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CULTURE
LIBÉRATION MERCREDI 10 OCTOBRE 2012
DANSE
Du cul kung fu de Van Damme à la Villette via l’Angola, les arcanes d’une mutation musicale. Par FRANÇOISXAVIER GOMEZ
D’
après la mythologie grecque, Dionysos était né de la cuisse de Jupiter. Le kuduro, lui, est né d’une autre partie de l’anatomie de… Jean-Claude Van Damme. L’electro-rap angolais, dans sa version dansée, trouve en effet son origine dans une scène «primitive» du désormais classique Kickboxer (1989). Appuyons sur rewind: dans un bar, quelque part en Thaïlande, JCVD, un brin éméché, est invité à danser par une accorte demoiselle. Démonstration de dandinement frimeur s’ensuit. Interrompue par un fourbe, qui, profitant de son ébriété, tombe sur le râble du héros. Il va vite comprendre son erreur : la danse se transforme en castagne, et devinez qui gagne… ORBITE. Au milieu des années 90, une musique techno minimale scandée en argot de Luanda envahit les discothèques de la capitale angolaise. Le chorégraphe Tony Amado, chargé de créer les mouvements qui vont avec, s’inspire des pas saccadés et des roulements de postérieur de Kickboxer, ainsi que d’un rituel de la région de Malanje. Reste à lui trouver un nom : ce sera kuduro, à savoir «cul dur», hommage au gladiateur callipyge de Berchem, banlieue de Bruxelles. Grâce à cette minute de cinéma, le kuduro est prêt à gagner la planète. Quatre jours durant, le kuduro, élevé au rang de produit d’exportation de l’Angola (un de plus, après le pétrole et les diamants) investit la Grande Halle de la Villette, à Paris. Au menu : ateliers et démonstrations de danse, concerts, défilés de mode… Tout semble partir du site Oskuduristas.com, qui se présente comme une «initiative globale pour la promotion internationale du kuduro». Très complet, plastiquement réussi, il est visiblement doté de moyens financiers importants. De même que la version live, entièrement gratuite, qui, après Paris, visitera Amsterdam et New York. Les financeurs ne sont pas nommés dans le dossier de presse ni sur le
Gasolina Presidente (à gauche) et Principe Ouro Negro forment le duo Os Namayer. PHOTO BIMALA NAYSMITH
Le kuduro, saga dandy noire site. Une piste, cependant : Co- tema, dès son premier disque, reon Du, chanteur programmé en 2008, a popularisé ses beats obdimanche, n’est autre que Zedu sédants. Mais le triomphe mondial Dos Santos, fils du président de la arrive singulièrement avec un DJ République, à la tête du pays depuis bordelais, d’origine portugaise : 1979 et réélu au printemps. Fondateur et Le week-end, des discothèques créateur de la maison d’Ile-de-France ou de la région de production Semba, Zedu Dos Santos a lyonnaise organisent des soirées produit de nombreu- kuduro et des concours de danse. ses émissions télé et vidéos sur le sujet. Lucenzo. Son Dança Kuduro s’imD’autres tentatives pour placer le pose peu après sur les dancefloors kuduro en orbite mondiale ont déjà européens, avant d’être repéré par eu lieu. En 2008, le Français Frédé- la star portoricaine du reggaeton, ric Galliano a publié une série de Don Omar. Dont la version du remixes de kuduro et organisé une même titre, en duo avec Lucenzo, soirée au Bataclan, à Paris. Le col- est un des tubes les plus dansés et lectif de Lisbonne Buraka Som Sis- téléchargés dans le monde en 2011.
Ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Tous les week-ends, des discothèques d’Ile-de-France ou de la région lyonnaise organisent des soirées kuduro et des concours de danse. La population angolaise en France est restreinte mais de nombreux ressortissants de la République démocratique du Congo baignent dans cette culture : le pays partage une longue frontière avec l’Angola, et une longue histoire d’échanges, notamment à travers les vagues de réfugiés.
ces jours-ci, avec des artistes 100% du cru. En tête d’affiche, vendredi et samedi, le public découvrira le duo Os Namayer, ou encore Cabo Snoop, de son vrai nom Ivo Manuel Lemus, 21 ans. Le clip de son dernier tube, Kagado, est un petit bijou : sur ce titre où il invite le groupe vedette Kazumbis (lire page suivante), presque pas de mélodie mais une rythmique joyeuse et un flow irrésistible. En pleine rue, dans ce qui ressemble à une favela, défilent, dans une débauche de couleurs, des dizaines d’enfants et d’adolescents avec des pas de danse tantôt complexes, tantôt rigolos. Autre pôle d’intérêt : le défilé de mode du collectif Projecto Mental, avec les stylistes Tekasala et Sunnoz. Leur style: composite et chamarré, bourré d’humour. L’image globale qui se dégage de l’opération est celle d’une jeunesse qui déborde d’idées et de joie de vivre communicative. Celle que le gouvernement angolais veut montrer au monde, sans doute, mais aussi un témoignage de l’élan vital d’un pays qui, après vingt-sept ans de guerre fratricide, regarde l’avenir en misant sur sa culture. •
OS KUDURISTAS FAVELA. Comme souvent, les personnes qui ont internationalisé le kuduro (ou tenté de le faire) ne viennent pas d’Angola. D’où l’intérêt du plateau proposé à la Villette
La Villette enchantée, 75019. Demain et vendredi de 18h à 23h, samedi de 14h à 23h, dimanche de 11h à 16h. Entrée libre. Rens.: www.oskuduristas.com