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décryptages DÉBATS
Jeudi 27 septembre 2012
Halte aux préjugés sexistes à l’école! Vincent Peillon Ministre de l’éducation nationale
Najat Vallaud-Belkacem
L
Ministre des droits des femmes
e 10 juillet, l’Etat et les partenaires sociaux s’accordaient pour relancer le processus de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Cet objectif ne peut être disjoint d’un autre engagement: mettre l’égalité des filles et des garçons au cœur même de la « refondation républicaine de l’école». Certains s’interrogeront encore. L’école mixte n’estelle pas déjà le creuset de l’égalité? La réussite scolaire des filles aux examens et la relative surreprésentation des garçons parmi ceux qui décrochent de notre système scolaire n’est-elle pas le signe que l’école compense les inégalités de genre? L’égalité entre les femmes et les hommes est une valeur et une promesse de la République, en même temps qu’un objectif fondamental de l’institution scolaire. C’est précisément à l’aune de cette promesse et des espoirs qu’elle suscite qu’il faut mesurer le chemin qu’il reste à parcourir… et il est encore long. L’égalité en droit, la mixité scolaire n’ont pas suffi à abolir la différence de regard porté sur les filles et les garçons, la constructionsexuéedesparcoursscolairesnilesviolences sexistes à l’école. L’école reproduit encore souvent des stéréotypes sexistes. La manière d’interroger, de donner la parole, de noter, de sanctionner et d’orienter révèle des représentations ancrées sur les compétences supposées des unes et des autres.L’école est loind’être neutredu point de vue du genre. Bien des études montrent qu’en classe, laparoleestinégalementdistribuéeetlesattentesdifférentes. Quand l’on suppose les garçons toujours capablesde« mieuxfaire»,oncroitsouventlesfillesausommet de leurs capacités. On tend à attendre des unes le conformisme et des autres la créativité. Programmes et manuels entretiennent ces représentations inégalitaires : combien de « grandes femmes » pour tous ces « grands hommes» dans les livres d’histoire? Combien d’images valorisantes des femmes? Ces mécanismes involontaires peuvent avoir des conséquenceslourdesetdirectessurlesparcoursscolaires, puis professionnels, des jeunes. Le paradoxe est connu: les filles ont de meilleurs résultats scolaires que lesgarçonsmaisleurschoixd’orientation–etplusencore ceux qui sont faits pour elles – demeurent très traditionnelsetsouventrestreintsàquelquessecteursd’activité. D’une palette plus étendue, les parcours des garçons ne les détournent pas moins de certains domaines professionnels, considérés comme « féminins ». Les filles représentent ainsi à peine plus de 10 % des séries industrielles et… plus de 90% de la série ST2S (sciences et technologies de la santé et du social). De même, alors que taux d’accès au baccalauréat des filles (76,6 %) est supérieur à celui des garçons (66,8%), elles ne représentent que 43,5 % des élèves inscrits en première année des classes préparatoires aux grandes écoles. Les filles ne sont d’ailleurs pas les seules à en souffrir: l’échec des garçons prend une part de sa source dans le décalage entre le message de la société qui les dit « plus forts » quelesfillesetlaréalitédeleursrésultatsscolaires,décalage qui tend à délégitimer à leurs yeux la parole et les exigences de l’école.
Tensions sino-japonaises
Dessin de Kichka (Israël). © COURRIERINTERNATIONAL@COM
Pour l’abolition des camps de rééducation par le travail Une honte pour la Chine
Il est de notre responsabilité de provoquer une prise de conscience de ces phénomènes inconscients pour que les regards changent, que nous parvenions à ce « déconditionnement» des mentalitésdont parlaitdéjà la ministredes droits des femmesen 1981 Yvette Roudy. Il est de notre responsabilité que nous passions des déclarationsd’intentionet des textes de lois à une pratique quotidienne de l’égalité. Parce que nous voulons que les femmes et les hommes aient le choix, aient tous leschoixpossibles,parcequec’est un impératifcitoyen, social et économique, nous construirons ensemble une éducation qui porte et transmet la culture de l’égalité entre les sexes. Notre école doit former des citoyennes et des citoyensémancipés capablesde comprendre,d’interroger,voiredecritiquerle fonctionnementde lasociété,et d’exercer leur libre arbitre. Beaucoup se joue dans les premières années: la culture de l’égalité doit se transmettre au plus tôt, et nous y attacherons une importance toute particulière dans l’écriture des programmes. Nousyformeronslesenseignantsetl’ensembledespersonnels qui concourent à l’éducation et à l’orientation des élèves, dans le cadre des écoles supérieures du professorat et de l’éducation.
Pu Zhiqiang Avocat chinois, conseil de l’artiste Ai Weiwei
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«Combien de “grandes femmes” pour tous ces “grands hommes” dans les livres d’histoire? Combien d’images valorisantes des femmes?» Notre école doit former davantage de femmes chercheuses,ingénieures,scientifiquesqui participerontau redressement productif dont notre pays a besoin. La répartitioninégalitaire dansles filières nous conduit en effet à gâcher, sans même nous en rendre compte, des potentiels, des compétences, des énergies. Là encore, nous serons volontaristes et travaillerons en étroite liaison avec les partenaires sociaux, les collectivités territoriales, l’enseignement supérieur, pour promouvoir une orientation qui ouvre aux jeunes filles et aux jeunes hommes tous les possibles et porte l’ambition d’une mixité plus forte dans les filières de formation. Notreécole, enfin, doit se mobilisercontre les violences de genre,ces mots, ces gestes,ces coupsqui excluent et infériorisentles filles.Installerle respect entre touset toutes, apprendre le bonheur de partager un espace, du commun : c’est la mission de l’école. Elle suppose – quandles enfantsde tous âges sont soumispar la télévision, par Internet, à un flot d’informations incontrôlables qui ne véhiculent pas toujours des valeurs de respect et d’égalité – d’aider les élèves à construire leur identité,leur rapportaux autres, à leur corps, et donc de leur parler de sexualité. Il doit y avoir une place à l’école pour une information et une éducation émancipatrice sur ces sujets. La loi qui prévoit des séances d’éducation à la sexualité de la maternelle à la terminale doit être rendueeffectivepartoutsur le territoire,danstoutesles écoles, tous les établissements. Nous ne partons pas de rien. De très nombreuses initiatives, locales comme nationales, des partenariats entre l’école et les associations, construisent au quotidien une culture du refus des préjugés, des discriminations et des violences, une culture émancipatrice. Nous travaillons pour faire de ces innovations multiples une véritable politique. Et nous le ferons en nous adressant aux acteurs de l’éducation, pour que tous soient convaincus du caractère central de cette dimension de leur mission. «L’école, en instruisant, éduque à la liberté» apprenaient en leur temps les futurs instituteurs. Il est temps de compléter cette maxime: l’école doit éduquer à l’égalité. p
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Najat VallaudBelkacem est aussi porte-parole du gouvernement. Vincent Peillon est l’auteur de nombreux ouvrages, dont « Eloge du politique» (Seuil, 2011)
n Chine, le droit et la politique entretiennentdesrapportsintimes. Le droit est souvent contrôlé par la politique et, à de rares occasions, le droit impulse la réforme politique. En 1980, la Révolution culturelle à peine achevée et la politique de réformes juste lancée, lesrénovateursduPartiontvoulusedébarrasserde leursennemispolitiquesde façon « légale» en intentant un procès à Mme Mao et sa « clique contre-révolutionnaire». Dès lors, le système juridique a été mis au pas. Chaque année, la Cour populaire suprême proclame son allégeance au Parti communiste. Une telle situation montre à quel point la position du droit en Chine est incongrue. L’ex-chef de la police en son temps chargé de l’opération antimafia de Chongqing, Wang Lijun, a été jugé par un tribunal de Chengdu. L’impitoyable patron de l’opération « antimafia » a lui-même été traité de façon « mafieuse ». La sécurité publique de Chengdu a, en effet, été omniprésente dans le déroulement de ce simulacre de procédure : au niveau de l’enquête, des actes d’accusation et du procès, de la même façon que Wang Lijun avait procédé contre ses opposants à l’époque de son règne. La condamnation, le 24 septembre, à quinze ans de prison de Wang Lijun, une décision rendue peu avant l’ouverture du 18e congrèsduPartiquientérineraunenouvelle génération de dirigeants, signe la défaite politique du clan de Bo Xilai, ex-chef du Parti à Chongqing. Tant que des dirigeants s’acharnent sur des faux procès, pour atteindre des objectifs politiques, l’EtatdedroitenChinen’existequedenom. Lasituations’appliquede façonidentiqueà l’ex-chef de la sécurité de Chongqing Wang Lijun,GuKailai(épousedeBoXilai),audissident Liu Xiaobo, à l’artiste Ai Weiwei ou au militantécologisteTanZuoren.Lepaysleur doit un procès équitable. Direquela justice n’est ni indépendante ni équitable ne suffit pas pour décrire le mal de la politique chinoise. Lorsqu’une affaire importante implique une procédure judiciaire, tout est mis en place pour en faire un spectacle. En première instance, un procès doit être public, les avocats entrent en scène, prétendant assurer la défensedes accusés.Dans la salle d’audience, hormis l’accusé, sa femme et ses enfants, les bancs sont occupés par des fonctionnaires déguisés afin de donner l’impression d’un procès transparent. Ensuiteces mêmesspectateursfélicitentle tribunal devant la presse pour avoir donné l’exemple d’un procès juste et équitable. Certes, l’accusé a le droit de faire appel s’il n’est pas satisfait du verdict – étant entendu que la procédure d’appel n’apporte aucune modification, puisque le jugement n’est pas, à l’origine, une décision du tribunal ni du tribunal de première instance. Emblématique de la situation des droits de l’homme en Chine, la police a le droit, sans contrôle judiciaire et sans procès, de priver un citoyen de sa liberté pendant plusieurs années. Cette procédure fait référence à la « rééducation par le travail » (ou laojiao). A l’origine, le système de rééducation par le travail a été conçu comme une sanction administrative contre les délits mineurs et non ceux passibles d’une sanction pénale. Du fait d’un recours trop facile et trop rapide, cette sanction s’apparente à une négation extralégale des droits de l’homme.Cette situation est vraie en ce qui concerne les membres de Falun Gong (mouvement religieux interdit) et les pétitionnaires obstinés. La peine de rééducation par le travail n’émane pas d’une juridiction. Les personnes internées ne sont pas des criminels. La sanctionsedécidepar un« comité d’approbation de la rééducation par le travail» au seindubureau localde la sécuritépublique et est formalisée par un document officiel émanantdu«comitédegestiondelarééducation par le travail».
Cependant, le laojiao peut imposer des peines plus lourdes que le droit pénal. La décision d’envoyer une personne en camp peut être prise en trois jours seulement. Parailleurs,à moinsd’intenterunedemande de réexamen administratif ou un procès administratif, les parties n’ont pas d’autrevoiede recourspossible.Ces« avantages » font du système du laojiao un moyen d’imposer l’ordre social. Le célèbre dissident chinois, lauréat du prix Nobel de la paix en 2010, Liu Xiaobo, a été condamné, pour avoir exprimé ses opinions politiques, à trois ans de rééducation, en 1996. Le système légal chinois est assez mature pour abolir les camps de rééducation par le travail. D’après l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, signé par le gouvernement chinois : « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté (…). » L’article 37 de la Constitution stipule que la liberté individuelle des citoyens de la République populaire est « inviolable». «Aucuncitoyennepeutêtrearrêtésansl’approbationouladécisiond’unparquetpopulaire,ousansladécisiond’unecourpopulairedejustice.»L’importanteloisurlalégislation de 2000 stipule que seule une loi peut fixer les peines restrictives de liberté. Or les deux textes qui réglementent le système de laojiao, alors qu’ils limitent la liberté des citoyens, sans procès et par le biais des procédures extrajudiciaires, ne sont pas des lois. L’inconstitutionnalité et l’illégalité du laojiao font consensus chez les juristes. Le principe de son abolition trouve également de plus en plus d’écho dans l’opinion publique. De 2008 à 2012, périodedurantlaquelleWangLijuna dirigé le bureau de la sécurité publique de Chongqing, on a usé et abusé de la procédure du laojiao comme outil complémentaire à la campagne antimafia. C’est toute la cruauté de ce système, violation affichée au grand jour des droits de la personne et du citoyen.
«L’inconstitutionnalité et l’illégalité du “laojiao” font consensus chez les juristes» Sous le règne de Bo Xilai et Wang Lijun, les critiques du système politique, les propos satiriques sur Internet envers les dirigeants, voire les commentaires publiés sur le site de microblogging Weibo à propos des politiques publiques ou des événements sociaux ont fait l’objet de cette sanction. Ces manifestations de liberté d’expression étaient pourtant protégées par la loi. D’après mes calculs, entre 2009 et 2011, les organes de la sécurité publique ont prononcé entre 5 000 et 6 000 sanctions de laojiao par an. Si on estime une durée de condamnation entre un et deux ans, à Chongqing, il reste encore au minimum10 000personnesinternées.Unchiffre qui correspond à 1/5e du nombre total de la population des camps de rééducation par le travail en Chine. Je pense que les avocats chinois, en défendant ceux qui sont condamnés pour avoir tenu certains propos, qui intentent desrecours administratifscontrele comité de gestion de la rééducation par le travail, se servent des défauts de procédure dans certaines affaires pour promouvoir l’abolitionde larééducationpar le travail.Ils utilisentlesavancéesdelajusticepourpromouvoir la réforme politique. Non seulement celavautla peined’êtrefait maisen pluson peut y arriver. J’espère que les nouveaux dirigeants chinois pourront, comme en 2003 lorsque furentabolislescentresdedétentionadministrative (shourong), mettre fin au système de rééducation par le travail afin que les droits fondamentaux des personnes puissent être mieux garantis. p Traduitdu chinois par Stéphanie Balme
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Pu Zhiqiang doit intervenir à la conférence consacrée à l’Etat de droit en Chine et organisée par «Le Monde», Sciences Po, le CERI et PSIA, vendredi 28 septembre