Hommage à Aimé Césaire

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Hommage à Aimé CESAIRE

Amadou Lamine SALL



Hommage à Aimé CESAIRE Amadou Lamine SALL


Hommage à Aimé CESAIRE Amadou Lamine SALL « Nous avons livré aux ténèbres un être resplendissant qui chaque jour nous offrait une étoile », P. Néruda La nouvelle est arrivée dans la petite robe du jour pétrifié et toutes les fleurs des langues se sont écloses dans l’hémorragie du silence tant la douleur a pris entre ses dents tous les cœurs... A vous savoir mort Aimé la mer est morte pour nous le soleil mort la terre morte les mornes désenchantés les îles des bibelots pierreux le ciel une muraille fermée aux oiseaux les volcans ont fermé leurs pages de lave et ne seront plus des volcans mais des termitières les livres sont insipides les mots en faillite voyageurs sans bourse la poésie entame sa solitude elle pleure le mari indomptable l’amant infernal désormais elle donnera des enfants dont personne ne voudra plus après toi... Voici que les arbres entament le dernier bal les racines rebroussent chemin les fruits retournent aux fleurs les fleurs aux bourgeons les bourgeons aux feuilles les feuilles aux tiges les tiges aux pousses les pousses aux murmures de la bouture la bouture est sans terre la terre est sans eau les pluies sont parties habiter des nuages de bois le néant comme ta mort Aimé annule toutes les fièvres de nos élans et la bouture est retournée aux gestes morts du planteur et le planteur a clos le rêve de l’arbre dans sa case il te pleure Aimé toi la semence nerveuse du python et comme le semeur nous te pleurons Césaire car tu étais la terre première le sillon vital le chant des vents la saison des grands orages les rires des bananes la promesse des goyaves et avec toi la canne à sucre a rebaptisé pour toujours les routes de la sueur les livres des nègres réécrits à l’encre de la lumière et l’honneur un tapis de satin interminable...


La nouvelle est arrivée dans le petit jour ce petit matin dont tu resteras le seul maître de langue ce petit matin baptisé de ton nom qui dira le petit matin qui habitera le petit matin sans nommer la parole de ta parole ta parole bourdonnante ta parole de rafale et de salve de canons ta parole de rapides et de chutes du Zambèze ? Qui te nommera sans nommer l’oxygène naissant de ta parole ? Depuis cet avril du 17ème jour le soleil n’est plus le soleil l’île n’est plus une île et la Martinique n’est plus seulement la Martinique elle abrite un tombeau plus grand que son nom un tombeau qu’elle ne veille pas seule qu’elle ne veillera plus jamais seule... Aimé Césaire est la terre de l’Humain Aimé tu es le Noir tu es le Blanc tu es le Jaune Aimé tu es le Bantou tu es le Mandingue le Tutsi le Haoussa le Diola le Berbère le Toucouleur le Bété tu es le lieu de toutes les parallèles toutes les convergences souffrantes la clairière de toutes les dignités irréductibles en toi tu as décousu toutes les insultes toutes les humiliations des fils de Cham toi le nègre de toutes les couleurs toi l’alliage du rubis et du buisson Depuis la nuit noire de ce petit matin d’avril beaucoup de nids sont tombés les abeilles ont donné des ruches de miel amer les champs se sont donnés aux flammes des feux de brousse les métaphores habitent le vide et l’ennui le rythme a sauté sur cent mines et a perdu ses jambes la poésie a crevé ses tambours amputé ses flûtes la colère nourricière de ta langue a mangé toute autre colère... Quel poème aura la rage de tes reins le délire de ton sang ? Quelle poésie nous donnera d’autres enfants viriles ? Combien de poètes écriront des vers qui ne connaîtront jamais la virginité du matin ? Combien de poètes hallucinés venus de terres irréelles seront triés à la table des dieux ? Aimé merci pour la foudre royale merci pour la rage des vents pour les étoiles d’or l’âge d’or la parole rougeoyante merci pour le front cabré la dignité bleue du messager


merci pour le faste des voiles le gouvernail souverain merci pour la ruse des baleines le chant de la race pour le yéla des marins la mémoire heureuse de Kounta Kinté merci pour l’Afrique délivrée des tiques des quolibets et des puanteurs lavée des vomisseurs exempte de toute honte l’Afrique comme le cœur collectif de la terre l’Afrique ressuscitée et belle comme la promesse d’un pagne qui tombe dans l’abandon d’une hanche l’Afrique lisse rendue à ses jardins de miel merci pour le Congo Aimé ce Congo à qui tes consonnes ont rendu ses minerais et renommé les lettres pourpres de Lumumba et Haïti dressée comme un étendard ventru d’un bout à l’autre des océans Haïti chantée Toussaint Louverture clamé et tout le cri nègre déverrouillé... Merci d’avoir fait de Sédar dans la fécondité des moussons et les tempêtes des Caraïbes la mémoire retrouvée du sang et de la peau et vois-tu il pleut ton nom sur Joal et les lamantins en procession vendent leurs complaintes aux danses des vierges de Simal il est dit que tu es intronisé éléphant de Mbissel ... Elle est presque guérie notre douleur guérie par la douleur de ta douleur toute bue depuis l’aube des nègres de tes déchirures depuis l’aube des grands ours elle est guérie maintenant notre douleur guérie par le bouillon chaud de tes mots la clameur de feu du nouveau sang d’une langue dont nous avons écouté l’aveu dont nous avons entendu le galop sauvage sans que l’étalon hennissant ne piétine l’élégance des vieux maîtres de France d’une langue dont tu as annulé tous les tombeaux fermé tous les hivers au coutelas d’une langue faite diamant que tu as abritée sous un printemps sans fin d’une langue qui porte les enfants multicolores de la France de demain une France démesurée et belle d’une langue qui porte la France plus loin que la France d’une langue qui dit la France plus grande que la France une France mieux ouverte à la différence mieux ouverte aux identités d’une langue qui invente la France plus solidaire qui recommence la France féconde qui pardonne à la France qui s’égare qui prédit la France plus généreuse que la France la France plus apte à honorer la France


la France qui ne laissera plus les roseaux au bord des marais cette France des barbares morts que le poète a tués... Et voici venu le temps inattendu voici que par ta voix Aimé la Négritude a créé le Blanc et le Blanc rêve de Toussaint de Samory de Soundiata de Mandela il rêve de l’arc-en-ciel des filles noires de la savane sexe de gazelle bleue bouche de jujube... Aimé tu as fait naître et grandir dans le panier de la Créolité une langue de France remontée du plus bas de la fosse des Serments de Strasbourg tu as refait les Serments de Fort-de-France et une langue de grâce et d’armure est née une langue de lave et de révolte s’est levée une langue aux mille portes aux mille issues aux mille lions aux mille loups aux mille Aminata aux mille Isabelle langue de bateaux aux cales calleuses langue de vent et de forte houle langue d’horizons de tours et de brousse sans fin de sang sans fin langue repue de soleil et d’Amazonie langue de Zoulou et de Bozo langue de Charlemagne et de Napoléon langue de corne de flèche d’épée et de satellite et dans un unique arbre la greffe a tenu Aimé terre de Paris racine de Dakar sève des Seychelles feuille du Liban fleur d’Hanoï saison d’Egypte pluie du Québec fruits de Fort-de-France langue de confiture langue de thé langue de café langue de riz langue de couscous langue de poulet bicyclette rencontre et fraternité langue d’insolence de bravade et d’amour... Et voici que le Quai Conti te doit des dettes d’honneur puissent les intérêts nourrir pour cent ans la fierté de tes enfants loin dans les saisons futures des savanes des vallées des mornes et des colibris... l’infime merveille du colibri dont tu t’étonnais toujours qu’un corps si frêle puisse supporter sans éclater le pas de charge d’un cœur qui bat... Tu nous as bien guéri de la haine Aimé car tu es le fils adoptif qui a baptisé le père la fille qui a donné à téter à la mère à la France tu as forgé des mots sur une enclume de citadelle et le charbon était nègre qui attisait la langue de France


au bout du petit matin tu as aboli en toi toute blessure pour être un liséré et la hache en toi s’est muée en aiguille qui coud Aimé tu as bien été le guetteur et la trompette la terminaison et l’ensemencement et les silos de l’esprit débordent de graines neuves Merci Aimé merci pour le nègre civilisé jusqu’à la moelle merci pour la colère cosmique pour la neige noire et l’hiver tropical merci pour toutes les portes ouvertes des syllabes les désinences de l’âme les retours du henné sur les lèvres de l’exil merci pour les rois les chevaliers les écuries les quatre gouttes de sang merci pour les joies les pleurs les pluies les jardins les aînés de la récolte disent merci Depestre Glissant Maunick Lemoine Maximin Carrère et tous les autres veilleurs de jour veilleurs de nuit qui cherchent du front les mêmes étoiles merci pour les fers les chaînes intérieures enfin vaincues merci pour le sommeil le repas la monnaie le visa les blessures refermées la soif de l’école merci pour le pain quotidien de la langue merci pour les frontières défuntes de la peau les cheveux défaits de la parole... la poésie Aimé nos larmes ne seront pas celles des anges eux dansent car est arrivée la flûte enchantée le haut aigle la voix ténor de la grande chorale gorge de bronze des grandes orgues dans la cadence tendue des mots à naître au ciel tu nous les descendras Aimé quand Dieu dort... Aimé Dieu est en apparat pour de longs siècles dit-Il Il reçoit dit-Il le dernier aîné des initiés... Des jours durant pourtant nous l’avons attendri de nos prières musulmanes de nos prières chrétiennes de nos prières païennes des libations imparables de nos mères pour que Son décret ne s’accomplisse le temps d’autres fleurs d’autres fruits... Mais Dieu aime les poètes surtout ceux qui ont la foudre dans l’encrier et toi tu avais et la foudre et l’orage dans l’encrier et ta plume Aimé des projectiles infaillibles Dieu t’aimait parce que la poésie t’aimait et la poésie est l’unique datte dans Sa bouche dans Ses bras Il t’a pris alors


et t’a couvert de Son Manteau avant que le 18ème jour ne verdisse pour supplier de te garder Il te voulait au mois d’avril du 17ème jour l’avril des manguiers que tu aimais regarder... Ses mangues te seront plus douces que nos regards d’amour et de disciples étonnés... Juin sera le mois des flamboyants et nous te rechanterons car les poètes meurent toujours pour nous... Du Sénégal je te salue avec mon peuple mes talismans et mes baobabs nous te saluons par l’ordre alphabétique du tam-tam Nègre fondamental d’Afrique d’abord Caribéen ensuite au nom de ces tas d’îles belles mais de sang et de souffrance Français plus tard par la ruse de l’histoire et ton nom par la ruse de l’histoire a agrandi la France et je prédis demain cette France ouverte comme un corps de femme à toutes les caresses d’un désir proclamé deux jours à genoux... et tu fus Citoyen du monde enfin parce que tu as porté toute la terre offensée parce que tu as été là quand l’Homme s’affaissait quand l’homme courbait l’homme dans les sous-sols des abîmes de l’inhumaine condition Aimé tu ne te révoltais pas seulement contre l’injustice mais aussi contre les dieux et les élégantes crapules avec ton nom Aimé toi le poète germinal nos baobabs ne perdront plus leur orgueil et la poésie aura la perpétuité océanique du souvenir des baisers d’adieu... Va Aimé va point de césure nous vaincrons les intempéries nous fermerons le ciel à l’arrogance des princes la poésie renaîtra à la poésie par ton seul nom nous gardons le troupeau parmi les plus belles de tes génisses va et comme tu le voulais « Nous ne désespérerons pas des lucioles » Dakar, le 22 avril 2008


Présentation de l’auteur Amadou Lamine Sall Né en 1951 à Kaolack, au Sénégal, Amadou Lamine Sall est le Fondateur de la Maison Africaine de la Poésie Internationale et il préside aux destinées de la Biennale internationale de poésie à Dakar, au Sénégal. Lauréat du Grand Prix de l’Académie française, il est l’auteur de nombreuses anthologies de poésie qui ont été traduites en plusieurs langues. Il a initié le grand prix du chef de l’Etat pour les Lettres. Il fût aussi président de l’Association des écrivains du Sénégal. Lauréat des Grands Prix de l’Académie française, il est membre de l’Académie mondiale de la poésie et occupe actuellement les fonctions de Commissaire à la réalisation du projet du Mémorial de Gorée. Il participe régulièrement à diverses manifestations internationales de poésie ainsi qu’à de nombreux colloques universitaires relatifs à la Francophonie. Léopold Sédar Senghor a dit de lui : « Amadou Lamine Sall est le poète le plus doué de sa génération ».


2013, Année du centenaire d’Aimé CESAIRE… … Et Fort-de-France, la ville capitale dont il fut le Maire pendant 56 ans lui rend un hommage vibrant, mérité, de profond respect et de reconnaissance affirmée. Et l’Afrique aussi lui rend hommage… Et Amadou Lamine SALL, poète sénégalais nous dit, nous chante, nous martèle son amour pour le Nègre fondamental Et Amadou Lamine SALL, avec des mots « blessure », des mots « regret », des mots « désolation», nous dit la douleur de l’Afrique car « Nous avons livré aux ténèbres un être resplendissant qui chaque jour nous offrait une étoile » et depuis « la bouture est sans terre, la terre est sans eau, les livres sont insipides … », et « la poésie entame sa solitude… » Et Amadou Lamine SALL, avec des mots « projectile », des mots « incandescent », des mots « saveur », nous dit la gratitude de l’Afrique « délivrée des tiques, des quolibets et des puanteurs, lavée des vomisseurs, exempte de toute honte… », l’Afrique dit merci à Aimé CESAIRE L’Afrique du « cri nègre déverrouillé » désormais..., l’Afrique « guérie par le bouillon chaud » des mots d’Aimé CESAIRE L’Afrique et nous disons, « Merci Aimé, tu nous as bien guéri de la haine, Aimé». Raymond SAINT- LOUIS- AUGUSTIN



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