UNE SYNTHÈSE ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ LA RECONSTRUCTION DE BIZERTE, TUNISIE 1943-1961
Par Florent PAOLI - Tuteur : Ahmed BENBERNOU - 2015 - ENSAPVS - G12 - DE3
INTRODUCTION Depuis Jorn Utzon, Alvaro Siza ou Paolo Mendes da Rocha1 jusqu’à Jean Nouvel, la question de
l’intégration de l’identité culturelle des villes et des territoires dans une modernité radicale, est au
cœur de la réflexion des architectes contemporains. La reconstruction par des architectes français
de Bizerte en Tunisie à partir de 1943 s’inscrit dans cette tentative de la libération d’une modernité générique par le local, par le prisme de réalisations inspirées par la tradition.
L’exposition monographique sur Bernard Zehruss à la Cité de l’Architecture en 2014 présentant
son œuvre de jeunesse me fit écho. En effet, je retrouvai dans ses plans-types d’équipements mes souvenirs d’enfance. Je me remémorai alors le marché de Bizerte baigné de lumière grâce à ses dômes percés : un dispositif moderne pour un bâtiment qui m’avait toujours paru être là, comme une référence intemporelle. De ma jeunesse à aujourd’hui, je l’ai appréhendé lors de vacances durant
lesquelles je résidais dans la maison héritée de mon grand-père, Armand Demenais, architecte sur place.
Armand Demenais (1912-1993), faisait partie de l’équipe réunie par Bernard Zehrfuss (1911-
1993) en tant que responsable de la section Urbanisme de la région de Bizerte pour reconstruire la Tunisie après la seconde guerre mondiale, aux côtés de Paul Herbé (1903-1963), Jean Lecouteur
(1916-2010), Jason Kyriacopoulos (1909), Jacques Marmey (1906-1988), et d’autres. Le site de cette ville du nord de la Tunisie est enserré par, d’une part un lac et un canal qui le relie à la mer (creusé
à la fin du XIXe siècle par les français), et d’autre part, par des collines inconstructibles car terrains
militaires. Le centre ancien arabe, la médina, au tissu très dense, s’implante le long du vieux port. Lui tournant le dos, la ville européenne structurée par un plan radio concentrique depuis la place
de la municipalité, s’étend jusqu’au goulet et au lac. Principal port militaire de la marine française,
la ville subit d’intenses bombardements durant la guerre, et fut détruite à 50%. On y trouve ainsi de nombreux témoignages de la reconstruction, dont le projet de ville-nouvelle de Zarzouna.
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1 « Le régionalisme critique » in L’Architecture moderne : une histoire critique, Kenneth Frampton, 1980
en haut : Plan de Bizerte des destructions dues à la guerre. L’Architecture d’Aujourd’hui n°20, 1948, p.30
en bas : Plan de Bizerte avant le percement du goulet (pointillés mixtes). Au sud, les jardins de Zarzouna. ibid.
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Cette équipe, de formation académique (beaux-arts) et acquise aux idéaux du mouvement
moderne, arriva en Tunisie en 1943 d’après une volonté du gouvernement de reconstruire le pays en le modernisant : une tentative ultime de conserver la colonie. Paradoxalement, l’architecture qu’ils
produisirent était profondément ancrée dans les traditions spatiales et constructives tunisiennes. Comment un architecte peut-il créer une architecture issue d’une tradition qui n’est pas la sienne ?
Les causes de cet démarche sont plurielles. D’abord, leur formation classique et leurs idéaux de formes pures les rendaient sensibles à l’architecture méditerranéenne. Par ailleurs, ils étaient confrontés à une pénurie de matériaux. Dans cette conjoncture particulière, il semble que cette architecture fut
une réponse pertinente. Ainsi, dans quelle mesure une situation d’urgence peut-elle être motrice d’une architecture faisant, non seulement appel à la tradition, mais aussi permettant de poser un
nouveau regard sur le passé et le paysage ; l’existant ? Comment un contexte de production parvientil à modifier notre regard d’architecte sur le monde ?
Afin d’approfondir au mieux cette question, éclairer et analyser l’expérience de Bernard Zehrfuss
et de son équipe lors de la reconstruction de Bizerte de 1943 à 1947 - qui se prolongera pour certains jusqu’en 1961 (date de la guerre de Bizerte lors de laquelle les européens quittèrent la ville) - me semble très intéressant. Cette étude de cas m’a permis de lier plusieurs thèmes : le rapport entre la modernité et la tradition, la prise en compte des ressources, et, d’un point de vue plus personnel, la
mémoire. Mes recherches m’ont d’abord naturellement amené à consulter les revues de l’époque,
en particulier L’Architecture d’Aujourd’hui dirigée par André Bloc qui publia de nombreux projets, notamment dans le «Spécial Tunisie» de 1948. Je pus ainsi observer les conditions intellectuelles
de production de ces bâtiments que j’avais vu pour la plupart sur place, au cours de mes nombreux
voyages. Ma réflexion s’est par la suite appuyée sur l’approche de cette architecture par Bernard Huet
dans sa préface de Rationalisme et Tradition : Tunisie 1943-1947 (Marc Breitman, 1995). Bernard Huet prône une architecture qui prend un compte le contexte de production et repose sur une analyse fine de l’urbain, de l’histoire et de l’existant en général. Sa pensée réfute l’idée de l’apport potentiel
d’une modernité qui, par sa position d’avant-garde, détruit pour créer. L’architecture ne pourrait alors exister que dans une continuité. Je me suis dès lors distancé d’une analyse de mon sujet qui tendrait
à opposer tradition et modernité. L’enjeu de cette problématique ne se situait pas au sein de cette dichotomie, mais plutôt dans la recherche d’une continuité au sein d’un contexte très particulier. J’ai en parallèle lu des ouvrages sur l’évolution de l’architecture coloniale, pour comprendre les attitudes 4
des architectes occidentaux en Tunisie selon les époques2. Enfin, j’ai cerné l’architecture traditionnelle tunisienne, notamment par le biais des les travaux de Serge Santelli et Bernard Huet sur les médinas.3
Ce rapport se structure en trois parties. Dans un premier temps, j’analyserai la démarche
originelle de la reconstruction qui aspirait à moderniser le pays, dans une vision futuriste, à long
terme, à travers une architecture et un urbanisme moderne. Puis, je traiterai de la prise de conscience du contexte de production de l’après-guerre qui mènera ces architectes à rationaliser la tradition pour répondre à la demande. Enfin, j‘examinerai ce nouveau regard sur l’existant qui se développe alors, par une approche sensible du tissu urbain traditionnel, de l’histoire et du paysage. 2 BEGUIN François, 1983. Arabisances. Paris, Dunod, 170p.
3 - SANTELLI Serge, 1992. Médinas. L’architecture traditionnelle en Tunisie. Tunis, Dar Asmaf, 142p.
Plan des espaces de la médina de Tunis. - SANTELLI Serge, Médinas. L’architecture traditionnelle en Tunisie, 1992
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I. CONSTRUIRE LE FUTUR
UNE VOLONTÉ DE MODERNISATION DE LA TUNISIE PAR LE COLONISATEUR
L’empire colonial français vit ses dernières heures dans l’après-guerre. La Tunisie, sous
protectorat français depuis 1881, s’est développée économiquement dans la première moitié du XXe siècle. En parallèle, de la croissance des inégalités sociales entre européens (colons) et populations
arabes, a résulté l’émergence d’un nationalisme tunisien en faveur de l’indépendance (Néo-Destour de Bourguiba). La position de la France se trouve ainsi très affaiblie en 1943. Celle-ci propose alors
de reconstruire le pays ravagé par la guerre en le dotant d’infrastructures modernes : une image
futuriste qui s’érige en ultime tentative d’affirmer son autorité sur le pays. C’est dans ce contexte
que la mission de l’équipe de Zehrfuss prend tout son sens. Nous verrons dans un premier temps la constitution de cette équipe et de ses objectifs à visée politique. Puis, nous analyserons les outils de cette modernisation à travers l’urbanisme - la ville nouvelle comme principe de développement urbain - et l’architecture climatique.
1. La constitution d’une équipe à partir d’une visée politique
L’histoire de l’architecture coloniale en Tunisie est intimement liée à celle de l’évolution
politique. Au XIXe siècle, la France, triomphante et sure de sa culture, impose dans ses colonies un
«style du vainqueur »4. L’urbanisme reproduit des modèles occidentaux, tournant le dos aux médinas,
parfois même en les détruisant. La ville européenne de Bizerte s’implante à cette époque au sud du centre ancien, sur un plan en damier radioconcentrique. L’architecture présente un style néo-
classique, calqué sur les typologies des bâtiments publics de la métropole. Au tournant du siècle,
l’empire adopte une attitude de protection de la culture locale pour préserver sa mainmise. La
destruction des médinas cesse : le pouvoir prend désormais conscience du danger d’une disparition de l’armature spatiale de la société arabe. D’autant que le goût de l’ailleurs et du pittoresque se manifestent à travers la naissance du tourisme et l’organisation d’expositions coloniales qui mettent en valeur l’empire français. Le style officiel se pare d’une ornementation néo-mauresque. Dans un
premier temps, celle-ci est posée sur des bâtiments dont les plans demeurent occidentaux, dans un 6
4 BEGUIN François, 1983. Arabisances. Paris, Dunod, 170p.
éclectisme orientalisant. Puis, dès les années 20, des architectes développent un intérêt pour les formes et l’espace traditionnel, qui se concrétisera dans un régionalisme maghrébin, avec un certain
mimétisme. C’est à cette époque qu’apparait la distinction entre habitat indigène et européen dans les nouvelles constructions. Il s’agit en somme d’une politique de coexistence, toutefois inégalitaire.
A la libération de la Tunisie, en 1943, le pouvoir politique doit faire face aux profonds déséquilibres
provoqués par l’action coloniale et aux sinistres de la guerre. L’exode rural, l’accroissement de la population locale et ses inégalités croissantes avec les colons, rendent la situation très délicate pour la
France. Une équipe dirigée par Roger Gromand (surnommés « les sauterelles marocaines »), forte de son expérience au Maroc et marquée du succès de la politique coloniale du général Lyautey, s’empare
des postes-clés de l’administration. Ils mettent en place une gestion efficace du pays, autoritaire, sans
représentativité tunisienne, au grand dam de Bourguiba. L’urbanisme sera alors au cœur du projet de
développement économique. A l’image de Lyautey et de son architecte Henri Prost au Maroc, Roger Gromand appelle Bernard Zehrfuss pour expertiser les dommages de la guerre et proposer une stratégie de reconstruction et de modernisation.
Le gouvernement donne les pleins pouvoirs à Zehrfuss et son équipe. A la fois maîtres
d’ouvrage et maîtres d’œuvres, ils délivrent les permis de construire et dessinent eux-mêmes les bâtiments. Les services d’architecture et d’urbanisme orchèstrent avec un pouvoir autoritaire l’élan
de la reconstruction, et ce sans obstacle extérieur, ce qui explique la productivité exceptionnelle des architectes du perchoir (car leurs ateliers sont installés dans le dar el bey au premier étage du palais du gouvernement).
L’A r c h i t e c t u r e d’Aujourd’hui n°20, 1948, p.16
Devant l’immensité de la tâche, Zehrfuss s’entoure de ses anciens camarades de l’atelier
Pontremoli aux Beaux-Arts (Herbé, Demenais, Lecouteur, etc), ainsi que d’expérimentés du Maghreb
(Marmey du Maroc, Kyriacopoulos d’Algérie), parmi d’autres. Les services sont organisés selon les compétences (voir la liste complète ci-dessous). Dans la section régionale de Bizerte, Jean Lecouteur
sera en charge de l’architecture, alors qu’Armand Demenais s’occupera de l’urbanisme, en particulier le projet-phare de la modernisation du pays : la ville-nouvelle de Bizerte Zarzouna.
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2 La ville nouvelle comme principe de développement urbain
de :
Dans un article-bilan de 1948, Zehrfuss affirme que l’une des bases de la reconstruction était « Faire respecter quelques principes essentiels de l’architecture, tels que la réduction de la voirie,
la maintien et l’aménagement d’espaces libres plantés, la bonne orientation, l’ensoleillement et la ventilation. »5 Le discours officiel de l’architecte est influencé par les principes de la Charte d’Athènes ; une position devenue dominante après la guerre. Cette approche se manifeste dans les plans d’extension des villes
(Tunis, Sfax, etc). La modernisation de l’appareil d’état par l’urbanisme prend le pas sur les logiques de conservation des centres anciens, entraînant des destructions.
Bizerte fait figure d’exception : l’emprise existante étant enserré dans des limites formées
par les terrains militaires, la médina, et le goulet menant au lac, l’extension est projetée sur l’autre
rive, à Zarzouna, constituant ainsi une ville-nouvelle, la première bâtie sur les principes de la Charte
d’Athènes, bien avant Chandigarh ou Brasilia. La portée symbolique de Zarzouna est si grande pour «
l’œuvre civilisatrice » de la France que De Gaulle vient lui-même en poser la première pierre en 1945. La ville nouvelle, conçue par Zehrfuss et Marmey puis reprise par Demenais, s’organise autour
de grands axes de circulation autour desquels sont implantés les différentes fonctions par zones. Un
seul grand principe guide l’ensemble : l’orientation. Barres et tours composent dès lors le centre administratif et financier dans une esthétique résolument moderne. L’Eglise de Paul Herbé est placée dans un dispositif monumental, une logique occidentale dénuée de référence à la culture urbaine locale.
Cet espace universel déterminé par son seul site, peinera à répondre aux enjeux de la
reconstruction de Bizerte, dont les destructions avaient été surestimées. La ville historique sera suffisante et pourra s’étendre avec la démilitarisation des terrains à l’est de la ville. D’autant que la
liaison entre les deux rives était très compliquée, assurée par un bac. Le projet de tunnel, utopique, ne sera jamais réalisé (un pont sera construit dans les années 70), à l’image de la ville nouvelle de
Zarzouna, un rêve moderne condamné par son excès de confiance en l’avenir d’un pays en cours de décolonisation et dont la population ne souhaitait pas, à juste titre, un tel projet. 8
5 « Etudes et réalisations d’architecture et d’urbanisme faites en Tunisie depuis 1943 », L’Architecture d’Aujourd’hui n°20, 1948
en haut : Plan masse de Zarzouna. L’Architecture d’Aujourd’hui n°20, 1948, p.37
en bas : Plan d’ensemble et perspective de la cathédrale de Zarzouna par Paul Herbé. ibid.
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3. Vers une architecture climatique Une architecture moderne se répand toutefois à travers quelques réalisations emblématiques,
en particulier à Tunis, comme la banque de l’Algérie et de la Tunisie de Pierre Vago. Le grand volume
blanc est percé d’une façade claustra avec brise-soleil verticaux. Ce dispositif est caractéristique de
l’approche climatique du mouvement moderne, qui s’est développée depuis les années 30 en Afrique. En effet, Le Corbusier l’affirme comme identité architecturale locale : « l’introduction en Afrique du Nord des ‘‘ brise-soleil ’’ constitue certainement un premier élément fondamental de l’architecture régionale nord-africaine ».6
Cependant, cette démarche correspond à une architecture coloniale, réservée aux grands
équipements publics à caractère national et aux logements pour les populations européennes. A
Bizerte, A. Demenais construit en 1954 la première tour d’habitation de Tunisie, pour les officiers de la marine. Elle surplombe le vieux port, s’érigeant en symbole de la domination française. Son plan en Y, qui permet de distribuer quatre appartements par étage qui bénéficient de toute la lumière du sud, est une innovation typologique. Des terrasses ceinturent le bâtiment, jouant le rôle de brise-soleil.
Portés par un gouvernement autoritaire qui leur donne les pleins pouvoirs, les architectes
du perchoir seront chargés d’une modernisation active du pays, conforme à la tradition politique
coloniale. La ville-nouvelle de Zarzouna et la tour d’A. Demenais en seront à Bizerte les emblèmes. Ce grand dessein n’en reste pas moins un échec relatif. Effectivement, les bâtiments modernes constituent
une exception, et ne dépassent pas un statut d’architecture européenne pour les européens. Les impératifs de la reconstruction imposeront une toute autre architecture.
6. Œuvres complètes, t.II, p.169, cité par Philomena Miller-Chagas, « Le climat dans l’architecture » in Architectures françaises outre-mer, p.353
ci-contre : Plan d’étage courant de l’immeuble tour d’Armand Demenais à Bizerte. L’Architecture d’Aujourd’hui n°60, 1955, p.92
10
page de droite : «La tour de mon grand-père», vue depuis les remparts de la médina de Bizerte. Photo personnelle,prise en juillet 2012
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II. CONSTRUIRE LE PRÉSENT LA RATIONALISATION DE LA TRADITION
La situation économique, sociale et productive de la Tunisie impose aux «architectes du perchoir»
de trouver une solution efficace pour reconstruire le pays et la douer d’équipements qui comprennent
l’exode rural. La logique s’inverse alors : moderniser est impossible. L’architecture traditionnelle
tunisienne fondée sur un principe de combinatoires et de répétitions d’éléments est le support idéal pour bâtir une architecture rationnelle afin de parvenir à reconstruire rapidement. Nous verrons
dans un premier temps comment l’arrière-plan idéologique des architectes leur permet d’aborder l’architecture traditionnelle, tant d’un point de vue formel que spatial. Puis, nous étudierons les contextes économique, industriel et productif comme base d’une approche constructive rationnelle. Enfin, nous analyserons le passage des plans-types aux réalisations.
Un marabout dans l’arrière pays bizertin . Photo personnelle prise en juillet 2012.
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1 Idéal classique et mouvement moderne : un idéal de pureté formelle L’antagonisme entre tradition et modernité est relativisé en Tunisie par la proximité entre
l’architecture vernaculaire et le mouvement moderne. En effet, les avant-gardes en rupture avec le
passé immédiat proposent un retour à une authenticité supposée de l’architecture, celle des origines antiques et celle des formes vernaculaires, porteuses toutes deux d’un idéal de formes pures. L’expérience orientale de Le Corbusier est déterminante : il en retient les murs blancs, les volumes
élémentaires, les toit-terrasse et l’absence d’ornement. A partir de l’espace urbain de la médina, déterminé par le vide et fondé sur la séparation stricte entre le public (rue) et le privé (cour), ainsi que celle des fonctions, il va théoriser la promenade architecturale et un urbanisme de ségrégation fonctionnelle, où la rue ne sert qu’à circuler.
L’analyse des architectes du Perchoir, bien qu’influencés par la Charte d’Athènes (Le Corbusier,
1942), est nuancée par leur formation académique. Pour la plupart issus de l’atelier Pontremoli
aux Beaux-Arts de Paris, leur enseignement était fondé sur l’étude des monuments classiques, leur transmettant la rigueur de la composition. Ses aspects, incarnés par la Patron, étaient la
pluridisciplinarité (arts, sciences, techniques), la philosophie et l’imagination, qui le situait audelà des doctrines, hermétique, donc, aux débats du mouvement moderne. L’école leur a inculqué
une méthode : « à apprendre, à regarder, à aimer l’art, à chercher7. Cette formation leur offrit une ouverture et une flexibilité de pensée.
Ainsi, l’équipe de Zehrfuss est, dès son arrivée, fascinée par l’architecture traditionnelle. Elle
entame des visites du pays, enthousiasmée par les mosquées blanches de Djerba, « ces constructions
sincères de proportion et de volumes, sévères de formes et aux détails de gout sur » 8, composées de cubes, de murs épais, de coupoles et de voûtes, blanchis à la chaux. Celles-ci assouvissent leur
recherche de vérité, de pureté et de simplicité. Mais contrairement à leurs prédécesseurs modernes qui appuyaient leurs théories sur l’architecture traditionnelle, les architectes du perchoir feront appel à des conceptions rationnelles pour exploiter les données de la tradition.
7 interview de B. Zehrfuss par Marc Breitmann en 1984, in Rationalisme et tradition, Paris, Mardaga, 1986, p.56
8 Bernard Zerhfuss « La reconstruction en Tunisie » in Annales de l’Institut technique du Bâtiment et des Travaux
publics, juin 1950
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2 Le contexte économique, industriel et productif de l’après-guerre en Tunisie : la recherche du plan-type Les services d’architectures se retrouvent en 1943 face à une pénurie de matériaux (béton,
acier, verre) qui les empêchera de mener à bien leur objectif de modernisation. En effet, la production de ciment n’est que de 13000 tonnes, d’acier de 600 tonnes. L’absence d’éléments de couverture et d’étanchéité, ou d’acier profilé, exclut toute utilisation des techniques modernes.
Pour remédier aux exigences de la reconstruction – le recasement des populations et la
demande en équipements publics – l’équipe de Zehrfuss fait appel au savoir-faire artisanal. Les mots d’ordre sont « l’économie et la rapidité »9. Les matériaux d’origine locale sont disponibles. Moellons, chaux, et brique creuse permettent l’élévation de murs épais. Les éléments de couverture traditionnels, les voutes – sont mis en place en maçonnerie, sans cintre ni coffrage, atteignant jusqu’à
neuf mètres de portée. Les plus grands espaces sont couverts par des voûtes d’arête. La main d’œuvre
est nombreuse et déjà formée. Ce système permet à un maçon de monter de six à sept mètre carré de voûte par jour.
9 J. Clément, « Construction traditionnelle et préfabrication », L’Architecture d’Aujourd’hui n°20, 1948
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Un module (mur et voûte) permet ainsi par sa combinatoire de définir toutes les typologies
d’équipements et de logements. Ce système reprend celui de l’architecture arabe, fondé sur quatre unités spatiales qui, selon leur disposition autour de la cour, identifient le type du bâtiment : la salle
hypostyle, la cellule, la chambre domestique, et l’espace centré de le coupole. La combinaison formelle de ces éléments s’opère par addition, juxtaposition, répétition ou symétrie. Ces raccordements sont
effectués dans les plans-types par des salles hypostyles ou de coupoles qui permettent de contreventer les modules assimilés à la cellule traditionnelle.
page de gauche : en haut : Croquis de relevés de systèmes constructifs par J. Drieu La Rochelle et J. Kyriacopoulos L’Architecture d’Aujourd’hui n°20, 1948, p.117 en bas : Systèmes constructifs de voûtes en berceau en voûtes d’arête traditionnelles. Rationalisme et tradition, Marc Breitman, 1986, p.67-68 page de droite : en haut : Description des combinatoires de l’architecture traditionelle arabe. Médinas, op. cit.
en bas : Perspective de la maison minima par B. Zehrfuss et J. Kyriacopoulos. L’Architecture d’Aujourd’hui n°20, 1948, p.70
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3 Typologies et réalisations Les plans-types sont les outils de références pour la conception des équipements et des
logements dans tout le pays. Ils vont permettre de construire très rapidement de nombreux édifices.
Le plan de « la maison minima tunisienne », établi par B. Zehrfuss et J.Kyriacopoulos, repose sur
la répétition d’une cellule. Sa multiplication permet de déterminer sa taille, croissant circulairement
autour d’une cour centrale. La maison traditionnelle, organisée dans un principe de centre-périphérie autour de la cour, hiérarchise les espaces en fonction de leur éloignement de l’entrée (la ksiba, pièce d’accueil des étrangers) selon leur degré d’intimité. Les espaces périphériques, cellules ou chambres domestiques, autonomes, répondent à une logique binaire et symétrique par rapport à la porte,
et sont de forme peu profonde et large (voir schéma). Elles sont polyfonctionnelles. L’innovation apportée par Zehrfuss, surement un a priori occidental, est la fonctionnalisation des pièces et leur liaison, atténuant leur binarité. L’espace périphérique devient autonome du vide central alors qu’il en est dépendant dans la maison traditionnelle.
Le quartier d’habitation des Andalous à Bizerte est dessiné par Jean Lecouteur selon ces
principes. Les cellules sont organisées autour d’un patio central. Il distancie l’espace des femmes et
l’entrée par une deuxième cour séparée par un claustra, autour de laquelle il implante les services. Ainsi, il hiérarchise les espaces selon relativement à leur intimité, jusque dans le plan masse qui
reprend le système de la médina. Les habitations sont très peu ouvertes sur la rue, puisque se concentrant sur leur intériorité.
page de gauche : en haut : Plan d’une maison arabe traditionnelle. Rationalisme et tradition, op. cit. p.66 en bas : Combinatoires de la maison minima. L’Architecture d’Aujourd’hui n°20, 1948, p.70
page de droite : en haut : Plan-masse du quartier d’habitation des Andalous par Jean Lecouteur. L’Architecture d’Aujourd’hui n°20, 1948, p.33 en bas : Vue de la rue depuis une terrasse et des claustra séparatives dans la cité des Andalous. Ibid.
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Les réalisations de marchés sont aussi très proches des typologies traditionnelles que sont
le souq et le fondouk. Si le souq qualifie les cellules alignées autour des mosquées ou le long des rues dans la médina, le fondouk est quant à lui un bâtiment autonome, organisé en cellules autour d’une cour centrale, dont la fonction varie d’atelier ou écurie à chambre. Le premier servit de modèle
à Zehrfuss pour le marché de Sidi Bouzid dont le plan tramé forme des allées le long desquelles s’alignent les cellules. La seconde typologie est reprise pour le marché de Zarzouna et sa grande cour centrale, autour de laquelle sont placées les voûtes. Les angles contreventent l’ensemble par des salles
hypostyles. La formation classique des architectes apparaît dans la symétrie et l’ordre rigoureux de ces plans.
Avec les plans-types d’école on quitte en revanche la tradition pour ne retrouver que le
système constructif. La répétition des voutes définit l’espace des salles de classe, bordées par une
galerie d’arcades. Des cubes surmontés d’une coupole, contenant l’administration, articulent les linéaires de voûtes. Une telle organisation, si elle est efficace en soi, ne pourrait s’intégrer dans un tissu traditionnel.
Implanté à équidistance des différents centres d’habitations, sur des terrains à faible prix,
ces bâtiments demeureront particulièrement isolés. Emergents d’un désir de ville moderne, ils
n’incarneront qu’à tâtons l’usage qui leur était dévolu. A Bizerte, le marché de Zarzouna ne sera que très peu utilisé, puis transformé en une série d’habitations par la population locale, une preuve, tout de même, de la flexibilité de ce système rationnel.
Face à la pénurie de matériaux, les architectes du perchoir ont mis leur formation à profit pour
réinventer les typologies traditionnelles dans un système constructif rationnel. Les édifices qui en résultent ont été une réponse pertinente à l’enjeu de la reconstruction. Mais leur position d’objet
correspondait à une conception occidentale de la ville. L’espace arabe, à l’image de la médina, est à l’inverse façonné par le vide.
page de droite : en haut : Plan du marché de Zarzouna par B. Zehrfuss et J. Kyriacopoulos. L’Architecture d’Aujourd’hui n°20, 1948,
en bas : Les arcades et les voûtes du marché de Zarzouna. Ibid.
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II. CONSTRUIRE AVEC LE PASSÉ
UNE APPROCHE SENSIBLE DU TISSU URBAIN TRADITIONNEL, DU PAYSAGE, ET DE L’HISTOIRE A rebours de logiques d’implantations rationnelles, certains bâtiments sont construits au cœur
du tissu urbain traditionnel, dans la médina. Des architectes comme Jacques Marmey, Paul Herbé ou Jean Lecouteur posent un nouveau regard sur ce qui constitue la Tunisie d’alors. Ils contractent un discours très contextuel autour duquel gravitent l’histoire, le paysage et la ville ancienne. Le peuple
tunisien et ses coutumes doivent être le fondement de leur architecture. Dans un premier temps,
nous verrons comment s’effectue le passage du plan-type à l’exception, celle d’une insertion dans le tissu urbain existant. Puis nous étudierons la manière dont se développe une nouvelle sensibilité au
paysage. Enfin, nous analyserons la présence de l’histoire et de l’identité culturelle à travers l’Eglise de Bizerte de J. Lecouteur.
1. Du plan-type à l’exception : l’insertion dans les tissus urbains existants Dans son «Essai d’urbanisme colonial»10 (voir annexe), Paul Herbé appelle avec force à la
protection et l’amélioration du patrimoine historique tunisien banal, dans l’intérêt des populations
locales et leur bien-être. Il exhorte ses confrères à abandonner le regard pittoresque de ses prédécesseurs pour penser le tissu urbain traditionnel en tant que cadre de vie. A Bizerte, plusieurs réalisations ont cherché à renforcer le caractère de la Médina.
La vieille ville de Bizerte est située le long du vieux port, enserrée du coté de la mer par
des remparts construits par les espagnols au Moyen-Age. La présence de l’eau l’a inéluctablement
amenée à se développer en bande, en liaison avec ce cœur économique. Son réseau de ruelles très dense se relâche au niveau des quais, où la ville était autrefois divisée par des canaux. Le projet de réaménagement de la rive nord par A. Demenais y propose des mesures conservatoires : la
construction d’équipements, un marché, une mosquée et une école, à la place des bâtiments détruits par la guerre, sur le vieux port, soit le centre de la ville. 10 L’Architecture d’Aujourd’hui n°20, 1948, p.4 20
L’école de jeunes filles de Jean Lecouteur est située à la limite du tissu ancien, sur le vieux
port. Une impasse sur le côté de l’édifice permet d’accéder à l’école. La façade est presque invisible
sur le quai, n’affichant qu’un moucharabieh qui signale l’appartement du directeur. Cette insertion, à l’inverse de monumentale, est conforme à l’exigence de discrétion de l’architecture arabe. L’espace
est entièrement tourné vers la cour intérieure, bordée d’arcades qui s’agrandissent à chaque étage,
un souci d’économie qui compose subtilement une façade qui ne nécessite plus d’ornement. La construction est traditionnelle, sur la base des modules types.
En face, la mosquée et le marché du même architecte s’insèrent dans des dents creuses et
connectent les deux côtés d’une avenue en la bordant de cellules sur le modèle du souq. Une cour entourée d’arcades est placée au centre, autour de laquelle les loges des marchands adaptent leur profondeur pour se raccrocher aux bâtiments existants, ainsi qu’à la mosquée désaxée par l’orientation
du mirhab. Le plan de celle-ci est composé d’une salle hypostyle surmontée de coupoles et d’une cour,
conformément à la tradition. Pour le marché aux poissons adjacent, le principe de salle hypostyle est de nouveau adopté, en perçant les voutes d’arêtes pour la ventilation.
Ces réalisations sont admirables par leur capacité à se mêler judicieusement à la médina sans
faire de concession à leur modernité.
Plan des mosquée et marché de Bizerte par J.-P. Ventre et J. Lecouteur. Ibid. p.32
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page de gauche : en haut : Vue de l’école de jeunes filles musulmanes depuis le vieux port, DIAMANT-BERGER, Atelier Herbé-Le Couteur, Chiasso : Score, s.d. p.6 en bas à gauche : la façade et sa composition d’arcades, ibid
à droite : le système de ventilation des salles de classe, ibid page de droite : en haut : élévation de la cour intérieur. ibid
au milieu : coupe montrant le rapport à la médina à droite et au vieux port à gauche, ibid. en bas : Plan. Ibid.
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2 Voir le paysage L’expérience tunisienne des architectes du perchoir va permettre à certains d’entre eux d’affiner
leur regard sur le paysage.
La région de Bizerte - avec ses longues plages de sable fin et son arrière pays accidenté - est mise
en valeur dans le plan d’aménagement d’A. Demenais. Il y perçoit les possibilités de développement du tourisme, et insiste sur la nécessité de sa prise en compte dans la composition des bâtiments. Ce sera
en effet l’une des principales préoccupations des urbanistes de Zarzouna. Le gabarit des constructions est hiérarchisé pour optimiser les vues sur la rade de Bizerte. Demenais surélève les barres de son centre administratif pour privilégier une transparence vers la mer depuis l’axe principal de la ville. L’insertion de l’hôpital de Paul Herbé dans les pentes des hauts de Zarzouna suit les courbes de niveau
et dialogue avec la pinède. Ses dessins pour celui-ci, ainsi que pour la cathédrale, intégrant une forte dimension paysagère, témoignent de son désir d’intégration du bâtiment dans le territoire.
Quant à Jacques Marmey, concevant le lycée de Carthage, il prit un bateau pour juger depuis la
mer du meilleur équilibre entre le site archéologique antique, le paysage, et son édifice. Le regard des architectes allait plus loin qu’une analyse constructive.
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Les collines aux formes sensuelles de Ras Angela, à l’est de Bizerte . Photo personnelle prise en juillet 2012.
en haut : Dessin de projet de la cathédrale de Zarzouna par Paul Herbé. FAUCHEUX Pierre, SLOANE Denis, Paul Herbé, Paris, Société des amis de Paul Herbé, 1965, p.4 en bas : Dessin de projet de l’hôpital de Zarzouna de Paul Herbé. ibid.
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3 S’imprégner de l’identité culturelle tunisienne : la référence à la tradition et à l’histoire Les architectes français se sont toujours intéressés au patrimoine antique de la Tunisie,
héritage de la présence romaine, de Carthage à Dougga. Puis, ils ont découvert les grands monuments de l’architecture islamique, avant que l’équipe de Zehrfuss ne s’intéresse à la tradition dans son expression la plus banale.
L’église Notre-Dame de France à Bizerte par Jean Lecouteur éclaire cette présence de l’Histoire
dans l’architecture de l’époque. L’église précédente n’est qu’un tas de ruines à la fin de la guerre,
contrairement aux bâtiments alentours, intacts. Le site est une dent creuse carrée sur la place principale
de la ville européenne. Lecouteur implante l’édifice religieux au centre, alors que les bâtiments du
centre paroissial sont intégrés au reste de la parcelle au moyen d’un réseau de patios, réminiscence de l’espace arabe. Une cour bordée de galeries fait le lien avec la rue, servant de parvis. Elle est
dominée par la façade principale, surmontée d’un fronton minimaliste, rappelant un temple romain. Cette séquence d’entrée manifeste une forme d’hybridité architecturale, entre un dispositif antique,
frontal et monumental, et le système binaire des édifices islamiques (où l’on trouve l’opposition entre la cour - le vide - et la salle de prières hypostyles - le plein). Le système constructif de l’église est lui aussi mixte. Les soubassements, la demi-coupole du chœur et le chevet sont bâtis selon les techniques traditionnelles (voûtes, arcades, etc) avec les pierres de taille de l’ancienne église mêlées à des briques. La couverture contraste avec cette logique très artisanale de réemploi de matériaux.
L’ingénieur Bernard Lafaille conçoit des voiles de béton mince supportés par 12 poteaux, un même module répété. Sur les façades, des poteaux en V contreventent l’ensemble. Leur alternance avec des
vitraux verticaux colorés (réalisés sur place par l’artiste Henry-Martin Granel) confère à l’intérieur du lieu sacré une ambiance tamisée et colorée, très émouvante.
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La façade de l’église de Bizerte par Jean Lecouteur, depuis la cour . Photo personnelle prise en juillet 2012.
Cette église allégorise la synthèse exécutée entre modernité et tradition. Elle fut réhabilitée
en un centre culturel à la programmation très dynamique lors du départ des français, très apprécié parles tunisiens qui ont su se l’approprier.
L’intérieur de l’église lorqu’elle était encore consacrée, peu de temps après sa construction . Atelier Herbé Lecouteur, op. cit. p.10
Tout en assumant la modernité de leur approche, les architectes du perchoir ont su intégrer
leurs réalisations au contexte tunisien. Jouant subtilement sur une hybridité architecturale entre modernité, tradition et identité culturelle, on peut les rapprocher, a posteriori, du régionalisme
critique. La leçon de ces architectes est exemplaire. Leurs bâtiments demeurent utilisés et appréciés au cœur de Bizerte.
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Plan de l’église . Atelier Herbé Lecouteur, op. cit. p.10
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L’intérieur de l’église avec les vitraux à contrejour . Photo personnelle prise en avril 2014.
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CONCLUSION
L’œuvre des architectes du perchoir est une leçon de silence, de modestie et d’adaptation.
Désireux d’appartenir à leur temps, ils ne purent cependant pas appliquer leurs principes modernes. Pragmatiques, ils surent s’inspirer de la tradition pour répondre aux besoins de la reconstruction. Poètes, ils transcendèrent leur vision pour opérer une véritable synthèse entre la modernité et l’identité culturelle de leur pays d’adoption.
Durant la période de la reconstruction (1943-1947), leur regard occidental fut modifié
par l’acquisition de connaissances sur le pays, ses techniques et son espace, dans ce contexte de production. Avec l’arrivée des techniques modernes (à partir des années 50), ils n’abandonnèrent
pas cette proximité avec la culture et produisirent une architecture hybride, proche a posteriori du régionalisme critique.
Je suis satisfait d’avoir pu, avec ce rapport, mettre en perspective et comprendre une architecture
particulière dans son contexte historique, politique, économique, productif et intellectuel. Les bâtiments étudiés me frappent pour leurs conditions de réalisations, plus que pour leur qualité intrinsèque, assez moyenne.
Ce rapport s’inscrit dans le DE3, « Réalités, temporalités, transformations ». En effet, j’ai
considéré cette architecture dans sa dimension historique, et dans son rapport avec le patrimoine. Dans sa conception, elle se situe dans une continuité ; celle de la tradition. Dans son implantation,
elle dialogue parfois avec le tissu urbain existant. Son essence est la passerelle entre le présent et le passé. Avoir étudié un panorama assez large de cette époque m’a permis d’introduire une dialectique
qui est fondamentale pour comprendre toutes les contradictions, les hésitations, les tâtonnements et les découvertes des architectes concernés.
Ce passage par l’Histoire de l’architecture est important, selon moi, pour comprendre les enjeux
contemporains. D’une part, notre génération d’architectes interviendra, pour la plupart de ses projets, sur des bâtiments existants, ou des tissus urbains sensibles. Aussi, cet arrière-plan nous incite à une
réflexion sur le passé, l’existant, voire la tradition, mais aussi par contraste, à notre modernité. D’autre part, nous devons réinterroger notre identité culturelle face à la mondialisation. Cette dernière, au 30
contraire de la colonisation cependant, est un phénomène positif lorsqu’on observe l’apport des
échanges entre les cultures. Je compte développer et approfondir ces interrogations lors de mon départ (erasmus) l’année prochaine pour Venise. Véritable pont entre l’orient et l’occident, elle est aussi l’écrin le plus sensible qui soit dans la perspective d’un projet d’architecture contemporaine.
Ecole de Porto-Farina, au sud-est de Bizerte, par Paul herbé. L’Architecture d’Aujourd’hui n°20, 1948
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BIBLIOGRAPHIE Ouvrages : - BEN JELLOUL Mourad, BOUAITA Hédi, BRAHAM Abdelouahed, DOUGUI Nourredine, 2000.
Bizerte, identité et mémoire. Association de sauvegarde de la médina de Bizerte, Bizerte, 174p. - BEGUIN François, 1983. Arabisances. Paris, Dunod, 170p.
- BREITMAN Marc, 1986. Rationalisme et Tradition. Le cas Marmey. Paris, Mardaga, 240p.
- CULOT Maurice, THIVEAUD Jean-Marie, 1992. Architectures françaises. Outre-mer. Paris,
Mardaga, 410p.
- DESMOULINS Christine, 2008. Bernard Zehrfuss. Paris, Editions du patrimoine, 192p - DIAMANT-BERGER R., Atelier Herbé-Le Couteur, Chiasso : Score, s.d.
- FAUCHEUX Pierre, SLOANE Denis, Paul Herbé, Paris, Société des amis de Paul Herbé, 1965
- SANTELLI Serge, 1992. Médinas. L’architecture traditionnelle en Tunisie. Tunis, Dar Asmaf,
142p.
Revues : - L’Architecture d’Aujourd’hui n°20 « spécial Tunisie », 1948
- L’Architecture d’Aujourd’hui n°60 « spécial France d’outre-mer », dossier « Tunisie », 1955
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TABLE DES MATIÈRES I. CONSTRUIRE LE FUTUR : UNE VOLONTÉ DE MODERNISATION DE LA TUNISIE PAR LE COLONISATEUR 1. La constitution d’une équipe à partir d’une visée politique
2. La ville nouvelle comme principe de développement urbain 3. Vers une architecture climatique
II. CONSTRUIRE LE PRÉSENT : LA RATIONALISATION DE LA TRADITION 1. Idéal classique et mouvement moderne : un idéal de pureté formelle 2. Le contexte économique, industriel et productif de l’après-guerre en
Tunisie : vers le plan-type ou la rationalisation de la tradition 3. Typologies et réalisations
III. CONSTRUIRE AVEC LE PASSÉ : UNE APPROCHE SENSIBLE DU TISSU URBAIN TRADITIONNEL DU PAYSAGE, ET DE L’HISTOIRE. 1. Du plan-type à l’exception : l’insertion dans les tissus urbains existants 2. Voir le paysage
3. S’imprégner de l’identité culturelle tunisienne : la référence à la tradition
et à l’histoire
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Une situation d’urgence peut-elle être motrice d’une
architecture faisant, non seulement appel à la tradition, mais aussi permettant de poser un nouveau regard sur le passé et le
paysage ; l’existant ? Comment un contexte de production peutil parvenir à modifier notre regard d’architecte sur le monde ?
En 1943, une équipe d’architectes acquis aux idéaux de
l’architecture moderne, dirigée par Bernard Zehrfuss, débarque
en Tunisie pour reconstruire le pays ravagé par la guerre.
Leur production architecturale sera très localisée, influencée par les formes vernaculaires et le paysage tunisien, prenant
le contrepied de l’universalisme du style international qui se développait alors.
Leurs réalisations, à travers leur blancheur immaculée,
sont une leçon de silence, de modestie et d’adaptation.
TUNISIE - RECONSTRUCTION - MODERNITÉ - TRADITION - ZEHRFUSS