portuaire, entre la petite maison ouvrière de la mère de Kenny et Dave, les travées enfiévrées des boîtes de nuit et l’atmosphère oppressante des parkings de béton, offre un contraste saisissant avec la brume et la bruine des forêts ardennaises de la deuxième partie. TIERCÉ GAGNANT Partant, le réalisateur acquit aussi la conviction qu’il était nécessaire de développer le personnage de Sylvie. « Elle est l’enjeu tabou entre les deux frères. Mais, en gros, elle ne restait pratiquement qu’un nom, une silhouette, peu caractérisée. On buttait tout le temps sur Sylvie. Je me disais que ça ne marcherait

l’accepte ! » - ce qui n’a pas manqué d’être le cas. Pour les deux frères, « il a toujours été acquis que Jeroen incarnerait Dave » confirme Robin Pront. Ce n’est pas trahir un secret que de rappeler que, dans le prolongement de Injury Time, Kenny fut écrit en pensant à Matthias Schoenaerts. Mais le rôle a finalement échu, en un remarquable contre-emploi, à Kevin Janssens (vu notamment dans Zot van A. de Jan Verheyen ou Le cochon de Madonna de Frank Van Passel), ce dont le réalisateur se réjouit. « Je crois que peu de gens s’attendent à voir Kevin dans un tel rôle et j’en suis ravi, parce qu’il livre une composition remarquable. » Avec Baetens, Perceval et Janssens, Pront tient en tout cas un tiercé de comédiens flamands en pleine maîtrise de leur art. L’équipe technique agrège aussi d’autres .2


« J’aime les films noirs et j’ai toujours aimé les films se déroulant dans les grandes villes, notamment New York, que j’aime autant à travers les oeuvres de Spike Lee, Martin Scorsese ou Woody Allen… »

nouvelles valeurs sûres du cinéma flamand - outre Pront lui-même. Le directeur de la photographie Robrecht Heyvaert a réalisé un début de carrière remarqué, participant entre autres au court métrage Baghdad Messi (2012) de Salim Omar Kalifa, qui a remporté plus de cinquante prix internationaux ou aux deux premiers longs métrages d’Adil El Arbi et Bilall Fallah, Images (2014) et Black (2015). Mais Robin Pront peut s’enorgueillir de l’avoir découvert : « Lorsque je préparais mon premier court métrage, Plan B, j’ai contacté par mail une cinquantaine d’étudiants ou jeune directeurs de la photo. Parmi les deux seuls qui m’ont répondu, il y avait Robrecht. Le contact est tout de suite passé, parce qu’on partage une même culture cinématographique de base. » Robrecht Heyvaert, en outre, .3

gèrerait bien les interactions avec le réalisateur, qui confesse lui-même être « direct », voire « brutal » dans le feu du tournage. L’APPORT DE LA MUSIQUE Un autre apport marquant à D’Ardennen est la musique d’Hendrik Willemyns, du groupe fusion Arsenal. « Je suis étonné que personne n’aie encore fait appel à ses compositions. Nous avons la chance d’avoir en Belgique, et en Flandre en particulier, une scène musicale très riche et talentueuse. C’est une ressource géniale pour un réalisateur. » C’est au montage que s’est opérée l’alchimie entre la musique de Willemyns et le film de Pront. « Alain Dessauvage, mon monteur, et moi avions une playlist d’une trentaine de morceaux. On puisait dedans. Alain connait bien le travail d’Arsenal. Il a fait des

propositions qui se sont avérées parfaites. » Récompensé en 2012 du Magritte du cinéma du meilleur montage pour Rundskop, Dessauvage complète le générique bourré de talents du décoiffant D’Ardennen.

Pour Robin Pront, ce premier périple touche à sa fin. « C’est presque frustrant » confesse-t-il. « Parce que tout est fini, on ne peut plus revenir en arrière. Le film est là et il va rencontrer le public. On ne maîtrise plus rien. » Une première expérience qui s’avère positive pour le jeune réalisateur. « Bien sûr, on a affronté pas mal d’écueils. C’est le lot de tous les films. Il y a des moments où on se demande ce qu’on est venu faire dans une telle galère. On est dans l’incertitude, l’insécurité. Mais il faut avancer, faire des choix, trancher, prendre des décisions. C’est ça qui est intéressant dans le processus d’un film. » Robin Pront nourrit déjà plusieurs autres idées de récit. Même s’il ne veut pas trop s’avancer sur celui qui prendra le dessus dans l’immédiat. Une seule certitude : son désir de cinéma est encore plus grand après D’Ardennen qu’avant.

D'Ardennen sur flandersimage.com Jeroen sur flandersimage.com Jeroen Perceval sur imdb.com Veerle Baetens sur imdb.com

Photos : D’Ardennen

interview


ENFANTS DE LA GUERRE PAR

Pieter-Jan De Pue (d)

Le réalisateur Pieter-Jan De Pue a longtemps oeuvré en solitaire en Afghanistan, où il a accompagné l’armée américaine et travaillé avec des ONG. Avec The Land of the Enlightened, il a trouvé une histoire puissante à conter. Son film se situe à mi-chemin entre réalité et fiction.

Impossible de se tromper de PieterJan De Pue sur Skype : c’est celui dont l’adresse indique « Kaboul, Afghanistan ». En réalité, De Pue n’est plus à Kaboul lorsque nous nous parlons : il met actuellement la touche finale à son documentaire, The Land of the Enlightened. Mais le réalisateur a passé l’essentiel de la dernière décennie dans ce pays lointain et bouleversé, où les invasions se sont succédées et dont la beauté des paysages contrastes avec la vie rude de la majorité des habitants, notamment les jeunes trafiquants interview

qui sont au coeur de son film. « Nous jouons beaucoup de ce contraste » explique De Pue. « La beauté de l’Afghanistan est le reflet inversé de la dure réalité qu’affrontent ces gamins pour survivre. Nous avons organisé une projection-test récemment. Tout le monde nous a dit : « Je ne savais pas que l’Afghanistan est un pays aussi beau et extraordinaire. » Mais la population doit y vivre au jour le jour. Selon moi, cela apporte une plus-value au film, un contraste supplémentaire.» Les jeunes en question, qui ont entre

Nick Roddick

traduction Alain Lorfèvre

15 et 18 ans, vivent de l’héritage des guerres du pays, déterrant des mines datant de l’invasion soviétique dans les années 1980, et dont ils retirent les explosifs pour les vendre aux exploitants des mines de lapis-lazuli dans le province du Badahshan, dans le nord-est de l’Afghanistan. Mais la piste ne s’arrête pas là : bien que cette pierre précieuse constitue l’une des principales exportations du pays, une grande quantité sont transférées illégalement vers le Pakistan et la Chine. Elles y sont échangées contre des armes, qui alimentent la dernière métastase de cette guerre dont sont issues les mines. Il est difficile de se défaire de l’idée que l’histoire ne cesse de se répéter en Afghanistan. CHANGER LES PLANS « L’exploitation minière existe depuis des milliers d’années » précise De Pue. « On trouve des gèmes en Egypte, dans les pyramides. C’était une valeur marchande du temps de la Route de la Soie. L’armée rouge essaya de bombarder une des mines où nous avons tourné. Mais ce faisant, ils ont mis à jour d’autres veines de lapis lazuli, ce qui n’a fait qu’intensifier le trafic! » L’Afghanistan étant un lieu où il est extrêmement difficile de tourner, explique De Pue, « l’histoire a évolué durant le tournage et nous avons dû beaucoup adapter. Mais le fil conducteur est resté le même : la guerre entre l’armée américaines et les Talibans, et comment différents groupes d’enfants ont développé une activité économique et un moyen de survie au sein de celle-ci. Ils participent au trafic, ramassent les débris - munitions usagées ou non - et les revendent. C’est un

réseau tentaculaire de trafics et de commerce - une véritable économie de guerre. » Dans une telle économie, la prise de risque et l’ingéniosité font partie du quotidien. « De jour, les enfants des villageois observent les équipes de déminage, essayant de déterminer le plan de disposition des mines. Ensuite, quand les démineurs sont partis, ils commencent à déterrer les mines et d’autres types d’explosifs et les vendent aux exploitations minières qui les utilisent pour mettre à jour les minerais. Nous avons poursuivi notre récit en montrant comment les pierres traversent la frontière et sont vendues contre des armes, qui reviennent en Afghanistan pour équiper les Talibans. » Tout cela se passe, dit-il, sous les yeux du gouvernement afghan, qui soutient tacitement le trafic. « Tout est corrompu et chacun fait ce qu’il veut. Dès qu’il y a une opportunité de réaliser un bénéfice, chacun coopère avec les autres… même le gouvernement : les seigneurs de guerre sont soutenus par les autorités, afin de maintenir leur pouvoir grâce à l’influence qu’ils ont dans leur région. C’est totalement illégal, mais comme cela se passe partout, tout le monde l’accepte… » LA DIGNITÉ DE LA POPULATION De Pue est fasciné par l’Afghanistan depuis ses études de cinéma, en Belgique. « C’’était en 2001-2002, après l’intervention américaine » se souvient-il. « Je suivais les infos et je parlais beaucoup avec les journalistes belges qui travaillaient avec la [chaîne flamande] VRT, en particulier Jef Lambrecht, qui a écrit un livre sur le sujet. J’ai commencé à lire beaucoup sur ce pays. .4


J’ai été séduit par la culture, par le mode de vie des gens, leur dignité. J’ai alors décidé qu’après mes études, je partirai là-bas afin de découvrir moi-même à qui ressemblait l’Afghanistan. » « Mais c’est évidemment un pays où on ne voyage pas comme un touriste. Alors j’ai contacté plusieurs organisations internationales pour proposer mes services bénévoles afin de couvrir comme photographe leurs projets. En échange, je demandais de pouvoir utiliser leurs véhicules et leurs guides locaux. Ensuite, l’année suivante, j’ai beaucoup voyagé par mes propres moyens, en moto, à cheval, à pieds... Ce fut aussi à ce momentlà que j’ai suivi comme journaliste « embedded » avec l’armée américaine. J’ai pu voir en première ligne à quoi ressemblait la guerre en Afghanistan. C’est devenu un élément central du scénario que j’ai commencé à écrire à ce moment-là. » Les choses ont progressé doucement, voire très lentement, jusqu’à devenir The Land of the Enlightened. « J’ai reçu une aide à l’écriture du VAF et j’ai achevé le scénario en 2009-2010, je crois. Bart Van Langendonck fut associé à partir de 2008, juste après avoir créé Savage Film. Le Fonds audiovisuel flamand est rapidement monté à bord, de même que Creative Europe. Mais il a fallut ensuite se lancer dans la recherche de longue haleine de subsides supplémentaires. Petit à petit, alors le budget gonflait à mesure que nous prenions conscience des conséquences d’un tournage en Afghanistan, nous avons reçu le soutien de l’Irish Film Board » - le mixage son et la post-production ont eu lieu à Dublin début 2015 « ainsi que du Fonds audiovisuel néerlandais et de la chaîne télé IKON. ZDF-Arte est venu nous soutenir depuis l’Allemagne, et encore la Belgique via des aides du ministère des Affaires étrangères .5

et du tax-shelter. Nous avons finalement entamé le tournage en 2010, pour la première partie avec l’armée américaine. In fine, nous sommes parvenus à réunir près d’un million d’euros - une somme considérable pour un documentaire de nos jours. LA CHANCE TOURNE COURT La première phase du tournage a aussi impliqué une préparation méticuleuse des scènes de trafics. De Pue a toujours su qu’elles devraient être recrées, étant donné qu’il aurait été impossible de suivre une réelle opération de trafic. « La partie avec l’armée est cent pour cent documentaire » explique le réalisateur, mais présente un autre des contrastes autour desquels le film est structuré. « Il y a d’une part cette guerre high-tech, avec des hélicoptères et des systèmes de vision nocturne et, d’autre part, ces caravanes qui arpentent les routes de montagnes, de la même manière depuis des millénaires, avant même la route de la soie. » Mais lorsque le groupe - une équipe de quatre Européens et de douze Afghans - a commencé à tourner les scènes autour de la mine, sa chance a tourné court. « Nous avons commis l’erreur d’être trop visible » raconte De Pue. « Tout le monde savait où nous voulions aller. À la fin du tournage, nous avons été attaqués et toute l’équipe a dû être rapatriée en Belgique. » Lorsqu’il est retourné en Afghanistan en 2013, De Pue a adopté une approche plus prudente - et plus efficace - bien qu’engendrant plus de difficultés et d’inconfort. « Je suis resté sur place de janvier à juillet, avec seulement un ingénieur du son et une équipe afghane locale » précise-t-il. « Nous avons pris la décision que, pour chaque lieu que nous voulions filmer, nous aurions une équipe différente. C’étaient des gens qui connaissent très bien chaque région, des directeurs de

productions locaux, des facilitateurs - pas des Afghans de Kaboul qui ne connaissaient rien. Cela signifiait que nous pouvions faire tout ce qui était écrit dans le scénario, mais d’une manière plus flexible, comme tourner dans un champ d’opium pendant quelques heures plutôt qu’en deux jours. » C’EST ÇA L’AFGHANISTAN Tout semblait aller pour le mieux, surtout dès lors que le tournage

dû marcher sept jours sur une rivière gelée pour atteindre le décor que nous souhaitions filmer, et nous avons dû renvoyer la caravane à deux reprises rechercher plus de nourriture, de carburant, de matériel de tournage - même de la nourriture pour les animaux, parce qu’il n’y avait même pas d’herbe. Ensuite la glace est devenue plus mince. Les animaux ont commencé à passer au travers et nous avons dû monter en altitude... » « Ouais » conclut-il Photos : The Land of the Enlightened

« A la fin du tournage, nous avons été attaqué et toute l’équipe a dû être rapatriée en Belgique. » commençait durant l’hiver, alors que les combats diminuaient à cause du froid et des risques d’avalanches. « C’était un tournage rude, cependant, parce que l’Afghanistan, c’est un peu le Moyen-Age, spécialement dans les régions montagneuses : il n’y a ni électricité, ni eau, ni carburant. Vous devez apporter vos propres générateurs, votre propre nourriture. Lorsque nous avons filmé les caravanes, nous tournions à 5000 mètres d’altitude, dans la neige, en plein hiver, avec plus de trente chameaux, des yaks, des chevaux. Nous avons

à regret “nous avons rencontré beaucoup de difficultés. Mais c’est ça l’Afghanistan! » De Pue tente également de trouver un moyen de montrer le film à ceux qui en sont le sujet. « C’est un des grands défis » dit-il. « Durant son occupation, l’armée soviétique projetait des films de propagande dans les montagnes. Je pense que je serait le premier à montrer un film sur l’armée rouge et sur les conséquences de la guerre pour les enfants qui y furent impliqués. » Land of the Enlightened sur flandersimage.com interview


A MATONGE SOUS DES ETOILES CONTRAIRES PAR

NICK RODDICK

TRADUCTION RUD VANDEN NEST PHOTOs

JO VOETS

Aboubakr Bensaïhi (g) et Martha Canga Antonio

Matonge est un quartier de Bruxelles où les gangs urbains font la loi. Mais Black, dans lequel Aboubakr Bensaïhi et Martha Canga Antonio font leurs premiers pas au cinéma, est d’abord et surtout une histoire d'amour.

Martha Canga Antonio, 19 ans, étudie à l’université de Gand. Grâce à ses parents d’origine angolaise, elle parle le portugais, le français, le néerlandais, ainsi qu’un anglais impeccable. Aboubakr Bensaïhi, lui aussi 19 ans, étudie à l’Institut Imelda, une école secondaire de Bruxelles. Il parle l’arabe avec sa mère, le français avec son père, le néerlandais à l’école et un anglais bien meilleur qu’il ne l’admet par modestie. Dans Black, Martha et Aboubakr interprètent les rôles principaux. Ils n’avaient quasiment aucune expérience de jeu si ce n’est un tout petit rôle à l’école pour Martha, « et encore, dans une comédie musicale, lors d’une apparition de maximum

10 secondes. » Aboubakr abonde dans le même sens, même s’il ajoute: « j’ai toujours rêvé de faire du cinéma. » Ce rêve est devenu réalité l’été dernier quand les deux jeunes gens ont été retenus pour incarner les amants maudits dans le nouveau film du prolifique duo de metteurs en scène, Adil El Arbi et Bilall Fallah. Il s’agit d’une nouvelle variation sur le thème classique de Roméo & Juliette : tout comme dans West Side Story, les deux amants ne sont pas issus de familles ennemies, mais de gangs rivaux. Martha joue Mavela, membre des « Black Bronx ». Aboubakr incarne Marwan, membre on ne peut plus loyal du gang rival, les « 1080 », dont le nom

renvoie à la commune bruxelloise de Molenbeek. Pour le reste: place à l’amour… Black est basé sur un roman très populaire en Flandre de Dirk Bracke.

« J’avais lu le livre en décembre 2013 et je l’avais beaucoup aimé, » nous dit Martha. « Après, en janvier, quelqu’un m’a signalé qu’il allait être adapté au cinéma et qu’un

Photos : Black

interview

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casting était en cours. J’ai passé une audition – et j’ai été prise ! » CASTING SAUVAGE Pour trouver leurs jeunes acteurs, les réalisateurs ont mis en place des ateliers et des sessions d’improvisation auxquels ont participé près de 450 personnes sur trois mois. « Il y a eu trois rounds dont deux entièrement axés sur l’improvisation, » se souvient Martha. « Il fallait s’imaginer qu’on attendait le bus et que quelqu’un vous abordait en devenant agressif. Ensuite on devait jouer quelqu’un qui avait peur et n’osait pas réagir. Enfin, quelqu’un était le roi de son quartier et n’a peur de personne. » Le personnage qu’elle a fini par interpréter, ajoute-t-elle, ne lui

ressemble pas vraiment, même si elle peut « se retrouver dans certains de ses traits. » Et selon elle, d’autres jeunes filles pourront facilement s’identifier aussi, « c’est ce qui fait la force du livre, parce que c’est l’une des premières fois, en Belgique, que des jeunes filles noires ont pu se reconnaître dans certaines choses, même si elles ne se reconnaissent pas dans tout. Mavela est très jeune et à son âge on pense qu’on sait plein de choses –mais c’est loin d’être le cas. Elle est aussi un peu frustrée, en colère et naïve. C’est très compliqué de la décrire; je crois qu’il faut aller voir le film. » .7

Les choses ne se sont pas passées de la même manière pour Aboubakr. Les réalisateurs ont organisé un grand casting dans son école. Les improvisations, par contre, ont été plus ou moins pareilles pour les deux acteurs, puisqu’ils ont été invités à sortir de leur zone de confort pour se glisser dans le monde de la loyauté au gang. « Pour Marwan, » dit-il, « il importe d’être toujours là pour les amis et de ne jamais les abandonner à leur sort. C’est un gars de la rue – ce qui n’est pas mon cas: je ne suis pas de la rue. Il sent qu’il a plein de problèmes avec la police mais, quand on le connaît, on voit bien qu’il a bon cœur. » Et d’ajouter, en grimaçant: « avec les filles, c’est un monstre. »

« Black c’est la deuxième histoire d’amour la plus forte au monde, après Titanic ! » Aboubakr

UN ENDROIT OÙ IL FAIT BON VIVRE Si, pour les deux acteurs, tourner dans les rues de Bruxelles a constitué un défi, ce dernier a cependant été éminemment gratifiant. Loyal à son biotope, Aboubakr n’est pas d’accord avec l’image violente de Bruxelles. « Je suis de Bruxelles et, pour moi, Bruxelles n’est pas une ville dangereuse, c’est une ville agréable, » affirme-t-il. Pour Martha, cependant, le tournage du film a révélé des choses qu’elle n’avait jamais remarquées auparavant. « Je croyais connaître Bruxelles, » dit-elle, « mais ce n’était pas le cas. Le quartier de Matonge, je l’ai

découvert. Or, j’avais l’habitude d’y aller chez le coiffeur parce que les Africains y sont nombreux. J’y faisais des allers-retours avec ma mère. Mais depuis, je m’y suis arrêtée, j’ai regardé, fait la connaissance de gens du coin et écouté leurs histoires. Ça a été une expérience très enrichissante. » Pour Aboubakr, le tournage du film et tout ce que cela implique, a complètement correspondu à ses attentes. « J’ai vraiment bien aimé l’atmosphère sur le plateau », dit-il. « On était comme une grande famille. Tout le monde respectait tout le monde, même s’il y avait des tas de personnes de cultures différentes qui travaillaient ensemble. C’était super. » Tous les deux disent avoir une prédilection pour le cinéma et les acteurs de films plutôt violents : Martha a un faible pour City of God, film de gangs brésilien, tandis que Aboubakr est fan de l’acteur Jason Statham. Malgré toute la violence présente dans Black, ce sont cependant les aspects les plus tendres du film – et son histoire d’amour en particulier – qui les ont

le plus marqués. Pour Aboubakr, « Black c’est la deuxième histoire d’amour la plus forte au monde, après Titanic ! ». Quand on a fait le film, ajoute Martha, la puissance émotionnelle de l’histoire était « la chose la plus importante de nos vies et la seule à laquelle nous pouvions nous fier. » Sans avoir vu la moindre séquence du film (au moment de l’interview), les deux interprètes sont convaincus que le résultat sera plein de moments émotionnels forts, aussi bien pour eux que pour les spectateurs. « Oh ! » s’exclame Aboubakr, « moi, je vais chialer… » « Et moi donc ! » intervient Martha. « … parce que c’est un rêve devenu réalité. » « On a eu l’impression que c’était bien plus qu’un film, » conclut Martha. « C’était un projet réalisé en commun. Même lorsqu’on était dans la rue et qu’il y avait des badauds… si on avait besoin de quelque chose, tout le monde donnait un coup de main. » Black sur flandersimage.com interview


DOUBLE JE

Jan (g) et Raf Roosens

Après la première cannoise de leur court métrage Copain, les frères Roosens se préparent leur premier long métrage. En mai, une nouvelle paire de frères belges a emboîté le pas aux Dardenne sur les marches du Palais des Festivals à Cannes. Jan et Raf Roosens ont réalisé la fameuse « montée des marches » grâce à leur court métrage Copain. Celuici a décroché une très convoitée sélection en Compétition dans le programme courts métrages. Et ils sont fermement décidés à fouler à nouveau le même tapis rouge. « C'est une expérience unique », reconnaît Jan, l'aîné (il a 32 ans, Raf a fêté ses 30 ans cet été). « Lorsqu'on nous a dit que nous étions sélectionnés, nous avons interview

PAR

Nick Roddick

TRADUCTION ALAIN LORFÈVRE PHOTO BART DEWAELE

sauté au plafond. Nous nous sommes retrouvés invités à tout un tas d'événements et de dîners exceptionnels, où nous avons rencontré des personnes passionnantes. » Sans compter celles à même de doper une carrière de réalisateurs. Certes, concède Raf, un prix aurait été bienvenu. « Pendant les dix jours que nous avons passé là-bas, dit-il, nous avons eu notre chance de décrocher la Palme d'or. Lorsque plein de gens vous disent combien ils ont apprécié votre film, vous commencez à vous dire : « OK, la nomination, c'est génial, mais maintenant ce serait encore mieux d'avoir un prix ». « On en veut toujours plus : c'est normal. Au final, Copain n'a pas décroché la timbale, donc on se dit qu'on doit y retourner ! » En d'autres termes, Copain n'est qu'un début. C'est l'histoire d'un ado aisé, Fré, issu de la classe moyenne. Il vit en banlieue, mais passe ses journées avec une bande de copains d'une cité. Un jour, inévitablement, la frontière entre ces deux univers saute, et Fré doit faire un choix entre le confort de la vie bourgeoise - « Je crois qu'il faudrait qu'on en finisse avec les produits bio » sont les premiers mots de son père dans le film - et la street attitude. SUIVRE LA MÊME VOIE Copain n'a pas commencé comme un court métrage. L'idée du film est venue lorsque les frères développaient un projet de long métrage, sous le titre de travail Franco. « Ce court métrage est centré sur un garçon qui est coincé entre ces deux mondes - ou pense qu'il l'est - et qui doit trancher » explique Raf. « Pour nous, l'histoire s'arrête lorsqu'il a fait son choix.

C'est comme un chapitre du long métrage : on y retrouve les mêmes personnages, les mêmes décors. En fait, c'est lors d’une de nos séances de réflexion durant l'écriture du long métrage que l'idée du court métrage a émergé. Le long a pour protagonistes deux frères, dont l'un a toujours veillé sur l'autre, qui se demande s'il doit absolument suivre la même voie que son frère. » Il apparaît que les frères Roosens eux-mêmes n'avaient pas non plus envisagé de suivre la même voie. Raf est entré dans une école de cinéma alors que Jan avait opté pour des études économiques. « Après mon diplôme, explique-t-il, je suis parti à Paris pendant un an et, lorsque je suis revenu, Raf réalisait son film de fin d'études. Comme j'étais en vacances et que j'avais du temps, je l'ai aidé à produire son film. Ensuite, j'ai commencé à travailler comme courtier en obligations dans la finance. » « Mais nous sommes frères après tout et il parlait tout le temps ce qu'il était en train de faire. Une nuit, on a décidé de lancer notre propre compagnie de production. J'ai démissionné le lendemain et notre société est née. Au départ, j'étais celui qui tenait les cordons de la bourse, mais la collaboration est devenue plus étroite. » STYLE ROCOCO Leur compagnie, Rococo, a une palette de clients impressionnante. Son website fourmille de vidéos. On y trouve la bande annonce du premier court métrage des Roosens, Rotkop (Skunk), où l'on retrouve aussi des gamins qui partent en ville dans le parc d'une cité. Le protagoniste principal doit faire un choix, mais à l'opposé : Olli prend la parti de sa mère, atteinte d'un cancer, au lieu de celui de ses soi-disant amis. Par chance, les frères Roosens n’ont jamais été confronté à de tels choix cornéliens durant leur parcours. « Quand nous nous sommes lancés,

explique Raf, j’était le réalisateur et Jan répondait « OK, mais voici ce que je pense ». Et ses jugements étaient pertinents. Nous avons donc collaboré étroitement. Pour l’équipe et les comédiens, nous apparaissons comme une seule personne, avec une seule opinion. » DEUX RÉALISATEURS, UNE SEUL VOIX « Le truc », glisse Jan « c'est que nous essayons réellement d'agir comme deux réalisateurs sur le plateau. L'équipe comme les comédiens sentent que nous réalisons main dans la main. Les seuls discussions que nous avons se font derrière le combo. C'est comme cela que ça se passe sur le tournage : on tourne une scène, on regarde la prise, on en parle et puis l'un de nous deux va s'adresser à l'équipe : « OK, la prise n'est pas terrible... peut-être qu'on pourrait essayer un autre angle », ou alors il se tourne vers les comédiens : « Essayez plutôt ceci ». Nous n'avons qu'une seule règle : il ne peut jamais y avoir de veto. » Raf confirme : « Ce qui est capital, c'est que nous essayons d'agir comme un seul réalisateur sur le plateau. » Ce qui, affirme-t-il, se passe naturellement. « Nous aimons vraiment les mêmes choses - le même type d'image, la même manière de raconter une histoire. Nous sommes vraiment comme une caisse de résonance l'un vis-à-vis de l'autre, et c'est le point de positif dans le fait de travailler ensemble. » Cette collaboration se poursuivra évidemment sur le long métrage, pour lequel ils ont déjà trouvé un producteur potentiel. « En ce sens, Cannes fut vraiment une expérience positive » explique Jan. « Nous avons rencontré de nombreux producteurs, de France et d'ailleurs, mais ce fut également une bonne chose de rencontrer des professionnels de l'industrie du cinéma flamand. » Copain sur flandersimage.com Paradise

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