Itinéraire d’un anarchiste

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VIOLETTE MARCOS & JUANITO MARCOS

ITINÉRAIRE D’UN ANARCHISTE ALPHONSE TRICHEUX (1880-1957)

LOUBATIÈRES


à Élie-Floréal Durand-Tricheux

Nos remerciements à Marianne Enkel, Françoise Petit, Michelle Taurines, Annie Rieu et Danièle Chenal qui a préparé le manuscrit. Et aux personnes qui ont bien voulu nous accorder un entretien : Élie-Floréal Durand-Tricheux, Olga Gonzales-Tricheux, Juan Gorriz, Marcelle Clavé, Henry Melik, Antoine Membrado, Rose Lavigne.

© Nouvelles Éditions Loubatières, 2011 10 bis, boulevard de l’Europe, BP 50014 31122 Portet-sur-Garonne Cedex contact@loubatieres.fr www.loubatieres.fr ISBN 978-2-86266-636-5


VIOLETTE MARCOS & JUANITO MARCOS

ITINÉRAIRE D’UN ANARCHISTE ALPHONSE TRICHEUX (1880-1957)

LOUBATIÈRES



CHAPITRE PREMIER

Les années de formation (1880-1919)

VIVRE DANS LES CORBIÈRES

Alphonse Jean Tricheux est un enfant de la campagne. Il naît le 22 janvier 1880 dans le département de l’Aude, à Lézignan-Corbières. S’il est domicilié, selon l’état civil, dans cette bourgade, il a dû naître à deux kilomètres de là, dans la maison familiale, aux pieds des collines où son père, Eugène, et sa mère, Joséphine Gailhac, vivaient dans une propriété appartenant au grand-père maternel. Petite, exclusivement vouée à la vigne, elle était limitée par le chemin d’Escales qui serpentait à travers la plaine et s’étirait paisiblement vers Narbonne. Alphonse est fils unique. À l’âge de 8 ans, il perd sa mère et, au décès de celle-ci, le père et l’enfant partent vivre à Béziers. On les retrouve en effet peu de temps après dans cette ville, chez la grandmère paternelle, Marie-Rosalie Leguay, au 11 rue de l’Hirondelle. Pendant quelques années le petit garçon fréquente l’école primaire Lazare-Carnot proche de son domicile. En 1894, alors qu’Alphonse n’a que 14 ans, son père s’éteint à son tour 1. Orphelin, l’adolescent reste auprès de sa grand-mère qui devient sa tutrice. Il entre en apprentissage chez un patron, peutêtre à la Compagnie du Midi où son père avait travaillé comme mécanicien aux chemins de fer. Dans les ateliers, il apprend sinon le métier paternel du moins une profession assez proche, tourneur en métaux, activité qu’il exercera toute sa vie. Bien vite il sait comment 9


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réparer le matériel ferroviaire et apprend à construire wagons de marchandises et citernes. Son apprentissage terminé, dans une région où domine la monoculture de la vigne, il tourne tonneaux et autres barriques. Fileter, tourner, fraiser, toutes ces activités n’ont plus de secret pour lui ! En 1900, il a 20 ans. Il est devenu un ouvrier aguerri qui vit toujours à Béziers où il semble vouloir rester, puisqu’il s’y inscrit sur les listes électorales et sur les registres de recrutement militaire 2. Pourtant, de façon tout à fait impromptue, il retourne à Lézignan-Corbières, sa ville natale, et s’installe dans la propriété où il est né, où il a passé sa petite enfance et dont il a hérité à l’âge de 17 ans, après le décès de son grand-père maternel, Firmin Gailhac. Pourquoi cette décision ? Pourquoi avoir attendu trois ans pour ce déménagement ? On pourrait penser que sa grand-mère est morte à ce moment-là. Que nenni ; son décès n’aura lieu que neuf ans plus tard ! Alphonse Tricheux est habituel de ces mouvements « intempestifs ». À plusieurs reprises, au cours de sa vie, il part, revient, change de vie sans (nous) fournir ou (nous) laisser la moindre explication. Nous voilà contraints de constater les changements sans en connaître les tenants et les aboutissants. Nous sommes renvoyés à la limite de toute recherche : les sources aussi riches soient-elles sont impuissantes à percer les énigmes de l’histoire individuelle. Essayons toutefois, en diversifiant et croisant les documents, de tenter de percer ce personnage. Quittant définitivement Béziers, Alphonse s’installe dans la petite maison du chemin d’Escales, tout près de Lézignan-Corbières. Si tôt arrivé, si tôt logé, il se marie, avec l’autorisation, selon la loi, de sa tutrice 3. Comme le veut la tradition en ces temps et lieux, il épouse, le 15 novembre 1901, une payse, Pauline Fabre née tout près de là, à Roubia, dans l’Aude. Elle est lingère de profession. Le couple a très vite des enfants, trois garçons dont le dernier ne survivra pas : Eugène Léon, en avril 1901 – avant le mariage –, Marius Paul, en janvier 1903, et Noël Joseph en décembre 1904 4 ; tous trois nés à Lézignan-Corbières. La présence d’une famille nombreuse dispense Alphonse Tricheux du service militaire 5. 10


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Comme son père, Alphonse est avant tout ouvrier, même s’il travaille de temps en temps sa petite vigne. Un demi-hectare de terre autour de deux bâtiments 6 qui lui servent de hangar est bien insuffisant pour faire vivre sa famille. Quel bénéfice peut-il en tirer ? Peu de chose si ce n’est le vin destiné à sa propre consommation. L’essentiel de son activité se déroule dans la bourgade voisine, dans l’atelier où il fabrique les matériels destinés aux travaux viticoles, et à l’auberge – haut lieu de convivialité – où il passe parfois la soirée après sa journée de travail. C’est là qu’il discute, commente les événements et peut observer les changements considérables qui s’opèrent dans la région. La crise agricole Les décennies précédentes avaient fait de la région une des plus grandes zones viticoles françaises. Escomptant de hauts rendements, les propriétaires terriens avaient couvert de vignes plaines et collines aux dépens de la culture des céréales. La crise du phylloxéra en fut d’autant plus étendue et grave. À partir de 1885, la maladie de la vigne causée par ce puceron ravage toute la région et provoque une crise viticole majeure. Pour freiner sa progression, les agriculteurs sont contraints d’arracher de très nombreux plants et de reconstituer en partie le vignoble avec des ceps américains greffés, nettement plus résistants. À la fin du siècle, la crise commence à s’estomper. Mais elle a bouleversé les structures économiques et sociales de la région. Profitant de l’introduction des nouveaux plants, les riches producteurs ont mis en place une viticulture industrielle qui prolétarise ceux qui ne possèdent que quelques arpents de terre. Pour beaucoup, les années fastes de haute productivité et de forts profits deviennent un lointain souvenir. Le vin, auparavant de bon rapport, est devenu un produit difficile à fabriquer, à vendre et à exporter. Certes la vigne couvre à nouveau une grande surface, mais celle-ci est loin d’égaler la superficie antérieure. Dans le département de l’Aude, 30 % du terroir viticole sont désormais plantés avec des ceps améliorés, 11


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le reste du territoire restera en friche pendant très longtemps. Car malgré la diminution de la surface cultivée, la région est à nouveau touchée par une crise de surproduction aggravée par l’arrivée sur le marché de vins étrangers, notamment ceux de la Mitidja, en Algérie. Après les gelées d’avril 1901, les revenus des vignerons déjà tirés à la baisse deviennent aléatoires. Le prix du vin s’effondre et le déclin se poursuit. L’hectolitre vendu 12 francs en 1900 ne vaut plus que 7 francs en 1904. La baisse est considérable ; pour les vignerons c’est une énorme perte de pouvoir d’achat. Les salaires des ouvriers agricoles suivent la même pente. Payés 2 francs par jour en 1900, les salariés ne touchent plus que 1 franc par jour, l’année suivante. Devant une situation aussi alarmante certains vignerons tentent de réagir en renforçant la teneur en alcool de leur vin, n’hésitant pas à le chaptaliser. La manipulation n’est pas illégale puisqu’une loi de 1903, en détaxant le prix du sucre, permet d’étendre sans difficulté ce procédé. Mais elle aggrave la surproduction et par ricochet amplifie la crise viticole. La situation devient alarmante car toute l’économie de la région est maintenant touchée. Après la prolétarisation des travailleurs de la terre, ce sont tous les emplois induits par la viticulture qui sont concernés. Dans cette région où tous, paysans, ouvriers et commerçants, tirent directement ou indirectement leurs revenus de la vigne, la crise en s’étendant fragilise la plupart des secteurs économiques et des groupes sociaux. Pour certains, à défaut de trouver du travail sur les nouveaux terroirs agricoles, quitter la région est la seule issue. La ville de Lézignan-Corbières voit le nombre de ses habitants diminuer ; 6 569 en 1886, ils ne sont plus que 4 951 en 1901. L’exode rural se fait d’abord au profit des grandes villes des alentours, Montpellier, Cette (Sète). Pour ceux qui restent, les graves déséquilibres sociaux et la misère provoquent un très fort mécontentement. Si les notables, souvent épargnés, s’enrichissent, salariés agricoles et ouvriers sont touchés de plein fouet. La colère gronde, le monde paysan discute, vocifère, menace. Les vignerons en difficulté sont en première ligne dans les mouvements 12


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de lutte. Les cortèges de protestation s’enflent, deviennent de plus en plus houleux et parcourent toutes les villes grandes et petites des Corbières. La jacquerie est devenue un mouvement social d’envergure. Ce contexte de crise, au tout début du XXe siècle, est le creuset dans lequel se forge ce syndicalisme paysan du Languedoc qui fit la réputation du « Midi rouge ». Épaulés, aidés par les syndicalistes ouvriers des villes, les salariés agricoles et les petits viticulteurs se lancent dans la lutte. Ils multiplient les mouvements de grève qui s’échelonnent pendant un an de novembre 1903 à décembre 1904. Toutes les campagnes du Languedoc et du Roussillon sont en effervescence. Les luttes se radicalisent et, pour leur donner plus d’ampleur et d’efficacité, les viticulteurs, à l’instar des ouvriers industriels, mettent sur pied des syndicats agricoles. À Béziers, ces derniers se regroupent dans la Fédération des travailleurs agricoles du Midi. Le mouvement paysan du Languedoc n’est pas isolé. Il est relayé au même moment par de très nombreuses grèves dans les transports publics et le secteur de la manutention. Dans l’Hérault, le patronat recense 46 grèves mobilisant 16 410 grévistes. En décembre 1904, la grève atteint son apogée et devient générale. 41 communes de l’Aude, de l’Hérault et des Pyrénées-Orientales sont concernées. Partout on revendique des augmentations de salaire. Toute l’économie de la région est désorganisée et aucune issue n’apparaît. Face aux troubles, les patrons ont jusqu’alors temporisé, mais cette fois, pour eux, la coupe est pleine. Ils réclament l’intervention de l’armée, ce qu’ils obtiennent dans un premier temps. La répression s’avère efficace et marque la fin des conflits dans les campagnes. Mais, à moyen et long terme, c’est un échec puisqu’elle signe la naissance d’un fort mouvement syndical agricole. Décidés d’en découdre et d’obtenir gain de cause, les paysans s’organisent, se structurent. Les manifestations sont désormais plus massives, plus et mieux préparées. En 1905, un énorme meeting rassemble à Béziers plus de 15 000 personnes, viticulteurs et ouvriers, tous très mobilisés. Certains parlent de grève fiscale, de soulèvement. La révolte couve, s’amplifie et se complexifie ; elle éclatera en mars 1907. 13


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Militer dans les Corbières ? Pour diverses raisons, Alphonse Tricheux ne peut être resté à l’écart des difficultés qui frappent la région. C’est un enfant du pays. Il a vécu plus de vingt ans entre Lézignan et Béziers et il est resté attaché, par intérêt ou pour des raisons sentimentales, à la petite propriété où il a vécu enfant avec ses parents. Une fois marié, il revient sur les lieux de son enfance et, même s’il est ouvrier tourneur, il est intimement lié au monde agricole comme l’atteste son acte de mariage 7 ; ses quatre témoins : son beau-frère Léon Fabre, Guibert Paulin, Blaise Louis et Descendier Désiré – on peut penser qu’il s’agit de ses amis les plus proches –, sont tous des agriculteurs. Ces liens affectifs – peut-être d’autant plus forts qu’Alphonse Tricheux est orphelin –, le choix de la résidence familiale, tout cela laisse entrevoir une relation profonde avec le monde agricole. Sa profession enfin, son travail de la terre, accentuent sans nul doute la connaissance qu’il a de ce terroir, de ces difficultés, de ces malheurs qui sont aussi les siens. Sa formation scolaire l’enracine aussi dans ce milieu. Son écriture déliée et son orthographe assurée attestent de son passage obligatoire, à cette date, à l’école publique ; dans ce creuset se sont nouées des amitiés certaines 8. N’est-ce pas le cas de ses trois premiers témoins de mariage qui ont le même âge que lui et ont pu être ses condisciples dans l’unique école primaire, à ce moment-là, de Lézignan-Corbières 9. Ensemble ils ont reçu les leçons des « Hussards noirs de la République ». Ils ont appris à écrire en français, mais c’est en langue d’oc qu’ils s’expriment car c’est la langue des ouvriers de l’industrie comme de la vigne. Aucune source ne nous restitue cette musique, ne nous dit cet accent. Et comble de l’ignorance nous ne saurons jamais quand Alphonse oublia (s’il l’oublia ?) l’occitan. Peut-être aussi leur instituteur fut-il celui qui les initia à l’anticléricalisme dans une région où, comme ailleurs en France dans la seconde partie du XIXe siècle, s’observe un recul important de la foi et des traditions religieuses ? Même s’il est possible qu’Alphonse Tricheux 14


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ait appris à ce moment-là à dénoncer l’Église et son « obscurantisme », nous n’en avons aucune preuve. N’allons pas non plus lui attribuer à l’âge de 20 ans cet anticléricalisme militant qu’il ne cessera de revendiquer à partir de 40 ans. Bien qu’il n’eût que 14 ans au moment du décès de son père, Alphonse n’a pu qu’être marqué dans ses choix par les convictions paternelles. Mais jusqu’à quel point ? Eugène Tricheux était militant syndicaliste révolutionnaire 10 et travaillait à Béziers dans les ateliers de la Compagnie du Midi qui regroupait la quasi-totalité des salariés des chemins de fer de la ville. Ces ouvriers très qualifiés furent à l’origine du syndicalisme biterrois. Autour d’eux, typographes, imprimeurs, soudeurs et ouvriers du bois et de la manutention, travaillant dans les petites entreprises de la ville contribuèrent à grossir le nombre des militants. Dès 1879, les archives policières signalent la présence, parmi ces ouvriers, de syndicalistes anarchistes et guesdistes mais on ignore si Eugène Tricheux faisait partie de ce groupe. Ces militants, membres du Parti ouvrier français (POF) fondent les premières chambres syndicales de Montpellier, de Béziers et de Cette. Avec les syndicalistes révolutionnaires, ils participent à la création d’unions syndicales et des bourses du travail. Bientôt toutes les grandes villes du Languedoc possèdent leur bourse du travail dominée par le courant syndicaliste révolutionnaire. On peut penser qu’Eugène Tricheux et peut-être son fils ont fréquenté la bourse du travail de Béziers. Fondée en 1891, elle a vite pris de l’ampleur et compte 846 syndiqués en 1900 ; elle est alors réputée pour son radicalisme car, si elle fait de la formation, elle impulse aussi des grèves comme en 1904. Cette année-là plus de 2 000 ouvriers, exigeant des augmentations de salaire, arrêtent le travail et trouvent dans ce lieu des salles de réunion adéquates. La municipalité, de gauche, favorable aux revendications des grévistes, soutient la Bourse et le mouvement de grève en distribuant des vivres aux familles. Forte de ces appuis, la grève s’étend peu à peu à toute la région. À Cette, la ville la plus industrielle du Languedoc avec son 15


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port ouvert au commerce vers l’Espagne et l’Algérie, les salariés des transports se lancent aussi dans le conflit et bloquent la totalité du commerce vers les pays méditerranéens. Face à un tel mouvement de colère, les patrons finissent par abdiquer et consentent des augmentations de salaire. Dans ce contexte de luttes importantes, Niel, secrétaire de la bourse du travail de Béziers, fait venir dans la ville, avec le soutien des socialistes révolutionnaires, des conférenciers anarchistes. Entre 1897 et 1901, Sébastien Faure 11, célèbre propagandiste anarchiste traverse la région et tient des conférences dans les grandes villes. Alphonse Tricheux a-t-il baigné dans cette ambiance-là ? Les convictions de son père n’ont pu que l’influencer et ont contribué à forger une pensée politique personnelle qui évoluera pendant toute sa vie. Dernière énigme de cette enfance, mais non des moindres : malgré l’attachement qu’il peut avoir avec les Corbières, Alphonse Tricheux décide, comme beaucoup d’autres ouvriers, de quitter une région dévastée par la crise économique. Mais il ne part ni à Montpellier ni vers Paris, destinations habituelles. Il décide de traverser l’Atlantique. Pourquoi le jeune couple avec ses deux premiers enfants se résout-il à quitter la France pour Cuba ? Est-ce pour assurer leur survie ? La décision semble avoir été prise dès l’année 1903, en pleine crise agricole quand, pour payer le voyage vers l’Amérique, Alphonse vend une partie de sa propriété familiale et deux bâtiments ruraux 12. Le voyage s’organise et le départ a lieu peu de temps après. Une autre vie s’ouvre alors pour la famille Tricheux dans le Nouveau monde. LE SÉJOUR À CUBA

La famille Tricheux arrive à Cuba vraisemblablement en 1905 ; en octobre de l’année suivante naît à La Havane leur fille Noela-Elvire 13. Cette naissance est une chance pour nous – pour eux aussi, espérons-le – puisque le registre d’état civil sur lequel l’événement 16


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est consigné nous apporte des renseignements précieux, complétés par d’autres documents officiels concernant la famille. Dans la capitale cubaine, la famille s’installe dans un quartier près du port au 20 de la rue Inquisidor. Le père exerce toujours le métier de tourneur en métaux. Quelques pans de mystère subsistent cependant. La Légation de France à La Havane nous apprend qu’Alphonse est parti seul en France et en est revenu le 5 mars 1910 sur La Champagne, navire de la Compagnie transatlantique habitué à l’Atlantique sud 14. Ce voyage, rapide et néanmoins onéreux, ne peut s’expliquer que par une raison importante. Peut-être la vente d’un petit terrain de Lézignan hérité de sa grand-mère paternelle, décédée en 1909 15 ? La mémoire familiale comble cette énigme cubaine en fournissant une explication mirobolante : Alphonse aurait reçu d’un Cubain deux émeraudes qu’il se serait empressé d’aller négocier en France. De retour à Cuba cette petite fortune aurait permis à la famille de vivre très à l’aise jusqu’en 1919 16. Faute de preuve, pour nous ce voyage reste un mystère. N’y touchons pas… La famille se retrouve en France, à Toulouse, en 1920 17 après avoir passé quinze ans dans l’île où Alphonse et sa femme ont vécu une partie de leur âge adulte et leurs enfants ont passé enfance et adolescence. Quinze ans d’une vie à peine entrevue que nous avons tenté de reconstruire à travers des traces diverses et diffuses, notices biographiques, ouvrages historiques et romans : un puzzle bien incomplet. Pourquoi le choix de Cuba ? Quelles raisons pouvaient pousser un Languedocien à s’installer à Cuba au début du siècle ? Constatons immédiatement qu’il n’est pas seul à avoir fait ce choix. Dès le début du siècle Cuba s’ouvre largement à l’immigration. Le commerce en général et l’industrie sucrière sont alors aux mains des capitaux américains et connaissent une croissance considérable. Les cours du sucre sont et restent à la hausse ; l’île paraît riche et depuis des années attire les immigrants qui gonflent la population indigène, constituée d’anciens esclaves noirs et de descendants d’Eu17


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ITINÉRAIRE D’UN ANARCHISTE ALPHONSE TRICHEUX (1880-1957)

La chance nous a été donnée de retrouver la piste d’un inconnu, un de ces acteurs de l’histoire sociale et politique de notre pays, généralement engloutis dans le passé. Cette histoire a débuté comme un roman policier, par une énigme le jour où une archiviste du Centre international de recherches sur l’anarchisme de Lausanne (CIRA) nous confiait la photocopie d’une lettre manuscrite datée de 1924 et signée par un anarchiste toulousain, Alphonse Tricheux. Celui-ci informait un correspondant suisse de la création à Toulouse d’une coopérative libertaire. Tricheux était un de ces innombrables « petits », « sans-grades », ignorés de tous. Pas à pas, de centres d’archives en services d’état civil, en passant par des compagnies de transports transatlantiques dont les dossiers avaient sombré à jamais, nous avons suivi le personnage. Nous avons ainsi pu rencontrer le mécontentement des paysans des Corbières, la grève générale des planteurs de tabac à La Havane et les manifestations de soutien à Sacco et Vanzetti à Toulouse, lieux où Tricheux avait vécu. Des publications diverses, cubaines, françaises et, bien sûr, toulousaines ont enrichi les luttes, les meetings et les innombrables réunions. Peu à peu, sa figure émergeait des archives et retrouvait sa stature d’alors. De son vivant il avait fait l’objet d’investigations « rapprochées ». Il avait été suivi, surveillé, fiché par les Renseignements généraux qui avaient amassé sur lui et ses amis de nombreux rapports et comptes rendus. C’est ainsi que Toulouse, après Cuba et les Corbières, devait nous permettre de comprendre ceux qui gravitaient autour de lui. Les compagnons de lutte, les amis et les adversaires bien sûr mais aussi les groupes sociaux et politiques, ce milieu dans lequel non seulement il vivait et travaillait mais qu’il voulait changer.

ISBN 978-2-86266-636-5

19 €

www.loubatieres.fr

Violette Marcos est docteur en histoire. Sa thèse de doctorat a porté sur le Parti communiste et l’antifranquisme. Juanito Marcos s’est spécialisé dans la recherche documentaire en histoire sociale. Tous deux ont publié Les Camps de Rivesaltes en 2009, et participé à 1936, Luttes sociales dans le Midi de la France.


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