Revue des Migrations Forcées 64

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RMF 64

Traite et trafic des ĂȘtres humains juin 2020

www.fmreview.org/fr/numero64

Le recours au contentieux civil au nom des survivants de la traite : une nouvelle approche de la responsabilitĂ©? Henry Wu Les poursuites pĂ©nales pour les dĂ©lits de traite ont une portĂ©e toute limitĂ©e. Le contentieux civil pourrait constituer un moyen de parvenir Ă  la justice et Ă  la reconnaissance de la responsabilitĂ© dans un cadre juridique qui placerait la victime au cƓur de la procĂ©dure et prendrait en compte le traumatisme vĂ©cu. ComparĂ© au nombre de personnes que l’on estime avoir fait l’objet de traite, le nombre de poursuites pĂ©nales pour dĂ©lit de traite est excessivement bas. À l’échelle internationale, il y a eu, en 2018, Ă  peine plus de 11 000 poursuites, et seulement 4 % d’entre elles concernaient une traite liĂ©e Ă  un trafic de main-d’Ɠuvre1. MalgrĂ© l’existence d’un cadre juridique relatif Ă  la traite et de sa ratification Ă©tendue, dans de nombreuses parties du monde, l’approche fondĂ©e sur la justice pĂ©nale n’a pas Ă©tĂ© Ă  la hauteur de sa double tĂąche qui est de prĂ©venir la traite et de protĂ©ger les victimes. Lorsque les poursuites pĂ©nales ne sont pas envisageables, le contentieux civil peut faire respecter les droits des victimes et exiger des auteurs de la traite qu’ils rendent des comptes. PlutĂŽt qu’un simple substitut aux poursuites pĂ©nales, une stratĂ©gie de contentieux civil au nom des victimes constitue une approche radicalement diffĂ©rente.

Différences structurelles entre action civile et pénale

Le contentieux civil permet Ă  la victime de traite de recouvrer des dommages-intĂ©rĂȘts compensatoires pour la perte, le prĂ©judice et le tort causĂ©s. Dans certaines juridictions, les tribunaux peuvent Ă©galement attribuer des dommages punitifs afin d’infliger une responsabilitĂ© financiĂšre aux auteurs de la traite et les dissuader d’actes similaires. Toutefois, la diffĂ©rence la plus importante entre les cas civils et pĂ©naux rĂ©side dans le fait que, dans le contexte civil, le processus juridique est engagĂ© par la victime. L’action civile fonctionne dans un cadre juridique plus rĂ©actif que celui rĂ©gissant les poursuites pĂ©nales lorsqu’il s’agit des objectifs et intĂ©rĂȘts des victimes de traite. L’objectif principal des poursuites en matiĂšre de traite est souvent d’obtenir une condamnation assortie d’une longue peine d’emprisonnement, mais le processus Ă  travers lequel les procureurs obtiennent une condamnation peut se faire aux dĂ©pens des victimes. Par exemple, certaines autoritĂ©s ont pu ĂȘtre amenĂ©es Ă  dĂ©tenir

temporairement des victimes de traite afin de les contraindre Ă  tĂ©moigner2. Les victimes peuvent avoir diffĂ©rentes raisons de ne pas coopĂ©rer avec les autoritĂ©s, mais, mĂȘme lorsqu’elles sont d’accord pour tĂ©moigner, le fait de comparaitre devant un tribunal peut ĂȘtre pour elles une Ă©preuve stressante et traumatisante ; en outre les rĂ©sultats de la justice punitive, comme les longues peines d’emprisonnement, ne correspondent pas toujours Ă  ce que les victimes entendent par « justice ». Des victimes, qui ellesmĂȘmes peuvent risquer des poursuites pĂ©nales ou la dĂ©portation du fait de leur implication dans des activitĂ©s de prostitution ou de leur statut migratoire irrĂ©gulier, peuvent estimer que le recours Ă  un systĂšme de justice pĂ©nal n’est pas dans leurs intĂ©rĂȘts. Les victimes peuvent, par exemple, vouloir des rĂ©sultats substantiels – comme un logement et un emploi stables – qui ne sont pas obtenus par le biais de poursuites pĂ©nales parce que ces mesures de rĂ©paration ou dĂ©dommagements sont rarement ordonnĂ©es dans le contexte pĂ©nal3. En fin de compte, Ă©tant donnĂ© que dans les cas civils la norme de preuve exigĂ©e est moins Ă©levĂ©e, les victimes de traite ont plus de probabilitĂ© d’obtenir gain de cause dans le cadre d’un contentieux civil.

Une approche centrée sur la victime et qui tient compte du traumatisme infligé

Kendra Ross, une survivante de traite et de travail forcĂ©, a dĂ©posĂ© une plainte civile devant le tribunal de district du Kansas, accusant l’auteur de la traite, le chef de file d’une secte nationale, de l’avoir forcĂ©e Ă  travailler plus de 40 000 heures sans aucune compensation, et ce depuis qu’elle avait Ă  peine 12 ans4. Kendra Ross a obtenu plus de 8 millions de $US en rĂ©paration et dommages, le montant le plus Ă©levĂ© jamais accordĂ© Ă  une victime individuelle aux États-Unis dans un cas de traite instruit au civil. Il est important de remarquer, toutefois, que ces montants importants n’indiquent pas que la victime a effectivement reçu une compensation financiĂšre. Les auteurs de traite

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