Les mains du poète...
Parole due De tout ce que de montagne Il s’est bâti en toi Construit chaque pas Déconcertant la tiraille sommeilleuse Ne dépare pas le pur visage De l’Avenir Bâtisseur de l’insolite Demain Que ton fil ne se noue Que ta voix ne s’éraille Que ne se confinent Tes voies Avance Aimé Césaire
LE MOT DU MAIRE Raymond Saint-Louis-Augustin
2013 Année du centenaire d’ Aimé Césaire … Et Fort-de-France, la ville capitale dont il fut le maire pendant 56 ans, lui rendra un hommage vibrant, mérité, empreint d’émotion palpitante, de profond respect et de reconnaissance affirmée. Foyalaises et Foyalais, vous le savez, cette année plus que les précédentes, nous aurons à trouver dans la mise en œuvre du projet municipal le juste équilibre, entre réponse à nos attentes, nos besoins, et la dure réalité d’un budget contraint, conséquence de ces temps de crise mondiale. Certes, nos marges de manœuvre sont restreintes mais, par bonheur, Foyal notre ville Capitale dispose d’atouts exceptionnels tels : - une Baie inscrite au nombre des « plus belles baies du monde », - une Station Nautique labélisée, - des espaces urbains de qualité dont les mises en chantier arriveront à leur terme, tels, - la Savane - le Front de Mer (Malécon) - le parc culturel Aimé Césaire et par-dessus tout, - une équipe municipale, administrative et politique, performante dont la détermination constante, l’imagination créative de chacun sont inspirés par l’Esprit Césairien, la philosophie du « Nègre Fondamental », l’universalité de son Humanisme. Et c’est pourquoi, notre agenda au-delà de ses objectifs traditionnels a pour mission en 2013, de rendre un hommage tout particulier à Aimé Césaire, dont c’est le centenaire de la naissance. Nous choisissons d’y faire figurer des éléments biographiques indispensables, des témoignages de personnalités locales, nationales, internationales, mais aussi des « paroles d’habitants » et des « morceaux choisis », véritables « armes miraculeuses» afin que chaque jour chacun y puise force, énergie, talent et que la « parole due » d’Aimé Césaire ravive et anime la part de poésie, l’étincelle permanente, nécessaires voire indispensables à la construction du Pays meilleur que nous espérons tous, pour un avenir où la Fraternité bienfaitrice et salvatrice serait un long chant partagé. À chacun je souhaite au début de cette année 2013, Santé, Courage, Solidarité, pour l’avènement de notre ambition commune. Bonne année 2013 à toutes et tous.
Raymond Saint-Louis-Augustin
Docteur Pierre Aliker Je terminais ma philosophie alors que Césaire entrait en 6 ème au Lycée Schoelcher. C’est donc que je ne l’ai pas connu à la Martinique mais à Paris dans le salon des demoiselles Nardal. Les demoiselles Nardal étaient une famille intellectuelle qui se faisait un devoir de réunir dans ses salons à Paris des intellectuels de couleur américains, africains, antillais. Je n’ai pas été long à découvrir les grandes qualités intellectuelles et morales de Césaire qui le destinaient à participer de quelque sorte qu’il ne fallait plus le combattre mais essayer de l’aider de toutes les batailles, de tout ce qu’on pouvait faire en tenant naturellement adjoint. Je suis rentré en Martinique en 1938 et Césaire qui était au lycée Schoelcher, est rentré en 39. Le ministre de l’éducation de l’époque, Malraux l’avait nommé Chef d’une mission culturelle à Haïti, qui fut extrêmement populaire. Et lorsqu’il a donné à son retour au bout de 6 mois à Fort de France, une conférence publique pour rendre compte de son mandat, il a reçu un accueil populaire extraordinaire. Ce jour là, je compris qu’il s’était établi entre le peuple Martinique et lui un pacte d’amitié et de confiance qui était lourd de conséquence pour l’avenir. Et de ce fait, lors des élections tenues par la suite, les communistes sont venus lui proposer d’être la tête de liste d’un groupement qui assurerait le succès de la gauche martiniquaise. Césaire qui exerce le métier d’enseignant , qui était sa vocation refusa. Mais il fut soumis à une telle pression, qu’il finit par accepter à la condition que je l’accompagne dans son entrée en politique. Notre acceptation était fondée sur la conviction que nous aurions été battus par ce géant de la politique martiniquaise qu’était Lagrosillière. L’élection fut un triomphe, qui entraîna pour nous l’obligation morale de réaliser le programme sur lequel nous avions été élu avec comme obligation première de faire de la colonie martiniquaise un département français. Césaire s’est occupé de réaliser la loi de départementalisation. Seulement, une fois la loi votée, elle ne fut appliquée que par bribes et par morceaux. (...) Ce qui amena le PPM en 1958 à donner comme un de ses objectifs principaux, la transformation du département de la Martinique en une région autonome au sein de l’Etat de droit qu’est la République Française. Cette révolution a été imposée par la réalité vécue et subie. Ainsi lorsqu’en 1945, nous sommes arrivés aux responsabilités municipales, nous avons été confrontés à une montagne de problèmes hérités du système précédent. De tous ces problèmes, deux dominaient : la santé et l’éducation. Au point de vue Santé, il y avait une donnée fondamentale : l’eau du robinet était une eau brute charriant toutes sortes de microbes, virus, et toxiques. Nous avions adopté comme devise de la phrase de Karl MAX, «il ne faut jamais permettre que l’intérêt général ne soit noyé dans les eaux glacées de l’intérêt privé», jamais. Cette phrase a été notre guide, notre étoile polaire que nous avons suivi, de sorte que pendant 56 ans que nous sommes resté aux responsabilités municipales, nous avons lutté pour que l’intérêt général l’emporte constamment sur les intérêts privés. Et nous avons pu réaliser malgré les obstacles qu’on a dressé sur notre route , parce qu’à notre première fondation, nous avons clairement exposé que nous voulions faire de la Martinique une région autonome , comme je vous l’ai dit, au sein de l’Etat de droit qu’était la République Française. On avait toujours combattu cette position au niveau de l’Etat, au niveau du conseil général, au niveau de l’association des Maires et de la manière la plus efficace, en supprimant les subventions auxquelles nous pouvions avoir droit , de sorte que tout ce que la Mairie réalisait à cette époque a été supporté par les épaules du seul contribuable de Fort de France.
L’attitude du gouvernement a changé lorsque Mitterrand en 1981 a été élu Président de la République. Dans la préparation de son élection, comme Président, il était venu à Fort de France, à la Martinique , il était venu nous rendre visite au SERMAC. Après lui avoir fait visiter les douze ateliers, les annexes du SERMAC dans les faubourgs, il s’est tourné vers nous et il nous a dit : «il n’y a rien de semblable en France». Nous avions compris qu’il était satisfait de notre ouvrage et nous avons continué dans cette voie et jusqu’à présent l’étoile polaire est là. Elle nous éclaire jusqu’à présent , nous faisons en sorte que l’intérêt général l’emporte sur les intérêts privés. Voilà ce que j’avais à vous dire. Sachez que les principes qui guident l’action du PPM n’ont pas changé parce que nous sommes fidèle à nous même, fidèle à notre dogme. Et avec pour objectif d’obtenir un pouvoir local fort capable de réaliser le mieux pour notre population, parce qu’il faut se persuader d’une chose c’est que les spécialistes des questions martiniquaises, ce sont les Martiniquais.
Aimé Césaire et Pierre Aliker sur le port de Fort-de-France - 1989 Pierre Aliker fut le premier martiniquais interne des Hôpitaux de Paris. En 1938, titulaire d’un doctorat en médecine, spécialité chirurgie, il retourne en Martinique et exerce le métier de chirurgien. Il est le frère cadet d’André Aliker (1894-1934), journaliste du journal Justice, assassiné en 1934 dont il porte encore le deuil en s’habillant symboliquement de blanc. 1er adjoint au maire de Fort-de-France de 1957 à 2001 - Conseiller général du 3e canton de Fort-de-France de 1958 à 1970 - Président du SICEM (Syndicat intercommunal du Centre de la Martinique) de 1997 à 2001
Camille Darsières ,docteur en droit et avocat, fut 2e adjoint au maire de 1965 à 2001 - Président du conseil régional de la Martinique de 1986 à 1992 - Député de la Martinique de 1993 à 2002
Ci-dessous le manuscrit autographe inédit d’Aimé Césaire, trouvé par la famille dans les archives du poète, parmi les documents laissés dans sa maison de Fort-de-France. Transcription du manuscrit * de l’être et de la soif arroi au demeurant délabré alphabet en aboi à l’heure où dans le vent il y a squales de l’orage fulgurant le temps d’un bond l’argent de leur gorge les incroyables renversements de cécropies à l’heure où dans le vent et parmi les feuillages il y a de grands tournoiements de chamans et de hoquets à l’heure où dans le vent il y a toujours rattrapant de justesse la colline qui s’éboule à bras le corps à bras de racines le grand conjurateur le plus puissant des ceibas l’athlète-fétiche d’une ville à détruire à l’heure où dans le vent il y a des frissonnements mais aussi l’impossible angoisse nattée rouge au cœur des balisiers il n’est quand même pas trop tard pour remonter le haut roulis des défis et des colères le temps de relayer la patience des couleurs dans la reptation des lianes et l’humeur toujours hilare des genèses sous-marines * Le poème Ruminations de caldeiras, a été publié pour la première fois en 1994 aux Éditions du Seuil, dans le recueil inédit intitulé Comme un malentendu de salut
«Paroles dues» à Aimé Césaire 2009 Textes libres imaginés par des collégiens et des lycéens de l’Académie Martinique
Illustre poète qui demeure invincible Rigoureux et fort Eternel jusque dans nos coeurs. Tanguy, 6ème Dans nos mémoires ses mots scellés Dans l’histoire son parcours gravé Il a tout donné sans rien reprendre, Continuons son travail, respirons ses cendres Sabrina, 2nde
Simone Vaton ancienne adjointe au maire Aimé Césaire en charge de l’éducation
Tu m’avais ouvert un chemin. Tes mots résonnent toujours en moi, inlassablement. Changer ces horizons, changer le ciel, changer le monde. Confortée dans mes choix, ragaillardie par la poussée d’ailes que tu m’avais, indirectement, offerte, je me sentais enfin une destinée… Zoé, 1ère Cher Monsieur Césaire Quand vous dites « mon coeur bruissait de générosités emphatiques », Je le ressens. Votre voix, je l’entends, « la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir » je la vois, je vois que la Martinique vous est chère et à quel point vous l’avez défendue avec honneur… Je ne comprends pas trop vos écrits mais je les aime parce qu’ils sont écrits avec amour. Lucrèce, 2nde Je ne suis pas un coeur aride. Je ne suis pas un coeur sans pitié. Je suis un homme de soif bonne qui circule fou autour de mares empoisonnées. Et les Chiens se Taisaient, 1958
Livret pour les classes de l’école primaire © Mairie de Fort-de-France, 2008
Marie Pérugien Militante et salariée de la ville (1965-2002) J’ai rencontré Aimé Césaire à l’âge de 10 ans quand j’accompagnais mes parents aux réunions du parti communiste à la cantine des Terres-Sainville, au rez-de-chaussée de chez Madame Soïme et de chez Madame Rosette Eugène. Mes parents adoraient Aimé Césaire et moi aussi. Je l’ai toujours suivi, partout dans toutes les conférences et j’ai été fidèle à sa politique. C’est Madame Rosette Eugène qui m’a fait rentrer au balisier des Terres-Sainville, baptisé après Balisier Hector Marine Aimé Césaire était comme un père pour moi. C’était mon guide, je l’admirais ! A partir de 1965, il a été mon patron mais nos rapports n’ont pas changé. Il était très rigoureux sur la qualité du travail. C’était le professeur qui remarquait la moindre petite faute. Il m’a donné l’envie d’apprendre et m’a fait prendre conscience et confiance d’être martiniquaise. Il a développé chez moi le courage d’affronter les autres. J’ai eu envie de « savoir » à son contact. De le côtoyer m’a donné de l’assurance moi qui était si timide. Auprès de lui, j’avais le sentiment d’être utile et j’étais fière de porter ma petite contribution : c’est qui m’animait, le perdre a été terrible.
… puis je me tournais vers des paradis pour lui et les siens perdus… j’ai longtemps erré et je reviens… (Cahier d’un retour au pays natal)
Renaud Jouye de Grandmaison Secrétaire Général honoraire de la Mairie de Fort-de-France - Conseiller général 1998/2004 Chargé de la propagande au Parti Progressiste Martiniquais 1972/1993 Si l’on veut bien comprendre l’immensité de l’oeuvre de l’équipe municipale de Césaire, il faut faire l’effort de se remémorer ou imaginer ce qu’était Fort-de-France en 1945 ; le Docteur Aliker ne manquait jamais de le rappeler chaque fois qu’il abordait le sujet. Sa description était si catastrophique qu’elle soulevait un certain scepticisme dans l’esprit d’une partie de son auditoire : « Une perle puante », pots de chambre déversés dans les caniveaux, typhoïde à chaque carême, inondations à chaque saison des pluies, 16 écoles délabrées, un réseau de fontaines d’une eau non potable et distribuée parcimonieusement, un manque cruel d’infrastructures de toutes sortes. Les sceptiques avaient grand tort de mettre en doute sa parole car il ne pouvait en être autrement. La Martinique était depuis des lustres un pays de misère et quand la majeure partie d’une population est misérable la collectivité ne peut-être que pauvre à une époque où seule la colonie, toute aussi démunie, venait en aide à la municipalité : la possibilité d’emprunt était hors de question. Cette municipalité, celle d’avant Césaire, a de 1895 à 1945 dû faire face en outre à : - Un tremblement de terre important - Un grand incendie qui ravagea une grande partie de la ville basse. - L’afflux des rescapés de l’éruption de 1902 - La guerre 14 /18 - Le crack boursier de 1929 - La guerre 1939/1945 où elle fut dissoute Pas étonnant que Fort de France ait cinquante ans de retard en 1945 et la tâche à laquelle s’attelait alors le jeune maire Aimé Césaire se révéla être tout simplement de réaliser en cinquante l’oeuvre d’un siècle.... Une anecdote qu’il se plaisait à raconter est symptomatique de la situation d’alors : en préparant avec Mr Athanase Montlouis-Félicité l’ordre du jour de son premier conseil municipal, il remarque un point « dédit à payer à Mr Gandillon » Le Secrétaire Général l’informe que la municipalité du Maire Sevère, avait passé un marché avec cet ingénieur, inventeur d’un système d’égout par aspiration, seul susceptible de fonctionner convenablement dans une ville marécageuse et dont une partie est en dessous du niveau de la mer. La déclaration de guerre en 1939 avait compromis cette réalisation et l’on devait indemniser ce monsieur. S’en suivit un dialogue caractéristique : « Je ne commencerai pas mon mandat par un renoncement ; on le fera. » « Mais l’argent ? » « On le trouvera !». Cet acte de foi est emblématique de l’action municipale de Césaire : du premier au dernier jour il a refusé de reculer, de renoncer devant la difficulté et le manque de moyens. Tout étant à faire, restait à déterminer un ordre de priorité et celui qui a déroulé l’oeuvre immense, incroyable de Césaire est symptomatique de sa personnalité ; il fut bâtisseur par contre coup car sa pensée constante allait d’abord aux habitants de Fort de France et non aux ouvrages ou aux édifices qu’il entreprenait pour les mettre à leur service. Césaire a été le maire du coeur. Dès lors les priorités s’imposent d’elles-mêmes ; nul besoin d’énarques et de polytechniciens pour faire des choix. D’abord la santé et l’on passera des fontaines de fonte à 45.000 mètres cubes d’eau potable par jour au robinet de chacun, trois stations de traitement alimentant une batterie de réservoirs et des Kms de tuyaux de tout diamètre ; Schoelcher en bénéficiera.
En aval le traitement des eaux usées passe des caniveaux à l’égout pour aboutir à trois stations d’épuration, une partie transitant par la station de pompage du bord de mer. Parallèlement les écoles : leur nombre passe à (68) soixante huit établissements. Là encore un évènement éclaire la dimension de l’homme et sa capacité à se hisser à la hauteur de situations qui en auraient écrasé d’autres. Début des années 70, c’est l’arrivée dans le primaire des enfants du « Baby BOOM » , la prochaine rentrée s’annonce déjà difficile quand 4 chantiers d’écoles de 12 classes sont arrêtés ; les entreprises victimes de la crise du bâtiment sont en difficulté et déposent leur bilan. Cette fois, c’est la catastrophe, l’encadrement dont je faisais déjà partie ne sait où donner de la tête et nous nous retrouvons quatre dans le bureau d’ Auguste Acelor alors Secrétaire Général ; objet de la discussion : Comment concilier la poursuite de ces chantiers par le personnel municipal, sans compromettre les classes provisoires en bois, elles aussi nécessaires pour la rentrée. La solution fuse de la bouche du Maire : terminer en régie les 4 grandes écoles (Ravine Bouillé, Coridon, Godissard, Cardin) avec le personnel des entreprises qui, du coup, était au chômage. Il les a tous embauchés ainsi que trois patrons sur quatre en qualité de contremaîtres. Pure folie ? Suicide financier ? Non ! Audace géniale, à sa dimension mais pas à la nôtre. La preuve, Docteur Aliker était d’accord. La rentrée est sauvée et une centaine d’ouvriers du bâtiment retrouvent un travail. Dans l’immense coeur d’Aimé Césaire il y a de la place pour les enfants et les adultes. Priorité à l’humain, le béton est un moyen, pas une fin en soi. Dans cette démarche, l’actualité s’impose : la fermeture des usines à sucre entraîne la diminution des surfaces plantées en canne, à l’instar de l’éruption de la Pelée ; l’exode rural s’installe, il faut accueillir les arrivants, c’est Trénelle, Bas Maternité, Fond d’Or sur des terrains municipaux. Oui, ils sont accueillis, tant bien que mal. Mais c’est aussi Texaco et Volga, l’Hydrobase, là les terrains sont à l’Etat ou au privé et il ne suffit plus de les accueillir, il faut les défendre, les protéger contre les poursuites judiciaires et les expulsions manu-militari. La municipalité est mobilisée, notamment Camille Darsières qui est l’avocat bénévole d’un grand nombre. La nature aussi rappelle qu’elle peut se déchaîner : Beulah et Dorothy ont fait de gros dommages à la ville basse (centre, Terres Sainville, Sainte Thérèse, Dillon, Volga), il faut faire quelque chose et vite. Il faudra canaliser la Rivière Madame (du Pont de Chaînes à la mer), la Ravine Bouillé en partie souterraine, la Ravine Moreau et la Rivière Monsieur ; et le pont d’entrée de Dillon sera relevé par un système de vérin jusqu’alors jamais utilisé en Martinique. L’aménagement des quartiers populaires dont certains furent spontanés se fait à longueur d’années, eau, rues, éclairage public, crèches, etc.... AH les crèches, chères au coeur du Docteur Aliker, chères au budget municipal, mais quelle oeuvre ! Des enfants bien soignés et les mères disponibles pour aller au travail. Douze crèches, chiffre qui fit hoqueter de surprise Monsieur Cornut Gentil, député-maire de Nice de l’époque s’écriant « mais, Césaire, vous me prenez pour un nabab ! ». Les années 70, entamées dans la douleur avec Dorothy qui fit des morts notamment à Dillon, ce qui entraîna ( il me pardonnera le terme mais je n’en trouve pas d’autres) la décision rageuse de Césaire de lancer un bulldozer à l’assaut du morne pour donner, sans plus tergiverser, une autre sortie à la population de Dillon emprisonnée par la rivière lors de la tempête. Les années 70 apporteront du baume au coeur du Maire et de son équipe se battant seuls contre la misère, les éléments, les égoïsmes, se sentant responsables d’une population qui est passée trop vite d’environ 60 000 à 100000. Ce sera d’abord la reconnaissance manifestée par cette population en 1971, plus de 21.000 voix pour moins de 60.000 inscrits, du jamais vu ; j’ai conservé la photo de Césaire saluant ses partisans ce soir là ; même son dos crie sa joie.
Et puis surtout le lancement de l’action culturelle de la ville avec l’achat de l’ex-caserne Galliéni et le festival culturel, puis l’OMDAC (structure municipale mais dénomination spontanée) et enfin le SERMAC ; Le Festival, la création de la structure de formation a été sans doute la partie de son oeuvre dont notre maire était le plus fier car dans son esprit le besoin de culture du Peuple était aussi impérieux que le besoin de pain. Jean-Marie Serreau, Ariane Mnouchkine, et Mehmet Ulusoy faisaient son bonheur : moments inestimables à une époque où l’action municipale était un combat inégal de tous les jours. Ici, il me faut faire une pause dans mon « inventaire » pour dire le courage quotidien dont il fallait faire preuve pour avancer quand même, cernés que nous étions par un gouvernement hostile, mesquin, faisant à la population de la Ville payer sa fidélité à CésaireC’est pendant ces années là que j’ai mesuré l’importance de la présence du Docteur Aliker aux côtés de Césaire ; il était le roc inébranlable, imperturbable, ne se reconnaissant que dans la ligne droite, c’était pour le maire un partenaire incontournable, sécurisant, et leurs deux forces conjointes ne s’additionnaient pas, elles se multipliaient. Le Député en session à Paris, souvent pour trois mois, la municipalité ne cédait pas un pouce de terrain, ni à la Préfecture ni même à la Caisse des Dépôts dont nous voyions chaque année la visite du représentant qui jusqu’en 1978 avait la prétention de choisir lui-même les réalisations accessibles à l’emprunt. Le Docteur Aliker tenait bon et en imposait à tous. Et durant toute cette époque, de 1945 à 1981, debout dans la tempête, ils ont su non seulement tenir tête à l’étranglement financier auquel nos compatriotes de la majorité de droite du Conseil Général ont apporté une complicité dont les survivants doivent aujourd’hui encore avoir honte au fond d’eux-mêmes. Mais plus encore, par la confiance et le respect qu’ils inspiraient, ils ont insufflé à leurs collaborateurs la même volonté d’aboutir. Tout le personnel participait à ce combat solidaire avec même parfois le goût de l’exploit, je l’ai vérifié à maintes reprises. Que respect et honneur leur soient rendus. Nous voici au terme de la première période, celle du ghetto, celle de la tutelle tatillonne, celle au long de laquelle il a fallu pendant trente cinq (35) ans naviguer à contre courant et ramer sans cesse, sans relâche, avancer encore et contre tout et tous. Faire face aux besoins essentiels avec la seule contribution fiscale de 30 %des foyers de la ville, les autres vivant au dessous du minimum. Pas étonnant que ces contribuables aient trouvé la facture lourde à payer, elle l’est encore car malheureusement le pourcentage des contribuables n’a guère augmenté. A ceux-là, je veux certifier qu’il n’y a jamais eu de désinvolture municipale à leur égard et que le souci constant des édiles a été de faire bon usage de leur maigre budget. Là aussi l’on peut croire que je noircis le tableau pour mettre en valeur ces deux hommes inséparables comme deux boeufs attelés à la même charrue. Trois exemples au vu et au su de tous sont là pour témoigner de la véracité de mes dires. - La grande école primaire des Terres Sainville construite par les techniciens municipaux sans un sou de la subvention d’Etat pourtant obligatoire et je pourrais ajouter Rivière l’Or, maternelle Dillon, Marcel Placide, etc., etc.... - La rénovation de la Cathédrale pour laquelle la participation de l’Etat inférieure à la T.V.A perçue sur l’opération lui a laissé un....bénéfice. - Le bâtiment administratif du Boulevard Général de Gaulle réalisé aussi sans un sou de subvention. Le chantage de la majorité de droite du Conseil Général atteint son apogée avec la Rocade, voie départementale, normalement financée par le F.IR. (taxe sur l’essence) perçu et géré par ledit Conseil Général de1963 à 1985, ensuite par la Région. Le Président du Conseil Général, représenté par Michel Renard, exigeait dans des réunions houleuses que la ville
participe à 45 %, insensible aux arguments que j’ai développés devant lui, à savoir que les automobilistes de Fort de France devaient être traités comme les autres et n’avaient pas à payer deux fois pour la Rocade, une fois avec la taxe sur l’essence et une deuxième fois par leur s impôts locaux. Il me reproche même la participation « massive » de la Ville de Fort de France au futur hôpital de La Meynard. Aujourd’hui, il peut jouer les ramollis, nous n’oublierons pas. La Préfecture n’était pas en reste dans la mesquinerie : en 1968, la ville achète, fort cher, l’ex-caserne Galliéni, aujourd’hui Parc floral et culturel. Une condition est imposée dans l’acte de vente par le Préfet de combat Terrade : l’obligation de raser tous les bâtiments. L’affaire faite, il a fallu tout le courage de Césaire et Aliker pour résister aux injonctions et sauver ces bâtiments qui ont rendu d’immenses services et aujourd’hui, classés et inscrits à l’inventaire, sont en cours de rénovation. Dans ce ciel noir, quelques éclairs de lumière : - Le préfet Casablanca, corse d’origine, qui au côté du Docteur Aliker, prend parti pour la ville contre l’armée qui s’opposait à l’élargissement du Boulevard du général de Gaulle, de la Folie, du pont Démosthène, concluant sa réunion par cette menace « si demain vous n’avez pas dégagé, je vous attaque à coups de bulldozer ». - Le fonctionnaire de la Caisse des Dépôts, venu trois années et que l’on a retrouvé par la suite dans l’équipe de François Mitterand... L’élection de François Mitterand change tout, les préfets et ministres retrouvent le chemin de la Mairie. Vient la décentralisation avec la globalisation des emprunts, la Région est créée et Césaire en est le premier Président, Pierre Mauroy Premier ministre, signe un contrat avec la ville de Fort de France ; en sortiront entre autres la station d’épuration de Dillon et Langellier Bellevue. Le jour succède à la nuit et notre leader peut, enfin, laisser entrevoir l’ambition qu’il nourrit depuis le début pour sa ville. Tout de suite, les grands projets sont sortis des cartons et l’on voit la gestation du Stade de Dillon, du port de plaisance, le système Gertrude pour la régulation des feux, les parkings silos, ...le démarrage de la Rocade grâce à une subvention d’Etat du fonds des travaux nationaux. L’instruction et la délivrance des permis de construire sont transférées à la ville dans le cadre de la décentralisation et prises en main par un jeune urbaniste, Serge Letchimy Sur sa proposition, la SEMAFF est créée et il en prend la direction et s’enchaînent les rénovations de quartiers : Texaco, Volga, Canal Alaric, Ravine Bouillé, Fond populaire, la Pointe Simon... Même l’opération Morne Pichevin, initiée lors du passage d’André Malraux en 1958 et embourbée depuis, redémarre. Peu à peu, Césaire laisse entrevoir sa grande ambition de toujours pour Fort de France ; sa capacité de prémonition lui fait penser que, tôt ou tard les espaces libres du Lamentin attireront les entreprises au détriment de Fort de France. Un jour, il me dit « la capitale économique va nous échapper ; il faut préparer Fort de France à devenir une METROPOLE CARIBEENNE ». C’est alors qu’il confie à la SEMAFF le soin de rédiger le Projet de Ville. Césaire était tellement fier de ce travail projetant Fort de France vers l’avenir que, à l’occasion de la signature d’un contrat de ville avec l’Etat, il eut devant le préfet ce mot très dur : « il ne faut pas confondre contrat de ville et projet de ville ; ce contrat est au projet de ville ce que ce chien animal aboyant est au « chien », constellation céleste ». Cette période est caractérisée par un Césaire pressé comme s’il craignait de ne pas avoir le temps de réaliser ce qu’il avait en tête.
Ralenti de surcroît par le plan de redressement qui s’étalera de 1991 à 1995, où on le sentait piaffer d’impatience. Mais la sagesse avait le dessus et il respectera scrupuleusement le plan de redressement. Durant cette période tout le monde y a mis du sien, à commencer par les syndicats qui ont accepté de signer un protocole instituant un blocage des salaires et le non remplacement des partants. Le personnel a été exemplaire ! Ce fut la période la plus calme socialement de mon parcours à la mairie. Je tire mon chapeau à Félix Soquet et Daniel Gromat, leaders syndicaux bouillants qui ont compris l’importance de l’enjeu et ont eu le courage de défendre auprès de leurs mandants un accord très pénalisant. C’est la raison pour laquelle, le plan de redressement achevé, j’ai tout fait pour que soient respectés les engagements de la Municipalité, soit : - Le paiement des rappels - Le plan de titularisation. Mon parcours municipal avec Césaire s’arrête là : le 30 mars 2000, je fais un infarctus et subis quatre pontages. Les nombreuses manifestations de sympathie m’ont bien soutenu. Et c’est convalescent que le 20 juillet 2000, je participe à un Comité National du PPM historique qui vota à l’unanimité une motion présentée conjointement par Claude Lise et Serge Letchimy. Serge Letchimy fut désigné comme candidat au poste de Maire de Fort-de-France. Claude Lise fut chargé de rassembler la gauche du Conseil Général. Mais là commence une autre histoire...
- Renaud Jouye de Grandmaison - Pierre Aliker - Aimé Césaire
Jenny Alpha (1910 - 2010) chanteuse et comédienne martiniquaise - Elle était la grande amie d’Aimé Césaire.
1913 – 2013 Césaire, le Siècle ! Traverser un Siècle sans certitude définitive, sans sclérose de la pensée, sans être tenté par la vertu qui renonce, sans trahir les aveugles pulsions d’émancipation d’une masse mortiférée, ainsi Aimé Césaire m’apparaît tel qu’en lui-même. Tenir le cap contre les vents et les marées de la dissolution de notre identité collective, ainsi surgit, devant mes yeux, Aimé Césaire au bout de cent ans d’efforts nègres. Porter le combat des peuples noirs à ce niveau de conscience jamais atteint, ainsi se dresse devant moi Aimé Césaire face à l’éternité. Assumer seul, dans la solitude extrême, cette rencontre avec le vide glacé de la parole mensongère de la colonisation, ainsi je vois Aimé Césaire dévoiler le Néant qui sous-tend les signifiants de la domination. Accueillir le langage de ces femmes et hommes, souvent insuffisamment alphabétisés, marcher dans l’intimité de leur pensée préconsciente qui s’attarde, de temps à autre, à l’adoration de quelque veau d’or, ainsi j’aperçois Aimé Césaire s’avancer vers la place qui est la sienne : le fils, le frère, le père, l’amant docile au génie de son unique peuple, lui suggérant le chemin et renonçant à toute tentation de le forcer, de l’humilier… c’est-à-dire de continuer à faire le blanc, en lieu et place, sur le dos des nègres. Persister dans la voie de la création poétique, malgré tous les malentendus du monde intellectuel antillais, ainsi s’impose à moi Césaire le subversif. Enseigner à une foule récalcitrante la force de mettre la tête hors du nœud coulant de l’Assimilationnisme, et de sortir les pieds des crimes et mensonges du Stalinisme, ainsi je vois Césaire, figure révolutionnaire. Instaurer, dans le pays natal, le sentiment national martiniquais qui nous a amené, aujourd’hui, à une autonomie de fait, ainsi je reconnais l’intelligence politique d’Aimé Césaire. Pour avoir rencontré Aimé Césaire discutant avec lui et de sa poésie et de sa politique, je me souviens d’un Césaire tranquille face au Jugement de l’Histoire…Je l’entends encore, à plus de 90 ans, me dire la nécessité de tout repenser, y compris ce en quoi nous avons eu le plus confiance ; ces mots ont fait résonner en moi Apollinaire : Perdre Mais perdre vraiment Pour laisser place à la trouvaille A l’heure où nous doutons de tout…surtout de l’avenir de l’humanité elle-même, Aimé Césaire nous rappelle à cette exigence morale incontournable : Il n’est pas question de livrer le monde aux assassins. Guillaume Suréna Psychanalyste
- Abdou Diouf - mars 2005 Ancien Premier ministre et successeur de Léopold Sédar Senghor à la présidence de la République, il est actuellement secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
Jeannie Darsières IL NOUS A DIT : « ET ELLE EST DEBOUT LA NEGRAILLE… » ALORS…NOUS SERONS DEBOUT ! C’était, il y a 100 ans… La « bonne fée » qui règne sur notre Destin, nous a livré un Trésor inestimable, et nous n’aurons pas assez de souffle, assez de gratitude, assez de cœur pour jauger ce Trésor, tant il nous permet de prendre la mesure de notre Identité profonde, inaliénable et irremplaçable ; Fiers de ce que nous sommes, fiers de notre Négritude… Oui, nous avons eu la chance d’avoir Aimé Césaire, pour guider nos pas, notre Pensée, notre raison d’être. Chaque jour qui s’écoule, nous avons l’humilité de regarder en arrière, et de toiser l’Avenir, à l’aune de cet Héritage Césairien. Aimé Césaire, en effet, dès sa jeunesse, sans que cela soit prétention ou arrogance, a eu conscience du rôle qu’il devait jouer, face à ce Peuple, misérable et démuni, que l’Histoire a piétiné dès les origines : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, Ma voix, la Liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir… » Le Peuple, le Peuple Martiniquais, le mot est lâché : c’est bien une histoire d’AMOUR entre Lui et Césaire. Une histoire d’amour, avec ses tripes, sa révolte, ses exigences, ses admonestations, sa souffrance, parce que Césaire a été violemment interpellé par ces sentiers douloureux parcourus par ce Peuple, d’où « La mâle soif et l’entêté désir » pour briser les chaînes de la geôle colonialiste. De ses « armes miraculeuses », il a voulu, de toutes ses forces, faire surgir « les oasis fraîches de la Fraternité », afin qu’arrive la Libération, ou du moins les premières vagues de cette Libération : longue chaîne de rébellion pour fracasser le cercle infernal « de ces quelques milliers de mortiférés qui tournent en rond dans la calebasse d’une île… ». Il était conscient de la rudesse de la tâche, de l’âpreté de ce corps à corps entre le colonisé sans ressource et le colonisateur cynique et puissant ; Le romantisme révolutionnaire, dont rêvent facilement les révolutionnaires de pacotille, n’était pas son choix. Non, petit à petit, il voulait sortir ce Peuple, son Peuple, de la négation de soi-même, pour qu’un jour, avec fierté, il puisse clamer : « Et nous sommes debout maintenant mon Pays et Moi Les cheveux dans le vent, Ma main petite dans son poing énorme, Et la force n’est pas en Nous Mais Au Dessus de Nous »… Césaire avait lu le Code Noir de Mars 1685 qui, affreusement, légalisait l’esclavage, les mauvais traitements, l’asservissement impitoyable du Noir chosifié, pire qu’une bête de somme, avec une féroce « ligne de démarcation qui a toujours existé entre la classe blanche et celle des esclaves ». Une profonde révolte l’habitait, ce « nègre marron », le tourmentait, l’obligeait à inventer les moyens de se libérer de cette souillure de l’Histoire. : « …Je demande trop aux Hommes ! Mais pas assez aux Nègres…Tous les Hommes ont mêmes droits. J’y souscris. Mais du commun lot, il en est qui ont plus de devoirs que d’autres. Là est l’inégalité… » Et, courageusement, dans sa fonction de Maire, de Leader Politique, de Penseur anticolonialiste, il a toujours préconisé ; « Plus de travail, plus de foi, plus d’enthousiasme, un pas, un autre pas, encore un autre pas… ».
Césaire, un Guide, LE Guide, le Père, le Frère, « l’Amant de cet unique Peuple », le Pasteur qui conduit de ce Peuple « la longue Transhumance », le Démiurge, créateur d’un Monde Nouveau pour le Nègre « au rendez-vous de la conquête », afin que « toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement sans limite » : c’est tout cela Césaire, qui, à travers le Peuple Antillais, avait volonté de rendre tous les Peuples colonisés « poreux à tous les souffles du Monde »… Cela s’appelle un HUMANISME fondamental, si bien qu’à travers son expérience à lui, il s’adresse à tous les Peuples Noirs, et au-delà, à tous les Peuples ayant soif de Justice et de régénérescence ; D’où sa dimension Universelle… … « Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs » disait- il, parce que tout au long de son parcours, Aimé Césaire a rêvé d’un monde différent, car « une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte, car une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde ». Césaire disparu il y a 100 ans ! Nenni, l’Homme est là avec Nous, le lutteur nous donne des forces, le Penseur qui « habite une blessure sacrée » nous oblige encore et encore à la quête de nous-mêmes ; C’est en cela qu’Aimé Césaire sera toujours vivant en Nous, avec Nous, Pour Nous, pour nourrir « la Force de regarder Demain ». Et c’est pour cela, au plus profond de notre conscience, qu’il nous murmure, avec insistance et ferveur, Nous pauvres orphelins d’un Père Fondateur, un message impératif : Nous avons le droit et surtout le DEVOIR de maintenir cet Héritage, et de respecter son combat pour la conquête du Soleil : « Mon Peuple Quand Hors des jours étrangers Germeras-tu Une tête bien tienne Sur tes épaules Renouées… » Car « il n’est pas question de livrer le Monde aux assassins d’aube… Une nouvelle bonté ne cesse de croître à l’horizon… »
Aimé Césaire et Georges Desportes entourés d’enfants d’écoles primaires de Fort-de-France - 2003 -
Serge Letchimy Député de la Martinique - Président de Région Martinique - Président du Parti Progressiste Martiniquais Impossible de considérer 2013 comme une année banale. Les urgences et les difficultés économiques seront au rendez-vous, dans une intensité accrue. Ce sera donc une année décisive en termes d’orientations stratégiques et d’actions décisives. Cette année est aussi celle du centenaire de la naissance d’Aimé Césaire. S’il avait été parmi nous, il aurait assumé tout un siècle d’engagements et de luttes quotidiennes. Un tel anniversaire ne saurait nous laisser indifférents. Non parce qu’une indéfectible affection nous lie à son souvenir, ni même que son absence, pour chacun d’entre nous, demeure bien dure à vivre. En vérité, il s’y dégage un essentiel. La naissance de cet enfant sur l’habitation Eyma de Basse Pointe a été un moment historique. Ce fut pour ainsi dire un avènement : celui d’un des plus grands poètes du vingtième siècle. Une voix singulière et puissante qui allait restituer au monde un continent martyrisé: l’Afrique noire. Ce fut aussi l’avènement d’une contestation radicale du colonialisme et de toutes les formes de domination. Contestation d’autant plus radicale qu’elle emprunta les armes miraculeuses de la poésie. A cela s’ajoute l’espoir rendu aux nègres du monde et à des millions d’opprimés en lutte pour leur libération. Cette vie sera aussi à l’origine de la fierté martiniquaise. De ce que nous pourrions appeler : le sentiment de faire Peuple et Nation. Il n’existe aucune lucidité culturelle, économique, sanitaire,syndicale, sociale ou philosophique qui, ici, parmi nous, ne trouve ses fondations dans l’action conscientisante de l’œuvre, de la présence et de la vie politique de notre Aimé Césaire Mais au-dessus, de tout cela : il y a a Fort-de-France. Césaire plaçait la ville capitale au cœur de toute son existence. Pas une ville égoïste, repliée sur elle-même, soucieuse de ses seuls intérêts. Une ville d’accueil. De recueil. Une ville refuge. Une ville de réalisation. Le lieu d’un nouveau départ pour des milliers de Martiniquais fuyant les Habitations du pays, cela durant des décennies. Il en fit un bastion contre la puissance des planteurs et des grands usiniers. Un combat de tous les jours contre la misère, les fièvres, la malnutrition, le mal-logement, l’analphabétisme, l’insalubrité des mangroves urbaines... Ce qui a été fait correspondait aux urgences et contexte de l’époque, et a été bien fait. À cela s’ajoute une vision. Césaire a toujours porté le rêve d’une Martinique plus responsable. Plus autonome. Plus forte des richesses de sa nature et de sa terre, et capable d’instituer une harmonie entre les intérêts publics et ceux des entreprises. Dans notre rapport avec la France, il nourrissait la conviction que le respect de nos différences pouvait s’envisager dans une indéfectible égalité. Tout cela constitue ce qui s’appelle un héritage. Et même : une sommation. L’anniversaire de cette naissance nous le rappelle. Nous nous en souviendrons tout au long de cette année, et le fêterons dignement. Mais le plus juste souhait d’un «bon anniversaire» sera l’affaire d’une longue haleine : celle qui nous permettra de hisser sur ce beau siècle de fondation, la force de regarder demain, et de lui imposer notre claire volonté. Ce sera la plus honorable manière de lui dire : bien bel anniversaire, Aimé !
Joëlle Jules-Rosette
Secrétaire d’Aimé Césaire
Année 2001, le 09 Avril 2001, me voilà, Joëlle Jules-Rosette, collaboratrice de Monsieur Aimé Césaire, Député Maire Honoraire, installé dans son tout premier bureau à l’hôtel de Ville. Je revois tout le chemin parcouru , il y a 36 ans à la suite d’un entretien entre Monsieur Aimé Césaire et mon frère Benjamin Jules–Rosette Directeur du Théâtre Noir à Paris. Monsieur Aimé Césaire demanda à Monsieur Auguste Acelor le Secrétaire Général de Mairie de me trouver une table, une chaise et une machine à écrire, - Trente minutes plus tard, j’étais embauchée . J’ai ainsi été durant 25 ans, au service du Maire Aimé Césaire et de son fidèle Adjoint, le Maire Pierre Aliker, lorsque Monsieur Aimé Césaire était à l’Assemblée Nationale. Aussi ce lundi 09 Avril, lorsque Monsieur de Grandmaison, en présence de Monsieur Aimé Césaire, m’informe de ma nouvelle affectation, collaboratrice de ce Grand Monsieur, je me souviens avoir fait deux pas en arrière, puis trois en avant, et avoir dit OUI . Cela a duré 7 ans : - 7 ans de Connaissance - 7 ans de Générosité - 7 ans de Bonheur - 7 ans de Respect de l’humain - 7 ans de Fierté Mais aussi 7 ans d’énergie : il ne s’arrêtait jamais! les jours fériés, les samedis, les dimanches ne faisaient pas partie de son calendrier . Aucun jour ne ressemblait à l’autre. Chaque visite fut pour moi un tourbillon de connaissances, d’informations diverses, et de vie. J’ai toujours été impressionnée par ses connaissances tellement vastes : il savait situer tous les pays sur le globe terrestre et il était capable de parler en détail de l’univers culturel de ceux qu’il recevait. Et il aimait converser avec ses visiteurs et il avait un don pour les mettre rapidement à l’aise. Il aimait à parler de tout, y compris de l’actualité. Tous les événements étaient abordés (politiques, culturels, économiques, sociaux, sportifs...) S’agissant des visiteurs martiniquais – Cette Martinique qu’il aimait et qu’il connaissait si bien, ses habitants, son histoire, sa faune, sa flore – il faut imaginer comment se passaient ces entretiens ! A partir d’un nom de famille, il vous situait la commune, puis le quartier, et même l’entourage. Rien ne lui échappait ! Les remerciements de foyalais, toujours émouvants. J’avais souvent les larmes a yeux. Les remerciements des employés de ville, retraités ou en activité.
Les visites des étudiants du monde entier (USA – EUROPE – AMERIQUE LATINE -AFRIQUE ASIE – RUSSIE- CARAIBE ) « N’oublions pas le Professeur Aimé Césaire » Les visites des écoliers, et aussi des collégiens et des lycéens. Les visites des Artistes, sculpteurs , peintres, comédiens, cinéastes. L’art le fascinait. Souvent, sans qu’on le lui demande, il écrivait un petit mot, si simple et apparence mais tellement émouvant, sur l’œuvre présentée. Les visites des Écrivains martiniquais, et du monde qui venaient en personne présenter leurs ouvrages. On compte plus de 600 livres reçus en 7 ans. Les visites des hommes politiques de gauche, de droite, de tous les partis. Les visites mensuelles du Sénateur Maire de Case Pilote, Roger LISE Les visites de courtoisie, quatre à cinq fois par an, du Député Alfred ALMONT. Les visites régulières des compagnons du parti Progressiste Martiniquais – MM. Félix Cordémy, Crater, et Laurol . Les grands débats philosophiques avec les représentants des diverses religions. Sa vison de Jésus, pour lui, le grand révolutionnaire. Les visites de Monseigneur Michel MERANVIL ( il y a une belle histoire, une vraie histoire entre les deux hommes). Après une matinée bien remplie, il partait faire la visite des chantiers souvent avec M. Jean MAUGEE, ou Mme Dominique BOURROUET. Il partait aussi seul avec son chauffeur, dans les quartiers de Fort de France. Les après midi 15 heures à précises, avec son chauffeur, ils sillonnaient les routes de son île. Et voilà le botaniste. Les Vendredis avec le Docteur Aliker, je dirais les 336 conversations des vendredis midi dans le bureau de Monsieur Aimé Césaire, tous deux assis côte à côte sur la méridienne au salon ,parlant de tout, mais vraiment de tout, chacun donnant son point de vue et parvenant à la même conclusion. ( Complices) Les éclats de rire du Docteur Aliker, le petit air moqueur de Monsieur Aimé Césaire. Les « dis, Pierre » ou « dis, Pierrot tu te souviens » que prononçait Monsieur Césaire en tapant sur l’épaule du Docteur Aliker. Une amitié sans faille. Ce qui m’a marquée : C’est le respect qu’avait Monsieur Césaire pour l’Aîné. Et profonde admiration de l’Aîné envers son cadet.
Aimé Césaire et Camille Darsières - « Joëlle, appelez-moi le Député ! » - «Joëlle, avez-vous les nouvelles du Député ?» - «Joëlle, aujourd’hui jeudi- (oui Monsieur le Maire ) - et alors – (alors quoi ) C’est jeudi Darsières» Le jeudi est pour lui un jour sacré : c’est le jeudi Darsières Dès mars 2001, Aimé Césaire à la retraite, est nommé Député Maire Honoraire, Camille Darsières député, décide alors que tous les jeudis après midi seront consacrés à accompagner Aimé Césaire dans sa promenade en voiture à travers l’île. Plus tard lorsque Camille Darsières n’est plus député, Aimé Césaire sollicite très souvent sa présence. Le jeudi 14 décembre 2006, jour du décès de Camille Darsières, a été un jour horrible,un jour noir pour Aimé Césaire . « CE N’EST PAS DANS L’ORDRE DES CHOSES, CAMILLE N’EST PLUS ! » . Cette phrase, mais surtout la douleur d’ Aime Césaire ce jour là me sont toujours insupportables. A partir du 22 Décembre 2006 : c’est le jeudi Serge Serge Letchimy a remplacé Darsières à la promenade du Jeudi. La présence de Serge Letchimy calmait un peu sa douleur. De même, pour Serge Letchimy il y avait les : - «Joëlle, avez-vous suivi l’intervention de Serge à la télévision ? » - «Joëlle, avez-vous les nouvelles de notre Maire ? » - «Mais Monsieur le Maire, vous savez très bien qu’il ne veut pas vous déranger...» - «Me déranger, moi ! appelez- le moi». Aimé Césaire avait une grande Admiration pour Serge Letchimy. Une admiration, une satisfaction totale pour le travail de l’Urbaniste « Joëlle, quand j’ai vu comment ce jeune homme, ce Martiniquais, a sorti Volga-plage de l’eau, du marécage, j’ai décidé que ce serait lui mon successeur à la Ville de Fort-de-France. Et pour le convaincre, Camille Darsières est souvent en service commandé ». Une admiration pour l’enfant de Trénelle. « Joëlle, j’ai parcouru son chemin , chemin de liberté, de dignité et d’humanité. Et surgissant de l’obscur, la face éclatante de notre soleil ». Joëlle, aujourd’hui c’est l’anniversaire de notre Maire (Oui Monsieur le Maire) vous ne faites rien, (comment ça ! moi ?). - Laissez-moi seul. Cinq minutes plus tard la clochette sonne. Je rentre dans le bureau et là , sur une page du livre Cahier d’un retour au pays natal illustré par Daniel Buren, il avait placé une belle dédicace qui se terminait ainsi : « Serge, Merci et de tout cœur. Allez, remettez -lui ceci en main propre» . Je me souviens aussi du lien qui unissait Aimé Césaire et Clémence , sa chère gouvernante pendant vingt ans, chez lui à Redoute. Clémence qui est devenue ma collègue et mon amie.
Et j’ai aussi connu un Père, « PAPA -AIME », très affectueux. Durant sept années, j’ai admiré UN PERE AIMANT - Tous les jours, il prenait des nouvelles de sa fille aînée .Il portait un œil admiratif sur le travail de sa fille cadette. Les embrassades lors de visites de ses fils. Les départs bras dessus bras dessous ? jusqu’au bout de l’escalier. Un GRAND PERE très ATTENTIF. - 7 ANS …..
- Joëlle Jules-Rosette -
- Eric Abidal - footballeur international
Euzhan Palcy - première réalisatrice noire martiniquaise produite par un studio de Hollywood (Metro Goldwyn Mayer) Elle réalisa plusieurs films dont la Rue Cases Nègres et Une saison blanche et sèche avec Marlon Brando. «Le Rue Case Nègre» tiré du roman de Joseph Zobel obtient 17 prix internationaux. On citera : 1983 Mostra de Venise : Lion d’Argent du meilleur premier film, Prix d’Interprétation féminine, Prix de l’Office Catholique, Prix de l’Unesco. 1984 Fespaco : Prix du public. 1984 César de la meilleure première œuvre.
Paul Léopoldie Directeur Général des services techniques à la retraite Entré en Mairie en 1967, les services techniques comptaient à peine 100 agents. Ce qui à mon avis a toujours caractérisé l’action de Monsieur Aimé Césaire, c’est une volonté indéfectible d’œuvrer au désenclavement de la Ville et de ses quartiers, à tous les points de vue... ... La ville se devait d’être autonome et s’était équipée en conséquence : elle possédait une carrière, de gros engins de travaux publics, et elle recrutait des ouvriers de grandes entreprises. A cette époque, Fort-de-France est la seule à posséder un service technique. Sur le plan du désenclavement des quartiers, la volonté « féroce » du Maire d’améliorer le cadre de vie des populations des quartiers a conduit à la mise en œuvre d’un vaste programme de travaux de réalisation de voies d’accès où progressivement des chemins de terre ont été transformés en voiries, des caniveaux ont été réalisés pour collecter les eaux de surface. Aimé Césaire était un « bâtisseur ». Il aimait bâtir, construire, faire sortir de terre. C’est pour cela qu’il était souvent sur les chantiers pour voir éclore ses projets. Cependant, les choses n’ont jamais été simples. Sans aides de l’Etat, avec des fournisseurs méfiants, la ville ne pouvait compter que sur elle-même et sur ses Hommes, ce qui l’a conduite à s’équiper dans tous les corps de métiers.
Docteur Jeannne Hubervic Médecin directeur de l’hygiène et de la santé à la retraite La santé devient très rapidement pour l’Edilité, une préoccupation étant donné la forte mortalité et surtout la mortalité infantile au sein de la population foyalaise. Pour cela, des actions fortes sont réalisées par les services municipaux : rendre l’eau potable, installer un réseau d’eaux usées, évacuer les ordures ménagères. Le Service Communal d’Hygiène et de Santé (SCHS depuis 1985, auparavant Bureau Municipal d’Hygiène(BMH) a pratiqué : la vaccination obligatoire dès le plus jeune âge, la lutte contre les vecteurs de maladie, la lutte contre l’habitat insalubre, la surveillance microbiologique des repas servis par la cuisine centrale dans les cantines scolaires et les crèches, les actions de prévention dans les écoles en partenariat avec l’Education Nationale, l’information sanitaire dans les quartiers.
Henrie Wiltord
Cordonnatrice des crèches à la retraite
A l’arrivée d’Aimé Césaire en mai 1945, trois crèches fonctionnent dans la capitale... ...Ce sont 13 crèches au total qui permettront aux mères de famille de faire garder leurs enfants. Pour ces 700 enfants gardés, ce sont autant de mères rassurées qui peuvent aller travailler. Directrice de la crèche de Floréal de 1965 à 1988 puis coordonatrice des crèches de 1988 à 2003 (année de mon départ à la retraite), je me souviens de cette époque où les choses n’étaient pas faciles. C’est le Dr Aliker qui avait la responsabilité de la Petite Enfance mais cela n’empêchait pas les mères de venir me voir en disant : « Misié Cézè voyé mwen wèw ! »... ... «Les mères foyalaises des années 50 sont encore reconnaissantes à Aimé Césaire que certaines considéraient comme «Dieu le Père ».
Clémence Franchinard Gouvernante d’Aimé Césaire Je voudrais parler de ce que peu de gens connaissent de Monsieur Aimé Césaire : son humour, sa malice, ses taquineries, son affection pour ses proches. Toutes ces choses que j’ai eues le bonheur de vivre en passant du temps à ses côtés. Savez-vous qu’il aimait cuisiner et que cela lui donnait l’occasion de partager ses souvenirs d’étudiant à Paris, quand la vie était difficile. Savez-vous qu’il avait coutume de rapporter, de ses promenades, toutes sortes de plantes, de branches ou de fleurs ? Il fallait alors rechercher le nom et les caractéristiques de l’objet découvert. Quelle aventure ! Que de fois nous nous sommes chamaillés, devant les pages du dictionnaire de botanique, parce que j’estimais que le dessin ne correspondait pas à la plante, à la branche ou à la fleur que j’avais sous les yeux ! Et lui insistait, croyait fermement avoir raison. Finalement, je cédais par respect pour le Grand Homme... mais aussi d’épuisement ! Savez-vous que, quand il rentrait à la maison après de longues matinées de travail, il était souvent enthousiaste, mais aussi très fatigué par les nombreux entretiens qu’il avait accordés ? Surtout lorsqu’il avançait en âge. Mon plaisir était alors de tout organiser pour qu’il retrouve le calme et la tranquillité qu’il souhaitait. Des choses simples : un jus de fruit, un bon gâteau, un café glacé, ses vêtements bien rangés, son courrier en ordre. Je le savais sensible à tout cela. I y a des tas d’autres choses que je pourrais raconter mais auxquelles j’aime penser seule, dans le secret. Souvenirs précieux.
20 ANS
Ce fromager centenaire sur les hauteurs de Saint-Pierre a été élu à la 3° place d’un concours national dont les prix ont été remis au mois de novembre 2011 à l’Unesco. Cet arbre détruit en partie pendant l’éruption de la montagne Pelée avait fini par refaire des bourgeons. On lui prête des vertus magiques. Aimé Césaire lui vouait une véritable admiration et ne manquait jamais de s’y arrêter pour l’admirer et méditer lorsqu’il se rendait en promenade à Saint Pierre .
© Photo Rio Le Château
Christophe Mert, plasticien, Malik Duranty sociologue, et Alexandra Harnais, femme de médias, se sont réunis au Cap 110, lieu de la «Promenade Aimé Césaire», pour se questionner, parler, improviser et créer à partir de cette question «quelle influence Césaire a-t’il eu dans vos vies ? » Après quatre heures, un tableau (Ce que Césaire m’a apporté ? «Tout part de rien» de Christophe Mert)... un texte (3 Magma écrit par Malik Duranty), ont été le fruit de cette improvisation artistique.
Malik Duranty
Sociologue
3. MAGMA
3 MAGMA 3 Foi Toi Moi Pas-à-Pas Trois pierres au jour D’une fourrure d’herbe Rousse qui danse du vent L’œuvre Elle seule
Le Père appelle La Mère roule Vague à vague Lè Pawòl-la Lévé van
Man doubout Man planté Man Fò Pou visé kò
MAGMA qui fait visage Sur visage Métamorphose
Alòs yo mandé-nou
On doit tout porter nous-mêmes Laver la face
Et pour réponse S’entend la voix d’une bouche-main : An bwèt vis Pou visé kò Ka tiré « S » la Pou tann Bwèt vi
Sculpteur du dire Dessine le visage Nègrement vivant Voici Le visage d’une Lionne 3 MAGMA 3 Foi Toi Moi Pas-à-Pas Ayayaye Se construire Non se Dékalfouté La créature est belle Fondue dans l’ici
- Kisa Sézè mennen baw ?
Sézè mennem An bwèt vi Lavi Assis au pied de la Mère « Il n’y a rien de vrai ; il y a la vie » Être la bouche De pas de rôles En spirale de symboles À l’écoute Regarde cette bouche… Lavi…
Raymond Saint-Louis-Augustin Maire de Fort-de-France
Pierre Albicy Garde du corps d’Aimé Césaire (1981-2006) J’ai déposé à la fin des années 1970 (78-79), sans grande conviction, une demande de travail à la mairie. Un soir d’élection, un dimanche soir, Michel Ouamara, mon professeur d’arts martiaux me dit que Monsieur Renaud Juye de Grandmaison, Secrétaire Général Adjoint, veut me voir le soir même. Il me propose d’assurer la sécurité du Maire. Le lundi matin à 7 heures, je suis présenté au Maire Aimé Césaire, qui au moment où je suis rentré dans son bureau, racontait une histoire sur Léopold Sédar Senghor C’était la première fois que je le voyais de près. Il m’a présenté à son chauffeur Monsieur Lebon J’étais très ému et je me souviens que gamin, je regardais sa photo sur le mur du cimetière « des riches » et je me disais que si j’avais l’âge de voter, je voterais pour le « Black ». Et j’ai été auprès et avec ce « Black » là, de 1981 à 2006. Se sont installés avec le temps, la confiance et une certaine complicité. C’était un fin psychologue qui cernait rapidement ses interlocuteurs. Aimé Césaire était avant tout un homme de terrain allant à la rencontre des administrés, encourageant les ouvriers municipaux sur les chantiers. Mais il avait besoin pour réfléchir, pour échapper aux difficultés de la fonction, du contact avec la nature. Être dans la nature l’aidait à tenir. Il avait la volonté de sensibiliser les Martiniquais et moimême sur la fierté d’être martiniquais, il m’a ouvert les yeux. L’avenir du pays le préoccupait beaucoup. Il n’aimait pas du tout l’assistanat. « Je veux préparer les Martiniquais à la responsabilité, parce qu’un jour la Martinique sera autonome. C’est dans le cours des choses et de l’histoire. ». Aimé Césaire m’a appris à être sensible à la souffrance des autres. Malgré tout, il gardait son humour et pouvait être un peu moqueur. Après mon mariage en 1982, j’ai eu du mal à le laisser pendant 15 jours. Ma vie professionnelle s’écoulait tranquillement et paisiblement à ses côtés. C’était quelqu’un de bon qui m’a aidé à me bonifier. Pendant son absence due à son mandat de député, il me disait « vous êtes mes yeux Albicy ». Je passais sur tous les chantiers pour lui faire un point téléphonique tous les dimanches. Le perdre a été très dur.
Pierre Aliker, Aimé Césaire et Pierre Albicy - 1989 -
- Christiane Yandé Diop - Epouse de Alioune Diop, fondateur de la Maison d’édition «Présence Africaine», qu’elle dirige aujourd’hui avec sa fille Suzanne. 25 mai 2006
- Rhoda Scott - organiste et chanteuse de jazz américaine mai 2005
Maëva Duverger
Collaboratrice parlementaire de Serge Letchimy
Aimé Césaire m’a d’abord donné la vie. Presque littéralement. Il a donné du travail à ma grand-mère maternelle, lui permettant de nourrir ses 6 enfants, dont ma mère. Il a donné un bout de terre à ma grand-mère paternelle sur les hauteurs de Trénelle-Citron, lui permettant d’abriter ses 9 enfants, dont mon père. Et, pour parachever le tout, c’est au festival culturel de Fort-de-France que mes parents se sont rencontrés et donc que mon père a susurré ses premiers mots doux à ma mère. Je suis donc le fruit indiscutable des engagements de cet homme contre la misère financière et culturelle dans ce pays. Plus sérieusement, il m’a offert des choses très précieuses : contrairement à beaucoup de gens qui n’ont pas été nourris par la pensée Césairienne, je n’ai aucun doute identitaire. Je n’ai pas besoin de me conformer à une image stéréotypée de ce que serait un « vrai » martiniquais, ni de pointer du doigt ceux qui seraient des «mauvais» martiniquais et je ne pas en quête d’une validation de mon appartenance à la nation martiniquaise par des personnes ou des instances extérieures. Je me sais appartenir à ce pays, je me sens enracinée dans ses terres, je suis une part de ses douleurs et je partage ses joies. La vérité, c’est tout simplement que j’aime et que j’ai confiance en mon peuple, et ça, c’est une force et un confort que rien, ni personne ne peut m’enlever. Mieux encore, il a implanté l’idée, alors révolutionnaire, que non seulement nous pouvions penser différemment («nous » en tant que nation) et qu’en plus, notre façon de penser valait autant que celle d’un autre. Nous vivons dans un univers embrigadé où tout ce qui nous informe ou nous instruit, surtout l’école républicaine, nous façonne. On nous inculque notre manière de juger l’acceptable et l’inacceptable, d’estimer le bon et le mauvais, de voir le beau et le laid ; et cela, selon les critères de la culture dominante. Césaire m’a appris qu’il faut bien entendu connaitre les codes et les règles pour être capable de les dépasser (d’où l’importance d’une bonne maitrise du système scolaire) ; mais qu’il faut, à la fin, être capable de les dépasser. En emmenant des bribes d’Afrique dans le flot ininterrompu d’idées venues d’Europe qui nous submergeait, ce n’est pas simplement le rapport à l’Afrique qu’il a changé, c’est tout un système de penser le monde qu’il a bouleversé. Je sais désormais : Que l’écriture de Wolé Soyenka vaut celle de Victor Hugo. Que les rois du Dahomey sont aussi roi que ceux d’Angleterre. Que contrairement à ce qu’on a tenté et qu’on tente encore de nous faire croire : mon Histoire collective, ma culture, ma langue font de moi un être à part et qu’elles ont autant leur place dans le monde, qu’une autre Histoire, une autre culture, une autre langue. Que la beauté peut-être Nègre, que la pensée peut être Nègre et que la force peut-être Nègre. Mais au final, si je ne devais retenir qu’une seule chose qu’Aimé Césaire m’ait donnée, ce serait celle offerte un jour, alors que je devais être en deuxième année de fac, et que j’avais eu la chance de le rencontrer. J’étais émue comme une enfant de 5 ans faisant sa première récitation au spectacle de fin d’année : j’ai bafouillé, bégayé, lutté pour retenir mes larmes. Je croyais qu’il me ferait un discours plein de « il faut » et de « tu dois » sur ce que je devrais faire ou comment je devrais les faire ou les penser. Pas du tout. Il m’a souri, a posé sa main sur la mienne et m’a parlé.... Il m’a parlé de son enfance, de sa mère, de ses jeux, nous avons ri et il a comparé ses rêves de jeune étudiant débarquant dans l’hexagone avec les miens.
Il était Aimé Césaire, il avait 86 ans, certainement beaucoup de travail et surtout des milliers de batailles derrière lui. Je n’étais qu’une petite étudiante de 20 ans, née à une époque où la Martinique ne connaissait ni la famine, ni les épidémies meurtrières et où partir faire des études était d’une grande banalité. Et, il m’a offert de son temps et a comparé nos rêves comme si c’était une évidence, avec gentillesse et en toute humilité. Voilà bien deux qualités que je m’applique à faire miennes dans ma vie de tous les jours. Aimé Césaire n’a pas juste influencé ma vie, c’est plus grand et c’est plus fort que ça : en fait, je me suis construite de ses mots et de ses attitudes.
Visite d’Aimé Césaire avec le ministre Louis Le Pensec dans les quartiers populaires - 1988 -
Roger Toumson
Professeur d’université et écrivain
Mémoire d’outre-tombe Maintenant qu’il n’est plus de ce monde, il nous faut l’imaginer. Ce qui, hélas pour nous veut dire, non point voir en imagination, mais très exactement, avec la précision photographique d’un rêve éveillé, voir en images. Absent du monde des vivants, descendu au royaume des morts, puisque désormais invisible, nous nous consolons un tant soit peu de ne le voir qu’à distance. Mentales, ces images traversent le miroir. Elles lui rendent la vie, ressuscitent celui dont la disparition nous laissait inconsolables. Un miracle s’accomplit, annulant la contradiction convenue de la vie et de la mort. Et le voici, par ce prodige, redevenu visible et aussi bien audible. Incomparable, sa diction, à tous les registres du langage, communs ou savants ; captivantes, les inflexions de son éloquence ; inoubliables, les variations des harmonies et des rythmes de sa voix. Admirables, son art de la conversation, sa technique du récit, de la description et de la narration ; élégance et vigueur de son argumentation toujours mâtinée d’humour ou d’ironie. Fin rhéteur, philologue érudit, redoutable dialecticien, il avait, pour toutes ces raisons et combien d’autres encore, le front ceint des lauriers du Prince des Poètes. Ceux qui ont eu le rare privilège de l’accompagner dans l’une de ses équipées méthodiques à travers le pays martiniquais, de lui tant aimé, par monts et par vaux, savanes et mangroves, peuvent en témoigner : il avait une intuition de la nature. Il s’est consacré à l’observation de la flore locale, des arbres et des plantes, des herbes, avec une méticulosité qui étonne. Sa spécialité ? L’une des sous-familles du biotope, connue sous le nom commun « oreilles de mulâtre» ou « oreilles de juif ». Un spécimen de cette espèce se trouvait, et, sans doute, se trouve encore sur le périmètre de la place de l’église, aux Terres-Sainville, à Fort-de-France. Et, lui, d’un air entendu, triomphant et modeste, à la fois, l’œil pétillant, de révéler le nom savant, le vrai nom du spécimen : « Enterolobium cyclocarpum ». L’identification précise de cet arbre, ou de tel autre spécimen, nécessite une observation microscopique. C’est, dans mon souvenir, une prouesse où il excellait. Ce qui, là, s’organise, rationnellement, c’est une vision et une conception du monde, de la nature et de l’histoire. Ce qui unit la plante à l’homme, c’est la vibration d’un principe actif. Semblable au chaman amérindien ou au houngan haïtien, le poète nègre parle aux plantes. Je voudrais citer pour citer l’exemple, à mes yeux capital, qui illustre son génie de la métaphore. Cette anecdote me fut rapportée par Roland Constant-Desportes, avocat au barreau du Tribunal de Grande-Instance de Fort-de-France. Faisant ses études de Droit, à Paris, le jeune Roland Constant-Desportes, neveu du Docteur Auguste Thésée, ami intime d’Aimé Césaire, était présent le samedi, chez son oncle. Ce jour-là, Aimé Césaire rendait visite au Docteur Thésée. Leur conversation à bâtons rompus n’avait pas de fin. Et voici en quels termes Aimé raconta à son ami une rencontre qu’il qualifia lui-même de prodigieuse. Un homme qu’il ne connaissait pas s’avança vers lui pour le saluer affablement. Au moment d’en faire le portrait, Aimé s’appliqua à caractériser ses traits distinctifs : sa grande taille, sa corpulence, ses vêtements soignés, les traits fins de son visage. Bref, conclut-il, « un vrai dieu de la nuit ». Vous aurez compris que par cette métaphore, il était dit que cet homme avait la peau noire.
Danny Glover Acteur, réalisateur et producteur de cinéma américain 27 septembre 2005
Dominique Bourrouet Quand un Poète bâtit sa ville ! Une ville héritière de tous les handicaps dont lui aurait dote la nature comme les inondations, les sols inconstructibles parce que marécageux et l arrivée massive d une population sans abris et sans travail, c’était cela les défis dont Aime Césaire a du faire face. Le Maire, le Poète, entama alors son œuvre de bâtisseur avec toute la force de regarder demain et utilisera une de ses armes miraculeuses mettre au centre des ses actions, la dignité, le respect et l’évolution culturelle pour chacun des administres de sa ville. C’est ainsi qu’Aime Césaire, le bâtisseur, aborda l’art de construire toujours comme un acte héroïque car il s’agissait souvent de réaliser des ouvrages exceptionnels mais nécessaires a l’amélioration du cadre de vie des foyalais. Des murs de soutènement infinis en plein cœur d habitats, des réseaux au trace défiant tous les grands principes de la géométrie étaient au programme de ce grand bâtisseur. Un savoir faire incontestable qu’avait son équipe technique, encadrements et ouvriers confondus et qui forçait l’admiration du Poète-Maire. Pour lui, tous ces hommes étaient de véritables artistes et il les aimait! Ces ouvrages se réalisaient souvent, sur des durées qui devenaient elles aussi « héroïques »et Aime Césaire continua l’écriture de sa ville. Il a voulu lla conduire sur les chemins de la modernité en s appuyant sur ses émotions poétiques qui sont l’ouverture et la respiration des espaces. L’aménagement du «Malecon» et de la Savane en sont les premiers chapitres. C’est qu’Aime Césaire aimait nous parler de cette dimension poétique qu’ont les villes dans la nudité de leur réalité, et nous avions aussi compris que la continuité de cette écriture urbaine au chapitre de la modernité devait s appuyer encore sur d autres défis comme pour prolonger le destin héroïque de la ville Capitale. «Et d ‘ailleurs cette Lumina qui osa , dans le drapée de sa robe de verre, se dresser insolemment, sur l ‘ancienne décharge de la ville, aurait-elle été surprise a faire un d ‘oeil au Poète! Défi et Audace devraient être inscrits sur le fronton de la porte de la ville Capitale .
- Madame Dominique Bourrouet - Architecte de la ville de Fort-de-France
- René Depestre - un poète et écrivain Haïtien
Engagé dans la vie politique de son pays, il est incarcéré, puis doit quitter son île natale pour partir en exil en France, puis à Cuba. Il y exerce pendant près de vingt ans d’importantes fonctions aux côtés de Fidel Castro et Che Guevarra. Dans les années 1970, il fuit Cuba et les dérives castristes, et s’installe à Paris où il travaille de nombreuses années pour l’UNESCO. René Depestre poursuit son œuvre d’écrivain-poète à LézignanCorbières où il s’est installé dans les années 1980.
28 avril 2005
Constance Ayet Habitante du quartier Volga-Plage La première fois que j’ai vu Aimé CESAIRE de près, c’était en 1998, il y avait une montée d’eau à Volga. Il est venu voir les habitants, il nous a bien parlé, il nous a expliqué que ce sont les détritus qui bouchent les pompes. Il est passé de maison en maison. Il était très bien avec ma belle-mère, Madame Clémence Ayet qu’il visitait chaque fois qu’il venait à Volga. Les habitants l’aimaient beaucoup, c’était comme un dieu venu du ciel. Il a beaucoup fait pour les quartiers populaires en aidant la population à construire et à améliorer son habitat. J’étais très impliquée dans la vie de mon quartier et il me demandait de ne pas lâcher même si c’était difficile. C’était pour tout le monde comme un deuxième papa. Il écoutait quand on lui parlait. L’avoir côtoyé me rend plus fière d’être martiniquaise. J’ai côtoyé quelqu’un d’extraordinaire. Ce qui me touchait, c’était sa simplicité, sa générosité. Nous avons reçu sa mort comme un coup de poignard. Nous lui avons rendu l’hommage du quartier, nous l’avons assisté jusqu’au bout. C’était une manière de lui remettre ce qu’il nous avait donné.
Maya Fille de Picasso Mon père aimait et admirait Aimé Césaire. Il m’en parlait comme d’un frère c’est pourquoi il a travaillé avec lui de tout cœur. Veuillez dire à Aimé Césaire que je ne suis que la fille aînée, Maya, de Picasso, mais que je pense à lui, tout comme se serait inquiété mon père de sa santé actuelle. Je l’embrasse. Paris le 13 avril 2008
Edith Ancarno Militante du PPM Quelle influence Aimé Césaire a eu sur ma vie ? Très tôt, j’ai compris qu’il était un grand homme plein de bonté. J’avais huit ans lorsque je l’ai vu pour la première fois tout de suite après la guerre grâce à ma maman. On le considérait comme le sauveur. Mon frère disait qu’il y avait deux hommes qui comptaient dans sa vie, de Gaulle qui avait sauvé la France et Aimé Césaire qui était venu pour nous sauver. À l’époque on parlait de lui comme d’un Dieu. Quoi qu’ayant toujours milité pour lui, je me suis personnellement engagée en adhérant au Parti Progressiste Martiniquais, en 1964. Une anecdote ? J’avais entendu dire qu’Aimé Césaire aidait les personnes dans le besoin, notamment en leur fournissant des matériaux. A cette époque, il y avait une grande misère et pour s’installer la population au chomage qui revenait des communes où les usines avaient été fermées, était aidée par la municipalité césairienne qui leur donnait des matériaux de construction. Je suis donc allée voir Aimé Césaire à son bureau, car habitante de Bas Maternité, je voulais améliorer mon habitat. C’est alors que, m’entrainant hors de son bureau il m’a tenue par l’épaule affectueusement et m’a dit : «Ancarno tu es la première personne à qui je dois refuser.» J’ai alors compris que lorsque l’on était une vraie militante, on ne devait pas en profiter pour se servir. Et désormais je me suis donné comme ligne de conduite de comprendre que l’adversaire pouvait faire ce qu’il voulait, mais que ceux qui aimaient Aimé Césaire, devaient en rester dignes.
- Olivier Fanon - Fils de Frantz Fanon 6 dĂŠcembre 2004
Alexandra Harnais
Femme de médias
Aimé Césaire : Père fondamental ? J’ai tourné autour de cette invitation à l’écriture comme on tourne autour d’une boîte de pandore, d’un pensum, d’une énigme particulièrement difficile à résoudre (et résolument dangereuse à mal élucider). La question est là, insolente et pernicieuse : «Qui est Césaire pour toi ?» «Que t’a-t-il légué ?». Double coups de dos de coutelas sur mon crâne tétu. C’est comme demander si le ciel bleu est porteur de joie ? Le Soleil essentiel à la photosynthèse et la Lune au mouvement des marées. C’est évident et «inélucidable». Alors commençons par le commencement, commençons par l’enfance. Commençons par ce père, qui racontait comment, alors jeune martiniquais, bumidom-man, à 17 ans, se retrouve sur les chantiers, avec les autres damnés de la terre : les africains, les arabes et les autres… Comment l’un d’entre eux le piqua au vif : «Quoi comment ? Tu ne connais pas Césaire ? mais c’est un Dieu pour nous en Afrique ! » Ha bon ? un Dieu ? en Martinique ? «cette ville - «île», plate-étalée, trébuchée de son bon sens, inerte, essouflée sous son fardeau géométrique de croix éternellement recommençante ? » bay sérieu ? L’orgeuil piqué à vif, le jeune type du Robert, originaire de Cité Lacroix plus précisément derrière chez madame Legendry, s’achète le Cahier. Rien que la «peau» du livre, c’est toute une histoire. C’est de l’argile, c’est de la terre, c’est du «Faire». Si loin, du gris-béton qu’il malaxe inlassablement tous les jours, les doigts gelés sur les chantiers de Paris. Mais rien à faire, il a beau le lire du début à la fin, du mitan au trois quart. Le type, mon père, n’y comprend que dale. N’empêche, ça a l’air sérieux. Et puis Césaire, de toute façon, c’est un Dieu en Afrique, donc stricto Sensu, c’est un méga-super-Dieu aux Antilles aussi. Logique. Alors le Cahier, il le garde sur lui. C’est son talisman. Ou qu’il aille, Bumidom-Man, il ne sera pas seul. Il sera protégé. Ils peuvent bien se moquer de bamboula, de Ya bon banania, Bumidom-Man est tiré de la même terre qu’un Dieu vénéré dans toute l’Afrique et au delà. Biwa. Plus tard, il est rentré chez lui, la Martinique. Plus tard, il a fini par déchiffrer les drôles de signes contenus dans le Cahier. Plus tard, il aura une fille. A 9 ans, plantée dans la salle à manger familliale, les mains chiffonnant la chemise de nuit en coton bleu-vert, sa préférée, elle écoutera les hauts faits du type qui a dit «Le nègre vous emmerde». A l’époque, je me souviens, le téléfilm américain «Racines» passait à la télévision. Et les exactions de l’esclavage expliquées à tous. Et plus tard, encore, j’écrirais un mémoire de maîtrise à Paris IV Sorbonne - «Cahier d’un retour au pays natal : Une épopée Antillaise» - Comme un Devoir d’enfance.
Alain Jean-Marie - Pianiste de jazz 3 mars 2005
Christiane Taubira - Femme politique guyanaise, actuelle Garde des sceaux, ministre de la Justice, nommée le 16 mai 2012 dans le gouvernement Jean-Marc Ayrault. sous la présidence de François Hollande 7 juin 2006
Georges Desportes Homme de lettres, Président de l’institut Aimé Césaire IMMORTEL AIME CESAIRE Nous avons déjà eu des occasions de dire, d’écrire et d’affirmer que l’humanisme Césairien n’aura pas fini d’ébranler le monde, d’étonner et d’enchanter les peuples. J’ai dit encore que pour avoir été à la démesure des grandes vertus, il nous a remis au pas de l’homme vrai et solidaire. Le monde entier a su que le racisme, le colonialisme, le fascisme et l’hitlérisme ont été pour lui des monstres à abattre. Et sur ces points, nous devons être ses meilleurs héritiers. Défenseur de toutes les libertés bafouées, homme d’esprit, de conscience et de cultures, l’homme de cœur, habité d’équité et de bonté, n’a-t-il pas vaillamment et résolument montré à la population de son pays la voie de l’action sociale et politique ? De son vivant, il a été un fondateur de ville, de cette ville de Fort de France ; et aussi un guerrier de son peuple, son peuple martiniquais. Mais encore, et aussi, quel prodigieux poète ! N’a-t-il pas, comme il dit, « forcé l’allure de la pensée » pour assurer la conquête de son imaginaire ? Relayant les ambitions poétiques de Rimbaud, Lautréamont, Mallarmé, Breton, il a voulu aussi plonger au fond des noires misères de son peuple, et par-delà, rejoindre le nègre fondamental, embrassant les mamelles de Mère-Afrique avec le lait nouveau de la liberté, de la fraternité et de l’émerveillement le plus exaltant ! Avec succès, il a tenté de prouver l’homme par ses valeurs et de le justifier dans un monde cassé par un impérialisme cupide, le racisme, la violence, le terrorisme et la domination des uns par les autres. Et ses empreintes sont présentes partout et sur tous les plans : poétique, social, culturel, sans oublier nos arts patrimoniaux. Dans la continuité de son vouloir et dans la rectitude de son cri, s’agissant de la parole proférée qui manifeste l’éclat du sang et du souffle, en avant de l’action, le dire de Césaire est une « langue de feu ». C’est aussi la bouche du volcan. Poète Péléen, le legs d’Aimé Césaire au monde force à regarder demain ! Avec lui nous dirons donc : « La nuit a beau japper lugubrement à la face de la terre, demain brille déjà de ses bourgeons mal éclos et de ses promesses lucides … »
André Charpentier - Maire de Basse Pointe 20 janvier 2005
Félix Cordémy - Ancien adjoint au maire sous la mandature d’Aimé Césaire, compagnon des premières heures, il fit partie du comité de soutien d’Aimé Césaire impulsé par Pierre Aliker après sa démission du Parti Communiste Français.
19 juin 2006
Georges Castéra Ecrivain haïtien
14 octobre 2004
Lilian Thuram Ancien footballeur international. Engagé politiquement, il prend publiquement position sur des sujets liés à l’immigration ou au racisme. Il a été membre du Haut Conseil à l’intégration.
9 novembre 2005
Maurice Prosper -
Président du Conseil Miunicipal de Pétionville
24 mai 2005
Benjamin Jules-Rosette - Fondateur du Théâtre Noir - 15 novembre 2004
Henri Guédon - artiste-peintre et musicien auteur-compositeur martiniquais 11 janvier 2005
Jacques Martial - acteur de cinéma, de télévision et de théâtre, et aussi metteur en scène. Il est, depuis 2006, le président de l’Etablissement Public du Parc et de la Grande Halle de la Villette.
9 janvier 2004
Lydie Bétis
Directrice du SERMAC
Aimé Césaire et la culture, Aimé Césaire et le SERMAC Aimé Césaire appréhendait l’action culturelle comme une nécessité, un impératif, un devoir. Son parcours avec la culture et avec le SERMAC a été plein, abouti mais en même temps laborieux. Déjà un budget difficile voulait lui imposer des choix stratégiques : entre culture ou assainissement, entre culture ou électrification. Il a choisi culture et assainissement, culture et électrification. Aimé Césaire a fait alors le choix de la double ambition, de la construction identitaire et de la construction de la Ville. En 1974 précédant le SERMAC, il crée l’OMDAC (Office Municipal d’Action Culturelle). Yves-Marie Séraline, Guy Louiset, Jean-Claude Lamorandière en sont les piliers. En 1977, La Ville de Fort-de-France installe au parc floral, son Service Municipal d’Action Culturelle, le SERMAC, avec pour objectif essentiel de mettre la culture à la portée de tous : gratuité, proximité. Pendant 15 ans les ateliers sont donc gratuits et le matériel est fourni par la Ville. Les centres culturels sont les relais dans les quartiers, de la politique culturelle. Depuis plus de 30 ans, le SERMAC forme les martiniquais et fait naître des vocations. Malgré les difficultés financières de la Ville, Aimé Césaire a investi dans la culture car il y trouve la mise en acte de la négritude c’est-à-dire « la valorisation de la culture martiniquaise par rapport à l’universel », c’est-à-dire « la préservation de toutes les cultures particulières sans sombrer dans l’intégrisme culturel et sans se diluer dans l’universel ». C’est cet équilibre, entre universel et particulier sans cesse renouvelé, que le SERMAC s’est chargé d’observer et de traduire dans sa programmation. Dès lors le SERMAC était chargé de traduire, dans le cadre de sa programmation, deux mots d’ordre : non à l’aliénation culturelle, oui à l’ouverture au monde. D’ailleurs, les festivals sont toujours en lien avec des peuples en lutte. Aimé Césaire a investi et s’est investi dans la culture en créant et en structurant le SERMAC, en finançant la réalisation des centres culturels de quartiers (Coridon, Sainte-Thérèse, Dillon…), en recrutant les animateurs, en finançant la formation professionnelle diplômante de certains stagiaires prometteurs, en finançant et en mettant à la disposition gratuite de ces derniers les ateliers et le matériel. Le personnel aussi s’est beaucoup investi aux côtés d’Aimé Césaire. Certains au début ont travaillé à leur domicile, attendant l’achèvement des travaux de leur atelier. Certains ont été confrontés à l’hostilité de la population, qu’il fallait néanmoins attirer dans les centres culturels. Ils ont mis donc en place des stratégies de contournement, destinées progressivement à capter son intérêt pour la culture et une autre culture. Ce personnel au statut précaire imaginatif, pluridisciplinaire faute de recrutement supplémentaire, s’est investi en travaillant avec acharnement et entêtement à l’organisation du festival, à la formation des stagiaires, à l’animation des centres culturels, à l’exportation de certains spectacles dans des communes souvent hostiles politiquement. Ces militants de la culture ont accepté tous les sacrifices parce qu’ils savaient que l’essentiel était ailleurs. L’essentiel était dans le combat contre l’aliénation. Tous, professionnels et amateurs, célèbres et anonymes ont contribué à faire du SERMAC une école de formation, une école de professionnalisation mais aussi l’école de la liberté de pensée, l’école du plaisir des Arts, l’école de l’Amour de la culture. Il y avait entre Aimé Césaire et le SERMAC, des rapports de confiance, de gratitude, de tendresse. Le service culturel était la fierté d’Aimé Césaire et il en faisait une visite incontournable lors des déplacements des personnalités de passage.
Rupert Tyler
Conseiller financier à la City
“Quel nom romantique!” Me suis-je dit quand je l’ai entendu pour la première fois en 1983, peu après mon arrivée en Martinique. Député-maire, je ne connaissais rien de cet homme qui avait joué un rôle si important dans les mondes de la littérature et de la politique. Peu à peu j’ai compris qu’il s’agissait là d’un homme d’une importance certaine, vu le degré de révérence avec lequel on évoquait son nom… … Quand j’ai repris mes études à Oxford, j’ai été invité dans le cadre de mon diplôme à écrire une courte thèse sur un écrivain français de mon choix. J’ai immédiatement pensé à Césaire. Quel privilège de pouvoir écrire sur un écrivain antillais, le fondateur du mouvement de la Négritude sur qui personne ou presque à ce jour, n’avait encore mené d’études en anglais. Fidèle à sa dimension anachronique, Oxford a dans un premier temps refusé mon sujet, au motif que Césaire n’était pas français ! Quand j’ai expliqué et répété qu’il était la vérité révélée, personne à Oxford n’a pu juger mon projet ! Finalement, mon travail une fois achevé a dû être expédié à l’Université du Sussex où il a reçu un accueil favorable et a considérablement contribué à l’obtention de mon diplôme. Le mot négritude n’avait aucune traduction en anglais et il n’existait pas réellement de concept de l’esthétique noire tel que celui que l’intelligentsia africaine et antillaise avait épousé. La même homogénie n’existait pas dans le monde anglophone noir. Il y avait cependant un mariage partiel des deux dans La Tragédie du Roi Christophe d’Aimé Césaire qui est une vitale adaptation pour la scène du terrible règne d’Henri Christophe en Haïti ; cela est décrit de manière bien plus sèche par le célèbre historien CLR James dans son livre The Black Jacobins. C’était passionnant de découvrir de telles similitudes. J’ai retrouvé d’autres échos heureux dans Une Tempête de Césaire, miroir merveilleux et légèrement déformant de La tempête de Shakespeare. C’était pour moi une révélation de découvrir un écrivain martiniquais qui associe le personnel et le politique avec tant de succès. Et cela n’est nulle part ailleurs aussi évident que dans Cahier d’un retour au Pays Natal qui est en réalité un poème d’amour. J’ai toujours pensé que la politique singulièrement les hommes politiques de gauche, les nationalistes, et l’Art et la Littérature, étaient incompatibles. Aimé Césaire m’a montré à quel point j’avais tort. Il m’a montré qu’un véritable grand homme pouvait marier aussi bien ses idéaux, son devoir et son sens de l’art. Sa ferveur irrigue toute son œuvre. C’est pour moi Anglais, une réelle bénédiction que Césaire ait écrit si passionnément dans un français si pur de telle sorte que j’au pu lire ses pièces et ses poèmes, lectures qui ont illuminé ma vie et changé ma vision du monde. Ce fut un grand honneur de l’avoir rencontré, mais connaître son œuvre a encore une plus grande résonnance. C’était un homme exceptionnel dont la Martinique devrait être exceptionnellement fier.
Christian Lapoussinière
Président du Centre Césairien d’ Etudes et de Recherches
A la question de savoir qui est Aimé Césaire, l’on peut répondre le plus tranquillement du monde: un voLcan de type péléen. La caractéristique essentielle de ce volcan, c’est de rester longtemps en sommeil, puis de se réveiller brusquement sous l’effet du magma intérieur bouillonnant, de gaz trop longtemps contenus, et de projeter sous forme d’explosions puissantes, des matériaux divers, sortis des entrailles de la Terre. Générée selon un principe similaire : «l’automatisme psychique et la logique de l’image », par analogie, la poésie césairienne est donc péléenne, jaillissement brusque de mots : « des mots de sang frais », « des mots pur-sang », des mots « qui sont des raz- de- marée et des érésipèles, et des paludismes et des laves, et des feux de brousse, et des flambées de chair, et des flambées de ville ». Des « mots lassos », des mots silex, des mots rocs sur lesquels viennent s’écraser tous les ennemis des droits de l’homme, de l’égalité, de la justice et de la fraternité. .Des mots qui paralysent comme des curares. Des mots catapultes, des mots qui sont des missiles à têtes chercheuses, des mots embrouilleurs de cartes. C’ est « une démarche de naturation sous l’impulsion démentielle de l’imagination », la marque des reflets de la réalité intérieure et extérieure du poète, « ses fantasmes et ses fantômes », « ses pains de mots » et ses «minerais secrets ». Cherchant à définir sa poésie dans « Mais pourquoi la poésie ? » publié dans « Nouvelle somme de poésie du monde noir », à Présence Africaine, en 1966, ce n’est par hasard qu’il écrivait : «Tous les rêves, tous les désirs, toutes les rancunes accumulées, toutes les espérances informulées, et comme refoulées pendant un siècle de domination colonialiste, tout cela avait besoin de sortir., et quand cela sort et que cela s’exprime et que cela gicle, charriant indistinctement, l’individuel et le collectif, le conscient et l’inconscient, le vécu et le prophétique, cela s’appelle poésie ». A la lumière de ce qui précède, force tellurique, la poésie césairienne n’est pas seulement violence, mais aussi la marque de désordre le plus complet. En effet, à l’image de son personnage Eshu dans «Une Tempête », le poète ne fait-il pas « du désordre l’ordre, et de l’ordre le désordre ? » Ne brouille t-il pas les pistes pour tromper l’adversaire ou l’ennemi ? A l’évidence, la technique d’écriture d’Aimé Césaire ou son procédé de création, est une stratégie qu’il utilise à volonté. Cette stratégie est génératrice d’une poésie faite de néologismes et de mots rares, de juxtapositions de mots, d’idées, d’éléments décousus, hétéroclites, épars, disposés de manière pêle-mêle, d’une logique inhabituelle : la logique de l’image, et comme on l’a souvent fait remarquer, c’est peut-être pour cela que cette poésie reste souvent incompréhensible, inaccessible, voire hermétique. « La logique de l’image » est « la logique de l’absurde. » « La logique de l’absurde est l’image substituée au raisonnement.». Selon les mots d’Aimé Césaire, c’est « la folie flamboyante ». A l’opposé même de la logique cartésienne ou formelle, elle est un « moyen de détection et de révélation » de soi-même à soi, de soi-même au monde, et du monde à soi-même. « C’est par la vitesse que l’esprit devient voyant», a écrit René Ménil dans son excellent ouvrage, « TRACEES » . Ainsi, quand l’on connaît « Les secrets de l’art magique surréaliste », « si la lumière de l’esprit est proportionnelle à sa vitesse », l’on sait forcément que, « l’image poétique qui est notre connaissance la plus vite, atteint la plus vive clarté possible ».
Faisant tous deux abondamment usage de ce procédé d’écriture, ce n’est par hasard que Paul Eluard écrivait: « Les images pensent pour moi » . Que Césaire lui-même faisant écho avec lui, affirmait avec force : « Je me pense par les images ». S’il est bien vrai que la poésie césairienne est une stratégie, du fait de son caractère décousu, fragmenté, incompréhensible et hermétique, elle ne peut laisser indifférent. Ainsi, source de réflexions, objet de questionnement, aiguillon d’un esprit qu’elle veut toujours curieux , avide de savoir, alerte et en éveil, elle amène à décoder le ou les messages qu’elle délivre et qu’elle cache. Elle suscite la recherche, la volonté de découverte et de compréhension, la soif de connaissance, et en ceci, apparaît profondément aussi comme une méthode pédagogique. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, tout en étant fragmentée, éclatée, « déclenchement soudain des cataclysmes intérieurs », la poésie césairienne n’est nullement nihiliste, libertaire et anarchique au stricto sensu, mais profondément démiurgique. Un démiurge par définition est un créateur, un architecte. Par la nature même de sa poésie, (éruptive, péléenne), même quand le poète semble détruire, au fond, c’est pour reconstruire le monde de son désir. Fondé sur des inégalités et des injustices sociales, s’il éprouve le besoin de le détruire pour le reconstruire, c’est parce qu’à ses yeux, le monde est un monde pollué, pourri, en putréfaction, où il ne fait pas bon vivre, et qu’il convient de le purifier. Or, comment le purifier, en faire précisément, un monde harmonieux, plus humain et plus vivable, sinon en le recréant, en fondant « un nouveau ciel et une nouvelle terre, pour qu’on ne pense plus à ce qui était avant » ? Cela dit, plus que nihiliste, libertaire et anarchique, la poésie césairienne reste profondément démiurgique. Le germe de la reconstruction est enfermé dans l’acte de la destruction. C’est donc une poésie de l’action, une poésie éminemment engagée. L’engagement de Césaire, c’est de réveiller son peuple à la prise de conscience, de sauvegarder son identité culturelle , de redresser le cours de son destin , d’assumer les responsabilités qui incombent aux écrivains et artistes noirs comme il le soulignait dans : « L’homme de culture et ses responsabilités », à l’occasion du « Deuxième congrès des écrivains et artistes noirs » à Rome, en 1959. Son engagement poétique, est un engagement éminemment politique. A la manière d’ Hugo, sa mission, c’est d’éclairer son peuple, de le guider. Toute sa vie, et encore à 89 ans, Césaire est resté et reste fidèle à lui-même, à son peuple, à sa race et à sa mission. Selon le terme de Jean-Paul Sartre, « Orphée noir » il nous apprit à opérer la descente en nous-mêmes, pour extirper notre « Eurydice », mieux, notre identité culturelle. « Tête de proue », il nous ouvrit la voie, agit en « éclaireur ». « Eveilleur de peuple », son combat mené depuis près de 70 ans, sans discontinuité, est un combat d’avantgarde, et un combat libérateur. «Oxygène naissant » , selon les mots d’André Breton, sa poésie est souffle de vie. Tout à la fois, « homme d’initiation, de terminaison et d’ensemencement», avec Senghor et Damas, il donna une impulsion particulière à la négritude. Il forma à son école d’excellents élèves, entraîna dans son sillage de nombreux disciples sinon apôtres. « Prototype de la dignité humaine », il nous apprit à dire « NON à l’ombre » Héros d’une véritable épopée, à la manière d’Ullysse de « L’Odyssée » d’Homère, souvent il eut à lutter contre vents et marées. Mais par son courage, sa volonté, sa patience à tous crins, sa ténacité, sa lucidité, sa clairvoyance de visionnaire, il ne renonça jamais à son idéal d’homme de Culture et politique. Il sut toujours surmonter toutes les difficultés, contourner tous les obstacles rencontrés et les pièges tendus, montrer la voie, redresser le cours du destin de son peuple, et en pasteur, conduire ce peuple à la terre promise.
Homme d’enracinement, pour avoir été le premier Martiniquais à nous avoir initiés à la quête de notre identité, il est regardé incontestablement comme le Père de la NATION MARTINIQUAISE. Mais, axée sur l’HOMME, placé au centre de son œuvre, singulièrement sa poésie, elle prend une portée universelle et confère à coup sûr à Aimé Césaire, le titre d’homme d’ouverture et d’humaniste. Pour plusieurs générations successives du XX ème et du début du XXI ème siècles, à 89 ans, il est et demeurera longtemps encore, une référence incontournable, une image obsédante qui s’impose à nous. Cette image, c’est celle d’un homme tourné résolument vers le présent et l’avenir. Celle d’un homme qui nous invite à regarder le siècle en face, avec lucidité. Celle d’un homme sage qui nous invite à trouver en nous « la force de regarder demain . » Quarante trois ans après la catastrophe de Saint , le développement de Fort-de-France, ne ce serait sans doute pas fait à un rythme rapide, ni amplifié et consolidé, si Césaire n’en avait pas été le Maire pendant 56 ans. Aimé Césaire est un homme d’action, un bâtisseur. Parti de rien pour ainsi dire, de la boue qu’était Fort-de-France, il en a fait de l’or. Ainsi, d’une ville «fantôme », et « fantoche», Fort-de-France, est devenue aujourd’hui une vraie Ville où s’améliore chaque jour la qualité de la vie de ses habitants. Ville morte et sans âme à l’origine, elle a retrouvé progressivement son âme, ses marques et est devenue vivante, animée, belle et agréable. Un peu comme Rome et la Grèce antiques, nées sur les cendres de L’Egypte Pharaonique, d’elle l’on peut dire qu’elle est née d’une certaine manière des cendres de Saint-Pierre . Mais, si la renaissance de Fort-de-France partie d’une catastrophe, est bien réelle, - même si elle semble être présentée ici, dans cette analogie, de manière virtuelle, - il est une autre Ville qui a surgi de ses cendres comme le phénix, après l’éruption du 8 mai 1902, c’est la Ville de Saint-Pierre . Saint-Pierre, Ville d’Art et d’Histoire, possède beaucoup de potentialités économiques, d’atouts culturels et touristiques. Qu’il s’agisse des ruines de son Théâtre et de la prison de Cyparis, de celles de la Cathédrale et de la Maison de la santé, de son cimetière marin que le Commandant Cousteau eut l’ occasion d ‘explorer ou autres. Par de-là ces ruines, il y a aussi le rocher enchaîné qui domine la mer, et qui rappelle Prométhée enchaîné sur le Caucase, la maison de Desnambuc, les « traces » de Gauguin qui y séjourna pendant longtemps. Il y a trois autres éléments fondamentaux auxquels nul ne peut rester indifférent : - La Pelée, cette force tellurique dont le sommet est souvent perdu dans les nuages. - La nature verdoyante et luxuriante : ses mornes, ses cultures vivrières, ce fromager gigantesque, particulier, surplombant la Ville et la baie, qui rappelle un baobab, et que vient souvent visiter Aimé Césaire , comme si se substituant à lui, se souvenant qu’il est un nègre déraciné, à la recherche d’une patrie , pour parler comme Ngal, il cherchait à reprendre racine dans une terre de laquelle désormais il a fait sienne, avec laquelle il se confond, et qui rentre pour ainsi dire, dans la constitution de la chair, de lui-même et de son peuple. - Enfin, la mer et sa merveilleuse baie, l’une des plus belles de la Caraïbe. Inutile de faire de longues démonstrations. Comme la terre, l’air et l’eau, Montagne, Nature et Mer, ces éléments sont intimement liés, forment les sous-ensembles d’un même ensemble organisé à l’image de l’univers et de l’homme. L’univers est composé du règne animal, végétal et minéral. Cherchant à le définir tout en définissant l’homme, mettant au grand jour le rapport de contiguité qui réside entre eux, ce n’est pas par hasard qu’il écrit : « En nous l’homme de tous les temps. En nous tous les hommes. En nous l’animal, le végétal, le minéral . L’homme n’est pas seulement homme, il est univers » ( In « Poésie et connaissance).
Il y a précisément un siècle que la Pelée a détruit la Ville de Saint-Pierre. Depuis, elle renaît progressivement de ses cendres. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, si comme le poète, elle n’est nullement le symbole de la destruction, mais celui du développement économique, culturel et social, par ses atouts et potentialités, où se termine la catastrophe, où commence la renaissance ? Elle se termine par la mobilisation de toutes les forces vives de la Commune. Elle commence par une politique volontariste de la part de la Municipalité. Par la responsabilisation de la population. Par une action conjuguée de la Municipalité et des collectivités départementale, régionale, de l’Etat et de l’Europe ou de tous autres organismes ou instances désireux de sauvegarder Saint-Pierre, Patrimoine de l’humanité, de lui permettre de devenir un véritable pôle de développement économique, touristique, et culturel. Encore une fois, Aimé Césaire est un volcan péléen. Sa poésie est un moyen d’action. Loin d’être nihiliste, anarchique et libertaire, elle conduit de la catastrophe à la reconstruction, du désastre à la renaissance. Dans « La fonction du poète » après avoir défini la mission du poète, le poète lui-même comme le guide des peuples et l’annonciateur de l’avenir, de la poésie Hugo écrit : « elle est l’Etoile qui mène à Dieu, rois et pasteurs » . Si telle est la définition, qu’il en donne, il n’en demeure pas moins vrai que l’action poétique mène inexorablement à l’action politique, que la poésie de Césaire reste éminemment engagée et une poésie de l’action.
Ducos le 14 Février 2002.
Jean Maugée
Responsable Mission organisation et suivi des travaux spéciaux
Toum Pack, fulgurance, tellurisme, expression d’une énergie volcanique agrémentée d’un humour léger et subtil, avec en principal une volonté d’amour incommensurable. Le tout à la dimension du cosmique condensé en pays Martinique. Que vive l’énergie d’’Aimé ! Aimé Césaire a été un bâtisseur de ville certes, mais plus encore un bâtisseur de conscience, un bâtisseur de peuple. C’était un être de « capacités » : de s’émouvoir devant un arbre fleuri, de mémoire extraordinaire, de domestication des mots, de voir dans le cœur des humains, de les regarder dans leur simplicité, de continuer à douter pour s’interroger. S’interroger sur qui nous sommes, pourquoi nous sommes là et pour quoi faire. S’interroger pour comprendre ce qui est essentiel. Continuer à douter pour ne pas être prisonnier des certitudes. Sa foi dans l’humain et dans l’humanité lui donnait l’énergie pour bousculer les éléments. Ce que je sais, je le tiens de lui. Aimé Césaire m’a tout appris
René Hénane
Médecin, écrivain-essayiste, consultant à l’UNESCO
À PROPOS DE L’EMBLÈME DU BALISIER «…l’impassible angoisse au cœur des balisiers… Le balisier, la plante fétiche, d’Aimé Césaire symbole de la Martinique, est la représentation métaphorique du peuple martiniquais. L’angoisse n’est plus ressentie par les consciences libérées de leurs souffrances – il n’est pas trop tard pour surmonter l’agitation de la tempête (haut roulis des défis et des colères). Cette image du balisier sanglant rappelle une autre vision césairienne… dépoitraillement jusqu’au sang d’impassibles balisiers que nous avons rencontrés dans le poème Espace-rapace. Cette image du balisier, poitrine ouverte et sanglante, se trouvait déjà, en 1944, sous la plume d’André Breton : « … la grande fleur énigmatique du balisier qui est un triple cœur pantelant au bout d’une lance… » Aimé Césaire nous parle du dépoitraillement jusqu’au sang… L’image est d’un profond réalisme. Le poète remarque que les bractées du balisier s’écartent l’une de l’autre, comme les deux volets d’un thorax ouvert et, dans l’entrebâillement, surgit une nouvelle bractée, flamme sang et or. - le temps de relayer la patience des couleurs / dans la reptation des lianes… formules énigmatiques que l’on est tenté de clarifier au mot à mot : relayer la patience des couleurs, prendre en compte la souffrance des Noirs, hommes de couleur (noter à cet égard, la négritude qui troue l’accablement opaque de sa droite patience, Cahier…) – Rappelons le sens que donne Aimé Césaire au mot patience, comme il nous l’a confirmé : patience au sens archaïque et littéraire du terme, signifie souffrance, douleur (un patient est un souffrant, au sens médical du terme). Cette formule semblerait donc dire : il n’est pas trop tard, il est temps de prendre en compte la patience du peuple antillais, rester à son contact sans égarer nos pensées en de stériles abstractions.» AIME CESAIRE : JE SUIS LE PARAKIMOMENE DE LA MARTINIQUE «... un mot étrange, énigmatique, presque patibulaire, relevé dans son poème Soleil safre (Moi, laminaire…) : le mot parakimomène : … à la gorge nous remonte / parakimomène des hauts royaumes amers / moi / soleil safre… Perplexe, je me lançai à la recherche de l’identification de cet étrange vocable, handicapé que j’étais par mon ignorance gréco-latine. Dépité, une seule solution me restait : interroger Aimé Césaire lui-même – sait-on jamais ? Pris d’audace, je lui téléphonai : « à l’aide, mon cher Maître ! je n’arrive pas à trouver votre parakimomène. De quoi s’agit-il ? – j’entendis son rire amical – cher Hénane, c’est facile, du grec parakoïmomenos qui veut dire dormir à côté. À la cour des empereurs byzantins et ottomans, le parakimomène était le grand Vizir, le grand Chambellan, appelé à l’honneur de dormir à même le sol, au travers du seuil de la chambre du souverain. Il fallait donc lui passer sur le corps pour l’atteindre – et Aimé Césaire ajouta, toujours avec un grand sourire – voyez-vous, je suis le parakimomène de la Martinique » Tout était dit : sa Martinique, corps et âme.»
DISCOURS Aimé Césaire - 22 Mai 1971 Place du 22 mai - Trénelle- Fort-de-France «... La statue émouvante de René Corail : une libertée non pas otroyée mais arrachée de haute lutte ; une émencipation non pas concédée mais conquise, et qui enseigne à tous et d’abord aux Martiniquais eux-mêmes, que s’il est vrai que la Martinique est une poussière, il y a cependant des poussières habitées par des hommes, qui méritent pleinement le nom d’Hommes, et cette assurance voyez-vous, est de celle qui nous autorise à regarder le présent avec plus de fermeté, et de toiser l’avenir avec plus d’insolence. Et maintenant regardez la statue de René Corail: c’est une femme, une négresse, peut-être la Martinique, qui , soutenant son enfant bléssé d’une main, peut-être son enfant mort, brandit de l’autre main une arme, elle ne pleure pas, elle se bat. ... Ici le nègre n’est plus l’objet, il est le sujet. Il ne reçoit plus la liberté. Il la prend et on nous le montre la prenant. Une grande Négresse, l’arme à la main, maniant son arme, comme ses ancètres, la sagaie. Eh bien cela, c’est la vision martiniquaise de la libération des nègres. Et seul un Nègre pouvait l’avoir. Et c’est parce que René Corail l’a rendue, cette vision, avec fougue et éclat que je salue en lui un grand artiste nègre et un grand sculpteur antillais».
Khokho René-Corail
Statue de la Liberté - Place du 22 Mai à Trénelle - Fort-de-France - par Khokho René-Corail
«Le déracinement de mon peuple, je le ressens profondément. On a remarqué dans mon œuvre la constante de certains thèmes, en particulier les symboles végétaux. Je suis effectivement obsédé par la végétation, par la fleur, par la racine. Rien de tout cela n’est gratuit, tout est lié à ma situation d’homme exilé de son sol originel… l’arbre profondément enraciné dans le sol, c’est pour moi le symbole de l’homme lié à la nature, la nostalgie d’un paradis perdu». Aimé Césaire. Entretien avec J.Sieger. Afrique n°5, octobre 1961
Directeur de publication : Raymond Saint-Louis-Augustin, Maire © Conception & Réalisation Service Communication Externe Ville de Fort-de-France Marie-Michèle Darsières, Responsable Service Communication - Joël Zobel Maquettiste Dario Rengassamy, Directeur de Cabinet - France-Line Viviès, Collaboratrice de Cabinet septembre 2012