Florie Sénéclauze
L’architecture éprouvée
Rapport d’études / Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble
SOMMAIRE
- INTRODUCTION
I. L’APPRENTISSAGE PAR L’EXPÉRIMENTATION
a. Théorie b. Pratique
II. L’EXPÉRIENCE DE L’ARCHITECTURE PAR LE CORPS ET LES SENS
a. Ambiances et lumière comme sources de confort b. Rapport émotif à l’architecture à son milieu
- CONCLUSION
- BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION Mon intérêt pour l’architecture s’est dégagé et clarifié par petites touches, progressivement, alors que je grandissais. Cet art est avant tout un certain héritage pour moi. L’architecture est un thème récurrent dans ma famille, puisque chacune des dernières générations compte un architecte ; et je me souviens avoir été fascinée, plus jeune, par des vues en perspective et axonométriques réalisées par un aïeul, à la plume, véritables œuvres d’art. Ma sensibilisation à l’architecture s’est poursuivie plus tard lors de la construction de la maison familiale entreprise par mes parents. Mon père, dirigeant d’une entreprise de conception et construction de bâtiments industriels, et ma mère, architecte d’intérieur de formation, m’ont fait partager leur penchant pour le projet en architecture, de la conception à la réalisation. L’occasion de rentrer personnellement dans la phase de conception d’un projet s’est présentée enfin, lors d’un cours d’arts plastiques de 3ème. Il nous était demandé, à partir d’une photographie, d’imaginer un espace en conflit avec cette image, en jouant sur les ambiances gé-
nérées par la forme et la lumière. Ce travail de recherche m’est apparu comme un « casse-tête » que l’on fait, défait, afin de trouver la meilleure réponse à notre question, comme un jeu, excitant et addictif. Plus tard, j’ai continué à m’intéresser à l’architecture par des visites, des lectures… Intéressée par de nombreux domaines, c’est de façon un peu instinctive que j’ai décidé de poursuivre des études d’architecture. C’est ainsi que j’ai retrouvé, en première année à l’ENSAG, ce « casse-tête » des espaces qui m’avait tant plu : autant lors de l’enseignement de P. DOAT, dans lequel on traite beaucoup des ambiances lumineuses et de l’émotion générée par l’édifice et le parcours dans celui-ci, que dans celui de D. PUTZ, où le défi est d’articuler correctement les espaces, à la mesure du corps humain, pour que l’homme se sente bien, dans un espace conçu pour lui, à son échelle. Ce sont les enseignements de projet qui m’ont énormément apporté au cours de ces trois années d’études. Aussi, en deuxième année, je choisis le studio de P. LIVENEAU, notamment pour sa pédagogie particulière, mettant en avant la pratique de l’architecture à l’échelle 1. Les journées aux Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau (GAIA) m’ont permis d’apprécier la finalisation d’un projet, et m’ont sensibilisée aux problèmes techniques que l’on peut rencontrer lors de la construction. Mais la partie la plus intéressante selon moi fut un travail de recherche sur les motifs des enveloppes en architecture, les ambiances qu’elles génèrent au sein d’un espace, ainsi que sur la forme organique. Enfin, en troisième année, dans le studio de G. DEPOLLIER, j’ai pu aborder la question du paysage, du ressenti dans l’espace public, du bien-être dans la ville. Ce travail, à une échelle encore différente, m’a fait prendre conscience de l’importance de l’environnement dans
lequel s’inscrit le projet, toujours dans l’optique de sensibiliser l’usager au cadre, et de provoquer chez lui une émotion. Grâce à ces enseignements, j’ai trouvé de quoi nourrir mes aspirations et développer ma vision de l’architecture. Je la conçois comme étroitement articulée à l’homme, devant non seulement s’adapter à sa manière de vivre mais également contribuer à lui faire vivre des expériences sensibles inédites. L’architecte doit être attentif à la fois aux usages mais aussi au bien-être et aux émotions de chacun, pour aller vers une architecture sensible, autant au niveau du paysage, de l’environnement, que dans les espaces que l’on crée. Pour réaliser cela, la connaissance des matériaux et de l’aspect constructif est une nécessité.
I. L’APPRENTISSAGE PAR L’EXPÉRIMENTATION La construction au sens littéral est le fondement de l’architecture. Sans la construction, elle ne pourrait exister. La compréhension de nombreuses manières de construire, la connaissance des matériaux et des matières me paraissent primordiales, afin de concevoir et de réaliser une architecture qui répond aux besoins de l’homme. De nombreux enseignements et expériences m’ont permis d’aborder l’aspect constructif de l’architecture, et se révèlent être des connaissances indispensables, toujours au service de l’ambiance et l’émotion recherchées dans l’édifice.
a. Théorie :
L’aspect constructif fut d’abord abordé dans une dimension théorique, plus que pratique, afin de nous obliger à réfléchir par nous même, à l’articulation des matériaux entre eux et à « Comment ça marche ? ». Le premier enseignement qui m’ait initié à cette réflexion fut celui de P. DOAT, lors des semaines intensives de projet imposées en début de 1ère année. Deux exercices avaient particulièrement retenu mon attention. Le premier, imaginer puis réaliser une brique, de 10cm x 5cm x 2,5 cm, en alliant dans sa conception solidité, durabilité et esthétique. La brique, technique de construction ancestrale, doit être composé d’un liant et de fibres afin de se tenir. Nous avions donc recherché des matériaux originaux pouvant faire office de liant et de fibre. Des conférences sur le béton et le sable nous avaient été données dans la semaine et nous ont aidé à choisir nos matériaux. Ainsi, à la manière du sable dans le béton, je choisis de travailler avec des billes de différentes tailles, de façon à avoir le moins d’espace possible entre elles. Je choisis comme liant la paraffine, qui a pour avantage d’être translucide, de filtrer la lumière, et de laisser visibles les billes de verre emprisonnées dans la brique. Le deuxième exercice qui nous amena à nous poser de véritables questions constructives fut l’exercice de l’œuf. Il fallait imaginer un dispositif permettant de protéger un œuf d’une chute du quatrième étage. Les matériaux utilisés devaient être solides, se tenir entre eux, et diffuser le moins possible les ondes de choc. Si un matériau rassemblant toutes ces qualités n’existait pas, c’était donc à nous de modifier, améliorer et chercher des solutions pour que le dispositif ne se brise pas, et l’œuf également. J’optai donc pour une structure en bois de chêne très résistant, montée en étoile autour de l’œuf. Aux ex-
trémités de l’étoile étaient fixés des cubes de mousse, afin d’amortir le choc de la chute. Enfin, des voiles en plastiques étaient tendues dans la structure afin de ralentir la chute en augmentant les frottements à l’air. La structure fut lancée du quatrième étage et l’œuf en sorti indemne. Plus tard, je retentai l’expérience en ôtant au dispositif les voiles et les cubes de mousse, mais cette fois la structure ne résista pas. Cette expérience me démontra une chose : un des rôles de l’architecte est de choisir les bons matériaux et de leur apporter des modifications si nécessaire afin d’améliorer leur performances ; et pour cela il est indispensable de connaître les propriétés des matériaux. L’enseignement de P. DOAT se poursuivit en cours d’année, lors des projets « masse », « ossature », et « masse-ossature ». Là encore, une réflexion sur le matériau nous était demandée. Pour le projet « masse », nous devions concevoir notre projet dans un matériau lourd, plein, épais, du béton par exemple. Pour le projet « ossature », il nous fallu entrer dans les questions techniques de l’ossature, telles que celles de la structure moisée, des contreventements, et de la fixation de l’enveloppe. Enfin, le projet « masse-ossature » nous amena à penser l’articulation de deux matériaux opposés, comment l’un, léger et fragile, se fixe sur le second, plus dense et robuste. Lors de ces trois projets, c’est le matériau utilisé qui aura guidé la conception, dans la forme et les espaces générés. En 2ème année de licence, nous abordâmes plus en détail la question de structure dans nos projets. Un des exercices clé de cette année fut la conception d’une halle de marché de 800 mètres carrés, accueillant des bureaux, un espace de détente avec un bar, et l’aménagement d’une place publique sur une parcelle fictive. La halle devait avoir une portée libre sur une distance minimum de
10 mètres, et nous devions ainsi trouver une solution permettant de franchir cette distance. J’optai alors pour une structure en treillis moisé. L’édifice était constitué d’un mur en béton contenant tous les locaux techniques et logistiques de la halle, et d’une structure en bois appuyée dessus, et abritant le marché. Pour nous guider dans la conception de cette structure, un ingénieur charpentier nous suivait afin de nous aider à trouver des solutions adaptées à notre projet. Parfois, il fallait modifier la structure afin de ne pas nuire au projet, parfois, c’est le projet qui devait être modifié car certaines choses n’étaient pas réalisables structurellement. Il me semble important, en tant que future architecte, de savoir faire évoluer un projet en fonction des contraintes techniques que l’on rencontre, et ainsi de travailler en étroite collaboration avec les artisans. En 3ème année, nous commençâmes l’étude de l’acoustique d’une salle, dans l’enseignement de N. REMY. Là encore le choix des matériaux dans un projet était déterminant, car le confort acoustique entre deux pièces, ou entre un espace intérieur et l’extérieur dépends des propriétés du matériau utilisé en paroi séparative. Afin d’effectuer une étude sur un projet concret, nous avions choisi d’étudier l’acoustique au sein du projet de halle de marché réalisé en 2ème année. Il était intéressant d’étudier l’isolement acoustique aux bruits aériens entre les bureaux et l’espace de la halle, puisque les matériaux étaient différents (murs en maçonnerie et bois). L’étude acoustique de ce projet nous montra que la halle, telle qu’elle avait été conçue avec ses matériaux, disposait d’un confort acoustique de commodité, et qu’il n’était pas nécessaire de modifier les matériaux. Cependant, des améliorations sont toujours possibles, en augmentant l’épaisseur des murs, ou en utilisant des panneaux acoustiques, ou des plafonds suspendus ou dalles acoustiques
dans l’espace de la halle, plus bruyante. En parallèle débuta l’étude des capacités thermiques et énergétiques d’une habitation, avec N. TIXIER et A. MISSE. Ce travail s’effectuait en binôme et nous choisissions d’étudier une maison résidentielle à Caluireet-Cuire (69). Cette habitation avait la particularité d’être mal isolée et ne procurait pas un confort suffisant en hiver. Il s’agissait donc de déterminer quelles stratégies thermiques devaient être mises en œuvre pour améliorer le confort de ses habitants tout au long de l’année. Pour un confort d’hiver maximal, il fallait trouver des solutions pour capter, stocker, conserver et distribuer la chaleur. Pour ce faire, les ouvertures devaient être bien placées, les ponts thermiques minimisés et l’isolation par l’extérieur. En été, il s’agissait plutôt de protéger des rayons du soleil, et de ventiler. Face aux problèmes que l’on rencontra dans l’étude de ce projet, je réalisai que les critères thermiques sont à prendre en compte dés la conception et à intégrer dans la construction de l’édifice, car il est compliqué d’améliorer les performances thermiques et énergétiques d’un édifice construit mal isolé. C’est aussi en 3ème année que nous abordâmes réellement la question du détail constructif en dessin. Ceci passa tout d’abord par l’enseignement de A.M. BELLI-RIZ, où nous devions redessiner à la main des détails techniques à l’échelle 1/20. Ce fut première fois que nous abordions de façon approfondie les questions d’isolation et d’étanchéité, et de l’articulation entre les façades, la toiture et les ouvertures. Cet enseignement fut mis en parallèle des cours de projet dans l’atelier de G. DEPOLLIER, où l’enjeu du deuxième semestre était de faire avancer le projet tout en ayant un réel principe constructif, adapté aux situations de nos différents projets (projets enterrés, porte-à-faux, toitures végétalisées). Nous avons donc
DĂŠtail constructif, projet de chai viticole, Atelier G. DEPOLLIER
dessiné nos propres détails constructifs, en recoupant les informations trouvées lors de nos recherches. Là encore, ce fut un exercice de l’esprit, ce « casse-tête » qui vise a trouver la solution la mieux adaptée, sans nuire à la qualité des espaces et en harmonie avec l’idée directrice du projet.
b. Pratique :
Ces approches théoriques des cultures constructives furent très profitables, mais c’est par la pratique et l’application concrète de ces connaissances que l’apprentissage me parut le plus enrichissant. En 1ère année, les cours de mécanique des structures donnés par O. BAVEREL nous initièrent à une réflexion sur le travail et les forces d’une structure. Il nous était demandé de construire un pont en papier, pouvant franchir une distance donnée, et qui puisse supporter le maximum de poids. Le pont, lui, devait être le plus léger possible. Afin de réaliser notre treillis, en alliant solidité et légèreté, nous décidâmes d’assembler avec de la colle des petits tubes de papiers, plus ou moins épais selon si la tige travaillait en traction ou en compression. Les tubes, creux, étaient légers mais résistants, surtout en compression. Notre pont obtint une bonne résistance au poids des neuf briques empilées dessus, et commença à flancher à la dixième, en son milieu, car le point d’appui mis en place était trop fin, et donc pas assez solide. L’expérimentation concrète qui nous permit de vérifier nos résultats théoriques fut pour moi un apprentissage très marquant. Je poursuivit cette 1ère année par un stage ouvrier dans une entreprise de charpente traditionnelle, couverture et zinguerie. Au cours de ce stage je pus suivre chaque étape de la réalisation et de la mise en œuvre d’une charpente traditionnelle, en me mettant directement à l’ouvrage sur les chantiers, avec les artisans. J’eu également l’occasion de faire des métrés et réaliser des devis pour plusieurs projets, et assister à la conception d’une charpente dans le bureau d’études, ce qui me permit de comprendre le montage d’une charpente, de sa conception à sa réalisation, et d’apprendre en pratique le fonc-
tionnement d’un bureau d’études. Mais surtout, ce fut une expérience très enrichissante de suivre les réunions de chantiers, et d’observer sur le terrain comment s’articulent les tâches et les différentes étapes de la construction. J’ai appris durant ce stage qu’il est indispensable pour l’architecte d’être présent sur le chantier, afin de faciliter le dialogue entre artisans et architectes. Il faut être à l’écoute des besoins et des capacités des artisans, qui possèdent un savoir faire que nous n’avons pas. Enfin, la coordination des tâches est la clé pour le bon déroulement d’un chantier. Mon expérience pratique des cultures constructives se perpétua en 2ème année, à nouveau dans les cours dispensés par 0. BAVEREL. Le matériau mis à l’épreuve pour cet exercice fut le béton, matériau emblématique et incontournable de l’architecture contemporaine. Le but de l’exercice était de franchir une distance de deux mètres à l’aide de trois poutres en béton armé, ne pouvant dépasser 1,5m de long, se fixant entre elles par un simple système d’emboitement. Notre groupe parti sur un système de trépied, inscrit dans un cercle de 2m de diamètre. Chaque poutre s’appuyait au sol à distance égale, puis se soutenait l’une l’autre au centre, à une hauteur de 1m. Il fallut ensuite calculer la quantité de béton nécessaire, les efforts, les ferraillages, réaliser les coffrages. Couler le béton, le vibrer, le protéger de la pluie le temps du séchage. Quelques semaines plus tard vint le moment de tester notre dispositif. Les poutres s’assemblaient correctement, et le dispositif se tenait. Quand O. BAVEREL monta dessus, Il ne flancha pas non plus. Puis, après quelques sauts plutôt volontaires de la part de notre professeur, une des poutres commença à flamber. Le ferraillage, trop proche de la surface de la poutre, avait brisé la pellicule externe du béton, entrainant le flambement. Ces exercices pratiques ont la particularité de pointer directement du doigt
le problème, et de nous montrer où se trouve l’erreur afin de la rectifier, et c’est ce qui me plait dans ce type d’enseignement. Une des expériences qui me plut le plus durant cette licence fut un travail réalisé en groupe dans le studio de P. LIVENEAU. Il s’agissait de concevoir un espace à habiter, que nous allions par la suite construire à l’échelle 1 aux Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau. D’abords par petits groupes, nous devions concevoir des petits projets, chacun axés sur un thème ou une idée : système modulable, enveloppe, enroulement-dépliement, forme organique… Les différents projets aboutissant, nous fîmes une mise en commun des meilleures idées, afin de développer un tout nouveau projet, qui regrouperait les thèmes étudiés. Après des heures de concertations, d’essais en plan, en maquette, de tests de systèmes constructifs, nous parvînmes à un projet concret et prêt à être réalisé. Une fois aux Grands Ateliers, nous répartîmes les tâches, et chacun se mit au travail. Au bout de deux jours de travail intensif, chaque pièce du puzzle était réalisée, et ne restaient plus qu’à être assemblées. Il fallut une quarantaine d’élèves et quatre professeurs pour monter le projet, et notamment pour poser l’immense toiture ajourée, clou de la construction. L’expérience de ce chantier à petite échelle, où la coordination et le dialogue entre les différents « corps d’ouvrage » étaient indispensables, fut très enrichissante. Ce travail d’équipe et l’expérimentation par le corps d’un espace construit à échelle humaine fut un moment important de ma licence, où je comprit que c’était un rapport physique, à l’architecture et à la construction, qui m’était cher. Au cours des trois années de licences, j’eu ce rapport concret à l’architecture et à sa conception à plusieurs
Espace à habiter, réalisé aux GAIA, Studio de P. LIVENEAU
Modules d’assise, réalisés aux GAIA, Studio de P. LIVENEAU
reprises, en dehors du cursus scolaire. Chaque année, je me suis vue participer au Workshop inter-écoles RhôneAlpes LACHARETTE. Ce workshop rassemble chaque année les élèves des écoles de Lyon, Saint-Etienne et Grenoble, mélangés puis divisés en équipes de douze, dans le but de construire un dispositif lumineux avec un matériau imposé. Le premier workshop se déroula à Lyon, où nous devions réaliser une construction en bois. Le deuxième, à Saint-Etienne, nous fit travailler avec des plaques de PVC. Enfin, à Grenoble, nous dûmes allier deux matériaux opposés : la brique et la laine. Ces workshops m’ont beaucoup apporté car ils m’ont amenés à travailler de façon concrète avec des matériaux variés, m’en apprenant d’avantage sur leurs propriétés et la manière de les mettre en œuvre. Le plus enrichissant dans cette expérience ne fut pas seulement de construire un projet propre, mais aussi de voir émerger une immense diversité de projets dans les autres groupes, avec très peu d’outils et un unique matériau.
II. L’EXPÉRIENCE DE L’ARCHITECTURE PAR LE CORPS ET LES SENS L’architecture permet à l’homme d’habiter. Le mot « habiter » prend différents sens, car il ne signifie pas seulement d’être abrité des intempéries, il signifie également séjourner, vivre dans un espace, s’approprier ce dernier. L’habitat est le lieu où l’homme se retrouve, il doit être construit selon ses besoins et usages, à son image. Il faut que l’homme s’y sente bien. En tant que future architecte, il me paraît important d’être attentive aux usages d’une part, et aux émotions d’autre part. Le bâtiment ne doit pas être seulement fonctionnel mais aussi source d’émotion. Parmi les cours dispensés à l’ENSAG pendant ces 3 années, nombre d’entre eux m’ont permis d’affiner ma pensée et ma perception sur la conception en architecture, tendant à produire une architecture sensible, en adéquation avec son environnement, et avec l’homme qui l’habite.
a. Ambiances et lumière comme source de confort:
En architecture, les ambiances et la façon dont est traitée la lumière sont sources de confort pour celui qui habite l’espace. Dés la 1ère année à l’ENSAG, plusieurs enseignements nous encouragent à travailler dans ce sens. P. DOAT, avec ses exercices de projet « masse », « ossature » et « masse-ossature », nous oblige à penser l’architecture à travers une idée : l’idée que l’on se fait de la masse, épaisse, creusée, imposante, ou alors de l’ossature, légère, transparente, en suspension. Une réflexion sur les ambiances voulues et sur le sentiment que l’on veut provoquer chez l’usager est alors nécessaire afin de poursuivre la conception. Parfois, elle précède même la phase d’invention, pouvant être le moteur ou le fondement de l’idée directrice d’un projet. Ainsi, j’imaginais le projet « masse » dans un matériau lourd, proche du béton. La tour qui émergeait de toute la phase de conception se dressait sur trois niveaux, assez hauts. Les façades, murs épais dans lesquels était creusé un escalier, présentaient peu d’ouvertures. La principale source de lumière provenait d’une unique ouverture dans la toiture, et descendait d’étage en étage par des doubles-hauteurs, pour aller se poser délicatement sur le sol du rez-de-chaussée. Le parcours proposé dans ces espaces était une ascension, par un escalier creusé dans la masse, vers une lumière toujours plus intense, dans laquelle on finit par baigner entièrement. On ne se trouve plus dans la masse mais bien au dessus, on est aspiré par la lumière. Le projet « ossature », rappelant l’idée d’un squelette, d’une structure, m’évoquait aussi l’image de la transparence, et par association, celle de l’eau. C’est ainsi
qu’est née la forme sinuée du projet, comme l’eau qui ondule. La toiture, ajourée en éventail, laissait filtrer la lumière de façon rayonnante. À la fois désorientant pour celui qui se déplace à l’intérieur de l’espace, ce jeu de scansion réveille ses sens ; le laissant entrevoir l’extérieur de façon saccadée, accentuant l’effet de mouvement, de vitesse. Le parcours stimule alors les sens. Un parcours, un jeu de lumière, une forme, sont déterminants dans l’expérience sensible que l’on propose dans un projet. Cela permet de toucher l’usager, jouer avec ses sens, et il faut apprendre anticiper son émotion, pour prévoir ces ambiances et construire pour ses besoins, son confort. Un autre enseignement qui m’a beaucoup apporté en 1ère année est celui de A. CHATELUT. Lors d’un travail de photographie en groupe, nous avons réalisé une série de clichés mettant en scène différentes lumières chromatiques. Ce travail nous a permis d’arriver à une certaine maîtrise de la lumière. Nous avons appris à la diriger pour qu’elle tombe la où nous le désirions, à la colorer pour qu’elle teinte nos sujets et génère différentes atmosphères, à la filtrer et à tempérer son intensité. Ce jeu, qui peut offrir un nombre infini d’ambiances et de contingences, est à renouveler dans chaque projet, à expérimenter, afin de trouver la lumière, l’ambiance, qui provoquera l’émotion chez celui qui l’habite. C’est seulement en 2ème année que nous abordons réellement le thème de la lumière comme créatrice d’ambiances, avec l’enseignement de G. CHELKOFF. L’exercice consistait à obtenir un certain indice de luminosité dans une pièce, avec des ouvertures soient zénithales, soient en façades. Notre groupe orienta son étude sur les ouvertures zénithales. Le plus gros de ce travail fut un nombre incalculable d’études et d’analyses sur ma-
quette. Cette dernière, dont le toit, découpé en grille et modulable, nous permis de tester de nombreuses possibilités. Nous enlevions ou remettions au fur et à mesure des éléments du toit, afin de se rapprocher au maximum de la valeur de luminosité requise. Apprendre à gérer et prévoir cette luminosité est primordial dans la conception du projet puisque l’éclairage d’un espace est à l’origine de sa perception, et génère l’ambiance qui y règne. Le confort d’un lieu est donc engendré par la lumière, qu’elle soit tamisée ou intense, teintée ou même absente, selon l’usage de l’espace et les besoins de son usager. Ainsi, la 2ème année est celle où j’ai commencé à me poser réellement la question de la lumière, de son affect et de son rôle en architecture. On ne peut nier l’usage d’un espace quand on travaille sur la lumière au sein de celui-ci, et c’est au cours de la conception d’un projet dans le studio de P. LIVENEAU que j’ai pu travailler cette notion de façon plus concrète. Le projet était celui d’un atelier d’artisan, situé dans un tissu urbain dense et sur une parcelle étroite. Le projet, sur trois niveaux, s’alignait sur la rue, de façon à laisser de l’espace entre le bâti existant derrière et l’atelier. Ce procédé permettait une entrée de lumière diffuse par la façade nord, réfléchie par le bâti. Au dernier niveau se trouvait l’atelier, de façon à capter le plus de luminosité possible par sa hauteur. Le showroom s’étendait au premier et au deuxième niveau ; la lumière arrivait au sud de façon indirecte sur ces espaces en retrait, au rez-de chaussée derrière la vitrine, et au premier niveau par une mezzanine. Cependant les grandes baies de la façade sud apportaient la lumière suffisante pour l’espace d’exposition. Obtenir une lumière propice au travail d’artisan, et qui mette en valeur les objets exposés dans son showroom était le défi à relever dans ce projet.
Dans ce même studio, dans le cadre d’un projet en groupe que nous allions réaliser plus tard à échelle réelle aux Grands Ateliers, nous avons effectué un travail de recherche sur la forme, le motif et l’enveloppe en architecture. Ce travail de recherche nous a fait découvrir les formes organiques, faisant un parallèle entre certains organismes, écosystèmes et l’architecture ; ou encore la diversité des motifs, des enveloppes, de leurs usages, comme le moucharabié dans certaines civilisations. Chacun de ces éléments est générateur d’une ambiance, d’un parcours, ou filtre de lumière et c’est ce qui nous intéresse dans le travail de l’architecte. Enfin, en 3ème année nous abordons la notion d’acoustique d’une salle, élément essentiel pour le confort d’une architecture. L’exercice était d’étudier les qualités acoustiques d’un de nos projets, et d’apporter si besoin des solutions ou des améliorations pour le confort des usagers. En effet, un bon confort acoustique a une influence positive sur la qualité de vie au quotidien et sur les relations entre usagers d’un bâtiment. Les qualités acoustiques génèrent également des ambiances particulières : l’acoustique d’une salle de travail génèrera un ambiance différente que celle d’un lieu de spiritualité comme un église. Ainsi, le travail de la lumière et la possibilité de prévoir les ambiances ne peuvent être négligés dans l’élaboration d’un projet. Elles doivent même être des appuies dés les premiers jets, qui guident le projet.
b. L’homme qui habite le monde
L’expérience sensible de l’usager au sein de l’architecture s’opère par le déplacement du corps dans l’espace. L’architecture doit être éprouvée par le corps tout entier, dans un rapport de plaisir physique, et doit provoquer une émotion. Cette émotion peut aussi être provoquée par le rapport d’un édifice à son environnement, comme une interface entre l’homme et le monde auquel il appartient. C’est en se sentant appartenir au monde que l’homme habite l’architecture, que l’homme est. Cette relation entre l’homme et l’architecture se donna à moi lors des premiers exercices proposés en 1ère année, avec P. DOAT, les fameux exercices « masse », « ossature » et « masse-ossature ». En effet, chacun de ces projets étant dépourvu de fonction, il me parut important d’y intégrer un but, une finalité, par un parcours qui mette en scène l’usager. Ainsi, dans le projet « masse », des escaliers vertigineux montaient en spirale autour de la tour, pour desservir les paliers et, par cette ascension, établir un lien fort entre l’homme et le ciel. Le projet se présente comme interface entre l’homme et son environnement. Le projet « ossature », proposait également un cheminement, sinueux, au cœur la vague. Ce choix avait pour but de désorienter l’usager, de créer une surprise, et de l’amener à se demander, à chaque détour, quelle image s’offrira à lui derrière ce mur courbe. Enfin, le projet « masse-ossature » proposait un parcours lumineux, dans deux boîtes superposées et articulées par un escalier. La boite « ossature », par laquelle on entrait, était légère et ajourée, et offrait de la lumière en abondance, en scansion. La boîte « masse », beaucoup plus fermée, avait pour seule ouverture une fente lumineuse zénithale, qui dessinait le parcours et guidait l’usager vers la sortie. L’inattendu créé par le contraste d’ambiances entre les deux boîtes pro-
voquait chez l’usager une émotion que seul le corps, en éprouvant et parcourant l’espace, pouvait ressentir. Le rapport de l’homme à l’architecture et au lieu fut approfondi en 1ère année lors de la semaine bloquée d’A. CHATELUT. Après avoir analysé en détail le quartier de la Villeneuve, dans lequel se trouve l’école, il nous fut demandé de concevoir un petit projet d’équipement public, dont le choix de l’implantation nous appartenait. Nous choisîmes un lieu de passage, aux abords du plan d’eau. Le projet était un petit habitacle en porte-à-faux sur l’eau dans lequel il était possible de s’asseoir, se retrouver seul ou à plusieurs, avec des vues cadrant des éléments marquants du lieu, amenant l’usager à la contemplation. Un mobilier spécifique avait été imaginé, en fonction des différentes positions du corps, basé sur l’échelle du Modulor. Ainsi, dans ce projet, le corps entrait en jeu de plusieurs manières. D’une part on l’invitait à prendre possession du dispositif, grâce au mobilier qu’il pouvait s’approprier, d’autre part il se trouvait projeté dans le site, par les cadrages et les vues générées par les ouvertures. La participation du corps dans ce projet était encore une fois inéluctable. L’architecture n’est pas faite pour être vue, mais pour être vécue, habitée. C’est en 2ème année que la question de l’environnement se posa véritablement dans nos exercices de projet, dans le studio de P. LIVENEAU. Notamment pour un projet d’hôtel en haut du Mont Saint-Eynard, où l’enjeu était de concevoir une architecture en harmonie avec un site grandiose, dans lequel subsistent les vestiges du passé : le Fort Saint-Eynard. À l’arrivée sur le site, je fus frappée par la vue. D’un coté, une pente douce, arborée, de l’autre, seulement le vide, immense. Je me senti alors toute petite, consciente d’appartenir à cet environnement, qui pourtant me dépassait par son exception.
Il s’agissait alors de concevoir un hôtel à échelle humaine, proposant des vues, des cadrages, afin que l’homme, depuis l’édifice, puisse contempler ce paysage en toute sérénité, sans se sentir happé par le vide, dépassé par l’environnement. Le projet joue à nouveau le rôle de lien entre le monde et l’homme qui l’habite. Dans un souci de respect pour le lieu, le projet se devait de s’intégrer au paysage. Ainsi, l’édifice vint s’accrocher dans la falaise, composé de deux strates abritant chacune un niveau. La minéralité du matériau utilisé et la manière discrète dont se posait le projet sur la falaise étaient en communion avec le site, l’édifice et le lieu se magnifiant l’un l’autre. En 3ème année, nous nous interrogeâmes d’avantages sur l’homme et son bien être au sein de la ville. Ainsi, dans l’atelier de G. DEPOLLIER, il nous était demandé de redynamiser une parcelle du quartier Berriat, en y intégrant des logements, un équipement public, et surtout une place publique. C’est la question de la place publique qui m’intéressa le plus. En effet, comment rendre un espace vide, minéral, accueillant pour l’homme ? Qu’est ce qui fait que l’homme a envie d’y circuler ou de s’y récréer? Dans une ville moderne où le tissu urbain est devenu orthogonal, monotone, il me sembla important d’insuffler de la verdure, pour le faire respirer. Ainsi, le projet s’articulait autour d’un immense parc planté d’arbres, dans lequel on pouvait se promener, s’arrêter, ou seulement passer. La verdure renvoyait l’homme à la nature perdue, réparant le lien entre l’environnement et lui, élément de la ville. Dans un deuxième temps nous nous intéressâmes au rapport de l’architecture au lieu, dans un projet de chai viticole sur le Domaine de Chignin, en Savoie. Toujours dans un souci de rapport émotif avec l’environnement, le premier travail à entreprendre était une analyse sensible du site. Le lieu présentait des particularités, telles
Maquette de principe, projet d’hôtel au Mont Saint-Eynard, Studio de P. LIVNEAU
Maquette de site, projet de chai viticole à Chignin, Atelier de G. DEPOLLIER
que quatre tours de pierres disposées de façon symétrique sur deux petits monts. La symétrie du lieu était frappante et je choisi de me servir de cette caractéristique pour l’élaboration du projet. Le creux généré par les deux buttes m’apparaissait comme un écrin de verdure, ainsi je décidai d’y poser délicatement une forme simple, épurée. Le parallélépipède s’ajustait aux deux versants des buttes, mettant l’accent sur la symétrie du lieu et révélant le creux inscrit entre les quatre tours. Ce projet présentait un rapport au site très fort, en ce qu’il ne le modifiait d’aucune manière, mais venait en révéler des aspects particuliers. Ainsi, l’architecture doit épouser le site, en devenir indissociable, de façon à le magnifier. L’homme, lui, doit éprouver l’architecture par le corps, afin de la vivre pleinement et, par elle, être en communion avec son environnement.
CONCLUSION Toutes les expériences architecturales vécues ces trois dernières années, et encore avant, furent révélatrices pour moi : l’expérimentation est primordiale, et seule l’expérience physique, d’une technique ou d’un espace, permet d’acquérir les connaissances nécessaires. Le corps a une mémoire et reste imprégné de ce qu’il a vécu. Toute connaissance s’acquiert par un pratique ou une expérience vécue, et aucun savoir en architecture n’est inné. Cette intime conviction se vérifie le long de ce rapport, dans chacune des notions développées. Ces dernières abordent les parties constructives et techniques de l’architecture, ou encore les approches sensibles et émotionnelles ; l’expérience du corps dans l’espace et le sens du toucher (autant physique que affectif) se retrouvent alors toujours au premier plan. Pour construire aujourd’hui en fonction des besoins pratiques et émotifs de l’homme, il est ainsi nécessaire de connaître les différentes techniques constructives, afin de répondre au mieux aux obligations actuelles. Je pense notamment à la notion d’éco-habitat qui devient essentielle, et qui remet en question toute la manière de construire que l’on a connu jusqu’à présent. C’est alors le rôle
de l’architecte de comprendre les techniques et les matériaux, afin de faire progresser le monde dans le sens du développement durable, et de créer les ambiances qui toucheront l’usager. Car il va aussi de notre responsabilité, en tant qu’architecte, de donner la possibilité d’un confort à tous dans l’habitat, et de rendre accessible à la société l’architecture sensible. La connaissance des matériaux est alors primordiale, en ce que les ambiances et la dimension sensible de l’architecture sont générées par eux. L’architecte Peter Zumthor prône lui même la maîtrise des matériaux et de la lumière comme fondatrice des ambiances et du confort d’un espace. Afin de me rapprocher encore de l’architecte que je tends à devenir, je souhaite étudier dans le Master Architecture et Culture Constructive, qui me permettra d’acquérir des connaissances essentielles sur les différentes techniques et manières de construire, avec des expérimentations et un apprentissage par la pratique qui sont au cœur de la pédagogie de ce Master, et selon moi la meilleure façon de comprendre l’architecture. Il me permettra également d’aborder pleinement la question de développement durable, en donnant toujours cette importance à la pratique et l’expérimentation. De plus, je m’apprête à partir étudier l’architecture à la Universidad Mayor de San Andres, à La Paz, en Bolivie, dans le cadre d’un échange de mobilité internationale. Cette école propose une méthode d’apprentissage similaire et des cours de culture constructive, qui ne pourront que compléter ma formation au sein de ce Master. Je souhaite également donner une importance particulière au ressenti, à l’expérience du corps dans l’espace créé par l’architecte, et par la connaissance des matériaux et des techniques constructives, apprendre à prévoir les ambiances et à faire émerger des atmosphères spécifiques dans les espaces que je conçois.
BIBLIOGRAPHIE
- ARDENNE Paul et POLLA Barbara, Architecture Emotionnelle, La Muette, BDL, 2011, 192 p. - BACHELARD Gaston, La poétique de l’espace, Paris : Les Presses universitaires de France, 1957, 265 p. - JUNICHIRO Tanizaki, L’éloge de l’ombre, Tokyo, Publications orientalistes de France, 1933, 104 p. - PANERAI Philippe, Analyse urbaine, Parenthèses, 1999, 187 p. - ZÉVI Bruno, Apprendre à voir l’architecture, Les éditions de minuit, 1959, 135 p. - ZUMTHOR Peter, Penser l’architecture, Birkhauser, 2010, 92 p. - ZUMTHOR Peter, Atmosphères, Birkhauser, 2008, 75 p.