Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier Domaine art et architecture Mémoire de fin d’études - cycle master
présenté par Florine Senouillet Janvier 2016
INSTALLER L’ART CONTEMPORAIN DANS LE PATRIMOINE 2100 - Une oeuvre « in situ » de Rainer Gross pour le palais des archevêques de Narbonne
jury : Eric Watier, Artiste, enseignant à l’ENSAM, directeur d’études David Hamerman, Architecte, enseignant à l’ENSAM Frédéric Saint-Cricq, Architecte, enseignant à l’ENSAM Patrick Perry, Historien, enseignant à l’ESBAMA
2100, Rainer Gross, palais des archevêques, Narbonne, 2015 Š Florine Senouillet
REMERCIEMENTS Je tiens d’abord à exprimer toute ma reconnaissance à Rainer Gross, que j’ai eu l’honneur de rencontrer sur le montage de l’installation il y a quelques mois, et qui a pris à plusieurs occasions, le temps de répondre à mes questions et de me faire partager son travail. Ma rencontre avec le palais des archevêques de Narbonne ainsi que 2100, restera une formidable aventure. Je voudrais ensuite adresser toute ma gratitude à Eric Watier, directeur d’étude, pour l’accompagnement, les connaissances ainsi que l’aide qu’il m’a apporté tout au long de ce mémoire. Je destine ensuite mes sincères remerciements à Marie-Caroline Allaire-Matte, commissaire de la manifestation IN SITU - Patrimoine et art contemporain, pour le temps et la disponibilité qu’elle a su me consacrer lors de notre précieux entretien. Je remercie aussi très chaleureusement Manon Tricaud, assistante logistique et médiatrice IN SITU 2015, pour son aide considérable ainsi que son enthousiasme communicatif qui m’ont porté et guidé durant cette année. Je remercie également Léonie Deshayes, médiatrice IN SITU 2015, pour les informations qu’elle m’a communiquées. Je remercie enfin mes proches pour leur soutient inestimable, ainsi que pour leur relecture. Mes pensées vont également à tous ces anonymes rencontrés sur le site du palais des archevêques de Narbonne, et qui ont aussi, de près ou de loin, largement contribué à l’élaboration de ce mémoire.
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SOMMAIRE REMERCIEMENTS SOMMAIRE
p. 1
p. 3
AVANT-PROPOS
p. 7
INTRODUCTION
p. 11
PARTIE 1 - L’ART CONTEMPORAIN ET LE PATRIMOINE 1/ L’art contemporain et l’installation « in situ » a/ Les grandes lignes de l’installation
p. 15
Un genre hybride L’univers du quotidien La relation à l’espace L’interaction avec le spectateur
b/ Des œuvres inédites créées « in situ »
La rapport au lieu La relation au temps
c/ Des œuvres « nomades »
p. 17
p. 20
La mobilité des œuvres et leurs conditions d’installation L’exemple de Pièges à regard d’André Valensi, 1990 Des situations renouvelées
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2/ Exposer l’art contemporain dans le patrimoine a/ Une recette prospère
p. 24
Soutenir la création artistique contemporaine Valoriser le patrimoine Vers un public nouveau
b/ Portrait d’une structure associative
p. 27
Le Passe Muraille La manifestation INSITU - Patrimoine et Art contemporain L’édition 2015 Un site emblématique, l’exemple de Saint-Etienne d’Issensac à Brissac.
c/ Préparer la manifestation, d’après un entretien avec Marie-Caroline Allaire-Matte, commissaire de la manifestation INSITU - Patrimoine et Art contemporain p. 32
Le choix des sites Le choix des artistes Le choix des œuvres
PARTIE 2 – 2100, UNE OEUVRE DE RAINER GROSS AU PALAIS DES ARCHEVÊQUES DE NARBONNE 1/ 2100, une œuvre sur mesure a/ Le temps du « premier contact »
Le palais des archevêques, un lieu de mémoire remarquable Le lieu, une source d’inspiration
b/ Le temps du projet
p. 37
p. 44
L’esquisse d’un long travail en amont Portrait objectif de l’œuvre
2/ Le temps de la rencontre a/ L’installation « in situ » 4
p. 49
Un travail de corps à corps Le caractère évolutif « L’harmonie malgré les contrastes » Le rapport au temps
b/ L’entrée du spectateur
p. 55
Une multiplicité de points de vue La tête en l’air, d’après mon expérience « in situ » PARTIE 3 - ART CONTEMPORAIN ET PATRIMOINE, UNE ASSOCIATION QUI DESTABILISE 1/ La médiation artistique a/ Un intermédiaire indispensable ?
Faire le lien Amortir le choc et faciliter l’accès à l’art contemporain La puissance des images
b/ Une entremise facultative ?
p. 67
p. 71
Une expérience spatiale à la portée de chacun Une approche subjective et volontaire
2/ Des retours contrastés entre adhésion et rejet a/ Toucher au patrimoine, un sacrilège
p. 72
Une vieille querelle Pendant ce temps-là à Narbonne Diverses catégories de rejets
b/ Une belle opportunité pour le patrimoine
p. 78
Le patrimoine est un continuum Une passerelle culturelle entre l’art, l’architecture et l’histoire 2100, une installation qui a « lieu d’être »
CONCLUSION
p. 83
BIBLIOGRAPHIE ANNEXES
p. 87
p. 91
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AVANT-PROPOS Mon intérêt pour l’art contemporain et plus spécifiquement pour celui des installations dites « in situ », naît il y a quelques années, d’une rencontre fortuitement marquante, à l’occasion de la Xe biennale d’art contemporain de Lyon en 2009 ; un événement incontournable qui investit la ville tous les deux ans depuis maintenant 13 éditions. Ce jour maussade et pluvieux, je me rendais, seule, sur l’un des sites de la manifestation situé au cœur de la ville dans le second arrondissement : l’entrepôt Bichat. Construit en 1916 sur plus de 800m², ce vieux bâtiment industriel de béton armé accueillait Les Dormeurs, une œuvre de l’artiste portugais Pedro Cabrita Reis. Il s’agissait d’un nouveau site pour la biennale qui investissait pour la première fois ce lieu chargé d’histoire, et cela à l’occasion de la Xe édition intitulée Le spectacle du quotidien.
1. Hou Hanru, commissaire de la Biennale d’art contemporain de Lyon en 2009. l’intégrale de l’interview sur : http://2009. labiennaledelyon.com/ mf/edition-2009.html
« Aujourd’hui dans le monde où l’on vit, pour exister il faut être dans le spectacle, c’est la condition dans laquelle on vit. Tout est spectacle, n’importe quelle image dans un magazine, une exposition... et d’autre part dans le monde, on trouve ce que l’on appelle « le quotidien », qui est un terrain vivant, mouvant, un terrain où les gens inventent de multiples choses et essaient de résister à cette logique implacable de consommation, dont le spectacle est l’incarnation. […] Le projet de cette édition est de proposer aux gens de réfléchir sur le pourquoi de l’art. Tout est spectaculaire, tout est encadré par un carcan de consommation, de superficialité, de marché ou d’institution. La Biennale, c’est la tentative de retrouver le lien très proche entre la création artistique et la vie de chacun. Il ne s’agit pas seulement de faire plaisir aux gens en faisant une biennale sur la vie de tous les jours, cette proposition est aussi philosophique. Le monde est vraiment divisé en deux choses, l’une très visible, le spectacle, et l’autre invisible qui est le monde quotidien. Les artistes cherchent à s’inspirer de l’expérience de l’existence. […] Je considère comme une réelle nécessité le fait que les artistes se réengagent dans la vie des gens. Nous devons intégrer dans notre démarche un dialogue dans un débat, avec les types de public qui ont différents accès à ce genre de projet intellectuel. Nous ne pouvons pas faire de l’art en étant déconnecté de la société et de ce qu’elle vit1. »
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Installée à l’intérieur du hangar vide et désaffecté, l’œuvre Les Dormeurs mettait en scène et en lumière, des dizaines de néons posés à même le sol ou suspendus et flottant dans les airs. Je me souviens alors d’une atmosphère assez lourde et énigmatique émanant de la fusion entre cette œuvre et ce lieu. Certainement délaissé depuis un certain nombre d’années, la végétation avait envahit l’entrepôt qui conservait encore les traces d’une activité industrielle antérieure, bien lisible et présente à l’intérieur de l’édifice. Je pense fortement avoir été une spectatrice privilégiée ce jour là. En effet, le mauvais temps qui sévissait alors dehors, plongeait le bâtiment dans l’obscurité, et la pluie qui tombait, ruisselait à l’intérieur de l’entrepôt en formant de grandes flaques d’eau sur le sol. Par effet de miroir, l’eau stagnante était presque utilisée comme une nouvelle « matière » et intégrait magnifiquement l’œuvre aux côtés des néons dont les effets lumineux étaient amplifiés. Je me rappelle arpenter librement l’espace avec tous mes sens, me prêtant à cette expérience tant visuelle, spatiale que sonore. C’était à la fois minimaliste et grandiose, émouvant et efficace. Dans ce spectacle empli de poésie et de mélancolie, l’œuvre venait parfaitement s’insérer dans son contexte et transformait véritablement l’architecture qui l’abritait. Les Dormeurs habitait l’édifice délabré et le faisait revivre un instant, en faisant corps avec lui. L’œuvre établissait une liaison entre les différents éléments, c’est à dire qu’elle accordait en même temps une place au hangar, à ses marques du passé, à la végétation grandissante comme à l’environnement extérieur, etc., dans un ensemble que je n’aurais je pense, saisi de cette manière sans sa présence. L’intervention artistique semblait donc indissociable du lieu dans lequel elle prenait place mais réciproquement, le lieu paraissait véritablement magnifié par l’œuvre à son tour. Il s’opérait comme un étroit et harmonieux rapport, une réelle symbiose entre ces deux entités qui m’apparut particulièrement réussie, presque évidente. Je ne trouve aucune image sur internet qui fait état de ce que j’ai pu vivre. L’œuvre ayant été démontée par la suite, je ne possède donc aujourd’hui plus que le souvenir ainsi qu’une médiocre photo de cette rencontre surprenante qui perdure depuis toutes ses années dans mon esprit. En effet, Les Dormeurs de Pedro Cabrita Reis constitue pour moi une des expériences sensibles personnelles des plus marquantes. Influente je pense dans mon parcours, cette expérience a amplifié mon intérêt et ma curiosité au travers d’un regard novice porté sur l’art contemporain et plus particulièrement sur les installations artistiques « in situ ». « Une exposition n’est pas une fin, c’est le début d’un long processus pour proposer des idées pour l’avenir, pour la société. Ce n’est pas seulement une représentation d’objets, une mise en scène mais c’est un cadre de départ pour réfléchir à ce que nous sommes et ce que nous faisons là2. »
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2. Id...............................
Les Dormeurs, Pedro Cabrita Reis, entrepôt Bichat, Lyon, 2009 Š Florine Senouillet
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INTRODUCTION « Je n’ai jamais fait que peindre, certaines œuvres étant légères et pouvant être accrochées au mur, tandis que d’autres, plus lourdes, doivent reposer au sol et que d’autres encore occupent toute une pièce3. » Pedro Cabrita Reis
Né progressivement dès le début du siècle dernier, d’une succession de bouleversements dans le champ de l’art, l’art contemporain, et plus précisément l’installation artistique, est aujourd’hui devenu une pratique reconnue. Pour autant, cette dernière ne cesse de surprendre et de faire parler d’elle. Bousculant les esprits et les codes artistiques pré-établis, les artistes tentent progressivement d’élargir leurs champs d’action et de réflexion. Les œuvres s’affranchissent de leurs « cadres » pour conquérir l’espace, en même temps que l’art sort peu à peu des musées traditionnels pour investir de nouveaux lieux atypiques. En brouillant les règles et les disciplines, les œuvres contemporaines ne cessent de redéfinir le territoire de l’art. L’espace faisant dorénavant partie intégrante de l’œuvre, l’installation dépasse largement l’objet visible produit, invitant le spectateur à expérimenter plus qu’à voir. Si le public ne va pas vers l’art contemporain, c’est l’art contemporain qui vient à eux en investissant parcs, friches industrielles, églises ou encore châteaux.
3. Pedro Cabrita Reis, dans un entretien avec le sociologue Augusto M. Seabra et l’architecte Eduardo Souto Moura, Pedro Cabrita Reis One after another, a few silent steps, Hatje Cantz ; Nimes, Carré d’Art - Musée d’art contemporain, 2010, p. 10.
Héritiers d’un important patrimoine bâti dans notre pays, ce dernier fait aujourd’hui l’objet d’un fort attachement affectif comme de nombreuses attentions, notamment législatives. Bien que cela dérange encore régulièrement, l’association de l’art contemporain avec le patrimoine bâti et une recette qui prospère à l’échelle nationale, et cela depuis maintenant plus de vingt ans. Cadres d’interventions privilégiés pour les artistes et pour la diffusion de l’art contemporain, l’introduction d’œuvres artistiques dans des édifices chargés d’histoire permets réciproquement d’actualiser, de redynamiser et parfois même d’ouvrir cet héritage bâti quelque fois délaissé aux yeux du grand public. 11
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Avec l’introduction d’installations « in situ » dans le patrimoine bâti, l’interaction entre l’art, l’architecture et le spectateur prend tout son sens, soulevant alors un certain nombre de questionnements : Comment s’organisent de tels projets et comment les installations artistiques contemporaines viennent-elles s’insérer dans de tels lieux ? Quels rapports entretiennent-elles avec l’espace ? Les spectateurs ? Où commencent-elles et où s’achèvent-elles ? Et enfin, sont-elles finalement à leur place ? Définir ce qu’est une installation artistique n’est pas chose évidente, ainsi il me paraissait essentiel de dresser dans un premier temps, les grandes lignes de cette pratique. Nous reviendrons ensuite brièvement sur l’histoire de ce mouvement qui soutient à la fois la création artistique tout en valorisant le patrimoine, avant de nous pencher plus longuement sur l’étude d’une manifestation culturelle alliant art contemporain et patrimoine bâti remarquable. Cette partie permettra de mieux comprendre le rôle que joue ce type de structure et sera notamment enrichie par l’entretient réalisé auprès de Marie-Caroline Allaire Matte, commissaire de la manifestation. L’étude de 2100, réalisée dernièrement par l’artiste Rainer Gross au palais des archevêques de Narbonne, dans le cadre de la manifestation IN SITU - Patrimoine et Art contemporain, viendra ensuite illustrer de manière concrète ce mémoire de recherche. La dernière partie s’attachera à étudier l’impact de l’œuvre sur les spectateurs, et cela d’après quelques retours d’expériences collectés sur place. Cela nous permettra d’aborder le sujet de la médiation culturelle, et de nous demander si cette dernière est essentielle ou non pour approcher l’art contemporain, ou encore s’il est nécessaire de comprendre pour apprécier. Nous traiterons enfin, du rejet de l’art contemporain au travers de quelques exemples majeurs, avant de voir pourquoi ce dernier peut être une belle opportunité pour le patrimoine.
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PARTIE 1 – L’ART CONTEMPORAIN ET LE PATRIMOINE 1/ L’art contemporain et l’installation « in situ »
a/ Les grandes lignes de l’installation
L’installation est une pratique artistique qui se révèle pleinement dès la seconde moitié du XXe siècle. Dans un premier temps expérimentée de manière non officielle en dehors des sites dédiés à la discipline, elle devient rapidement une pratique répandue dans le champ de l’art contemporain et même aujourd’hui de la culture. Incarnant le résultat d’un certain nombre d’évolutions et de bouleversements majeurs dans le domaine des arts, l’installation transgresse les codes préétablis et modifie le rapport entre l’artiste, l’œuvre, le lieu de son exposition ainsi que le spectateur.
Un genre hybride L’installation appartient à une pratique nouvelle caractérisée par une grande hétérogénéité des œuvres qu’elle englobe. On parle alors d’œuvres relativement « hybrides » du fait de la diversité des « médiums » ou plus communément des outils utilisés, comme des sites investis. A la différence d’autres genres artistiques clairement identifiables et définis par un ensemble de caractéristiques communes limpides (outils, techniques, supports, etc.), l’installation est une pratique artistique floue mais néanmoins très ouverte et libre et qui, malgré quelques grands traits singuliers, reste difficile à définir.
L’univers du quotidien Dès les prémisses du siècle dernier, et encore plus avec l’arrivée de l’installation artistique dans les années 1960, l’univers du quotidien vient progressivement investir et révolutionner le champs de l’art à différents niveaux. On note tout d’abord la volonté des artistes de démocratiser et de décloisonner la discipline en s’affranchissant des règles auxquelles ils obéissaient jusqu’ici. Cela se manifeste par l’emploie de matériaux
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bruts voir d’objets ordinaires. Comme dans l’exemple de Les Dormeurs, œuvre réalisée en 2009 par l’artiste Pedro Cabrita Reis dans l’entrepôt Bichat, l’usage d’éléments empruntés à l’univers industriel devient fréquent, et ces derniers, au même titre qu’un trait de crayon, deviennent matière à création. Par l’intermédiaire du réemploi et du recyclage, l’installation artistique redéfinit le travail de l’artiste. La notion de « création » artistique au sens traditionnel du terme disparaît car l’artiste n’est plus celui qui façonne et crée de ces propres mains. Dorénavant, « n’importe qui » et « n’importe quoi » semblent pouvoir faire l’objet d’une œuvre d’art. Cette ambiguïté contribue souvent à nourrir l’incompréhension et la réticence éprouvées par certains spectateurs hermétiques. Cela soulève aussi une vraie problématique nouvelle : Qu’est ce qui est art ?
La relation à l’espace « Outre une nouvelle écriture de l’art, il en résulte une remise en question radicale de la notion d’ « exposition » [...]4 . » « L’exposition montre l’œuvre dans son lieu, quand l’installation métamorphose le lieu en œuvre, ou propose le parcours du lieu à travers l’œuvre5. » Parmi ces traits de caractères communs, il apparaît fondamental d’énoncer en premier lieu, le lien très étroit qu’établit l’installation artistique avec l’espace dans lequel elle intervient. Si une installation peut très bien être exposée dans un musée, il est néanmoins très courant que cette dernière s’éloigne du cadre muséal pour investir des lieux autres et parfois inattendus. Que cela soit en intérieur comme en extérieur, dans l’espace public, bâti ou paysager, la composante spatiale devient indispensable. Avec l’arrivée de l’installation, l’œuvre d’art abandonne son statut de pièce autonome positionnée dans un espace quelconque et vouée à n’exister que par et pour elle-même. Faisant dorénavant partie intégrante de l’œuvre, l’espace et le lieu qui l’enveloppent, prennent soudainement toute leur importance et leur sens. C’est cette interaction entre l’œuvre et son environnement qui est recherchée par les artistes de cette pratique, permettant plus que jamais de faire se superposer les disciplines artistiques et architecturales.
L’interaction avec le spectateur En plus de bouleverser le rapport à l’espace et au lieu dans lequel elle vient s’insérer, l’installation bouscule la relation avec le public. Elle va plus loin et recherche l’expérience subjective, c’est à dire qu’elle s’adresse directement au spectateur et s’intéresse à ce qu’il va ressentir au travers de l’œuvre. La critique Ina Blom parle d’un « mode immersif », c’est à dire d’un « type d’expérience dans laquelle la prise de conscience subjective […] semble se fondre dans l’œuvre d’art 16
4. Paul Ardenne, Un art contextuel : Création artistique en milieu urbain, en situation, d’intervention, de participation, Paris, Flammarion, coll. «Champs sciences humaines», 2004, p. 153. 5. Itzhak Goldberg, Installations, Paris, CNRS Editions, 2014, p. 34. 6. Nicolas De oliveira, Nicola Oxley, Michael Petry, Installation II, l’empire des sens, Londres, Thames & Hudson, 2004.
afin de créer la sensation d’une expérience, nouvelle et plus puissante, de totalité6. » L’attitude passive et contemplative du spectateur positionné selon un point de vue unique et frontal face à l’œuvre, est délaissée au profit d’une quête d’expériences sensorielles et parfois intellectuelles que l’artiste tente de faire partager. Le déplacement devient primordial afin de faire pleinement l’expérience de l’œuvre, et le corps des spectateurs se voit libéré dans l’espace tout comme les perspectives se voient démultipliées dans le temps. Pour Frédéric Jameson, critique littéraire, « Un espace qui « submerge » laisse l’individu dans un état de confusion. Face à cette absence de repères, le spectateur désorienté se laisse guider par ses sensations et sa subjectivité7. »
7. Nicolas De oliveira, Nicola Oxley, Michael Petry, op. cit., p. 49. 8. phénoménologie : [Dans le domaine des sc. hum., notamment en psychanal., psychiatrie, psychol., en sociol., en hist.] - Étude des faits de l’expérience vécue, indépendamment des principes ou des théories. source : www.cnrtl.fr 9. Jacques Dewitte, Architecture et corporéité humaine, dans Architecture et philosophie, vers une architecture appropriée - Donner l’habiter : architecture, œuvre d’art, existence, colloque n°3, Clermont-Ferrand, Édité par l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Clermont-Ferrand, 1992. 10. L’anthropomorphisme est l’attribution de caractéristiques du comportement ou de la morphologie humaines à d’autres entités comme des dieux, des animaux, des objets, des phénomènes, voire des idées. source : wikipédia.
Cette dimension phénoménologique8, me permet d’établir un lien avec le philosophe Jacques Dewitte. Dans son essai intitulé Architecture et corporéité humaine9, l’auteur questionne le lien entre la forme architecturale et l’émotion qu’elle suscite en se demandant comment s’effectue le passage de la sphère matérielle à la sphère de la sensibilité. Pour lui, l’architecture a à voir avec la corporéité, c’est-à-dire l’expérience corporelle. C’est parce que nous disposons d’un savoir préalable de ce qu’est la pesanteur ou la force, que nous voyons et vivons toute chose tel un corps, en éprouvant les états affectifs qu’un espace ou une architecture pourrait avoir si nous étions à sa place. Nous pouvons très bien transposer cela au domaine de l’installation artistique. Ainsi d’après le philosophe, celui qui contemple fait bien plus que de contempler, en se transportant par l’imagination dans le bâtiment avec tout son être et même son corps. Pour cela, il prend l’exemple de la musique pour expliquer que c’est bien parce que nous pouvons émettre des sons pour nous exprimer, que nous sommes à même de comprendre la musique. L’auteur parle même d’une appréhension anthropomorphique10 de la forme architecturale. En d’autres termes, nous intériorisons mimétiquement son allure, son comportement par notre capacité à nous métamorphoser tout en nous appropriant ainsi les sensations.
b/ Des œuvres inédites créées « in situ »
Le rapport au lieu Les œuvres d’art sont de moins en moins exposées dans des lieux destinés à cet effet, tels que les galeries, les musées ou les centres d’art. Auparavant présentées dans ces espaces neutres, les œuvres contemporaines se détachent aujourd’hui de l’objet d’art classique et autonome, encadré ou posé sur un socle. La pratique de l’installation élargit le territoire de l’art en investissant une diversité de nouveaux lieux à expérimenter. Le rapport qu’entretient dorénavant l’œuvre avec son environnement spatial devient essentiel. On parle d’œuvres « in situ » pour définir ces pièces créées « sur place » et spécifiquement par et pour un lieu d’accueil donné. Que 17
A Line Made by Walking, Richard Long, Angleterre, 1967 Š www.richardlong.org
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ce soit en intérieur comme en extérieur, et cela dans un parc, un entrepôt, un château, un espace public comme une église, l’œuvre d’art et le site sont tous les deux mis en situation et ne font dorénavant qu’un. L’histoire du lieu, son architecture, sa matérialité, etc., sont autant de pistes qui peuvent se révéler être des sources d’inspiration. Avec l’arrivée des installations « in situ », les frontières de l’œuvre semblent s’être dissipées. De cette manière, on peut se poser la question de savoir Où commence l’œuvre ? Mais où finit-elle également ? Comment offre-t-elle une nouvelle manière de regarder et d’appréhender ce le lieu ? On peut noter aussi que cette pratique artistique étroitement liée au site, introduit de nouvelles notions à mi-chemin entre le domaine artistique et architectural. Parmi elles, on soulignera par exemple celles de l’échelle, de la perspective, des cadrages, ou encore de la mise en œuvre de ces installations qui se présentent parfois comme de grandes sculptures ou des micro-architectures.
La relation au temps La relation qu’entretiennent les œuvres avec la dimension temporelle n’est pas non plus négligeable. Il me vient en tête le travail de Richard Long intitulé A Line Made by Walking, qui se caractérise par un lien fort établi avec le paysage et le temps. Cette intervention minimale « in situ » appartenant au mouvement du Land Art, est réalisée par l’accumulation de nombreux allers-retours effectués par l’artiste. Armé de patience et à force de répétition, l’interaction de ce dernier avec le site a permis de tracer un sillon sur le sol. Cette succession de pas incarne le passage et l’écoulement du temps. Il s’agit d’une métaphore de la vie soulignée par l’idée de « laisser une trace » dans ce monde. Dans cet exemple parmi tant d’autres, l’usage de la photographie apparaît essentielle, permettant de garder dans le temps, l’empreinte et le souvenir de ces œuvres éphémères. Le temps est une thématique fréquemment rencontrée dans les installations, et c’est parfois le déplacement du spectateur qui introduit cette notion. Lors d’une conférence donnée par Hughes Rochette et Nathalie Brevet au sujet de Cellula, une œuvre exposée en 2009 au collège des Bernardins à Paris, les artistes expliquent que le rapport au temps et au déplacement est très présent dans ce travail. L’installation se compose en partie d’une structure lumineuse réalisée en tubes fluorescents et qui fonctionnent de manière inversée. Ainsi ce n’est qu’uniquement en l’absence de mouvement que les néons s’allument, ce qui invite le spectateur à faire l’expérience de l’œuvre en prenant davantage son temps. Nathalie Brevet précise de plus, que la question de la temporalité fut une donnée essentielle dans la création de cette installation à vocation éphémère mais néanmoins installée pour une période de cinq mois. Ainsi les variations de la durée du jour comme des saisons furent pris en compte dans l’élaboration de ce projet. Elle explique aussi 19
que l’idée du nom Cellula qui, dans ce contexte religieux fait référence à la cellule monastique, est venue au fur et à mesure de la découverte et de l’appropriation du site.
c/ Des œuvres « nomades »
La mobilité des œuvres et leurs conditions d’installation Si la création par et pour un lieu spécifique donné, apparaît primordiale dans les installations dites « in situ », il est également courant de rencontrer des installations que l’on appelle « nomades » ou « mobiles », créées pour investir différents sites. Plus « flexibles », ces œuvres ont aussi la caractéristique d’être pérennes. N’étant pas conçues, et cela contrairement aux créations « pleinement in situ », pour être associées à un lieu unique, ces dernières sont déplacées d’une exposition à une autre. Bien que les spécificités d’un lieu ne soient plus envisagées comme une composante immuable pour l’œuvre, ces installations témoignent pour autant de l’importance du rapport qu’elles entretiennent avec ce site « d’adoption ». Pour une multiplicité de raisons, l’artiste n’est pas forcement celui qui va installer l’œuvre. Ainsi lorsqu’il n’est pas présent sur le montage et afin de garantir les conditions de leur exposition, les installations dites « nomades » sont souvent documentées par un cahier des charges qui informe de la bonne mise en œuvre technique ainsi que des précautions à prendre. En fonction de leur nature, l’intervention de plusieurs régisseurs peut s’avérer nécessaire pour le montage de certaines œuvres. Constituée de verre et d’acier, l’installation fragile, lourde et complexe de Véra d’Or de Emmanuelle Etienne à l’église Saint-Etienne d’Issensac dans le cadre de l’édition 2014 d’IN SITU, aura par exemple donné beaucoup de fil à retordre pour les équipes de la manifestation et du FRAC (Fond Régional d’Art Contemporain) Languedoc-Roussillon. Plus légères, pratiques, ou encore modestes du point de vue de leurs dimensions, certaines pièces, à l’image de Exciterne réalisée en 2007 par Anita Molinero, ne nécessitent parfois à l’inverse que très peu de main d’œuvre.
L’exemple de Pièges à regard d’André Valensi, 1990 Bien que certaines installations soient exposées dans des lieux pour lesquelles elles n’ont pas été conçues, l’exemple de Pièges à regard d’André Valensi (1947, Paris – 1999, Togo) à l’église Saint-Etienne d’Issensac à Brissac, prouve que malgré le « collage » de cette œuvre dans le lieu, le rapport et « l’alchimie » entre l’œuvre et le site peut malgré tout s’avérer particulièrement forte. Pièges à regard se compose de deux filets multicolores en fils de coton tissés, agrafés et peints à l’acrylique. Suspendue à l’intérieur des murs de l’église Saint-Etienne d’Is20
Cellula, Nathalie Brevet et Hughes Rochette, collège Les Bernardins, Paris, 2009 Š www.highlike.com
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Pièges à regard, André Valensi, église Saint-Etienne d’Issensac, Brissac, 2015 © Florine Senouillet
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sensac, l’installation occupe, du fait de sa grande dimension (9 x 2,50m), une large partie de la nef. Acquise par le FNAC (Fond National d’Art Contemporain) puis mise en dépôt au FRAC Languedoc-Roussillon, cette œuvre est réalisée en 1990 par André Valensi dans le cadre d’une commande de l’état pour les vingt ans du mouvement support-surface. C’est à cette occasion qu’elle est exposée pour la première fois au château de Chambord, au travers d’une exposition intitulée Le Bel âge. A cette époque, la dimension mobile avait été imposée à l’artiste afin que l’œuvre puisse être exposée ailleurs. Né en France en 1969, le mouvement support-surface recherche une émancipation artistique qui se traduit par la remise en question de la toile et du tableau comme support traditionnel de création. Les artistes de ce mouvement recherchent de nouveaux dispositifs de supports plus libres. Une grande importance est donnée à l’expressivité de la couleur qui se détache de la connotation seulement descriptive associée au sujet peint. Pièges à regard est exposée au château de Salses dans les Pyrénées-Orientales en 1991. Conservée durant toutes ses années, elle n’est redéployée que cet été lorsqu’elle investit l’intérieur de l’église Saint-Etienne-d’Issensac dans le cadre de la manifestation IN SITU - Patrimoine et Art Contemporain. Bien que cette installation n’ait pas été réalisée à partir et pour ce lieu, on constate que Pièges à regard s’intègre parfaitement dans l’espace de la nef. D’après les propos de la commissaire d’exposition, ce fut une évidence d’accrocher l’œuvre en diagonale. Étant installée dans un lieu sacré, Marie-Caroline Allaire-Matte explique qu’elle ne souhaitait pas que l’œuvre recouvre l’autel de l’église. Pour Manon Tricaud, médiatrice de la manifestation IN SITU rencontrée sur place, c’est la première fois que l’installation est exposée dans une configuration aussi étirée, et beaucoup de visiteurs y voient l’image d’un hamac. Le plan de l’église étant un peu désaxé, l’œuvre installée de cette manière en travers de la nef, vient comme renforcer cette particularité architecturale. Pièges à regard, de par son titre tout d’abord, induit la participation du spectateur au travers de la vue. Ce dernier est amené à se déplacer et à tourner autour de l’œuvre. Par effets d’optiques avec la superposition des mailles du filet et du mouvement, les couleurs ainsi que les formes se superposent et évoluent, offrant toujours une vision différente de l’œuvre. Légère, transparente et colorée, l’installation contraste avec la massivité, la densité et la sobriété de l’ouvrage de pierre. Avec douceur et poésie, elle vient magnifier l’église.
Des situations renouvelées A l’image de Pièges à regard développée précédemment, on peut penser que même si les installations ne sont pas créées « pleinement in situ », c’est à dire par et pour 23
l’unique lieu qu’elles investissent, leur rapport au site peut malgré tout se révéler important. En investissant des lieux « d’adoption » diversifiés, les œuvres sont à chaque fois associées et superposées à un nouveau site, une nouvelle histoire, une nouvelle atmosphère, une nouvelle configuration, une nouvelle lumière, un nouveau volume, une nouvelle matérialité ou encore de nouveaux contrastes. En changeant de contexte, ces œuvres sont à chaque fois renouvelées, et on peut supposer que ce n’est jamais la même installation qui s’offre au spectateur.
2/ Exposer l’art contemporain dans le patrimoine.
a/ Une recette prospère
Nous l’avons abordé plus haut, l’art contemporain en quête d’expérimentations, s’approprie de nouveaux lieux depuis la fin du siècle dernier. En intérieur comme en extérieur, dans le patrimoine bâti comme naturel, ou encore de manière éphémère comme pérenne, l’art a délaissé les sites qui lui été consacrés pour investir de nouveaux espaces insolites. Friches industrielles, châteaux, ou encore lieux sacrés sont aujourd’hui devenus des lieux privilégiés pour la diffusion de l’art contemporain.
Soutenir la création artistique contemporaine L’association de l’art contemporain et du patrimoine, est aujourd’hui devenue une recette dynamique et prospère sur la scène nationale. Ce mouvement se développe dès la fin du siècle dernier. On répertorie depuis, un certain nombre de manifestations en France auxquelles il est devenu facile d’accéder. Parmi elles, on compte entre autres L’art dans les Chapelles, une structure qui depuis vingt-quatre ans maintenant, est devenue une référence emblématique en la matière. Il n’est pas inutile de faire un petit bond en arrière afin de comprendre comment en sommes-nous arrivés là. En effet, on déplore à la fin du XXe siècle, trop peu de lieux consacrés à l’art contemporain, ces derniers étant d’autant plus concentrés sur la capitale. Sous l’impulsion de l’état, et plus particulièrement de Jack Lang soutenu par le président François Mitterrand, le gouvernement affiche dès le début des années 80, la volonté de diminuer les inégalités face à l’accès du grand public à la culture et à l’art. Ce désir se concrétise notamment par l’augmentation des budgets consacrés à la culture, et la loi de décentralisation de 1982 permet avec l’intermédiaire du ministère de la culture et de la communication, d’impliquer davantage les régions sur la scène artistique et culturelle. De nouveaux lieux de diffusions se développent, et parmi eux, la création des Fonds Régionaux d’Art Contemporain incarne cette nouvelle politique. Représentant un organe puissant d’irrigation de l’art contemporain auprès du grand public, ces FRAC ont 24
pour mission la constitution et la diffusion du patrimoine artistique. Par la commande ou l’acquisition d’œuvres diverses, leur l’objectif est de soutenir la création contemporaine et de promouvoir les artistes, vivants ou morts, français comme étrangers. Destinées au prêt via l’intermédiaire d’un large panel de partenaires tels que les institutions culturelles régionales, les collectivités locales ou encore les établissements scolaires, les collections essentiellement « nomades » sont diffusées auprès du public. Crée en 1982, le FRAC Languedoc-Roussillon détient aujourd’hui les créations de 425 artistes français et internationaux, soit une collection de 1200 œuvres. L’alliance de l’art contemporain et du patrimoine est devenue un mouvement largement soutenu par l’état et les régions, mais il est aussi et surtout très encouragé par l’action de structures associatives qui souhaitent simultanément valoriser et promouvoir l’art contemporain et le patrimoine. D’après les propos de Rainer Gross recueillis à l’occasion du vernissage de 2100 au palais des archevêques, il est important de préciser qu’à l’image de la manifestation IN SITU – Patrimoine et art contemporain, l’existence de ce type de manifestation est essentielle, car ce n’est bien évidement pas l’artiste qui décide généralement de son propre grès, de créer une œuvre in situ et d’investir des lieux aussi prestigieux. Bien au contraire, les artistes restent selon lui dépendants de ce type de collaboration pour créer. Il ne faut d’autant plus pas laisser l’art contemporain aux grands centres, et d’après ses propos, « il faut que l’art contemporain sorte aussi dans la région ». L’artiste rajoute à cela que la France est à sa connaissance pionnière dans ce type de manifestations. « Je ne connais aucun autre pays ou l’on retrouve autant de manifestations qui mettent en valeur le patrimoine en utilisant des interventions d’art contemporain11. »
Valoriser le patrimoine Le patrimoine est une notion très large qui embrasse une diversité de champ. On parle de patrimoine bâti, génétique, culinaire, naturel, etc., et ce dernier peut aussi tout à fait prendre une forme immatérielle avec le cas par exemple des langues, des traditions ou encore des savoirs-faire. Peu importe sous quelle nature il est employé, le patrimoine se caractérise par ce que nous avons hérité du passé et que l’on se doit de transmettre aux générations suivantes. L’idée de continuité temporelle apparaît essentielle dans la définition du patrimoine, autant que les dimensions symbolique, identitaire et affective qui lui sont associées.
11. Propos de Rainer Gross recueillis lors du vernissage de 2100, le 28 mai 2015 au palais des archevêques de Narbonne.
Nous sommes en France, les héritiers d’un conséquent patrimoine bâti auquel notre société occidentale attache beaucoup d’importance. En effet, ce dernier suscite dans notre pays beaucoup d’attentions et notamment du point de vue législatif afin qu’il soit conservé et protégé au mieux. Cette notion qui n’a cessé d’évoluer dans le temps, connaît particulièrement un tournant au moment de la Révolution française. Le classement au titre des monuments historiques garantit aujourd’hui en France, la plus haute protection nationale. Il s’agit d’un « dispositif législatif d’utilité publique 25
basé sur des principes d’analyse scientifique12 ». Ce titre est décerné aux bâtiments ou aux espaces présentant un intérêt historique ou artistique exceptionnel. Il peut concerner l’ensemble d’un édifice ou seulement une partie de celui-ci comme une façade ou une toiture. Le patrimoine bâti connaît aujourd’hui un engouement culturel et historique important en France, qui se traduit par une forte fréquentation de visiteurs. On peut par exemple citer le succès chaque année de la manifestation nationale des « Journées Européennes du Patrimoine » qui permet d’ouvrir à un large public, les portes de nombreux sites patrimoniaux parfois même accessibles qu’exceptionnellement. De la même manière, l’introduction de l’art dans le patrimoine offre l’occasion de dynamiser la fréquentation des sites, mais aussi d’actualiser leur existence en les superposant à des visions contemporaines. Pour reprendre l’exemple de L’art dans les chapelles, la manifestation fait déplacer une moyenne de cent mille visiteurs par édition depuis 2008, répartis sur vingt-cinq sites lors de l’édition 2015. Bien que les lieux patrimoniaux représentent un cadre d’intervention privilégié pour les artistes, ces derniers ont aussi à gagner de cette cohabitation originale et surtout la plupart du temps éphémère. Si cette idée ne fait pas l’unanimité, le patrimoine permet de valoriser l’art contemporain et réciproquement l’art contemporain promeut le patrimoine. Cela est particulièrement vérifié dans certains cas, ce que nous développerons un peu plus loin avec l’exemple de l’église Saint-Etienne d’Issensac à Brissac. La mise en valeur du patrimoine reste l’un des axes prioritaires de l’action culturelle de la région Languedoc-Roussillon aujourd’hui.
Vers un public nouveau Nous l’avons déjà abordé plus haut, l’art déserte parfois les lieux qui lui sont traditionnellement destinés pour tenter de nouvelles expériences spatiales. Par l’association du patrimoine et de l’art contemporain, ce n’est plus les visiteurs qui vont à l’art contemporain, mais c’est l’art contemporain qui va à la rencontre des visiteurs. L’art n’est donc plus réservé à celui qui pousse volontairement la porte du musée ou bien de la galerie. En d’autres termes, la discipline se démocratise et ne se prédestine plus à une petite partie de la population qui possède souvent la culture artistique ainsi que les clefs de lecture et de compréhension. De cette manière, c’est un public nouveau et novice qui accède ou se confronte à l’art. Il peut dorénavant s’agir de simples touristes en vacances et parfois très surpris de rencontrer des interventions artistiques dans un tel contexte. La médiation que nous aborderons dans la dernière partie, apparaît donc souvent comme nécessaire. Dans l’autre sens, la rencontre de l’art et du patrimoine permet d’observer la migration d’un public amateur d’art vers les sites patrimoniaux. Par l’intermédiaire de parcours souvent proposés à l’échelle du territoire, les manifestations alliant ces deux ingrédients telle que le fait IN SITU – Patrimoine et art contemporain, permet à certains sites remarquables mais peu connus car isolés, de profiter de l’impulsion de ce genre d’évé26
12. www.culturecommunication.gouv.fr
nement. En effet, si certains d’entre eux sont extrêmement renommés, la manifestation peut en revanche permettre à d’autres, beaucoup plus effacés d’être révélés aux yeux d’un plus grand nombre. Dans ce cas de figure, l’intérêt pour l’art contemporain permet réciproquement ici, l’accès d’un public nouveau à des sites d’exception. C’est de cette manière, en allant découvrir l’installation de Matthieu Husser au château de Baulx, que j’ai pu découvrir le beau village de Saint-Jean-de-Buèges remarquablement situé au cœur des gorges de l’Hérault.
b/ Portrait d’une structure associative
La découverte du Passe Muraille a été une nouvelle fois le résultat d’une rencontre fortuite, lorsque ma curiosité pour le patrimoine me conduisit à effectuer, il y a quelques mois, un stage au sein du Service Territoriale de l’Architecture et du Patrimoine de l’Hérault. C’est à l’occasion de cette expérience que je fis la connaissance de cette association et que j’obtiens de précieux contacts qui m’aiguilleront et surtout me stimuleront dans l’élaboration de ce mémoire.
Le Passe muraille Depuis 1997, Le Passe Muraille aujourd’hui dirigée par Pierre Plancheron, est une association dont l’objectif est de « valoriser les patrimoines culturels et naturels13 ». Localisée sur la commune de Clapiers, elle est constituée d’une équipe pluridisciplinaire d’une trentaine de salariés permanents, dont les regards spécialisés (histoire de l’art, architecture, patrimoine, communication, animation, etc.) se complètent et se juxtaposent pour « défendre ensemble des valeurs d’ouverture culturelle et de lien social14 ». La philosophie de l’association se concrétise au travers de multiples projets très diversifiés tels que des chantiers d’insertion, des formations, des ateliers pédagogiques pour les scolaires et les centres de loisirs, des expositions, des visites guidées, etc. C’est de manière centrale que le patrimoine est le moteur des ces actions toutes engagées du point de vue social, économique, environnemental ou encore culturel.
La manifestation INSITU - Patrimoine et art contemporain IN SITU - Patrimoine et art contemporain est une manifestation estivale relativement récente, proposée chaque année depuis 2012 par l’association Le passe Muraille en partenariat avec la région Languedoc Roussillon. 13. http://www.lepassemuraille.org 14. extrait d’un flyer, Le Passe Muraille
Alliant création artistique, architecture et patrimoine, IN SITU - Patrimoine et art contemporain met en relation le travail d’artistes contemporains avec le patrimoine, en les associant ensemble de manière insolite au travers d’un parcours à l’échelle de 27
Sans titre (Septimanie), Matthieu Husser, château de Baulx, Saint-Jean-de-Buèges, 2015 © Florine Senouillet
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la région. Largement inspirée par des manifestations culturelles pionnières dans ce domaine telles que L’art dans les Chapelles, cette initiative permet réciproquement de valoriser et promouvoir auprès du grand public, le patrimoine remarquable de la région ainsi que l’art contemporain. Forte du succès de ses éditions précédentes, la manifestation IN SITU - Patrimoine et art contemporain ne cesse de s’amplifier depuis sa création. Investissant de nouveaux sites d’une année sur l’autre, l’événement accueille toujours plus d’interventions artistiques. En 2015, onze œuvres ont pu être exposées contre seulement trois lors de la première édition en 2012. De la même manière, la manifestation peut se féliciter d’être intervenue dans onze sites prestigieux de la région cet été contre trois à ses débuts. Les limites géographiques initiales du département de l’Hérault ont été rapidement franchies, les départements de l’Aude et des Pyrénées-Orientales s’étant greffés à la manifestation. Avec le site de la Bambouseraie en Cévennes, le département du Gard a intégré le parcours lors de cette dernière édition.
L’édition 2015 Portée par l’association Le Passe Muraille associée à la commissaire d’exposition MarieCaroline Allaire-Matte et soutenue principalement par la Région Languedoc-Roussillon qui en est le principal financeur, l’édition 2015 de la manifestation INSITU - Patrimoine et art contemporain a permis d’associer le travail de dix artistes à onze sites du patrimoine régional, privés comme publics, tous les lieux de la manifestation étant classés à l’inventaire des monuments historiques. Du 28 mai au 20 septembre 2015 et cela au travers d’un parcours à l’échelle de la région, les visiteurs ont pu apprécier les créations contemporaines de Matthieu Husser au château de Baulx à Saint-Jean-de-Buèges, de Ghyslain Bertholon à l’Abbaye de Fontfroide à Narbonne ainsi qu’à l’hôtel Flottes de Sébasan à Pézenas, de Johan Creten à l’Abbaye de Gellone à Saint-Guilhem-le-Désert, de Jean-Marc Cerino au Prieuré de Marcevol à Arboussols, de Jean Denant au Prieuré de Serrabona à Boule d’Amont, d’Anna Malagrida à l’abbaye de Saint-Michel de Cuxa à Codalet, de Arno Fabre à la Bambouseraie en Cévennes de Générargues, d’André Valensi à l’église Saint-Etienne d’Issensac à Brissac, de Pierre Malphettes à l’église de Saint-Martin-de-Londres, ainsi que de Rainer Gross, artiste phare de cette édition 2015 au Palais des archevêques de Narbonne.
Un site emblématique, l’exemple de l’église Saint-Etienne d’Issensac à Brissac En dehors de la manifestation, certains sites extrêmement notoires sont tout au long de l’année fortement prisés par les touristes. C’est le cas par exemple du Palais des archevêques de Narbonne que nous aborderons plus loin dans ce mémoire. Bien que l’œuvre de Rainer Gross ait nécessairement attiré de nouveaux visiteurs, l’impact de la 29
manifestation reste négligeable sur ce site, l’édifice ne dépendant pas de l’impulsion de la manifestation pour exister. A l’inverse, la manifestation IN SITU prend dans certaines situations tout son sens. C’est le cas par exemple de l’église Saint-Etienne d’Issensac à Brissac ouverte exceptionnellement le temps de l’exposition. Par sa sobriété et ses murs épais principalement aveugles, l’église Saint-Etienne d’Issensac incarne l’art roman languedocien. Construit au XIIe siècle, l’édifice se compose d’une nef unique à deux travées, couronnée d’une abside semi-circulaire et d’une voûte en berceau avec deux arcs doubleaux. Surmontée d’un clocher pignon, l’église est réalisée en pierre de taille dite « pierre froide », une roche calcaire très dure. De part et d’autre des murs intérieurs de la nef, on peut observer deux rangées de bancs en pierre massive. Une tribune en bois prenait très certainement place au-dessus de l’entrée, mais la structure ainsi que le mobilier ont disparu. Seuls un autel et une croix en pierre résident ici dans cette atmosphère sacrée. L’église fait partie d’un ancien prieuré qui a pu être construit jadis par des paysans nécessitant d’un lieu de culte. Il se compose d’un presbytère, d’un jardin médiéval, d’un cimetière et d’une chapelle annexe. Au cœur de l’église, une porte condamnée au Nord donnait auparavant l’accès direct à l’intérieur du presbytère. Bien qu’en ruine aujourd’hui, on distingue encore les deux niveaux qui composaient l’édifice. A l’époque, le rez-de-chaussée était consacré à l’élevage ainsi qu’au stockage des récoltes, tandis que l’habitation se trouvait à l’étage supérieur. Au XIIIe et XIVe siècle, la construction d’un pont permet de traverser l’Hérault à quelques mètres de là. Dès à présent positionné sur le parcours du chemin de SaintJacques de Compostelle, ce lieu devient une halte très fréquentée. Afin de pouvoir accueillir un plus grand nombre de fidèles, le pèlerinage aurait justifié à ce moment là , la construction de la chapelle annexe. Un peu plus tard au XVIe siècle, l’église sera pillée et incendiée au cours des guerres de religions. Malgré des tentatives de restaurations successives, le site est progressivement abandonné par les habitants au profit des villes fortifiées. Il sera classé au titre des monuments historiques le 20 septembre 1945. L’hétérogénéité des matériaux que l’on peut aujourd’hui observer à l’intérieur de l’édifice, atteste des couches successives de restauration qui ont été réalisées. Géographiquement très isolé dans la garrigue, ce lieu reste malheureusement encore aujourd’hui la cible de squats et de détériorations. Malgré son caractère exceptionnel, c’est pour ces raisons que ce lieu est fermé au public depuis une cinquantaine d’années. Bien que l’église reste à ce jour vouée au culte, ce n’est qu’à l’occasion d’une unique messe annuelle qu’elle reprend vie. Fort heureusement depuis 2012, la manifestation IN SITU - Patrimoine et art contemporain permet d’investir de manière régulière l’église Saint-Etienne d’Issensac quatre mois par an. L’introduction de l’art représente une belle opportunité pour le site qui est 30
Eglise Saint-Etienne d’Issensac, Brissac Š Florine Senouillet
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habituellement fermé et non valorisé. La manifestation permet d’ouvrir les portes de l’église et d’accueillir des touristes comme les riverains alentours. Ainsi depuis quatre éditions, une pièce du FRAC y est consacrée. Étant fermé hors médiation, ce lieu assure la sécurité des œuvres, ce qui offre ainsi la possibilité de pouvoir accueillir chaque année, des pièces de valeur. Que l’on soit pour ou contre la rencontre de l’art contemporain avec ce type d’édifice sacré, l’exposition a le mérite de pouvoir ouvrir le site aux yeux du grand public, et d’assurer sa valorisation en l’animant quelques mois durant l’année. La présence de l’œuvre et du médiateur sur place pendant toute la durée de la manifestation permet aussi à cette église isolée, d’être habitée et surveillée. Du fait de sa localisation remarquable au cœur des gorges de l’Hérault, la médiation intègre également la sensibilisation du public au respect du site et du patrimoine alentour, tant architectural que naturel.
c/ Préparer la manifestation, d’après un entretien avec Marie-Caroline Allaire-Matte, commissaire de la manifestation IN SITU – Patrimoine et art contemporain « Le commissariat d’exposition a été à nouveau confié par le Passe Muraille, chargé de la coordination, à Marie-Caroline Allaire-Matte. Les artistes ont été choisis pour la qualité de leurs œuvres et la pertinence de leur projet. Chaque intervention artistique fait l’objet d’une réflexion approfondie sur le site concerné, son histoire, son architecture et son environnement. L’implication des artistes est à la hauteur de l’exigence des gestionnaires des lieux15. »
Le choix des sites Lors de notre entretient, Marie-Caroline Allaire-Matte me confie tout d’abord que la manifestation IN SITU - Patrimoine et art Contemporain a débuté à l’origine, dans le cadre d’un appel à projet de la région sur les chemins de l’histoire. Ce projet avait été élaboré d’après un concept spécifique pensé selon trois axes directeurs, et qui avait pour objectif de donner précisément de la visibilité au canal du midi, au chemin de Saint-Jacques de Compostelle, et à la Via Domitia. La première édition de la manifestation en 2012 fut consacrée cette année là à la piste du chemin de Saint-Jacques de Compostelle. La région décida rapidement par la suite de s’affranchir de cette contrainte thématique et géographique, tout en conservant le principe de relation entre des œuvres artistiques éphémères et le patrimoine. C’est Le Passe Muraille, structure de valorisation et de réhabilitation du patrimoine, qui porte la manifestation à ses débuts et prend en charge le choix et le démarchage des sites. Le fonctionnement a changé depuis, et c’est aujourd’hui les sites qui viennent vers la manifestation dans le souhait de pouvoir intégrer le parcours du point de vue artistique et culturel, mais aussi touristique et médiatique. Privés comme publics et 32
15. extrait du Communiqué de Presse de la manifestation IN SITU - Patrimoine et art contemporain 2015.
connus ou non, ces sites doivent en premier lieu être classés au titre des monuments historiques et pouvoir représenter un lieu emblématique pour la région. Comme nous avons pu l’aborder plus haut, l’idée est de pouvoir croiser à la fois des sites notoires, connus et très fréquentés, avec d’autres sites beaucoup plus discrets, voir oubliés. Ainsi grâce à la communication et par le biais des médiateurs, la manifestation arrive à faire de ces lieux célèbres, des sites prescripteurs pour d’autres qui le sont beaucoup moins. Le cas de l’église Saint-Etienne d’Issensac est un exemple emblématique, ce lieu n’étant parfois même pas perçu aujourd’hui alors que beaucoup de personnes vivent pourtant autour de cet endroit là.
Le choix des artistes D’après Marie-Caroline Allaire-Matte, il existe des fonctionnements différents selon les structures même si à l’arrivée, cela n’est pas quelque chose de perceptible par le public. Certaines manifestations telles que Horizon Nature localisée dans le Puy de Sancy procèdent par exemple par l’intermédiaire d’appels à candidature. Davantage ancrée dans la lignée de L’art dans les Chapelles, Marie-Caroline Allaire-Matte m’explique avoir une approche différente de celle-ci. Craignant d’être amenée à choisir un artiste par défaut, la commissaire d’exposition m’explique préférer aller d’elle-même à la rencontre des artistes qu’elle imagine pouvoir correspondre à l’esprit d’un lieu auquel elle pense en particulier. Parfois, et cela plus particulièrement dans le cadre de sites gérés par des partenaires privés, Marie-Caroline Allaire-Matte fait simultanément la proposition de trois artistes aux démarches artistiques divergentes. Pour faciliter la réflexion, elle transmet pour chacun d’entre eux une documentation constituée de la biographie, de l’actualité et de photos d’œuvres réalisées par l’artiste. Pour elle, le fait de pouvoir choisir entre des approches artistiques hétérogènes, incite les gens à être partie prenante de l’œuvre et davantage impliqués dans la manifestation. Si pour autant aucun artiste ne convient aux attentes, la commissaire d’exposition propose à nouveau d’autres pistes. Le cas de l’église Saint-Etienne d’Issensac est encore différent. Dans ce site, c’est le directeur du FRAC qui choisi chaque année une pièce de sa collection qui viendra investir l’édifice le temps de la manifestation. Il l’accompagne éventuellement par un texte, et la présente au moment du vernissage, en plus de faire le relais de la communication sur le site internet du FRAC. Cela permet de donner de l’intérêt à l’œuvre et à l’artiste, vivant ou non, tout en donnant de la visibilité au FRAC. C’est ce qu’on appelle un partenariat.
Le choix des œuvres Pour Marie-Caroline Allaire-Matte, l’association de certaines œuvres contemporaines à certains sites n’est parfois pas toujours évidente. Elle évoque l’exemple de Exciterne 33
de Anita Molinero, œuvre prêtée par le FRAC et exposée dans l’église Saint-Etienne d’Issensac lors de l’édition 2013. L’œuvre se compose d’une imposante citerne de plastique dont la surface a été travaillée et modifiée sous l’effet de la chaleur. Complètement déformé et boursouflé, l’ancien réservoir à bétail semble avoir explosé et dégradé la cage de métal qui le contenait. Pour la commissaire, il est parfois difficile de trouver une légitimité dans de tels lieux consacrés, mais c’est aussi un défi qui est très intéressant. « On force les œuvres dans leur retranchement, mais cela fait émerger des choses un petit peu plus nerveuses, ça n’endors pas les gens16. » Dans le cas de l’intervention de Rainer Gross, c’est le site de Narbonne qui désirait recevoir l’artiste depuis quelques temps déjà. Étant précédemment intervenu dans le cadre de la manifestation IN SITU au Prieuré Saint-Michel de Grandmont en 2012, Marie-Caroline Allaire-Matte connaissait déjà bien le travail de l’artiste. Dans ce contexte de confiance, Rainer Gross a pu avoir relativement « champs libre » dans les limites du budget, de la sécurité vis à vis de la circulation des visiteurs, ainsi que du respect du site. Pour autant, la commissaire m’explique ne pas donner « carte blanche » aux artistes. Ainsi ils proposent un projet qu’elle accompagne, documente et qu’elle présente en parallèle aux lieux. Il est déjà arrivé que pour des raisons pratiques mais aussi morales, des projets n’aient pas été retenus. Tout le travail de la commissaire consiste donc à coordiner et à vérifier en permanence que l’artiste puisse s’épanouir dans son travail en même temps que cela corresponde aux attentes de la manifestation et du lieu. Cela représente des allers-retours permanents pour s’assurer que tout le monde soit satisfait. La communication et l’aspect relationnel sont très importants en amont afin qu’il n’y ait pas de déception par la suite. Le temps étant néanmoins souvent compté, il s’avère parfois difficile de tout anticiper, et il est déjà arrivé que certains éléments lui échappent. C’est récemment avec l’exemple de Un vitrail de Pierre Malphettes, que la commissaire me confie s’être rendue compte trop tardivement qu’un détail esthétique important n’avait été relevé sur les esquisses. A ses yeux, l’aspect bien trop coloré et « spectaculaire » véhiculé par l’installation n’était pas en accord avec l’esprit du lieu. En guise de conclusion, les visiteurs pourront retrouver sur l’édition prochaine, les mêmes sites que ceux parcourus cet été avec l’introduction de quelques nouveautés. Cette édition 2016 promet donc d’être un peu plus agrandie en restant encore pour cette année, dans les limites de l’ancienne région Languedoc-Roussillon. Peut-être franchira t-elle le pas pour 2017 ? Affaire à suivre. 16. Propos recueillis lors d’un entretien avec Marie-Caroline Allaire-Matte, commissaire de la manifestation IN SITU – Patrimoine et art contemporain, décembre 2015.
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Un vitrail, Pierre Malphettes, Êglise Saint-Martin-de-Londres, 2015 Š Florine Senouillet
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PARTIE 2 - 2100, UNE OEUVRE DE RAINER GROSS AU PALAIS DES ARCHEVÊQUES DE NARBONNE « Mon travail c’est d’abord l’envie de sculpter, de créer en trois dimensions, de délivrer une approche visuelle et esthétique qui entre en dialogue avec le site, sa richesse, ses contrastes17. » Le travail de Rainer Gross se présente sous la forme de sculptures monumentales réalisées en bois, par l’assemblage d’une multitude de lattes de peuplier préalablement noircies. Superposées et associées une par une les unes aux autres dans le sens de la longueur, l’artiste vient dessiner dans l’espace avec ce qu’il nomme généralement « faisceau ». Brouillant les limites entre la sculpture et l’architecture, Rainer Gross a développé un univers et un langage artistique qui lui sont maintenant singuliers. Bien que son geste appartienne à une approche commune et quelque peu répétitive à l’ensemble de ses sculptures monumentales, chacune d’elle offre l’expérimentation insolite d’une installation inscrite et réalisée pour un lieu spécifique. Étroitement liées au patrimoine naturel ou bâti, ses œuvres sont le fruit d’un travail élaboré in situ, offrant aux spectateurs la possibilité d’appréhender et d’expérimenter le site d’une nouvelle manière, et cela en faisant écho à l’histoire.
17. Rainer Gross – Flux, Ville de Poitiers et Musée SainteCroix, 2014, p. 64. 18. Rainer Gross / Regard d’artiste, Paris, Bernard Chauveau Éditeur, coll. « Couleurs Contemporaines », 2011, p. 22.
Depuis A ciel ouvert, œuvre réalisée en plein air dans le Massif du Sancy en Auvergne en 2007, Rainer Gross est intervenu de nombreuses fois en France. Il produit notamment L’éternel maintenant dans le prieuré de Saint-Michel-de-Grandmont situé dans l’Hérault, dans le cadre de la première édition de la manifestation INSITU - Patrimoine et art contemporain en 2012. C’est avec une œuvre intitulée 2100, qu’il investit cette fois-ci le Palais des archevêques en 2015, à l’occasion de la 4ème édition de la manifestation.
1/ 2100, une œuvre sur mesure
a/ le temps du « premier contact18 » 37
Le palais des archevêques, un lieu de mémoire remarquable Le palais des archevêques, avec la cathédrale Saint-Just et Saint-Pasteur, forment aujourd’hui un ensemble architectural remarquable et complexe, édifié progressivement au cours des siècles derniers. Maintes fois remanié durant l’histoire et adapté aux besoins, aux désirs ou encore aux goûts des époques et de ses habitants successifs, ce lieu de religion, de pouvoir et de vie conserve aujourd’hui les marques de ses diverses restructurations. « Ce mélange d’architecture militaire, religieuse et civile, fait donc du palais archiépiscopal de Narbonne un édifice des plus intéressants à connaître. […] Le palais archiépiscopal de Narbonne est d’autant plus curieux à étudier, qu’il dut servir de point de départ pour construire le palais des papes à Avignon, […]19. » Au moyen-âge, le Palais des archevêques se situe à l’angle Sud-Ouest de la cité antique, au croisement de deux axes majeurs perpendiculaires fermés à leurs extrémités par des portes et dont l’un d’entre eux suit le tracé romain de la Via Domitia. Situé en plein cœur de Narbonne, il est accolé à la prestigieuse cathédrale Saint-Just débutée en 1272, et se compose de deux palais. On distingue le « palais vieux » et le « palais neuf », tous deux disposés autour d’une cour centrale respective et séparés par une voie publique nommée le passage de l’Ancre. De style roman, le premier fut édifié à partir du Xe siècle. C’est le lieu de vie de l’archevêque, mais le vicomte ou seigneur laïc étant le meilleur ennemi des prélats, il constitue aussi une forteresse à défendre. Ce n’est que bien plus tard vers la fin du XIIIe siècle, que la construction d’un donjon par l’archevêque Gilles Aycelin, marque le point de départ d’un nouveau palais gothique. Bien que reliée plus tard par une galerie franchissant la rue en toute sécurité, la tour est à l’origine séparée du palais par le passage de l’Ancre. Positionnée de manière stratégique, cette construction qui est aujourd’hui encore intacte, domine du haut de ses 42 m le canal reliant le port ainsi que le palais et la tour mauresque du vicomte situés juste en face. L’actuelle place de l’Hôtel de ville, anciennement place aux Herbes est à l’époque partagée en deux, une moitié appartenant à l’archevêché et l’autre au Vicomte. Lors de récents travaux d’aménagements en 1997, c’est sur cette même place que seront découverts les vestiges de la Via Domitia qui reliait l’Italie à l’Espagne au IIe siècle avant JC. Restaurée et aménagée, une portion des fouilles est aujourd’hui visible et accessible sur la place. Bordée de trottoirs, la voie se compose de grosses dalles de calcaire certainement polies par le temps et le passage des chars. Appuyées sur le rempart romain, de nouvelles constructions et transformations sont successivement entreprises au cours des siècles qui suivent. Parmi ces grandes métamorphoses, d’importants travaux d’aménagements sont par exemple réalisés lorsque les archevêques décident de transférer leurs appartements dans le « palais neuf », à l’origine utilisé pour loger les officiers. Un nouvel étage est aménagé, nécessitant alors 38
19. Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Paris, F. de Nobele, 1967, t.7 : Palais - Puits, p. 21.
Narbonne, carrefour des routes Palais et châteaux des archevêques de Narbonne Xe - XVIIIe siècle, Lyon, Éditions Lieux dits, Coll. « Focus Patrimoine Languedoc-Roussillon », 2012.
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Vue cavalière du palais des archevêques de Narbonne, Viollet-le-Duc, figure 13, extraite du Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, tome 7, p. 25.
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de rabaisser la salle des Synodes située au premier étage, et de détruire les voûtes du chœur de la chapelle Saint-Martial et de la Madeleine. Afin d’accéder aux appartements constitués d’une série de pièces en enfilade qui ceinturent la cour du « palais neuf », l’ancien escalier à vis de la tour est remplacé par un imposant escalier d’Honneur en 1620. L’aspect fortifié est atténué par le placage de façades classiques donnant sur la cour. Le « palais vieux » devient progressivement une annexe du « palais neuf », et la cour de la Madeleine se voit aménagée en basse-cour. On y élève de la volaille et on y trouve une écurie, ainsi que des réserves entre autre de blé et de vin. Le « palais vieux » deviendra même une prison après la révolution. « Ces constructions sont élevées en belles pierres de Sijean et de Béziers; elles couvrent une surface de 4000 mètres environ, déduction faite des cours, et malgré les nombreuses mutilations qu’elles ont subies, bien que des couvertures plates modernes et sans caractère aient remplacé les anciennes toitures à pentes rapides, bien que des adjonctions misérables, ou l’abandon, aient détruit plusieurs de leurs parties les plus intéressantes, elles ne laissent pas d’en imposer par leur grandeur et leur puissance20. » Lorsque la ville acquiert le palais des archevêques au milieu du XIXe siècle, l’architecte Viollet-le-Duc célèbre pour ses travaux de restauration, est mandaté pour y aménager un hôtel de ville. C’est sans trop d’égards que ce dernier décide de démolir la façade Est de style oriental qui était utilisée comme courtine entre le donjon Gilles Aycelin et la tour Saint Martial. Viollet-le-Duc la remplace par un nouveau bâtiment qui accueillera l’actuel Hôtel de ville, et dont la façade néogothique offre une entrée plus prestigieuse sur la place. En plus de l’actuel Hôtel de ville, le palais des archevêques accueille aujourd’hui le musée des Beaux-arts dans les anciens appartements archiépiscopaux du « palais neuf », et le musée archéologique occupe une majeure partie du « palais vieux » depuis 1947. D’après le site internet de la ville de Narbonne, un projet de Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine situé au cœur du palais serait à venir. Nous venons de le voir, le palais des archevêques constitue un véritable palimpseste architectural. Autant grandiose que complexe, les différents édifices constituent un ensemble monumental particulièrement difficile à appréhender au début. L’ensemble du palais est classé aux monuments historiques dès 1840.
Le lieu, une source d’inspiration 20. Id............................ 21. Rainer Gross, IN SITU - Patrimoine et art contemporain 2015, catalogue d’exposition, Montpellier, Éditions méridianes, 2015, p. 9.
« Mes installations sont en premier lieu le fruit du plaisir de la création plastique, celui de « construire et dessiner dans l’espace » et elles sont toujours indissociablement liées au lieu de leur construction vu qu’elles dépendent totalement de leur environnement comme source d’inspiration21. » 41
Rainer Gross le dit lui-même, « ce premier contact est un moment fort22 ». Il s’agit d’un temps fondamental durant lequel l’artiste va s’imprégner pleinement et se laisser inspirer par l’univers du lieu. En quête de détails, d’anecdotes clefs, ou encore d’usages oubliés, l’artiste se documente en amont sur le site et sur son histoire. Ce sont autant de prises qui, couplées à l’atmosphère du lieu, l’aident à trouver l’inspiration et à partir desquels il pourra rebondir par la suite. « Pour moi, c’est important d’abord de me promener, de me pénétrer de l’espace, des particularités d’un lieu, de la beauté, des points de vue ou des perspectives qui se présentent. En me baladant ainsi, l’émotion intervient évidemment. On est frappé par tel ou tel détail qui soudain apparaît23. » L’intervention de Rainer Gross au Palais des archevêques fut un rendez-vous longuement anticipé. Il réalise en effet une première visite du palais fin 2013, soit deux années auparavant. C’est assez naturellement et instinctivement que son attirance se porte alors sur l’escalier d’Honneur du « palais Neuf » abordé précédemment. Cette construction verticale monumentale apparaît alors comme un défi pour l’artiste. Il s’agit à l’origine d’une tour médiévale semi-cylindrique fondée sur des bases antiques. Rappelons qu’au XVIIe siècle, l’ancien escalier à vis médiévale et remplacé par l’actuel ouvrage de pierre. « Il s’agit d’un escalier classique à balustres, se développant en quatre volées droites autour de huit piliers qui – malgré l’élégance indéniable de l’ensemble – confèrent à cette cage d’escalier aussi une grande rigidité et lourdeur ainsi que – visuellement – une certaine «étroitesse» en bloquant continuellement l’une ou l’autre perspective24. » Rainer Gross réalise ensuite une seconde visite de site en janvier 2015. Il effectue un travail de relevé, et note à ce moment-là, de nouvelles informations qui s’avéreront précieuses et décisives pour l’élaboration du projet. Parmi elles, il constate notamment la présence de l’imposante grille de fer forgé au-dessus de la porte, la grille de défense en fer sur la fenêtre aveugle, les créneaux disposés au sommet de l’édifice, ainsi que la reproduction de la Louve Capitoline offerte à Narbonne par la ville de Rome, à l’occasion des 2100 ans de la fondation de la ville. Comme il l’explique lui-même, cette sculpture permettra d’élargir son projet vers un ensemble d’installations d’une plus grande envergure, et sera également influente pour le titre de son projet. Ce travail réalisé en amont nous montre bien que la future installation sera fortement liée au lieu dans lequel elle viendra s’inscrire et y prendra tout son sens. A chaque projet, l’histoire du site et ses éléments existants sont autant de pistes qui permettent à l’artiste, et cela au-delà d’une esthétique souvent singulière à l’ensemble de son travail, de proposer des installations à chaque fois bien différentes.
22. Rainer Gross / Regard d’artiste, op. cit., p. 22. 23.
Ibid.,
p.
20.
24. Rainer Gross, Dossier de présentation, 2100, cf. annexes.
42
Plan du rez-de-chaussée du palais des archevêques de Narbonne, Viollet-le-Duc, figure 11, extraite du Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, tome 7, p. 22.
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b/ Le temps du projet
L’esquisse d’un long travail en amont. « Je parle de dessin dans l’espace, chaque latte un trait de crayon25. » L’élaboration de l’installation se poursuit ensuite dans l’atelier de l’artiste, situé en Belgique. Afin de concevoir ses projets, Rainer Gross réalise des croquis de l’œuvre projetée dans son contexte ainsi que des insertions de croquis sur photos. Ces derniers font état de l’emplacement, du volume ou encore du mouvement de l’installation dans l’espace, et sont annexées de notes descriptives. D’après ces propos, l’artiste souligne néanmoins que ses « représentations simplifiées26 » ne permettant pas de représenter de manière concrète, la diversité des points de vues et des perspectives qui s’offriront ensuite au visiteur. Schématisé quelques fois par un ruban dans ses dessins, l’esthétique et l’intensité à la fois compactes et translucides du faisceau semblent en effet être délicats à retranscrire. Dans un second temps, l’artiste est ensuite confronté aux difficultés techniques que soulèvent ses installations monumentales, et doit également procéder à l’estimation quantitative bien souvent complexe de ses projets. Ayant toujours peur de manquer, Rainer Gross me confie souvent terminer le montage de ses installations avec plus de lattes que prévues. Lorsque l’esquisse de l’installation est suffisamment aboutie, Rainer Gross, et cela davantage pour les grands projets comme 2100, travaille ensuite en maquette. Cette projection à échelle réduite lui permet de se représenter l’œuvre dans ses trois dimensions et de régler d’avantages de détails. Enfin, la dernière étape qui précède l’installation consiste à commander les lattes de bois, les teindre, et préparer le matériel nécessaire ainsi que le transport. Les lattes de peuplier utilisées proviennent du Brabant wallon, une province située au centre de la Belgique et plus précisément de la scierie d’un ami de l’artiste. Techniquement, les planchettes mesurent 3,20m de long pour 10cm de large et 0,8cm d’épaisseur. La découverte de ce matériau n’est autre que le résultat d’une rencontre hasardeuse. Alors qu’il travaillait sur pierre à l’époque, c’est à l’occasion de Inclusion sculpturale, sa première installation « in situ » réalisée en 1994 dans le parc du château Malou en région bruxelloise, que Rainer Gross tombe sur des lattes de bois en arpentant un magasin de matériaux. Si ces dernières sont aujourd’hui teintées d’acrylique noir, les planchettes étaient initialement noircies au chalumeau.
Portrait objectif de l’œuvre. Le souhait ayant été exprimé de ne pas se limiter à l’intérieur de l’édifice, l’œuvre investit l’escalier et la cour d’Honneur du palais par le biais de trois installations positionnées à des endroits emblématiques de l’édifice. Dans la fiche artistique que Rainer 44
25. Rainer Gross – Flux, op. cit., p. 64. 26. Rainer Gross, Dossier de présentation, 2100, cf. annexes.
Croquis prĂŠparatoire, 2100, Rainer Gross, palais des archevĂŞques, Narbonne, 2015
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Gross élabore en amont pour ce projet, il prévoit de réaliser trois sculptures de formes et de tailles différentes, dont la longueur totale des trois faisceaux approche approximativement les 95m. Il s’agit ici d’une œuvre relativement nouvelle dans la carrière de l’artiste car c’est la première fois qu’il combine trois installations en une. C’est aussi pour la première fois dans cette œuvre, que les faisceaux de Rainer Gross défient autant la verticalité et la gravité. D’après ses propres écrits, communiqués à l’équipe de la manifestation IN SITU dans un dossier d’avant-projet, Rainer Gross décrit en premier lieu une forme courbée ou cercle non fermé, située à la droite de la porte de l’escalier d’Honneur, côté cour. Fixée sur la grille de défense qui « protège » une fenêtre aveugle, cette première installation « décrit à peu près deux tiers d’un cercle. Elle «plane» au-dessus des spectateurs27 ». Cette dernière contraint alors les visiteurs à passer en dessous pour entrer dans le bâtiment. « Avec ses deux extrémités libres elle paraît incomplète, encore à achever, peut-être un peu menaçante, comme si elle voulait saisir ou attraper « quelque chose »28 ». Faute certainement de difficultés techniques ou de sécurité, les ambitions de cette sculpture seront finalement revues à la baisse. Rainer Gross prévoit ensuite de réaliser une seconde sculpture, à cheval entre l’intérieur et l’extérieur de l’édifice. Il s’agit d’un cercle ou « anneau fermé29 » qui sort par la fenêtre du premier étage et entre par la grille en fer forgé au-dessus de la porte. A l’intérieur, la sculpture prend appuie sur la balustrade du premier étage qui correspond au second palier de l’escalier. Positionnée dans l’axe de ce dernier, l’œuvre dessine un cercle d’environ huit mètres de diamètres. L’artiste décrit enfin « une forme linéaire avec un tracé vertical en spirale qui commence entre les pattes de la Louve, traverse les deux étages et finit en sortant par la fenêtre au second étage, côté cour30 ». D’après l’artiste, cette forme en spirale fait référence à l’histoire du lieu et plus spécifiquement à l’ancien escalier à vis disparu et remplacé par l’actuel escalier monumentale. Il s’agit ici de la plus grande et complexe dernière partie de l’œuvre, dont la structure atteint approximativement les dix-neuf mètres de haut, sur seize mètres de long, et huit mètres de large. La largeur de l’œuvre et l’épaisseur du faisceau sont variables. En effet, l’installation est d’abord plus étroite et étirée en partie basse, avant de s’amplifier avec la hauteur. Ainsi dans un mouvement de plus en plus élancé, le faisceau se développe d’abord au centre des huit majestueux piliers de l’escalier avant de s’élargir au niveau du premier étage, et d’atteindre l’amplitude totale de l’édifice dans sa partie haute. C’est dans un dernier élan, et en s’amincissant vers la fin, que ce dernier s’échappe par la fenêtre du dernier étage pour achever sa course à l’extérieur, sur le toit crénelé du bâtiment voisin. Rainer Gross souligne dans son descriptif, la présence d’une croix formée par l’intersection des deux sculptures. Positionnée au niveau du premier étage, cette dernière se dessine à contre-jour, et masque la vue sur la très grande fenêtre du palier suivant. Ayant pour consigne, l’obligation de minimiser l’impact de l’œuvre sur ce lieu prestigieux, seules deux fixations aux murs latéraux permettent de maintenir et de supporter 46
27. Rainer Gross, Dossier de présentation, 2100, cf. annexes. 28. Id............................ 29. Id............................ 30. Id............................
Croquis prĂŠparatoires, 2100, Rainer Gross, palais des archevĂŞques, Narbonne, 2015
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Croquis prĂŠparatoire, 2100, Rainer Gross, palais des archevĂŞques, Narbonne, 2015
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la structure. Pour le reste, l’installation travaille en compression et est parfois soulagée par le renfort de sangles ou de pièces de bois.
2/ Le temps de la rencontre
a/ L’installation « in situ »
Un travail de corps à corps. « L’installation sur place de la sculpture, c’est à dire sa création « grandeur nature », est le vrai temps fort de chaque projet, la phase la plus intense, à la fois stimulante et enrichissante. C’est le moment de vérité, où l’idée de départ et les préparatifs étalés sur plusieurs mois doivent faire preuve de leur validité en quelques jours31. » Voici enfin venu le temps de l’installation in situ ou « le troisième grand moment32 » de l’œuvre qui est aussi le plus intense et le plus court selon Rainer Gross. Si l’œuvre semble être simple en apparence, sa réalisation relève d’une grande complexité de mise en œuvre ainsi qu’une réelle prouesse technique. Débute alors sur un temps très court, un véritable travail de corps à corps entre l’œuvre et l’artiste, souligné lors du vernissage de 2100 par la commissaire Marie-Caroline Allaire-Matte : « Il faut quand même le dire, cela a pris presque quinze jours à deux personnes, c’est un véritable chantier, ce sont des risques et chaque place est un nouveau défi. On n’a pas le souvenir que tu aies fait des choses aussi périlleuses en faisant repartir les lattes vers les toits du Palais des Archevêques, […] ça a été réalisé avec un grand professionnalisme et le plus grand respect pour le patrimoine également33. »
31. Rainer Gross / Regard d’artiste, op. cit., p. 33. 32.
Ibid.,
p.
22.
33. Propos de MarieCaroline Allaire-Matte recueillis lors du vernissage de 2100, le 28 mai 2015 au palais des archevêques de Narbonne.
L’installation de 2100 s’est déroulée du 14 au 25 avril dernier dans le grand escalier et la cour d’Honneur du palais des archevêques. Le chantier, relativement complexe aura nécessité le travail à temps plein de l’artiste aidé sur ce projet par Hervé Orhant, assistant. Il est fréquent que Rainer Gross intervienne seul, mais du fait de la complexité et de la dangerosité de ce projet, l’artiste a ici été secondé. Dans ses écrits, et j’ai pu le constater par moi-même sur le chantier, Rainer Gross explique que l’installation est réalisée par l’assemblage des lattes positionnées puis fixées une à une à l’ensemble. Il s’agit d’un travail de patience et de précision qui ne peut difficilement être exécuté à plusieurs. Lentement et cela planche après planche, l’installation est sculptée sur mesure dans le site. Bien que le résultat soit très fidèle aux esquisses, la retranscription à grande échelle du projet est complexe. L’installation nécessite d’adapter et d’ajuster les lattes au cas par cas. Il n’existe pour cela aucune indication spécifique qui pourrait être communiquée à une équipe d’assistants, ainsi il est fondamental pour l’artiste de décider lui-même du positionnement, de la fixation, du mouvement, de la courbure ou encore de la densité à donner à chaque élément. Ce n’est que patiemment que les lignes se dessinent puis s’épaississent, en « tirant un 49
2100, Rainer Gross, palais des archevêques, Narbonne, 2015 Š Florine Senouillet
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trait, comme un dessin, un coup de crayon34. » Ayant pour consigne d’impacter le moins possible l’édifice, l’installation qui ne dispose que de deux ancrages latéraux, apparaît comme un véritable défi lancé à la gravité. Le peuplier étant une essence polyvalente et facile à travailler, la souplesse, la légèreté et la résistance de ce matériau permettent une bonne adaptation aux contraintes imposées par le site et par l’œuvre. « Et c’est vraiment ce que j’aime faire, voir naître l’installation, assister à sa transformation. Au départ, cela ne ressemble à rien, il n’y a pas assez de rigidité, ce n’est pas stable. Il ne faut pas oublier que chaque latte est flexible. Il faut donc un grand nombre de fixations, de connexions, de vis et de lattes. Et il y a ce moment où, tout à coup, cela prend vraiment forme. C’est toujours un moment très heureux35. »
Le caractère évolutif Rainer Gross ne laisse pas de place au hasard, et il s’agit peut-être là, d’une attitude héritée de son passé de sculpteur où chaque geste devait être parfaitement maîtrisé. Ses sculptures monumentales relèvent d’un véritable travail architectural. Bien maîtrisée en amont, la réalisation in situ s’avère être très fidèle aux esquisses. Pour autant, Rainer Gross explique que l’improvisation et le caractère évolutif font partie intégrante de son travail, devant alors souvent s’adapter aux imprévus rencontrés sur place.
34. Propos de Rainer Gross recueillis sur le montage de 2100, avril 2015. 35. Rainer Gross / Regard d’artiste, op. cit., p. 22. 36. Georges Perec, Espèces d’espaces, Paris, Galilée, 1974, p. 14.
Dans le cas de 2100, la périlleuse difficulté fut tout d’abord d’accéder à la toiture afin de poursuivre l’œuvre sur les créneaux du bâtiment voisin. La faisabilité qui n’était pas assurée de par la difficulté d’accès et la dangerosité de l’opération, fut finalement réussie. En plus de mettre sa propre sécurité en danger, il est important de souligner que Rainer Gross dut prendre des précautions supplémentaires pour assurer celle du public, le site étant resté ouvert durant toute la durée de l’installation. Lors de ma visite sur le chantier, deux autres points sont abordés. La nécessité d’installer un périmètre de sécurité autour de l’œuvre est tout d’abord soulevée. Au détriment de celle-ci à mon goût, mais pour la sécurité demandée envers le public, l’équipe d’INSITU prévoit d’installer des petites barrières à chaînettes au niveau de certains points de l’œuvre risquant de heurter les visiteurs. Cette obligation me surprit beaucoup et m’apparut comme une entrave esthétique et physique à l’immersion et à l’expérimentation des futurs spectateurs. L’installation que je pensais affranchie des règles conventionnelles depuis des décennies, redevenait à ce moment-là, une œuvre très conformiste. Je repensais à la citation de Georges Perec : « Vivre, c’est passer d’un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner36 ». Fort heureusement, les chaînettes furent finalement remplacées par de petites pancartes bien plus discrètes, positionnées sur les marches. Enfin, les fenêtres de l’escalier nécessitant de rester ouvertes pour faire se poursuivre l’œuvre à l’extérieur, la pose d’un plexiglas fut demandé à l’artiste par le conservateur, afin de réduire les courants d’air. 51
« L’harmonie malgré les contrastes37 » « […] Essayer de trouver une unité « conciliatrice » entre les contrastes38. » D’un côté il y a le palais des archevêques qui s’impose de manière rigide, massive et austère, et de l’autre, il y a l’œuvre qui apparaît souple, légère et dynamique. De natures très différentes et fortement contrastées, l’œuvre et le site rentrent en résonance par l’intermédiaire d’une multitude de contradictions sur lesquels joue l’artiste. De cette manière, Rainer Gross oppose l’ancien au nouveau, la permanence à l’éphémère, le minéral au végétal, la ligne droite à la souplesse de la courbe, l’aplomb à la vitesse, la sagesse à l’énergie, l’opulence à la pauvreté, le plein au filaire ou encore tout simplement le blanc au noir. Les œuvres sont élaborées « à partir du lieu, avec et contre lui39 ». Cette citation très éloquente montre comment Rainer Gross tente de susciter l’intérêt et même volontairement la déstabilisation par l’usage d’un certain nombre de contradictions qu’il introduit entre l’œuvre et le site. Malgré cette tension palpable, c’est avec harmonie que Rainer Gross parvient pour autant à faire cohabiter et exister en même temps, le lieu et l’œuvre.
Le rapport au temps Le passage du temps est une dimension extrêmement importante et récurrente dans le travail de Rainer Gross, qui introduit à chaque fois dans ses œuvres, un certain nombre de connotations et d’associations sur l’éphémère des choses et de la vie. L’artiste met ici l’accent sur l’histoire du palais, en réalisant une œuvre qui fait référence aux anciens escaliers à vis. A l’image de cet édifice maintes fois remanié au cours des siècles, Rainer Gross souhaite évoquer l’impermanence de toutes choses, c’est à dire des usages, des constructions mais aussi des êtres dans ce monde. Par le recyclage des lattes de bois réutilisées d’une réalisation sur l’autre, Rainer Gross vient souligner cette idée de cycle et de renouvellement. Au-delà de l’expérience physique immédiate, c’est au travers d’une lecture peut être plus conceptuelle, que l’artiste souhaite interpeller les visiteurs sur la dimension temporelle. Dans 2100, je pense que l’usage de la spirale évoque assez bien cela en faisant référence à l’imaginaire de quelque chose d’insaisissable qui passe et qui nous file presque entre les mains, avant de s’échapper. La relation au ciel connote aussi la continuité vers l’au-delà, l’infini. Dans ses réalisations récentes comme dans L’Infini délimité et L’Éternel maintenant, Rainer Gross introduit le motif ∞, symbole mathématique de l’infini. Les titres de ses œuvres font également souvent allusion au temps. 2100, qui fait le lien avec la Louve Capitoline offerte par la ville de Rome à Narbonne à l’occasion de ses 52
37. Rainer Gross / Regard d’artiste, op. cit., p. 23. 38. Id............................ 39. Rainer Gross à l’abbaye de Noirlac, Noirlac, Centre culturel de rencontre, 2010, p. 9.
2100, Rainer Gross, palais des archevêques, Narbonne, 2015 Š Florine Senouillet 53
2100, Rainer Gross, palais des archevêques, Narbonne, 2015 Š Florine Senouillet 54
2100 ans d’existence, soulève une incompréhension, une ambiguïté. L’artiste explique que ce dernier peut être interprété de deux manières, soit comme une durée de 2100 ans, et c’est l’âge de la ville de Narbonne, ou bien comme une date : l’année 2100 qui, à la fois éloignée comme relativement proche, nous interroge sur notre existence. Exposées seulement sur un temps plus ou moins court et démontées par la suite, les réalisations éphémères sont vouées à disparaître. Lorsque son travail est terminé, Rainer Gross ne manque pas l’occasion de faire des photographies de ses installations. Il s’agit là d’un moment privilégié et considéré à part entière dans son travail. En plus du souvenir, les clichés lui permettent de garder une trace de l’œuvre dans le temps, mais sont aussi essentielles pour sa communication. « J’essaie de capter le moment, cette ambiance, et la particularité des installations par la photographie40. » Il faut néanmoins garder à l’idée que l’image produite n’offrant qu’un seul point de vue statique et morcelé de l’œuvre dans son contexte, ne remplace pas l’expérience vécue. De plus, les cadrages étant stratégiquement choisis, on peut se demander si l’usage de la photographie ne vient pas fausser la réalité, en magnifiant et maximisant quelque peu la monumentalité de l’œuvre. Si la relation au temps est une dimension inhérente au travail de Rainer Gross, l’artiste explique qu’il ne souhaite pour autant imposer une seule lecture des choses au spectateur qui est tout à fait libre de penser, d’imaginer et d’éprouver ce qu’il souhaite. Bien que la réflexion et la méditation soient ensuite quelque chose d’important dans sa démarche, il confie que ce qui compte le plus pour lui reste la dimension spatiale.
b/ L’entrée du spectateur
« Ces installations sont avant tout des « sculptures ». En tant qu’objets, elles se découvrent tout d’abord à travers le prisme des sens, c’est à dire que leur perception dépend de la sensibilité de chacun face à leur tridimensionnalité et leur présence plastique, leur tactilité et qualité graphique, en tant que « dessin dans l’espace »41. »
Une multiplicité de points de vues
40. Rainer Gross / Regard d’artiste, op. cit., p. 22. 41. Rainer Gross, IN SITU - Patrimoine et art contemporain 2015, catalogue d’exposition, op. cit., p. 11.
L’arrivée du spectateur intervient lorsque le travail intensif de Rainer Gross s’achève. L’artiste explique que ses réalisations transforment le contexte dans lesquelles elles sont installées et agissent sur la perception des visiteurs. Remettant en question le caractère frontal que l’on connaît aux œuvres plus traditionnelles, la relation entre le spectateur et l’installation se caractérise par un échange actif au cours duquel ce dernier se retrouve à l’intérieur même de la sculpture. Par l’intermédiaire des contrastes forts et des dimensions spectaculaires propres au travail de Rainer Gross, l’artiste nous invite à regarder et à expérimenter différemment l’espace bâti. Traversant, enjambant, 55
passant dessus, dessous ou encore dedans, il explique que c’est au spectateur de participer et de se mouvoir dans l’espace de l’installation qui ne peut être appréhendée d’un seul coup d’œil. En se déplaçant, le visiteur va multiplier les points de vue et ainsi pouvoir réaliser un travail de réinterprétation et de reconstitution mentale. Particulièrement démontré pour 2100, le parcours et l’implication du visiteur sont fondamentaux pour faire l’expérience totale de l’ensemble. En effet, l’étroitesse visuelle de l’espace générée par la massivité des piliers, des escaliers, des paliers, ou encore des balustrades cachant constamment une partie de la structure, ne permet pas de saisir l’installation dans sa totalité. Au fur et à mesure de son ascension, le spectateur va pouvoir intérioriser l’ensemble du projet et comprendre par exemple que l’installation est composée séparément de l’enchevêtrement d’une spirale verticale et d’un anneau fermé. La présence de l’œuvre permettra également au visiteur de regarder peut-être plus attentivement et longuement, le contexte bâti dans lequel il se trouve.
La tête en l’air, d’après mon expérience « in situ » Depuis l’entrée sous l’hôtel de ville comme celle située au niveau du passage de l’Ancre, 2100 crée l’étonnement et retient l’attention des passants, d’un point de vue comme de l’autre. La présence de cette structure énigmatique dans un tel contexte attise les regards et intrigue. Perchée sur l’une des façades classiques de la cour d’honneur, l’œuvre vient perturber tant par sa forme, sa couleur que sa matérialité, l’austérité et l’ordre établis dans ce lieu. Relevant à première vue de l’univers du chantier pour beaucoup de spectateurs, l’aspect visuel de la structure évoque souvent dans un premier temps, celle de tuyau en métal. Étrangement sombre et comme calcinée, l’installation crée un décalage fortement contrasté avec le site dans lequel elle s’inscrit. S’agit-il ici d’une œuvre d’art contemporaine ? Cette dernière est-elle ou non achevée ? Les visiteurs sont surpris. L’ambiguïté et l’incompréhension sont alors palpables, mais qu’elle plaise ou non, l’installation éveille la curiosité et invite surtout le passant à se rapprocher. Depuis les deux entrées, l’installation se révèle lentement au fur et à mesure du cheminement, et c’est la tête en l’air que le public progresse à l’intérieur de la cour d’Honneur. On discerne une première partie qui, décrivant une courbe, sort de la fenêtre du premier étage pour rentrer à nouveau à l’intérieur de l’édifice par les grilles forgées de la porte. On aperçoit ensuite un morceau de cercle suspendu à la grille d’une fenêtre aveugle. Tout en haut du monument, un faisceau s’échappe par la fenêtre du dernier étage et s’achève pointé vers le ciel, sur le toit crénelé d’à côté. La curiosité pousse le visiteur à aller voir cela d’un peu plus près. Lorsque l’on franchit le seuil de la porte, le spectateur découvre l’imposant escalier d’honneur qui se dresse devant lui. Massif, l’ouvrage de pierre repose solidement sur ses huit pilastres. En son centre, il fait connaissance avec la sculpture en bronze de la 56
2100, Rainer Gross, palais des archevêques, Narbonne, 2015 Š Florine Senouillet 57
Louve Capitoline. Prenant spontanément naissance dans les pattes de cette dernière, un morceau de la sculpture se développe verticalement et nous invite à lever les yeux à nouveau. L’installation qui semble se poursuivre et se déployer aux étages supérieurs, incite le visiteur à débuter son ascension. On comprend assez rapidement qu’il s’agit d’une structure linéaire complexe, réalisée dans et pour cet édifice. Des pattes de la Louve, le faisceau débute énergiquement sa course en percutant tout d’abord un premier pilier avant de rebondir sur un second. Fluide, énergique mais aussi assez obscur, ce dernier parait s’être introduit par effraction. Maintenant pris au piège à l’intérieur de l’édifice, le faisceau semble s’élever pour tenter de chercher une issue. Cette promiscuité entre l’installation et le site m’apparaît dans une atmosphère conflictuelle. L’installation me tiraille entre deux sentiments. A cette force tranquille et massive que représente le lieu s’oppose celle, légère, agile et rapide qu’incarne le faisceau. Envahi par cette installation que tout oppose, l’imposant ouvrage de pierres semble vouloir s’affirmer et s’imposer davantage. Bien que nerveuse, l’œuvre ne semble en rien venir ébranler pour autant ce bâtiment debout depuis maintenant des siècles. Marche après marche, les visiteurs comme aspirés par l’œuvre, tentent de suivre le faisceau des yeux et de dénouer cette énigme. La tête constamment en l’air, cela donne presque le vertige, et ce n’est qu’une fois parvenue au premier palier que la structure se révèle enfin davantage. Je pense que ce n’est qu’à cette étape du parcours que le spectateur saisit qu’il s’agit en réalité de deux installations enchevêtrées, composées réciproquement d’un anneau fermé et d’une spirale ascendante. Un banc situé sur ce palier, invite le public à effectuer une pause dans le parcours et à prendre le temps de contempler ce spectacle. La présence d’une porte de sortie conduisant sur le jardin, abrège malheureusement aussi à ce même niveau, l’expérience d’un certain nombre de visiteurs. Pour les spectateurs les plus impliqués, la suite de la montée offre la possibilité de se rapprocher un peu plus de la sculpture. Bientôt à portée de mains, la matérialité se révèle enfin. En toute simplicité, l’installation nous dévoile les caractéristiques de sa mise en œuvre et nous expose même ses imperfections. Les lattes noircies et relativement rugueuses portent les cicatrices de précédents montages, et ce n’est parfois qu’à ce stade de la progression, que certains visiteurs réalisent qu’il s’agit de latte de bois. Le premier étage est peut-être le moment le plus intense du parcours, celui où le public se retrouve entouré par l’installation. Invités à passer dessous et même dedans, la spirale de bois nous immerge dans une expérience spatiale et visuelle. Le faisceau qui nous frôle se compose d’une superposition de lattes créant à la fois un jeu de densité et de transparence. A ce même étage, la sculpture pousse notre curiosité à nous diriger vers la fenêtre qu’elle transperce pour se poursuivre à l’extérieur. Ce nouveau point de vue offre au spectateur l’occasion de découvrir la cour d’Honneur et ses façades autrement. En contrebas, on peut observer les visages des promeneurs qui évoluent dans la 58
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2100, Rainer Gross, palais des archevêques, Narbonne, 2015 Š Florine Senouillet
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2100, Rainer Gross, palais des archevêques, Narbonne, 2015 Š Florine Senouillet
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cour, en regardant la tête en l’air, dans notre direction. Un peu plus haut, la trajectoire de ce tourbillon s’amplifie encore, et c’est sous l’imposante voûte que l’ascension semble bientôt s’achever. Le spectateur est contraint dans sa montée, de passer une nouvelle et dernière fois sous le faisceau. En se penchant par-dessus la balustrade, ce dernier peut profiter d’une vue vertigineuse sur l’installation qui évolue et enlace les piliers de l’escalier sous ses pieds. Certainement faute de difficulté technique, le faisceau semble ensuite s’enfuir rapidement. Ainsi c’est soudainement dans un dernier élan, que la structure effectue un virage grandiose. Elle ricoche sur la balustrade avant de s’échapper par la fenêtre. Au-delà de celle-ci, le faisceau disparaît un peu plus haut derrière les créneaux du toit voisin. On peut se demander quelle serait l’attitude du public sans la présence de l’œuvre. Bien évidemment, le palais des archevêques, par sa qualité et sa grandeur, se suffit à lui-même pour exister pleinement et susciter l’intérêt. Je pense pour autant que la présence de cette installation invite le passant à lever la tête et à regarder autrement voir peut-être même plus intensément certains détails qui l’entourent. Que l’on soit séduit ou non, 2100 offre par son caractère insolite, la possibilité d’appréhender et d’évoluer différemment dans cet ensemble remarquable que constitue la cour et l’escalier d’Honneur du palais des archevêques de Narbonne.
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Croquis de 2100, escalier d’Honneur, palais des archevêques, Narbonne, 2015
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2100, Rainer Gross, palais des archevêques, Narbonne, 2015 Š Florine Senouillet
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2100, Rainer Gross, palais des archevêques, Narbonne, 2015 Š Florine Senouillet
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PARTIE 3 - ART CONTEMPORAIN ET PATRIMOINE, UNE ASSOCIATION QUI DESTABILISE 1 / La médiation artistique La médiation artistique naît avec la volonté de faciliter l’accès d’un plus grand nombre à l’art. Tous les ans, un important travail de médiation est réalisé dans le cadre de la manifestation IN SITU – Patrimoine et art contemporain, qui accueille à chaque édition aux mois de juillet et d’août, des médiateurs affectés sur chacun des sites.
a / Un intermédiaire indispensable ?
« [...] « Le public » est une notion neutre, sans visage, qui cache des individus et une multitude de caractères et d’attitudes42. »
Faire le lien Pour Marie-Caroline Allaire-Matte, commissaire de la manifestation IN SITU, le rôle de la médiation est indispensable sur ce type d’événement, et assure à ses yeux, une très grande part du succès de la manifestation. La première édition d’IN SITU en 2012, n’ayant instauré aucun lien de partage avec le spectateur, Marie-Caroline Allaire-Matte m’explique que c’est elle qui a imposé une médiation sur l’événement. Aujourd’hui, la médiation passe tout d’abord par les médiateurs présents sur chacun des sites, et qui accueillent le public en leur donnant une explication sur le lieu, sur l’œuvre, mais aussi sur la manifestation ainsi que sur le territoire. La médiation englobe également le bouche à oreille, les réseaux sociaux, le site internet ou encore la presse.
42. Rainer Gross / Regard d’artiste, op. cit., p. 33.
D’après Léonie Deshayes, médiatrice de l’installation réalisée par Rainer Gross sur le site du palais des archevêques, la médiation fut essentielle et permit d’instaurer alors que certains étaient parfois méfiants ou réfractaires au début, une véritable communication avec les visiteurs. D’après les propos qu’elle a retenu de l’un d’entre eux, la médiation permettrait de mieux comprendre de quoi il est question, et pousserait même
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à réfléchir et à se questionner davantage sur l’art contemporain. La médiatrice confirme que l’œuvre ainsi que sa relation au site paraissait plus claire pour les spectateurs après quelques explications. Beaucoup n’avaient par exemple pas saisi l’ambiguïté du titre de l’œuvre. Grâce à la médiation, les critiques des spectateurs semblaient plus positives, et cela notamment pour les adolescents dans l’ensemble peu intéressés au départ. Léonie Deshayes rajoute qu’un carnet de découverte réalisé spécifiquement pour la manifestation et destiné aux 8-12ans, permettait au jeune public d’approcher plus ludiquement cette installation. Bien que les visiteurs aient été dans l’ensemble très réceptifs à ses commentaires, la médiatrice confie avoir rencontré davantage de difficultés auprès du public senior, majoritairement plus hermétique. De manière générale, elle explique aussi que le public étranger semblait être plus ouvert et réceptif. Bien que Rainer Gross apprécie de parler de son travail auprès du public, et il est amené à le faire parfois sur le montage de ses installations, la question de la médiation n’est pas vraiment une préoccupation. Lorsque le montage est terminé et que sa mission est accomplie, l’artiste ne se soucie guère du futur de l’installation et de la manière dont celle-ci va être reçue par les spectateurs. Étant donné que ses interventions prennent souvent place dans des sites patrimoniaux et/ou sacrés, non dédiés de manière traditionnelle à l’art contemporain, la médiation prend d’après lui tout son sens, afin de ne pas trop surprendre le visiteur.
Amortir le choc et faciliter l’accès à l’art contemporain Dans un site dédié traditionnellement à l’art, comme par exemple dans les musées, c’est le public qui fait lui-même la démarche de venir vers la discipline. Son esprit est ouvert à la rencontre, et dans ce contexte, le visiteur est « préparé » à ce qui l’attend. De part son expérience de galeriste, Marie-Caroline Allaire-Matte m’indique pour autant que « si l’on n’accueille pas les gens pour leur expliquer les œuvres, ils ne restent pas, ils partent43 ». Nous comprenons bien au travers de ce constat, à quel point il est encore plus difficile pour un public novice et qui n’a rien demandé, d’être confronté à l’art contemporain lorsqu’il est introduit sur des sites touristiques notamment patrimoniaux. Dans ce cas de figure, c’est l’art contemporain qui va à la confrontation d’un public non « préparé », et qui ne s’attend bien souvent pas à se heurter à de telles intrusions artistiques sur son chemin. S’il y a des personnes qui savent comment regarder, d’autres, peu ou pas sensibilisées à l’art contemporain, peuvent être rapidement gagnées par l’incompréhension, voir le rejet. La présence de la médiation apparaît donc comme primordiale pour amortir ce « choc » et faciliter l’accès de tous à l’art contemporain. Marie-Caroline Allaire-Matte m’explique avoir l’habitude de préparer les médiateurs à cette difficulté, en leur expliquant que la grande majorité du public de la manifestation n’est pas initiée à l’art contemporain. Les visiteurs peuvent se montrer surpris, cho68
43. Propos recueillis lors d’un entretien avec Marie-Caroline Allaire-Matte, commissaire de la manifestation IN SITU – Patrimoine et art contemporain, décembre 2015.
qués, et certains peuvent aussi ne pas adhérer du tout. L’objectif de la manifestation n’étant pas de susciter la provocation, la commissaire explique que l’objectif est de les accompagner au mieux mais de ne pas chercher à vouloir les convertir. Elle précise ensuite que selon elle, cette incompréhension que soulève l’art contemporain n’est absolument pas nouvelle. Elle prend notamment l’exemple de la Petite danseuse de 14 ans, célèbre sculpture de bronze réalisée par Edgar Degas et présentée lors du salon des impressionnistes en 1881. Méprisée par les critiques, le public s’indigna devant cette « vulgaire sculpture » représentée avec un réalisme choquant. Dans son ensemble, l’art contemporain a toujours été difficile d’accès, et la médiation permet parfois de tendre les clefs de lecture au spectateur, afin de l’aider à franchir le pas de cette immersion. C’est une sorte de coup de pouce afin de le mettre sur la bonne piste et pour l’encourager à ne pas passer à côté de l’œuvre. C’est aussi un tremplin pour l’inciter à mieux voir, ou même le pousser à regarder autrement. Comme le disait l’artiste américain Allan Kaprow, « il faut aller dedans au lieu de jeter un regard sur44. » Davantage éclairé sur l’œuvre ainsi que sur la démarche de l’artiste, il me semble qu’il est plus facile pour le spectateur d’appréhender et d’apprécier l’œuvre. De cette manière, le processus intellectuel relatif à l’œuvre fait à mes yeux partie intégrante de cette dernière, et se doit d’être communiqué. Au-delà de l’expérience immédiate que j’ai pu faire de 2100, je pense que toute la documentation à laquelle j’ai pu accéder, a contribué à me familiariser avec cette installation et à l’apprécier davantage.
La puissance des images La commissaire explique que cette année, l’image de 2100 de Rainer Gross présente en tête d’affiche sur les divers médias, a beaucoup éveillé l’interrogation et l’étonnement du public. C’est cette dimension spectaculaire véhiculée par la photographie de l’installation, qui a suscité la curiosité des spectateurs qui se sont ensuite déplacés pour voir l’œuvre. Les propos de Léonie Deshayes, médiatrice sur IN SITU, viennent confirmer ceux de la commissaire. Il est vrai qu’au-delà de nombreux touristes nationaux comme internationaux présents sur le site, beaucoup de locaux habitant Narbonne et ses environs, informés par la presse, se sont déplacés exclusivement pour découvrir l’installation de Rainer Gross en vrai.
44. Itzhak Goldberg, op. cit., p. 120.
Pour Marie-Caroline Allaire-Matte, l’image est extrêmement importante pour la médiation de la manifestation, des œuvres et des artistes. Elle a appris avec l’expérience que même si certains artistes étaient parfois très connus dans le champ de l’art, leur nom ne suffisait pas à intéresser le public, hormis les personnes impliquées dans l’art contemporain. Ce fut notamment la difficulté rencontrée avec une œuvre sonore de l’artiste Erik Samakh. 69
Affiche de la manifestation IN SITU patrimoine et art contemporain 2015
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b/ Une entremise facultative ?
Une expérience spatiale à la portée de chacun « Je suis attiré par quelque chose parce que ça me parle, parce que je trouve ça beau ou parce que ça m’intrigue. Je pose des questions et parfois recevoir des réponses peut accroître le plaisir que l’on a face à une œuvre d’art, mais parfois ce n’est pas nécessaire45. » Il existe plusieurs niveaux de compréhension d’une œuvre d’art, ainsi comme nous l’avons abordé plus haut, si cette dernière est bien renseignée, il sera plus facile de l’appréhender et de l’apprécier. Néanmoins, cela dépend aussi des œuvres, car si certaines, plus conceptuelles ou intellectuelles peuvent s’avérer difficiles d’accès, d’autres, à l’image des sculptures monumentales de Rainer Gross par exemple, ne demandent pas au visiteur d’être forcément amateur d’art contemporain pour être expérimentées. Rainer Gross le dit lui-même, la réflexion fait partie intégrante de son travail, pour autant, c’est la dimension spatiale et les rapports qu’entretiennent l’installation avec le site qui priment et qui peuvent être appréhendés par chacun. De la même manière au sujet de l’œuvre Cellula abordée précédemment, Hughes Rochette explique que l’installation va parler à tous du fait de la simplicité de son rapport au corps. Bien que cette dernière ait bénéficié de la présence d’un médiateur, les artistes expriment qu’ils auraient préféré une lecture seule et libre de l’œuvre. Mon témoignage évoqué dès le début de ce mémoire au sujet de Les Dormeurs, œuvre de Pedro cabrita Reis installée en 2009 au cœur de l’entrepôt Bichat, vient consolider cette idée. En effet, je n’ai étrangement jamais eu ni essayé d’obtenir des informations et des explications sur cette œuvre. Je me suis satisfaite de l’expérience sensible vécue pleinement comme si cette dernière se suffisait à elle-même. La symbiose entre l’installation et le site était tellement évidente, que je crois que cela se passait de mots.
Une approche subjective et volontaire « Mon but n’est pas de guider le spectateur. Les visiteurs sont libres de penser ce qu’ils pensent. Ils traversent la vie avec les yeux ouverts, je l’espère. Chacun réagit en fonction de sa culture, de sa vie sociale, chacun apporte son élément personnel. Miguel Torga dit que nous créons chacun notre monde, et qu’il y a autant de mondes que de créatures. Chacun fait face à mes sculptures avec son bagage et je n’ai pas envie d’intervenir46. »
45. Rainer Gross / Regard d’artiste, op. cit., p. 23. 46. Id............................
Rainer Gross ne cherche pas à exprimer un message particulier au travers de ses réalisations, ni même à imposer une interprétation de celles-ci. C’est à chacun d’appréhender l’œuvre de façon subjective et cela par l’intermédiaire de ses sens. De cette manière, ses installations sont à la portée de chacun. Il n’appartient ensuite qu’au spectateur d’adopter une attitude propice à l’expérience. Comme Rainer Gross le précise, 71
« L’artiste peut essayer de donner une clé au visiteur, mais c’est le visiteur lui-même qui doit ouvrir la porte - et l’émotion qui va avec47. » En d’autres termes, l’installation artistique est accessible à tout un chacun qui peut se déplacer, voir, éprouver, mais aussi et surtout qui veuille bien se prêter à l’expérience. Les œuvres peuvent largement dépasser l’objet visible produit, mais pour cela, le spectateur doit se montrer réceptif. J’ai parfois pu être choquée par l’indifférence affichée par certains spectateurs à l’égard de l’œuvre de Rainer Gross au palais des archevêques. Quelques-uns ont à peine fait l’effort de dévisager l’œuvre, alors qu’il me semblait pourtant difficile de l’éviter.
2/ Des retours contrastés entre adhésion et rejet « C’est incroyable48 » « Attention la tête » « Ça, c’est moche » « Majestueux » « Ça prend trop de place » « Je croyais que c’était des tuyaux » « C’est original, il fallait y penser » « Ça c’est une œuvre d’art ? … et bien dit donc ... » « C’est osé » « Ah mais ça monte ? » Comme nous l’avons dit précédemment, la cour d’honneur du palais des archevêques constitue un lieu patrimonial remarquable situé au cœur de Narbonne. Fortement investi par les touristes et les locaux, il est également pratiqué par les personnes qui y travaillent quotidiennement. Durant ce mémoire, j’ai eu l’opportunité de me rendre à plusieurs reprises sur le site de l’installation de Rainer Gross, et d’échanger auprès d’un certain nombre de visiteurs quant à leurs opinions vis-à-vis de cette œuvre et de son introduction dans un tel contexte. J’ai souvent observé les réactions notamment sur les visages, mais aussi tendu parfois l’oreille ...
a/ Toucher au patrimoine, un sacrilège
Une vieille querelle De l’installation de l’artiste Daniel Buren au cœur du Palais-Royal en 1986, à Anish Kapoor à Versailles en 2015, en passant entre autres par McCarthy et son « Tree » place Vendôme à Paris, ce n’est pas nouveau. Dès lors que l’art contemporain est introduit dans de hauts sites patrimoniaux, il dérange et suscite bien des agitations. Il s’agit d’un vieux débat opposant les défenseurs de la tradition à ceux de la modernité, et parmi 72
47. Rainer Gross / Regard d’artiste, op. cit., p. 33. 48. Les citations en italiques contenues dans cette partie ont été entendues et reccueillies sur le site du palais des archevêques de Narbonne cet été.
Les Deux Plateaux, Daniel Buren, Palais-Royal, Paris, 1986 © Florine Senouillet
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les nombreuses polémiques, le projet dit des « colonnes de Buren » est certainement la plus célèbre des affaires. Tout juste avant la très controversée pyramide du Louvre édifiée en 1989 par l’architecte Leoh Ming Pei, c’est le projet de Daniel Buren intitulé Les Deux Plateaux, qui « envahit » la cour d’honneur du Palais-Royal. Cette installation permanente composée de 260 colonnes de marbre n’est à cette époque, pas la bienvenue aux yeux de tous. Les défenseurs du patrimoine, avec pour adversaire direct, le ministère de la culture qui est l’investigateur du projet, dénoncent ce scandale en soulevant une lutte contre l’art contemporain. Cette longue affaire suscitera une mobilisation sans précédent pour faire annuler ce projet. « Nouveau scandale au Palais-Royal Parisiens – réveillez-vous – ça suffit – on se moque de vous – Luttons ensemble contre cette folie49 » Après les installations de Jeff Koons en 2008 et celles de Takashi Murakami en 2010, c’est Anish Kapoor, l’un des plus célèbres artistes contemporains au monde, qui sème très récemment la tourmente à Versailles avec entre autres Dirty corner, une sculpture monumentale installée du 9 juin au 1er novembre 2015 dans les jardins du château. Positionnée dans l’axe du monument, l’œuvre se caractérise par un imposant « tunnel » d’acier de soixante mètres de long par dix mètres de haut. Pesant des milliers de tonnes, l’installation qui est recouverte de terre et de pierres, fait écho aux grandes perspectives dégagées par Le Nôtre. « Mon travail n’a aucune vocation décorative. Je veux le faire dialoguer avec l’œuvre de Le Nôtre, qui a ordonné la nature pour l’éternité avec des perspectives géométriques parfaites. Poser des objets de-ci de-là ne sert à rien. J’ai eu l’idée de bouleverser l’équilibre et d’inviter le chaos. Tout en préservant l’intégrité de ce lieu historique : voilà la principale difficulté50. » Chacun y va de son interprétation. Est-ce « un tunnel », « un tuyau », « une trompette » ou encore « un coquillage » ? Bien qu’il s’agisse d’une sculpture totalement abstraite, Anish Kapoor, dans un article du JDD dimanche précise lui-même qu’il pourrait s’agir du « vagin de la reine51. » Les propos de l’artiste étant pris au premier degré, il n’en faut pas moins pour attiser la polémique. « Comment peut-on laisser ce site souillé par une telle vulgarité52 ? », s’indigne David Rachline, maire FN de Fréjus et sénateur du Var sur son blog. Aux yeux des défenseurs de l’histoire, il s’agit une fois de plus d’une offense faite envers le patrimoine national auquel notre société est tant attachée. A l’image des œuvres d’Anish Kapoor, l’art contemporain, introduit dans ces lieux remarquables, viendrait défigurer et nier cet héritage exceptionnel. 74
49. tract anonyme, non signé, non daté et manuscrit. Nathalie Heinich, L’art contemporain exposé aux rejets, Etudes de cas, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 2012, p. 45. 50. Anisk Kapoor dans « Anish Kapoor invite le chaos à Versailles », Stéphanie Belpêche, Le Journal du Dimanche, mai 2015, en ligne sur http://www. lejdd.fr/Culture/AnishKapoor-invite-le-chaosa-Versailles-735120, 51. Id............................ 52. « Le vagin du château de Versailles », Cécile Bourgneuf, Libération, juin 2015, en ligne sur http:// www.liberation.fr/ societe/2015/06/04/ le-vagin-du-chateaude-versailles_1323152
Dirty Corner, Anish Kapoor, château de Versailles, Paris, 2015 © SIPA
Dirty Corner (vendalisé), Anish Kapoor, château de Versailles, Paris, 2015 © www.ouest-france.fr
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Pendant ce temps-là à Narbonne A bien moindre échelle, l’intrusion de 2100 réalisée par Rainer Gross cet été 2015 à Narbonne, a elle aussi fait parler d’elle ! Plusieurs visiteurs ont d’ailleurs fait le rapprochement avec les installations contemporaines exposées à Versailles, et qui selon eux, n’avaient aucune légitimité dans un tel lieu historique. La sculpture narbonnaise dénaturant moins l’architecture que dans le cas des œuvres exposées à Versailles, 2100 a souvent été mieux acceptée grâce à la recherche d’intégration de l’installation vis à vis du site. Comme Léonie Deshayes et moi-même avons pu le constater, le fait que 2100 soit installée de manière éphémère, a eu tendance à rassurer les visiteurs, et à leur faire plus facilement accepter la présence de cette œuvre. D’après Marie-Caroline Allaire-Matte, « On ne s’impose pas pour une durée indéterminée dans un lieu qui leur appartient », et de cette manière, les visiteurs « n’ont pas l’impression que l’on a pris une décision sans eux53 ». Nous comprenons bien au travers de cette remarque, l’attachement affectif éprouvé par le public au regard de cet héritage. Néanmoins, et cela d’après les propos de la médiatrice, plusieurs personnes se seraient montrées très désagréables, voir agressives, l’une d’entre elles disant qu’ « il faudrait tout démonter pour faire un énorme barbecue avec ».
Diverses catégories de rejets Pour Nathalie Heinich, sociologue, on observerait davantage des catégories de rejets plutôt qu’un seul type de rejet unique. En d’autres termes, il y aurait diverses raisons et intensités de refus de la part du grand public vis-à-vis de l’art contemporain. De manière générale, les gens n’aiment pas trop le changement, et cela surtout lorsqu’il s’agit d’une installation qui vient parasiter ce qu’ils affectionnent. Nous venons de le voir, quand certains réfractaires déplorent l’insolence exprimée vis-à-vis du patrimoine, d’autres, pensant que l’art contemporain a besoin de cadres historiques pour exister, se demandent pourquoi les artistes ne s’expriment pas dans des lieux spécifiquement dédiés. Souvent réalisée par l’association d’éléments parfois surprenants et différents, l’installation perturbe nos habitudes esthétiques. Le rejet de la « non beauté » est souvent mis en avant, comme si nous avions associé l’art à la notion du beau, et que celle-ci lui donnait une légitimité. « Ce n’est pas inutile parce que c’est joli ». Dans le cas de 2100, beaucoup de visiteurs ayant vu des « tuyaux en acier » et un univers s’apparentant à celui du chantier, ne savaient pas vraiment s’il s’agissait d’une œuvre d’art ou non. Déstabilisés, ils se demandaient aussi, s’ils trouvaient cela beau ou non. « Je ne peux pas dire que ce soit laid ... ». Pour les plus hermétiques, l’installation allait même jusqu’à « enlaidir » l’escalier. 76
53. Propos recueillis lors d’un entretien avec Marie-Caroline Allaire-Matte, commissaire de la manifestation IN SITU – Patrimoine et art contemporain, décembre 2015.
Fragment urbain, Lilian Bourgeat, palais des archevêques, Narbonne, 2014 Š Florine Senouillet
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La sculpture monumentale de Rainer Gross apparut ensuite « dénuée d’intérêt » ou encore « encombrante » aux yeux de quelques-uns pour qui, cette installation « m’astu vu » prenait trop de place. « On la voit trop » déplora un visiteur ne pouvant plus, d’après lui, prendre de photo de l’escalier. J’ai d’ailleurs été le témoin d’une anecdote étonnante, en prenant en flagrant délit une personne en train d’essayer de décaler les lattes de bois des pieds de la Louve pour mieux la photographier. Il est surprenant de constater que certaines œuvres puissent être plus facilement acceptées dans les lieux patrimoniaux. Le banc monumental réalisé par Lilian Bourgeat et exposé lors de l’édition 2014 d’IN SITU au palais des archevêques de Narbonne également, constitue un exemple frappant. Installé sur la terrasse du jardin, l’œuvre a suscité un tel engouement général que cette dernière n’a exceptionnellement jamais quitté le site à la fin de la manifestation. Adopté de tous et notamment des jeunes lycéens, le banc a finalement été acheté par la ville et cela pour la plus grande joie des Narbonnais. Pour Marie-Caroline Allaire-Matte, le succès de cette installation auprès du public s’expliquerait par l’emploi du registre mimétique. En d’autres termes, cette œuvre qui représente un banc, apparaît comme un objet clairement identifiable, et dès lors qu’une pièce est figurative, cette dernière a plus de chance d’être accueillie favorablement. En plus de relever du dispositif de mobilier urbain, ce qui signifie accessoirement qu’il appartient à tout le monde, on peut d’autant plus rajouter que cette installation est ludique et fonctionnelle, au sens où l’on peut, de par ses grandes dimensions, s’amuser à monter et à s’asseoir dessus. Pour la commissaire de la manifestation, « l’objet par lui-même crée une utilité qui va devenir une nécessité si on le soustrait à l’endroit où il a donné des habitudes aux gens. […] On est dans un rapport à l’œuvre qui est plus complexe, […] qui relève presque du design54. » Comme souligné par Léonie Deshayes, il y a aussi la dimension économique qui est ensuite quelque fois soulevée par les spectateurs. « Qui paye tout ça ? », « Ça serait bien plus intelligent de restaurer la cathédrale ! ». Pour Marie-Caroline Allaire Matte, il s’agit là d’un sujet délicat, car si les personnes sensibilisées connaissent le marché de l’art, d’autres ne vont absolument pas comprendre. Bien que le budget de 2100 ait été cette année, supérieur à tous les autres projets du fait de la complexité et de la monumentalité de l’installation, la commissaire précise qu’il s’agissait là d’une somme dérisoire au vu de l’investissement déployé par l’artiste.
b/ Une belle opportunité pour le patrimoine
Le patrimoine est un continuum Nous sommes aujourd’hui en France, les héritiers d’un patrimoine bâti remarquable dont il convient de prendre soin. Pour autant, devons-nous absolument protéger cet héritage de manière figée et passéiste, selon une image parfois idéalisée de celui-ci. Si certains souhaiteraient absolument le paralyser dans un temps qui n’est plus, pour78
54. Id............................
quoi devrait-on le réduire à ce qu’il a été dans le passé, au lieu de penser à ce qu’il pourrait également devenir. En effet, le patrimoine n’est pas immobile et représente aussi ce que l’on construit pour demain. Globalement très apprécié des visiteurs, on peut aujourd’hui prendre les exemples tant controversés autrefois des « colonnes de Buren » ou encore de la pyramide du Louvre, pour montrer à quel point ces réalisations sont aujourd’hui pleinement ancrées dans l’histoire ainsi que dans le paysage urbain. Comment pourrait-on aujourd’hui imaginer soustraire ces installations qui font dorénavant partie intégrante de leurs sites, et cela notamment aux yeux d’une jeune génération qui les a toujours connues. Le patrimoine est un palimpseste édifié par les hommes sur un temps long. Nous l’avons vu au travers de ce mémoire, le palais des archevêques a été maintes fois remanié au cours de l’histoire, ce dernier étant même devenu une prison à une certaine époque. Comme le montre Rainer Gross au travers de ses installations, rien n’est figé et tout change tout le temps dans ce monde. Très rares sont les édifices qui sont en effet restés intouchés. Viollet-le-Duc, célèbre architecte français du XIXe, n’avait aucun remord à détruire pour mieux reconstruire. « Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné55. » Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la culture et ancien président de l’Établissement public du musée et du domaine national de Versailles, souligne que l’introduction d’œuvres contemporaines dans un contexte historique, de manière temporaire ou permanente, ne constitue pas une invention nouvelle. « Quand dans un édifice gothique, on prend le parti au XVIIIe siècle, de créer un baldaquin baroque ou d’installer un autel baroque, finalement, on prend ce même risque d’installer une œuvre contemporaine, au moment où elle est produite, dans un monument d’une autre époque et d’une autre esthétique56. »
55. nuel op.
Eugène-EmmaViollet-le-Duc, cit., p. 14.
56. Jean-Jacques Aillagon, Exposer l’art contemporain dans les monuments historiques, Cycle «Rencontres européennes du patrimoine», Institut National du Patrimoine, colloque du 7 octobre 2010, Retransmission audio en ligne sur http://www. inp.fr/Mediatheque-numerique/Colloques/ Exposer-l-art-contemporain-dans-les-monuments-historiques
Si cette démarche s’inscrit donc aujourd’hui dans une continuité, Jean-Jacques Aillagon rajoute que cette dernière est notamment très appuyée du point de vue politique depuis la création en France, du ministère de la culture. Il prend alors l’exemple de la commande d’André Malraux, ministre des affaires culturelles à l’époque, passée à l’artiste Marc Chagall en 1964, pour repeindre le plafond de l’Opéra Garnier, édifice de la fin du XIXe siècle. De cette manière, l’introduction de l’art contemporain dans les sites patrimoniaux apparaît comme une occasion de faire vivre ces édifices, mais elle permet aussi et surtout de les actualiser en les inscrivant pleinement dans une société contemporaine qui constituera le patrimoine de demain.
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Une passerelle culturelle entre l’art, l’architecture et l’histoire Dès lors que le travail de conservation a été accompli de façon prioritaire, Jean-Jacques Aillagon a « la conviction que tout monument historique, y compris le château de Versailles, a vocation à s’affirmer comme un lieu de culture vivante, diverse, ouverte, et que les patrimoines d’hier ont bien vocation ou capacité à interroger des expressions artistiques d’aujourd’hui qui peuvent poser des questions au patrimoine57 ». Pour lui, le patrimoine doit incarner l’image de la culture, c’est à dire de la tolérance et de l’ouverture. Une vision ségrégative de celui-ci où la diversité des disciplines culturelles ne peut s’interpénétrer, est entièrement contraire à la définition même de la culture. Il est ensuite très réducteur de penser que les installations contemporaines puissent vouloir faire du tort au patrimoine. Bien au contraire, et nous l’avons longuement abordé dans ce mémoire, les installations sont élaborées pour établir des passerelles avec l’histoire. Cette discipline artistique qui n’est pas égocentrique, incite le spectateur à se montrer plus attentif à l’égard du patrimoine. A l’image de la sculpture monumentale installée au palais des archevêques, l’art contemporain superposé au patrimoine crée des liens et établit des rapprochements avec ce qui est déjà là. Si les visiteurs pensent qu’ils auraient tout autant contemplé ce lieu remarquable sans la présence de cette installation, cette dernière est une invitation à la contemplation mais aussi un hommage artistique au patrimoine. « L’art contemporain fait partie de cette chaîne de pensées, fait partie de cette Histoire, et donc qu’il y ait de l’art contemporain dans le patrimoine, est je crois quelque chose qui souvent l’éclaire, soit par désagrément, soit par harmonie. En disant « mon Dieu mais qu’est-ce que ça fait là ? », tout d’un coup on regarde autrement ce qui est autour, ou au contraire, on peut penser qu’il y a une telle justesse, une telle intelligence, que ça le magnifie58. »
2100, une installation qui a « lieu d’être » Pour de nombreux autres visiteurs, 2100 est apparu comme un projet artistique réussi et ambitieux, apporté de manière très juste en réponse à ce lieu monumental. « Il fallait une œuvre qui en impose comme celle-ci » me rapporta un spectateur. De cette manière, beaucoup ont été très impressionnés et reconnaissants vis-à-vis du travail colossal effectué par Rainer Gross pour réaliser cette installation. Certains ont d’ailleurs fait le rapprochement avec d’autres artistes tels que Arne Quinze ou encore Bernar Venet. Ainsi pour un bon nombre de visiteurs, l’interaction entre l’œuvre et le bâti par l’usage des contrastes, est apparue de façon évidente. Respectant le site et permettant de l’actualiser, il n’a pas été choquant de découvrir une telle œuvre ici, et bien au contraire comme il me l’a joliment été rapporté, cette installation avait tout à fait « lieu d’être ». Pour certains observateurs, et c’est aussi mon ressenti, le site étant tellement grandiose, la sculpture qui n’apparaît finalement pas si monumentale, aurait presque eu le 80
57. Id........................... 58. Olivier Kaeppelin, Id................
mérite d’être encore plus imposante. Qu’importe les interprétations, ce « toboggan », ce « serpent », ce « looping » ou encore ce « courant d’air », aura eu le mérite d’intriguer, d’interroger mais aussi de faire rêver. Si certains y ont plutôt vu un mouvement qui s’envolait vers le ciel, d’autres ont préféré l’image de quelque chose qui s’écoulait vers le sol. La plus belle comparaison associée à l’œuvre restera à mes yeux, celle faite à la cité d’Angkor au Cambodge, aujourd’hui envahie par une végétation foisonnante qui fait corps avec le bâti, et qui « l’occupe totalement ».
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CONCLUSION L’art s’est ouvert progressivement vers l’extérieur en multipliant et diversifiant les « médiums » utilisés, comme les sites investis. En s’introduisant dans les lieux patrimoniaux, les installations « in situ » ne cessent d’étendre une fois de plus le territoire de l’art et de redéfinir le travail des artistes. Libérés des codes classiques préétablis et des espaces traditionnellement dédiés à l’art, ces derniers conçoivent des œuvres spécifiquement créées par et pour les lieux qu’elles investissent. De cette manière, l’art se disperse pour venir davantage à la rencontre d’un nouveau public qui, relativement surpris, nécessite bien souvent le soutient de la médiation artistique. Au-delà d’une « hybridité » qui peut parfois déstabiliser, l’installation n’a généralement pas pour ambition de nier le patrimoine, mais offre bien au contraire, la possibilité de l’aborder autrement. Cherchant à établir des passerelles avec ce qui est déjà là, cette discipline artistique permet, et cela de manière bienveillante, d’attirer et d’éveiller les esprits sur le patrimoine. Brouillant souvent les limites entre l’œuvre et son contexte, la présence de l’installation force notre regard à questionner l’environnement qui l’entoure. De manière temporaire comme permanente, elle propose une nouvelle expérience sensible du patrimoine par le spectateur, dorénavant pleinement actif et immergé dans les œuvres ainsi que dans l’espace. Si cette alliance ne fait pas l’unanimité, je me demande si ce n’est finalement pas là, l’une des fonctions premières de l’art contemporain : celle de faire réagir le public, que cela soit dans l’adhésion et l’émotion, comme dans le refus ? Depuis la fin du XXe siècle, l’association du patrimoine bâti et de l’art contemporain est en effet, une recette aussi prospère que controversée. Nous l’avons vu au travers de ce mémoire, le patrimoine historique suscite un attachement et un engouement exceptionnel en France. Il convient bien évidemment d’en prendre le plus grand soin, néanmoins, la manière de conserver cet héritage pose débat. Si certains déplorent en effet l’introduction de l’art contemporain dans ce contexte historique, il ne faut pas perdre à l’idée que l’Histoire est constituée d’une succession d’histoires, et qu’un grand nombre d’édifices ont été maintes fois remaniés dans le passé. Afin de perpétuer cette continuité tout en regardant vers l’avenir, il convient donc aussi, et cela dans le plus grand
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château de Baulx, Saint-Jean-de-Buèges © Florine Senouillet
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respect de ce qui est déjà là, d’actualiser ces édifices en les inscrivant pleinement dans notre époque contemporaine. En éclatant les disciplines et en superposant simultanément l’histoire, l’art et l’architecture, nous avons vu comment la rencontre de l’art contemporain et du patrimoine permettait réciproquement de promouvoir et de sensibiliser le grand public à l’art contemporain, tout en valorisant le patrimoine. Au-delà du fait qu’il existe bon nombre de sites notoires, il n’est pas négligeable de souligner que l’art contemporain permet quelque fois de révéler des sites d’exception isolés. Si l’état et les régions soutiennent largement cette union depuis plusieurs décennies, nous avons ensuite pu voir que ce mouvement est aujourd’hui largement porté par l’investissement de petites structures telle que IN SITU- Patrimoine et Art Contemporain, une association en plein essor, œuvrant pour la rencontre de l’art contemporain avec des sites prestigieux de la région Languedoc-Roussillon. L’étude de cette manifestation ainsi que celle de l’installation artistique réalisée par Rainer Gross sur l’édition 2015, nous a montré comment étaient patiemment élaborées les œuvres, et cela dans le plus grand respect pour le patrimoine bâti. Grâce à ce mémoire, j’ai pu enrichir mes connaissances et surtout faire progresser ma réflexion sur l’installation artistique et plus particulièrement sur son introduction dans le patrimoine bâti. Pour cela, j’ai été à la découverte du palais des archevêques et de 2100, l’installation artistique proposée par Rainer Gross dans le cadre de la manifestation IN SITU 2015. J’ai ensuite pris beaucoup de plaisir à discuter avec les visiteurs, mais j’ai aussi et surtout apprécié échanger avec Rainer Gross ainsi que l’équipe d’IN SITU. Au-delà de toutes mes attentes, l’élaboration de ce rapport aura été une expérience épanouissante, tant sur le plan historique, artistique, culturel que social. Pour autant, ma réflexion ne s’arrêtera pas aux portes de ce mémoire. En effet, je suis curieuse de savoir comment les visiteurs appréhendent aujourd’hui l’escalier et la cour d’Honneur du palais des archevêques de Narbonne sans l’installation de Rainer Gross. Ainsi je souhaiterais prochainement pouvoir me rendre sur le site afin de constater cela. Je suis ensuite impatiente de découvrir les choix artistiques fait par Marie-Caroline Allaire-Matte pour la programmation 2016 de la manifestation IN SITU, ainsi que les nouveaux sites qui auront été intégrés au parcours. Enfin, j’ai hâte de connaître la proposition artistique de l’artiste qui investira cette année le palais des archevêques. Il me tarde de savoir comment l’œuvre sera insérée dans cet espace, et quels rapports cette dernière entretiendra-t-elle avec ce site prestigieux, mais également avec les spectateurs.
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BIBLIOGRAPHIE
[ OUVRAGES ]
Généraux
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Palais des archevêques
MÈCLE André, Narbonne - Palais des Archevêques et cathédrale, Moisenay, Éditions Gaud, 1999. Palais et châteaux des archevêques de Narbonne Xe - XVIIIe siècle, Lyon, Éditions Lieux dits, Coll. « Focus Patrimoine Languedoc-Roussillon », 2012.
Rainer Gross
Rainer Gross à l’abbaye de Noirlac, texte : Jean-Jacques Salgon, Noirlac, Centre culturel de rencontre, 2010. 87
Rainer Gross / Regard d’artiste, textes : Philippe Ifri, Rainer Gross, Danièle Brochu, Paris, Bernard Chauveau Éditeur, coll. « Couleurs Contemporaines », 2011. Rainer Gross - IN SITU, Brest, Cloître Imprimeur, 2011. Rainer Gross – Flux, textes : François Bon, Pascal Faracci, Rainer Gross, Dominique Truco, Ville de Poitiers et Musée Sainte-Croix, 2014.
Patrimoine et art contemporain
BRACHET Romain, Patrimoine et art contemporain - Contexte et forme, mémoire de master 2, École nationale supérieure d’architecture de Montpellier, sous la direction de madame Christine Estève, Montpellier, 2011. IN SITU - Patrimoine et art contemporain, Les Chemins de l’Histoire / Sud de France, catalogue d’exposition, Paris, Les éditions Bervillé, 2012. IN SITU - Patrimoine et art contemporain 2013, catalogue d’exposition, Montpellier, Éditions méridianes, 2013. IN SITU - Patrimoine et art contemporain 2014, catalogue d’exposition, Montpellier, Éditions méridianes, 2014. IN SITU - Patrimoine et art contemporain 2015, catalogue d’exposition, Montpellier, Éditions méridianes, 2015. TRICAUD Manon, Valoriser le patrimoine par l’art contemporain en Languedoc Roussillon – Étude de deux manifestations en territoire rural, mémoire de master 2, Valorisation et Médiation des Patrimoines, sous la direction de monsieur Lumaret, monsieur Challet et madame Sleurs, Montpellier, 2015.
[ ARTICLES ]
BELPÊCHE Stéphanie, « Anish Kapoor invite le chaos à Versailles », Le Journal du Dimanche, mai 2015, en ligne sur http://www.lejdd.fr/Culture/Anish-Kapoor-invite-le-chaos-a-Versailles-735120 BOURGNEUF Cécile, « Le vagin du château de Versailles », Libération, juin 2015, en ligne sur http://www. liberation.fr/societe/2015/06/04/le-vagin-du-chateau-de-versailles_1323152
[ DOCUMENTAIRES VIDÉOS ]
ALLAIN Pierrick, SANCHEZ Cécilia, « Anish Kapoor à Versailles, le retour de la stupeur », Télérama, juin 2015, en ligne sur http://www.telerama.fr/scenes/video-anish-kapoor-a-versailles-provoque-la-stupeur,128217. php
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CONVERT Pascal, fables du lieu, autour de l’exposition de Georges Didi-Huberman au Fresnoy, 2002, vidéo en
ligne sur https://vimeo.com/75560650
L’installation comme œuvre d’art, Cycle « Passerelle des Arts », Collège des Bernardins, Paris, conférence du 22 septembre 2009 à partir de Cellula, une œuvre de Nathalie Brevet et Hughes Rochette, vidéo en ligne sur https://www.youtube.com/watch?v=kLCsGNYcsLA POMARES Thibault, « Touche Pas À Mon Château ! (de Versailles), Murakami : une exposition qui dérange », LaTéléLibre, septembre 2010, en ligne sur http://latelelibre.fr/reportages/touche-pas-a-mon-chateau-deversailles/
[ DOCUMENTAIRE AUDIO ]
Exposer l’art contemporain dans les monuments historiques, Cycle «Rencontres européennes du patrimoine», Institut National du Patrimoine, colloque du 7 octobre 2010, Retransmission audio en ligne sur http://www. inp.fr/Mediatheque-numerique/Colloques/Exposer-l-art-contemporain-dans-les-monuments-historiques
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ANNEXES
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2015 Du 28 mai au 20 sePtembre 2015 un itinéraire d’exception en Languedoc-roussillon 11 sites PatrimoNiauX - 10 artistes CoNtemPoraiNs
Dossier De Presse relations avec la presse : Lorraine Hussenot Coordonné par
Initié par
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Sommaire Communiqué de presse iN SiTU dans le Gard
La bambouseraie d’anduze à Générargues
iN SiTU dans l’Hérault
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L’abbaye de Gellone à saint-Guilhem-le-Désert
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L’église saint-martin à saint-martin-de-Londres
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L’église saint-Étienne d’issensac à brissac
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Le château de baulx à saint-Jean-de-buèges
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L’hôtel Flottes de sébasan à Pézenas
iN SiTU dans l’aude
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Le palais des archevêques à Narbonne
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L’abbaye de Fontfroide à Narbonne
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iN SiTU dans les Pyrénées-orientales
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L’abbaye saint-michel de Cuxa à Codalet
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Le prieuré de serrabona à boule d’amont
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Le prieuré de marcevol à arboussols
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2015
Communiqué de Presse
iN SiTU PatrimoiNe et art CoNtemPoraiN - 4ème ÉDitioN
un itinéraire d’exception en Languedoc-roussillon 11 sites PatrimoNiauX - 10 artistes CoNtemPoraiNs
Du 28 mai au 20 sePtembre 2015 La 4ème édition de iN SiTU Patrimoine et art contemporain, manifestation estivale se déroulant dans la région Languedoc-roussillon, portée par l’association Le Passe muraille, aura lieu du 28 mai au 20 septembre prochains. Forte du succès de ses précédentes éditions, elle élargit son champ d’action et rayonne cette année sur 11 sites, tous classés ou inscrits à l’inventaire des monuments historiques, de 4 départements : l’Hérault, l’aude, les Pyrénées-orientales, et désormais le Gard. Ceux-ci accueillent des œuvres (installations, sculptures, vidéos, et peintures) de 10 artistes : Ghyslain Bertholon, Jean-marc Cerino, Johan Creten, Jean Denant, arno Fabre, rainer Gross, matthieu Husser, anna malagrida, Pierre malphettes et andré Valensi. Cet événement établit un dialogue entre l’architecture patrimoniale et l’art contemporain, permettant de valoriser le patrimoine de manière originale par la création artistique contemporaine, certains sites présentant notamment des œuvres inédites spécialement produites pour l’occasion, réalisées in situ . Les installations, souvent spectaculaires, sont éphémères et adaptées à l’esprit des lieux.
Les points de rendez-vous de cette nouvelle édition sont : Dans le Gard (1 site) : La bambouseraie d’anduze à Générargues, investie par l’artiste arno Fabre.
Dans l’Hérault (5 sites) : L’ abbaye de Gellone à saint-Guilhem-le-Désert, dont le cloître accueille deux grandes sculptures récentes en bronze de Johan Creten ; l’église saint-martin à saint-martin-de-Londres, investie par deux œuvres de Pierre malphettes (réalisation in situ) ; l’église saint-Étienne d’issensac à brissac, qui présente une œuvre du FNaC prêtée au FraC Languedoc-roussillon d’andré Valensi (commissariat : emmanuel Latreille, directeur du FraC Languedoc-roussillon) ; le château de baulx à saint-Jean-de-buèges, sur lequel intervient matthieu Husser (réalisation in situ) ; et l’hôtel Flottes de sébasan à Pézenas, accueillant une installation de Ghyslain bertholon.
Dans l’aude (2 sites) : Le palais des archevêques à Narbonne, dont l’escalier, de la tour au musée, est investi par une installation de rainer Gross (réalisation in situ) ; l’abbaye de Fontfroide à Narbonne, qui présente également une installation de Ghyslain bertholon (réalisation in situ).
Dans les Pyrénées-orientales (3 sites) : L’ abbaye saint-michel de Cuxa à Codalet, qui présente une vidéo d’anna malagrida de la collection du FraC Languedoc-roussillon ; le prieuré de serrabona à boule d’amont (près de Prades), dont le jardin du cloître est sublimé par une installation de Jean Denant ; le prieuré de marcevol à arboussols, qui accueille trois grandes peintures de Jean-marc Cerino (réalisation in situ).
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Certains de ces monuments connaissent une forte fréquentation durant la période estivale et reçoivent plus de 150 000 visiteurs, comme l’abbaye de Gellone à saint-Guilhem-le-Désert ou le palais des archevêques à Narbonne. Des parcours sur mesure, « circuits » de découvertes, sont ainsi organisés. ils permettent d’orienter le public vers des monuments moins célèbres, mais tout aussi importants dans l’histoire régionale, tels que l’église saint-Étienne d’issensac à brissac ou le prieuré de marcevol à arboussols.
Le commissariat d’exposition a été à nouveau confié par Le Passe Muraille, chargé de la coordination, à marie - Caroline allaire - matte. Les artistes ont été choisis pour la qualité de leurs œuvres et la pertinence de leur projet. Chaque intervention artistique fait l’objet d’une réflexion approfondie sur le site concerné, son histoire, son architecture et son environnement. L’implication des artistes est à la hauteur de l’exigence des gestionnaires des lieux. afin de sensibiliser le public au dialogue entre le patrimoine et l’art contemporain, un important travail de médiation est réalisé. Des médiateurs sont notamment affectés à chacun des sites aux mois de juillet et août. Pour la réalisation de cette manifestation, l’association Le Passe muraille collabore avec de nombreux partenaires. La région Languedoc-roussillon soutient cette manifestation en tant que principal financeur. elle confirme ainsi son engagement pour l’art contemporain et pour son rayonnement sur l’ensemble du territoire régional, dans des lieux patrimoniaux, facilitant ainsi le croisement des publics. Les communes de Narbonne et saint-Guilhem-le-Désert, la Communauté de communes du Grand Pic saint-Loup, la sCi de l’abbaye de Fontfroide, la fondation du prieuré de marcevol, le Conseil départemental des Pyrénées-orientales, ainsi que la mairie de Pézenas et La bambouseraie d’anduze s’associent également au financement du projet.
iN SiTU Patrimoine et art contemporain se termine le 20 septembre, dernier jour des Journées européennes du Patrimoine. afin que la mémoire des créations artistiques perdure, un catalogue est édité, disponible à partir du 3 juillet, en librairie et sur site.
iN SiTU
PatrimoiNe et art CoNtemPoraiN
Du 28 mai au 20 sePtembre 2015 www.patrimoineetar tcontemporain.com Directeur
Organisation
association Le Passe muraille
Pierre Plancheron
4 avenue de l’europe Z.a. La Plaine 34830 Clapiers tél. : 04 67 06 96 04
Coordination
aurélia Sleurs Commissariat
marie-Caroline allaire-matte
Relations avec la presse
Lorraine Hussenot tél. : 01 48 78 92 20 - lohussenot@hotmail.com Visuels disponibles sur demande Coordonné par
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Initié par
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iN SiTU dans le Gard
Bambouseraie d’anduze
arno Fabre
Générargues
Par le gigantisme des végétaux, par le sentiment de bien-être qui en émane, la bambouseraie semble avoir toujours existé. elle est pourtant née en 1856, de la volonté d’un seul homme, eugène mazel, dont les serres de la bambouseraie portent encore le nom. Passionné d’horticulture et de sciences naturelles, il entame ses premières plantations sur le site actuel de la bambouseraie en 1856, en acclimatant des espèces exotiques venues de Chine, du Japon, d’amérique du Nord et de l’Himalaya... Depuis 1902, la famille Nègre préside aux destinées de la bambouseraie en n’ayant de cesse de multiplier les espèces, ouvrir le parc au public et développer les plantations. en 2005, les efforts de cette famille sont récompensés : la bambouseraie est classée Jardin remarquable par le ministère de la Culture, elle est même inscrite aux monuments historiques en 2008. Le site est devenu signataire de la Charte européenne du tourisme Durable en 2012.
Les visiteurs découvrent, dans le vallon du Dragon, une cloche à volée tournante, portée par un beffroi en bois, et actionnée par un moteur. Cette cloche, fondue en 2012, pivote lentement sur son axe jusqu’au point d’équilibre avant d’être entraînée par tout son poids. elle chute, se balance librement et sonne puissamment avant de reprendre un nouveau cycle. La forme, le balancé et la sonnerie d’une cloche nous rappellent l’attachement d’une communauté à un territoire, mêlé à la puissance dominatrice de celui qui maîtrise le temps ( l’angélus sonné par le curé, puis les heures marquées par la mairie ). mais ici, Cloche d’arno Fabre n’a rien à nous dire, elle ne nous impose rien, elle n’est ni un appel, ni un rythme. elle est hors de la vitesse, hors du temps social et de ses impératifs, elle est une trouée dans le bruissement du monde.
HorAIres d’ouverTure Tous les jours de 9h30 � 19h Arno Fabre, né en 1970 � Limoges, est un artiste contemporain français. Inclassable, il est connu pour ses installations sonores. Il vit et travaille � Toulouse. Il est diplômé de l’École nationale supérieure Louis Lumière (section photographie) et du Fresnoy - studio national des arts contemporains.
TArIFs Adulte : 9,70€ enfant de 4 � 11 ans : 5,80€ Famille 2 adultes + 3 enfants payants moins de 12 ans : 31 € Personne en situation de handicap : 5,80€ Étudiant : 8,60€
www.arnofabre.fr
TArIFs grouPes 20 personnes minimum sur réservation uniquement mail : billetterie@bambouseraie.fr ou par fax 04 66 61 09 75 Adulte : 7,20€, scolaire : 4,80€, étudiant : 5,80€ Personne en situation de handicap : 4,80€ HorAIres de mÉdIATIon du jeudi au dimanche de 10h15 � 13h et de 14h � 18h15
Crédits : Photo du site : © bambouseraie de Prafrance Photo de l’œuvre : Cloche - 2013 bronze, bois, métal une production de C15D avec le soutien de la maison salvan - Ville de Labège et du label toulous’up Ville de toulouse © arno Fabre - 2013
ConTACT Bambouseraie d’Anduze Tél.: 04 66 61 70 47 - www.bambouseraie.com
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iN SiTU dans l’Hérault
abbaye de Gellone
Johan Creten
L’abbaye de Gellone est une abbaye bénédictine fondée en 804 par un aristocrate aquitain de l’époque carolingienne, Guillaume de Gellone (v. 742-812), appelé Guilhèm en langue d’oc. L’abbaye fait l’objet d’un classement au titre des monuments historiques. elle est également inscrite au patrimoine mondial de l’uNesCo au titre des chemins de saintJacques-de-Compostelle en France depuis 1998. Le cloître a été démantelé et ne possède plus que deux galeries (galerie nord, une partie de la galerie ouest). À l’origine, il comportait un premier étage dont la construction s’est faite à la fin du Xiie siècle. La galerie nord est percée par une série d’arcades géminées, en plein cintre, reposant sur une colonnette centrale. Les sculptures du cloître vendues en 1906 à George Grey barnard, se trouvent aujourd’hui au musée the Cloisters de New York. Quelques pièces sont conservées à la société archéologique de montpellier et au musée de l’abbaye de Gellone. une communauté de religieuses est toujours présente sur place.
Johan Creten investit le cloître de l’abbaye, en choisissant d’y installer deux grandes sculptures récentes en bronze. Pliny’s sorrow « sur la colonne », sculpture de 2011, représente une forme d’oiseau, aussi inquiet qu’inquiétant. un oiseau ressemblant à un aigle, aux grandes ailes déployées et brisées et au dos sculpté grossièrement et creusé, est posé sur un empilement de morceaux de colonnes, formant un socle aussi haut que l’oiseau. Ce monolithe totémique, à la fois héroïque et mélancolique, illustre une menace diffuse. Ces sculptures soulèvent des interprétations diverses, des significations nouvelles. Le titre de l’œuvre évoque la tristesse de Pline le Jeune (ier siècle après J.-C.) assistant à l’éruption du Vésuve à Pompéi et à la disparition d’une civilisation. Le socle, comparable à un fût de colonne antique, élève la sculpture au rang de monument mortuaire. L’aigle, figure récurrente dans l’œuvre de Creten, résonne d’une dimension symbolique et politique. De face, il est solide et imposant : il se dresse majestueusement. mais vu sous un autre angle, ce n’est plus qu’une masse, une coquille fragile, abstraite et usée, un oiseau naufragé dans une marée noire. Le solide et l’éphémère semblent coulés dans du bronze massif et durable. La seconde sculpture, massu i (petite version de 3 mètres), date de 2013. Ce totem noir en bronze suggère autant un tronc sommairement équarri qu’une sorte de masse d’arme, dont le pouvoir de nuisance serait augmenté par les aspérités, ou plus simplement une colonne sans fin. Ces deux œuvres occupent le bassin et le jardin, proposant un dialogue avec l’architecture romane de ce cloître, dont la presque totalité des éléments sculptés sont au musée the Cloisters à New York.
Saint-Guilhem-le-Désert
HorAIres d’ouverTure Tous les jours de 8h � 12h et de 12h45 � 18h TArIF entrée libre HorAIres de mÉdIATIon Abbaye de gellone du mercredi au dimanche de 12h45 � 18h ConTACT mairie de saint-guilhem-le-désert Tél.: 04 67 57 70 17 www.saint-guilhem-le-desert.com
né en 1963 � saint-Trond en Belgique, Johan Creten vit et travaille � Paris. Il est nominé en 2009 pour le Prix flamand de la Culture. Lauréat du Prix de rome en 1996, il a enseigné aux États-unis, aux Pays-Bas, en Belgique et en France. ses œuvres sont présentes dans des collections publiques et privées � travers le monde. Johan Creten a présenté plusieurs expositions personnelles au sein de la galerie Perrotin � Paris et Hong-Kong et dévoilera en septembre 2015 une exposition personnelle dans la succursale new-yorkaise. Johan Creten est également représenté par la galerie Almine rech � Bruxelles et la galerie Transit � malines.
office du Tourisme www.saintguilhem-valleeherault.fr
Crédits : Photo du site : © marc Kérignard - région Languedoc-roussillon, inventaire général 2013 Photos des œuvres : (Photo de gauche) Pliny’s sorrow « sur la colonne », 2011 bronze, 191 x 110 x 43 cm Courtoisie galerie almine rech
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(Photo de droite) massu i (Petite Version), 2013 bronze coulé, cire perdue 300 x 19 x 19 cm Courtoisie galerie almine rech
www.perrotin.com
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iN SiTU dans l’Hérault
Église Saint-martin
Pierre malphettes
Saint-martin-de-Londres
Production
In sITu
La scénarisation du réel et la poétisation de contraintes matérielles sont au cœur de la démarche de Pierre malphettes. L’artiste emprunte au monde industriel et à l’univers de la construction pour réaliser une œuvre de sculpture qui cherche à matérialiser des phénomènes et éléments naturels (arc-en-ciel, nuage, paysage, etc.). Dans le cadre de l’église romane de saint-martin-de-Londres, l’artiste a fait le choix de restaurer la lumière là où les fenêtres ont été bouchées. réalisées en néon selon les plans d’une fenêtre ordinaire, deux œuvres illuminent le mur de la tribune et celui d’une abside. Le potentiel de rêverie et la poésie qui en résultent vont paradoxalement introduire une matérialité assumée, un rapport fortement visuel à la matière. L’artiste se joue des dualités habituelles d’intérieur et d’extérieur, de solide et d’évanescent, ou de haut et de bas, afin de favoriser ce qu’il nomme « l’impermanence » (soit le décalage, l’éphémère ou encore la réversibilité) et l’expérimentation d’espaces mentaux. Pierre malphettes dit de ses œuvres : « C’est la mise en parallèle entre le tangible et l’intangible qui m’intéresse et j’aime quand des choses de nature très différente entrent en résonance les unes avec les autres. »
L’église saint-martin a été construite entre la fin du Xie siècle et le début du Xiie siècle. monument majeur de l’art roman en Languedoc, elle a la particularité d’avoir un chevet trilobé. Érigée en prieuré en 1090, son rayonnement se développe et provoque de fréquents conflits avec les seigneurs de montarnaud. L’enclos du prieuré est physiquement séparé du reste du village par un rempart, symbolisant la rupture entre les autorités ecclésiastiques et seigneuriales. Ce conflit prend fin en 1250 lors du rachat de la seigneurie de saint-martin par Gellone. Fortement remaniée au XiXe siècle, l’église est classée monument historique en 1900 et restaurée en 1932. L’appareillage des pierres est remarquable, très régulier et orné de « tailles en feuilles de fougère », soulignant une indéniable influence lombarde. Plusieurs adjonctions à l’édifice sont réalisées au cours des siècles : un clocher-tour, construit au Xiie siècle et aujourd’hui détruit ; le clocheton actuel surmontant la coupole, datant du XViiie siècle ; enfin, au XiXe siècle, la nef fut prolongée d’une travée à l’ouest et une chapelle fut greffée au nord de la nef.
né � Paris en 1970, Pierre malphettes vit et travaille � marseille. diplômé de l’École des beaux-arts de Bourges en 1995, il présente son travail dès la fin des années 1990 dans de très nombreuses expositions collectives. Il bénéficie également d’importantes expositions individuelles � partir des années 2000, comme Little odyssey, espace Paul ricard, Paris, 2004, un arbre, un rocher, une source, Buy-sellf - musée des beaux-arts de Bordeaux, 2006, sculptures terrestres et atmosphériques, FrAC Paca, marseille, 2009, Terrain vague, galerie Kamel mennour, Paris, Paysage avec chute d’eau, Château des Adhémar, montélimar, 2010, Blanc néon, la Forteresse de salses, 2013. Il est présent dans de nombreuses collections publiques (notamment celles de plusieurs FrAC, du mac/val, du Fonds national d’art contemporain) et privées.
HorAIres d’ouverTure Tous les jours de 9h � 18h TArIF entrée libre
documentsdartistes.org
HorAIres de mÉdIATIon du mercredi au samedi de 10h � 12h et de 15h � 18h Le dimanche de 15h � 18h
Crédits : Photo du site : © Élisabeth Capillon Photo des œuvres iN situ : une fenêtre, 2008 Néon blanc – 80 x 123 cm © marc Domage Courtoisie de l’artiste et de la galerie Kamel mennour, Paris un Vitrail - croquis, 2015 Néon, 24 x 127 cm Courtoisie de l’artiste
ConTACT office de tourisme du grand Pic saint-Loup www.tourisme-picsaintloup.fr Point d’information de saint-martin-de-Londres Tél.: 04 67 55 09 59
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iN SiTU dans l’Hérault
Église de SaintÉtienne d’issensac
andré Valensi
Brissac
L’église saint-Étienne d’issensac a été construite au Xiie siècle. son architecture est typique de l’art roman languedocien de cette époque. ancienne église paroissiale d’une bourgade médiévale qui l’entourait (et dont on peut voir les ruines), elle était située sur un des chemins de pèlerinage de saint-Jacques-deCompostelle. son architecture est sobre : une nef terminée par une abside semi-circulaire. incendiés par les Protestants, le bourg et l’église furent abandonnés par leurs habitants. Proche du pont roman du XiVe siècle qui traverse l’Hérault, en contre bas, elle appartient à un site architectural et naturel remarquable.
si andré Valensi est le plus jeune protagoniste du groupe supports / surfaces, il n’en demeure pas moins un peintre dont les recherches plastiques ont marqué l’histoire de ce groupe. il partage avec les autres membres un certain nombre de convictions, qu’il s’agisse du rejet du nouveau réalisme et du formalisme idéaliste, ou de la volonté de superposer les procédures matérielles de réalisation de la toile libérée de son châssis. L’œuvre présentée, Pièges à regard, fut réalisée pour l’exposition Le bel Âge au château de Chambord en 1990 dans le cadre du 20e anniversaire du mouvement supports / surfaces. Constituée de deux filets multicolores pendus au plafond, l’œuvre suit le cahier des charges donné à l’artiste, qui insistait sur la mobilité de l’œuvre commandée afin qu’elle puisse être installée dans d’autres lieux. Présentée en diagonale dans la nef romane de l’église saint-Étienne d’issensac, l’œuvre occupe la presque totalité du lieu. sa grille mouvante transpose le plan dans l’espace tridimensionnel, déplaçant également l’axe de l’église et celui du regardeur.
Le FraC Languedoc-roussillon est partenaire de la manifestation. une œuvre en dépôt du FNaC au FraC a été choisie par son directeur, emmanuel Latreille, et prêtée pour la durée de la manifestation iN situ 2015.
André valensi est né le 26 novembre 1947 � Paris. Après un premier poste � Perpignan, il a enseigné pendant des années � l’École des beaux-arts d’Aix-en-Provence. Il est décédé en 1999. www.fraclr.org
HorAIres d’ouverTure eT de mÉdIATIon en JuILLeT & AoûT du mercredi au dimanche de 16h � 19h TArIF entrée libre
Crédits : Photo du site : © Le Passe muraille Photo de l’œuvre : Pièges à regard, 1990 Filets suspendus, acrylique sur coton et agrafes en fer galvanisé 900 x 250 cm Dépôt du FNaC au FraC Languedoc-roussillon © Christian Perez, FraC Languedoc-roussillon
ConTACT Association Le Passe muraille Tél.: 04 67 06 96 04 - www.lepassemuraille.org
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iN SiTU dans l’Hérault
Château de Baulx Saint-Jean-de-Buèges
matthieu Husser Production
In sITu
La paroisse de saint-Jean-de-buèges apparaît pour la première fois dans les textes en 990 dans le cartulaire de Gellone. Le donjon date probablement du Xie siècle et le château et la seigneurie de saint-Jean-de-buèges, vassale de la baronnie de Pégairolles, ne semblent pas remonter au-delà du Xiie siècle. remanié et agrandi aux XiVe et XVe siècles, le château fait partie intégrante de la vie de la commune. en 1679, le château est vendu aux seigneurs de Cambous. en 1703, le monument est encore utilisé pendant la guerre des Camisards. après 1749, le château figure comme « ruine » sur les cadastres et sert sans doute de carrière de pierres, visibles sur certaines maisons du village. au XiXe siècle, certains remparts seront remontés, le château évolue en bergerie. La commune devient propriétaire des ruines du château en 1987. Dès 1990, des travaux de sauvegarde et de restauration sont entrepris, sous la direction de l’architecte en chef des monuments historiques (reconstruction du donjon, des tours et du corps de logis). entre 1990 et 1994, cinq chantiers de fouilles sont menés, encadrés par l’association des Compagnons de tras Castel, en collaboration avec l’association remPart et sous la responsabilité d’archéologues désignés par le service régional d’archéologie. Ces campagnes ont permis de mieux comprendre l’organisation du château et de compléter les sources écrites. actuellement, les vestiges retrouvés au cours des fouilles sont exposés dans la tour est. Pour compléter ces restaurations, un jardin médiéval est créé dans la cour basse du château.
Les interventions de matthieu Husser se traduisent le plus souvent par la sculpture et abordent en premier lieu les notions de patrimoine et de mémoire à travers une ville, un lieu, un territoire ou un monument. ses projets in situ sont inspirés par l’histoire et l’architecture de chacun des lieux. il tente d’introduire par des installations qui relèvent de la pratique du « trompe l’œil », un sens caché ou imprévu. il piège le regard en invitant le visiteur à s’interroger sur la signification des signes. un grand F de Facebook s’est ainsi confondu avec le mur de granit d’une des belles églises romanes de bretagne pendant plusieurs mois. Le logo de la région Languedoc-roussillon sera ainsi représenté en fausse pierre sur la façade de cette tour du Xiie siècle, comme un bas-relief moyenâgeux. au-delà de la symbolique héraldique, cette proposition interroge avec malice les mutations territoriales et tout le vocabulaire iconographique qui caractérise les pouvoirs.
mathieu Husser est né en 1972. Il vit et travaille � Lille.
HorAIres d’ouverTure eT de mÉdIATIon en JuILLeT & AoûT du mercredi au dimanche de 10h � 12h et de 14h � 18h
www.matthieu-husser.com
TArIF entrée libre ConTACT Association « Les Compagnons de Tras Castel » https://sites.google.com/site/chateaubueges gilles seyLLer Tél.: 06 60 05 23 42
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Crédits : Photo du site : © Le Passe muraille Photo de l’œuvre : sans titre (septimanie) - croquis, 2015 Contreplaqué peint - 3,2 x 2,6 m Courtoisie de l’artiste
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iN SiTU dans l’Hérault
Hôtel Flottes de Sébasan
Ghyslain Bertholon Work in Progress
Pézenas
s’inscrivant dans la tradition des Vanités et de l’histoire de l’art, Vanitas a été imaginée en 2007 pour la Ville de rodez avant d’être régulièrement modifiée et augmentée à chaque nouvelle présentation, une sorte de work in progress. Vanitas met en scène un grand cerf naturalisé à l’agonie. on voit cet animal mythologique rendu vulnérable par la démesure de ses bois, dévoré par de minuscules insectes. Le cerf est porteur d’une forêt de symboles, tous apparentés au domaine obscur de la force vitale. Le cerf s’incarne dans ses bois, cette ramure dont le nom, la forme et la couleur semblent sortir des arbres. Chaque année, l’artiste élague ses bois qui sont comme du bois sec, avant de les faire repousser pour donner la preuve visible que tout renaît. Par la chute et la repousse de ces os branchus qui croissent avec une rapidité végétale, la nature affirme que sa force intense n’est qu’une perpétuelle résurrection, que tout doit mourir en elle et que pourtant rien ne peut cesser. on voit ainsi les bois de l’animal toucher la terre et repousser quelques mètres plus loin : la fusion de l’animal et du végétal est consommée. L’installation de Ghyslain bertholon est scénarisée comme un drame initiatique, dans la pénombre d’une salle voûtée d’un hôtel du XViie siècle, l’hôtel Flottes de sébasan. La figure animale, telle qu’elle est représentée dans ses œuvres, devient la forme tragique ou caustique de son langage.
au carrefour des plages du bas Languedoc et de l’arrière-pays de l’Hérault, Pézenas a hérité de son passé un riche patrimoine. Ville de foires, ville d’états, elle fut un lieu de séjour de prédilection pour molière et son illustre théâtre. Écrin de demeures de la fin du moyen-Âge et de nombreux hôtels particuliers des XViie et XViiie siècles, son centre historique a été un des premiers secteurs sauvegardés par la loi malraux en 1965, permettant une restauration qualitative de nombreux édifices. La construction primitive de l’hôtel Flottes de sébasan, au cours du XVie siècle, et à partir d’un édifice préexistant, peut être attribuée à robert de Gleizes qui possède l’immeuble en 1518. Jean de Flottes de sébasan acquiert la demeure le 1er janvier 1580, par son mariage avec marie de Gleizes. Différents propriétaires se succèdent jusqu’en 1675, date à laquelle la demeure revient entre les mains de la famille Flottes de sébasan. elle sera divisée en deux parcelles distinctes au milieu du XViiie siècle, après les acquisitions successives du notaire Pierre annequin et du négociant Joseph mathebiau. C’est sans doute à ce dernier que l’on doit la reconstruction de la façade sur la rue alfred sabatier, avec la grande porte d’entrée en arc surbaissé et voussures à refends, les agrafes des baies et les gardecorps en fer forgé d’une incontestable qualité.
ghyslain Bertholon est né en 1972. Il vit et travaille � saint-Étienne. Il est représenté par la school gallery � Paris. www.ghyslainbertholon.com
HorAIres d’ouverTure eT de mÉdIATIon en JuILLeT & AoûT du mercredi au dimanche de 10h � 12h et de 14h30 � 18h30
Crédits : Photo du site : © Le Passe muraille Photo de l’œuvre : Vanitas, 2007-20-mouches et cerf naturalisés, bois de cerf, résine et bois laqués Dimension totale de l’installation : 12 mètres Co-production Centre des monuments nationaux / Courtoisie school Gallery Paris
ConTACT mairie de Pézenas, service culturel Tél.: 04 67 90 19 08 - www.ville-pezenas.fr
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iN SiTU dans l’aude
Palais des archevêques
rainer Gross
Narbonne
Production
In sITu
L’ancien palais des archevêques, qui se signale par plusieurs tours, donjon Gilles aycelin (fin Xiiie- début XiVe), tours saint-martial et de la madeleine (Xiiie siècle), comprend le palais Vieux, d’origine romane, et le palais Neuf, de style gothique, remanié aux XViie et XViiie siècles. il s’appuie sur la première enceinte de Narbonne, à l’arrière de laquelle s’étend le jardin de l’archevêché. Depuis le XiXe siècle, il accueille l’hôtel de ville, le musée d’art et le musée archéologique. avec la cathédrale saint-Just et saint-Pasteur, le palais épiscopal constitue l’ensemble monumental de la ville de Narbonne.
Les installations de rainer Gross, en particulier dans des sites patrimoniaux (Chaumont-sur-Loire, Domaine de Kerguéhennec, melle..), se présentent comme des structures éphémères aux formes fluides et graphiques. elles sont presque exclusivement constituées par l’assemblage de centaines de lattes de bois, permettant de s’adapter avec une extrême souplesse aux caractéristiques architecturales des monuments et d’en rehausser les qualités formelles par les rapprochements visuels que développe le dessin à la fois aérien et matériel des lattes de bois. Grâce à cet assemblage de lattes, dont le processus reste reconnaissable, les installations de rainer Gross suscitent une impression de « monumentalité » répondant à celle du lieu qui les accueille. Par leur dimension comme par leur forme, ces œuvres sont ressenties physiquement et émotionnellement. L’artiste est intervenu plusieurs fois dans le sud de la France : en 2012, dans le cadre de la première édition de iN situ, au prieuré de saintmichel-de-Grandmont (Hérault), puis en 2013, au château d’avignon (Gard). en 2014, à l’invitation des musées de Poitiers, rainer Gross a proposé un parcours réunissant différents lieux. il investit cette année l’escalier d’honneur du palais des archevêques, de la cour au musée, doublant la révolution de l’escalier par un faisceau de lattes de bois, jusqu’à l’entrée du musée d’art et d’histoire.
HorAIres d’ouverTure Tous les jours de 10h � 19h HorAIres de mÉdIATIon du mercredi au dimanche de 10h � 12h et de 14h � 18h ConTACT mairie de narbonne Tél.: 04 68 90 30 30 - www.narbonne.fr
né en 1953 � Berlin, rainer gross vit et travaille en Belgique. Il est représenté par la galerie Faider � Bruxelles. ses dernières expositions : L’art dans les chapelles, Pluméliau (2011), In sITu Patrimoine et art contemporain, saint-michel-de-grandmont (2012), Hommage � Le nôtre, dans les jardins du musée de saint-germain-en-Laye, dans le cadre de la manifestation Les nouvelles folies (2013).
Crédits : Photo du site : © Laurie biral Photo de l’œuvre : Deux mille cent, 2015 installation sculpturale en lattes de peuplier noircies - 95 m de longueur totale © Le Passe muraille
www.rainergross.com
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iN SiTU dans l’aude
abbaye de Fontfroide
Ghyslain Bertholon
Narbonne
Fondée en 1093 par des moines bénédictins, Fontfroide se rattache en 1145 à l’ordre de Cîteaux et devient rapidement une des plus puissantes abbayes cisterciennes de la Chrétienté. elle joue un rôle crucial lors de la croisade contre les Cathares avant de connaître un lent déclin. L’abbaye est classée à partir de 1862 au titre des monuments historiques. Fontfroide est un ensemble monastique magnifiquement conservé, avec son cloître et sa salle capitulaire du Xiie siècle, une somptueuse église abbatiale et ses vitraux modernes, les bâtiments des frères convers et les aménagements des XViie et XViiie siècles. en 1908, Gustave Fayet, artiste, conservateur de musée et collectionneur, rachète l’abbaye et entame un vaste chantier de restauration et de décoration. aujourd’hui encore, ses descendants poursuivent avec la même passion l’entretien de l’ensemble monastique. Les jardins ont toujours revêtu une grande importance au sein des abbayes. Les religieux cultivaient ainsi des plantes médicinales, un potager ou encore un verger. De vastes jardins en terrasses ont été implantés à Fontfroide au XViie siècle par la famille italienne des Frégose. entièrement restaurés, ces jardins sont classés aujourd’hui « Jardin remarquable » et ont obtenu le Prix Pictet. À la fin du XXe siècle, une roseraie d’environ 2500 rosiers a pris place sur l’ancien cimetière de Fontfroide.
Production
Littéralement, la topologie signifie l’« étude du lieu ». elle s’intéresse à définir ce qu’est un lieu, appelé aussi « espace » et quelles peuvent en être les propriétés. Le titre de l’œuvre de Ghyslain bertholon est la contraction d’une intention scientifique et d’une forme fantastique, absurde et spontanée. Depuis 2003, date de création de ses premières Poézies, Ghyslain bertholon use régulièrement de la rhétorique animale pour interpréter travers et paradoxes de ses contemporains. on verra doncla tête et les pattes d’une énorme taupe en bronze émerger d’un tumulus de 20 tonnes de terre. taupologie fait irruption au sens propre et figuré dans la cour Louis XiV de l’abbaye de Fontfroide, bousculant les codes et les plates-bandes de ce monument historique, figé dans un état de conservation exceptionnel. Pour la seconde année, l’abbaye de Fontfroide accueille un artiste parmi les plus audacieux de la jeune scène française. après Lilian bourgeat en 2014, Ghyslain bertholon présente une nouvelle édition de cette œuvre emblématique, produite par l’abbaye de Fontfroide, dont la première version est restée un an devant l’Hôtel de sully avant d’être acquise par le château du rivau.
HorAIres d’ouverTure Juin et septembre de 10h � 18h - Juillet et août de 9h30 � 9h TArIFs visite abbaye et jardins : 10,80€ Étudiant, 19-25 ans, personne � mobilité réduite : 7,80€ enfant de 6 � 18 ans : 6,80€ Tarif famille 2 adultes + 2 enfants : 29€ HorAIres de mÉdIATIon du mercredi au vendredi de 12h30 � 19h Le samedi et le dimanche de 10h � 12h45 et de 14h � 19h ConTACT Abbaye de Fontfroide Tél.: 04 68 45 11 08 - www.fontfroide.com
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In sITu
www.ghyslainbertholon.com
Crédits : Photo du site : © Le Passe muraille Photo de l’œuvre : tauPoLoGie de Fontfroide bronze et terre Hauteur 180 cm / diamètre 400 cm Fondeur : David de Gourcuff © Ghyslain bertholon
iN SiTU dans les Pyrénées-orientales
abbaye Saint-michel de Cuxa
anna malagrida
Codalet
L’abbaye de Cuxa est fondée vers 878 par une communauté religieuse originaire du monastère d’eixalada, située plus haut dans la vallée de la têt. À la révolution, une grande partie de l’édifice est démantelée et l’abbaye abandonnée jusqu’en 1919, date à laquelle une communauté cistercienne reprend possession des espaces monastiques et commence à réhabiliter les lieux. Dans les années 1930, la crypte est découverte et reprend ses fonctions. en 1952, le violoncelliste Pablo Casals, réfugié en France sous la dictature franquiste, donne des concerts dans l’abbatiale alors sans toiture afin qu’elle soit recouverte. Le clocher carré de saint-michel de Cuxa domine de ses 40 mètres de haut les vergers environnants. un des éléments intérieurs les plus intéressants est la crypte de la Vierge de la Crèche. autre curiosité, le cloître aux superbes chapiteaux où se découpent fleurs et animaux en marbre rose. Certains se trouvent au musée des Cloisters à New York, achetés au début du XXe siècle par l’antiquaire américain barnard. Le Festival de musique de chambre de Prades, fondé en 1950 par le célèbre violoncelliste catalan Pablo Casals, est accueilli à l’abbaye depuis 1967 grâce à l’autorisation bienveillante de la communauté monastique, propriétaire du site.
HorAIres d’ouverTure Tous les jours sauf dimanche matin de 9h30 � 11h50 et de 14h � 18h Fermé le 15 août au matin TArIFs visite individuelle : 6€ groupe 16 personnes mini : 4€ moins de 18 ans, étudiants : 3,50€ gratuit pour les moins de 12 ans ConTACT Abbaye saint-michel-de-Cuxa Tél.: 04 68 96 15 35 - www.abbaye-cuxa.com Festival Pablo Casals de Prades du 26 juillet au 13 août, concerts dans l’abbatiale Tél.: 04 68 96 33 07 - www.prades-festival-casals.com
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La vidéo d’anna malagrida, projetée dans l’obscurité de la crypte aveugle de saint-michel de Cuxa, représente une petite fenêtre recouverte d’un tissu noir qui nous rappelle le visage d’une femme voilée. Le rideau animé par le vent semble danser et établit un dialogue entre l’espace extérieur et intérieur ; il enferme dans l’obscurité en dévoilant un dehors par la lumière, comme s’il s’agissait d’un obturateur photographique. La question de la liberté, celle de la femme en particulier, s’impose de manière aussi évidente que poétique. La fenêtre est une ouverture au monde extérieur, l’objet physique du passage. anna malagrida s’inscrit dans un espace-temps universel. L’œuvre est parfois teintée d’intimité, mais sans aucune gêne, le but n’étant pas de heurter, mais plutôt d’ouvrir le regard, voire de le prolonger. L’artiste catalane, née à barcelone en 1970 et vivant à Paris depuis 2004, développe un travail d’une grande subtilité. il y est question de documenter le réel et de s’en éloigner simultanément. une affaire de perception, où la photographie donne à ressentir et, d’une certaine façon, à espérer, au-delà du cadre même, plongeant le spectateur dans un état hypnotique. anna malagrida aborde avec une grande délicatesse poétique des sujets brûlants comme la guerre, la politique et la femme au moyen-orient tout en travaillant avec subtilité la mise en scène, jouant de la lumière et du clair-obscur. Anna malagrida est née � Barcelone en 1970. elle vit � Paris et Barcelone. elle est représentée par la galerie rX, Paris. www.annamalagrida.com
Crédits : Photo du site : © moon Pil-shim Photo de l’œuvre : Danza de mujer, 2007 espai 4, Centre d’art Casal sollerich, Palma de mallorca, 2007 Collection FraC Languedoc-roussillon © a. malagrida
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iN SiTU dans les Pyrénées-orientales
Prieuré de Serrabona Boule d’amont
Le prieuré de serrabona, fondé au début du Xie siècle, est situé à une trentaine de kilomètres de Perpignan, dans le massif des aspres, sur les contreforts orientaux du massif du Canigou. il est surtout connu pour sa magnifique tribune en marbre rose, datée du Xiie siècle, considérée à juste titre comme l’une des plus belles réalisations des artistes romans roussillonnais. L’église actuelle est formée par la nef de l’église antérieure (1069), à laquelle furent adjoints un collatéral, un transept, une galerie de cloître et les absides lors des travaux d’agrandissement du Xiie siècle. C’est cet édifice, consacré en 1151, que l’on peut voir aujourd’hui. Cependant, toute la partie occidentale, effondrée au début du XiXe siècle, a été refaite dans les années 1950-1960. au chevet, les deux absidioles du transept ne sont pas visibles car intégrées à la masse de l’édifice ; en revanche, l’abside centrale est bien visible. il reste peu de choses de la décoration intérieure en dehors de la tribune, si ce n’est des traces de fresque sur le mur sud de la nef. Le cloître est accolé au côté sud de l’église et ses arcades ouvrent sur le ravin à proximité du prieuré. ses arcades sont ornées de grandes colonnes et de beaux chapiteaux en marbre. La manifestation iN situ Patrimoine et art contemporain 2015 est accueillie au prieuré grâce au soutien du Conseil général des Pyrénées-orientales, propriétaire du site.
Jean Denant
Jean Denant installe mare Nostrum* dans le jardin du cloître du prieuré de serrabona. De sorte que, penché entre les colonnes de marbre rose du Conflent, on verra un reflet au sol dessinant les contours de la méditerranée, telle une mare de mercure à la surface argentée reflétant le ciel. Le choix de cette œuvre, récemment montrée dans le jardin des tuileries lors de la dernière FiaC, a été inspiré par la présence symbolique d’un bassin en pierre vide. en regardant attentivement cette carte, on est amené à se situer, à reconnaître les côtes qui nous sont familières. on découvre également que l’on ne peut pas tout nommer et qu’il reste une part de mystère dans cette géographie commune à tant de cultures différentes. Ce « bassin » méditerranéen contient bien l’idée d’un bien commun, comme l’était celui des moines, lieu d’échange et de partage de l’essentiel.
Jean denant est né � sète où il vit et travaille. Il est représenté par la galerie Anne de villepoix, Paris. www.jeandenant.fr
HorAIres d’ouverTure Tous les jours de 10h � 18h TArIFs visite individuelle : 4€ 12-18 ans, étudiants, groupes � partir de 15 personnes, retraités de plus de 65 ans, détenteurs du Pass Patrimoine 66 : 2€ gratuit pour les enfants de moins de 12 ans, les demandeurs d’emploi et personnes en situation de handicap sur présentation de justificatifs HorAIres de mÉdIATIon du mercredi au dimanche de 10h � 12h et de 13h � 17h ConTACT Prieuré de serrabona Tél.: 04 68 84 09 30 - www.cg66.fr
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* mare Nostrum est prêtée gracieusement par la Fondation Datris, isle-sur-la-sorgue.
Crédits : Photo du site : © michel Castillo, Conseil général des Pyrénées-orientales Photo de l’œuvre : mare Nostrum, 2014 inox poli, miroir – 0,4 x 200 x 430 cm Collection Villa Datris © tim Perceval – Collection Villa Datris, 2014 Courtoisie de l’artiste
iN SiTU dans les Pyrénées-orientales
Prieuré de marcevol
Jean-marc Cerino
arboussols
Production
In sITu
Le prieuré de marcevol est un prieuré roman dédié à sainte marie. il fait face au massif du Canigou. en 1129, l’église saintemarie de marcevol est donnée à l’ordre des chanoines du saint sépulcre de Jérusalem par l’évêque d’elne. Le prieuré fut la seule dépendance de cet ordre en roussillon. il fut alors reconstruit, comme l’atteste un testament en date de 1142 qui mentionne les travaux alors en cours sur l’édifice. Le séisme de 1428, qui fit de nombreux dégâts en Catalogne, endommagea une grande partie des bâtiments monastiques. Des réparations furent réalisées à la fin du XVe siècle (1496), avec la reconstruction de la voûte de la nef et du collatéral nord. Vendu comme bien national à la révolution, il est converti en exploitation agricole. L’édifice, classé au titre des monuments historiques par la liste de 1840, est restauré à partir des années 1970. il s’organise aujourd’hui en trois vaisseaux : le collatéral sud et la nef centrale d’une part, le collatéral nord d’autre part. La façade occidentale est remarquable par sa sobriété et sa « muralité ». elle est dominée par un clocher-mur asymétrique comprenant quatre baies. La partie supérieure gauche de la façade est partiellement effondrée. on peut observer des peintures romanes sur le portail. L’association créée en 1971 pour sa sauvegarde est devenue en 2001 une fondation reconnue d’utilité publique, pour mieux assurer son avenir et sa protection. elle continue à mener des recherches sur l’étude du bâtiment et sa préservation architecturale, tout en assurant une programmation de concerts et d’expositions durant l’été.
Dans l’ensemble de son œuvre, Jean-marc Cerino questionne l’histoire et les conditions de sa mise en visibilité en transposant des images photographiées par des auteurs le plus souvent anonymes. souvent témoins de moments forts de notre histoire politique, sociale ou artistique, ces photographies sont « déplacées » et peintes sur une plaque de verre. en interrogeant l’histoire du prieuré de marcevol, la notion de ruine et de restauration s’est vite imposée et avec elle celle de témoignage. en choisissant de réaliser trois grandes peintures, deux dans le chœur et une dans une abside, posées verticalement sur le sol (de la taille de l’autel disparu), il crée un dispositif obligeant le spectateur à repenser la nature même de ce monument. L’artiste emprunte deux images de ruines, l’une à Lee miller (Chapelle non-conformiste, 1940, Londres), l’autre à richard Peter, montrant Dresde en ruines en 1945. Ces images convoquent des moments de notre histoire passée, mais aussi des éléments d’architecture précis, les portes. Celles du prieuré de marcevol témoignent également des stigmates du temps et des catastrophes, dont celle du tremblement de terre de 1428. Le regardeur voit alors cet édifice comme un survivant. La biche introduit dans ce chaos la permanence de la nature. il y a dans la peinture de Jeanmarc Cerino une sorte d’obstination à sauver le sens, comme une tentative d’extraire des vestiges à même les décombres.
HorAIres d’ouverTure Juin : tous les jours sauf lundi de 10h30 � 12h30 et de 14h30 � 18h Juillet-août-septembre : tlj de 10h30 � 12h30 et de 14h30 � 19h
Jean-marc Cerino est né en 1965 � Bourgoin-Jallieu ; il vit � saint-Étienne et enseigne � l’École des beaux-arts de nîmes. Il est représenté par la galerie Bernard Ceysson, Paris, Luxembourg, genève, saint-Étienne.
TArIFs entrée individuelle : 3,50€ groupe � partir de 12 personnes : 2,50€ gratuit pour les enfants de moins de 12 ans
www.bernardceysson.com
Crédits : Photo du site : © Fondation du prieuré de marcevol Photo des œuvres : Chapelle non-conformiste, Londres (détail), 1940, Lee miller, 2015 Huile sur verre, peinture synthétique à la bombe sous verre - 230 x 108 cm Château de la résidence vu du Zwinger, Dresde (détail), 1945, richard Peter, 2015 Huile sur verre, peinture synthétique à la bombe sous verre - 230 x 108 cm Vue d’atelier, pièces en cours de réalisation
HorAIres de mÉdIATIon du mercredi au dimanche de 10h30 � 12h30 et de 14h � 18h ConTACT Prieuré de marcevol Tél.: 04 68 05 24 25 - www.prieure-de-marcevol.fr
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2015 Du 28 mai au 20 sePtembre 2015 un itinéraire d’exception en Languedoc-roussillon 11 sites PatrimoNiauX - 10 artistes CoNtemPoraiNs
informations pratiques Organisation
association Le Passe muraille 4 avenue de l’europe Z.a. La Plaine 34830 Clapiers tél. : 04 67 06 96 04
Directeur
Pierre Plancheron Coordination
aurélia Sleurs Commissariat
marie-Caroline allaire-matte
Relations avec la presse
Lorraine Hussenot tél. : 01 48 78 92 20 lohussenot@hotmail.com
www.patrimoineetartcontemporain.com Crédits illustration de l’œuvre (1ère de couverture) : rainer Gross, Deux mille cent, 2015 - installation sculpturale en lattes de peuplier noircies - 95 m de longueur totale © Florine senouillet
Coordonné par
Initié par
. n Licence entrepreneur du spectacle : 2-1050782/3-1050737
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BILAN / MANIFESTATION IN SITU 2015
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Rainer Gross
Installations sculpturales
Projet pour le Palais des archevêques à Narbonne (L’escalier d’honneur du Palais Neuf) dans le cadre de
IN SITU Patrimoine et art contemporain 2015
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Avant-propos Je tiens à souligner que mes installations sont en premier lieu le fruit du plaisir de la création plastique, de "construire et dessiner dans l’espace" et qu’elles sont toujours indissociablement liées au lieu de leur construction vu qu’elles dépendent totalement de leur environnement respectif comme source d’inspiration. Ces installations sont avant tout des "sculptures". En tant qu'objets, elles se découvrent tout d'abord à travers le prisme des sens, c'est-à-dire que leur perception dépend de la sensibilité de chacun face à leur tridimensionnalité et leur présence plastique, leur tactilité et qualité graphique, en tant que "dessin dans l'espace". Mon projet pour Narbonne s’inscrit parfaitement dans cette démarche comme elle a été décrite, par exemple, en 2011 pour l’exposition dans une chapelle médiévale en Bretagne : Les sculptures de Rainer Gross sont des œuvres monumentales conçues à l’échelle d’une architecture ou d’un paysage. Elles se composent de centaines de pièces de bois patiemment assemblées. [A la chapelle Saint-Nicolas,] une structure linéaire se déploie dans la quasi-totalité de l’édifice. Le tracé et la souplesse de cette œuvre sculptée – construite avec des lattes de peuplier noircies – évoquent le dessin ou la calligraphie. Le mouvement induit par l’ondulation de la ligne emporte le spectateur avec lui. Celui-ci est contraint de traverser l’œuvre, de suivre son cheminement, de l’enjamber. Au-delà d’une expérience physique, Rainer Gross invite le spectateur à prendre conscience des signes de changements, de dégradation et de disparition présents dans le lieu. Il souligne l’impermanence des choses et des êtres s’inscrivant ainsi dans la tradition des mémento mori. [Petit journal de la 20e édition de L’art dans les chapelles]
Le Palais des archevêques et la cathédrale de Saint-Just et Saint-Pasteur forment un ensemble architectural exceptionnel. Construit sur des vestiges gallo-romains et réaménagé maintes fois au cours de sa longue histoire, cet ensemble est un témoin éloquent des mutations inéluctables dû aux forces de l’érosion et aux activités de l’homme. Depuis des siècles, il est soumis aux assauts du temps : à l’action destructrice du climat aussi bien qu’à celui provoqué par des changements de pouvoir politique et de religion, de goûts et de styles, …. un monument comme "mémoire du lieu". Ce sont ces aspects d’une continuité temporelle et d’oppositions entre le fluant et l’immuable, la présence et l’absence, la mémoire et l’anticipation, qui m’attirent beaucoup et qui à chaque fois inspirent mon travail dans des sites historiques : l’ancien et le nouveau juxtaposés et superposés, coexistence du païen et du chrétien, l’antique et le moderne intimement liés. En effet, il est possible de saisir ici le cours du temps, la caducité de l’homme et la relativité de toute chose. À chaque fois que j’interviens dans un tel contexte avec une installation sculpturale, la question se pose à moi : comment la réussir en dialogue et avec l’aide de cette architecture, par le biais d’éléments existants. Et à chaque fois je pense (et « adhère ») à cette « révélation » qu’avait l’artiste israélien Dani Karavan pendant la réalisation d’un monument à la mémoire de Walter Benjamin (« Passages » à Port-Bou). À un certain moment, face à l’ambiance et la mémoire du lieu, il s’est rendu compte « que le travail existait déjà….qu’il suffisait de le faire voir aux gens. » (« Die Arbeit ist schon da….ich muss die Leute nur dazu bringen, sie zu sehen.“)
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Alors Narbonne ! Lors de ma première visite de l’ensemble « Palais et Cathédrale » à la fin de 2013 j’avais déjà choisi (peut-être instinctivement) « l’escalier d’honneur » du Palais Neuf comme lieu préféré d’intervention. Pourtant, cette construction monumentale représente un véritable défi : il s’agit d’un escalier classique à balustres, se développant en quatre volées droites autour de huit piliers qui – malgré l’élégance indéniable de l’ensemble – confèrent à cette cage d’escalier aussi une grande rigidité et lourdeur ainsi que – visuellement – une certaine « étroitesse » en bloquant continuellement l’une ou l’autre perspective.
Cette ample construction d’une grande hauteur fait partie d’une tour médiévale semi-cylindrique, fondée sur des bases antiques. L’escalier actuel fut aménagé dans les années 1620 pour accéder commodément aux appartements des archevêques au deuxième étage (nouvellement aménagés). Il remplaça un escalier à vis médiéval. Ainsi sont déjà mentionnés qq. repères pour le développement de ce projet.
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Ma deuxième visite à Narbonne en janvier 2015 pour prendre les mesures m’a fait découvrir quelques informations supplémentaires qui ont été décisives pour l’extension de mon projet. Il s’agit en particulier de trois éléments. 1 Le souhait a été exprimé de ne pas se limiter à l’intérieur mais d’essayer d’intervenir également à l’extérieur (cour du Palais Neuf) pour attirer l’attention sur l’escalier qui mène vers le musée des Beaux-arts.
2 Dans ce contexte qq. détails du lieu ont attiré mon attention : Le fer forgé au-dessus de la porte
La grille de fer dans la fenêtre aveugle
Les créneaux
3 Last but not least, c’est la reproduction de la Louve Capitoline, offerte par la ville de Rome à l’occasion des deux mille cent ans de la fondation de Narbonne, qui a contribué à pousser/élargir mon projet vers un ensemble d’installations d’une plus grande envergure. Elle a aussi donné lieu au titre pour ce projet.
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Le projet
Deux mille cent
Trois installations sculpturales en lattes de peuplier
Mon projet pour le Palais épiscopal de Narbonne se concentre entièrement sur la situation ici et maintenant. Il n’a tout d’abord pas d’autre objectif que de transmettre une expérience spatiale et de créer un contrepoids visuel au milieu environnant chargé d’histoire. En même temps, il renvoie par le biais de connotations et d’associations au caractère fugace de notre monde pour interroger notre rapport au passage du temps, aux constructions humaines et au cycle de la vie. L’intention serait de créer trois installations sculpturales de différentes formes et tailles. La majorité de cet ensemble se développe à l’intérieur du palais dans la cage de l’escalier d’honneur. Chacun de ces faisceaux de lattes flexibles (noircies) dessine un mouvement dans l’espace. 1 Une forme courbée (cercle non fermé), à l’extérieur dans la cour, fixée contre le mur à droite de l’entrée (avec l’aide de la grille de fer dans la fenêtre aveugle). 2 Une forme circulaire (anneau fermé), à cheval entre l’extérieur et l’intérieur dans l’axe de la cage d’escalier. Ce cercle sort par la fenêtre au 1° étage et entre par la grille en fer forgé au-dessus de la porte . 3 Une forme linéaire avec un tracé vertical en spirale qui commence entre les pattes de la louve, traverse les deux étages et finit en sortant par la fenêtre au 2° étage (coté cour). La trajectoire spiralée commence en courbes étroites pour s’élargir de plus en plus avec la hauteur. Le « tronçon » final visible à l’extérieur en haut du bâtiment est également courbé. Il prendra appui sur le châssis de fenêtre et le mur crénelé. La totalité de cet ensemble ne peut pas être appréhendé d’un seul regard. La description suivante se réfère à une visite par l’entrée de la cour. Aux visiteurs qui entrent par la terrasse, les installations vont se révéler d’une autre manière. Dans la cour, avant d’entrer dans la cage d’escalier, le visiteur ne voit que trois éléments géométriques semblables : des arcs de cercle de dimensions différentes. Seulement un des trois est visible comme élément complet (1). Les deux autres font partie de structures plus grandes (2 et 3), dissimulées en grande partie à l’intérieur. Leur forme complète et les liens des installations se construisent lentement dans l’esprit de chaque visiteur à mesure que celui-ci se déplace en montant l’escalier vers le musée. L’installation dans la cour (1) décrit à peu près deux tiers d’un cercle. Elle « plane » audessus des spectateurs. Avec ses deux extrémités libres elle parait incomplète, encore à achever, peut-être un peu menaçante, comme si elle voulait saisir ou attraper « quelque chose »…….. Pour entrer dans le bâtiment, il faut passer en-dessous. Le faisceau circulaire (2) prend appui sur un châssis de fenêtre, le fer forgé en haut de la porte et (à l’intérieur) sur la balustrade au 1° étage (palier 2). Vu de l’extérieur, on soupçonne que l’arc se prolonge vers l’intérieur, ce qui se confirme en entrant (et plus tard en montant), mais jamais est-il possible de voir ce cercle en entier. (Inutile de mentionner que le cercle est l’un des symboles universels les plus profonds.)
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Dès l’entrée par la cour on aperçoit le début de la 3ième installation plus loin à l’intérieur. En s’approchant elle se révèle comme une structure spiralée qui incite à orienter le regard vers le haut. Ce faisceau en spirale est d’abord plus fin et étiré, ce qui augmente la dynamique de son mouvement élancé. Partant de la Louve en bronze la spirale se développe d’abord à l’intérieur du « puits de lumière » (formé par les deux rangées de quatre piliers chacune), elle s’élargit à partir du 1° étage (palier 2) jusqu’à atteindre la largeur totale de la cage d’escalier (les deux murs latéraux). Vers la fin, le faisceau change de direction pour s’échapper par le haut de la fenêtre du 2° étage (palier 4) avec un mouvement courbé, pointu vers l’infini du ciel. Comme dans le cas du cercle, la spirale n’est jamais visible en entier ; en montant vers les anciens appartements des archevêques (le musée), les piliers, l’escalier et les paliers vont continuellement cacher une (grande) partie de l’ensemble, l’image complète se forme par l’imagination a travers cette multitude de perspectives changeantes. Néanmoins, la dynamique de ce faisceau spiralé et la légèreté de son mouvement sont de nature à contrecarrer la rigidité des piliers et la lourdeur de leur masse minérale. Comme une sorte de jeu pour saper les illusions de stabilité et de durabilité. En outre, la spirale renvoie à l’escalier à vis disparu (tout comme les trois arcs de cercle à l’extérieur) . Autre détail et référence supplémentaire : au niveau du 1° étage, les tracés du cercle (vertical) et de la spirale (horizontal) se croisent. Ainsi va-t-on voir à partir du palier 2 (le dos tourné à la fenêtre) la forme d‘une croix qui masque (à contre-jour) la vue sur la très grande fenêtre du palier 3. La disposition de tous ces éléments ouvre aux visiteurs de nouvelles et changeantes perspectives et configurations au fur et à mesure de ses déplacements. En même temps, il y a des références directes à l’histoire de ce lieu et à la notion universelle de l’impermanence qui laissent au visiteur une place à son imaginaire et peuvent provoquer un dialogue entre le passé et le présent, entre le visible et l’invisible. Ce projet d’envergure à Narbonne constitue pour moi un pas nouveau. Certes, les formes des installations font partie de mon « vocabulaire », mais pour la première fois j’en combine trois à la fois. En outre, toutes les trois se développent – autre nouveauté – « à la verticale » ! Enfin, en ce qui concerne le titre, il est délibérément ambigu. Ce chiffre peut se lire comme une durée (2100 ans), mais aussi comme une date voire un délai : l’année 2100 ! Ainsi, la référence historique à l’âge de cette ville devient une piste de réflexion par rapport à la contemporanéité et notre présence ici et maintenant. C’est que la distance temporelle jusqu’en 2100 a tout à fait une dimension humaine (elle correspond à peu près à notre espérance de vie actuelle), mais pour les acteurs et visiteurs adultes d’une exposition en 2015, cette date est infiniment plus éloigné……Carpe diem.
Remarques Comme toujours dans la description de mes projets, je me permets de souligner que les croquis/schémas du dossier demandent une certaine « imagination de lecture »; ce sont des esquisses assez simples qui ne présentent que le principe des installations. Ces représentations simplifiées illustrent (approximativement) l’emplacement, le volume et le mouvement dans l’espace. Elles ne rendent pas la multitude de perspectives qui vont s’offrir au visiteur, et elles ne montrent pas non plus la structure de lattes. Il est à peu près impossible de rendre en dessin l’apparence/l’esthétique très spécifiques, la densité/translucidité et l’effet spatiale de ces assemblages. (Pour en avoir une certaine idée, cf. photos dans les publications sur mes installations in situ.) A noter aussi, que le procédé comporte un certain degré de variabilité: le caractère évolutif fait partie intégrante d’une installation in situ. 116
Projet pour le Palais des archevêques à Narbonne – 2015 Deux mille cent
Installations sculpturales : trois faisceaux de lattes de peuplier noircies 1 Une forme courbée : 2/3 d’un cercle : Ø ± 5 m 2 Un cercle complet : Ø ± 8 m 3 Une structure spiralée : Dimensions hors tout (hauteur x longueur x largeur) approx. en m: 19 x 16 x 8 ; longueur du faisceau en spirale : ± 60 m Longueur totale des trois faisceaux : ± 95 m, largeur et « épaisseur » variables
4
3
2 1 vers la terasse
Rez
+
Fixations aux murs latéraux
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Dans la cour, avant d’entrer dans la cage d’escalier, le visiteur ne voit que trois éléments géométriques similaires : des arcs de cercle de dimensions différentes. Un seul des trois est visible comme élément complet (1). Les deux autres font partie de structures plus grandes (2 et 3), dissimulées en grande partie à l’intérieur du bâtiment.
3
2
1
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2 2
1 1
L’installation dans la cour (1) est fixée avec l’aide de la grille de fer dans la fenêtre aveugle du mur à droite. Elle « plane » au-dessus des spectateurs. Avec ses deux extrémités libres elle parait incomplète, peut-être un peu menaçante, L’installation la coursaisir (1) est fixée avec l’aide de la grille de fer pour dans la comme sidans elle voulait les visiteurs qui doivent passer en-dessous fenêtre aveugle du mur à droite. Elle « plane » au-dessus des spectateurs. Avec entrer dans le bâtiment.
ses deux extrémités libres elle parait incomplète, peut-être un peu menaçante, Vusideelle l’extérieur, soupçonne que l’arc 2 se prolonge l’intérieur pour comme voulaiton saisir les visiteurs quin°doivent passervers en-dessous pour former un cercle, ce qui se confirme en entrant (et plus tard en montant), mais entrer dans le bâtiment. dans aucune position est-il possible de voir ce cercle en entier.
Vu de l’extérieur, on soupçonne que l’arc n° 2 se prolonge vers l’intérieur pour former un cercle, ce qui se confirme en entrant (et plus tard en montant), mais dans aucune position est-il possible de voir ce cercle en entier.
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4
2° étage
balustrade 2
1° étage
Palier 3
Palier 1
fer forgé Rez
Le faisceau circulaire (anneau fermé) se trouve à cheval entre l’extérieur et l’intérieur dans l’axe de la cage d’escalier. Il prend appui sur le châssis de fenêtre du palier 2, le fer forgé en haut de la porte et (à l’intérieur) sur la balustrade au 1° étage.
Dès l’entrée par la cour on aperçoit le début de la troisième installation à l’intérieur. En s’approchant elle se révèle comme une structure spiralée qui incite à diriger le regard vers le haut. Ce faisceau en spirale est d’abord plus fin et étiré, ce qui augmente la dynamique de son mouvement élancé.
Principe du mouvement dans l’espace 120
Partant de la Louve en bronze la spirale se développe d’abord à l’intérieur du « puits de lumière » formé par les deux rangée de quatre piliers.
vers la terrasse
Plus haut (à partir du 1° étage = palier 2), elle s’élargit jusqu’à la largeur totale de la cage d’escalier (fixation aux deux murs latéraux). Vers la fin, le faisceau change de direction pour s’échapper par le haut de la fenêtre du 2° étage (palier 4) avec un mouvement courbé, pointu vers l’infini du ciel.
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Au 1° étage, les tracés du cercle (vertical) et de la spirale (horizontal) se croisent. ici
4
2
Ainsi, le visiteur verra sur le palier 2 (le dos tourné à la fenêtre sur la cour) la forme d‘une croix qui masquera (à contre-jour) la vue sur la très grande fenêtre du palier 3.
3
2
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cour
Rainer Gross rainer_gross@skynet.be
Né en 1953 à Berlin (Ouest). Vit et travaille à Bruxelles depuis 1977. 1972-77
1978-81 1986 1991 12/1991 1993 1994
Études en Linguistique Appliquée (“Angewandte Sprachwissenschaft”) à l’université Johannes Gutenberg de Mayence (D), ainsi qu’à Paris (F) et à Mons (B). Diplôme universitaire de traducteur (Anglais, Français). Académie des Arts de Woluwe-St-Pierre, Bruxelles (sculpture, gravure). Premières expositions de groupe. Commence à travailler comme journaliste technique/correspondant free-lance (Europe/MoyenOrient) pour une multinationale américaine. Interrompt la sculpture pendant plusieurs années. Reprend l’activité artistique. Travaille en parallèle comme journaliste/correspondant et sculpteur. Lauréat du Prix Louis Schmidt, Bruxelles. Première exposition personnelle (pierres/marbres). Commence à travailler également le bois en taille directe (tronçonneuses). Premières installations in situ (“Inclusion sculpturale”, Parc Malou, Woluwe-St-Lambert, et Salle ogivale de l’Hôtel de Ville de Bruxelles).
1997 1997 1999 2000 2000
Influencé par ces installations, commence à travailler l’acier. Lauréat du Prix de sculpture monumentale du Musée Van Buuren, Bruxelles. Troisième installation in situ ("Transit", Hoeillaart). Sculpture (acier) dans l’espace public: Centre culturel de Woluwe-St-Pierre, Bruxelles Sculpture (acier inox/chêne) dans l’espace public: Rond-point Roi Baudouin, Kraainem Quatrième installation in situ (Grange du Faing, Jamoigne, Centre d’Art Contemporain du Luxembourg Belge)
Depuis 1993 : participation à un grand nombre d’expositions collectives, ainsi que cinq expositions individuelles à Bruxelles et Waterloo : 1993 – 1995 – 1996 – 1998 – 1999. Voyage intensément (l’Amérique du Nord, l’Inde, l’Australie, l’Afrique de l’Ouest et du Nord, Japon). Autour de l’année 2005 décide d’arrêter ses activités de copywriting technique et de se concentrer entièrement à l’art. Depuis cette date, et plus particulièrement depuis le premier projet en France en 2007, les installations sculpturales in situ ont fortement gagné en importance.
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Rainer Gross Installations in situ et expositions majeures depuis 2004
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personnelles (P) et collectives (C)
2004
Château de Jehay, Province de Liège (B) (P) Galerie Faider, Bruxelles
2005
Hof Ter Saksen, Beveren (B) Forêt de Soignes, Jezus-Eik bos, Overijse (B) (C) A travers bois, Monos Art Gallery, Liège
2006
(C) Semaine allemande, Monos Art Gallery, Liège
2007
Massif du Sancy, Auvergne (F) (P) Galerie Faider, Bruxelles (C) Commissaire/participant : Beeldig Hof Ter Saksen IX (Beveren)
2008
Gréoux-les-Bains, Haute Provence (F) Domaine de Chaumont-sur-Loire (F) Centre culturel De Markten, Bruxelles (B)
2009
CACLB, Parc archéologique Montauban (B) Parc de la Garenne, Melle, Deux-Sèvres (F) Eglise Saint-Savinien, Melle, Deux-Sèvres (F)
2010
Allée des tilleuls, Abbaye de Noirlac, Cher (F) Réfectoire, Abbaye de Noirlac, Cher (F) (P) Galerie Faider, Bruxelles (P) Galerie Linz, Paris (avec Michel Mouffe et Christine Nicaise, peintures)
2011
Chapelle à Saint-Nicolas-des-Eaux, Pluméliau, Bretagne (F) (P) Centre Culturel d’Ittre (avec Michael Kravagna, peintures) Domaine de Kerguéhennec, Parc de sculptures, Bretagne (F) Parc de Kernault, Quimperlé, Bretagne (F) Manoir de Kernault, Quimperlé, Bretagne (F) La Médiatine, Woluwe-St-Lambert (B)
2012
Prieuré Saint-Michel de Grandmont, Languedoc-Roussillon (F)
2013
Domaine du Château d’Avignon, Camargue (F) Domaine national de Saint-Germain-en-Laye, Yvelines (F)
2014
Galerie Faider, galerie d’art contemporain, Bruxelles (B) (P) Galerie Faider, Bruxelles Site du Baptistère Saint-Jean et Musée Sainte-Croix, Poitiers, Vienne (F) (P) Musée Sainte-Croix, Poitiers Grange Malga Costa, Borgo Valsugana (TN), Italie Parc de sculptures Arte Sella, Borgo Valsugana, Trentino (I)
2015
Palais des Archevêques, Narbonne, Languedoc-Roussillon (F) Teatro naturale, Arte Sella, Borgo Valsugana, Trentino (I) Bois Velay, Athis-de-l’Orne, Normandie (F)
Collections Patrick Lannan Foundation (USA) Communauté française de Belgique Commune d’Etterbeek (Bruxelles) Commune de Woluwe-St-Pierre (Bruxelles) Ville de Waterloo (Belgique) Domaine de Chaumont-sur-Loire Domaine de Kerguéhennec Musée Sainte-Croix de Poitiers Arte Sella (Italie) Collections privées (Belgique, RFA, France, Italie)
Bibliographie sélective Publications (monographiques) 1993 2010 2011 2011 2011 2012 2014
Aufbruch – Skulpturen und Bilder, Galerie Regard 76, Bruxelles Rainer Gross à l’abbaye de Noirlac, Centre culturel de rencontre Rainer Gross - IN SITU, Cloître Imprimeur, Brest Rainer Gross / Regard d’artiste, Bernard Chauveau Éditeur, Paris Rainer Gross – Nature morte, La Médiatine, Bruxelles In Situ – Tjeerd Alkema, Richard Deacon, Rainer Gross, Les éditions Bervillé Rainer Gross – Flux, Ville de Poitiers et Musée Sainte-Croix
Publications (collectives) * Catalogue d’exposition 1994 1997 1997 1999 2002 2004 2004 2005 2005 2006 2007 2007 2007 2008 2009 2009 2010 2011 2011 2012 2013 2014 2015 2015
*Inclusion sculpturale, Parc Malou Kaleidoscope ou les Mémoires vivantes de la GPOA, 1997 *Prix de sculpture monumentale Van Buuren ISELP, Environnemental 19-20, “Guide pour un labyrinthe: l‘Art dans la ville“ Les sculptures de Bruxelles. Inventaire. Galerie Patrick Derom Lieux et mémoires, CACLB 1984-2004, Centre d’Art contemporain du Luxembourg belge, *Grandeur nature, Parc/Château de Jehay *Beeldig Hof ter Saksen 8: Aarde *HoutWoud, Centre culturel debosuil La sculpture en Belgique à partir de 1830 (Lexique en 7 volumes). Engelen-Marx GPOA 35 ans, Galerie de prêt d’œuvres d’art *Beeldig Hof ter Saksen 9: Natuurlijk geometrisch/naturellement géometrique *Horizons – Rencontres Arts Nature *Histoires d’eaux – histoires d’art Une idée d’art à Montauban, Patrimoine, paysage, nature, CACLB *Journal Biennale internationale d’art contemporain à Melle Arts visuels & temps, Signes et symboles, Scéren-CRDP, Besançon Chaumont-sur-Loire, Un château, un bourg, Images du patrimoine : Centre, Éditions Lieux Dits *Arts dans les chapelles, 20ième édition [monumental], Monuments historiques et création artistique, Éditions du Patrimoine Égarements, Art contemporain au Domaine du Château d’Avignon en Camargue, Silvana Editoriale, Milano Semaine hors-série Ulysses Volume 2/2, Marseille-Provence 2013, Analogues, Arles In Situ 2015 – Patrimoine et Art contemporain, Éditions Méridianes ELAN – European landart network, Silvana Editoriale, Milano
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Revues/périodiques (récents) Arts Antiques Auctions, juillet/août 2007 Télérama, numéro double: special paysages, 4-17 août 2007 La Lettre du domaine de Chaumont-sur-Loire n° 1, été 2008 Le Soir, Victoire, 11 avril 2009 CACLB, périodique semestriel n° 3, juillet-décembre 2009 Connaissance des Arts, Hors série n° 367 (2008) Kunstforum International, Bd. 193, 2008, pp. 376-379 Connaissance des Arts, Hors série n° 409 (2009) Berry Magazine, été 2010 – n° 94 Télérama Sortir, Spécial Bretagne, 29 juin 2011 Arts Magazine, Spécial été, juillet/août 2011 Le journal des Arts, n° 351, juillet-septembre 2011 Art absolument, n° 42, juillet/août 2011 Arts sacrés, n° 12, juillet/août 2011 L’événement, n° 403, été 2011 Canopée, Nature&Découvertes, Actes Sud, no.10, 2012 L’œil, no. 649, septembre 2012 Kunstforum International, Bd. 218, 2012, pp. 383 Le Journal de Saint-Germain, n° 630, 21.6.2013, p. 20 Arts Magazine, Spécial été, juillet/août 2013 La Rencontre, Revue des Amis du Musée Fabre, Montpellier, N° 104, 2 ième trimestre 2013
Textes, articles et mentions importantes Carine Fol: Le dialogue avec la pierre, dans Rainer Gross Aufbruch, 1993 Pierre-Olivier Rollin: Itinéraire, brochure Waterloo, 1999 Een beeldhouwwerk voor koning Boudewijn, RandKrant, juli 2000 Marion Schmitz-Reiners: „Deutsche“ Plastik zu Ehren König Baudouins, Der Kontakt, das deutschsprachige Magazin in Belgien, Jul/Aug 2000 Georges Fontaine : Lieux et mémoires, 2004, pp.44-45 et 49 Marc Ruyters: Aarde, catalogue Beveren 2005 Roger Pierre Turine: Rainer Gross, Arts Antiques Auctions "Galerie", 1997, pp. 90-91 Sophie Cachon: L’école des bio-arts, Télérama, 1.8.2007, pp.25-26 Danièle Gillemon: Le sculptuer et le jardinier, entre solitude et sérénité, Le Soir, 22.8.2007 Amine Haase: Kunst und Natur, Kunstforum international no. 193, 2008, pp. 376-379 Lucie Agache : Une biennale en demi-teinte, Connaissance des Arts, 16.7.2009 Benoit Piedboeuf : Introduction, catalogue Montauban, 2009 Dominique Truco: Rainer Gross, Journal de la biennale internationale de Melle, 2009 Claude Lorent : Site enchanteur et interventions artistiques, La Libre Culture, 26.8.-1.9.2009 Jean-Jacques Salgon: Carrément révolu et Fuga mundi, catalogue Noirlac, 2010 Roger Pierre Turine: Rainer Gross à Noirlac, La Libre Culture, 15-21.9.2010 Harry Bellet : L’art fait revivre les chapelles, un miracle breton, Le Monde, 28.7.2011 Bénédicte Philippe : Esprit de chapelle, Télérama, Spéciale Brétagne, 29.6.2011 Marie Zawisza, Vertiges sous les clochers, Arts Magazine, Juillet-Août 2011 Julie Portier : La retraite spirituelle de l’art, Le journal des Arts, 8.7.2011 Marion Estimbre : Pélerinages contemporains, Mouvement.net, 6.7.2011 Amine Haase : L’écho du souvenir, Rainer Gross – In situ, 2011 Philippe Ifri : Rainer Gross, entre saisissement et jaillissement, Regard d’artiste, Bernard Chauveau, Editeur Paris, 2011
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Olivier Delavallade : Un été à Kerguéhennec, Guide d’accompagnement, Juin 2011 Claude Lorent : Jaccard, Gross et Tual, Arts Libre, 2.9.2011 Dominique Legrand : Bois écorchés et faisceaux de lattes, Le Soir, 14.9.2011 Roger Pierre Turine : Nature morte et Regards transformés, La Libre Culture, 21.9.2011 Pierre-Olivier Rollin: Rainer Gross. Natures mortes. Catalogue La Médiatine, 2011 Aline Le Grand : Les noces du profane et du sacré, Canopée, Actes Sud, no.10, 2012 Jean-Claude Renard : Concordance de temps, Politis, 12.7.2012 In situ – quand l’art contemporain fait rayonner le patrimoine culturel, Dossier : Focus de la semaine, La Gazette économique & culturelle, no. 1599, 31.7.2012 BNT : Les romanes de l’été : In situ 2012, L’art-vues, août/septembre 2012 Michel Démelin. Quand la sculpture contemporaine entre dans les églises, La GazetteMAG Lina Mistretta : Rainer Gross redessine le prieuré, L’œil , septembre 2012 Amine Haase: In situ, Kunstforum international no. 218, 2012, p. 383 Pierre Manuel : In situ 2013, Patrimoine et art contemporain, La Rencontre N° 104, pp. 2-7 Danièle Gillemon: Rainer Gross, Le Soir, MAD, 5.2.2014 Roger Pierre Turine : Rainer Gross en toute liberté, La Libre Culture, N° 217, 31.1.-6.2.2014, p. 8
Reportages télévisés: Tele Bruxelles, avril 94, juin 98 Ring TV, avril 2000 RTBF La Deux, HEPTaxi (Re)Diffusion(s): 28./29./30.10.2004 France3 Auvergne, 9.7.2007 TVLux, Rainer Gross à Montauban, JT du 28.5.2009 France3 Nationale, Côté jardin : 4.5.2009 France3 Nationale, le nouveau Chaumont, 1.+2.8.2009 Arte Belgique/RTBF : 50° Nord, septembre 2011 Télé Bruxelles, Bouge B, du 4 au 9.2.2014
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QUESTIONNAIRE Rainer Gross, 2100, Palais des archevêques de Narbonne, In Situ 2015. Ce questionnaire est réalisé dans le cadre d'un mémoire de fin d'étude en architecture. Toutes les informations recueillies resteront confidentielles. Merci de votre participation.
- Prénom : …......................................................... - Age : …..................................................................
- Sexe : F M - Profession : ................................................................
___________________________________________________________________________________________ 1) La présence de cette œuvre dans la cour d'Honneur vous a-elle intrigué, attiré jusqu'ici ? …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................
2) Vous attendiez-vous à découvrir cette intervention artistique ? Pensez-vous que cela soit un lieu adapté ? …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................
3) Cette œuvre représente-elle pour vous une œuvre d'art ? pourquoi ? …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................
4) En temps général, vous intéressez-vous à l'art contemporain ? …........................................................................................................................................................................................................................................…............ ….........................................................................................................................................................................................................................................…........... …............…........................................................................................................................................................................................................................................
5) Après expérimentation de cette œuvre, quel est votre ressenti en quelques mots ? Avez-vous éprouvé des émotions particulières ? …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................
6) Que pensez-vous de l’échelle de cette œuvre par rapport à son contexte ? …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................
7) De l'interaction entre l’œuvre et le bâti ? …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................
8) De l'interaction entre l’œuvre et le spectateur ? …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................
9) Selon vous, cette œuvre vous aura t-elle permis d'ouvrir les yeux sur le bâtiment ? Grâce à elle, pensezvous avoir regardé, expérimenté l'architecture autrement ? …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................
10) Selon vous, cette œuvre est-elle réussie ? Vous aura t-elle marqué et en parlerez-vous autour de vous ? …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................
11) Enfin, sauriez-vous définir ce que serait pour vous une œuvre d'art réussie ou « juste » ? …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................ …............…........................................................................................................................................................................................................................................
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Questionnaire réalisé par Pauline ROUFFIA, Étudiante en Master 1 recherche Histoire de l’Art Moderne et Contemporain, Université Montpellier III Paul Valéry, à l'attention de Léonie DESHAYES, médiatrice IN SITU – Patrimoine et art contemporain sur le site du palais des archevêques aux mois de juillet et d'août lors de l'édition de 2015.
Public rencontré • 1. Les visiteurs étaient-ils nombreux au Palais des Archevêques ? • Oui, le site est apprécié des visiteurs, très prisé par sa localisation au centre historique et sa cathédrale gothique. • Beaucoup plus de monde en août. • Environ 2114 visiteurs pour juillet, et 2226 pour août. • 2. Étaient-ils plutôt français ou étrangers ? • En juillet moins de visiteurs étrangers qu'au mois d'août, généralement plus de visiteurs français. • 3. Concernant les touristes français, venaient-ils de régions éloignées du LanguedocRoussillon ? • Oui, plusieurs de la région parisienne, de Bretagne, Auvergne, Alsace, Pays de la Loire, toute la côte méditerranéenne (Marseille, Nice). • 4. Hormis les touristes, as-tu également rencontré des habitants de Narbonne dans laquelle se trouvait l'œuvre IN SITU ou des villages environnants ? • Plusieurs habitants de Narbonne, Gruissan, Saint-Pierre la Mer, Armissan, Bages, Carcassonne sont venus spécialement voir l’œuvre durant tout l'été, où ils avaient pu avoir connaissance de la manifestation grâce à la presse. • 5. Est-ce que ce public t'a semblé avoir une réaction différente face à l'introduction d'une œuvre d'art contemporain dans un lieu qui lui est familier ? • Deux avis s'opposent face à l'installation In Situ par les habitants de Narbonne et des villages alentours ; œuvre parfaitement bien intégrée, dynamise la ville grâce à ce programme / ou au contraire, très choquant, pas du tout appropriée au site et vient complètement gâcher l'architecture classique de l'escalier d'honneur. Ces derniers restaient quand même curieux à l'idée de la découvrir. • Dans l'ensemble, la monumentalité et la précision de réalisation de Rainer Gross donne un point positif au regard du public local. • 6. Concernant les touristes étrangers, quelles nationalités as-tu le plus rencontrées ? • J'ai pu rencontrer plusieurs touristes espagnols, de Royaume-Uni, Italie et Belgique (même si certains sont francophones). • 7. Est-ce que la médiation t'a paru différente au contact de ces visiteurs ? • Oui, elle paraissait plus facile, car public généralement très curieux de découvrir un pays étranger et l'histoire des sites (ici en l’occurrence à Narbonne, j'ai pu faire la médiation de l’œuvre tout en expliquant l'origine de la ville de Narbonne. La relation entre les deux a tout de suite été évidente pour le public étranger, qui a trouvé le concept original. Par contre, difficile de la faire en présence de familles étrangères avec enfants, qui semblaient un peu moins réceptifs.
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• 8. Ont-ils eu des réactions autres que celles des visiteurs français ? • Oui sensiblement, les réactions étaient très spontanées et positives, comme "Whaaou", "Great". Dans l'ensemble et contrairement au public français, ils ont tout de suite compris que j'étais là pour expliquer la présence de l’œuvre et non pour réceptionner les tickets du musée. • 9. Les enfants ont-ils été nombreux à visiter ce site ? De nombreux enfants ont visité le site, dans l'ensemble fascinés par le banc de Lilian Bourgeat sur la terrasse, beaucoup moins par la sculpture de Rainer Gross. Par contre la Louve antique située au rez-de-chaussée de l'escalier a suscité un intérêt particulier, me permettant de faire la médiation pour eux à partir de son histoire. • 10. A-t-il été facile d'adapter la médiation aux plus jeunes et de les intéresser à l'art contemporain ? • Au départ, réaliser une médiation adaptée aux plus jeunes restait complexe, ne sachant pas encore comment les intéresser à l'art contemporain. Pour ceux qui avaient entre 8 et 12 ans (âge qui correspondait au petit carnet de découverte), la médiation était intéressante car j'ai pu remplir avec eux les carnets, ce qui rendait les parents contents et satisfaits. • Quelques difficultés pour les jeunes adolescents, dans l'ensemble peu intéressés par le contemporain, même si de nombreux jeunes m'ont fait remarqué que après médiation, l'idée de l'artiste paraissait plus claire et leur avis était plus positif. • 11. As-tu rencontré beaucoup de retraités et des personnes âgées ? • J'ai rencontré des retraités tout au long du stage, un peu moins de personnes âgées au delà de 65 ans. • Ont-ils eu des réactions différentes des autres visiteurs, plus négatives ou positives ? • Les réactions étaient sensiblement différentes des autres visiteurs (notamment familles avec enfants, jeunes couples) ; beaucoup plus négatives face à l’œuvre exposée, réticence par rapport aux explications que j'apportais. Certains ont montré une certaine agressivité, avec des idées comme " il faudrait tout démonter et faire un énorme barbecue avec ", " c'est moche, de toute façon c'est de l'art moderne " (terme qui n'est pas exact...). Certains sont passés à côté de moi sans esquisser un sourire. J'ai dans l'ensemble eu une difficulté certaine a faire la médiation après de ce public. Par contre, les personnes âgées avec petits enfants étaient contents d'avoir la présence d'un médiateur. • 12. Globalement, les visiteurs venaient-ils en premier lieu pour découvrir le Palais des Archevêques ou pour admirer l'œuvre de Rainer Gross (ou bien les deux) ? • La plupart des visiteurs venaient à Narbonne pour découvrir le Palais des Archevêques, même si plusieurs d'entre eux venaient par la même occasion admirer l’œuvre. En juillet, plusieurs visiteurs sont spécifiquement venus voir l'installation (car artiste internationalement reconnu, certains s'étaient rendus sur les autres sites proposés par IN SITU, particulièrement SaintGuilhem, Fontfoide et Pézenas). • 13. Certains étaient-ils au courant de la tenue de l'exposition IN SITU avant de se rendre sur le site ? Semblaient-ils suivre le parcours de la manifestation ? • Des amies étaient venues avec la bibliographie imprimée de chaque artiste, comptant faire le circuit IN SITU. Dans l'ensemble, l'exposition IN SITU n'était pas connue du public, découverte sur le site même. La monumentalité de l'installation de Rainer Gross visible de la cour d'honneur a systématiquement suscité de la curiosité au public, incitant à rentrer à l'intérieur de la tour de l'escalier. Par la suite, les avis étaient soient positifs ou négatifs mais le premier
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aperçu était toujours lié à la curiosité du matériau et des formes, qui ressortaient à travers les fenêtres. • 14. De façon générale, les visiteurs que tu as rencontrés étaient-ils familiarisés à l'art contemporain ? • Dans l'ensemble l'art contemporain reste un art "flou", confondu avec l'art moderne. Plusieurs visiteurs ont fait le rapprochement avec des œuvres contemporaines exposées à Versailles, qui selon eux n'avaient aucune utilité dans ce site historique. Par contre, l’œuvre de Rainer Gross a souvent été appréciée par son intégration harmonieuse sur le site, dénaturant moins l'architecture que les sculptures de Versailles. • Plusieurs visiteurs belges ont fait le rapprochement de l’œuvre avec des sculptures d'artistes belges (d'ailleurs Rainer Gross travaille en Belgique), tournées dans le même esprit que Rainer Gross au niveau de la conception de la forme (graphique, utilisation du bois). • Quelques Français ont rapproché son art au plasticien et sculpteur Français Bernar Venet, qui travaille avec de l'acier. Réactions des visiteurs • 15. Les visiteurs semblaient-ils réceptifs à ton discours ? À quels types de réactions as-tu dû faire face ? • Public dans l'ensemble très réceptif aux explications que j'ai apporté, la relation entre l'histoire des sites et des œuvres intégrées plaît, même si pour certains c'est le moyen de faire de la publicité à l'artiste où de se faire de l'argent. D'ailleurs plusieurs personnes m'ont demandé le coût du projet, je leur ai simplement indiqué que la Région finançait les installations. • J'ai pu mêler les explications des petites panneaux IN SITU aux éléments complémentaires apportés grâce à l'interview réalisé par la commissaire d'exposition auprès de Rainer Gross, avec mes propres recherches sur l'artiste et son parcours. J'ai remarqué en montrant les quelques cartes postales illustrant les autres installations de l'artiste (intérieur de l' Abbaye de Noirlac en 2010 et parc de cette abbaye) que le public était plus réceptif, désireux d'en connaître d'avantage sur Rainer Gross. • Certaines personnes souhaitaient même prendre en photographie les cartes postales. • J'ai remarqué qu'il était nécessaire de rester agréable auprès des visiteurs, car même si l’œuvre exposée ne plaît pas, le fait d'être avenant et souriant reste apprécié, ce qui amène certaines personnes à voir l'art contemporain différemment. C'est ce qui m'a le plus intéressé, de voir qu'il était possible de créer une véritable communication avec le public, qui au départ paraissait réfractaire et méfiant vis-à-vis de l’œuvre et de ce que j'allais expliquer. Plusieurs personnes m'ont fait la remarque "ah d'accord, ce n'est pas du tout ce que je m'étais dit au départ, après explication on comprend mieux de quoi il est question et ça pousse à réfléchir un peu plus sur l'art contemporain". • Dans le courant du mois d'août, j'ai rencontré plusieurs personne désagréables, certaines à la limite de la moquerie quand je parlais, d'autres qui contredisaient mon discours. Dans ces cas là j'ai eu du mal à avoir du répondant, même si au fur et à mesure j'ai appris à me détacher des remarques désobligeantes et à écourter les conversations quand cela était nécessaire. • L’œuvre paraissait " choquante " pour quelques visiteurs, qui se disent plutôt classiques et n'aiment pas la confrontation ancien/contemporain. Le côté éphémère de l’œuvre va donc les rassurer, mais dommage pour ceux qui apprécient. • Par rapport aux enfants : agréablement surprise, puisque au départ je pensais que je n'allais pas réussir à les rendre réceptifs mais en prenant le temps de discuter avec eux, de leur poser des questions ludiques sur l'histoire de la Louve et la sculpture, la communication a été bonne dans l'ensemble.
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• 16. Est-ce que les visiteurs interagissaient avec l'œuvre ? Réalisaient-ils souvent des photographies de l'exposition ? • L’œuvre provoquait dans l'ensemble chez les visiteurs plusieurs questionnements ; au niveau du matériau, le bois noirci rappelant dans un premier temps du fer ou autre métal. La monumentalité impressionne, et pousse le public à voir la perspective que l’œuvre donne du dernier étage. De l'étage où j'étais positionnée, les visiteurs ont pris beaucoup de photos, mais aussi du dernier. Certaines personnes sont venues avec des appareils de professionnels, mais n'ont pas prêtés attention à ma présence. • 17. De manière générale, estimes-tu que les visiteurs ont eu besoin d'explications supplémentaires pour comprendre le sens de l'œuvre ? • Oui, les explications sont nécessaires pour comprendre le sens de l’œuvre. J'ai remarqué après avoir posé la question aux visiteurs que la plupart d'entre eux n'avaient pas compris le sens de la sculpture (le titre même, " 2100 " par rapport au 2100ème anniversaire de la fondation de la ville par les romains symbolisé par la Louve, d'où le départ de la sculpture sur les pattes de la Louve n'a pas été compris pour un plus grand nombre, alors qu'il est expliqué dès les premières phrases). • 18. As-tu dû faire face à des réactions négatives voire hostiles face à l'introduction de l'art contemporain dans un tel lieu ? • Oui, plusieurs visiteurs ont fait la remarque qu'il était inutile d'intégrer ce type d’œuvre, et qu'il serait plus intelligent de restaurer la cathédrale par exemple. • 19. Est-ce que les visiteurs réussissaient eux-même à établir un lien entre le lieu et l'œuvre exposée ? Sinon, y parvenaient-ils après votre intervention ? • Oui parfois, mais dans l'ensemble les visiteurs souhaitaient justement comprendre pourquoi elle était intégrée ici, ne sachant pas par exemple pour la plupart qu'à l'époque médiévale il existait un escalier de type colimaçon, d'où l'idée de la spirale formée par l'artiste. • Effectivement, après explication, la relation avec le site paraissait plus claire, même si certains septiques n'entrevoyaient pas de lien même après explications. • 20. Globalement, estimaient-ils que le lieu et l'œuvre de Rainer Gross était en adéquation ? • Le jeu des contrastes a globalement permis cette adéquation, et l'idée de l’œuvre éphémère qui accentue cette idée du temps bien présente chez Rainer Gross. • 21. As-tu dû faire face à des dégradations autour ou sur l'œuvre et/ou à des comportements empêchant un bon déroulement de la médiation ? • Les dégradations se sont traduites par des petits graffitis au stylo sur les panneaux, comme "c'est moche", "c'est dangereux" au mois d'août. Quelques personnes ont particulièrement été désagréables, à la limite de l'irrespect ; un visiteur faisait la médiation à ses amis à ma place, plusieurs personnes demandant des flyers IN SITU en me les arrachant presque des mains, et une personne âgée m'a empêché de faire la médiation sur un groupe car elle était focalisée sur le côté esthétique de l’œuvre et me demandait mon avis. La médiation • 22. Comment as-tu présenté l'œuvre au public, de façon générale ? • De façon générale, la présentation de l’œuvre au public commençait par une présentation générale de la manifestation (idée, lieux à découvrir, côté éphémère) et par la suite de l’œuvre même. J'expliquais la méthode de l'artiste pour réaliser l'installation et le temps ( interrogation
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systématique du public), le type de matériau et enfin le message qu'il a voulu exprimer. J'en profitais pour parler du banc géant de la terrasse et de la mention des autres sculptures qui parsemaient le jardin. A la fin, je conseillais toujours le site le plus proche à découvrir, en l’occurrence ici Fontfroide. • Pour les familles avec enfant, je présentais le plus souvent en essayant de faire dialoguer les enfants pour les mettre en confiance, les questionner sur le type de matériau qu'ils voyaient en face d'eux etc. • 23. Les visiteurs venaient-ils automatiquement vers toi pour obtenir des renseignements, ou devais-tu les interpeller ? • J'ai surtout interpellé les visiteurs, puisqu'au premier abord, on me prenait souvent pour la réceptionniste de ticket du musée, où pour la personne qui faisait "barrière" à la visite. Certains ont quand même tout de suite deviné que j'étais spécialement là pour apporter des renseignements. • Le terme "médiatrice culturelle" reste inconnu pour plusieurs personnes. • 24. Certains étaient-ils réticents à toute médiation et explications ? • Quelques uns, de peur que je les fasse payer et d'autres qui voulaient tout simplement découvrir le site d'eux-même. • 25. As-tu travaillé en collaboration avec les autres acteurs du site (propriétaire, mairie, office de tourisme, guide touristique etc.) ? As-tu mis en place grâce à eux un système de médiation particulier ? • J'ai pu travailler en collaboration avec le service culturel de la mairie situé dans la cour d'honneur, notamment avec Mme Sirventon la Directrice de la culture, à qui j'envoyais tous les 15 jours un mail concernant le nombre de fréquentation du site lié à IN SITU. • Je me renseignais très souvent auprès de la boutique d'entrée pour savoir si une personne avait gagné le concours IN SITU et s'était rendue sur le site pour récupérer un catalogue d'exposition. • Au départ, en accord avec le responsable boutique il était question de tenter de laisser à disposition sur le banc où je me postais, des catalogues d'expositions de Rainer Gross, mais très vite il fallut les enlever à cause du flux de touristes. • Les affiches de l’événement ont été laissé dès le départ dans la cathédrale, l'office du tourisme et un restaurant, en accord bien sur avec les propriétaires/agents d'accueil. • Concernant la médiation, j'ai pu apporter des explications à des groupes de visiteurs (autour de 20 personnes) 1 ou 2 fois par semaine, qui avaient une jeune guide pour découvrir le centre historique. • Je précisais le plus souvent aux visiteurs (avant la mise en place de la pancarte) que le musée d'art était payant, car la plupart du temps ils arrivaient au dernier étage en pensant qu'il était gratuit (affiche IN SITU au rez-de-chaussée un peu ambiguë, car elle indiquait "entrée libre". • 26. Présentais-tu également le lieu dans lequel est exposée l'œuvre IN SITU (de ta propre initiative ou suite aux questions de visiteurs) ? • De ma propre initiative je présentais le lieu dans lequel était exposée l’œuvre, puisque c'est aussi le principe de IN SITU, d'établir un dialogue entre le lieu concerné et l’œuvre intégrée.
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