RBSS numéro 4/2002

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' Information ' et ' formation ', ce sont là, plus que jamais, deux mots clefs de notre époque et deux exigences auxquelles la Revue belge de sécurité sociale veut souscrire en publiant des articles de haut niveau consacrés aux aspects juridiques, économiques, sociologiques … de la protection sociale, tout à la fois matière de connaissance et de réflexion pour le lecteur. Cette politique entend s’inscrire dans le cadre de l’Union européenne. Chaque numéro comporte, donc, une rubrique dédiée à cette fin.

ISSN : 0035-0834

SECURITE SECURITE SOCIALE SOCIALE

Service public fédéral Sécurite sociale Rue de la Vierge noire 3c – B-1000 Bruxelles

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Het Tijdschrift verschijnt ieder trimester in twee versies : de ene in het Nederlands, de andere in het Frans. Het Tijdschrift kan ook worden geraadpleegd op het internet : http://socialsecurity.fgov.be/bib/index.htm

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' Informeren ' en ' aanleren ' zijn meer dan ooit twee sleutelwoorden van onze tijd. Het Belgisch Tijdschrift voor Sociale Zekerheid wil daartoe bijdragen door kwaliteitsvolle ar tikelen te publiceren over juridische, economische, sociologische, … aspecten van de sociale bescherming, die de lezer enig inzicht bijbrengen en hem tevens tot nadenken kunnen aanzetten. Deze lijn wordt ook doorgetrokken naar het domein van de Europese Unie : elk nummer bevat een vaste Europese rubriek.

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La Revue paraît chaque trimestre en deux versions : l’une française et l’autre néerlandaise. La Revue peut être consultée sur internet : http://socialsecurity.fgov.be/bib/index.htm

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SECURITE SOCIALE


ISSN 0035-0834 Les travaux signés ou reproduits sous le couvert d’une indication de source dans cette publication n’engagent que la responsabilité de leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la position ou l’opinion du Service public fédéral Sécurité sociale.


DE LA REDACTION Le 31 octobre 2002, Mr. Le professeur Herman Deleeck est décédé. Jusqu’à sa disparition regrettée, le professeur Deleeck était un membre très apprécié du Conseil de Rédaction de la Revue belge de sécurité sociale. Poussée par son enthousiasme et ses idées constructives, cette revue est devenue adulte, en partie grâce à lui. Au début du présent numéro, nous proposons des textes à la mémoire de Herman Deleeck de la plume du ministre des Affaires Sociales et des Pensions, Frank Vandenbroucke, du recteur honoraire et coprésident du Conseil de Rédaction de cette revue, Roger Dillemans, de la professeur Bea Cantillon et du professeur Jos Berghman. Au moment de mettre sous presse, nous apprenons avec une grande tristesse le décès du professeur Bea Van Buggenhout, de qui nous publions un article dans le présent numéro.


IN MEMORIAM

EN SOUVENIR DU PROFESSEUR HERMAN DELEECK Le professeur Herman Deleeck mérite qu’on lui rende hommage. Comme pour beaucoup, son décès m’attriste, non seulement pour le rôle majeur qu’il a joué dans le domaine de la politique sociale, mais encore, pour sa forte personnalité, affable et inspiratrice qui nous manquera désormais. M. Herman Deleeck faisait partie de cette génération qui a été témoin de la fondation et de l’édification de notre Etat social moderne. Sa contribution personnelle ne fera jamais assez l’objet de reconnaissance et d’estime. Il était absolument convaincu de l’importance et de la nécessité d’un Etat social où la sécurité sociale joue un rôle clé. Ceci ne signifie cependant pas, qu’il épargnât de ses critiques le système en place. Jamais, d’ailleurs, il ne perdait de vue son objectif : sauvegarder la légitimité du système en visant l’efficacité et l’équité. La vision d’Herman Deleeck ne reposait pas uniquement sur un engagement social sincère et opiniâtre, mais aussi sur la recherche scientifique. Pour lui, la recherche scientifique sociale ne pouvait être gratuite. Elle devait se concevoir en fonction d’un projet de société et être au service du développement, en son sein, de principes éthiques. L’effet scientifique de redistribution de la sécurité sociale, constaté empiriquement, bénéficiait de son attention constante. C’est lui qui avait inventé l’expression “Effet Matthieu” qui se réfère à la constatation que les dispositifs sociaux profitent relativement plus aux catégories à hauts revenus qu’aux moins nantis. Le Professeur Deleeck analysait notre société et notre système de protection sociale comme nul autre. La vingtaine d’ouvrages et les plus de 120 articles qu’il a rédigés témoignent de sa capacité exceptionnelle à examiner une donnée de manière critique, à la situer dans un ensemble plus large, à mettre le doigt sur les points noirs mais aussi sur les éléments positifs et d’en tirer les conclusions pour l’avenir. Herman Deleeck est parvenu à transmettre ses préoccupations, son engagement, ses idées et sa sensibilité critique à des cohortes de jeunes scientifiques et de collaborateurs qui, au cœur de la société, ont essaimé dans une multitude de directions. Sous sa conduite inspiratrice, l’UFSIA créa le Centrum voor Sociaal Beleid. Les sondages sur la pauvreté du Centrum mesurent depuis les années septante l’évolution de la pauvreté et des inégalités sociales. Ils constituent un remarquable instrument pour évaluer les résultats de la politique sociale. Il est indubitable que les analyses effectuées par le Centrum, sur base de ces sondages, ont largement servi à la création de mesures sélectives de lutte contre la pauvreté. L’empreinte du professeur Herman Deleeck, sur la politique, n’a pas été anodine. Non seulement, il a contribué, en partie par ses idées, à la formation d’un grand nombre d’hommes politiques de premier plan tout en les influençant et en les inspi-


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rant, mais encore il était également actif sur le plan politique : ainsi, il a siégé plusieurs années au Sénat, était membre de la Commission royale pour la Réforme de la Sécurité sociale et a été, pendant de longues années, le président de la Commission Interdépartementale pour la lutte contre la pauvreté. Son argumentation, en paroles et en écrits, ainsi que ses recherches scientifiques pesaient sur la politique gouvernementale. Le professeur Deleeck a toujours fait montre d’un caractère affable, ce qui n’implique toutefois pas qu’il se montrait toujours d’un abord facile. Poussé par sa sensibilité sociale et son engagement politique, il posait des questions difficiles et fournissait des réponses exigeantes que certains – hommes politiques, partenaires sociaux ou mouvements sociaux – préféraient ne pas entendre. Il nous a appris qu’il faut également oser regarder la répartition des dépenses sociales d’un oeil critique. Les résultats concrets de la politique sociale étaient pour lui une source de préoccupation et non pas l’occasion de faire de belles démonstrations sur de beaux principes. Dans son dernier ouvrage, récemment publié, Herman Deleeck constate, non sans plaisir, que notre Etat providence a résisté avec succès à 25 années de crise, a été capable de générer une prospérité généralisée et a relativement bien tenu compte du souhait d’une répartition équitable des revenus. Cependant, il ne manque pas aussi de mettre en lumière certains points noirs : le coût des soins de santé, la dépendance aux allocations, l’exclusion des personnes faiblement qualifiées, la problématique de la pauvreté et des défavorisés, pour n’en citer que quelques-uns. Herman Deleeck a été – en tant que défenseur de l’Etat providence – pendant de nombreuses années la conscience sociale de la Flandre. Ce faisant, il nous a appris une leçon essentielle, que nous ne pouvons oublier : la meilleure défense de l’Etat providence est une défense critique. Et en matière de politique sociale, les hommes politiques se doivent, également, d’éviter tout sentiment d’autosatisfaction. (Traduction) Frank Vandenbroucke __________


IN MEMORIAM

HERMAN DELEECK, MON AMI « Dans la hotte de Saint-Nicolas il y a plus de cadeaux pour les enfants des riches que pour les enfants des pauvres ». C’est avec ce type de déclarations percutantes qu’Herman Deleeck délivrait, en des termes compréhensibles pour tous, ses messages provoquants, et ce, aussi bien à propos de la sécurité sociale qu’en ce qui concerne les préoccupations humaines qui y sont liées. En réalité, même s’il était de peu mon aîné, nous nous connaissions bien depuis la fin de mes études universitaires. Mais au fil du temps, cette différence d’âge s’est peu à peu atténuée et effacée. Pendant toutes ces années, nous avons noué des liens personnels d’amitié, nourrissant un sentiment d’empathie si intense que nous partagions nos problèmes et participions à la pensée et à la soif d’action de l’autre. Nous nous sommes souvent soutenus mutuellement. Nous savions, avec la perception parfaite du timing qu’ont les amis, quand cela s’imposait. Je devinais toujours immédiatement ce qu’il pensait sur une question soulevée dans un débat, sur une opinion énoncée ou sur une proposition introduite. Y compris lorsque cela venait de moi. Je pressentais chaque fois ce qui suivrait après l’introduction amicale, dite avec une légère hésitation feinte. Il disait ce qu’il pensait. Et si, les premières fois, on était quelque peu déconcerté, on comprenait très vite combien est précieuse l’amitié vraie qui veut que l’on ne farde jamais la vérité. Et ce, assurément dans notre monde où l’on ne fait que flagorner les personnes ayant acquis un certain statut social. Par facilité, par diplomatie mal comprise ou simplement par calcul personnel. J’ai eu l’honneur de prendre la parole lors de son départ à l’éméritat, une transition importante pour quelqu’un comme Herman qui rangeait, bien construites, les choses à leur place et s’y tenait dans l’action. Dans beaucoup de comités, ici et à l’étranger, dans les milieux académiques et politiques, nous cherchions la compagnie l’un de l’autre et avons d’innombrables fois siégé en voisins dans des réunions, avec des réactions murmurées entre amis qui se comprennent parfaitement à demi-mot, avec des arrière-pensées inexprimées, des préoccupations et perspectives de réflexion ultérieures. C’était un juriste qui s’était aventuré dans la pensée sociologique ; j’étais un chercheur, un philosophe social qui s’était frotté au droit. Nous nous reconnaissions un rôle dans le mouvement de la pensée sociale. Il ressentait souvent le besoin d’exprimer les choses qu’il avait déjà intellectuellement vécues et il pouvait, alors, se montrer doctoral et solennel mais, toujours, sans la moindre arrogance. Il estimait que le monde de toute évidence pouvait s’améliorer, même notre société prospère ; il y a d’ailleurs contribué par sa façon d’attaquer les problèmes qui en révélait les nombreux aspects obscurs. Herman Deleeck entre dans l’histoire comme l’un des fondateurs de notre Etat providence de cet après-guerre et comme l’un des acteurs, critique et constructif, de la pérennité de notre société de bien-être et de soins. Son apport, direct ou via ses col-


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laborateurs, se focalisait sur les points noirs du moment mais toujours à l’intérieur d’une vision ample de l’avenir du système, au départ de sa recherche scientifique mais toujours dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire. Il a formé et motivé beaucoup de jeunes à travailler dans le secteur social. Parmi eux, plusieurs deviendront politiciens et monteront aux créneaux. Un certain nombre de collaborateurs ont mûri chez lui, au sein du Centrum voor Sociaal Beleid près de l’UFSIA, qui lui tenait tellement à cœur, jusqu’à devenir de dignes continuateurs du vaste projet « Deleeck » qui, ainsi, se perpétue. L’institution de la Commission Royale pour la réforme (codification, harmonisation et simplification) de la sécurité sociale était son idée ; dans les années 80-85, ce groupe d’experts, de parlementaires et de partenaires sociaux préparait un projet global de réforme de la sécurité sociale. Certains projets semblaient, à l’époque, trop en avance au plan politique pour pouvoir se concrétiser sans difficultés. Certains projets ont, effectivement, percé comme la Banque carrefour de la sécurité sociale, d’autres par contre auront besoin de plus de temps. Lui et moi, ainsi que d’autres de notre entourage, continuèrent à y croire. Aussi, la fondation du groupe Sociura ne tarda guère. Il s’agissait d’une collaboration surtout de « l’école louvaniste » et du CSB anversois avec Herman Deleeck, avec l’appui du Service Social du VEV. Le projet Sociura développait plusieurs thèmes politiques prioritaires : l’importance de la prévention et du redressement, un minimum d’existence digne en plus d’indemnités, l’intégration sociale et la participation au marché du travail, une assurance populaire pour les soins de santé, la responsabilisation, l’insertion du personnel administratif et un statut digne de ce nom pour les indépendants, une place pour l’assurance individuelle en plus des assurances collectives adéquates avec indemnités de base, la qualité du système, la simplification et l’accessibilité, la relation citoyen-administration et une meilleure prestation de services … A la Revue Belge belge de Sécurité sociale, il était jusqu’à tout récemment un membre alerte de la rédaction, critique, créatif, stimulant et inspirant. Sa vision de l’avenir de notre société solidaire prend sa source dans un individualisme chrétien d’inspiration sociale qui voyait le salut dans la combinaison de la solidarité et de la responsabilité. Il a rendu notre société et notre monde meilleurs. En nous laissant, en héritage, une pensée stimulante, il demeure parmi nous, et ses messages conserveront à jamais leur caractère pénétrant. (Traduction) Roger Dillemans __________


IN MEMORIAM

L’HERITAGE DU PROFESSEUR HERMAN DELEECK J’écris cet In Memoriam avec beaucoup de tristesse. Comme pour beaucoup d’entre nous, avec la disparition de M. le professeur H. Deleeck, j’ai perdu un maître et un mentor. C’était un homme exceptionnel, avec un grand engagement social remarquable, plein de talents. Un homme portant un intérêt remarquable à autrui, doté d’un grand sens de l’humour et du relatif. Il investissait dans les gens, enthousiasmait, stimulait et faisait école. Il était très exigeant et inébranlable. Je pense que, s’il n’était pas toujours facile, c’était à cause de son sens des responsabilités fortement développé. L’œuvre de Monsieur le professeur H. Deleeck est sous-tendue par une idée maîtresse qui est de révéler et de mettre en évidence les inégalités socio-économiques et culturelles. Un paradoxe l’a habité tout au long de sa vie : le constat, que malgré une socialisation énorme du revenu national, une part non négligeable des ménages vit dans la pauvreté et dans l’insécurité d’existence tandis que les inégalités socio-culturelles dans les domaines de l’enseignement, de la maladie et de la mort se maintennaient obstinément. A cela, il avait une explication : « l’effet Matthieu ». Certains mécanismes de redistribution ont pour résultat que les avantages de la politique sociale convergent d’avantage vers les catégories sociales plus élevées que vers les plus modestes. Les meilleurs exemples en sont l’enseignement, les allocations familiales et les pensions. Les ménages les plus aisés perçoivent plus d’allocations familiales et bénéficient davantage des budgets consacrés à l’enseignement que les familles moins nanties parce que les premiers permettent à leurs enfants d’étudier plus longtemps et en plus grand nombre. Et, parce que les personnes mieux qualifiées vivent plus longtemps que les moins qualifiées, elles profitent aussi plus longtemps de leur pension de retraite (par ailleurs également plus élevée). Dans le recours aux équipements et services collectifs, les facteurs socio-culturels des inégalités continuent à peser. Le remède Deleeckien en découle : « rendre l’offre universelle n’est pas suffisant alors que la demande, à son point de départ, reste différente. Il est paradoxal de constater qu’à cause de l’universalité -voulue non discriminatoire- des dispositifs sociaux, ceux-ci profitent, en fait, en premier lieu et le plus, aux classes sociales moyennes ou plus élevées. Par conséquent, outre la politique générale, il faut une approche spécifique, axée sur certains groupes » (1). Indubitablement, la politique sociale sélective menée en Belgique depuis le début des années 80, a été inspirée par ce point de vue. Pour mener au changement, Herman Deleeck utilisait en guise de « levier » et en premier lieu, la recherche scientifique : objective, systématique et loin de tout parti pris. Il était un chercheur rigoureux qui aimait prendre les sciences positives pour modèles : “Notre sensibilité sociale – écrivait-il dans son discours d’adieu – n’est pas seulement une émotion… Partant de la recherche scientifique…, nous voulons rendre service à la société. Une telle sensibilité basée sur les faits objectifs, on l’attend et on l’accepte d’un médecin qui lutte contre le cancer. Le même principe est vala-


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ble pour le chercheur social” (2). Il visait en permanence la plus grande probité intellectuelle. Un moment fort dans sa carrière fut celui où l’un de ses assistants dans sa thèse doctorale contesta, pour des raisons méthodologiques, la norme pour mesurer la pauvreté développée par Herman Deleeck. Deleeck n’était pas vraiment d’accord avec cette critique, mais jamais il ne demanda que fût changé un iota dans le texte. L’assistant, très apprécié par Herman Deleeck, obtint pour sa thèse le Prix PWSegers, avec … Deleeck comme président du jury. Le professeur H. Deleeck était le pionnier de la recherche socio-économique empirique en Belgique. Il fut le premier à réaliser, en 1975, à l’aide d’une enquête à grande échelle auprès de 5.000 ménages un atlas social des ménages flamands. Cette enquête eut lieu au moyen d’un questionnaire qui ne dépassait guère la taille d’une “carte de tram” (il en était très fier, parce qu’il était persuadé que les longs questionnaires fournissent de mauvaises données). L’étendue, les caractéristiques et les déterminants de la pauvreté (il préférait parler d’insécurité d’existence) ont ainsi été mesurés tandis que, pour la première fois, était évaluée l’efficacité de la sécurité sociale. Ainsi était créé un instrument important qui allait permettre de suivre et de comprendre la situation en matière d’inégalité, d’insécurité d’existence et de pauvreté en Belgique. Maintenant que cet instrument est arrivé à maturité, il est transféré à l’INS et au SPF Sécurité Sociale. Avec SILC (Survey on Living Conditions), ils en feront un observatoire officiel annuel. Ainsi s’accompli le souhait le plus cher de Deleeck. A travers les ans, le professeur H. Deleeck a continué à marteler inlassablement combien était nécessaire le développement d’indicateurs sociaux quantitatifs à côté des indicateurs économiques (PNB, inflation, etc.). Il avait beaucoup d’influence, y compris aux Pays-Bas (en témoigne sa chaire à Leiden) et en Europe. Bien longtemps avant que ne fût utilisée la Méthode de Coordination Ouverte en tant qu’instrument de politique sociale, il suivait la piste de la convergence autour d’objectifs sociaux au lieu de l’ancienne idée d’harmonisation des systèmes de sécurité sociale (parce que ‘non réalisable, inutile et non souhaitable’). Il fut le premier à développer des indicateurs sociaux comparables pour différents Etats membres de l’UE. Une décennie plus tard (sous l’impulsion de Frank Vandenbroucke pendant la présidence belge de 2001), il a été décidé de recourir à des indicateurs sociaux au niveau européen pour mettre en cartes les performances sociales des Etats membres. Difficile de s’imaginer une plus belle poursuite de l’œuvre de vie de Deleeck. (Traduction) Bea Cantillon __________ (1) Deleeck, H. (2002), ‘Dood en verdeling. Over sociale ongelijkheid in ziekte, zorg en dood’, Streven (à paraître) (2) Deleeck, H. (1993), Het sociale zekerheidonderzoek. Een terugblik naar de toekomst, Cours d’adieu tenu par le professeur H. Deleeck, le 29 octobre 1993, Acco : Louvain.


IN MEMORIAM

HERMAN DELEECK, DE LA SECURITE SOCIALE AU « SOCIAL PROTECTION » Les médias ont accordé beaucoup d’attention au décès d’Herman Deleeck. La télévision, tout comme les quotidiens et les hebdomadaires n’ont pas manqué de souligner l’influence innovatrice et inspirante qu’il a exercée et sur la politique sociale belge et flamande et, surtout, sur la réflexion sur l’Etat providence et la sécurité sociale. Au-delà de cet intérêt directement visible et de cet hommage rendu à juste titre, une revue scientifique axée sur la politique sociale, comme la Revue belge de Sécurité sociale, se prête à chercher la signification plus large, plus profonde et plus durable de sa pensée et de ses actes. L’expert politique qu’était Herman Deleeck aurait sans doute aimé critiquer lui-même l’étrécissement et l’accaparement de son héritage spirituel ; il l’aurait placé, avec tout l’humour qui était le sien, dans un contexte général. Or, la RBSS offre, précisément, une plate-forme autorisant une interprétation pertinente de son oeuvre scientifique. Ce trimestriel lui tenait, en effet, à cœur : jusque peu avant sa mort, il continuait à le suivre avec attention et à le pourvoir de ses conseils éclairés. La signification, plus large, de l’œuvre d’Herman Deleeck couvre les trois champs du métier académique : l’enseignement, la recherche et l’utilité sociétale. Son enseignement, il ne le dispensait pas seulement à Anvers mais bien, sinon plus, à Louvain. Il y avait pour auditoire des cohortes d’étudiants devant qui il pouvait donner libre cours à ses talents d’orateur. C’est, aussi, parce qu’il y avait cette foule d’étudiants qu’aujourd’hui les trois quarts des experts flamands en sciences sociales ont eu Herman Deleeck comme professeur. Cette pépinière a contribué à l’ancrage profond de sa pensée. Ses étudiants néerlandais de Leiden étaient peu nombreux ; sur le plan intellectuel, il a cependant appris à savourer ces échanges : imaginezvous, des étudiants qui osent enfin donner la répartie et qui font finement remarquer qu’à y regarder de plus près, le néerlandais de leur professeur ne dit pas précisément ce qu’il veut dire. Sur le plan de la recherche, pour des raisons de facilité, on fait couramment référence au Centrum voor Sociaal Beleid d’Anvers. A vrai dire, et pour le situer dans un contexte plus large, il faut rappeler que les chercheurs qui y travaillaient provenaient d’horizons fort variés; les premiers recrutements venaient de Louvain puis, aussi, d’Anvers et de Gand et il y avait même un - seul - étranger… Ce ‘melting-pot’ a longtemps préservé le Centrum de toute tentation nombriliste. Hors du Centrum, les doctorants d’Herman Deleeck, ont, eux aussi, aidé ‘le maître’ à conserver, parfois malgré lui, toute sa vivacité intellectuelle. La plupart des chercheurs du Centrum ont ensuite, à leur tour, essaimé pour partager leurs connaissances et expertise avec les cercles politiques, économiques, avec la société civile et avec l’université. D’ailleurs, au Centre même, le directeur Deleeck n’était pas tant un chercheur qu’un directeur de recherche. Les textes de ses collaborateurs n’ont jamais été tant amendés que lorsqu’il était membre du sénat et qu’il parvenait ainsi à mettre utilement à profit les interminables séances plénières. Les résultats des recherches trouvaient, d’ailleurs, un écho moins dans les milieux scientifiques que dans les commis-


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sions politiques. Les initiatives axées sur l’innovation de la politique sociale comme la Commission Royale pour la réforme de la Sécurité sociale ou le projet Sociura, tous deux sous la présidence du recteur de Louvain Dillemans, offraient à cet égard les plates-formes nécessaires. A présent, mettons le champ de l’utilité sociétale dans notre ligne de mire. Contrairement à ce que l’on pense communément, Herman Deleeck n’était pas tant un scientifique qu’un théoricien de la politique sociale. Il s’intéressait effectivement aux faits et aux données, mais ils devaient servir à identifier et à quantifier un problème politique, voire à vérifier le caractère fonctionnel et l’efficacité des alternatives de politique sociale, et non à vérifier une théorie. Comme nul autre, il comprenait cependant l’art d’agrémenter ses propositions politiques d’une légitimité et d’une plausibilité scientifiques et de donner aux activités de recherche de ses collaborateurs une traduction sur le plan de la politique à suivre. La signification de son oeuvre n’était pas seulement plus large mais encore plus profonde que l’on ne voudrait le penser. A l’instar de ses homologues étrangers, Herman Deleeck était un représentant de la culture politique sociale dans laquelle il baignait. Dans la lignée de la tradition belge, où l’étude de la sécurité sociale était surtout affaire de juristes, il portait principalement son attention – sans doute aidé en cela par sa formation juridique – sur la description, les aspects institutionnels et les effets directs. Pour lui, expliquer le pourquoi et le comment des résultats obtenus consistait essentiellement à fournir une interprétation inspirée plutôt qu’une démonstration scientifique. Tout comme ses homologues étrangers, sa force résidait dans l’audace d’aborder à contre-courant la politique qu’il observait autour de lui. Comme Titmuss au Royaume-Uni devint, à contre-courant, le défenseur des prestations liées aux salaires et Veldkamp aux Pays-Bas le promoteur des assurances de base, Herman Deleeck se fit l’avocat de la protection minimale - inexistante alors. Cette émancipation du mouvement ouvrier dont il était issu, fut respectée par ce même mouvement qui, par ailleurs, s’en étonna. Cet esprit de contradiction était déjà perceptible dans sa thèse de doctorat. Lors de son cours d’adieu, il admit que le thème du fonctionnement redistributeur de la sécurité sociale reposait sur un malentendu. Jamais, la sécurité sociale n’avait été pensée en vue d’engendrer un effet redistributeur vertical. C’est pourtant à la recherche de cet effet qu’il s’était adonné, a contrario. Considérant l’ensemble de sa carrière, Herman Deleeck apparaît comme un représentant brillant de la difficile émancipation scientifique en Flandre. Poussé initialement par la volonté d’améliorer le sort des travailleurs salariés (du fait de son passé ACW/MOC), de prôner l’égalité des chances (démocratisation de l’enseignement) et d’élever le peuple flamand, il mit sur pied ses premiers projets de recherche dans un contexte flamand et belge en vue d’amender la politique menée dans ces domaines. Il parviendra progressivement à s’extraire de ce cocon. Même si son habitat naturel reste l’orientation politique, il abordera d’abord la discussion scientifique sur le plan national et osera, après quelques réserves, également l’approcher sur le plan


IN MEMORIAM

international. Ses principaux collaborateurs, ses étudiants de Leiden et les collègues étrangers avec qui il se familiarisa peu à peu – et, horrescit referens, qui parlaient surtout anglais - l’ont aidé à franchir cette étape. Le Flamand s’est mué en Européen, le penseur politique était en quête d’horizons plus étendus. Le chemin qu’il a, ainsi, accompli force particulièrement l’admiration ; il mérite d’être suivi. Ce faisant, nous nous souviendrons de lui. (Traduction) Jos Berghman. __________


SOMMAIRE AVANT-PROPOS

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DEPART ANTICIPE DES TRAVAILLEURS AGES EN BELGIQUE GERHARD GIESELINK, YVES STEVENS en BEA VAN BUGGENHOUT

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STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE. L’IMPACT DES REFORMES DE LA SECURITE SOCIALE ET DE LA FISCALITE SUR LE PIEGE A L’EMPLOI EN BELGIQUE 619 LIEVE DE LATHOUWER et KRISTEL BOGAERTS ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL ET ATELIERS SOCIAUX : UNE ANALYSE DE CLASSIFICATION DES PUBLICS CIBLES EN TERME DE CARACTERISTIQUES INDIVIDUELLES ET DE TAUX D’INSERTION 703 ANNA D’ADDIO et ARNAUD PINXTEREN LE PARCOURS D’INSERTION AUGMENTE-T-IL LES CHANCES DES CHOMEURS DANS LEUR RECHERCHE D’UN EMPLOI ? L’INFLUENCE DE L’INTEGRITE, DE LA PARTICIPATION ET DE LA CONFIANCE SUR LA PERCEPTION DES CHANCES JOHN VON GRUMBKOW et ERIC RAMAEKERS SERVICES DE PROXIMITE : ACTIVER LES CHOMEURS OU SOUTENIR LA DEMANDE ? MARIE-DENISE ZACHARY et BERNARD CONTER LA SITUATION ATYPIQUE DES INDEPENDANTS DANS LE CHAMP DE LA SECURITE SOCIALE : QUELS ENSEIGNEMENTS EN TIRER POUR D’AUTRES GROUPES DE TRAVAILLEURS ATYPIQUES ? PAUL SCHOUKENS

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LES DEVELOPPEMENTS DE L’EUROPE SOCIALE L’UE ET LA PROTECTION SOCIALE : QUE DEVRAIT PROPOSER LA CONVENTION EUROPEENNE ? FRANK VANDENBROUCKE MOBILITE DES PATIENTS ET REPONSES POLITIQUES DE L’UE RITA BAETEN L’INFLUENCE DE LEGISLATION DE L’UE SUR LA NATURE DES SYSTEMES DE SOINS DE SANTE DANS L’UNION EUROPEENNE ELIAS MOSSIALOS, MARTIN MCKEE, WILLY PALM, BEATRIX KARL et FRANZ MARHOLD LE SERVICE NATIONAL DE SANTE BRITANNIQUE : APERCU POLITIQUE ET HISTORIQUE MICK CARPENTER LA CONVERGENCE EUROPEENNE CONFRONTEE AUX DISPARITES NATIONALES. LES DISPARITES EN MATIERE DE PRESTATIONS DANS LES PAYS DE L’UNION EUROPEENNE MARIE-FRANCE LAROQUE

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PROJETS DE RECHERCHE 931 BIBLIOGRAPHIE 947 ABSTRACTS 957


AVANT-PROPOS

AVANT-PROPOS La Revue belge de sécurité sociale clôture sa 44ème année d’existence avec un numéro thématique consacré à la relation entre emploi et protection sociale. C’est consciemment que la rédaction a choisi de publier, y compris à l’avenir, des numéros à thèmes et, ainsi, de viser une diversité de contributions intéressantes autour d’un sujet d’actualité, pertinent et bien ciblé. Il est passionnant et utile d’éclairer, sous forme de juxtaposition, diverses facettes d’un phénomène ou d’étudier un sujet précis à partir de différents angles d’attaque. Non seulement, ceci est susceptible d’élargir l’offre d’informations, mais l’opposition des opinions aide également à enrichir les points de vue et à stimuler études et discussions ultérieures. Au milieu des années septante, nous avons assisté en Belgique aux premiers départs anticipés massifs des travailleurs âgés, départs largement encouragés pour remédier à la problématique du chômage. Les auteurs Gerard Gieselink, Yves Stevens et Bea Van Buggenhout étudient et décrivent ce phénomène ; aujourd’hui encore, ils discernent quatre grandes « voies de sortie anticipée », parmi lesquelles la ‘prépension Canada-dry’. Ils montrent que la diversité de ces voies fait que toute tentative de limiter ces départs exige une approche globale et nuancée. Lieve De Lathouwer et Kristel Bogaerts examinent l’évolution du piège à l’emploi et l’effet des mesures prises en matière de sécurité sociale et de fiscalité sur l’emploi des personnes à faible potentiel de gain. Elles analysent le piège à l’emploi au cours des années nonante et examinent comment ce problème est arrivé sur l’agenda politique belge. Anna C. D’Addio et Arnaud Pinxteren approfondissent deux programmes d’intervention active sur le côté « offre du marché de l’emploi » : les initiatives d’insertion ‘Entreprises de Formation par le Travail’ en Wallonie et les ‘Sociale Werkplaatsen’ en Flandre. Alors que la politique antérieure en matière de chômage visait simplement à offrir un revenu de remplacement, ces initiatives ont représenté un véritable tournant. L’accent s’est de plus en plus porté sur une intervention active visant à (ré)intégrer professionnellement et socialement les personnes faiblement qualifiées et les inactifs. Le ‘parcours d’insertion’ est une autre forme particulière d’insertion. Constatant que certaines catégories déterminées de demandeurs d’emploi ne trouvent pas leur salut dans les programmes existants en faveur de l’emploi, cette méthodologie a été développée en prônant une approche individualisée et axée sur le comportement.

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REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

Parce que la confiance en soi et l’autoperception du demandeur d’emploi sont des facteurs décisifs dans le cadre de l’emploi, Jasper von Grumbkow et Eric Ramaekers ont examiné dans quelle mesure le parcours d’insertion renforce la confiance des demandeurs d’emploi dans leurs chances de trouver un travail. La politique nationale en faveur de l’emploi déploie également des initiatives d’activation propres pour faire face au chômage. Les Agences locales pour l’emploi (ALE) ont été instituées par les pouvoirs publics avec un objectif double : répondre aux besoins non remplis par le circuit régulier du travail (les ‘petits boulots’, garde des enfants, etc.) et (re)mettre les chômeurs de longue durée en contact avec le monde du travail. Outre les conséquences positives de cette mesure, Bernard Conter et Marie-Denise Zachary mettent également le doigt sur un certain nombre de points faibles et d’effets non désirés. Toutefois, une nouvelle initiative – l’introduction des titres-services, qui poursuit la même finalité que les ALE – semble en mesure de remédier à ces défauts. La contribution de Paul Schoukens clôture la première partie de ce numéro et présente un ensemble des techniques que les Etats utilisent dans l’élaboration d’une sécurité sociale pour travailleurs indépendants. L’avènement et l’essor d’une multitude de formes de travail atypique (par exemple : travail à temps partiel, télétravail, travail temporaire, etc. ) n’ont en rien simplifié la complexité de l’application de la sécurité sociale traditionnelle calquée sur le modèle classique du travailleur salarié. L’auteur a beau être convaincu que les règles de base doivent être identiques pour les travailleurs indépendants et les travailleurs salariés, il est favorable au développement d’une sécurité sociale adaptée aux spécificités de toutes les catégories professionnelles, travailleurs atypiques y compris. La rubrique désormais familière ‘Les développements de l’Europe sociale’ s’ouvre avec la contribution du ministre des Affaires Sociales et des Pensions, Frank Vandenbroucke, qui approfondit l’influence qu’exerce l’U.E. sur la politique nationale des Etats membres sur le terrain de la protection sociale. Le ministre en arrive à conclure que les Etats membres ont abandonné plus de compétences sur le plan de leur politique sociale nationale que l’U.E. n’a gagné de pouvoir en la matière. Ne pas reconnaître et ne pas aborder le problème de ce vide mènent irrémédiablement à de grandes difficultés qui seront encore aggravées avec l’élargissement de l’U.E. Afin d’augmenter l’effectivité décisionnelle, le ministre formule six propositions de changement qui pourraient être reprises dans un nouveau Traité européen. Les quatre articles suivants éclairent, chacun, un volet précis des soins de santé dans un cadre européen. Ainsi, Rita Baeten se penche sur le nouveau phénomène de la mobilité des patients en Europe. 574


AVANT-PROPOS

Dès leur origine, les systèmes publics européens de soins de santé avaient été essentiellement organisés sur le plan territorial. Pour ces 2 dernières années, en réaction à la jurisprudence de la Cour européenne de Justice, nous pouvons observer un certain nombre de changements tant sur le plan de la dispensation des soins que sur celui de la politique menée. Toutefois, il s’avère que les Etats membres ne semblent guère disposés à partager avec l’Europe leurs prérogatives sur tous les plans de la politique des soins de santé. Le rapport d’Elias Mossialos, Martin Mc Kee, Willy Palm, Beatrix Karl et Franz Marhold, dont nous reprenons ici un résumé, plaide pour une politique de santé délibérément européenne à condition de s’accorder sur les principes fondamentaux qui fixent les objectifs des systèmes de santé européens et de mettre le marché intérieur en adéquation avec les objectifs sociaux. La rubrique européenne se conclut sur deux documents informatifs : Mick Carpenter esquisse une image de l’évolution spécifique politique et historique du National Health Service britannique et Marie-France Laroque retrace schématiquement et brièvement certaines tendances au sein des Etats membres dans les domaines des soins médicaux et des pensions. La rédaction souhaite, ici, profiter de l’occasion pour compléter la liste des auteurs de l’article ‘Propositions de réformes dans le régime de pension des travailleurs indépendants. Deuxième rapport du groupe de travail Cantillon’, paru dans le n° 2/2002. Outre B. Cantillon, M. Crop, L. Paeme et G. Perl, il convient également de citer les auteurs suivants : J. De Cock, E. Deloof, G. Grinberg, P. Van der Vorst et J. Verstraeten. __________

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STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE. L’IMPACT DES REFORMES DE LA SECURITE SOCIALE ET DE LA FISCALITE SUR LE PIEGE A L’EMPLOI EN BELGIQUE

619

ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL ET ATELIERS SOCIAUX : UNE ANALYSE DE CLASSIFICATION DES PUBLICS CIBLES EN TERME DE CARACTERISTIQUES INDIVIDUELLES ET DE TAUX D’INSERTION

703

LE PARCOURS D’INSERTION AUGMENTE-T-IL LES CHANCES DES CHOMEURS DANS LEUR RECHERCHE D’UN EMPLOI ? L’INFLUENCE DE L’INTEGRITE, DE LA PARTICIPATION ET DE LA CONFIANCE SUR LA PERCEPTION DES CHANCES

745

SERVICES DE PROXIMITE : ACTIVER LES CHOMEURS OU SOUTENIR LA DEMANDE ?

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LA SITUATION ATYPIQUE DES INDEPENDANTS DANS LE CHAMP DE LA SECURITE SOCIALE : QUELS ENSEIGNEMENTS EN TIRER POUR D’AUTRES GROUPES DE TRAVAILLEURS ATYPIQUES ? 807


DEPART ANTICIPE DES TRAVAILLEURS AGES EN BELGIQUE (1) PAR GERHARD GIESELINK*, YVES STEVENS** et BEA VAN BUGGENHOUT*** * Collaborateur scientifique, Instituut voor sociaal recht KU Leuven ** Docteur en droit, chercheur postuniversitaire, Instituut voor sociaal recht KU Leuven *** Professeur ordinaire, faculté de droit KU Leuven

INTRODUCTION Dans les milieux scientifiques comme dans les milieux politiques, ‘l’Etat social actif’ est un concept en vogue. On entend par là une nouvelle conception de la protection sociale, axée non tant sur le simple octroi de prestations sociales, mais visant avant tout à ‘activer’ le protégé social. Le travail et le revenu qui en résulte composent en effet la forme primaire de la protection sociale. Au coeur du discours sur l’Etat social actif, on trouve la problématique du faible taux de participation au travail. Lors du sommet européen de Lisbonne, des objectifs ambitieux ont été formulés pour la première fois à cet égard. L’objectif ciblé est d’augmenter le taux d’emploi moyen de 61% à 70% d’ici à 2010. Ceci représente une tâche énorme, surtout pour la Belgique où le taux d’emploi atteint à peine 60% (en 2000) (2). Ce taux peu élevé résulte principalement du taux d’emploi particulièrement faible chez les personnes de plus de 50 ans. En 2000, en Belgique, à peine 40% de la population âgée de 50 à 65 ans était encore professionnellement active, un chiffre largement inférieur à la moyenne européenne, qui atteint environ 50% (3). Quant au pourcentage restant, il n’a soit jamais travaillé, soit a quitté le marché de l’emploi prématurément. C’est sur ce dernier phénomène que se penche cette étude. Au cours des dernières années, la faible participation des travailleurs âgés a fait l’objet d’une remise en cause de plus en plus appuyée, et ce pour diverses raisons. La principale question a trait à l’inquiétude concernant la future viabilité financière du système de retraite légale. Au cours des prochaines décennies, l’évolution démographique donnera lieu à une forte augmentation du nombre de retraités, alors que la base de financement sera sensiblement réduite à cause du nombre important de personnes qui sortent du circuit du travail de manière anticipée (4). (1) Ce texte est le résultat d’une étude sur les assurances sociales complémentaires, financée par le fonds de recherche de la K.U. Leuven et la Banque nationale, projet n° 001/01. (2) Chiffres du Steunpunt Werkgelegenheid Arbeid Vorming téléchargés à l’adresse suivante : . (tableau C1) (3) Idem : tableau C6. (4) Concernant cette réflexion ainsi que d’autres présentant le point de vue des parties concernées (syndicats, employeurs, autorités), voir : X., ‘Open forum: eindeloopbaan’, Nieuwsbrief van het steunpunt Werkgelegenheid Arbeid Vorming, n° 1-2 2000, 7-48.

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Ce retrait anticipé massif du marché du travail par les travailleurs, n’est toutefois pas spontanément apparu. Il est en partie le résultat d’une politique délibérée d’encouragement et même d’organisation du départ anticipé. Le présent article a pour but de fournir une vue d’ensemble des mesures prises dans ce domaine. Dans ce cadre, nous avons examiné ce que l’on appelle les différents circuits de départ anticipé. Il s’agit de ‘circuits’, en d’autres termes de formes institutionnalisées de départ anticipé. Notre attention se portera donc non pas tant sur la décision individuelle de quitter prématurément le marché de l’emploi, mais sur les systèmes au sein même de la législation sociale qui facilitent ou organisent le départ anticipé des travailleurs âgés. Par départ anticipé, nous entendons, dans le cadre de cette étude : le fait de quitter de manière complète et définitive le marché de l’emploi avant d’avoir atteint l’âge normal légal de la retraite. Les mécanismes qui permettent de quitter le marché de l’emploi de manière temporaire ou partielle, tels que le crédit-temps, ne sont pas pris en considération. Notre domaine de recherche se limite au régime des travailleurs salariés. Le départ anticipé des fonctionnaires ou des indépendants est donc ignoré. Un premier chapitre examinera cette problématique sous une perspective historique. En matière de départ anticipé, les autorités ont fait preuve d’une grande ingéniosité au cours de ces trente dernières années, laquelle n’a néanmoins pas toujours été de pair avec une constance aussi remarquable. Plusieurs régimes de départ anticipé ont été instaurés et modifiés à maintes reprises pour être finalement remplacés ou supprimés. Le deuxième chapitre vise à déterminer, au moyen de données statistiques, l’importance des circuits de départ anticipé et du départ anticipé en général. Un tableau présente tout d’abord l’évolution décrite au chapitre 1. Ensuite, la situation actuelle en matière de départ anticipé est également analysée au moyen de données chiffrées. Le troisième chapitre décrit le paysage juridique en matière de départ anticipé en 2002. Les différents circuits sont comparés les uns aux autres quant aux conditions d’admission, montant et nature des prestations, obligations de l’employeur, charges parafiscales et statut social de la personne qui sort du circuit du travail de manière anticipée.

1.

3 DECENNIES DE DEPART ANTICIPE Après la Deuxième Guerre Mondiale, la Belgique, à l’instar des autres pays d’Europe occidentale, a connu durant trente ans un formidable essor économique, engendrant sur le marché du travail un équilibre très proche du plein emploi (5). La sécu(5) N. Degimbe, ‘Van kortstondige werkloosheid naar een toestand van permanent werktekort: aanpassing van de grondbeginselen van het stelsel van werkloosheidsverzekering’, in vijftig jaar Sociale Zekerheid…en daarna?, VI: wanneer arbeid schaars wordt, Bruxelles, Bruylant, 1995, 51-54.

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rité sociale belge, qui adopta à cette époque sa forme définitive, était entièrement réglée sur cette constellation socioéconomique. L’âge de la retraite fut uniformément fixé à 65 ans pour les hommes (60 ans pour les femmes). La seule option de départ anticipé envisageable alors était financièrement peu attrayante. La retraite anticipée était possible à partir de 60 ans, mais, dans ce cas, la pension de retraite était réduite de 5% par année d’anticipation et, naturellement, calculée sur la base d’une carrière raccourcie (6). L’assurance-chômage avait également été mise en concordance avec une situation de plein emploi. Le chômage était de nature temporaire, de courte durée et plutôt marginale. L’assurance-chômage portait encore le caractère d’une véritable assurance et accordait un revenu de remplacement pour le cas exceptionnel où quelqu’un se verrait privé de travail indépendamment de sa volonté et durant une courte période (7). Au début des années soixante-dix, cet équilibre fut gravement perturbé suite aux effets de la crise économique. Le chômage n’était désormais plus un phénomène temporaire ou marginal. Il devint une donnée permanente et souvent de longue durée. En outre, le chômage était dans une large mesure concentré sur une catégorie particulière, à savoir les jeunes sortant de l’école. Les actions entreprises par le gouvernement en vue de lutter contre le chômage, à partir de 1975 environ, montrèrent d’emblée une préférence marquée pour les jeunes chômeurs au détriment des chômeurs âgés, voire au détriment des travailleurs âgés (8). La législation de crise visait tant le volet de la demande que le volet de l’offre sur le marché du travail. D’une part, on s’efforçait de stimuler la demande de travail en créant des circuits de travail temporaires (9). Cependant, les travailleurs aînés étaient souvent exclus de ces mesures (10). D’autre part, des efforts délibérés étaient mis en place pour réduire l’offre de travail afin d’assurer un équilibre sur le marché du travail. Cette limitation de l’offre a visé en premier lieu, et, jusqu’à aujourd’hui en priorité, les travailleurs âgés. La création de circuits de départ anticipé a eu pour effet d’éliminer massivement ces travailleurs du marché de l’emploi. Cette priorité accordée aux jeunes chômeurs au détriment des chômeurs âgés et des travailleurs salariés n’est pas une innovation, mais semble au contraire être une constante dans les interventions gouvernementales en une période de déclin économique (11). Ce qui était nouveau, en revanche, c’était l’échelle à laquelle se sont (6) Ancien art. 5 A.R. n° 50 relatif à la pension de retraite et de survie pour les travailleurs, M.B., 27 octobre 1967. (7) Degimbe, o.c.: 55-56. (8) D. Simoens., ‘Hoe pijnloos is de crisis? Kritische analyse van de ontwikkeling van de wetgeving over de sociale zekerheidsprestaties (1976-1979)’, in X.(ed.), Crisiswetgeving en Sociale Zekerheid, Anvers, Kluwer, 1980, 70-82. (9) Pour un aperçu de ces mesures, voir : J. Remy, ‘Het tewerkstellingsbeleid en het bestrijden van de werkloosheid’, dans vijftig jaar Sociale Zekerheid…en daarna?, VI: wanneer arbeid schaars wordt, Bruxelles, Bruylant, 1995, 81-95 (10) Simoens, o.c., 74-82. (11) Voir à ce sujet : J. Van Langendonck., ‘Pushed out of the Cookoo’s Nest. The Preference for Young over Older Workers in Belgian Social en Economic Policy in Times of Recession’, in Reexamining European Manpower Policies, Washington D.C., 1976, 137-157.

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opérés à partir de 1975 le départ anticipé, ainsi que les circuits créés spécialement à cet effet. Ce départ anticipé dirigé reposait sur un large consensus entre gouvernement, travailleurs, employeurs et syndicats. Cette approche permettait aux employeurs de se défaire facilement de leur main-d’oeuvre moins productive mais néanmoins onéreuse du fait de son ancienneté. Les syndicats avaient eux aussi avantage à disposer d’une base rajeunie (12). Les travailleurs, quant à eux, souvent employés dans des professions physiquement très éprouvantes, ont accueilli très favorablement l’idée de quitter le marché de l’emploi prématurément à des conditions financières attractives. Le gouvernement, enfin, voyait dans le départ anticipé l’instrument idéal pour maîtriser le taux de chômage élevé parmi les jeunes (13). Le paysage actuel en matière de départ anticipé est le résultat de plusieurs phases successives. L’ordre séquentiel des phases utilisé ci-après n’est toutefois pas à interpréter au sens strict. Il sert uniquement à présenter de manière plus claire les grands axes de l’évolution du départ anticipé.

1.1.

LA PERIODE 1973-1982 Le taux de chômage élevé des jeunes constituait à l’époque la principale source d’inquiétude. Pour faire face à ce problème, différents régimes de prépension ont été mis sur pied. Ces régimes, qui en majeure partie venaient se greffer sur la réglementation du chômage, visaient la mise à la retraite anticipée des travailleurs âgés qui, à cinq ans près, avaient atteint l’âge légal de la retraite (60 ans pour les hommes, 55 ans pour les femmes). Le travailleur se voyait conférer un statut spécifique de chômeur durant la période de transition courant jusqu’à la retraite. Les régimes élaborés durant cette période revêtaient un caractère fortement expérimental. Ils n’étaient souvent instaurés que pour une durée limitée, avec possibilité de prolongation. Pour l’essentiel, ceci était dû au fait qu’au cours de cette première phase, on partait du principe que le déséquilibre observé sur le marché de l’emploi ne serait probablement que de nature temporaire. La CCT n° 17 relative à la prépension conventionnelle formule ce point de vue de manière explicite. Le commentaire de l’article 13 s’énonce comme suit : “ Les organisations signataires se concerteront entre elles, en vue de modifier ou de mettre fin éventuellement à la présente convention, en cas de modification de la situation actuelle de sous-emploi, en fonction de laquelle la convention a été conçue. (14)” Ceci explique également pourquoi, au cours de cette période, le départ anticipé n’a pas été organisé directement via le système des retraites, mais bien via le régime spécial des prépensions.

(12) Idem. (13) Pour une analyse générale des causes de l’émergence de la retraite anticipée, voir : P. Simoens en J. Denys, Wie werkt nog na vijftig?, Louvain, Davidsfonds, 1995, 34-60. (14) C.C.T. n° 17, 19 décembre 1974, déclarée généralement contraignante par l’A.R du 16 janvier 1975, M.B., 31 janvier 1975.

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1.1.1.

La prépension conventionnelle La première impulsion à l’introduction de régimes de prépension fut donnée lors de la conférence nationale sur l’emploi de 1973. Parmi les conclusions de la conférence figurait la recommandation de convenir, dans le giron du Conseil National du Travail, d’un régime temporaire dans le cadre d’une C.C.T. (15). Cette recommandation a finalement donné lieu à la C.C.T. n° 17 du 19 décembre 1974, qui est toujours en vigueur. La convention prévoit, en cas de licenciement, une indemnité complémentaire à l’allocation de chômage à charge du dernier employeur pour les travailleurs salariés ‘âgés’ de 60 ans (55 pour les femmes) ou plus. Cette indemnité vise à compenser de moitié la différence entre le salaire gagné dans le passé et l’allocation de chômage. Par l’A.R. du 19 février 1975, un statut de chômage spécifique est octroyé aux bénéficiaires de cette indemnité complémentaire (16). En vertu de ce statut, les prépensionnés peuvent bénéficier, jusqu’à l’âge légal de la retraite, d’une indemnité de chômage calculée sur un taux de 60% (17), et sont en outre dispensés d’une série de conditions auxquelles les chômeurs réguliers doivent satisfaire, notamment la disponibilité sur le marché de l’emploi et l’inscription en tant que demandeur d’emploi. La prépension conventionnelle est donc la combinaison de l’indemnité complémentaire et du statut de chômage spécial. L’objectif de la C.C.T. n° 17 était double. D’une part, les partenaires sociaux souhaitaient ainsi libérer des emplois au profit de jeunes chômeurs et, d’autre part, ils souhaitaient rencontrer le souhait de certains travailleurs âgés d’être mis à la retraite avant l’âge de 65 ans moyennant la garantie d’un revenu décent (18). Néanmoins, vu que le travailleur devait attendre son licenciement et qu’il n’existait pas d’obligation dans le chef de l’employeur de le remplacer, le système élaboré dans le cadre de la C.C.T. n’offrait aucune garantie de réalisation de ces objectifs. Comme mentionné plus haut, l’intention initiale était de réserver la prépension conventionnelle aux travailleurs salariés de 60 ans et plus. L’Art. 1er de l’A.R. du 19 février 1975 a cependant créé la possibilité d’élargir sensiblement ce groupe cible. Cet article a également rendu le statut de la prépension accessible aux travailleurs salariés licenciés qui bénéficiaient d’une indemnité complémentaire sur la base d’une C.C.T. sectorielle ou d’entreprise (indépendamment de la CCT N° 17), sans y subordonner une condition d’âge. Cette possibilité a d’ailleurs été exploitée à grande échelle au sein des secteurs et des entreprises. Diverses C.C.T. ont été conclues dans le cadre desquelles l’âge fixé pour l’octroi des indemnités complémentaires était bien inférieur à 60 ans. Dans certains cas, des indemnités complémentaires

(15) P. Breyne, ‘Het Brugpensioen’, Or., 1975: 74. (16) A.R. du 19 février 1975 concernant le droit des travailleurs âgés aux allocations de chômage, M.B., 21 mars 1975. (17) Le taux de calcul de 60% ne produit aucune différence pour les prépensionnés avec charge de famille. Par contre, pour les isolés ou les préretraités cohabitants subsiste une différence importante, étant donné que la dégressivité des allocations de chômage est supprimée. (18) Art. 1 C.C.T. n° 17.

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étaient déjà négociées à partir de 48 ans, un âge auquel une personne peut difficilement être qualifiée de ‘travailleur âgé’ (19). Les entreprises ont ainsi eu l’opportunité de réduire leurs effectifs d’une manière socialement acceptable. En outre, ces mesures ont fait apparaître un large groupe d’ex-travailleurs salariés bénéficiant souvent de manière inconditionnelle et durant plus de dix ans de l’allocation de chômage à 60% ce qui s’est avéré intenable sur le plan budgétaire. Toutefois, il faudra attendre 1983 avant que des premières restrictions ne soient apportées à ce régime.

1.1.2.

La prépension légale Un deuxième circuit de départ anticipé a vu le jour peu après l’instauration de la prépension conventionnelle : la préretraite légale. Le système fut institué à titre expérimental par la loi de redressement du 30 mars 1976 et perpétué ensuite par la loi-programme du 22 décembre 1977 (20). La prépension légale visait le même groupe cible que la prépension conventionnelle, à savoir les travailleurs salariés masculins de 60 ans et plus et féminins de 55 ans et plus (21). De même, les inquiétudes qui étaient à l’origine de l’introduction de la prépension légale étaient identiques à celles qui avaient présidé à l’élaboration de la C.C.T. n° 17, à savoir le chômage des jeunes et le souhait émis par certains travailleurs âgés d’être mis à la retraite de manière anticipée (22). Sur le plan de ces objectifs, ce nouveau régime allait toutefois un pas plus loin que la prépension conventionnelle. Alors que, dans le cadre de la prépension conventionnelle, le travailleur devait attendre son licenciement, il lui était à présent conféré un droit réel à la prépension dès le moment où il atteignait l’âge requis (23). En outre, l’employeur était tenu de remplacer le préretraité par un chômeur de moins de 30 ans (24). Le statut du prépensionné légal était analogue à celui du préretraité conventionnel. Lui aussi était en dernière analyse un chômeur, mais un chômeur bénéficiant d’un statut spécial. Jusqu’à l’âge normal de la retraite, il percevait une indemnité de chômage calculée selon un taux de 60 % et était exempté des conditions imposées par la réglementation du chômage, à savoir le caractère non volontaire du chômage et la disponibilité sur le marché de l’emploi (25). Par ailleurs, le préretraité légal percevait lui aussi une indemnité complémentaire, qui compensait de moitié la différence entre le salaire gagné antérieurement et l’allocation de chômage. Néanmoins, une différence considérable existait entre ces deux statuts. Celle-ci résidait dans le financement de l’indemnité complémentaire,

(19) Voir : A. Leroy, Brugpensioen, Vlezembeek, Focus, 1988: 38. (20) Loi du 30 mars 1976 relative aux mesures de redressement économique, M.B., 1er avril 1976 ; Loi du 22 décembre 1977 relative aux propositions budgétaires 1977-1978, M.B., 24 décembre 1977. (21) Art. 68, Loi du 22 décembre 1977. (22) Voir : Rapport de Commission, Documents parlementaires., Chambre, 1975-1976, n° 16, 10-12. (23) Art. 69, Loi 22 décembre 1977. (24) Art. 70, Loi du 22 décembre 1977. (25) Art. 7 et 9, A.R. du 27 décembre 1977 d’exécution de la section 2 – Prépension légale – du chapitre III de la loi du 22 décembre 1977 relative aux propositions budgétaires 1977-1978, M.B., 31 décembre 1977.

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qui dans le cas du prépensionné légal, était laissé intégralement à la charge de l’Etat (26). Cette particularité, associée au droit du travailleur âgé à faire usage de ce régime, a fait de la préretraite légale une mesure onéreuse qui allait finir par être victime de son propre succès. En 1982, le régime de prépension légale ne fut plus prolongé. Il fut remplacé par la pension de préretraite (cf. infra 1.2).

1.1.3.

Les régimes spécifiques de prépension Les deux régimes largement analogues de préretraite spéciale furent les deux derniers circuits de départ anticipé qui furent instaurés au cours de cette période. Le premier s’adressait aux chômeurs âgés, le second aux invalides âgés. Ils furent établis par la loi-programme de 1977 (27). Les régimes spécifiques de préretraite poursuivaient un objectif différent des régimes de prépension conventionnelle et de préretraite légale. Ils entendaient réagir face à une situation paradoxale où, d’un côté, des travailleurs salariés dotés d’une capacité de travail normale disposaient de la possibilité de quitter le marché de l’emploi de manière anticipée, via la prépension légale ou conventionnelle, alors que, de l’autre, des travailleurs salariés dont les chances de réinsertion étaient limitées, par exemple les chômeurs et les invalides âgés, se voyaient privés de cette opportunité et étaient donc toujours considérés comme demandeurs d’emploi (28). Contrairement à ces deux régimes de prépension abordés plus haut, la préretraite spéciale était une pension réelle, mais dans laquelle les effets préjudiciables de l’anticipation étaient atténués. Ces régimes étaient accessibles aux chômeurs âgés de longue durée et aux invalides âgés qui demandaient leur retraite anticipée, c’est-à-dire au plus tôt à partir de 60 ans pour les hommes et de 55 ans pour les femmes (29). La pension de retraite qu’ils percevaient était calculée selon les règles de réduction normales (30). En outre, les préretraités spéciaux avaient droit à un montant supplémentaire. Ce supplément compensait en tout premier lieu la réduction de la pension de retraite de 5%. Cet avantage était conservé à vie. De plus, les bénéficiaires se voyaient garantir, jusqu’à l’âge normal de la retraite, une allocation égale à l’allocation de chômage majorée de 1000 BEF par mois (31). Aucun des deux régimes de préretraite spéciale était destiné à une longue carrière. Directement après 1978, le régime pour les invalides âgés ne fut plus prolongé. Le régime pour les chômeurs âgés perdura jusqu’au 31 mars 1982.

(26) Art. 74, Loi 22 décembre 1977. (27) Loi du 22 décembre 1977 relative aux propositions budgétaires 1977-1978, M.B., 24 décembre 1977. (28) Exposé des motifs, Documents parlementaires, Chambre, 1977-1978, n°1, 36-37. (29) Art. 101 et art 161, loi du 22 décembre 1977 et art. 8, A.R. du 27 décembre 1977 portant exécution du chapitre III, section 5 – prépension spéciale pour chômeurs âgés – et du chapitre V, section 6 – prépension spéciale pour invalides âgés – de la loi du 22 décembre 1977 relative aux propositions budgétaires 1977-1978, M.B., 31 décembre 1977. (30) Art. 101 et art. 161, Loi du 22 décembre 1977 et art. 1 à 6, A.R. du 27 décembre 1977. (31) Idem.

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1.2.

LA PERIODE 1982-1989 Au début des années quatre-vingt, il apparut clairement que l’excédent de maind’oeuvre n’était pas de nature transitoire. La “modification de la situation actuelle de sous-emploi” dont il était encore tenu compte lors de l’élaboration de la C.C.T. n° 17 ne s’était pas produite, bien au contraire. Cette constatation a incité à revoir la politique en matière de départ anticipé. Les circuits utilisés jusqu’alors avaient en effet un caractère exceptionnel visant à résorber l’excédent temporaire de maind’oeuvre. Lorsque l’on réalisa le caractère permanent de ce sur-plus, l’attention, focalisée sur ces circuits de départ spéciaux conjugués au régime du chômage, se déplaça lentement vers le secteur des pensions. Bien qu’il n’ait jamais été question d’abaisser réellement l’âge de la retraite à 60 ans, des efforts furent consentis durant cette période pour faire face au départ anticipé des travailleurs salariés à partir de 60 ans via le régime des retraites, une tendance qui débouchera finalement sur l’instauration d’un âge de retraite flexible (cf. infra 1.3). Cette évolution tient essentiellement au fait que les circuits de départ spéciaux s’étaient avérés trop onéreux et qu’ils n’étaient a fortiori pas aptes à faire face à un excédent permanent de maind’oeuvre. Les inquiétudes en matière d’(de) (dés)équilibre budgétaire ont motivé la plupart des mesures décrétées au cours de cette période. Une deuxième tendance importante s’est profilée durant cette période : l’élargissement du groupe cible visé par le départ anticipé. Au cours de la période précédente, le départ anticipé s’adressait essentiellement aux travailleurs âgés. Cependant, à mesure que la crise se prolongeait, le groupe des chômeurs âgés de longue durée, qui n’avaient que peu de chances de réinsertion, allait croissant. A partir de 1984, les mesures politiques en matière de départ anticipé viseraient également ce groupe.

1.2.1.

La pension de préretraite La réorientation du départ anticipé sur la réglementation des retraites, pour la première fois, s’exprima avec force avec l’introduction de la pension de préretraite par l’A.R. n° 95 du 28 septembre 1982, qui remplaçait la préretraite légale (32). Tout comme la préretraite spéciale, la pension de préretraite était en dernière analyse une pension de retraite (anticipée) réelle qui supprimait les effets préjudiciables de l’anticipation. En premier lieu, la réduction de 5% par année d’anticipation n’était pas appliquée. En outre, les années comprises entre la prise de prépension et l’âge légal de la retraite (65 ans) sont considérées comme une période assimilée pour le calcul du montant de la pension de retraite (33). Le bénéficiaire de la pension de préretraite jouissait du statut de retraité, notamment en ce qui concerne le travail autorisé. La pension de préretraite n’était accessible qu’aux travailleurs salariés âgés d’au moins 60 ans, excluant par conséquent de son champ d’application les travail(32) A.R. n° 95, 28 septembre 1982 concernant la pension de préretraite pour les travailleurs, M.B., 29 septembre 1982. (33) Art. 1 A.R. n° 95.

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leurs salariés féminins. La création de la pension de préretraite servait plusieurs objectifs. Tout d’abord, la pension de préretraite était, tout comme les autres circuits de départ anticipé, une mesure destinée à lutter contre le chômage par le biais d’une redistribution du travail disponible. Ensuite, ce régime visait à conférer aux travailleurs salariés âgés d’au moins 60 ans le droit de choisir le moment de leur mise à la retraite (34). Toutefois, à la différence de la préretraite légale, ce régime n’impliquait pas de droit inconditionnel à la pension de préretraite. Le droit à la prépension était rendu tributaire de l’engagement de l’employeur à remplacer le bénéficiaire de la pension de préretraite par un chômeur (35). Le troisième objectif, quoique non explicite, était indubitablement de nature budgétaire. De fait, la pension de préretraite, qui avait pris la place de la prépension légale, avait permis une série d’importantes économies. Celles-ci résultaient en premier lieu du groupe cible plus restreint (composé exclusivement d’hommes) et du fait qu’il n’existait pas de droit inconditionnel à cette pension de préretraite. En outre, la pension de préretraite était calculée sur le salaire moyen, alors que la prépension légale était calculée sur le dernier salaire.

1.2.2.

Restrictions en matière de prépensions Parmi les différents systèmes de prépension, le régime de prépension conventionnelle fut le seul à être maintenu après 1982. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, l’A.R. du 19 février 1975 n’imposant aucune limite d’âge pour l’octroi de cet avantageux statut de prépension, un large groupe de très jeunes prépensionnés avait émergé durant la période antérieure à 1983. La lourde charge financière que cette situation impliquait pour la réglementation du chômage n’était pas tenable à long terme (36). C’est la raison pour laquelle différents amendements ont été apportés à partir de 1983 en vue de limiter l’accès à ce régime. La première et principale limitation consistait en l’introduction d’une limite d’âge. Dans un premier temps, l’A.R. du 18 juillet 1983 fixait l’âge minimal à 55 ans. Au cours des années qui suivirent, plusieurs arrêtés royaux élevèrent l’âge minimal jusqu’à 58 ans (37). L’augmentation de l’âge minimal était toutefois assortie d’une série d’exceptions. Les principales exceptions, toujours d’application aujourd’hui, concernent les entreprises en difficulté ou en restructuration qui, sous certaines conditions, peuvent mettre leurs travailleurs à la retraite à un âge plus jeune (38).

(34) Rapport au Roi dans le cadre de l’A.R. n° 95. (35) Art. 1 A.R. n° 95. (36) Voir : préambule A.R. du 18 juillet 1983 relatif au droit aux allocations de chômage des travailleurs licenciés de 55 ans et plus, M.B., 27 juillet 1983. (37) Art. 2 A.R. du 20 août 1986 relatif à l’octroi d’allocations de chômage en cas de prépension conventionnelle, M.B., 10 septembre 1986 ; Art. 2 A.R. du 22 octobre 1987 portant modification de l’A.R. du 20 août 1986 relatif à l’octroi d’allocations de chômage en cas de prépension conventionnelle, M.B., 17 novembre 1987. (38) Introduites pour la première fois par l’art. 2 A.R. du 1er février 1984 relatif au droit aux allocations de chômage des travailleurs âgés, M.B., 15 février 1984.

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Une deuxième restriction fut introduite par l’A.R. du 30 août 1985 (39). Cet A.R. rendait l’obtention de cet avantageux statut de prépension tributaire de l’engagement de l’employeur à remplacer le bénéficiaire de la prépension par un chômeur. Si l’employeur ne respectait pas cet engagement, le travailleur licencié était indemnisé au même titre qu’un chômeur classique. Ici aussi, des exceptions étaient prévues pour des entreprises en difficulté ou en restructuration (40). Une troisième modification importante apportée durant cette période avait trait à l’introduction d’un nombre minimal d’années de service pour l’obtention du statut de préretraité : 5 ans auprès du dernier employeur, 10 ans au sein du secteur ou 20 ans de travail salarié (41). Après l’introduction de ces mesures restrictives successives, le régime de préretraite restera pour une large part inchangé jusqu’environ 1990. En raison principalement de l’augmentation de la limite d’âge, la prépension conventionnelle s’est lentement rapprochée de l’âge de la retraite anticipée. Par conséquent, la préretraite ne fut plus associée au chômage mais fut plutôt considérée comme une forme de mise à la retraite anticipée. L’A.R. du 20 août 1986 poussait cette logique encore plus loin : sur le plan du travail autorisé, le statut conféré au prépensionné conventionnel était celui de retraité (42).

1.2.3.

Vers un statut pour les chômeurs âgés Outre le groupe des travailleurs âgés qui pouvait quitter de manière anticipée le marché de l’emploi via les circuits existants, il y avait encore un groupe important de chômeurs âgés qui ne pouvaient profiter de cette possibilité du fait de la suppression de la préretraite spéciale en 1982. Dans de nombreux cas, il s’agissait de chômeurs de longue durée qui n’avaient que très peu de chance de réinsertion. Cependant, ils étaient soumis à la réglementation de chômage normale. En d’autres termes, malgré leur position de faiblesse sur le marché du travail, ils étaient considérés comme des demandeurs d’emploi et risquaient donc une possible exclusion à cause de la durée anormalement longue de leur statut de chômeur. L’A.R. du 29 décembre 1984 visait à apporter une réponse à ce problème (43). Cet A.R. exemptait les chô(39) A.R. du 30 août 1985 portant nouvelle réglementation de l’octroi d’allocations de chômage en cas de prépension conventionnelle, M.B., 7 décembre 1985. (40) Art. 7 et 8 de l’ A.R. du 30 août 1985. (41) Art. 2 de l’A.R. du 20 août 1986 relatif à l’octroi d’allocations de chômage en cas de prépension conventionnelle, M.B., 10 septembre 1986 (42) Art. 12 §2 de l’A.R. du 20 août 1986. (43) A.R. du 29 décembre 1984 insérant une section II bis – droit aux allocations de chômage des chômeurs âgés - et une section II ter – droit aux allocations de chômage des chômeurs ayant une aptitude au travail réduite – dans le titre III, chapitre I, de l’Arrêté Royal du 20 décembre 1963 relatif à l’emploi et au chômage, M.B., 18 janvier 1985. Voir en particulier le préambule : “considérant qu’il s’impose de prendre sans retard des mesures supprimant la faculté d’exclure du bénéfice des allocations de chômage pour cause de chômage de durée ou de fréquence anormales, des chômeurs âgés dont les possibilités de reclassement sont réduites”.

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meurs âgés qui introduisaient une demande à cet effet d’une série de conditions et d’obligations imposées par la réglementation du chômage. Ainsi, ils n’étaient plus tenus de s’inscrire en tant que demandeurs d’emploi et ne devaient plus être disponibles sur le marché du travail. Cette option était ouverte aux chômeurs de longue durée à partir de l’âge de 55 ans (44). Les chômeurs de longue durée âgés de 50 à 55 pouvaient également bénéficier de ce régime d’exemption. Ils devaient cependant fournir la preuve d’une aptitude au travail réduite permanente (45).

1.3.

LA PERIODE 1989-1995 Au cours de ces années, les tendances qui avaient vu le jour au cours de la période précédente se sont renforcées. L’évolution en direction du secteur des pensions de retraite, déjà amorcée avec le développement de la pension de préretraite, se poursuivit et trouva un champ d’application beaucoup plus large avec l’instauration de l’âge de retraite flexible. En raison de considérations essentiellement budgétaires, des efforts avaient été entrepris au cours de la période précédente pour freiner le succès de la prépension conventionnelle. Le durcissement des conditions d’accès s’est poursuivi au cours de cette phase. On tenta toutefois de rendre ce régime moins attrayant, pour l’essentiel, en introduisant la parafiscalité dans le secteur des préretraites. C’est au cours de cette période qu’ont été instaurées différentes cotisations et retenues sur la prestation de préretraite. Le fait de limiter ainsi le flux des nouveaux prépensionnés, n’a toutefois pas diminué la demande des départs anticipés. Cette mesure eut plutôt pour effet de grossir encore davantage le groupe de chômeurs âgés, qui ne pouvaient prétendre à la prépension. Ce groupe pouvait certes quitter le marché de l’emploi via le statut de chômeur âgé, mais à des conditions financières sensiblement moins séduisantes que pour les prépensionnés. La pression syndicale fut un autre moyen mis en oeuvre durant cette troisième phase pour améliorer, outre le statut du chômage des chômeurs âgés (en matière d’exemptions), également leur situation financière.

1.3.1.

L’âge de retraite flexible L’excédent permanent de main-d’œuvre sur le marché du travail avait lancé le débat, au milieu des années quatre-vingt, sur un éventuel abaissement de l’âge de la retraite. Un consensus était apparu relativement vite autour du concept d’un âge flexible pour la retraite, lequel permettrait de manière égale aux hommes et aux femmes de déterminer eux-mêmes, dans certaines limites, la date de leur mise à la retraite. En vue de l’introduction d’un tel système, le régime des retraites avait déjà subi plusieurs adaptations au cours des années précédentes. Premièrement, la possibilité de retraite anticipée pour les femmes à partir de 55 ans fut supprimée en 1986 (46). (44) Art. 2 de l’A.R. du 29 décembre 1984. (45) Art. 5 de l’A.R. du 29 décembre 1984. Cette condition d’aptitude réduite doit cependant être relativisée, étant donné qu’une capacité de travail réduite de 1% était déjà suffisante. (46) Art. 2 de l’A.R. n° 415 du 16 juillet 1986 modifiant certaines dispositions en matière de pensions pour travailleurs salariés, M.B., 30 juillet 1986.

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Ensuite, la loi-programme de 1989 rendit le régime de la pension de préretraite moins attrayant. En effet, les années fictives entre 60 et 65 ans ne seraient dorénavant plus prises en compte pour le calcul de la pension de préretraite (47). La voie vers l’âge flexible de la retraite était donc ouverte. Cette mesure fut concrétisée dans la loi du 20 juillet 1990 (48). Le nouveau système conférait aux hommes et aux femmes le droit de déterminer librement, entre 60 et 65 ans, leur date de mise à la retraite. Toutefois, l’égalité entre sexes ne fut pas poussée jusqu’au niveau du calcul de la pension de retraite : la différence de calcul était effectivement maintenue, 40ème pour les femmes et 45ème pour les hommes. Cette distinction conduirait finalement le système à sa perte (cf. infra 1.4). Etant donné que le nouveau régime ne prévoyait plus un âge de retraite normal, ni même de retraite anticipée, le coefficient d’anticipation de 5% par an fut supprimé. De même, le régime de la pension de préretraite, qui visait essentiellement à annuler les effets préjudiciables de l’anticipation, fut aboli par la loi du 20 juillet 1990. Le libre choix en matière d’entrée en vigueur de la retraite s’appliquait tant aux travailleurs salariés qu’aux chômeurs et aux invalides, mais non aux prépensionnés. On souhaitait ainsi éviter que les employeurs - débiteurs de l’indemnité complémentaire de prépension – puissent se soustraire à leurs obligations financières en laissant leur ancien travailleur prendre sa retraite à 60 ans (49). La motivation de l’introduction de l’âge flexible de la retraite était double. D’une part, la conviction que les régimes spécifiques de prépension et de la pension de préretraite n’étaient pas aptes à compenser de manière permanente un déséquilibre sur le marché de l’emploi. D’autre part, en raison des différents circuits de départ anticipé, une certaine flexibilité était déjà apparue de facto au niveau de l’entrée en vigueur de la mise à la retraite. Toutefois, lorsque cette flexibilité était dictée par des impératifs économiques, on souhaitait, via l’âge de retraite flexible, laisser le choix au travailleur (50).

1.3.2.

Une réglementation plus stricte en matière de prépensions Avec l’A.R. du 16 novembre 1990 (51), le régime de la prépension fut soumis à une modification importante. Le premier durcissement imposé par cet A.R. concernait l’ancienneté requise. Désormais, la prépension ne serait plus accordée qu’aux travailleurs salariés pouvant justifier de 25 années de travail salarié. Des conditions

(47) Art. 251, 2° Loi-programme du 22 décembre 1989, M.B., 30 décembre 1989. (48) Loi du 20 juillet 1990 instaurant un âge flexible de la retraite pour les travailleurs salariés et adaptant les pensions des travailleurs salariés à l’évolution du bien-être général, M.B., 15 août 1990. (49) Art 2 §2 de la Loi du 20 juillet 1990. (50) Exposé des motifs, Documents parlementaires, Chambre, 1989-1990, 1175/1, 5. (51) A.R. du 16 novembre 1990 relatif à l’octroi d’allocations de chômage en cas de prépension conventionnelle, M.B., 23 novembre 1990.

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d’ancienneté plus souples s’appliquaient aux personnes de plus de 60 ans, ainsi qu’aux travailleurs salariés employés dans une entreprise en difficulté ou en restructuration (52). Par ailleurs, l’A.R. introduisait pour l’employeur une obligation de remplacement effectif. Le droit au statut de prépensionné était ainsi dissocié du bon vouloir de l’employeur de remplacer ou non le travailleur licencié. L’obligation de remplacement n’était pas de mise si le travailleur licencié était âgé de 60 ans ou plus. Pour le reste, des exceptions à l’obligation de remplacement étaient envisageables pour des entreprises en restructuration et pour des entreprises en difficulté (53). A peine deux ans plus tard, l’A.R. du 16 novembre 1990 fut remplacé par l’A.R. du 7 décembre 1992 (54). Cet A.R. ne modifiait fondamentalement pas le régime existant, hormis sur un point, à savoir le travail autorisé. Le régime très libéral, qui était en vigueur depuis l’A.R. du 20 août 1986 et qui conférait aux prépensionnés le même statut en matière de travail autorisé que celui des retraités, fut aboli et remplacé par une nouvelle réglementation, se rapprochant fortement des dispositions qui s’appliquaient aux chômeurs ordinaires (55). Outre le durcissement des conditions d’accès, la prépension conventionnelle fut rendue moins attrayante durant cette période par l’introduction d’une série de retenues et de cotisations sur la pension de préretraite. La loi-programme de 1989 introduisit une cotisation patronale fixe forfaitaire en faveur de l’Office National des Pensions (56). A peine un an plus tard, une nouvelle cotisation patronale fut introduite en faveur de l’Office National de Sécurité Sociale, baptisée ‘cotisation patronale capitative’ (57). Enfin, une nouvelle retenue de 1% fut instaurée sur la prépension par la loi du 30 mars 1994, cette fois en faveur de l’Office National de l’Emploi (ONEM) (58).

1.3.3.

Un complément d’ancienneté pour les chômeurs âgés Pour répondre aux revendications financières émises par le large groupe de chômeurs âgés, l’A.R. du 13 janvier 1989 instaura le régime de complément d’ancienneté (59). Ce régime visait, par analogie avec la prépension, à garantir aux chô(52) Art. 2 §§1 et 4 de l’A.R. du 16 novembre 1990. (53) Art. 4 et 10 de l’A.R. du 16 novembre 1990. (54) A.R. du 7 décembre 1992 relatif à l’octroi d’allocations de chômage en cas de prépension conventionnelle, M.B., 11 décembre 1992. (55) Art. 14 de l’A.R. du 7 décembre 1992. (56) Art. 268-270 de la Loi programme du 22 décembre 1989, M.B., 30 décembre 1989. (57) Art. 141-144 de la Loi du 29 décembre 1990 portant des dispositions sociales, M.B., 9 janvier 1991. (58) Art. 50 de la Loi du 30 mars 1994 portant des dispositions sociales, M.B., 31 mars 1994. Cette retenue fut portée à 3% en 1997. (59) A.R. du 13 janvier 1989 relatif à l’octroi d’un complément d’ancienneté aux chômeurs âgés, M.B., 19 janvier 1989.

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meurs âgés une prestation plus ou moins fixe. Il ne s’agissait pas de garantir un pourcentage d’allocation constant, mais d’octroyer un complément à partir de la deuxième année de chômage. Après un an, le chômeur atterrit dans ce que l’on appelle la deuxième période et perd la jouissance du complément d’adaptation. Le complément d’ancienneté vise à compenser cette perte. Le montant du complément est fonction de la catégorie à laquelle appartient le chômeur – chômeur avec charge de famille, isolé ou cohabitant – et de son âge (60). Le groupe cible du régime du complément d’ancienneté est en grande partie le même que celui visé par le statut de ‘chômeur âgé’, à savoir les chômeurs de 50 ans et plus. Toutefois, les chômeurs qui souhaitent prétendre au complément d’ancienneté doivent faire état d’une carrière professionnelle d’au moins 20 ans en tant que salarié. Combiné au statut de ‘chômeur âgé’, le régime du complément d’ancienneté constituait un nouveau circuit de départ anticipé, qui ne s’adressait pas cette fois aux travailleurs actifs mais bien aux chômeurs. Conjointement, ces régimes peuvent être considérés comme une sorte de ‘prépension pour les chômeurs’. Comme dans le cas de la prépension, les bénéficiaires étaient exemptés d’une participation ultérieure au processus du travail et recevaient en contrepartie une compensation financière.

1.4.

LA PERIODE 1995-2002

1.4.1.

Vers un âge de retraite identique pour les hommes et les femmes Au début des années quatre-vingt-dix fut lancé le débat sur la viabilité financière des retraites légales. On réalisait de plus en plus que le régime existant, tel que fixé dans la loi sur l’âge flexible de la retraite, ne serait plus financièrement viable lorsqu’il serait confronté de plein fouet aux phénomènes de vieillissement et de dénatalité (61). Le régime existant fut également contesté pour un autre motif. Comme nous l’avons déjà évoqué, la loi prévoyait un âge flexible de la retraite avec une condition d’âge identique pour les hommes et les femmes, tout en maintenant une distinction au niveau du mode de calcul. Cette distinction était en opposition avec la directive européenne 97/7/CEE concernant l’égalité de traitement des hommes et des femmes (62). Une modification de la réglementation s’imposait donc, laquelle fut finalement concrétisée par l’A.R. du 23 décembre 1996 (63). Cette adaptation obligée du régime à la Directive 97/7/CEE fut mise à profit pour rendre plus difficiles les condi(60) Art. 4 de l’A.R. du 13 janvier 1989. (61) Voir notamment H. Bogaert et M. Festjens, ‘Onderzoek naar de weerslag van een verouderende bevolking op de sociale zekerheid: een lange-termijnverkenning 1992-2050’, in X., Ouderen in Solidariteit, Zaventem, Kluwer, 1993, 41-77. (62) Voir : H. Goossens, ‘Pensioenen werknemers’, in D. Simoens et J. Put (eds.), Ontwikkelingen van de Sociale Zekerheid 1990-1996, Bruges, Die Keure, 1996, 629-632. (63) A.R. du 23 décembre 1996, portant exécution des articles 15, 16 et 17 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions, M.B., 17 janvier 1997.

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tions d’accès anticipé à la retraite (64). L’A.R. abolissait pour le futur le principe de l’âge flexible de la retraite et réintroduisait le concept d’un âge légal de la retraite. Cet âge fut fixé à 65 ans tant pour les hommes que pour les femmes (65). De même, le calcul de la pension de retraite fit l’objet d’un alignement. Parallèlement à l’augmentation de l’âge de la retraite, le calcul de la pension de retraite pour les femmes est progressivement calculé sur la base de 45ème (66). La possibilité de prendre sa retraite de manière anticipée à partir de 60 ans et sans diminution était maintenue. Les prépensionnés restaient exclus de la retraite avant l’âge de 65 ans (67). Pour les hommes, ce nouveau régime n’apportait pas de modification essentielle. Pour les femmes en revanche, le départ anticipé via la retraite anticipée était rendu sensiblement moins attractif par le calcul en 45ème. Bien que la possibilité de retraite anticipée continuât à exister, l’A.R. du 23 décembre 1996 subordonnait l’accès à la retraite anticipée à une condition de carrière. Par ailleurs, cette condition de carrière est rendue chaque année plus sévère jusqu’en 2005. A partir de 2005, la retraite anticipée ne sera plus accessible qu’aux travailleurs salariés capables de justifier d’une carrière professionnelle d’au moins 35 ans. En 2002, le nombre d’années de carrière requis est de 30 ans (68). Suite à l’introduction de ces nouvelles conditions, le nombre de travailleurs salariés qui pourront bénéficier à l’avenir de l’avantage de la retraite anticipée sera assurément moins élevé.

1.4.2.

Ambiguïté en matière de prépension Au cours de cette période, une politique relativement ambiguë fut menée en matière de prépension. D’une part, le législateur s’en tint au régime existant fixant généralement l’âge minimal à 58 ans. D’autre part, sous la pression des partenaires sociaux, un régime de prépension temporaire fut prévu pour les années 1995-1996, 1997-1998 et 1999-2000, qui, sous certaines conditions, permettait une mise à la retraite anticipée. Par ailleurs, les dérogations existantes, notamment pour les entreprises en difficulté ou en restructuration, furent également maintenues. En vue de décourager l’utilisation de la préretraite dans le cadre des régimes temporaires, une nouvelle cotisation patronale fut créée en 1999 : la cotisation patronale spéciale compensatoire mensuelle (69). Celle-ci n’était due que pour les préretraites qui prenaient effet avant l’âge de 58 ans.

(64) Voir au sujet de cette problématique : J. Van Langendonck et J. Put, Handboek Socialezekerheidsrecht¸ Anvers – Groningen – Oxford, Intersentia, 2002, 647-650. (65) Art. 2 de l’A.R. du 23 décembre 1996. Pour éviter aux femmes une transition trop abrupte, une approche douce a été mise en place, augmentant progressivement l’âge de la retraite à 65 ans. (66) Art. 5 §1 et 6 §1 de l’A.R. du 23 décembre 1996. (67) Art. 4 §4 de l’A.R. du 23 décembre 1996. (68) Art. 4 §2 et §4 de l’A.R. du 23 décembre 1996. (69) Art. 111 de la Loi du 26 mars 1999 relative au plan d’action belge pour l’emploi 1998 et portant des dispositions diverses, M.B., 1er avril 1999.

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Pour le reste, le régime de prépension n’a pas subi de modifications fondamentales durant cette dernière période. Et il semble peu probable que cela soit le cas à l’avenir. Bien que le départ anticipé massif, dont la prépension est le symbole, ait fait l’objet de nombreux débat ces dernières années, aucune abolition du régime n’est envisagée (70).

1.4.3.

Assouplissement du statut des chômeurs âgés et émergence des prépensions ‘Canada-dry’ Une autre tendance apparue au cours de cette phase consiste en l’augmentation appréciable du nombre de bénéficiaires du statut de ‘chômeur âgé’. En 1998, le nombre de chômeurs âgés dépassa pour la première fois le nombre de prépensionnés (cf. infra : chapitre 2). Cette augmentation fut amorcée par l’A.R. du 22 novembre 1995 (71), qui facilitait pour les chômeurs âgés de 50 à 55 ans l’accès à ce régime. A partir du 1er décembre 1995, cette catégorie de chômeurs n’était plus tenue de faire preuve d’une incapacité de travail permanente pour obtenir le statut de ‘chômeur âgé’. Désormais, tout chômeur âgé de 50 ans ou plus pouvait, de sa propre initiative et sans devoir satisfaire à des conditions sévères, se retirer définitivement du marché de l’emploi. Le régime du complément d’ancienneté, qui fut maintenu, incitait largement les chômeurs âgés qui y avaient droit à faire appel à cette possibilité. La forte augmentation du nombre de chômeurs âgés à partir de 1995 n’est pas seulement le fait de l’assouplissement de l’accès à ce statut. Durant cette période, le statut de chômeur âgé fut de plus en plus utilisé en tant que substrat d’un nouveau circuit de départ anticipé, désigné sous le nom de prépension ‘Canada-dry’. Développés dans certaines entreprises et certains secteurs, ces régimes allouent, à l’instar de la prépension conventionnelle, un complément aux allocations de chômage, sans toutefois que ne s’applique le régime de la prépension conventionnelle. Comme indiqué ci-dessus, les conditions d’octroi de la prépension conventionnelle sont devenues sensiblement plus strictes au fil des ans, tant sur le plan de l’âge minimal que sur le plan des conditions de carrière. Dès lors, un groupe important de travailleurs âgés qui pouvaient autrefois quitter le marché de l’emploi de manière anticipée via la prépension conventionnelle, ne pouvait plus prétendre au départ anticipé. Les prépensions alternatives ‘Canada-dry’ tentent d’apporter une solution à ce problème en prévoyant des allocations de chômage complémentaires pour les travailleurs salariés qui sont trop jeunes pour la prépension conventionnelle ou qui ne peuvent justifier de suffisamment d’années de service. Certes, les bénéficiaires ne peuvent pas prétendre à l’avantageux statut de la prépension, mais comme la plupart peuvent faire appel au statut de chômeur âgé, qui prévoit un statut de chômage similaire, cela pose rarement un problème. Pour les employeurs également, la pré(70) L. Onkelinx, Plus de temps pour soi… Plus d’emplois pour tous, 34. (71) Art. 25 de l’A.R. du 22 novembre 1995 modifiant l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage dans le cadre du plan pluriannuel pour l’emploi, M.B., 8 décembre 1995.

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pension ‘Canada-dry’ constitue une alternative bienvenue à la prépension conventionnelle. L’obligation de remplacement et les diverses cotisations sociales en vigueur dans la prépension conventionnelle ne sont pas d’application dans le cas des prépensions Canada-dry. Ces régimes alternatifs sont susceptibles ainsi de générer une économie substantielle pour les employeurs. Au début de 2002, le ministère de l’emploi et du travail a annoncé des mesures visant à freiner le succès des prépensions Canada-dry (72). Une mesure importante en ce sens a été prise avec l’A.R. du 27 mai 2002 (73), qui introduisait un durcissement sensible des conditions d’admission au statut de ‘chômeur âgé’. A partir du 1er juillet 2004, seuls les chômeurs ayant atteint l’âge de 58 ans pourront encore prétendre à ce statut. Etant donné que le statut de ‘chômeur âgé’ constitue par définition le fondement de tout régime ‘Canada-dry’, on peut s’attendre à ce que l’âge minimal appliqué dans ces régimes soit porté progressivement jusqu’à 58 ans. Il va de soi que l’A.R. du 27 mai 2002 a également des conséquences importantes sur les chômeurs âgés qui ne peuvent prétendre à une indemnisation de chômage complémentaire à charge de leur précédent employeur. Ils continueront désormais à faire partie du marché de l’emploi jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de 58 ans. Une série d’autres mesures mises en avant pour limiter le succès des prépensions ‘Canada-dry’ n’a pas encore été transposée à ce jour en textes législatifs.

2.

ANALYSE CHIFFREE DU DEPART ANTICIPE Dans ce chapitre, nous allons examiner, à l’aide de données statistiques, l’importance du départ anticipé en général et des différents circuits de départ anticipé en particulier. La figure 1 décrit en nombres absolus le développement des circuits de retraite anticipée entre 1975 et 1994 traités sous le chapitre 1. Au début de cette évolution, en 1975, la seule possibilité de quitter le marché de l’emploi de manière anticipée était la retraite anticipée. Le nombre de travailleurs salariés ayant fait usage de ce régime financièrement peu attrayant était relativement limité. Dans les années qui suivirent, la situation se modifia radicalement. La prépension conventionnelle et la prépension légale, qui devinrent en vogue respectivement en 1975 et en 1976, connurent immédiatement un grand succès. Le nombre de bénéficiaires de ces régimes augmentait d’année en année et dépassa rapidement le nombre de personnes ayant pris leur retraite anticipée. A l’origine, les personnes quittant le circuit du travail de manière anticipée étaient réparties de manière plus ou moins égale sur les deux régimes de prépension. A partir de 1982 cependant, la prépension conventionnelle

(72) X., Stimuler l’emploi des travailleurs de 50 ans et plus en Belgique, téléchargé du site web du ministère de l’emploi et du travail: http://meta.fgov.be/pdf/pi/fri29.pdf (73) A.R. du 27 mai 2002 modifiant l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage dans le cadre de l’augmentation du taux d’emploi des travailleurs âgés, M.B., 11 juin 2002.

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l’emporta sur la prépension légale. Le nombre de préretraités conventionnels continuait d’augmenter, pour atteindre un plafond en 1990 avec un chiffre tout juste inférieur à 140.000. Le durcissement constant des conditions d’accès à partir de 1983 n’a pas pu juguler la progression de la prépension conventionnelle. La prépension légale, quant à elle, fut abolie dans le courant de 1982. Cette année-là, le nombre de préretraités légaux s’élevait à plus de 45.000. La préretraite spéciale pour les invalides âgés, qui n’a été en vigueur que pendant deux ans, n’a guère connu de succès.

FIGURE 1 : DEPART ANTICIPE 1975-1994 300000 250000 chômeur âgé

200000

retraite anticipée

150000

prépension spéciale

100000

prépension légale

pension de préretraite prépension conventionelle

50000 0 1975

1978

1981

1984

1987

1990

1993

Source : ONEM., Rapports annuels ; ONP, Statistiques annuelles des titulaires du droit à la retraite ; calculs propres.

La prépension spéciale pour chômeurs âgés connut un certain succès, mais fut abolie après quelques années. La pension de préretraite, qui remplaça en 1982 la prépension légale, atteignit un public moins large que son prédécesseur en raison de ses conditions d’octroi plus strictes et de son statut financier moins avantageux. Néanmoins, le nombre de personnes qui bénéficiaient de la pension de préretraite augmenta pour dépasser 28.000 en 1988. En 1990, la pension de préretraite et la retraite anticipée ordinaire furent remplacées par l’âge flexible de la retraite, et disparurent dans les années suivantes. La courbe descendante à partir de 1989 ne signifie aucunement que la sortie du marché de travail se produisait à un âge ulté-rieur. La ligne descendante résulte entièrement du fait que les travailleurs salariés qui, à partir de 1991, ont pris leur retraite entre 60 et 65 ans via le régime d’âge flexible de la retraite, n’étaient plus inclus dans le calcul. Avec l’instauration d’un âge flexible de retraite, il n’est en effet plus question d’un âge légal normal de la retraite, et ni de départ anticipé au sens strict.

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La figure 2 retrace le développement de deux circuits de départ anticipé de 1992 à 2001, à savoir la prépension conventionnelle et le statut de ‘chômeur âgé’. L’évolution des chômeurs âgés ne bénéficiant pas du statut de ‘chômeur âgé’ et encore inscrits en tant que demandeurs d’emploi est également illustrée aux fins de comparaison. En 1992, la prépension conventionnelle était de loin le principal circuit de départ anticipé. Toutefois, après avoir connu un plafond aux alentours de 1990, il n’y eut pas de nouvelle augmentation dans les années quatre-vingt-dix. Deux éléments majeurs semblent avoir enrayé le développement ultérieur de ce régime, à savoir : l’introduction, en 1989 et 1990, des deux cotisations patronales sur la prépension conventionnelle, et l’obligation de remplacement effectif en 1990. Jusqu’à 1995 environ, le nombre de préretraités enregistrait une faible diminution, de plus ou moins un millier de bénéficiaires par an. Inversement, on observe au cours de ces années une faible augmentation du nombre de bénéficiaires du statut de ‘chômeur âgé’. Conséquence du nouveau déclin économique de la première moitié des années quatre-vingt-dix, le nombre de demandeurs d’emploi âgés qui ne veulent ou ne peuvent faire appel à l’un de ces circuits de départ anticipé augmente de manière relativement importante jusqu’en 1995. A partir de 1995, la situation se modifie de manière spectaculaire. Le nombre de bénéficiaires titulaires du statut de ‘chômeur âgé croît de manière considérable ; en 1999, leur nombre a doublé. Ce revirement soudain trouve son origine dans l’A.R. du 22 novembre 1995, qui supprime la condition de capacité de travail réduite de manière permanente pour la catégorie des 5054 ans. De ce fait, une part importante de ce groupe de demandeurs d’emploi âgés de 50 à 54 ans pouvait soudain bénéficier du statut de ‘chômeur âgé’. Le nombre de demandeurs d’emploi de plus de 50 a ainsi été réduit de moitié en 3 ans. Par ailleurs, ainsi que mentionné plus haut, les préretraites ‘Canada-dry’ ont également joué un rôle important dans la forte augmentation du nombre de chômeurs âgés. Il semble qu’un mouvement de substitution se soit produit entre la prépension conventionnelle et la préretraite ‘Canada-dry’. Ces régimes feront l’objet d’une analyse plus détaillée au chapitre 3. Après 1995, le nombre de préretraités enregistre une plus forte diminution qu’au cours des années précédentes. En 1998, le nombre de préretraités est pour la première fois inférieur à celui des ‘chômeurs âgés’. Cette tendance se poursuit sans interruption jusqu’à ce jour.

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FIGURE 2 : EVOLUTION PRERETRAITE/CHOMAGE 160000 140000 120000 100000

chômeur demandeur d'emploi

80000

statut 'chômeur âgé' prépension conventionelle

60000 40000 20000 0 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001

Figure 2 : source : O.N.E.M. Rapports annuels.

Le tableau 1 présente en chiffres absolus une coupe du paysage en matière de départ anticipé chez les travailleurs salariés (et ex-travailleurs) de plus de 50 ans pour 2001 (74). Les rapports en pourcentage entre les différentes catégories sont reproduits à la Figure 3. A cet égard, il est important de noter que seuls les travailleurs salariés et les personnes sorties du circuit du travail de manière anticipée en vertu d’un emploi en tant que travailleur salarié sont inclus dans le calcul. Ces chiffres ne donnent donc aucune indication du taux d’activité de la population totale.

TABLEAU 1 :

prépension conventionnelle chômeurs âgés invalides âgés retraite (anticipée) total départ anticipé chômeurs demandeurs d’emploi actifs total population active

50-54

55-59

60-64

Total

6.965 55.019 33.727 1.820 97.531 17.245 197.514 214.759

36.038 62.696 35.915 2.688 137.337 10.432 85.251 95.683

65.574 29.601 27.747 165.362 288.284 2.460 20.052 22.512

108.577 147.316 97.389 169.870 523.152 30137 302.817 332.954

(74) Les chiffres relatifs à l’invalidité se rapportent à l’année 1998, les chiffres concernant la population active (travailleurs salariés), à l’année 1999. Les chiffres pour la prépension conventionnelle, pour les chômeurs âgés et pour les chômeurs demandeurs d’emploi se basent sur l’annuaire statistique de l’ONEM 2001. Il s’agit de nombres moyens pour l’année 2001. Les chiffres relatifs aux retraites se basent sur les annuaires statistiques des titulaires du droit à la retraite de l’ONP. Ils se rapportent au nombre de retraités au 1er janvier 2001. Les chiffres concernant les invalides âgés se basent sur l’annuaire statistique 1998 de la Sécurité Sociale du Ministère fédéral des Affaires Sociales, de la Santé Publique et de l’Environnement (2000). Enfin, les chiffres relatifs à la population active sont basés sur l’Enquête sur les forces de travail 1999 de l’INS (2000). Ces chiffres se rapportent aux ouvriers et aux employés du secteur privé.

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Pour la première fois, le groupe des invalides âgés est ici pris en considération. Contrairement à ce qui est le cas dans la réglementation du chômage, le régime légal d’incapacité de travail et d’invalidité ne prévoit pas de statut spécial pour les personnes de plus de 50 ans. Néanmoins, il convient de constater que le nombre d’invalides de cinquante ans et plus constitue plus de la moitié du nombre total d’invalides et que l’invalidité fonctionne donc comme une sorte de ‘salle d’attente’ de la retraite (75). C’est la raison pour laquelle cette catégorie ne peut être négligée dans un exposé sur le départ anticipé. Dans la catégorie d’âge de 50 à 54 ans, les actifs sont encore clairement majoritaires (63%). Par ailleurs, on y dénombre encore un groupe relativement important de demandeurs d’emploi (6%). Le pourcentage des personnes ayant quitté le circuit du travail de manière anticipée s’élève à 31%. Parmi celles-ci, on trouve un petit nombre de prépensionnés qui étaient employés dans une entreprise reconnue comme étant en difficulté ou en restructuration (2%). Ensuite vient le groupe d’invalides âgés (11%). Le groupe majoritaire est constitué de bénéficiaires du statut de ‘chômeur âgé’ (18%). Dans la catégorie d’âge 55-59 ans, le nombre de personnes ayant quitté le circuit du travail de manière anticipée dépasse déjà largement le nombre de travailleurs actifs (59% contre 41%). Parmi les personnes quittant le circuit du travail de manière anticipée, le plus large groupe est encore et toujours composé de chômeurs âgés (27% de la population totale). 15% des travailleurs salariés de ce groupe d’âge est prépensionné et la part d’invalides âgés augmente également par rapport à la catégorie des 50-54 ans (15%). Dans la catégorie d’âge des 60 ans et plus, le nombre d’actifs a reculé pour atteindre environ 7%. De même, cette catégorie ne compte quasiment plus de chômeurs demandeurs d’emploi. 93% de la population totale de travailleurs salariés entre 60 et 65 ans s’est déjà retirée de la vie active. Dans cette catégorie d’âge, le nombre de prépensionnés dépasse le nombre de ‘chômeurs âgés’ (21% contre 10%). C’est notamment dû au fait que, pour les prépensionnés, il n’existe aucune opportunité de prendre sa retraite anticipée. Cette possibilité existe en revanche pour les chômeurs et les invalides âgés. De plus, comme nous l’avons montré, le succès du statut de ‘chômeur âgé’ est surtout le fait de ces 6 à 7 dernières années. On peut donc s’attendre à ce qu’à l’avenir, le nombre de chômeurs âgés augmente également dans la catégorie d’âge des 60-64 ans, au détriment du nombre de préretraités. La retraite (anticipée) connaît un grand succès. 53% des travailleurs salariés entre 60 et 65 ans sont déjà retraités. Ce constat doit cependant être nuancé d’une double réserve. Premièrement, nous avons décidé de ne pas tenir compte uniquement des retraites réellement anticipées, mais de toutes les retraites allouées à des bénéficiaires qui

(75) Voir Ministère fédéral des Affaires Sociales, de la Santé Publique et de l’Environnement, Annuaire Statistique 1998 de la Sécurité Sociale, Bruxelles, 2000, p. 43.

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n’ont pas encore atteint l’âge de 65 ans. Pour l’essentiel, cela signifie que les femmes âgées de 61 à 65 ans ont également été comprises dans ces chiffres, bien qu’elles ne bénéficient pas au sens strict d’une pension de retraite anticipée, mais plutôt d’une pension de retraite ordinaire. Toutefois, vu que l’âge légal normal de la retraite est progressivement ramené à 65 ans pour les femmes également, il semblait indiqué de les inclure également dans les chiffres. Deuxièmement, les pensions de retraite peuvent se rapporter à des personnes qui n’ont pas été employées précédemment comme travailleurs salariés. Il suffit de penser, par exemple, à une épouse (ou à un époux) qui, dans son jeune âge, a d’abord été occupée pendant quelques années comme travailleuse salariée, mais qui, après son mariage, s’est retirée de la vie professionnelle afin de s’occuper des travaux domestiques. Ces personnes apparaissent soudain ici dans la catégorie 60-65 ans, bien qu’elles ne figurent pas dans les chiffres relatifs aux catégories 50-54 ans et 55-59 ans. Ceci explique pourquoi le nombre total de personnes qui relèvent de la catégorie des 60-65 ans dépasse celui de la catégorie d’âge précédente. A l’avenir, le nombre de retraités entre 60 et 65 ans diminuera probablement. D’une part, parce que l’âge légal normal de la retraite pour les femmes sera progressivement porté à 65 ans, et, d’autre part, parce que la condition de carrière pour la retraite anticipée sera rendue plus stricte au cours des années à venir et que, dès lors, les personnes dont la carrière est (trop) courte ne pourront plus prétendre à la retraite anticipée.

FIGURE 3 : DEPART ANTICIPE EN 2001 100% 90% 80% actifs

70%

chômeurs demandeurs d'emploi

60%

retraite (anticipée)

50%

invalides âgés

40%

chômeurs âgés

30%

prépension conventionelle

20% 10% 0% 50-54

55-59

60-64

total

Si l’on examine enfin l’ensemble de la population des travailleurs salariés âgés de 50 à 64 ans, le rapport entre la population active et les personnes ayant quitté le circuit du travail de manière anticipée est de 39% contre 61%. Ces chiffres correspondent au taux d’activité de l’ensemble de la population âgée de 50 à 65 ans, estimée à 40% pour l’année 2000 (76). Le circuit de départ anticipé qui semble avoir connu le plus de succès est la retraite (anticipée). 20% de tous les travailleurs salariés entre 50 et

(76) Voir note 3.

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DEPART ANTICIPE DES TRAVAILLEURS AGES EN BELGIQUE

65 ans utilisent cette option pour prendre leur retraite avant l’âge de 65 ans. Une réserve doit toutefois être émise à cet égard, car toutes ces retraites ne sont pas réellement des retraites anticipées. Parmi les autres circuits de départ anticipé, le statut de ‘chômeur âgé’ est celui qui remporte le plus de suffrages. 17% des travailleurs salariés de 60 à 65 ans bénéficient de ce statut. La prépension occupe seulement la troisième place avec 13%. Cette constatation n’est pas anodine, parce que plus d’une fois le débat sur le départ anticipé se réduit souvent exclusivement à la prépension. Les invalides âgés, enfin, représentent 11% du total.

3.

CIRCUITS DE DEPART ANTICIPE DANS LE DROIT POSITIF BELGE Après l’analyse historique et chiffrée du départ anticipé, ce chapitre est réservé à une analyse comparative condensée des circuits de départ anticipé dans le droit positif belge. L’étude porte sur les mécanismes juridiques qui organisent ou facilitent le départ anticipé. Par départ anticipé, on entend ici le fait de quitter de manière complète et définitive le marché de l’emploi avant d’avoir atteint l’âge légal normal de la retraite. Comme il ressort du chapitre précédent, le départ anticipé s’articule actuellement autour de quatre circuits principaux : la prépension conventionnelle, le chômage, l’invalidité et la retraite anticipée. Ces quatre grands circuits de départ anticipé seront analysés successivement dans les pages qui suivent. Chaque circuit sera abordé sous quatre angles, à savoir : les conditions d’octroi, les obligations de l’employeur, le statut financier et enfin le statut social du bénéficiaire.

3.1.

LA PREPENSION CONVENTIONNELLE

3.1.1.

Conditions d’octroi La prépension conventionnelle est le régime par lequel un statut de chômage spécial est conféré à certains chômeurs âgés qui bénéficient d’une indemnité complémentaire à leurs allocations de chômage. Les conditions présidant au droit à l’indemnité complémentaire sont fixées par la CCT n° 17 ou par des CCT au niveau du secteur ou de l’entreprise. Les conditions pour l’octroi du statut de chômage spécial sont fixées par l’A.R. du 7 décembre 1992 (ci-après A.P.S.) (77). On ne peut parler de prépension conventionnelle que lorsque toutes les conditions sont remplies, tant sur le plan de l’indemnité complémentaire que sur le plan du statut de chômage. La CCT n° 17 pose trois conditions principales pour l’obtention de l’indemnité complémentaire :

(77) A.R. du 7 décembre 1992 relatif à l’octroi d’allocations de chômage en cas de prépension conventionnelle, M.B., 11 décembre 1992.

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Seuls, les travailleurs licenciés pour des raisons autres que des motifs graves sont pris en considération. Le travailleur ne peut donc en principe prendre lui-même l’initiative de mettre fin au contrat de travail (art. 3 a). Dans la pratique cependant, la prépension conventionnelle est devenue si profondément ancrée dans les moeurs qu’une sorte de ‘droit’ au licenciement a progressivement vu le jour. Le travailleur doit avoir atteint l’âge de 60 ans au moment du licenciement (art. 3 a)). Néanmoins, dans pratiquement tous les secteurs, cet âge a été revu à la baisse, pour atteindre généralement 58 ans.

Le travailleur licencié doit percevoir des allocations de chômage. (art. 4). En d’autres termes, il doit remplir toutes les conditions fixées par la réglementation du chômage.

Lorsque le travailleur licencié remplit ces conditions, il a droit à une indemnité complémentaire. Il n’est toutefois pas obligé d’accepter le régime complémentaire. S’il le refuse, il devient un chômeur ordinaire. L’A.P.S. détermine quels bénéficiaires d’une indemnité complémentaire entrent en ligne de compte pour le statut de prépension. L’A.P.S. répète tout d’abord la condition du licenciement comme étant le fait de l’employeur (art. 2 §1 A.P.S.).

La deuxième condition a trait à l’indemnité complémentaire. Il doit s’agir de l’indemnité allouée en vertu de la CCT n° 17 ou d’une CCT d’entreprise ou de secteur, qui prévoit des avantages au moins égaux à ceux prévus par la CCT n°17 (art. 2 §1 2ème et 3ème alinéas A.P.S.). Les travailleurs licenciés qui bénéficient d’indemnités complémentaires ne satisfaisant pas à cette condition n’entrent pas en ligne de compte pour le statut de prépension.

Troisièmement, l’A.P.S. fixe un âge minimal. Les travailleurs licenciés doivent avoir atteint l’âge de 58 ans lors de la rupture du contrat de travail. Des dérogations à cet âge minimal sont cependant possibles à certaines conditions, notamment pour les entreprises en difficulté ou en restructuration.

Enfin, une condition d’ancienneté est également d’application. L’ancien travailleur doit justifier d’une carrière de salarié de 25 ans au minimum (art 2 §1 A.P.S.). Une fois encore, des conditions plus souples s’appliquent aux travailleurs de 60 ans et plus et aux travailleurs occupés dans une entreprise en difficulté ou en restructuration.

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3.1.2.

Obligations de l’employeur La prépension de l’un de ses travailleurs entraîne une série d’obligations importantes dans le chef de l’employeur. En premier lieu, ce dernier est débiteur de l’indemnité complémentaire. A ce titre, il est assujetti à trois cotisations. Vient tout d’abord la cotisation patronale spéciale au profit de l’O.N.P. (78). Cette cotisation s’élève en principe à 24,80 EUR par mois par prépension. La deuxième cotisation est ce que l’on appelle la cotisation patronale capitative au profit de l’O.N.S.S. (79) Ce montant dépend de l’âge auquel la prépension prend effet. Pour les prépensions prises à partir de 60 ans en vertu de la CCT n° 17, la cotisation s’élève à 24,79 EUR par mois par préretraite. Le montant de cette cotisation augmente à mesure que la prépension prend effet plus tôt. La dernière cotisation est la cotisation patronale spéciale compensatoire mensuelle (80). Cette cotisation ne vaut que pour les prépensions prises dans le cadre de l’un des régimes temporaires (1995-1996, 1997-1998 ou 1999-2000) et n’est due que jusqu’au mois où le prépensionné a atteint l’âge de 58 ans. Cette cotisation équivaut en principe à 50% de l’indemnité complémentaire. Outre ces obligations financières, l’employeur est également obligé de remplacer le préretraité par un ou deux chômeurs complets indemnisés (art.4 §1, 1er et 2ème alinéas, A.P.S.). Cette obligation de remplacement ne s’applique pas aux travailleurs qui ont atteint l’âge de 60 ans lors de la rupture du contrat de travail (art. 4 §7, A.P.S.). De même, les entreprises reconnues comme étant en difficulté ou en restructuration peuvent être exemptées de cette obligation (art. 10, A.P.S.).

3.1.3.

Statut financier L’indemnité perçue par le prépensionné comprend deux composantes. En tant que chômeur, le préretraité a tout d’abord droit à des allocations de chômage. Contrairement aux chômeurs ordinaires, le calcul de l’allocation ne dépend pas de la durée du chômage ni de la situation familiale. Le prépensionné perçoit durant toute la durée du statut des allocations de chômage calculées à un taux de 60% (art. 8, A.P.S.). Le salaire sur lequel l’allocation est calculée est toutefois plafonné (81). Le plafond appliqué est très bas, d’où sur la base d’une occupation à temps plein, le droit acquis est approximativement toujours égal à l’allocation de chômage maximale. La deuxième composante est l’indemnité complémentaire. L’indemnité équivaut à la moitié de la différence entre le dernier salaire net et l’allocation de chômage, avec pour réserve cependant que le dernier salaire n’est pris en ligne de compte que jusqu’à un certain plafond. Le salaire net plafonné est appelé salaire net de référence (82). (78) Art. 268-270 de la Loi-programme du 22 décembre 1989, M.B., 30 décembre 1989. (79) Art. 141-144 de la Loi du 29 décembre 1990 portant des dispositions sociales, M.B., 9 janvier 1991. (80) Art. 111 de la Loi du 26 mars 1999 relative au plan d’action belge pour l’emploi 1998 et portant des dispositions diverses, M.B., 1er avril 1999. (81) Art. 111, alinéas 3, et 113 de l’A.R. du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, M.B., 31 décembre 1991. (82) Art. 5-7, CCT n° 17. Les CCT sectorielles ou d’entreprise peuvent cependant prévoir une indemnité complémentaire plus élevée.

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Une double retenue est effectuée sur la prépension. La première retenue de 3,5%, calculée sur le montant total de la prépension, est versée à l’O.N.P. (83). La deuxième retenue, au profit de l’O.N.E.M., s’élève à 3% du montant total (84). Ces deux retenues ne doivent pas produire un montant restant inférieur au minimum fixé par la loi.

3.1.4.

Statut social Le prépensionné est un chômeur. Ceci implique qu’à moins que d’autres dispositions ne prévalent, toutes les dispositions portant sur le statut social des chômeurs s’appliquent également aux prépensionnés. Toutefois, le préretraité est expressément exempté d’une série de conditions et d’obligations. Le préretraité n’est par exemple pas tenu de s’inscrire comme demandeur d’emploi, de se soumettre à des contrôles, ni d’être disponible sur le marché du travail. De même, il ne peut être sanctionné sur la base de chômage volontaire ou de chômage anormalement prolongé (art. 2 §1 1er alinéa A.P.S.). En outre, l’A.P.S. prévoit un régime plus souple en matière de travail autorisé. Par dérogation à l’art. 45 de l’A.R. du 25 novembre 1991, le prépensionné est autorisé à exercer toute activité sans salaire et sans but lucratif se rapportant à ses propres biens, même lorsque cette activité est opérée dans le cadre d’échanges économiques de biens et de services. Le préretraité peut par exemple réaliser des travaux d’entretien et d’adaptation à sa propre habitation (art. 14 §1, A.P.S.). De même, la réglementation en matière de préretraite prévoit une exception au statut de chômage ordinaire pour les activités non rémunérées effectuées pour un tiers. Un travail non rémunéré pour des parents jusqu’au second degré et pour certains organismes non commerciaux peut être effectué sans autorisation préalable (85). Toute forme de travail rémunéré reste toutefois exclue. En ce qui concerne la constitution des droits à la pension de retraite, toute la période de prépension est considérée comme une période assimilée. Le prépensionné ne peut prétendre à la retraite anticipée. La retraite prend effet au plus tôt le premier jour du mois qui suit le mois où est atteint l’âge légal normal de la retraite (86).

3.2.

CHOMEURS AGES Le concept de ‘chômeur âgé’ est utilisé dans plusieurs régimes. En tout premier lieu, nous avons le statut de chômeur âgé dans la réglementation du chômage. Vient ensuite le régime de complément d’ancienneté pour les chômeurs âgés. Enfin, il convient de tenir compte des prépensions Canada-dry négociées au niveau du secteur ou de l’entreprise. (83) A.R. n° 33 du 30 mars 1982 relatif à une retenue sur des indemnités d’invalidité, M.B., 1er avril 1982. (84) Art. 50 de la Loi du 30 mars 1994 portant des dispositions sociales, M.B., 31 mars 1994. (85) Art. 1, A.M. du 23 décembre 1992 portant activités non rémunérées et activités professionnelles autorisées aux prépensionnés, M.B., 9 janvier 1993. Voir aussi J. PUT, ‘Toegelaten arbeid voor gepensioneerden en bruggepensioneerden’, Or., 1993, 76-92. (86) Art. 4, §4, de l’ A.R. du 23 décembre 1996.

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Le statut de chômeur âgé en constitue le fondement. Ce régime ne prévoit, comme son nom l’indique, qu’un statut de chômage dérogatoire, sans y rattacher d’avantages financiers. Quant au régime de complément d’ancienneté et aux prépensions Canada-dry, c’est l’inverse. Ces régimes confèrent aux chômeurs âgés des avantages pécuniaires complémentaires, sans prévoir de statut social spécial.

3.2.1.

Le statut de ‘chômeur âgé’ Le statut de chômeur âgé est défini à l’art. 89 de l’arrêté sur le chômage du 25 novembre 1991 (ci-après : A.C.) (87). Ce statut prévoit l’exemption d’une série d’obligations qui s’appliquent aux chômeurs ordinaires. L’Art. 89 a récemment été modifié en profondeur par l’A.R. du 27 mai 2002 (88). a) Conditions d’octroi : Jusqu’au 1er juillet 2002, ce statut était accessible à tous les chômeurs complets qui avaient atteint l’âge de 50 ans et qui, au cours des deux années précédant la demande, avaient perçu au moins 312 allocations. Le chiffre de 312 allocations correspond à un an de chômage. Il ne faut pas de longue démonstration pour se rendre compte qu’il s’agissait ici de conditions d’octroi très souples. A l’avenir, seuls les chômeurs de 58 ans et plus pourront bénéficier de ce statut. Toutefois, à partir de cet âge, ils pourront désormais bénéficier de ce statut dès le premier jour de chômage sans avoir à attendre un an. La nouvelle réglementation prévoit une période de transition jusqu’au 1er juillet 2004. Du 1er juillet 2002 au 1er juillet 2003, l’âge minimal est de 56 ans. Du 1er juillet 2003 au 1er juillet 2004, l’âge est porté à 57 ans. Durant cette période de transition, il faudra toutefois encore respecter une période d’attente d’un an (312 jours). A partir du 1er juillet 2004, l’âge minimal sera de 58 ans. b) Obligations de l’employeur Etant donné que le statut n’est octroyé qu’après un an de chômage minimum, il n’est plus question d’une relation employeur-travailleur. Le statut de ‘chômeur âgé’ n’entraîne donc aucune obligation dans le chef des employeurs. c) Statut financier Aucun statut financier n’est associé au statut de ‘chômeur âgé’. L’allocation de chômage des chômeurs âgés est calculée selon les règles de calcul habituelles, en tant que pourcentage du dernier salaire plafonné, le montant de l’allocation étant fonction de la durée du chômage et de la situation familiale. Selon qu’il s’agit de chômeurs avec charge de famille, d’isolés ou de cohabitants, les pourcentages sont établis durant la première année à 60%, 60% et 55%. Durant la deuxième période, qui débute la deuxième année de chômage, les pourcentages sont fixés à 60%, 50% et (87) A.R. du 7 décembre 1992 relatif à l’octroi d’allocations de chômage en cas de prépension conventionnelle, M.B., 11 décembre 1992. (88) A.R. du 27 mai 2002, modifiant l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage dans le cadre de l’augmentation du taux d’emploi des travailleurs âgés, M.B., 11 juin 2002.

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40% du dernier salaire plafonné. Les chômeurs avec charge de famille et les chômeurs isolés restent toujours dans la deuxième période de chômage. Les chômeurs cohabitants se retrouvent, au terme de la deuxième période, dans la troisième période, où l’allocation de chômage est ramenée à un forfait peu élevé. Les chômeurs cohabitants ayant une carrière de salarié d’au moins 20 ans ou présentant une incapacité de travail d’au moins 33% restent toutefois également toujours dans la deuxième période de chômage (89). d) Statut social Les chômeurs âgés qui remplissent ces conditions ne peuvent plus être sanctionnés pour cause de chômage volontaire, ne sont plus tenus d’être disponibles sur le marché de l’emploi ni de s’inscrire comme demandeurs d’emploi (90). En outre, l’art. 89 A.C. confère aux chômeurs âgés un statut un peu plus souple en matière de travail autorisé (91). Par dérogation à l’art. 45 A.C., le chômeur âgé qui bénéficie de la dérogation peut exercer pour son propre compte et sans but lucratif toute activité ayant rapport avec ses propres biens, même lorsque cette activité dépasse la simple gestion de ses propres biens et qu’elle est opérée dans le cadre d’échanges économiques de biens et de services. (92). Quant aux activités effectuées pour un tiers, le chômeur âgé reste assujetti au statut de chômage ordinaire. Non seulement, toute activité rémunérée est exclue, mais la possibilité de travail bénévole est également fortement bridée. Les autres conditions imposées par la réglementation du chômage continuent à s’appliquer sans restrictions aux bénéficiaires du statut de ‘chômeur âgé’. Le ‘chômeur âgé’ doit, par exemple, être apte au travail, se soumettre aux contrôles et être domicilié en Belgique (93). Indépendamment des conditions de l’art. 89 A.C., l’art. 80 1° A.C. stipule qu’aucun chômeur de 50 ans ou plus, y compris les chômeurs ne bénéficiant pas de l’exemption de l’art. 89, ne peut être sanctionné en raison de chômage anormalement prolongé. De cette manière, la réglementation du chômage a ouvert la voie à un important circuit de départ anticipé. Les bénéficiaires du statut de ‘chômeur âgé’ disparaissent en effet du marché du travail (ils ne doivent plus être disponibles sur le marché de l’emploi) et continuent à percevoir - toute sanction étant exclue - leur allocation de chômage jusqu’à leur retraite effective. En outre, à l’instar de la prépension, la période de chômage est prise en considération sans restrictions comme une période assi(89) Art. 110 à 119, A.C. (90) Art. 89 §1 jo. ; art. 51, §1 2ème 3° à 6° ; art. 56 et art. 58, A.C. (91) voir J. Put, ‘Arbeid tijdens het genot van sociale zekerheidsuitkeringen (deel2)’, Or., 1992, 8493. (92) Les activités qui entraînent une augmentation de valeur des avoirs propres sont par exemple autorisées pour les chômeurs âgés qui bénéficient de l’exemption de l’art. 89, A.C. C’est également le cas pour les prépensionnés. (93) Art. 60, art. 71 et art. 66, A.C.

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milée pour le calcul de la pension de retraite (94). Bien qu’en principe, le chômeur âgé puisse opter pour la retraite anticipée, il aura tout intérêt à conserver son statut le plus longtemps possible et à ne demander sa retraite qu’à 65 ans. En principe, la modification récente des conditions d’octroi ne change rien à cette situation même si, de toute évidence, le groupe cible de ce statut se voit sensiblement réduit.

3.2.2.

Le complément d’ancienneté pour chômeurs âgés a) Conditions d’octroi Un volet financier en faveur de certains chômeurs âgés est prévu via le régime du complément d’ancienneté. Ce régime est inscrit dans les articles 126 à 129 A.C. – Quiconque souhaite bénéficier de ce complément doit être chômeur complet et avoir atteint l’âge de 50 ans (art. 126 1° et 2° A.C.). – Le chômeur n’a plus droit au complément d’adaptation, ce qui revient à dire que le complément d’ancienneté ne peut être octroyé qu’à partir de la deuxième année de chômage (art. 126 3° A.C.) (95). Toutefois, il n’est pas nécessaire que l’intéressé bénéficie également du statut de ‘chômeur âgé’. – Ensuite, une ancienneté de 20 ans minimum en tant que salarié est requise (art. 126 4° A.C.). – Enfin, les chômeurs et les prépensionnés qui ont refusé la prépension, bien qu’ils satisfissent à toutes les conditions d’octroi de la prépension, sont exclus de l’application du complément d’ancienneté. Par cette mesure, le législateur a souhaité empêcher que les employeurs se soustraient à leurs obligations en matière de prépension en faisant passer les travailleurs âgés ayant droit à la prépension dans le régime du complément d’ancienneté. b) Obligations de l’employeur Ici, l’on peut formuler les mêmes remarques que pour le statut de ‘chômeur âgé’. Du fait de l’absence d’une relation employeur-travailleur, il n’y a dès lors aucune obligation dans le chef des employeurs. c) Statut financier Le chômeur qui satisfait aux conditions d’octroi a droit à un complément à son allocation de chômage. Celui-ci est accordé automatiquement, sans que le chômeur doive en faire la demande. L’allocation de chômage de base est calculée de la même façon que pour un chômeur ordinaire. Le montant du complément d’ancienneté dépend de la situation familiale et de l’âge du bénéficiaire. Pour le chômeur avec (94) Art. 34, §1 A 1°, de l’ A.R. du 21 décembre 1967 portant règlement général du régime de pension de retraite et de survie des travailleurs salariés, M.B., 16 janvier 1968. (95) Le complément d’adaptation n’est accordé qu’au cours de la première période de chômage de 12 mois : art 114, §2, A.C.

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charge de famille, ce complément est fixé à un montant forfaitaire de 3,76 EUR (96,76 EUR par mois). Pour les isolés de moins de 55 ans, le complément s’élève à 4,5% du salaire journalier moyen plafonné. A partir de 55 ans, ce pourcentage augmente à concurrence de 10 %. Pour les chômeurs cohabitants, les pourcentages ont été établis à 5 % à partir de 50 ans, à 10% à partir de 55 ans et à 15 % à partir de 58 ans (art. 127 A.C.). Le complément d’ancienneté est surtout important pour les chômeurs isolés et les chômeurs cohabitants. L’application de ce complément d’ancienneté garantit à ces catégories de chômeurs une indemnité de chômage constante à partir d’un certain âge, quelle que soit la durée du chômage. Pour les isolés, cette indemnité est garantie à partir de l’âge de 55 ans, pour les cohabitants à partir de 58 ans. Pour les isolés, l’allocation est donc toujours calculée selon un taux de 60% (50% + 10%), pour les cohabitants, toujours selon un taux de 55% (40% + 15%). Sur le plan des allocations de chômage, la situation des bénéficiaires du complément d’ancienneté est comparable à celle des prépensionnés. d) Statut social Aucun statut social spécial n’a été prévu pour les chômeurs qui bénéficiaient du complément d’ancienneté. Ils ont le statut de chômeur classique, ou, le cas échéant, celui de ‘chômeur âgé’. Il convient naturellement de tenir compte du durcissement des conditions d’accès au statut de ‘chômeur âgé’. Si, dans le passé, presque chaque bénéficiaire du complément d’ancienneté pouvait prétendre au statut de ‘chômeur âgé’, à l’avenir, seuls les chômeurs âgés de 58 ans ou plus se verront accorder cette possibilité.

3.2.3.

La prépension ‘Canada-dry’ Sous l’influence du durcissement constant de la réglementation relative à la prépension conventionnelle quant aux conditions d’octroi et aux obligations de l’employeur, des mécanismes ont été développés au sein des entreprises et des secteurs. Ces mécanismes visaient à organiser le départ anticipé des travailleurs âgés en dehors du cadre de la prépension, via des régimes d’allocations de chômage complémentaires. La Belgique possède en effet une longue tradition en matière d’allocations de chômage complémentaires. Celles-ci relèvent traditionnellement des négociations collectives au sein de l’entreprise, mais également et surtout au niveau des secteurs (96). On trouve des régimes complémentaires tant en cas de chômage temporaire qu’en cas de licenciement. Dans ce dernier cas de figure, l’allocation peut consister en un forfait unique, par exemple une prime de départ ou un complément périodique à l’allocation de chômage. Dans le cadre des régimes traditionnels, les allocations périodiques sont toujours limitées dans le temps (97). (96) Dès les années qui suivirent immédiatement la Deuxième Guerre Mondiale, des dispositions collectives complémentaires ont été instaurées. Voir : C. Deguelle ‘Les régimes professionnels complémentaires de la sécurité sociale en Belgique’, R.B.S.S., 1962 – n° 3 : 329-401. (97) A propos des allocations de chômage complémentaires, voir : I. Briers, ‘Aanvullende sociale werkloosheidsverzekeringen: een inleidend rapport’, in J. Van Steenberghen et I. Briers (eds.), Werkloosheid en Collectief overleg, Bruges, Die Keure, 1995,73-116.

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Dans leur grande majorité, les allocations de chômage complémentaires qui nous occupent principalement ici – les prépensions ‘Canada-dry’ – sont récentes. Elles revêtent également un caractère périodique, mais contrairement aux régimes mentionnés plus haut, elles ne sont pas octroyées pour une durée déterminée, les indemnités étant allouées jusqu’au départ à la retraite légale. Dans ce dernier cas uniquement, il est question d’un véritable circuit de départ anticipé, puisque ce régime confère à ses bénéficiaires un statut financier avantageux, dont ils peuvent profiter, sans limitation dans le temps, jusqu’à la prise de la retraite légale. Les prépensions ‘Canada-dry’ se rencontrent tant au niveau de l’entreprise qu’au niveau des secteurs industriels. Toutefois, leur centre de gravité semble plutôt se situer au niveau de l’entreprise. a) Conditions d’octroi L’une des principales caractéristiques des prépensions ‘Canada-dry’ est l’absence d’un cadre réglementaire. Contrairement à la prépension conventionnelle, ces régimes ne doivent pas nécessairement reposer sur une CCT. Ils peuvent en principe également faire l’objet d’un accord individuel. Ces régimes permettent ainsi d’apporter une réponse beaucoup plus rapide et plus flexible aux situations concrètes. La réglementation du chômage ne prévoit pas non plus de statut spécial à cet égard. Le bénéficiaire d’une prépension ‘Canada-dry’ reste donc assujetti aux règles ordinaires en matière d’allocations de chômage. Il y a peu de temps encore, aucune condition d’âge ou d’ancienneté ne s’appliquait aux régimes ‘Canada-dry’. L’âge minimal pouvait être fixé en fonction des besoins concrets du moment. Il en allait de même pour les conditions de carrière. En raison de l’absence d’un cadre réglementaire, les régimes ‘Canada-dry’ pouvaient presque être accordés à la carte. Ainsi, un large groupe de travailleurs âgés qui n’avaient pas accès à la prépension en raison d’une carrière professionnelle trop courte ou d’un trop jeune âge, était malgré tout pris en considération pour le départ anticipé. Le récent durcissement de l’accès au statut de ‘chômeur âgé’ remet aujourd’hui en question cette liberté quasi illimitée. Comme nous l’avons signalé, l’accès à ce statut est réservé, après une période de transition de 2 ans, aux chômeurs de 58 ans et plus (98). Sans le statut de ‘chômeur âgé’, le bénéficiaire d’une prépension ‘Canadadry’ est soumis aux règles ordinaires de la réglementation du chômage, avec toutes les conséquences qui s’ensuivent. Il ne sera donc pas dispensé de la disponibilité sur le marché de l’emploi et devra se soumettre aux mesures en vigueur en matière de placement et de formation professionnelle. S’il ne bénéficie pas du statut de ‘chômeur âgé’, l’intéressé continue à faire partie du marché de l’emploi et n’est dès lors pas considéré comme étant réellement sorti du circuit du travail de manière anti-

(98) A.R. du 27 mai 2002 modifiant l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage dans le cadre de l’augmentation du taux d’emploi des travailleurs âgés, M.B., 11 juin 2002.

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cipée. On peut donc s’attendre à ce que ce nouveau règlement entrave le développement de nouveaux régimes ‘Canada-dry’, lesquels confèrent des avantages aux extravailleurs avant l’âge de 58 ans. Pour les travailleurs qui ne peuvent prétendre à la prépension conventionnelle en vertu d’un autre motif, (par exemple, de l’ancienneté), cette nouvelle règle ne change rien et le régime ‘Canada-dry’ demeure une solution alternative valable. Outre les travailleurs qui ne peuvent prétendre à la prépension, d’autres travailleurs peuvent entrer en ligne de compte pour le régime ‘Canada-dry’, si ce dernier s’avère plus intéressant pour eux (ou pour leur employeur). Le travailleur n’est en effet pas obligé d’accepter la prépension. Ce refus a toutefois des implications financières, en ce qui concerne la possibilité de cumul avec le complément d’ancienneté pour les chômeurs âgés. b) Obligations de l’employeur Comme mentionné ci-dessus, le succès croissant de ces régimes a été générateur d’un durcissement constant de la réglementation en matière de prépension. La préretraite ‘Canada-dry’ offre en effet aux employeurs une série d’avantages importants. Les obligations qui s’appliquent à ces derniers dans le cadre de la prépension ne sont pas d’application. En premier lieu, ces régimes alternatifs n’imposent aucune obligation de remplacement. De plus, la prépension ‘Canada-dry’ ne tombe pas non plus sous le champ d’application des trois cotisations patronales dues dans le cadre de la prépension. Un A.R. du 21 mars 1997 prévoit toutefois un élargissement du champ d’application des cotisations patronales à d’autres régimes d’allocations de chômage complémentaires (99). Bien que, dans son exposé des motifs, l’A.R. fasse référence à une nécessité urgente, les indispensables arrêtés d’exécution se font toujours attendre et la perception de ces cotisations n’a donc pas encore mise en pratique à l’heure actuelle (100). Du point de vue des employeurs, la prépension Canada-dry offre donc la possibilité d’optimiser le coût du départ anticipé (101). c) Statut financier L’allocation d’un bénéficiaire d’une prépension Canada-dry se compose de deux éléments : l’allocation de chômage et l’indemnité complémentaire. Vu que les bénéficiaires d’un tel régime n’ont pas le statut de prépensionné, ils n’ont pas droit à l’allocation de chômage calculée au taux fixe de 60%. Le niveau de leur allocation de chômage dépend de leur situation familiale et de la durée de leur chômage. Toute(99) A.R. du 21 mars 1997 instaurant des cotisations patronales et des retenues pour certains chômeurs âgés en application de l’article 3, § 1er, 4° de la loi du 26 juillet 1996 visant à réaliser les conditions budgétaires de la participation de la Belgique à l’Union économique et monétaire européenne, M.B., 1er avril 1997. (100) Voir : D. Wijns, ‘Extra-legale werkloosheidsuitkeringen voor oudere werklozen gepenaliseerd’, Kijk Uit, octobre 1997, 4-7. (101) Pour une comparaison entre la prépension conventionnelle et la prépension Canada-dry sur le plan du coût pour l’employeur, voir : G. Gieselink, Y. Stevens et B. Van Buggenhout, ‘Het brugpensioen Canada-dry: alternatief voor het conventioneel brugpensioen’, Life & Benefits, sous presse.

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fois, de nombreux bénéficiaires d’une prépension ‘Canada-dry’ pourront faire appel au complément d’ancienneté pour chômeurs âgés. Le cumul des deux avantages est explicitement autorisé par la réglementation relative au complément d’ancienneté (102). Comme nous l’avons dit, le complément d’ancienneté est accordé aux chômeurs de plus de 50 ans pouvant justifier d’une carrière professionnelle en tant que salarié d’au moins 20 ans. En revanche, il est important de noter que le complément d’ancienneté n’est pas accordé aux chômeurs qui ont refusé la préretraite conventionnelle. Les travailleurs qui peuvent entrer en ligne de compte à la fois pour la prépension conventionnelle et pour une prépension ‘Canada-dry’ et qui ont opté pour cette dernière ne peuvent donc prétendre au complément d’ancienneté. Dans le cadre de la prépension ‘Canada-dry’, il n’existe aucune définition univoque des indemnités complémentaires. Sur le plan sectoriel, ces allocations sont généralement de nature forfaitaire. Seuls, quelques régimes prévoient une indemnité complémentaire liée au salaire (103). Au niveau des entreprises, ces indemnités complémentaires liées au salaire constituent la règle. Lors du calcul de cette indemnité, on essaie souvent de se rapprocher le plus possible de l’indemnité complémentaire accordée en cas de prépension conventionnelle. Généralement, on s’efforce d’ailleurs d’arriver au même résultat net que celui qui serait obtenu sous le régime de préretraite conventionnelle. Les retenues de 3% et 3,5%, en vigueur dans la prépension conventionnelle, ne s’appliquent pas, pour l’instant, aux prépensions ‘Canada-dry’ (104). Il va de soi que cette situation, qui permet à l’employeur de payer une indemnité moindre tout en garantissant au travailleur le même résultat net, renforce encore l’attrait de ces régimes. d) Statut social Le statut de la prépension ne s’applique pas aux bénéficiaires d’une prépension ‘Canada-dry’. Par conséquent, ces derniers sont considérés, c’est selon, comme des chômeurs ordinaires ou comme des ‘chômeurs âgés’. Dans le premier cas, comme nous l’avons déjà mentionné, il n’est pas vraiment question d’un départ anticipé. En tant que chômeur ordinaire, le bénéficiaire de la prépension ‘Canada-dry’ continue à faire partie du marché de l’emploi et devra donc se soumettre à toutes les conditions et obligations qui s’appliquent aux autres chômeurs. A partir de l’âge de 58 ans (après la période de transition), le bénéficiaire d’une prépension ‘Canada-dry’ peut solliciter le statut de ‘chômeur âgé’. Ici, son statut social ne diffère pas fondamentalement de celui d’un prépensionné conventionnel. En vertu des diverses exemptions prévues par le statut, il ne pourra plus être inquiété

(102) Art. 75 de l’A.M. du 26 novembre 1991, M.B., 25 janvier 1992. (103) Pour une analyse de ces régimes sectoriels, voir : G. Gieselink, Y. Stevens et B. Van Buggenhout, ‘Van brugpensioen tot brugpensioen ‘Canada-dry’: over substitutie-effecten in de eindeloopbaan’, T.S.R., 2002, 243-275. (104) L’A.R. du 21 mars 1997 annonce cependant un changement à cet égard.

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par des demandes émanant du marché de l’emploi et sera donc - à l’instar du prépensionné conventionnel - réellement sorti de manière anticipée du circuit de travail.

3.3.

LA RETRAITE ANTICIPEE

3.3.1.

Conditions d’octroi La réglementation en matière de pensions prévoit la possibilité pour les travailleurs (et ex-travailleurs) d’opter pour une retraite anticipée. Dans ce cas, le droit d’option est dès lors exercé par le travailleur. L’âge minimal pour la retraite anticipée a été fixé à 60 ans pour les hommes comme pour les femmes (105). Une exigence d’ancienneté s’applique également à la retraite anticipée. L’intéressé doit justifier d’un certain nombre d’années de carrière pour lesquelles des droits à une pension de retraite ont été constitués au sein d’un régime de retraite légal. Cette exigence de carrière est de 30 ans pour les retraites qui prennent effet en 2002 ; elle est progressivement élevée à 35 ans pour les retraites qui prennent effet à partir de 2005 (106).

3.3.2.

Obligations de l’employeur Aucune obligation pertinente dans le champ de cette étude n’est imposée à l’employeur dans le cadre de la retraite anticipée.

3.3.3.

Statut financier Sur le plan financier, la position de la personne ayant pris sa retraite anticipée est beaucoup moins attrayante que celle du prépensionné et, dans de nombreux cas, que celle du chômeur âgé. C’est tout d’abord dû au fait que la pension de retraite est calculée sur le salaire de la carrière complète. L’allocation de chômage, en revanche, est calculée sur la base du dernier salaire (107). Par ailleurs, il est important de noter que, pour la personne qui a pris sa retraite anticipée, un certain nombre d’années de carrière est perdu eu égard au calcul du montant de la pension. Comme nous l’avons vu, ce n’est pas le cas pour les chômeurs âgés ni pour les prépensionnés : pour ces dernières catégories, en effet, les années de chômage et de prépension peuvent être prises en compte sans restrictions pour le calcul du montant de la pension. La retraite anticipée n’est donc avantageuse sur le plan financier que pour les travailleurs appartenant à une classe de revenus élevée et ayant accompli une longue carrière. Le calcul de la pension dépend de la situation familiale. La pension de retraite familiale calculée à un taux de 75% est allouée au retraité marié (105) Art. 4, §1, de l’ A.R. du 23 décembre 1996 portant exécution des articles 15, 16 et 17 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions, M.B., 17 janvier 1997. (106) Art. 4, §§ 2 et 3, de l’ A.R. du 23 décembre 1996. (107) Art. 7 de l’ A.R. n° 50 du 24 octobre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés, M.B., 27 octobre 1967.

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dont le partenaire n’exerce pas d’activité professionnelle et ne bénéficie d’aucun revenu de remplacement ou de pension. Les autres ayants droit perçoivent la pension de retraite en qualité d’isolés, calculée à un taux de 60% (108).

3.3.4.

Statut social Le caractère financièrement moins attrayant de la retraite anticipée peut être partiellement compensé par le statut plus avantageux en matière de travail autorisé (109). Contrairement aux prépensionnés et aux chômeurs âgés, le retraité est autorisé, dans certaines limites, à effectuer des activités rémunérées sans perdre l’avantage de la pension. Le retraité doit en faire une déclaration préalable. L’A.R. du 21 décembre 1967 définit la limite du revenu professionnel autorisé. Si cette limite est dépassée de moins de 15%, la pension de retraite est réduite en conséquence. Si la limite de revenu est dépassée de plus de 15%, le paiement de la pension de retraite est suspendu (110). Comme nous l’avons vu, aucun droit à une pension de retraite n’est plus constitué durant la retraite anticipée. C’est également vrai lorsque le retraité effectue un travail autorisé durant la période où il bénéficie de sa pension de retraite. Le montant de la pension de retraite est définitivement fixé au moment où l’intéressé prend sa retraite anticipée (111).

3.4.

LES INVALIDES AGES Contrairement aux circuits de départ anticipé décrits ci-dessus, la réglementation en matière d’invalidité ne prévoit pas de dispositions spéciales pour les invalides âgés. Les invalides âgés doivent remplir les mêmes conditions que les autres invalides et bénéficient du même statut. Etant donné que, par définition, la réglementation en matière d’invalidité ne se base pas sur une condition de disponibilité par rapport au marché de l’emploi, il n’était pas vraiment nécessaire de prévoir un statut spécial pour permettre à l’invalidité de fonctionner en tant que circuit de départ anticipé.

3.4.1.

Conditions d’octroi Moins encore que dans le cadre de la prépension ou du chômage, l’initiative de sortie du circuit de travail en cas d’invalidité dépend du travailleur. Le travailleur doit être en incapacité de travail. (108) Art. 3, §1, de la Loi du 20 juillet 1990 instaurant un âge flexible de la retraite pour les travailleurs salariés et adaptant les pensions des travailleurs salariés à l’évolution du bien-être général, M.B., 15 août 1990. (109) J. PUT, ‘Toegelaten arbeid voor gepensioneerden en bruggepensioneerden’, Or., 1993, 76-92. (110) Art. 64 de l’A.R. du 21 décembre 1967 portant règlement général du régime de pension de retraite et de survie des travailleurs salariés, M.B., 16 janvier 1968. (111) Art. 7, alinéa 8, de l’ A.R. n° 50 du 24 octobre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés, M.B., 27 octobre 1967.

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– A cet effet, il doit avoir interrompu tout travail (sans avoir été obligatoirement licencié). – L’interruption de travail doit être la conséquence directe de l’apparition ou de l’aggravation de lésions ou de troubles fonctionnels. – Enfin, ces pathologies doivent avoir réduit la capacité de gain de l’intéressé à un tiers au moins (112).

3.4.2.

Obligations de l’employeur Aucune obligation spécifique n’est imposée à l’employeur dans le cadre de ce régime.

3.4.3.

Statut financier Le travailleur qui remplit ces conditions a droit à des allocations, qui sont calculées sous la forme d’un pourcentage du salaire dont il a été privé. Comme dans l’assurance chômage, le salaire pris en considération dans ce cadre est plafonné. Les pourcentages varient selon la situation familiale et la durée d’inactivité de l’intéressé. Une distinction est opérée ici entre les travailleurs salariés avec charge de famille, les isolés et les cohabitants. Au cours de la première année d’incapacité de travail, ces pourcentages sont fixés respectivement à 60%, 60% et 55%. A partir de la deuxième année - la période d’invalidité -, ces pourcentages sont fixés à 65%, 45% et 40%, selon qu’il s’agit d’un travailleur avec charge de famille, d’un isolé ou d’un cohabitant (113). Une retenue de 3,5% est opérée sur les allocations d’invalidité – donc seulement à partir de la deuxième année – au profit du secteur des pensions (114). Dans divers secteurs, des régimes ont été instaurés en vue de compléter les prestations légales d’incapacité de travail. Ici, aussi, il existe des régimes qui prévoient un complément périodique jusqu’au départ à la retraite légale (115). Ces régimes sont donc comparables à la prépension conventionnelle et à la prépension Canada-dry, si ce n’est qu’ils sont basés sur l’assurance-incapacité de travail plutôt que sur l’assurance-chômage.

3.4.4.

Statut social L’arrêt de toute activité est une condition qui est maintenue durant toute la période de l’incapacité de travail. L’invalide ne peut exercer aucune activité susceptible d’accroître son patrimoine. Dans ce contexte, toute activité rémunérée en tant que (112) Art 100, §1, de la Loi du 14 juillet 1994 relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994, M.B., 27 août 1994. (113) Art. 87 et 93 de la Loi du 14 juillet 1994. (114) A.R. n° 33 du 30 mars 1982 relatif à une retenue sur des indemnités d’invalidité, M.B., 1er avril 1982. (115) Voir : V. Huber, L. Van Rompaey et B. Van Buggenhout, Aanvullende dekking van het gezondheidsrisico, Bruges, Die Keure, 1998, 457-473.

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salarié ou indépendant est exclue. Toutefois, même d’autres activités effectuées pour son propre compte ou pour des tiers qui ne sont pas directement rémunérées mais qui entraînent une plus-value du patrimoine ou une simple économie, sont également interdites, même lorsque ces activités ne sont réalisées qu’occasionnellement (116). A l’instar des périodes de prépension et de chômage, les périodes d’incapacité de travail sont considérées comme des périodes assimilées qui doivent donc être prises en compte pour le calcul de la carrière professionnelle lors de la mise à la retraite (117). Les invalides ont la possibilité de demander la retraite anticipée, mais, pour le motif cité plus haut, n’auront généralement pas intérêt à le faire.

CONCLUSIONS Traditionnellement, le phénomène du départ anticipé est souvent réduit à la problématique de la prépension conventionnelle. Cette réduction est tout sauf correcte. Les prépensionnés conventionnels ne représentent qu’une minorité des personnes non actives de plus de 50 ans. De plus, leur nombre et leur pourcentage ont fortement baissé au cours de la dernière décennie. Comme nous avons pu le voir, le départ anticipé des travailleurs âgés fait l’objet d’une multitude de mécanismes légaux et conventionnels. Les principaux circuits sont ceux de la retraite (anticipée), du chômage, de la prépension conventionnelle et de l’invalidité. Tous ces mécanismes semblent avoir un grand impact sur l’emploi des travailleurs de plus de 50 ans. En 2001, 61% des travailleurs appartenant à la catégorie d’âge des 50-65 ans avaient quitté le marché de l’emploi de manière anticipée, via l’une de ces voies de départ anticipé. Comme nous l’avons relevé, les différents circuits de départ anticipé ont été développés sur la base de besoins concrets, généralement économiques, et absolument pas à partir d’une vision cohérente de ce que devrait être une fin de carrière pour le travailleur salarié. Ce caractère empirique se reflète également dans le statut social et financier associé aux différents circuits de départ. Il n’est pas question ici de statut unique. Chaque statut porte les marques du secteur de sécurité sociale sur lequel le circuit de départ vient se greffer. Il en résulte une série d’inégalités entre et au sein des différents circuits, tant sur le plan des conditions d’octroi que sur le plan du statut financier ou du statut social. Ces inégalités semblent difficilement justifiables si l’on tient compte du fait que les personnes qui ont quitté le circuit du travail de manière anticipée sont en réalité toutes dans la même situation. Elles ont toutes quitté définitivement le marché de l’emploi et se retrouvent donc toutes retraitées de fait, sans l’avoir nécessairement choisi volontairement. (116) Voir à ce propos : J. Put, ‘Arbeid tijdens het genot van sociale zekerheidsuitkeringen’, Or., 1992, 75-82. (117) Art. 34 B, 1°, de l’ A.R. du 21 décembre 1967 portant règlement général du régime de pension de retraite et de survie des travailleurs salariés, M.B., 16 janvier 1968.

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La diversité des voies de départ anticipé prouve que, pour réduire le départ anticipé, il est nécessaire de recourir à une approche globale et nuancée. Comme nous le savons d’expérience avec la prépension conventionnelle, se contenter de durcir simplement les conditions d’admission de l’un des circuits de départ anticipé n’a que peu de sens. La pratique semble suffisamment ingénieuse pour trouver de nouveaux moyens d’organiser le départ anticipé. Plutôt que tenter de limiter l’offre des circuits de départ anticipé, il faut s’efforcer d’endiguer la demande d’un départ anticipé, en veillant à ce que les employeurs aient intérêt à garder en service des travailleurs âgés et que les travailleurs âgés aient eux aussi intérêt à continuer à travailler. Le départ anticipé est né d’un consensus entre travailleurs et employeurs. La réduction de ce phénomène ne peut connaître de succès que si ce consensus est de nouveau atteint et que l’emploi prolongé des travailleurs âgés profite aux deux parties. (Traduction) __________

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DEPART ANTICIPE DES TRAVAILLEURS AGES EN BELGIQUE

TABLE DES MATIERES

DEPART ANTICIPE DES TRAVAILLEURS AGES EN BELGIQUE

INTRODUCTION

579

1. DECENNIES DE DEPART ANTICIPE

580

1.1. LA PERIODE 1973-1982 1.2. LA PERIODE 1982-1989 1.3. LA PERIODE 1989-1995 1.4. LA PERIODE 1995-2002

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582 586 589 592

2. ANALYSE CHIFFREE DU DEPART ANTICIPE

595

3. CIRCUITS DE DEPART ANTICIPE DANS LE DROIT POSITIF BELGE

601

3.1. LA PREPENSION CONVENTIONNELLE 3.2. LES CHOMEURS AGES . . . . . . 3.3. LA RETRAITE ANTICIPEE . . . . . . 3.4. LES INVALIDES AGES . . . . . . . CONCLUSIONS

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601 604 612 613 615

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STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE. L’IMPACT DES REFORMES DE LA SECURITE SOCIALE ET DE LA FISCALITE SUR LE PIEGE A L’EMPLOI EN BELGIQUE PAR LIEVE DE LATHOUWER et KRISTEL BOGAERTS Centrum voor Sociaal Beleid, UFSIA - Université d’Anvers

INTRODUCTION En Belgique, comme presque partout dans le monde industrialisé, les priorités politiques se sont déplacées au fil des ans. Pendant les années soixante-dix, la protection du revenu était un thème central du développement des Etats providence, mais, au cours des années quatre-vingt-dix, l’activation et le « making work pay » (le travail doit être rémunérateur) sont devenus des principes prioritaires (l’Etat providence se mue dès lors en Etat social actif). Au cœur de cette évolution, se pose une question : Quel est l’impact négatif des institutions de l’Etat providence sur la création d’emplois et la participation au travail ? Des coûts de main-d’œuvre élevés pour financer l’Etat providence risquent de freiner les investissements et la création d’emplois et surtout de rendre le travail faiblement qualifié trop onéreux sur le marché de l’emploi (piège à la productivité). Un arsenal étendu de dispositifs de protection des revenus et une forte pression fiscale découragent l’offre de travail lorsque le travail peu rémunéré rapporte à peine plus voire même moins que le chômage (piège à l’emploi). Le discours autour de l’Etat social actif plaide pour des réformes de la sécurité sociale et de la fiscalité plus favorables pour le travail, ainsi que pour des investissements sociaux tels que la formation et les dispositifs de soutien (p. ex. la garde des enfants). Le présent article (1) analyse les facteurs dissuasifs (“disincentives”) inhérents à la sécurité sociale et à la (para)fiscalité en Belgique. Dans une première section, nous esquisserons le problème de la dépendance plus étroite aux prestations sociales et le rôle des institutions de l’Etat providence et de l’Etat social. Dans la deuxième section, nous tenterons d’expliquer les raisons de l’attention (politique) accrue à une stratégie de stimulation de l’offre et à la réduction du piège à l’emploi. La troisième section sera consacrée à l’analyse de l’évolution des pièges financiers en Belgique au cours de la période 1989-1999 au moyen du modèle de simulation standard Stasim,développé (1) Ce texte est d’abord paru sous la forme d’une communication CSB (novembre 2001). Etant donné que le texte a déjà été publié et que tous les calculs se rapportent à une période où l’on ne travaillait pas encore avec l’euro, tous les montants mentionnés sont encore en francs belges.

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à la demande du Ministère fédéral de l’Emploi et du Travail. Dans la quatrième section, nous évaluerons l’impact des récentes réformes de la sécurité sociale et de la fiscalité en vue de lutter contre les pièges financiers (2). Dans la cinquième section, nous passerons en revue un certain nombre de réflexions critiques sur les subsides de complément de salaire pour faibles rémunérations (in-work benefits) sur la base d’expériences réalisées à l’étranger, particulièrement dans les pays anglo-saxons. La sixième section, enfin, fera la synthèse des principales observations du présent article. 1.

DEGRE DE DEPENDANCE AUX PRESTATIONS SOCIALES ET ROLE DES INSTITUTIONS DE L’ETAT PROVIDENCE L’augmentation du degré de dépendance : un problème touchant surtout les personnes peu qualifiées – La Belgique, et surtout la Flandre, ont connu depuis la seconde moitié des années quatre-vingt-dix une croissance significative de l’emploi. Néanmoins, les taux d’emploi pour des groupes spécifiques comme travailleurs aînés, jeunes, femmes et surtout individus peu qualifiés restent assez bas (Conseil supérieur de l’Emploi 2001). Sur une période plus longue, l’écart entre le taux d’emplois des qualifiés et des non qualifiés ne cesse de se creuser. De 1976 à 1997, les chances d’occupation des personnes faiblement scolarisées ont régressé de 46% à 31% ; avec 83 %, celles des personnes fortement scolarisées sont restées à un niveau stable et élevé (Enquête CSB, Flandre). Les individus ne disposant que de peu de qualifications (formelles) parviennent de plus en plus difficilement à acquérir une indépendance économique et une sécurité d’existence financière grâce à un emploi régulier. Les données de l’enquête nous enseignent que le pourcentage d’actifs (âgés de 25 à 65 ans) en situation de précarité compte tenu de leur revenu marchand (la pauvreté « avant transferts ») a augmenté en Flandre de 14% à 21% entre 1976 et 1997 (3) (Marx et al., 2001). Cette évolution reflète une dépendance accrue aux prestations sociales, en particulier chez les actifs peu qualifiés. En Belgique, de 1985 à 1997, le nombre d’individus peu qualifiés bénéficiant d’une prestation a augmenté de 23% à 34%, chez les personnes hautement scolarisées de 7% à 11% (4) (tableau 1). Les données comparatives indiquent également pour notre pays une forte dépendance aux prestations sociales. Le nombre d’actifs (<65 ans) bénéficiant d’une prestation a augmenté entre 1980 et 1998 de 37 à 49 sur 100 travailleurs. Dans un contexte international, ce taux est très élevé (Ministère néerlandais des Affaires Sociales et de l’Emploi 1998, 2001). (2) Ces analyses ont été réalisées fin 2001. Elles ont tenu compte, en matière de réforme fiscale, de l’avant-projet de réforme tel qu’il était disponible. Toutefois, entre-temps, un système définitif est entré en vigueur, lequel sera appliqué de manière progressive. Nous n’avons donc pu en tenir compte dans ces analyses. Le même principe est de mise pour la réforme flamande des frais de garde d’enfant. Ce règlement est entré en vigueur depuis le 1er juillet 2002. Dans les analyses, nous en sommes restés à l’ancien régime de contribution parentale de Kind & Gezin. (3) Dans le cas de la pauvreté avant transferts, on mesure le nombre de ménages qui doivent nouer les deux bouts avec un revenu familial (net) inférieur à 50% du revenu moyen équivalent des ménages après déduction des prestations sociales. Le revenu avant transferts peut être considéré comme un indicateur du revenu marchand (pour l’essentiel, un revenu tiré du travail). (4) Les fichiers CSB ne permettent de calculer le nombre de personnes bénéficiant d’un revenu de remplacement qu’à partir de 1985.

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STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

TABLEAU 1. : PART DES INDIVIDUS D’AGE ACTIF (1) BENEFICIANT D’UNE ALLOCATION DE REMPLACEMENT D’APRES LE NIVEAU D’EDUCATION (2), BELGIQUE 1985-1997.

Tous Faiblement qualifiés Hautement qualifiés

1985

1988

1992

1997

17,2 23,5 7,2

19,2 26,3 9,2

2,1 31,5 10,5

21,4 34,3 10,9

Note : (1) Définition d’actif : homme entre 25 et 65 ans et femme entre 25 et 60 ans ; les individus âgés de moins de 25 ans qui travaillent ou dépendent d’une prestation sociale sont également comptés parmi les personnes professionnellement actives. (2) Par “faiblement qualifié”, nous entendons au mieux l’enseignement secondaire inférieur ; hautement qualifié correspond à une formation E.S.N.U. ou un enseignement universitaire. Source : Enquêtes CSB.

La littérature invoque différents facteurs pour expliquer le faible taux d’emploi persistant et la grande dépendance aux prestations sociales chez les personnes peu qualifiées (pour un aperçu, voir de Beer, 2001 ; Ferrera, 2000). Les développements technologiques sont généralement réducteurs d’emplois et posent sans cesse des exigences plus élevées sur le plan de la connaissance, des compétences et de la souplesse intellectuelle. La mondialisation de l’économie (production économique à l’échelle mondiale) oblige par ailleurs les économies fortement développées à jouer pleinement leur avantage comparatif, qui se situe précisément sur le plan des secteurs hautement technologiques et à forte intensité de connaissances. Le glissement de l’industrie vers les services joue au détriment des personnes insuffisamment qualifiées, car les emplois manuels faiblement qualifiés ont été perdus dans l’industrie, alors que le secteur tertiaire a surtout donné naissance à des emplois à haut degré de connaissances. Ce faisant, le phénomène de “surqualification” joue également un rôle, à l’occasion de quoi les derniers emplois faiblement qualifiés sont occupés par des personnes hautement qualifiées au détriment des personnes faiblement qualifiées. Les enquêtes pour la Flandre concluent sur ce constat : pour 35% des places vacantes, la personne recrutée dispose d’un niveau d’étude plus élevé que celui initialement demandé dans l’offre d’emploi (Denolf, 1999 ; Lamberts et Gheldof, 2000). Les employeurs préfèrent recruter des personnes très qualifiées, même pour des emplois faiblement qualifiés parce qu’à leurs yeux, la formation s’accompagne de compétences toujours plus importantes dans l’organisation moderne du travail (flexibilité plus grande, capacité de communication, autoresponsabilité, créativité, travail en équipe). Enfin reste la question de l’impact négatif des institutions de l’Etat providence sur la participation au travail. Les dispositions en matière de prospérité (salaire minimum, sécurité sociale, fiscalité) jouent surtout en défaveur des personnes peu qualifiées. Une pression fiscale et parafiscale élevée (5)

(5) Entre 1960 et 1998, la part des impôts et des cotisations sociales dans le PIB a augmenté de 26,3% à 46,6% (Ministère des Finances).

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en vue de financer l’Etat providence freine les investissements et la création d’emplois et rend, en premier lieu, le travail des personnes faiblement qualifiées trop onéreux sur le marché (piège à la productivité). Du fait de la combinaison de la sécurité sociale, de la (para)fiscalité et des coûts liés au « travail », le travail faiblement rémunéré n’est plus rentable (piège à l’emploi). Facteurs de dissuasion dans les accords sur les revenus – L’effet négatif des dispositifs sociaux sur l’offre de travail repose sur la combinaison de trois caractéristiques institutionnelles distinctes du modèle social continental. En premier lieu, des prestations sociales généreuses sont accordées et ce, pendant de longues périodes. Dans le cadre de l’assurance-chômage belge - principale disposition influençant le revenu des chômeurs -, les allocations ne sont pas particulièrement élevées par rapport aux salaires moyens, mais le sont par rapport aux bas salaires (minimaux) (pour les résultats chiffrés, voir section 3). Le faible caractère d’assurance de la prestation sociale (prestations maximales peu élevées, structure des prestations dépendant fortement de la composition familiale) procure en cas de chômage un niveau de vie relativement modeste aux personnes moyennement ou bien rémunérées (salaire moyen ou plus élevé). En revanche, pour les chômeurs à faible potentiel de gain (salaire minimum ou légèrement supérieur), la forte pression fiscale, la perte de dispositions sélectives (e.a. les allocations familiales majorées) et les frais supplémentaires liés au travail (particulièrement les frais de garde des enfants), risquent de rendre un travail faiblement rémunéré peu attractif. Par ailleurs, du point de vue de ces chômeurs, cette situation est persistante vu les longues durées durant lesquelles ils bénéficient des prestations sociales. En Belgique, la durée des prestations est atypiquement longue pour les chômeurs (De Lathouwer, 1997). Les prestations allouées dans le cadre de l’assurance sont en règle générale illimitées dans le temps pour les chômeurs dont le ménage est sans autre revenu (chefs de famille, famille monoparentale, isolés). Pour les chômeurs vivant dans un ménage dont certains membres ont un revenu (les ‘cohabitants’, principalement épouses et enfants qui habitent chez leurs parents), la durée des prestations est limitée par l’article 80 (6). Ces dernières pouvant encore être versées longtemps sans toutefois pouvoir dépasser la durée fixée par cet article. Contrairement aux systèmes étrangers, en Belgique, les femmes peuvent bénéficier longtemps d’une prestation sociale. Dans la plupart des autres pays, après avoir épuisé ses droits relatifs à l’assurance-chômage, le chômeur passe dans un régime d’aide sociale, où les

(6) L’article 80 impose une limitation de la durée de la prestation sociale pour les cohabitants chômeurs avec un revenu de ménage net supérieur à un seuil de revenus déterminé (636.742 FB augmentés de 25.470 FB par personne à charge, montants indexés au 1er juin 1999). Ce groupe perd l’allocation si le chômeur dépasse de 1,5 fois (jusqu’en 1996, 2 fois) la durée de chômage moyenne, compte tenu de l’âge, du sexe et de la région. Ainsi, la durée maximale d’octroi de l’allocation pour les femmes varie de 2,5 ans (Ostende, pour les femmes âgées de moins de 36 ans) et plus de 8 ans (Mons pour les femmes de plus de 46 ans).

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femmes (mariées) perdent souvent leurs droits à cause d’un contrôle des moyens d’existence. Du fait de la durée longue des allocations, la dissuasion (financière) à trouver un travail est susceptible de perdurer. En deuxième lieu, la nature des prestations sociales a pendant longtemps été passive. De cette manière, la sécurité sociale fonctionne comme un filet de sécurité collectif, permettant aux ‘superflus économiques’ de quitter le marché de l’emploi de façon socialement responsable. La passivité s’exprime d’une part par un lien très ténu entre allocations et formation, expérience de travail et placement des chômeurs. Selon les statistiques de l’OCDE, la Belgique dépense moins pour la formation des chômeurs que d’autres pays (en 1998, 0,17% du PIB contre 0,28% en France, 0,32% aux Pays-Bas, 0,35% en Allemagne ; 0,48% en Suède et 0,78% au Danemark) (OECD, 2000). Le grand nombre de chômeurs de longue durée, qui déclarent, lors d’une enquête récente, n’avoir quasiment pas été contactés par les services publics de placement illustre ce caractère passif réducteur de l’offre de la sécurité sociale. Parmi les cohabitants chômeurs de longue durée, 60% ont le sentiment de ne recevoir aucune aide réelle de la part des services de placement lors de la recherche d’un emploi ; un tiers affirme n’avoir jamais été invité en vue d’un entretien par les services de placement et plus de la moitié n’avoir jamais reçu la moindre proposition pour occuper un poste vacant (De Lathouwer et al., 2000). A la suite de l’absence d’investissement social en capital humain, le savoir, les compétences et les indispensables attitudes de travail s’érodent. Par ailleurs, le chômage induit des processus d’adaptation sociopsychologiques (De Witte, 1993). D’autre part, la passivité s’exprime également par la politique de contrôle longanime. Même si, depuis les années quatre-vingt, la politique de sanctions a été rendue plus sévère (nouveaux articles de sanction, p.ex. association des allocations avec plan d’accompagnement, aggravation des peines), le contrôle des chômeurs, dès qu’ils ont échoué dans ce statut, est très limité. Dans les années quatre-vingt-dix, le taux de sanction variait entre 1% et 2% (certaines sanctions pour refus d’un travail, indisponibilité, noninscription auprès d’un service de placement ou d’un bureau de chômage et refus d’accepter une offre ALE en % des chômeurs complets indemnisés) (7). En 2000, la politique de sanction a même été assouplie en arguant que les institutions d’exécution seront plus enclines à sanctionner plus rapidement à partir du moment où les peines encourues seront moins sévères. Enfin, le troisième point porte sur les charges élevées sur le travail (du fait des cotisations sociales et de la fiscalité). En plus d’une pression accrue sur le coût salarial, le salarié ne touche qu’un net résultant d’un prélèvement considérable sur le salaire

(7) En 1999, on a relevé 13.422 sanctions pour chômage volontaire, dont seulement 4.398 se rapportaient à un contrôle effectif des chômeurs (refus d’un travail, indisponibilité, non-présentation au bureau de placement ou au bureau de chômage et refus d’une offre ALE) ; 9.024 se rapportaient au fait d’avoir quitté un emploi (démission spontanée) ou licenciement pour motifs légitimes (p. ex. une faute grave). Ces personnes ont dès lors entamé leur période de chômage avec une sanction.

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brut. Le coin salarial, (c.-à-d. l’écart entre le salaire brut et le salaire net, en pourcentage du salaire brut ; il s’agit donc de l’impact des cotisations sociales et des impôts sur les personnes physiques), est substantiel en Europe continentale (voir tableau 2). Dans une perspective comparative, la Belgique fait partie des pays à coin salarial élevé. Pour les salaires moyens, le coin varie de 31% (un seul salaire pour un ménage avec 2 enfants) à 42% (isolé). Pour les bas salaires, également, le coin salarial n’est pas anodin. Jusqu’à la fin des années ’90, au niveau du salaire minimum, la sécurité sociale et la fiscalité absorbaient du salaire minimum brut respectivement 29% pour les isolés, 20% pour les familles monoparentales et 14% pour les ménages à un revenu avec 2 enfants à charge.

TABLEAU 2 : COIN SALARIAL : IMPOTS ET COTISATIONS SOCIALES EXPRIMES EN % DU SALAIRE BRUT MOYEN (APW) (1), 1998. En % du salaire moyen

Isolé

Couple, 2 enfants

Danemark Allemagne Belgique Suède Pays-Bas France R-U

43,4 42,1 41,8 34,4 34,4 27,3 25,2

36,4 22,4 30,8 34,4 29,6 20,8 23,6

Note : (1) l’ “average production worker” (APW) se rapporte au salaire moyen de travailleurs à temps plein dans l’industrie. Source : OECD Taxing Wages 1998-1999.

Comportement de recherche et facteurs de dissuasion – La combinaison de taux de remplacement élevés pour personnes avec faible potentiel de gain, des allocations de longue durée et le caractère passif des prestations risquent de dissuader financièrement et sociopsychologiquement les chômeurs à chercher du travail. Les chiffres relatifs à la durée des allocations suggèrent un effet d’autorenforcement du chômage. Plus longtemps, l’on (peut) émarge(r) au chômage, plus il semble difficile d’en sortir (Commission des Affaires Sociales, 1997). Tant la recherche internationale que les enquêtes nationales aboutissent au même constat empirique : certains chômeurs ne cherchent pas effectivement un emploi. Une première méthode de travail parfois utilisée, consiste en une comparaison entre le chômage administratif (chiffres nationaux du chômage) et la définition plus sévère du chômage par l’OIT (8) (p. ex. dans le Job Study de l’OCDE, Partie 2, p.188). (8) La définition de demandeur d’emploi de l’OIT est basée sur l’Enquête sur la population active. Dans celle-ci, on demande aux personnes si elles (1) sont sans travail, (2) ont effectivement cherché un emploi au cours des 4 dernières semaines précédant l’enquête et (3) sont immédiatement disponibles sur le marché de l’emploi. Si les personnes répondent à ces critères, elles sont définies comme demandeurs d’emploi d’après la définition de l’OIT. Le taux de chômage administratif indique le nombre de demandeurs d’emploi qui ne travaille pas (chômeurs complets indemnisés, autres inscrits obligatoires et personnes sans travail librement inscrites) en % de la population active.

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Cette comparaison suggère que, dans certains pays, parmi lesquels la Belgique, une partie considérable des chômeurs enregistrés perçoit une allocation de chômage sans être à la recherche d’un emploi. Aujourd’hui, dans notre pays, si l’on s’en tient à la définition de l’OIT , à peine 6,8 % de la population active est à la recherche d’un emploi, tandis que le chômage administratif représente toujours 10,2% (données d’avril 2001, Ministère de l’Emploi et du Travail). Une deuxième méthode de travail consiste à effectuer des enquêtes spécifiques sur la volonté de travailler et le comportement de recherche des chômeurs. D’autres études antérieures auprès de chômeurs de longue durée en Flandre ont démontré qu’environ la moitié de ceux-ci s’étaient retirés du marché de l’emploi ou adaptés au chômage et n’étaient plus à la recherche d’un emploi (De Witte, 1992). Une enquête récente auprès de chômeurs (tant de courte que de longue durée) indique qu’à peine, un gros 40% recherche activement du travail (Doyen et Lamberts, 2000). Dans ce contexte, les femmes cherchent moins intensivement que les hommes et les chômeurs de longue durée postulent moins fréquemment que les chômeurs de courte durée. Dans une enquête auprès de cohabitants chômeurs de longue durée (non suspendus), c.-à-d. majoritairement des femmes mariées, à peine 30% affirme encore être activement à la recherche d’un emploi (De Lathouwer et Bogaerts, 2000). Dans les études internationales comparatives sur la volonté de travailler des chômeurs sur la base de l’Eurobaromètre, la Belgique se range parmi les pays ayant une part relativement grande de chômeurs qui ne sont (plus) motivés à travailler (‘employment commitment’) (9) (Gallie, 2000). En Belgique, 60% des chômeurs se déclarent prêts à travailler, ce qui est nettement moins que dans les pays scandinaves (Danemark 83%, Suède 79%), aux Pays-Bas (80%) et dans les pays anglo-saxons (R-U 78%, Irlande 71%).

(9) L’indicateur d’’employment commitment’ (disposition à travailler) a été calculé par Gallie (2000) sur la base de l’étude d’Eurobaromètre (Employment in Europe Survey). Il s’agit (je cite) d’ ‘‘an indicator of non-financial employment commitment, that is to say the desire to have some type of paid job irrespective of financial need’’ (un indicateur traduisant la motivation à travailler en dehors de toute considération financière, c’est-à-dire le désir d’avoir un type d’emploi rémunéré sans tenir compte des besoins financiers) (Gallie, 2000: 113). Cet indicateur est également utilisé dans l’enquête américaine ‘Quality of working life’ et dans des études britanniques. Pour les chômeurs, le format spécifique était ‘if you were to get enough money to live as comfortably as you would like for the rest of your life, would you want to work somewhere or would you want to remain without a job’ (si vous étiez suffisamment riche pour vivre confortablement selon vos envies, pendant le reste de votre vie, désirez travailler ou non ?).

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GRAPHIQUE 1 : POURCENTAGE DE CHOMEURS DISPOSES A TRAVAILLER (‘EMPLOYMENT COMMITMENT’). 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0

Danemark

Pays-Bas

Suède

Royaume-Uni

Italie

Irlande

Portugal

Allemagne de l’est

Autriche

Belgique

France

Espagne

Allemagne de l’ouest

Source : Eurobaromètre (extrait de Gallie 2000).

En dépit de ces résultats – un nombre considérable de chômeurs n’est pas (plus) à la recherche d’un travail ou n’est pas disposé à travailler – la question suivante reste: existe-t-il une relation directe entre la générosité des prestations et la motivation à travailler des chômeurs ? Les nombreuses études (généralement économétriques) ne fournissent pas de réponse définitive – du moins au sens général et à grande échelle - sur les effets négatifs du niveau des allocations sur la durée du chômage (un indicateur sur l’aspiration à travailler). Les études pour l’Europe ne laissent généralement pas transparaître de lien significatif entre l’importance de la prestation et la réintégration au marché du travail. Différentes études réalisées aux Etats-Unis trouvent effectivement des rapports significatifs, mais leur étendue est tellement minime que les effets ne sont sûrement pas assez marquants pour expliquer le chômage (une élasticité de moins de 1, ce qui traduit qu’une diminution des prestations de 10% pourrait réduire la durée du chômage tout au plus de 10%). Les études microéconomiques trouvent un lien plus univoque sur l’influence de la durée des prestations sur le chômage de longue durée. C’est plus ou moins au moment où est atteinte la durée maximale du bénéfice des prestations, que l’on enregistre le plus grand nombre de sorties du chômage, mais la majorité des études ne peuvent - par manque de données exhaustives et fiables – vérifier la destination précise pour laquelle les chômeurs quittent ce statut (pour un aperçu voir : Atkinson et Micklewright, 1991 ; Atkinson et Mogensen, 1993 ; Pedersen et Westergard-Nielsen, 1993 ; OCDE, 1998).

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Il ressort également des études internationales comparatives sur l’engagement à travailler des chômeurs (voir ci-dessus : Gallie, 2000) qu’il n’y a aucun lien avec le niveau de protection des revenus. Dans les pays scandinaves, où les prestations sont généralement élevées, les chômeurs sont tout autant axés sur le travail qu’au Royaume-Uni, où les allocations sont nettement plus faibles. La grande motivation à travailler des chômeurs dans les pays scandinaves semble nettement plus liée à un accompagnement actif, à l’expérience professionnelle, à la formation et au contrôle. Ce sont des caractéristiques institutionnelles typiques des systèmes de prestations scandinaves (Lodemel, e.a., 2001 ; Nicaise, 2001). Ces caractéristiques permettent d’allier un haut niveau de protection du revenu à une forte volonté de travailler.

2.

DETERMINANTS DU GLISSEMENT DE L’ETAT PROVIDENCE PASSIF VERS L’ETAT SOCIAL ACTIF L’Etat social actif suppose qu’un plus grand nombre d’individus travaillent et qu’en général, la dépendance aux prestations sociales soit moindre. Avec le discours axé sur l’activation et sur le principe du travail rémunérateur, l’accent se déplace d’une politique de la demande vers une politique de l’offre. Nous pouvons discerner quatre évolutions sociétales qui ont contribué à mettre à l’ordre du jour, en Belgique, la problématique des pièges à l’emploi.

2.1.

EVOLUTION DU MARCHE DE L’EMPLOI En premier lieu, certains développements sur le marché de l’emploi ont porté à l’ordre du jour le problème des pièges à l’emploi. Depuis la moitié des années quatrevingt-dix, nous assistons à un renversement dans l’emploi. Entre 1994 et 2000, près de 240.000 emplois ont été créés en Belgique (le taux d’emploi a augmenté de 56,6% en 1995 à 60% en 2000). Le chômage administratif a baissé (c.-à-d. les chômeurs complets indemnisés) de 555.252 unités en 1995 à 439.148 en 2000 (MET, 2000). Le marché du travail est caractérisé aujourd’hui par une situation de pénurie de la demande d’emploi. Un nombre croissant de postes vacants s’avère de plus en plus difficile à remplir (Lamberts, e.a., 1999). D’autre part, la dépendance globale aux prestations sociales dans la population active (y compris les statuts de non-demandeurs d’emploi, comme prépensionnés, travailleurs âgés et interruptions de carrière) reste très élevée avec plus de 873.000 personnes (chiffres pour 1999, ONEM Rapports annuels). De plus, la population active (travailleurs et demandeurs d’emploi ensemble) augmente nettement plus lentement du fait de l’évolution démographique (vieillissement de la population). A la suite de cette évolution, l’accent se déplace d’une pénurie d’emplois vers un manque réel de demande d’emploi. La pénurie de l’offre entraîne une plus grande pression sur la réserve considérable de main-d’œuvre non utilisée (chômeurs de longue durée, aînés, femmes travaillant à domicile). Mais la question reste de savoir si les emplois dits difficiles à pourvoir peuvent être occupés par cette réserve. Les professions difficiles à pourvoir renvoient en tout premier lieu à une non-concordance entre qualifications demandées et disponibles. La principale cause du grand nombre d’emplois non comblés serait liée à des manques 627


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de qualification, c.-à-d. formation déficiente, manque de compétences et expérience utile de travail (Steunpunt Werkgelegenheid, Arbeid en Vorming, 1999). Les emplois faiblement qualifiés sont, il est vrai, tout aussi – voire plus – difficilement comblés. Dans ce contexte, il y a lieu de tenir compte de déficits quantitatifs, c.-à-d. une pénurie d’étudiants dans certaines filières et des conditions de travail défavorables - p. ex. un travail sale et malsain, salaires trop bas, horaires de travail peu adaptés, qui ont pour effet de susciter peu d’intérêt. Outre ce problème de la pénurie de travail se pose la question de savoir si la politique d’activation elle-même a entraîné les bas salaires. L’objectif de la diversité en plans de création d’emplois subventionnés (diminutions des cotisations patronales, activation des prestations sociales, etc.) vise la création d’un nombre plus élevé d’emplois non qualifiés. Ces emplois offrent généralement une rémunération égale ou voisine du salaire minimum. Or, c’est précisément dans l’échelle des bas salaires que la problématique des pièges à l’emploi est la plus aiguë. Si la politique d’activation était efficace, elle supposerait un accroissement de la part des bas salaires. En Belgique, il n’existe cependant pas de données sur l’étendue du groupe de travailleurs qui gagnent le salaire minimum et sur son évolution dans le temps (pour d’autres pays, voir Nobre, 2001). Par ailleurs, notre pays connaît le plus souvent des salaires minima de CCT sectorielles plus élevés que le salaire minimum moyen garanti négocié sur le plan ‘interprofessionnel’, comme le suggèrent les comparaisons établies par le Ministère de l’Emploi et du Travail (1998: 157 s.s.). Sur la base de données d’enquêtes, nous sommes en mesure de définir un indicateur de bas salaire. Par analogie avec l’indicateur Eurostat (Marlier et Ponthieux, 2000) pour qui un bas salaire équivaut à 60% du salaire médian -, nous ne trouvons aucune indication d’un accroissement de la part des travailleurs faiblement rémunérés, occupés à temps plein en Belgique. Entre 1985 et 1997, la part des personnes qui travaillent pour un salaire (net) inférieur à 60% du salaire médian dans notre pays a augmenté de 7,7% à 10,8%, mais ceci est surtout la conséquence d’une augmentation sensible des emplois à temps partiel (tableau 3). La part des temps partiels au sein de la population active est passée durant cette période de 9% à 15%. Le nombre des personnes qui travaille en échange d’un bas salaire corrigé pour le nombre d’heures ouvrées, c.-à-d. l’indicateur standardisé de bas salaire, est resté quasiment stable tout au moins jusqu’en 1997. Dans des pays comme le nôtre, le travail salarié à temps plein et l’inégalité des salaires sont relativement minimes grâce aux négociations salariales collectives et à la sécurité sociale par rapport aux pays suivant le modèle anglo-saxon, où les différences de rémunération sont nettement plus marquées (10) (OCDE, 1996, 1997). (10) Une étude OCDE de 1996 nous apprend qu’en Belgique, seulement 7,2% des travailleurs à temps plein gagnent un salaire inférieur à 66% du salaire médian par rapport à 11,9% aux Pays-Bas, 13,3% en France et en Allemagne, 19,6% au R-U et même 25% aux E-U (chiffres pour le début des années quatre-vingt-dix). Dans notre pays, l’incidence limitée des bas salaires est associée à une inégalité salariale restreinte en comparaison avec d’autres pays (OCDE, 1996 ; Marlier et Ponthieux, 2000).

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STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

TABLEAU 3 : INDICATEURS DE BAS SALAIRES (1), BELGIQUE, 1985-1997.

% de travailleurs à bas salaire % de travailleurs à bas salaire standardisé pour la durée de travail % travailleurs à temps partiel (2)

1985

1997

7,7 4,4 9

10,8 4,7 15

Note : (1) Défini comme un salaire (net) inférieur à 60% du salaire médian. (2) Sur la base de l’enquête (européenne) sur la population active. Source : SEP-CSB.

2.2.

LE PARADIGME DE « L’ETAT SOCIAL ACTIF » L’objectif central de “l’Etat social actif” est de réprimer la dépendance aux prestations sociales et d’augmenter la participation au travail. L’Etat social actif vise à redessiner l’Etat providence et, ce faisant, à mettre à l’ordre du jour un nouvel équilibre entre prestations et politique active du marché, droits et devoirs, stimulants positifs (‘la carotte’) et négatifs (‘le bâton’) ainsi qu’entre les méthodes utilisées de transferts anonymes opposés au travail sur mesure personnalisé (Deleeck, 2000 ; Nicaise, 2001; De Lathouwer, 2001). Le paradigme de “l’Etat social actif” donne une nouvelle accélération au discours sur les fondements de l’Etat providence. Le débat de principe peut être ramené à des (anciennes) conceptions sur la responsabilité et la citoyenneté, qui constituent le fondement final de l’institution de l’Etat providence. La pensée sociale-démocrate met l’accent sur les risques sociaux et la responsabilité collective. Les risques sociaux ne sont pas la conséquence de choix individuels (faute), mais de ‘calamités’, ce qui les vide de leur charge morale et de leur caractère individuel (Van der Veen, 1999). Parce que l’inégalité sociale n’est pas la conséquence d’une responsabilité personnelle, il existe une base pour des arrangements collectifs (et obligatoires). Les pouvoirs publics sont responsables de l’organisation de la sécurité sociale et de dispositifs en vue de fournir aux citoyens des chances de vie identiques. Dans la pensée (néo)libérale, l’accent est placé sur les risques et la responsabilité personnels. Le marché est l’institution dominante et l’inégalité est surtout la résultante de différences sur le plan des efforts fournis et d’une bonne utilisation des talents personnels, donc d’une responsabilité individuelle. En tout premier lieu, les citoyens ont le devoir de pourvoir à leur entretien (et à celui de leur famille) par le biais du travail ; par définition, le rôle des pouvoirs publics au regard de la sécurité sociale et des dispositifs sociaux, doit rester discret. Avec le débat sur l’activation, la pensée orientée sur l’offre, le problème des pièges à l’emploi et l’impact négatif, des institutions de l’Etat providence reçoivent une attention plus grande. Dans le discours idéologique, l’équilibre entre justice (protection des revenus et protection sociale) et efficacité (création d’emplois et participation au travail) et entre droits et devoirs (responsabilité des divers acteurs contre responsabilité collective) occupe une place centrale. 629


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2.3.

UNE DYNAMIQUE EUROPEENNE PLUS TONIQUE Une troisième évolution importante qui presse la Belgique à mettre à l’ordre du jour la problématique des stimulants et des pièges à l’emploi vient de la dynamique européenne insufflée par la « méthode de coordination ouverte » et de la technique des directives sur l’emploi. Dans les directives européennes sur l’emploi, il est demandé expressément aux Etats membres de mener une politique sociale ‘employment friendly’ (favorable à l’emploi) en reconsidérant leurs systèmes nationaux des prestations, de la fiscalité et de la formation de manière à soutenir activement l’employabilité (Ministère de l’Emploi et du Travail, 2000). La méthodologie politique de la coordination ouverte – également qualifiée de ‘management par approche par objectifs’ – a été utilisée pour la première fois en 1997 au Sommet européen de Luxembourg. Par le biais d’accords communautaires sur les objectifs, les directives, le ‘benchmarking’ et d’indicateurs quantitatifs, les Etats membres se stimulent mutuellement à de meilleures prestations (‘peer pressure’ : pression par les pairs). Les Plans d’action nationaux établis pour la première fois en 1998 ont donné une impulsion nouvelle à la politique nationale. La responsabilité de l’exécution de la politique reste du ressort des Etats membres nationaux mais via la méthode de coordination ouverte et des directives ; la stratégie européenne en matière d’emploi provoque une pression considérable sur les gouvernements nationaux afin qu’ils se concertent sur la réforme des systèmes de sécurité sociale, d’expérience du travail et de formation (Visser, 2001).

2.4.

DEVELOPPEMENTS RELATIFS A LA SITUATION FINANCIERE L’amélioration de la situation budgétaire fin des années quatre-vingt-dix est une quatrième évolution. Celle-ci a créé les conditions (politiques) de dépasser les échanges entre la protection du revenu et les stimulants financiers en faisant disparaître le piège à l’emploi par l’intermédiaire de stimulants positifs (augmentation des salaires les plus bas) et en procédant simultanément à un accroissement des prestations sociales (les plus basses). Pendant de longues années, la Belgique a connu une situation problématique sur le plan des finances publiques. Dans le courant des années quatre-vingt-dix, son déficit budgétaire net à financer s’est élevé à rien moins que 13% de son PIB. Depuis la deuxième moitié des années ’80, sa politique était marquée du signe de la répression du déficit budgétaire. En partie sous la pression du Traité européen de Maastricht (1993), le déficit budgétaire fut ramené en 1996/1997 à seulement 3% du PIB et en 2001 – pour la première fois depuis de nombreuses décennies – était atteint l’équilibre budgétaire. Malgré la précarité toujours présente des finances publiques suite à l’augmentation permanente de la dette publique (en 1999, encore 106% du PIB par rapport à la norme de Maastricht de 60% du PIB) et à la consolidation budgétaire prévue par le pacte de stabilité et de croissance du gouvernement, l’évolution budgétaire positive crée de nouvelles possibilités pour mener une politique de stimulation de l’offre par le biais de stimulants positifs (investissement social dans l’expérience de travail, dans la formation, compression des charges, élimination des pièges à l’emploi) et non par l’intermédiaire de stimulants négatifs (suppression progressive des prestations sociales).

630


STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

Le choix de la suppression progressive des prestations sociales dans l’échange entre protection des revenus et incitants financiers aurait des conséquences radicales sur la pauvreté. C’est précisément grâce à une protection sociale étendue que les pays de l’Europe sociale continentale sont en mesure de concilier un faible taux d’emploi avec un faible taux de pauvreté (Cantillon, Marx et Van den Bosch, 1997 ; Commission européenne, 1997 ; Atkinson, 1999). En Belgique, la pauvreté est peu fréquente grâce aux salaires élevés [contrairement aux Etats-Unis où il est question d’un problème des ‘working poor’ (travailleurs pauvres)], mais surtout grâce à une protection généreuse des non-actifs. En tout premier lieu, c’est surtout chez ces derniers qu’interviennent de fortes divergences dans le niveau de pauvreté entre pays (voir graphique 2). Dans les pays scandinaves et dans le Benelux, par rapport à d’autres pays, la pauvreté chez les non-actifs est maintenue à un niveau relativement faible grâce à une sécurité sociale très large. Dans les pays anglo-saxons, par contre, du fait des systèmes nettement plus restrictifs de sécurité sociale, certains groupes défavorisés sont confrontés sur le marché du travail à un risque de pauvreté exceptionnellement élevé.

GRAPHIQUE 2 : POURCENTAGE DE PAUVRES EN AGE DE TRAVAILLER DANS QUELQUES PAYS DE L’OCDE, AU DEBUT DES ANNEES QUATRE-VINGT-DIX. Niet werkend

Werkend

Non-actifs

Actifs

45

45

40

40

35

35

30

30

25

25

20

20

15

15

10

10

5

5

0

0 BE NL GB VK CH ZW AU CA USA VS B DK NW N GE D NL A SP E CA

B DK NW N GE D NL VK GB ZW CH AU A SP E CA CA USA BE VS

Note : pauvre=revenu du ménage inférieur à 50% du revenu équivalent médian des ménages. Source : LIS (Marx et Verbist, 1998).

Les études internationales nous enseignent une chose : un taux de pauvreté bas exige des dépenses sociales élevées. Les études comparatives nous indiquent une relation évidente inverse entre l’étendue de la protection sociale et la pauvreté (Cantillon, Marx et Van den Bosch, 1997 ; Mitchell, 1991). Les pays avec un haut niveau 631


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de dépenses sociales connaissent un faible taux de pauvreté ; à l’inverse, les pays qui n’injectent que peu de moyens présentent un taux plus important de pauvreté. Certaines analyses tirées d’études récentes sur échantillon confirment qu’un Etat social bien développé atténue également la persistance de la pauvreté dans de plus fortes proportions (OCDE, 2001). La relation entre taux d’emploi et pauvreté est nettement moins rectiligne, comme le démontrent les études comparatives sur la pauvreté (voir ci-dessus). Les études comparatives font également apparaître que la croissance du taux d’emploi n’implique pas automatiquement un taux de pauvreté moindre. Ainsi, en Belgique, dans le courant des années ’90, la reprise économique et l’augmentation du taux d’emploi (particulièrement en Flandre) ont été accompagnées d’une stagnation du taux réel de prospérité au bas de l’échelle de la répartition des revenus et, par conséquent, d’un accroissement (limité) de la pauvreté relative (Cantillon, e.a., 1999). Aux Pays-Bas, également, les inégalités et la pauvreté (relative) ont augmenté depuis 1985 malgré la croissance spectaculaire du taux d’emploi (de Beer, 1999 ; Muffels, 1999 ; De Lathouwer, 2000). Deux explications peuvent être avancées pour expliquer ce paradoxe de la croissance du taux d’emploi et de l’augmentation de la pauvreté. En tout premier lieu, les nouveaux emplois sont occupés par des membres de ménage où l’un avait déjà une activité professionnelle (femmes réintégrant le marché du travail, jeunes arrivant sur le marché du travail) et non par des ménages dans lesquels personne ne travaillait. Les groupes les plus fragiles – par exemple, ménages de chômeurs de longue durée à revenu unique, allochtones – ont proportionnellement nettement moins profité des nouveaux emplois. Une deuxième explication est à chercher dans la protection sociale affaiblie pour ceux qui, en dépit de toute la croissance du taux d’emploi, ne parviennent à s’intégrer sur le marché de l’emploi. Par exemple, dans plusieurs Etats, le niveau de protection du revenu a été affaibli, en vue de réaliser des économies et de procéder à une activation (Commission européenne, 2000). En Belgique, également, il était question d’une insuffisance croissante des prestations sociales pour les ménages à un seul revenu, ce qui entraînait un dualisme entre actifs et allocataires sociaux (tableau 4). Sous la pression de Maastricht, la politique d’austérité de ces 15 dernières années a entraîné une stagnation des niveaux des prestations (minimales) réelles et une baisse des prestations maximales, alors qu’en termes relatifs, les prestations continuent à se situer en retrait par rapport à la prospérité des familles (annexes 1 et 2). En 2001, un certain nombre de minima ont été relevés (allocations de chômage minimales et pensions minimales pour isolés et chefs de famille) et, pour 2002, de nouvelles augmentations des prestations sont envisagées (e.a. dans l’assurance-chômage et dans le minimum d’existence avec une hausse progressive jusqu’en 2005).

632


STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

TABLEAU 4 : POURCENTAGE DE MENAGES PAUVRES, NORME UE*, BELGIQUE 1985-1997.

Ménages avec exclusivement une allocation de remplacement Ménages avec exclusivement une allocation de chômage Ménages sans revenu de remplacement Tous les ménages

1985

1988

1992

1997

12,8 30,0 2,8 6,0

15,4 38,7 1,6 5,9

17,7 46,0 3,1 7,2

19,0 57,9 1,9 7,7

Note : *pauvreté relative mesurée sur la base des ménages à un revenu inférieur à 50% du revenu équivalent médian des ménages. Source : Enquêtes CSB.

3.

LA PROBLEMATIQUE DU PIEGE A L’EMPLOI

3.1.

PIEGE A L’EMPLOI OPPOSE A PIEGE FINANCIER En tout premier lieu, au centre du discours sur les pièges à l’emploi se trouvent les incitants financiers. Ce faisant, la problématique du piège à l’emploi s’apparente au problème des pièges financiers. Il est question de piège financier lorsque des chômeurs (ou plus largement les non-actifs) ne peuvent s’attendre à aucune amélioration, voire à une amélioration minime, de leur revenu de ménage disponible (net) en passant du stade du non-travail (chômage, inactivité) au stade d’un travail faiblement rémunéré. Lorsque, malgré les efforts (accrus), le revenu du travail ne génère aucun supplément de revenu, voire une minime augmentation de celui-ci, à cause des impôts et des cotisations sociales à payer, de la perte ou de la diminution d’avantages sociaux, l’intéressé ne tirera que peu d’avantage à s’engager dans un travail plutôt que rester dans une situation de dépendance aux allocations. L’offre de main-d’œuvre ne dépend pas seulement de motifs financiers. Ainsi, une récente enquête sur le sens des valeurs des Belges indique que 73% de nos concitoyens vont travailler parce qu’ils touchent un (bon) salaire, mais 74% déclarent également qu’un environnement de travail agréable constitue un motif important (De Witte, 2000). Les gens ne travaillent pas seulement pour des raisons financières (la fonction manifeste), mais aussi à cause des fonctions latentes de l’emploi. Avoir un emploi autorise un épanouissement personnel par une structuration du temps, un statut social, des contacts sociaux, une appréciation et une implication sociales (Gallie, 1999). Outre les considérations financières, interviennent par conséquent dans la décision d’aller travailler des tas d’autres raisons (non matérielles), par exemple : la qualité du travail, les possibilités de combiner travail et famille et les attitudes à l’égard du travail (Sweeny, 1998 ; de Beer, 1996). La disponibilité d’équipements utiles, par exemple des facilités pour garder les enfants et de bonnes possibilités de mobilité, joue un rôle important dans la pesée des pour et des contre entre travail rémunéré et travail privé. Par ailleurs, dans le cas du chômage, il convient également de tenir compte des processus d’adaptation sociopsychologique. Ceux-ci induisent 633


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qu’après une longue période d’absence du marché du travail, le passage à l’emploi n’est pas évident. Des études démontrent que le chômage de longue durée influence les attitudes des chômeurs à l’égard du travail. Le chômeur développe des processus sociopsychologiques en guise de réaction de protection au chômage, ce qui se traduit par une implication réduite sur le marché de l’emploi (De Witte, 1993 ; Gallie, 2000 ; Hoff, e.a., 1998). Parce que l’offre de main-d’œuvre est fonction d’un ensemble complexe de facteurs, savoir quelle doit être l’importance financière du revenu supplémentaire tiré du travail pour que des personnes soient prêtes à accepter un emploi reste finalement une question empirique. Des études néerlandaises indiquent que le revenu financier supplémentaire avancé par les chômeurs pour accepter un emploi (le salaire de réservation ou le salaire minimal que l’on souhaite gagner pour aller travailler) peut fortement varier en fonction de la qualité du travail. Ainsi, les emplois peu attractifs ne sont acceptés que si la rémunération est très élevée (un revenu qui se situe en moyenne quelque 50% et, parfois, 100% au-dessus du salaire minimum). Les salaires de réservation diffèrent, il est vrai, entre groupes distincts. Les jeunes et les allochtones sont en moyenne plus disposés à accepter un emploi peu attractif, tandis que les chômeurs âgés sont les moins volontaires (de Beer, 1996). C’est pourquoi les études normatives sur les pièges financiers restent de nature spéculative (11). Dans les pages suivantes, nous traiterons plus en détail l’angle d’incidence des pièges financiers.

3.2.

MESURE DES PIEGES FINANCIERS Les indicateurs relatifs aux pièges financiers peuvent être calculés de deux manières : en fonction d’une approche empirique ou d’une approche par simulation standard. L’approche par simulation standard, entre-temps devenue classique, calcule les revenus nets du travail et du non-travail (chômage, aide sociale, invalidité, inactivité) pour beaucoup de cas types en tenant compte d’un certain nombre d’hypothèses. Cette méthode est appliquée e.a. par l’OCDE et implique le calcul, pour une large série de pays, de taux de remplacement pour divers types de ménages et pour 2 niveaux de rémunération [salaires moyens avec l’‘average production worker’ (12) (moyenne du travailleur dans l’industrie) et 2/3 de ce salaire moyen]. Les taux de remplacement bruts restituent le rapport entre les allocations de chômage brutes et les salaires bruts. Partout, les chômeurs conservent un brut nettement plus élevé lorsqu’ils travaillent que lorsqu’ils vivent d’allocations (voir OCDE, 1994, tableau 8.1). Les taux de remplacement nets restituent le rapport du revenu total net (du ménage) pour le chômage et pour le travail. Ils donnent une image nettement plus

(11) Ainsi, le Conseil Supérieur de l’Emploi (1998) et Larmuseau et Lelie (2000) donnent comme règle générale le chiffre de 15% comme rapport supplémentaire. Dans son rapport sur la Protection sociale en Europe 1999, la Commission européenne recourt à une marge encore supérieure d’un taux de rentabilité du travail de 25%. (12) L’average production worker (APW) (moyenne du travailleur de production) se rapporte au salaire moyen d’ouvriers dans l’industrie à temps plein (voir p. ex. OCDE (1995), Taxation, Employment and Unemployment).

634


STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

fidèle des pièges financiers, parce qu’il donne la possibilité de tenir compte de la fiscalité et de la parafiscalité, des allocations familiales, des suppléments pour coût du logement et de diverses dispositions d’aide sociale (OCDE, 1999). Les calculs de l’OCDE mettent en évidence certains facteurs financiers de dissuasion dans différents pays, surtout pour les chômeurs de longue durée à un seul revenu et pour les familles monoparentales (graphiques 3a et 3b). Pour les chômeurs de courte durée qui se contentent d’un salaire moyen, avec des taux de remplacement nets autour d’à peine 60% (même moins pour les familles monoparentales), la Belgique se positionne parmi les pays les moins performants. Ceci est le résultat du caractère d’assurance ténu des allocations de chômage belges, vu notamment les faibles taux de remplacement légaux (60% pour chefs de ménage et isolés jusqu’à 1 an de chômage / 55% pour la première année de chômage des cohabitants). Les limites salariales pour le calcul des allocations sont basses : le chômeur atteint déjà l’allocation maximale pour un salaire brut d’environ 60.000 BEF. Ceci représente 78% du salaire moyen d’un travailleur à temps plein ou 145% du salaire minimal. On procède à une forte modulation par ménage avec des prestations nettement plus basses pour les chômeurs isolés de longue durée et les chômeurs cohabitants (même au début du chômage). Pour les chômeurs de longue durée à faible potentiel de gain (mesuré par l’OCDE comme équivalant à 66% du salaire moyen), la Belgique protège plus généreusement les familles avec enfants (taux de remplacement net de 80% pour couples avec enfants et de 85% pour familles monoparentales) sans toutefois faire partie des pays les plus généreux (c’est-à-dire les pays scandinaves et les Pays-Bas) (13). Les calculs OCDE, il est vrai, ne sont pas exempts d’un certain nombre d’imperfections ; notamment, pour la Belgique, ils sous-estiment les pièges financiers ou ne tiennent pas compte des frais de garde consécutifs au passage du chômage au travail. Ces derniers jouent un rôle important dans les pièges financiers. Par ailleurs, ces calculs ne se préoccupent que des taux de remplacement pour les ménages à un seul salaire et ignorent une catégorie type très pertinente (14) : les chômeurs de longue durée avec un partenaire ayant un emploi rémunéré (ménages à deux revenus), qui peuvent bénéficier nettement plus longtemps dans notre pays d’allocations. Enfin, ils ne considèrent que les taux de remplacement pour travail à temps plein, en omettant la transition vers le travail à temps partiel, dont l’importance ne cesse pourtant de croître. Dans nos propres calculs pour la Belgique, présentés dans la section 4, nous avons tenu compte de ces lacunes. (13) D’autres études comparatives ayant appliqué (en partie) cette approche ont été commandées par le Ministère néerlandais des Affaires Sociales et de l’Emploi avec des calculs pour le chômage et l’aide sociale pour 7 pays européens (1995) ; le Bureau Central du Plan néerlandais avec des calculs similaires pour les pays de l’UE et 3 Etats fédéraux américains (1996) et le Département britannique de Sécurité Sociale (1996) avec des calculs pour l’aide sociale dans 24 pays. Les comparaisons nous enseignent que les taux nets de remplacement sont parallèles dans ces diverses études (Munzi, 1999). (14) Dans sa publication de 1999 relative aux “Systèmes de prestations sociales et incitants au travail’’, l’OCDE a tenu compte des calculs pour une série limitée de pays, restituant l’impact des frais de garde des enfants. De tels résultats manquent cependant dans l’étude pour la Belgique. Par ailleurs figurent certaines simulations pour ménages à deux salaires, mais celles-ci sont difficilement comparables avec les taux de remplacement nets pour ménages à un seul revenu (OCDE, 1999).

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L’inconvénient mis en avant dans la démarche par simulation standard porte sur le caractère théorique des calculs. Le choix de types de ménages et de niveaux salariaux entraîne des questions sur la représentativité de ces catégories. L’approche empirique est une manière de procéder alternative qui, en principe, tient compte de ces inconvénients. Ici, le matériel chiffré utilisé provient des données de microéchantillons de ménages réels sur la base d’enquêtes. Il est possible de calculer les taux de remplacement nets en comparant le revenu mentionné de répondants chômeurs (ou de prépensionnés, invalides, bénéficiaires de l’aide sociale, etc.) au moment où ils étaient au travail et au moment où ils l’ont perdu. Cette approche offre l’avantage de travailler concrètement avec une répartition authentique de situations familiales et une répartition réelle des revenus. Elle a été appliquée dans une étude pour la direction générale européenne Emploi et Politique sociale sur la base de l’European Community Household Panel (ECHP). Les résultats ont été publiés dans Social Protection in Europe (Commission européenne, 1997 et 1999). La Commission conclut que les taux de remplacement empiriques nets sont nettement plus bas que dans les simulations standard et que, dans la plupart des pays de l’UE, il n’est pas vraiment question de substantiels facteurs financiers de dissuasion. Certes, cette approche empirique n’est pas dénuée de défauts et, dès lors, cette conclusion doit être interprétée avec la plus grande circonspection. En premier lieu, certains problèmes techniques sont liés aux enquêtes générales (« survey »). Généralement, par exemple, les échantillons sont suffisamment larges pour pouvoir se prononcer de façon fiable sur l’ensemble de la population et sur des grands groupes cibles, mais non sur des sous-groupes relativement restreints, comme sur un ménage monoparental chômeur avec 2 enfants. En outre, les pièges financiers sont le résultat d’une conjonction complexe d’un grand nombre de dispositifs institutionnels que l’enquête a tendance à ne pas trop approfondir. En deuxième lieu, les taux de remplacement empiriques au niveau des ménages ne sont pas en mesure de contrôler les changements réels dans la situation du ménage ou dans la position de travail de ses autres membres. Ce problème peut être résolu en se limitant à des taux de remplacement individuels, mais ceux-ci ne restituent pas davantage les changements qui interviennent dans le niveau de vie des ménages (y compris les avantages liés au fait d’être un ménage). Seuls, des modèles sophistiqués de microsimulation permettent d’évaluer les effets combinés de la fiscalité et des prestations sociales (Cantillon, Lambert et Verbist, 1993 ; Sutherland, 2001). En troisième lieu, en principe, les taux de remplacement empiriques ne peuvent fournir des informations que sur les conséquences financières du passage du travail au chômage. L’inverse, à savoir les revenus supplémentaires empiriques en cas de réintégration (de chômeur à travailleur), ne peut que difficilement être examiné. Le risque de distorsion est grand lorsque seuls les chômeurs disposant d’un potentiel de gain suffisant (et donc de taux élevés de rentabilité du travail) font la transition alors que d’autres restent confinés dans le chômage en partie à cause de facteurs financiers dissuasifs.

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STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

GRAPHIQUE 3A : TAUX DE REMPLACEMENT NETS POUR CHOMAGE DE COURTE DUREE POUR LES MENAGES A UN SEUL REVENU, SALAIRES MOYENS ET BAS (2/3 MOYENNE )* salaires moyens

salaires 2/3 moyenne alleenstaande

alleenst aande isolé

isolé

100

100

90

90

80

80

70

70

60

60

50

50

40

40

30

30

20

20

10

10

0

0 N L CH Zw F NL F

N L DK DK B B NL

B D K D VK IRL IR L B DK D GB

couple avec 2nder enfants koppel m et2 ki en

F F

Zw GB VK D IR L CH D IRL

koppelm et 2 kinder couple avec 2enenfants

100

100

90

90

80

80

70

70

60

60

50

50

40

40

30

30

20

20

10

10 0

0 N L CH Zw DK DK F NL F

D K NL N L CH Zw F DK F

D VK IR L B B GB IRL B

eenoudergezin m et2 kiavec nderen 2 enfants ménage monoparental

D IR L D IRL

eenouder gezin m et2 kinder en ménage monoparental avec 2 enfants

100

100

90

90

80

80

70

70

60

60

50

50

40

40

30

30

20

20

10

10

0

VK B GB B

0 N L CH Zw DK DK F F NL

D GB VK IRL IR L B D B

Zw DK D K NL NL F F CH

B B

D IR L GB VK D IRL

Note : * Pour les salaires moyens, la plupart des comparaisons internationales recourent au niveau APW. L’Average Production Worker se rapporte au salaire moyen d’un ouvrier dans l’industrie à temps plein (y compris le pécule de vacances). En 1997, l’APW annuel s’élevait à 1.082.901 BEF (brut). Ceci représente 1,9 x le salaire minimum (interprofessionnel). 2/3 APW représentent 128% du salaire minimum. Source : OCDE (1999), Benefit systems and work incentives 1999.

637


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

GRAPHIQUE 3B : TAUX DE REMPLACEMENT NETS POUR CHOMAGE DE LONGUE DUREE POUR LES MENAGES A UN SEUL REVENU, SALAIRES MOYENS ET BAS (2/3 MOYENNE ). salaires moyens

salaires 2/3 moyenne alleenstaande

isolé

alleenst aande isolé 100

100

90

90

80

80

70

70

60

60

50

50

40

40

30

30

20

20

10

10

0

0 N L Zw NL CH

D

VK K GB D DK

BB

F

N L CH Zw NL

I RL IRL

VK DK DK GB

B B

FF

IR L IRL

koppel m et2 2 ki nderen couple avec enfants

koppel m et 2 kinder en couple avec 2 enfants 100

100

90

90

80

80

70

70

60

60

50

50

40

40

30

30

20

20

10

10

0

0 Zw DK D K NL N L VK CH GB

B B

I RL D D IRL

FF

Zw VK L DK DK CH GB NNL

eenouder gezin m et2 ki nderen2 enfants ménage monoparental avec

B

I RL D D IRL

FF

eenoudergezin m avec et2 kinder en ménage monoparental 2 enfants

100

100

90

90

80

80

70

70

60

60

50

50

40

40

30

30

20

20

10

10

0

0 Zw DK DK N L GB VK CH NL

638

D D

BB IIRL RL D D

FF

Zw CH

BB

N L DDK K D NL

VK R L FF GB IIRL


STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

4.

PIEGES FINANCIERS DANS LES ANNEES QUATRE-VINGT-DIX POUR LA BELGIQUE Dans la présente section, nous analysons l’évolution des pièges financiers dans le courant des années quatre-vingt-dix pour divers ménages types en Belgique, sur la base de l’approche par simulation standard. Le Centrum voor Sociaal beleid a déjà effectué par le passé des calculs similaires à un moment précis à la demande du Ministère fédéral de l’Emploi et du Travail (De Lathouwer, 1996) et du Ministre flamand de l’Emploi dans le cadre du programme de recherches Viona (Cantillon, De Lathouwer et Thirion, 1999). Pour des analyses similaires (y compris les indemnités d’invalidité), nous renvoyons à l’étude de Larmuseau et Lelie (2001). Les simulations standard présentées ici sont basées sur STASIM (Modèle de simulation statique). Ce modèle a été conçu sur ordre du Ministère fédéral de l’Emploi et du Travail dans le cadre du programme de recherches Agora (De Lathouwer et Bogaerts, 2001). Ce modèle pratique de simulation standard permet de réaliser des simulations pour un large éventail de ménages types chômeurs et travailleurs pour la période de 1989 à 2001. Dans cette section, nous nous intéresserons d’abord aux hypothèses qui ont été utilisées dans le modèle. Ensuite, nous illustrerons un certain nombre de résultats pour 1999 et examinerons l’évolution du piège financier au long de la période 1989-1999. Nous avons opté pour 1999 parce qu’à partir de 2000, un certain nombre de réformes ont été entreprises, lesquelles poursuivaient précisément l’objectif de réduire les pièges à l’emploi. L’impact de ces réformes sur le piège financier est analysé séparément dans la section 5.

4.1.

HYPOTHESES DES SIMULATIONS STANDARD – Les simulations standard partent d’un grand nombre d’hypothèses, dont il faut tenir compte lors de l’interprétation des résultats. – Les calculs partent de l’hypothèse d’un chômage de longue durée ou d’une dépendance à l’aide sociale et considèrent le produit financier lors du passage à l’emploi pour un large éventail de salaires en partant du salaire interprofessionnel minimum (p. ex. pour 2000, ceci s’élevait à 45.968 BEF pour un travailleur d’au moins 22 ans avec 1 année d’ancienneté, y compris les congés payés) jusqu’à 200% du salaire minimum. – Les calculs se rapportent à des chômeurs non âgés. Parce que, sous certaines conditions, les aînés peuvent bénéficier d’allocations plus élevées (allocations de chômage avec supplément d’ancienneté, prépensions), les pièges financiers sont considérablement plus importants pour eux. – Les calculs sont effectués au niveau du ménage pour divers ménages types et sur une base annuelle. Les montants s’appliquent au 1er janvier et ont été extrapolés sur une année complète. Nous avons émis l’hypothèse d’une distorsion de tous les effets fiscaux et autres. Il s’agit de simplifications importantes parce qu’en pratique, certains revenus ne sont pas immédiatement tangibles (p. ex. congés payés) et que la fiscalité n’est connue qu’au moment de l’imposition finale (un an plus tard). Savoir, dans quelle mesure, un comportement calculateur se fonde en tout premier lieu sur l’incitant immédiat (« qu’est-ce que je vais gagner le mois prochain ? ») ou s’il tient compte des avantages à plus long terme, p. ex. perspectives de promotion, suppléments pour ancienneté, acquisition de droits de sécurité sociale, reste une question empirique. 639


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

– Dans le cas du chômage, il est tenu compte des allocations de remplacement (allocations de chômage, prestations d’aide sociale) et des allocations complémentaires [allocations familiales (majorées) et prestations complémentaires pour travail à temps partiel, notamment la prestation de garantie de revenu pour chômeurs ; la prime d’intégration socioprofessionnelle pour minimexés]. Pour les prestations d’aide sociale, on n’a pas tenu compte d’une aide financière complémentaire (p. ex. supplément pour frais de logement) parce que ces aides sont accordées sur des bases fortement discrétionnaires et diffèrent d’un CPAS à l’autre. Nous ne portons pas, non plus, en compte d’autres tarifs sociaux (tarif social pour le gaz, l’eau, l’électricité, le téléphone, diminution sur les transports publics, etc.). Ces facteurs augmentent le piège financier. – Les frais de garde des enfants ont été intégrés et le calcul fiscal a été effectué pour les familles monoparentales et pour 2 partenaires au travail (hypothèse : 2 enfants de 3 et 6 ans). Pour cela, nous avons calculé la contribution parentale conformément aux barèmes de Kind&Gezin. Nous n’avons pas tenu compte d’autres frais liés au travail tels que les trajets domicile-travail ou autres frais d’investissement (achat de vêtements de travail ou d’une voiture). – Pour les ménages à deux salaires, nous émettons l’hypothèse que le partenaire perçoit 130% du salaire minimum. – Les simulations englobent la période 1989-2001. La situation avant la réforme des impôts de 1988 n’a pas été simulée, étant donné le laps de temps imparti au projet. Pour les chômeurs qui passent du chômage à un emploi à temps partiel, les simulations ont été limitées à la période de 1994 à 2001. Le régime précédent de la prestation de garantie de revenu, à savoir le système plus généreux de ‘temps partiel involontaire pour ne plus émarger au chômage complet’ n’a par conséquent pas fait l’objet de simulations. – Les mesures sont simulées pour autant qu’elles aient été effectivement exécutoires au 1er janvier de l’année concernée. Le modèle permet, en outre, de simuler les différentes mesures entrées en vigueur au cours de l’année 2000 (la diminution de la cotisation des travailleurs pour bas salaires, le paiement prolongé des allocations familiales majorées, l’octroi d’un supplément unique pour garde des enfants), ainsi que des mesures qui doivent encore devenir opérationnelles (la réforme fiscale avec introduction d’un crédit d’impôt à partir de 2002). Ces mesures ont été prises en compte dans les simulations standard présentées dans la section 5. Les simulations standard permettent de calculer les trajets des revenus des ménages bruts et nets dans le cadre d’un emploi et d’allocations de chômage ou de prestations d’aide sociale. Sur la base de ces trajets, il est possible de comparer le revenu net du ménage en cas de chômage ou d’emploi et plusieurs indicateurs peuvent être mis au point. Le gain supplémentaire absolu de l’emploi par rapport au non-travail peut être exprimé en BEF par mois. La différence relative de revenu entre un emploi et les prestations peut être restituée à l’aide de taux. Classiquement, on procède au calcul de taux de remplacement, à l’occasion de quoi le revenu du chômage est exprimé en % de l’ancien revenu du travail. Cet indicateur permet de vérifier, dans quelle mesure, les prestations de sécurité sociale compensent la perte de revenu du travail (le principe d’assurance). Un taux de remplacement alternatif consiste à exprimer le revenu du chômage en % du revenu potentiel en cas d’emploi. 640


STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

Inversement, il est également possible d’exprimer le revenu en cas d’acceptation d’un emploi en % du revenu du chômage (taux de rentabilité du travail). Ces deux derniers indicateurs examinent la sécurité sociale à partir de son objectif de réintégration. Ces indicateurs sont au centre du présent article.

4.2.

RESULTATS POUR 1999 Les résultats pour 1999 sont restitués dans le tableau 5 et les graphiques 4 et 5. Ils confirment les observations faites sur la base de calculs antérieurs (Cantillon, De Lathouwer et Thirion, 1999 ; De Lathouwer et Thirion, 2000). Le Tableau 5 indique le revenu net du ménage au chômage en pourcentage du revenu net potentiel du ménage au travail en tenant compte tant des allocations de chômage maximales et minimales, que des prestations d’aide sociale (taux de remplacement alternatif). Le tableau se limite toutefois au passage au salaire minimum. Les graphiques 4 et 5 présentent, pour un large éventail de rémunérations, les rendements marginaux du travail absolus et relatifs, mais uniquement au départ des allocations de chômage maximales (et donc les plus élevées) (‘the worst case’ : le pire des cas) et des prestations d’aide sociale les plus basses.

TABLEAU 5 : REVENU NET D’UN MENAGE* EMARGEANT AU CHOMAGE OU A L’AIDE SOCIALE EN % DU REVENU NET D’UN MENAGE TRAVAILLANT AU SALAIRE MINIMUM, BELGIQUE, 1999. Au départ de Au départ de Au départ de l’allocation l’allocation l’aide sociale maximale minimale Pour un travail à temps plein au salaire minimum Famille monoparentale 2 enfants Couple à un seul revenu sans enfants Couple à un seul revenu 2 enfants Isolé Cohabitant (partenaire travaille), 2 enfants***

104 90 91 71 85

94 79 83 64 85

88 72 77 61 74

Pour un travail à temps partiel (50 %) au salaire minimum** Famille monoparentale 2 enfants 92 Couple à un seul revenu sans enfants 88 Couple à un seul revenu 2 enfants 88 Isolé 85 Cohabitant (partenaire travaille), 2 enfants*** 96

89 85 87 82 96

88 77 87 72 84

Note : * Sont inclus dans le revenu du ménage : allocation/salaire de l’intéressé ; chez les ménages à deux revenus, le salaire du partenaire (130% du salaire minimum – temps plein), et, chez les ménages avec enfants, les allocations familiales (le cas échéant, majorées), moins les frais de garde des enfants. ** Les taux de remplacement pour les travailleurs à temps partiel tiennent compte de l’allocation de garantie de revenu pour chômeurs (employés à temps partiel avec maintien de leurs droits) et de l’intégration socioprofessionnelle pour bénéficiaires du minimum d’existence. *** Pour ces catégories, du fait du revenu du partenaire, la prestation d’aide sociale est égale à 0. Cette catégorie correspond donc à un cohabitant n’ayant pas droit aux allocations de chômage (dont le partenaire travaille) qui va travailler. Source : Stasim. 641


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1. En Belgique, les facteurs financiers dissuasifs du passage du chômage ou de l’aide sociale à un travail faiblement rémunéré à temps plein restent limités aux familles monoparentales chômeurs de longue durée, aux couples à un seul revenu chômeurs bénéficiant d’une allocation maximale et aux familles monoparentales minimexées (voir graphique 4a). Dans l’assurance-chômage, nous chiffrons l’étendue de ce groupe à maximum aux alentours de 20 % des chômeurs de longue durée ; dans l’aide sociale, cela représente également environ 20% (15). C’est chez les familles monoparentales au chômage qui décident d’aller travailler au salaire minimum (ou légèrement supérieur) alors qu’elles bénéficient d’une allocation de chômage maximale que le piège financier est le plus sensible. En cas de travail faiblement rémunéré, elles y perdent même (4%). Pour obtenir un rendement marginal du travail raisonnable (p. ex. plus de 10% soit + 6.000 FB/mois), les parents uniques doivent trouver un emploi rémunéré à au moins 140 % du salaire minimum. Lors du passage à l’emploi, partant d’une allocation de chômage minimale, le travail rémunéré au salaire minimum unique d’un ménage est financièrement tout aussi peu attractif. Les chômeurs dans un couple à un seul revenu qui acceptent un emploi au salaire minimum alors qu’ils bénéficient d’une allocation maximale n’enregistrent qu’un gain de 10% (4.000 FB/mois de rendement marginal par rapport à une dépendance aux allocations). Lorsque ce passage a lieu au départ d’une allocation minimale, les pièges auxquels ce groupe est confronté sont moins nombreux. Les taux de remplacement se situent entre 79% (sans enfants) et 83% (avec enfants). Du fait des prestations plus basses accordées dans le cadre de l’aide sociale, le rendement marginal d’un travail faiblement rémunéré est plus attrayant qu’au départ d’une allocation de chômage, Toutefois, les familles monoparentales aussi ne retirent qu’un avantage financier minime d’un travail faiblement rémunéré (un rendement du travail de 15% soit 5.450 FB/mois si le travail s’effectue au salaire minimum) (graphique 4c). (15) Les analyses du profil du ménage sur la base de résultats d’enquête ont démontré que, chez les chômeurs de longue durée (+ 1 an), 23% se déclarent comme famille monoparentale ou chef de famille, 12% comme isolé et 47% comme partenaire chômeur d’un partenaire avec un revenu. Les autres 19% sont des enfants ou autres membres cohabitants du ménage (chiffres 1997, source : données combinées de SEP et de PSBH). La Wallonie présente un plus grand nombre de familles monoparentales et de chef de familles, la Flandre davantage de ménages de chômeurs à deux revenus (De Lathouwer et Thirion, 2000). Ces données peuvent difficilement être comparées avec les données administratives des bénéficiaires d’allocations. L’ONEM publie le profil de l’ensemble de la population de chômeurs bénéficiant d’une allocation sans répartition en fonction de la durée du chômage. Par ailleurs, les catégories administratives et sociologiques sont susceptibles de diverger les unes des autres. Selon les données de l’ONEM, en 1997, la part des chefs de ménage (familles à un seul revenu et familles monoparentales ensemble) à l’intérieur de la population totale de chômeurs bénéficiaires d’allocations s’élevait à un tiers (une augmentation par rapport aux 29% en 1992). La part des isolés s’élevait à 17% et grossit (13% en 1992). Le plus grand groupe est celui des cohabitants. Leur part s’élevait à 48% et a sensiblement régressé (en 1992, ils représentaient encore 58%). Parmi les chômeurs de longue durée, une minorité seulement bénéficie de l’allocation de chômage maximale. Il ressort des données demandées à l’ONEM qu’en 2000, 36% chefs de ménage et 33% des isolés (chômeurs de longue durée) perçoivent le maximum. La moitié (49% chez les chefs de famille et 50% chez les isolés) bénéficie d’une allocation minimale, les autres jouissent d’allocations situées entre les minima et les maxima. Il s’avère que, sur la base des données administratives, parmi les bénéficiaires du minimex 20% sont des familles monoparentales, 7% sont époux cohabitants et 56% sont isolés. Une forte hausse (en 1990, 47%) a surtout été constatée chez les isolés (justement le groupe qui connaît le piège financier le plus minime) (Vranken, e.a., 2000).

642


STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

Pour la plupart des chômeurs, un emploi faiblement rémunéré à temps plein est financièrement plus attractif. En termes relatifs, les isolés sont les plus grands bénéficiaires (au départ du maximum, avec plus de 40%). Leur taux de remplacement fluctue entre 64% (minimum) et 71% (maximum). Les partenaires chômeurs avec enfants dont le partenaire a une occupation connaissent une progression substantielle s’ils acceptent un emploi à temps plein (de 20%), mais moins que les isolés, comme il ressort du graphique 4b (leur taux de remplacement s’élève à 85%). S’il s’agit d’un partenaire au foyer (ne bénéficiant pas du chômage), l’incitant pour accepter un travail rémunéré à temps plein est considérablement plus élevé (un taux de remplacement de 74%, soit un rendement marginal de 40%). La suppression de l’allocation (p. ex. à la suite d’une suspension) rend par conséquent le retour au travail à temps plein plus rentable. Les chefs de famille au chômage dont le partenaire au foyer va travailler en retirent également un avantage (de 30%) à condition qu’il s’agisse d’un emploi à temps plein (avec un travail à temps partiel, ce n’est plus le cas, voir le point 2). L’avantage financier est érodé du fait que le chef de famille perd l’allocation de ménage et ne perçoit plus qu’une allocation (forfaitaire) moindre (l’effet de la modulation par ménage). Les stimulants financiers pour un emploi faiblement rémunéré sont influencés négativement par les charges (para)fiscales élevées qui pèsent sur les revenus du travail, d’une part, et par les frais élevés de la garde des enfants en cas de travail, d’autre part. Les chômeurs ne doivent généralement s’acquitter d’aucune (voire très peu) charge sociale ou d’aucun impôt et ni de frais de garde des enfants. Le coin salarial élevé du travailleur (c.-à-d. la part des cotisations du travailleur pour la sécurité sociale et les contributions en % du salaire brut) exerce un effet réducteur sur le rapport net du travail, y compris pour les bas salaires. Par exemple, jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix, le coin du salarié au niveau du salaire minimum s’élevait à 29% pour les isolés, à 20% pour les familles monoparentales et à 14% pour les chefs de famille avec 2 enfants (voir annexe 3). Les frais de garde des enfants représentent une véritable saignée dans le budget de ménages de travailleurs à un seul revenu. Une famille monoparentale avec 2 enfants qui travaille au salaire minimum est confronté à un coût brut de garde des enfants de 49.200 FB par an. Du fait de la déductibilité fiscale des frais de garde des enfants, ce coût net s’avère moins élevé, mais se chiffre toujours à quelque 39.000 FB par an (soit 3.250 FB par mois), ce qui rabote lourdement le budget des bas salaires.

643


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

TABLEAU 6 : FRAIS BRUTS ET NETS DE LA GARDE DES ENFANTS POUR UN PARENT UNIQUE ET POUR UN MENAGE A DEUX PARENTS QUI TRAVAILLENT ET PART DES FRAIS DE GARDE DES ENFANTS DANS LE REVENU NET DU MENAGE, DIFFERENTS NIVEAUX DE REVENUS, BELGIQUE, 1999. Revenu du Coût brut de la Coût net de la Part nette du ménage garde des garde des coût de la garde imposable (1) enfants enfants des enfants dans le revenu net des ménages Parent unique 2 enfants Salaire minimum Salaire moyen

601.159 1.124.227

49.220 92.920

39.028 63.160

7,4 % 8,2 %

Ménage à deux parents (2) Salaire minimum Salaire moyen

1.254.994 1.778.064

95.910 117.760

65.049 76.407

6,9 % 6,3 %

Note : (1) Le revenu brut du ménage (revenus du travail et allocations familiales) moins les cotisations sociales des travailleurs. (2) On suppose que le partenaire travaille et perçoit un salaire de 130% du salaire minimum. Source : Stasim.

644


100

3879

100

9908

110

6713

110

12270

140

150

160

kostwinner zonder kinderen ten laste

Salaire duhetRMMMG loonen in %% van GGMMI

130

17120

21514

170

25646

180

27336

120

9690

140

150

17544

160

loon in % van het GGMMI Salaire en % du RMMMG

130

12308

14926

20015

170

22217

180

24217

couple à un seul revenu sans enfants à charge

120

14923

19317

23711

190

26416

190

200

28743

200

80

100

120

140

160

180

200

220

240

80

100

120

140

160

180

200

220

240 relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif

31415

En FB/mois

29289

in BEF/maand

isolé alleenstaande

100

4320

110

100

110

7182

402

-1642 140

150

160

Salaire duhetRMMMG loon en in %% van GGMMI

130

6980

10943

170

12681

180

120

10108

130

12713

150

160

20421

170 loon in % en van het Salaire %GGMMI du RMMMG

140

15331

17950

22884

180

25270

190

190

200

200 80

100

120

140

160

180

200

220

240

17934

30015

16085

27635

14291

met twee kinderen couple à unkostwinner seul revenu avecten2laste enfants à charge

120

2994

4993

8956

eenouder Parent unique

80

100

120

140

160

180

200

220

240

relatief arbeidssurplus relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif

FB/mois inEn BEF/maand

En FB/mois

in BEF/maand

inEn BEF/maand FB/mois

GRAPHIQUE 4A : PASSAGE DU CHOMAGE DE LONGUE DUREE AVEC UNE ALLOCATION MAXIMALE A UN EMPLOI A TEMPS PLEIN A DES NIVEAUX DIFFERENTS DE REMUNERATION EN % DU SALAIRE MINIMUM, RENDEMENT MARGINAL ABSOLU (EN FB/MOIS) ET RELATIF, MENAGES A UN SEUL REVENU, BELGIQUE, 1999.

STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

645

Rendement du travail relatif


Werkloze partner met werkende partner gaat werken (zonder kinderen)

110

19832

130

loon in % van het GGMMI

Salaire en % du RMMMG

120

24556

140

150

28808

100

13723

110

16635

130

20710

GGMMI Salaire loon enin%% van duhetRMMMG

120

18364

140

22731

150

24653

Niet-uitkeringsgerechtigde partner met werkloze partner (gezinshoofd) gaat werken (2 kinderen) Non-bénéficiaire d’allocations avec partenaire chômeur (chef de famille) va travailler (2 enfants)

100

17538

22430

26682

80

100

120

140

160

180

200

220

240

80

100

120

140

160

180

200

220

240 relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif

Chômeur avec partenaire au travail va travailler (sans enfants)

En FB/mois

Enin BEF/maand FB/mois

in BEF/maand En FB/mois

in BEF/maand En FB/mois in BEF/maand

646 100

110

14417

Salaire en % du RMMMG

130

loon in % van het GGMMI

120

19062

140

110

22414

Salaire en % du RMMMG

130 loon in % van het GGMMI

120

25014

27059

140

29104

Non-bénéficiaire d’allocations avec partenaire Niet-uitkeringsgerechtigde partner met werkende disposant partner (2 kinderen) d’un revenu va travailler (2 enfants)

20143

100

12147

17017

21107

150

31125

150

23129

Werkloze partnerau met travail werkende partner gaat werken (2 (2 kinderen) Chômeur avec partenaire va travailler enfants)

80

100

120

140

160

180

200

220

240

80

100

120

140

160

180

200

220

240

relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif relatief du arbeidssurplus Rendement travail relatif

GRAPHIQUE 4B : PASSAGE DU CHOMAGE DE LONGUE DUREE OU DE L’INACTIVITE A UN EMPLOI A TEMPS PLEIN A DES NIVEAUX DIFFERENTS DE SALAIRE EN % DU SALAIRE MINIMUM, DEUX REVENUS, BELGIQUE, 1999. REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002


in BEF/maand

100

10967

100

13407

110

13800

110

120

130

140

150

160

27210

170

loon in % Salaire envan %het duGGMMI RMMMG

20619

25013

120

16777

140

150

160

27103

GGMMI Salaireloon enin % %van duhetRMMMG

130

19395

22013

24631

170

29304

kostwinnersans zonder enfants kinderen ten laste couple à un revenu à charge

15769

18422

22816

29145

180

31305

180

30835

190

33503

190

32788

200

35830

200

34914

80

100

120

140

160

180

200

220

240

80

100

120

140

160

180

200

220

240

Rendement du travail relatif

relatief arbeidssurplus relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif

isolé

En FB/mois

alleenstaande

in BEF/maand En FB/mois inBEF/maand 100

11407

100

5446

120

10051

130

140

150

160

170

loon in en % van Salaire % het du GGMMI RMMMG

12080

16043

19768

110

14269

120

17195

150

160 loon in % van het GGMMI

140

27508

Salaire en % du RMMMG

130

19801

22419

25037

170

29971

180

32357

180

21378

Couple à un revenu avecmet deux à charge kostwinner tweeenfants kinderen ten laste

110

7489

14067

18031

eenouder Parent unique avec 2 enfants à charge

190

34722

190

23172

200

37102

200

25021

80

100

120

140

160

180

200

220

240

80

100

120

140

160

180

200

220

240

relatief arbeidssurplus

relatiefarbeidssurplus

in BEF/maand En FB/mois

En FB/mois

Rendement du travail relatif Rendement du travail relatif

GRAPHIQUE 4C : PASSAGE DE L’AIDE SOCIALE A UN EMPLOI A TEMPS PLEIN A DES NIVEAUX SALARIAUX DIFFERENTS, EN % DU SALAIRE MINIMUM, MENAGE A UN REVENU, BELGIQUE, 1999.

STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

647


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

2. Alors que, dans l’hypothèse d’un travail à temps plein, les pièges financiers concernent un groupe limité (couple à un seul revenu/familles monoparentales), le passage d’une allocation à un travail à temps partiel faiblement rémunéré mène pour toutes les catégories à de piètres stimulants financiers. L’allocation de garantie de revenus complémentaire (dans l’assurance-chômage) et l’allocation d’intégration socioprofessionnelle (dans l’aide sociale) ont pour effet qu’aucun cas type ne subisse de perte de revenu en acceptant un travail faiblement rémunéré à temps partiel, mais ces systèmes ne peuvent empêcher que le rendement marginal du travail à temps partiel reste minime. Dans l’assurance-chômage, les isolés, familles monoparentales et couples à un seul revenu ne connaissent qu’une amélioration variant de 4.000 à 7.000 FB, en fonction de leur situation familiale, lors de l’acceptation d’emplois à temps partiel jusqu’à 150% du salaire minimum (graphique 5a). Lorsque le partenaire au foyer (non bénéficiaire d’une allocation) d’un chômeur de longue durée accepte un emploi à temps partiel, nous pouvons même parler d’une perte conséquente de revenus (3.600 FB par mois au niveau du salaire minimum). Le fait, pour un partenaire au foyer, d’accepter un emploi faiblement rémunéré ne permet guère de ‘récupérer’ la suppression de l’allocation du chef de famille. Le groupe plus important des femmes au chômage avec un partenaire disposant d’un revenu (quasiment la moitié de la population de chômeurs de longue durée) ne connaît pas de recul, mais – surtout lorsqu’il y a des enfants – n’a que peu d’intérêt à chercher au départ d’un chômage de longue durée un emploi faiblement rémunéré à temps partiel (graphique 5b). Dans cette situation, ce groupe connaît une amélioration de la situation de 10% ou moins en cas d’acceptation d’un emploi à temps partiel rémunéré jusqu’à 130% du salaire minimum. Le taux de remplacement, c’est-à-dire le revenu du ménage en cas de chômage par rapport à celui en cas de travail s’élève ici à plus de 90%. Etant donné l’importance de ce groupe, la préférence marquée pour un emploi à temps partiel chez les femmes (16) et la longue durée du système de chômage, on peut supposer que le découragement d’un emploi à temps partiel soit bien réel. Les suspensions rendent le travail à temps partiel plus rentable, même si, du fait de l’effet de perte cumulative du quotient de mariage, l’avantage financier du passage de l’inactivité à un emploi à temps partiel est restreint. Le revenu du ménage d’un couple où le partenaire ne touche pas d’allocation (alors que l’autre partenaire travaille) s’élève à 84% de celui d’un couple où ce partenaire va travailler à temps partiel (à mi-temps au salaire minimum, voir tableau 5). Si le partenaire perçoit une allocation, le revenu du ménage équivaut à 96% en cas de non-travail par rapport au revenu du ménage en cas de travail à temps partiel dans un emploi faiblement rémunéré. Les simulations du passage de l’allocation à un travail à temps partiel ne mettent par ailleurs en lumière qu’une faible perte de revenus. Pour les ménages de chômeurs à revenu unique qui bénéficient de la garantie de revenu ou, dans le cadre de l’aide sociale, de prime d’intégration sociale, le fait de gagner plus ou de travailler davantage est financièrement découragé. En raison de l’allocation complémentaire au salaire à temps partiel, le rendement marginal des emplois à temps partiel partant de l’assurance-chômage reste stable jusqu’à un niveau salarial de 150% ; au départ de l’aide sociale, jusqu’à un niveau salarial de 170% (graphique 5c). (16) Des enquêtes spécifiques auprès de femmes inactives ou au chômage indiquent une préférence prononcée pour un emploi à temps partiel (Van Dongen et al., 1995 ; De Lathouwer et al., 2000). Pour une analyse plus détaillée, nous renvoyons à la section 5.

648


4856

110

100

110

100

4914

4830

4478

130

5676

150

5983

160

6380

170

6828

loon in % van het GGMMI Salaire en % du RMMMG

140

5751

180

7452

120

5050

130

4748

150

5031

160

5419

170

5828

loon in % van het GGMMI

Salaire en % du RMMMG

140

4633

180

6237

kostwinner zonder ten à laste couple à un revenu sanskinderen enfants charge

120

5423

190

6744

190

8680

200

7112

200

9908

80

100

120

140

160

180

200

220

240

80

100

120

140

160

180

200

relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif

relatiefarbeidssurplus Rendement du travail relatif

220

En FB/mois En FB/mois

240

inBEF/maand

inBEF/maand

isolé

100

110

6416

110

100

6336

4449

4081

150

5857

160

6321

loon in % van het GGMMI

140

5553

170

Salaire en % du RMMMG

130

5393

6827

180

7234

120

6746

130

6575

150

160

7854

170

8379

loon in % van het GGMMI Salaire en % du RMMMG

140

6819

7344

180

8896

190

9493

190

7751

kostwinner metavec twee kinderen ten laste à charge couple à un revenu deux enfants

120

5096

eenouder Parent unique

200

9961

200

8140

80

100

120

140

160

180

200

220

240

80

100

120

140

160

180

200

220

240

relatiefarbeidssurplus

alleenstaande

relatiefarbeidssurplus

Rendement du travail relatif

in BEF/maand En FB/mois

En FB/mois

inBEF/maand

Rendement du travail relatif

GRAPHIQUE 5A : PASSAGE AU DEPART D’UN CHOMAGE DE LONGUE DUREE AVEC UNE ALLOCATION MAXIMALE A UN EMPLOI A TEMPS PARTIEL A DIFFERENTS NIVEAUX SALARIAUX EN % DU SALAIRE MINIMUM, RENDEMENT MARGINAL ABSOLU (EN FB/MOIS) ET RELATIF, MENAGES A UN SEUL REVENU, BELGIQUE, 1999.

STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

649


130

9026

loon in %en van % het GGMMI Salaire du RMMMG

120

7876

140

150

11543

-1489

110

100

130

2702

loon in %en van % het du GGMMI Salaire RMMMG

120

857 140

4619

150

6267

Non-bénéficiaire d’allocations avec partenaire au chômage Niet-uitkeringsgerechtigde partner met werkloze partner (gezinshoofd) gaat werken (2 kinderen) chef de famille) (2 enfants)

110

6545

-3585

100

5482

10130

80

100

120

140

160

180

200

220

240

80

100

120

140

160

180

200

220

relatief arbeidssurplus

240 relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif

Rendement du travail relatif

Werkloze partnerqui met werkende partner werken (zonder kinderen) Chômeur avec partenaire travaille vagaat travailler (sans enfants)

En FB/mois En FB/mois

in BEF/maand En FB/mois

En FB/mois

in BEF/maand

in BEF/maand

in BEF/maand

650 110

3855

130

140

100

10791

110

11852

130

14286

loon in % van het GGMMI

Salaire en % du RMMMG

120

13185

140

15256

Niet-uitkeringsgerechtigde partner met werkende partner (2 kinderen)

loon in % van het GGMMI

Salaire en % du RMMMG

120

5188

7259

150

8645

150

16641

Non-bénéficiaire d’allocations avec partenaire au travail (2 enfants)

100

2794

6290

Chômeur avec partenaire travaille vagaattravailler (2 enfants) Werkloze partnerqui met werkende partner werken (2 kinderen)

80

100

120

140

160

180

200

220

240

80

100

120

140

160

180

200

220

240 relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif

GRAPHIQUE 5B : PASSAGE D’UN CHOMAGE DE LONGUE DUREE OU DE L’INACTIVITE A UN EMPLOI A TEMPS PARTIEL A DES NIVEAUX SALARIAUX DIFFERENTS EN % DU SALAIRE MINIMUM, DEUX REVENUS, BELGIQUE, 1999. REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002


8420

110

100

110

7586

8403

100

8075

130

7351

150

7242

160

8496

170

9724

loon in % van het GGMMI

Salaire en % du RMMMG

140

6850

180

120

8703

130

8478

150

8389

160

7924

170

7838

Salaire en % du RMMMG

loon in % van het GGMMI

140

8753

180

8012

190

9489

190

12179

zonder kinderen ten laste à charge couple à kostwinner un seul revenu sans enfants

120

7683

10951

200

10967

200

13407

80

100

120

140

160

180

200

220

240

80

100

120

140

160

180

200

relatiefarbeidssurplus

220

relatiefdu arbeidssurplus Rendement travail relatif

Rendement du travail relatif

240

En FB/mois

isolé

in BEF/maand En FB/mois inBEF/maand

alleenstaande

100

110

5719

110 110

100 100

5702

5114 5114

5089 5089

130 130

4972 4972

160 160

4481 4481

170 170

4531 4531

Salaire en % du RMMMG

150 150

4600 4600

l oon i n % van hetG G M M I

140 140

4719 4719

180 180

4538 4538

120

6002

130

5777

160

5851

loon in % van het GGMMI

150

5827

170

5876

Salaire en % du RMMMG

140

6052

180

7216

twee kinderen ten laste couple àkostwinner un seulmet revenu, 2 enfants à charge

120 120

5331 5331

eenoud er Parent unique

190

9311

190 190

5641 5641

200

11407

200 200

6781 6781

80

100

120

140

160

180

200

220

240

80 80

100 100

120 120

140 140

160 160

180 180

200 200

220 220

240 240

relata ir eb feidssurplus

relatiefarbeidssurplus

En FB/mois in BEF/maand

En FB/mois

inBEF/maand

Rendement du travail relatif Rendement du travail relatif

GRAPHIQUE 5C : PASSAGE DE L’AIDE SOCIALE A UN EMPLOI A TEMPS PARTIEL A DES NIVEAUX SALARIAUX DIFFERENTS EN % DU SALAIRE MINIMUM, MENAGES A UN SEUL REVENU, BELGIQUE, 1999.

STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

651


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

4.3.

EVOLUTION DES PIEGES A L’EMPLOI 1989-1999 1. Il ressort du tableau 7 et des graphiques 6a, 6b et 6c qu’entre 1989 et 1999, les pièges financiers pour chômeurs qui acceptent un emploi à temps plein à bas salaire (niveau du salaire minimum) sont dans une large mesure restés stables. Jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, les pièges financiers augmentent faiblement, pour ensuite diminuer légèrement et rester inchangés dans le courant des années quatre-vingt-dix. Pour bien comprendre l’évolution des pièges financiers dans le temps, il est indispensable d’avoir une bonne perception de l’évolution des prestations sociales, de la (para)fiscalité et des salaires minimaux. Au début des années quatre-vingt-dix (1989-1992), les prestations sociales ont connu une hausse plus forte que les salaires minimaux. Ce phénomène s’est traduit au cours de cette décennie par une légère baisse du rendement marginal du travail et par une hausse des taux de remplacement. Dans les assurances sociales, cette augmentation était de maximum 3%. Par exemple, pour les familles monoparentales au chômage, allant travailler au salaire minimum, le taux de remplacement au cours de cette période a augmenté de respectivement 103 à 105% (au départ d’une allocation de chômage maximale) et de 90 à 93% (au départ d’une allocation de chômage minimale). Pour les couples à un seul revenu chômeurs avec enfants, de 94% à 96% (au départ d’une allocation de chômage maximale) et de 82 à 85% (au départ d’une allocation de chômage minimale). L’amélioration du pouvoir d’achat des allocations au début des années ’90 venait en réaction à la politique d’austérité des années ‘80 (17) (le ‘retour du cœur’) quand les allocations de chômage pour ménages à un seul revenu connurent une baisse réelle, tandis que, pour les ménages à deux revenus, les allocations furent diminuées à la suite de la modulation familiale. Les prestations dans l’aide sociale ont connues contrairement aux assurances sociales une hausse continue au cours des années ’80 jusqu’au début des années ’90 sous l’influence d’une politique sélective en faveur des prestations les plus faibles. De ce fait, les prestations de l’aide sociale et de l’assurance se sont rapprochées et, pour les bénéficiaires de l’aide sociale, le stimulant financier du travail s’est amoindri. Néanmoins, dans l’aide sociale, les taux de remplacement sont toujours plus faibles que dans l’assurance-chômage. Le revenu net du ménage d’une famille monoparentale bénéficiaire de l’aide sociale en % de celui en cas de travail à temps plein au salaire minimum augmenta de 76% en 1989 à 87% en 1993. Entre 1992 et 1999, on observa une stagnation des prestations sociales. Durant cette période, on peut parler d’une politique des prestations linéaire, où toutes les prestations, y compris les prestations d’aide sociale les plus basses, ne connurent pas de nouvelle augmentation du pouvoir d’achat (voir annexe 1). Les niveaux stagnants de prestations dans l’assurance et dans l’aide sociale n’ont, certes, pas entraîné de réduction des pièges financiers au cours des années ’90 parce que les salaires minimaux (bruts) ont suivi la tendance à la stagnation des prestations sociales (17) L’impact de la politique des prestations dans les années ’80 sur les pièges financiers ne peut jusqu’à présent pas être simulé avec Stasim. Ceci suppose une extension du modèle aux années ‘80.

652


STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

(voir annexe 4). Du fait d’une modulation plus fortement axée sur l’âge et l’ancienneté de l’édifice du salaire minimum, le salaire minimum brut a néanmoins connu de 1991 à 1994 une hausse (nominale de 8,4%) pour les personnes âgées de 22 ans (18). Cette augmentation a entraîné une baisse (modeste) des taux de remplacement pour les couples à un seul revenu de 2 à 3%, mais les taux de remplacement les plus élevés restèrent au-dessus de 90% (pour les familles monoparentales jouissant d’une prestation minimale et pour les ménages à un revenu bénéficiant d’une prestation maximale) et même supérieurs à 100% (familles monoparentales avec une allocation de chômage maximale). La hausse brute du salaire minimum était par conséquent largement insuffisante pour réduire de manière substantielle les pièges financiers. Par ailleurs, cette hausse fut en partie écrêtée par un coin salarial plus élevé (19). Du fait de l’augmentation du salaire minimum brut pour les personnes âgées de 21,5 ans, le coin salarial a augmenté entre 1991 et 1994 de 26% à 29% pour les isolés, de 17% à 20% pour les familles monoparentales et de 12% à 14% pour les couples à un seul revenu avec enfants (voir annexe 4) (20). Pour ces raisons (parmi d’autres), combattre les pièges à l’emploi via une hausse des salaires (minimaux) bruts n’est guère une stratégie efficace (voir ci-après sous la section 5). Pour les chômeurs à deux revenus, les allocations de chômage ont, durant toutes les années quatre-vingt-dix, été déconstruites par les suspensions, ce qui a fait augmenter pour les cohabitants l’incitant financier à reprendre le travail (21). A cause de la suspension, le taux de remplacement pour un cohabitant chômeur avec enfants qui accepte un travail à temps plein au salaire minimum passe (d’un pourcentage pas extrêmement élevé) de 85% à 74%. 2. La politique des prestations sociales à l’égard du travail à temps partiel (graphiques 7a,b,c) menée au cours des années ’90 a exercé un impact certain sur les pièges financiers. Dans l’aide sociale, la politique a eu un effet positif sur la diminution de ceux-ci ; dans l’assurance-chômage par contre un effet négatif. Dans l’aide sociale, en 1990, l’introduction de la prime d’intégration socioprofessionnelle rendait le (18) Avant 1991, il n’y avait pas de modulation selon l’âge des salaires minimaux à partir de 21 ans. En 1991 fut introduit un salaire minimum plus élevé pour les individus de 21,5 ans (6 mois d’ancienneté) et en 1994 pour ceux âgés de 22 ans (1 an d’ancienneté). (19) Le coin salarial indique la part des taxes et des cotisations de sécurité sociale du travailleur en % du salaire brut. (20) La pression (para)fiscale à niveaux salariaux identiques a légèrement augmenté dans le courant des années quatre-vingt-dix pour les bas salaires du fait de l’introduction de la cotisation supplémentaire de crise à partir de la mi-1993 (3% sur l’impôt des personnes physiques). Pour les revenus plus élevés, l’introduction de la cotisation spéciale de sécurité sociale à partir de 1994 a en outre engendré une augmentation de la pression (para)fiscale (le coin salarial pour les salaires à 200% du salaire minimum se situe depuis la moitié des années quatre-vingt-dix dans une fourchette de 31% pour un couple à revenu unique avec deux enfants, à 42% pour un isolé). Pour ces niveaux salariaux élevés, la forte pression parafiscale n’est pas pertinente du point de vue de la perspective des pièges financiers. (21) Au cours de la période 1990-1999, quasiment 200.000 cohabitants chômeurs de longue durée perdirent définitivement leur allocation, avec comme points culminants 1993 (à la suite d’un élargissement du champ d’application) et 1996 (par l’application d’un critère plus strict de la durée du chômage de 2 fois la moyenne de la durée de chômage à 1,5 fois) (ONEM Rapports annuels).

653


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

travail à temps partiel plus attractif sur le plan financier, comme le démontre le graphique 7a. Avant l’introduction de cette prime, tous les bénéficiaires de l’aide sociale qui auraient été travailler à temps partiel auraient soit régressé financièrement (les parents uniques et les couples à revenu unique, avec deux enfants avaient des taux de remplacement qui dépassaient largement les 100%), soit auraient à peine gagné plus en acceptant un travail à temps partiel (les isolés avaient des taux de remplacement de 96 à 99%). L’introduction de la prime d’intégration socioprofessionnelle faisait baisser les taux de remplacement en cas de travail à temps partiel jusqu’à 88% pour les familles monoparentales, 86% pour les couples à un seul revenu avec enfants et 72% pour les isolés. Pour les ménages avec enfants, la question se pose de savoir si, en l’occurrence, le travail à temps partiel a été suffisamment rendu financièrement attractif. Pour les bénéficiaires d’allocations dans l’assurance-chômage, le travail à temps partiel fut rendu financièrement moins intéressant au début des années ’90 par le remplacement en 1993 du régime pour les « temps partiels involontaires visant à ne plus émarger au chômage complet » par l’allocation de garantie du revenu plus limitée. Les effets nets de ce changement de politique ne peuvent être simulés pour le moment avec Stasim parce que le système antérieur des ‘temps partiels involontaires’ n’a pas été repris dans le modèle. Voilà pourquoi les graphiques 7b et 7c reprennent uniquement le rendement marginal du travail à temps partiel à partir de 1994. De la nature de la réforme du régime des temps partiels involontaires vers l’allocation de garantie de revenu, nous pouvons, certes, déduire que le temps partiel avait surtout été rendu moins attrayant pour les isolés et les cohabitants chômeurs de longue durée (22). Les chômeuses de longue durée, surtout, recouraient fréquemment à l’ancien statut de temps partiel involontaire. Le stimulant financier pour accepter un travail à temps partiel au départ d’une allocation de chômage de longue durée est très minime dans le régime actuel. Le revenu du ménage au chômage s’élève en effet à 96% de celui en cas de travail à temps partiel (faiblement rémunéré). Les suspensions ont d’autre part eu pour effet de rendre le travail à temps partiel financièrement plus attrayant. De ce fait, le taux de remplacement baisse de 96% à 84%.

(22) Là, où dans l’ancien régime, l’allocation de chômage complémentaire était en partie calculée au prorata d’un salaire complet et qu’en outre, aucune comparaison n’était faite avec l’allocation de chômage pour chômage complet, le régime de l’allocation de garantie de revenu accorde plutôt un supplément au salaire pour temps partiel en proportion de son allocation s’il était chômeur complet (ce supplément s’élève à : 5.200 FB par mois pour les chefs ménage, 3.120 FB par mois pour les isolés, et, pour les cohabitants, 1.040 FB par mois). D’autre part, l’allocation de garantie de revenu a pour effet, contrairement à l’ancien régime, que le revenu total du travailleur à temps partiel ne puisse être beaucoup plus généreux que le revenu en cas de chômage complet (excepté une petite exonération). Les groupes bénéficiant des allocations de chômage les plus basses étaient par conséquent les plus grands perdants lors de la suppression du régime plus généreux des temps partiels involontaires. En effet, il n’arrive que très rarement qu’étant donné la faiblesse de l’allocation de chômage forfaitaire des cohabitants chômeurs de longue durée, le salaire pour un temps partiel soit inférieur à l’allocation de chômage forfaitaire.

654


82 83 85 83 83 83 78 79 80 77 77 77

77 79 80 80 80 79 72 73 75 72 72 72

73*** 72*** 73*** 73*** 74*** 74***

85 85 85 84 84 85

85 85 85 84 84 85

113 105 87 88 88 88

89 89

86 82 96 99 72 72 72 72

-

93 92

88 85 -

-

100 96 77 77 77 77

86 85

-

89 88

-

106 103 86 86 86 87

87 87

-

89 88

-

82*** 82*** 84*** 83*** 84*** 84***

96 96

-

96 96

-

Parent unique Couple à un Couple à un Couple à deux 2 enfants seul revenu seul revenu revenus sans enfant 2 enfants 2 enfants

-

Isolé

Passage à un emploi à mi-temps au salaire minimum**

Note : * Sont compris dans le revenu du ménage : les allocations de l’intéressé, en cas de deux revenus, le revenu du partenaire (130% de salaire minimum – à temps plein) et, pour les ménages avec enfants, les allocations familiales (le cas échéant, majorées), moins les frais de garde des enfants. ** Les taux de remplacement pour les travailleurs à temps partiel tiennent compte de l’allocation de garantie de revenu (employé à temps partiel avec conservation des droits). *** Pour ces catégories, la prestation d’aide sociale est égale à 0 du fait du revenu du partenaire.

94 95 96 93 91 91

93 95 95 92 91 90

Parent unique Couple à un Couple à un Couple à deux 2 enfants seul revenu seul revenu revenus sans enfant 2 enfants 2 enfants

Au départ d’une allocation de chômage maximale 1989 69 103 1990 70 104 1991 70 105 1992 72 103 1995 71 103 1999 71 104 Au départ d’une allocation de chômage minimale 1989 61 90 1990 62 91 1991 64 93 1992 63 93 1995 64 94 1999 64 94 Au départ de l’aide sociale 1989 60 76 1990 61 80 1991 62 85 1992 61 86 1995 61 87 1999 61 88

Isolé

Passage à un emploi à temps plein au salaire minimum

TABLEAU 7 : EVOLUTION DES TAUX DE REMPLACEMENT NETS POUR LE CHOMAGE ET POUR L’AIDE SOCIALE (REVENUS NETS DU MENAGE* EN CAS DE DEPENDANCE AUX ALLOCATIONS EN % DES REVENUS NETS DES MENAGES LORS DE TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE), BELGIQUE 1989-1999.

STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

655


inBEF/maand

1990

1989

1992

8770

1993

8921

1995

9412

eenouder

jaar

Année

1994

9307

1996

9925

1989 1989

1990 1990

1997

9557

1991 1991

1992 1992

1993 1993 jaar Année

jaar

1994 1994

1995 1995

1996 1996

1997 1997

-1733

3626

zonder kinderen ten laste Couple à kostwinner un seul revenu sans enfant à charge

1991

8702

4119 3463 2134 3378 1673 2984 2760 1737 -1554 -1347 -1594 -1362 -847 -1052 -1300 -1857

8412

8539

isolé

alleenstaande

1998 1998

-1866

3728

1998

9649

1999 1999

-1642

3879

1999

9908

240 240

80

100

120

140

160

180

200

220

240

relata ir eb feidssurplus

200 200

220 220

80 80

100 100

120 120

140 140

160 160

180 180

relatiefarbeidssurplus

En FB/mois inBEF/maand inBEF/maand En FB/mois

in BEF/maand En FB/mois

inBEF/maand En FB/mois

Rendement du travail relatif

Rendement du travail relatif relatief arbeidssurplus

1989

1990

1884

1990

1989

2418

1673

2134

1992

2760

1993

2984

jaar Année

1994

3378

1995

3463

1996

4119

1997

3626

1991

1856

1992

3294

1993

3613

jaar Année

1994

4093

1995

4244

1996

4933

1997

4029

kostwinner met kinderen ten laste Couple à un seul revenu avec enfants à charge

1991

1737

Parent unique

kostwinner zonder kinderen ten laste

1998

4166

1998

3728

1999

4320

1999

3879

80

100

120

140

160

180

200

220

240

80

100

120

140

160

180

200

220

240

Rendement du travail relatif relatiefarbeidssurplus

relatiefarbeidssurplus

656 Rendement du travail relatif

GRAPHIQUE 6A : PASSAGE DU CHOMAGE DE LONGUE DUREE AVEC ALLOCATION MAXIMALE A UN EMPLOI A TEMPS PLEIN AU SALAIRE MINIMUM, RENDEMENT MARGINAL ABSOLU (EN FB/MOIS) ET RELATIF, COUPLES A UN SEUL REVENU, BELGIQUE, 1989-1999. REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002


1990

1989

1991

14677

1992

16018

1993

jaar Année

1994

17065

1995

17167

1996

17411

1997

17266

1998

17534

1999

17538

17105

1990

17386

1989

1991

17636

1992

19712

1993

19115

Année

jaar

1994

19769

1995

20062

1996

20772

1997

19995

1998

20285

1999

20710

koppel met kinderen ten laste, werkloos gezinshoofd, de tweede partner gaat van inactiviteit naar tewerkstelling

Couple avec enfants à charge, chef de ménage chômeur, partenaire passe de l’inactivité à un emploi

14132

14016

17119

80

100

120

140

160

180

200

220

240

80

100

120

140

160

180

200

relatiefarbeidssurplus

220

relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif

Rendement du travail relatif

240

in BEF/maand

En FB/mois inBEF/maand En FB/mois

Couple sans enfants à charge, 1 personne travaille, l’autre passe du chômage à un emploi

1989

11303

1990

1989

1991

10070

1992

11253

1993

12043

jaar Année

1994

11874

1995

11940

1996

12136

1997

11991

1998

12223

1999

12146

1990

11554

1991

11740

1992

12651

1993

12277

Année jaar

1994

11913

1995

11891

1996

11864

1997

11864

1998

12014

1999

11984

koppel met kinderen ten laste, tewerkgesteld gezinshoofd, de tweede partner gaat van inactiviteit naar tewerkstelling

Couple avec enfants à charge, chef de ménage travaille, le partenaire passe de l’inactivité au travail

9952

9877

Couple avec enfants à charge, 1 personne travaille, l’autre passe du chômage à un emploi

koppel met kinderen ten laste, partner 1 werkt en de tweede partner gaat van werkloosheid naar tewerkstelling

80

100

120

140

160

180

200

220

240

80

100

120

140

160

180

200

220

240

relatiefarbeidssurplus

koppel zonder kinderen ten laste, partner 1 werkt en de tweede partner gaat van werkloosheid naar tewerkstelling

relatief arbeidssurplus

Rendement du travail relatif

in BEF/maand En FB/mois

inBEF/maand En FB/mois

Rendement du travail relatif

GRAPHIQUE 6B : PASSAGE DU CHOMAGE DE LONGUE DUREE AVEC ALLOCATION MAXIMALE OU DE L‘INACTIVITE A UN EMPLOI A TEMPS PLEIN AU SALAIRE MINIMUM, RENDEMENT MARGINAL ABSOLU (EN FB/MOIS) ET RELATIF ET RENDEMENT MARGINAL RELATIF, COUPLES A DEUX REVENUS, BELGIQUE, 1989-1999.

STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

657


8254

1990

1989

1990

1989

8449

10897

10929

1992

jaar Année

1994

12832

1995

12787

1996

13300

kostwinner zonder kinderen ten laste

1993

12386

1997

13013

1991

8104

1992

9559

1993

9727

Année

jaar

1994

10252

1995

10172

1996

10828

1997

10475

Couple à un seul revenu sans enfants à charge

1991

10955

12167

isolé

1998

10732

1998

13148

1999

10967

1999

13407

80

100

120

140

160

180

200

220

240

80

100

120

140

160

180

200

220

240

relatiefarbeidssurplus

alleenstaande

relatief du arbeidssurplus Rendement travail relatif

Rendement du travail relatif

in BEF/maand En FB/mois

inBEF/maand En FB/mois

En FB/mois inBEF/maand EninBEF/maand FB/mois

658 1989

8733

1989

8524

1990

8465

1990

7248

1992

5499

1993

5189

jaar Année

1994

5527

1995

5347

1996

5862

1997

5116

1998

5138

1991

8223

1992

10093

1993

10356

1995

10953

Année

jaar

1994

10967

1996

11642

1997

10878

1998

11170

met kinderen laste Couple à kostwinner un seul revenu avectenenfants à charge

1991

5710

eenouder Parent unique

1999

11407

1999

5446

80

100

120

140

160

180

200

220

240

80

100

120

140

160

180

200

220

240 relatiefarbeidssurplus Rendement du travail relatif relatiefarbeidssurplus Rendement du travail relatif

GRAPHIQUE 6C : PASSAGE DE L’AIDE SOCIALE A UN EMPLOI A TEMPS PLEIN AU SALAIRE MINIMUM, RENDEMENT MARGINAL ABSOLU (EN FB/MOIS) ET RELATIF , COUPLES A UN SEUL REVENU, BELGIQUE, 1989-1999. REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002


1989

-11

1989

620

1990

929

1990

190

1992

1993

7320

année jaar Année

1994

7448

1995

7732

1996

7683

1997

7932

1991

7359

1992

7498

1993

7606

jaar Année

ANNEE

1994

7771

1995

8037

1996

8042

1997

8177

couple à un seul revenukinderen sans enfantsten à charge zonder lasteà charge Couple àkostwinner un seul revenu sans enfants

1991

7238

1998

8320

1998

8043

1999

8403

1999

8075

80

100

120

140

160

180

200

220

240

80

100

120

140

Rendement du travail relatif

7151

Rendement du travail relatif relatief arbeidssurplus

en FB/ mo is

Rendement duarbeidssurplus travail relatif relatief

Re 220 nd em 200 ent du tra 180 vail rel atif 160

240

en FB/ mo is

j

en FB/ mo is

En FB/mois in BEF/maand

isolé alleenstaande isolé

1989

-1721

-3214 1989

1990

-815

1990

-1390 1992

4694

1993

4722

Année

jaar Année

1994

5054

1995

5279

1996

5284

1997

4916

1991

5416

1992

5477

1993

5544

jaar Année

ANNEE

1994

5668

1995

5892

1996

5897

1997

5529

couple à unrevenu seulmet revenu avec enfants à charge kostwinner kinderen ten lasteà charge Couple à un seul avec enfants

1991

4633

Parent unique eenouder Parent unique

1998

5619

1998

5006

1999

5702

1999

5089

80

100

120

140

Re nd em 200 ent du tra 180 vail rel atif 160 220

240

80

100

120

140

Re nd 220 em ent 200 du tra vail 180 rel atif 160

240

Rendement du travail relatif relatief arbeidssurplus

relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif

FB/mois inEnBEF/maand

EnBEF/maand FB/mois in

En FB/mois

En in FB/mois BEF/maand

GRAPHIQUE 7A : PASSAGE DE L’AIDE SOCIALE A UN EMPLOI A MI-TEMPS AU SALAIRE MINIMUM, RENDEMENT MARGINAL ABSOLU (EN FB/MOIS) ET RELATIF, COUPLES A UN SEUL REVENU, BELGIQUE, 1989-1999.

STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

659


en FB/ mo is

En FB/ mo is

1995

1994

1996

3389

ANNEE jaar Année

1997

4204

1998

4317

4469

1995

4397

1994

1996

4614

jaar Année ANNEE

1997

4627

1998

4738

couple à un seul revenu sans enfants àten charge zonder kinderen laste Couple à unkostwinner seul revenu avec enfants à charge

3239

3273

isolé alleenstaande isolé

1999

4914

1999

4478

Re nd em ent du tra vail rel atif

80

100

120

140

Re 220 nd em ent 200 du tra 180 vail rel atif 160

240

80

100

120

140

160

180

200

220

240

Rendement du arbeidssurplus travail relatif rlatief

Rendement du arbeidssurplus travail relatif rlatief

in BEF/maand En FB/mois

BEF/maand Enin FB/mois

En FB/ mo is

en FB/ mo is

in BEF/maand En FB/mois BEF/maand EninFB/mois

660 1994

5702

1995

1994

1996

3941

ANNEE jaar Année

1997

3850

1998

3890

1995

5826

1996

6018

1997

jaar Année ANNEE

6038

1998

6156

couple à un seul revenu avec enfants charge kostwinner met kinderen tenà laste Couple à un seul revenu avec enfants à charge

3703

3750

Parent unique eenouder Parent unique

1999

6336

1999

4031

Re nd em ent du tra vail rel atif

80

100

120

140

Re 220 nd em ent 200 du tra 180 vail rel atif 160

240

80

100

120

140

160

180

200

220

240

rlatief Rendement du arbeidssurplus travail relatif rlatief Rendement du arbeidssurplus travail relatif

GRAPHIQUE 7B : PASSAGE DU CHOMAGE DE LONGUE DUREE AVEC ALLOCATION MAXIMALE A UN EMPLOI A MI-TEMPS AU SALAIRE MINIMUM, COUPLES A UN SEUL REVENU, RENDEMENT RELATIF ABSOLU (EN FB/MOIS) ET RELATIF, BELGIQUE, 1994-1999. REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002


Chômeur avec partenaire qui travaille va travaillet (sans enfants)

1995

1994

Année

ANNEE

1997

5431

1998

5440

1999

5482

Partenaire sans allocation avec travailleur (chef de famille) va travailler (2 enfants)

1996

5577

-3058

1995

-2993

1994

1996

-2656 1997

Année

ANNEE

-3575 1998

-3661 1999

-3585

Partenaire sans allocation avec partenaire au chômage (chef de famille) va travailler (2 enfants)

5178

5390

80

100

120

140

160

180

200

220

240

80

100

120

140

160

180

200

220

240 Rendeement du travail relatifrplus Rendement du travail relatif Rendement du travail relatifl Rendement du travail relatif

Chômeur avec partenaire qui travaille va travailler (sans enfants)

En FB/mois En FB/mois FB/mois EnEn FB/mois

FB/mois EnEn FB/mois

FB/mois EnEnFB/mois

1995

1994

1996

3037

ANNEE

Année

1997

2892

1998

2869

1999

2794

1994

2972

1995

2640

1996

2765

ANNEE

Année

1997

2765

1998

2660

1999

2633

Partenaire sans allocation avec partenaire au travail va travailler Partenaire sans allocation avec travailleur va travailler (2 enfants) (2 enfants)

2689

2932

Chômeur avec qui travaille va travailler (2 enfants) Chômeur avec partenaire quipartenaire travaille va travailler (2 enfants)

80

100

120

140

160

180

200

220

240

80

100

120

140

160

180

200

220

240

Rendement du travail trelatif Rendement du travail relatif Rendement du travail relatif Rendement du travail relatif

GRAPHIQUE 7C : PASSAGE DU CHOMAGE DE LONGUE DUREE AVEC ALLOCATION MAXIMALE A UN EMPLOI A MI-TEMPS AU SALAIRE MINIMUM, RENDEMENT MARGINAL ABSOLU (EN FB/MOIS) ET RELATIF, COUPLES A DEUX REVENUS, BELGIQUE, 1994-1999.

STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

661


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

5.

L’IMPACT DES REFORMES FISCALES ET DE SECURITE SOCIALE SUR LA REDUCTION DES PIEGES A L’EMPLOI Les pièges financiers renvoient à un conflit entre protection du revenu (la garantie de disposer d’un revenu minimal décent) et efficacité économique (stimuler la réinsertion et prévenir la dépendance de longue durée). Du point de vue de la première perspective, des prestations doivent être suffisamment élevées; du point de vue de la seconde, des allocations “décentes” font précisément barrage à la réintégration dans le marché formel de l’emploi. Une politique visant à réduire les pièges financiers se heurte à des choix (idéologiques) fondamentaux à l’égard du modèle de protection sociale. La réduction des pièges financiers peut en principe se produire tant par la déconstruction de la protection sociale (‘le bâton’) que par l’augmentation des (bas) salaires (‘la carotte’). Fin des années quatre-vingt-dix, en Belgique, la politique d’activation a été profilée, en partie sous l’influence de l’évolution budgétaire favorable, comme une stratégie de la ‘carotte’. Une baisse nominale des prestations (la politique du ‘bâton’) n’a pas reçu de soutien politique, après que, dans le courant des années ’90, les allocations y compris des plus faibles (les minima) enregistraient déjà un recul sensible sur la prospérité générale et que la portée des allocations de chômage était réduite de manière sélective par les suspensions (De Lathouwer 1997). Malgré l’évolution budgétaire favorable, la politique sociale se montrait toujours réticente par rapport à une amélioration des prestations. Dans l’esprit de l’Etat social actif, le gouvernement a opté, en guise de solution aux pièges à l’emploi, pour un plus grand investissement dans des mesures de stimulation de l’offre. Outre le fait de rendre financièrement plus intéressant un travail faiblement rémunéré, la politique d’activation met l’accent sur un accompagnement dirigé des catégories de chômeurs fragiles (p.ex. le plan d’accompagnement des chômeurs de longue durée, le parcours d’insertion pour jeunes chômeurs), la mise en œuvre des premières expériences du travail, la formation dans différents plans d’emploi et sur une politique de la durée du temps de travail en vue de créer des conditions de travail encore plus attractives (cf. la mise sur pied du crédit-temps et les emplois de fin de carrière) (23). Dans cette section, nous nous penchons particulièrement sur la stratégie gouvernementale visant à rendre le travail faiblement rémunéré plus attractif. Politique salariale égalitariste et salaires minimaux bruts – Une première piste pour rendre financièrement intéressant un emploi faiblement rémunéré consiste à augmenter les niveaux de rémunération bruts, en particulier le salaire minimum interprofessionnel et les niveaux de rémunération minimale sectoriels. Toutefois, vouloir pratiquer – en guise de stratégie contre le piège à l’emploi - une politique salariale égalitariste en vue de prévenir les bas salaires est toujours source de problèmes pour trois raisons. En premier lieu, le contexte de concurrence internationale (23) Pour un aperçu des mesures politiques, nous renvoyons aux rapports fédéraux sur l’emploi du Ministère de l’Emploi et du Travail ainsi qu’au “Jaarboek Arbeidsmarkt in Vlaanderen” du Steunpunt Werkgelegenheid, Arbeid en Vorming.

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accrue impose la modération salariale, y compris au bas de l’édifice salarial. Alors qu’entre 1987 et 1993, en Belgique, les salaires ont augmenté sensiblement plus vite que chez nos principaux partenaires commerciaux (Pays-Bas, Allemagne et France), la maîtrise de l’évolution salariale est devenue aujourd’hui un objectif prioritaire (Conseil Supérieur de l’Emploi, 2000). L’introduction de l’indice de santé en 1993, l’introduction de la norme salariale en 1996 et la baisse des charges sociales ont toutes eu pour but de réduire les différences de l’évolution salariale entre la Belgique et ses partenaires commerciaux les plus importants. Cette politique de modération salariale a également exercé une influence modératrice sur les salaires minimaux (bruts). De 1987 à 1994, le salaire minimum brut nominal (+ 22 ans) augmentait encore annuellement de 3,9% en moyenne ; de 1994 à 2000, cette hausse ne s’élevait plus qu’à 1,4%. En deuxième lieu, une augmentation supplémentaire du salaire minimum brut implique une hausse subséquente du coût salarial au bas de l’échelle du marché du travail. Du fait du coin salarial belge élevé, cette stratégie crée simultanément un piège à la productivité, c’est-à-dire une tension accrue entre le coût salarial et la productivité du travail. Malgré toutes les controverses relevées dans la littérature relative à l’impact négatif des planchers minima (élevés) sur l’emploi (p. ex. Gregg, 2000), la perte accrue de productivité semble continuer à éloigner du marché de l’emploi les chômeurs structurels et les personnes faiblement qualifiées. Enfin, en troisième lieu, une hausse du salaire minimum brut n’est pas non plus une stratégie efficace de l’offre parce que le coin salarial écrème l’augmentation salariale. Ainsi, les simulations ont démontré que l’augmentation du salaire minimum pour les jeunes âgés de plus de 21,5 ans au début des années ‘90 n’est pas réellement parvenue à déjouer les pièges financiers (voir ci-dessus). Subsides pour les niveaux salariaux nets des salariés faiblement rémunérés – Parce qu’une politique de l’offre étayée par une stratégie salariale égalitariste se heurte à des limites plus hautes, les Etats doivent relever un défi : tracer des voies pour accroître le revenu net des emplois faiblement rémunérés via des dispositifs fiscaux et sociaux (Ferrera, 2000). Les subsides pour les travailleurs faiblement rémunérés ou pour les familles à faible revenu de travail ont pour but d’encourager les gens à aller travailler et d’améliorer en même temps leur niveau de vie. Les ménages avec un seul revenu (familles monoparentales, couples avec enfants) éprouvent en effet souvent des difficultés à nouer les deux bouts avec un seul salaire. Dans le modèle social européen continental, le subside aux bas salaires modifie souvent la manière de penser la sécurité sociale, la fiscalité et la parafiscalité. Les systèmes qui octroient des subsides ou des allocations aux travailleurs sont généralement étrangers à l’Etat providence continental où les salaires (minima) sont relativement élevés. Dans les pays anglo-saxons où les marchés de l’emploi sont fortement dérégulés et où persiste un problème de “travailleurs pauvres”, les prestations sociales pour travailleurs faiblement rémunérés existent déjà depuis un certain temps. Le “Working Families Tax Credit” (WFTC) au Royaume-Uni et l’‘‘Earned Income Tax Credit” (EITC) aux Etats-Unis se sont développées jusqu’au moteur principal de la politique du marché de l’emploi (Hotz et Scholz, 2000 ; Phelps, 2000). Bien que, 663


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dans le modèle social continental, la pauvreté touche assez rarement les travailleurs (voir ci-dessus, le graphique 2), aujourd’hui, en Belgique, les salaires nets ne sont pas toujours suffisants pour hisser les travailleurs à temps plein au-dessus du seuil de pauvreté (tableau 8). Le revenu net du ménage des travailleurs au salaire minimum avec enfants à charge (et frais de garde des enfants) n’est pas ou à peine suffisant pour les familles avec un seul revenu. Depuis 2000, notre pays a adopté diverses mesures visant à subventionner les emplois faiblement rémunérés via les politiques sociale et fiscale. Soulignons que la concertation sociale n’a pas abouti à un seul dispositif dominant mais à une variété de mesures. Des mesures ont été adoptées tant dans la sécurité sociale que dans les cotisations sociales et dans la fiscalité.

TABLEAU 8 : REVENU NET D’UN MENAGE EN CAS DE TRAVAIL (A TEMPS PLEIN) AU SALAIRE MINIMUM AVEC ET SANS FRAIS DE GARDE DES ENFANTS, EN % DU SEUIL DE PAUVRETE UE, BELGIQUE, 1997

Isolé Parent unique, 2 enfants (1) Couple à un seul revenu, sans enfants Couple à un seul revenu, deux enfants Deux revenus, sans enfants (2) Deux revenus, 2 enfants (1) (2)

Sans frais de garde des enfants

Après frais de garde des enfants

1.30 1.12 0.98 0.91 1.85 1.52

1.30 1.05 0.98 0.91 1.85 1.42

Note : (1) En cas de travail, ces types de ménage sont censés avoir des frais de garde des enfants. (2) Le partenaire gagne 130% du salaire minimum.

Au cours de l’année 2000, quelques allocations complémentaires ont été instaurées dans la sécurité sociale pour les chômeurs qui acceptent un travail, notamment le supplément unique pour la garde des enfants (exclusivement pour les familles monoparentales), une prime de mobilité et le paiement temporairement prolongé des allocations familiales majorées pour familles monoparentales chômeuses de longue durée et couples à revenu unique chômeurs qui acceptent un travail. En janvier 2000 (avec une extension en avril 2000), les cotisations sociales des travailleurs à bas salaires ont été réduites. La diminution consiste en un montant forfaitaire qui se réduit au fil de l’augmentation du salaire (jusqu’à un salaire brut maximum de 54.000 FB par mois). En matière de fiscalité, un certain nombre de mesures ont été instituées dans le cadre de la réforme fiscale en vue de diminuer la pression sur le travail. L’introduction d’un crédit d’impôts individuel prévoit un avantage fiscal pouvant être de maximum 20.000 FB par an pour des revenus du travail imposables situés entre 150.000 et 500.000 FB. Entre 100.000 et 150.000 (zone d’entrée) et 664


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entre 500.000 et 650.000 (zone de sortie) s’applique un avantage dégressif. Pour les personnes non soumises à l’impôt, voire devant payer moins de 20.000 BEF, le solde entre l’impôt et le crédit d’impôt est remboursé (impôt négatif sur les revenus). Aujourd’hui, toutes ces mesures sont soit déjà en vigueur (supplément unique pour frais de garde des enfants, prime de mobilité, prolongement temporaire des allocations familiales majorées, diminution des cotisations pour bas salaires), soit décidées sur le plan politique et applicables (graduellement) à partir de 2002 (crédit d’impôt pour bas salaires). Pour le futur, rappelons encore la réforme du système des frais de garde des enfants, qui exercera également un impact sur les pièges à l’emploi. La proposition envisage de diminuer les frais de garde des enfants pour les bas revenus et d’augmenter ceux des revenus élevés en vue de réaliser une opération neutre sur le plan budgétaire. Etant donné qu’il ne s’agit que d’une proposition, nous n’en avons pas tenu compte dans les calculs ci-après. L’ impact de la réforme sur les pièges financiers – Le tableau 9 restitue en tout premier lieu l’effet combiné des diverses mesures sur les pièges financiers. Ensuite, les différentes mesures font l’objet d’une analyse distincte.

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82 89 84 87 96

64 94 79 83 85

1999

76 81 77 82 92

62 82 70 75 80

2001

+3.008 +5.069 +4.243 +3.453 +3.482

+2.813 +7.336 +5.780 +6.789 +5.906

Gain du travail en FB par mois par rapport à 1999

Au départ d’une allocation de chômage minimale

72 88 77 87 84

61 88 72 77 74

1999

69 83 74 82 82

54 81 62 69 71

2001

+1.704 +3.449 +1.878 +3.450 +3.764

+4.801 +4.143 +6.623 +6.504 +6.189

Gain du travail en FB par mois par rapport à 1999

Au départ de l’aide sociale

Note : * Sont compris dans le revenu du ménage : allocation/salaire de l’intéressé ; en cas de deux revenus, le salaire du partenaire (130% du salaire minimum – à temps plein) et, pour les ménages avec enfants, les allocations familiales (le cas échéant, majorées), moins les frais de garde des enfants. ** Les chiffres de 2001 tiennent compte de la dernière réforme fiscale, qui n’entrera en réalité en vigueur qu’à partir de 2002. Il est tenu compte du maintien provisoire des allocations familiales majorées et du supplément pour frais de garde des enfants pour les familles monoparentales. *** Les taux de remplacement pour les travailleurs à temps partiel tiennent compte de l’allocation de garantie du revenu (employé à temps partiel avec maintien des droits).

+3.142 +5.394 +4.250 +3.453 +3.482

+3.437 +8.387 +6.430 +7.439 +5.906

Gain du travail en FB par mois par rapport à 1999

Passage à un travail à temps partiel (50 %) au salaire minimum*** Isolé 84 78 Parent unique, 2 enfants 92 84 Couple à un seul revenu, sans enfants 88 80 Couple à un seul revenu, 2 enfants 88 83 Deux revenus, 2 enfants 96 92

67 88 79 81 80

2001**

Passage à un emploi à temps plein au salaire minimum Isolé 71 Parent unique, 2 enfants 104 Couple à un seul revenu, sans enfants 90 Couple à un seul revenu, 2 enfants 91 Deux revenus, 2 enfants 85

1999

Au départ d’une allocation de chômage maximale

TABLEAU 9 : IMPACT DES REFORMES FISCALE ET DE SECURITE SOCIALE DEPUIS 2000 SUR LES TAUX NETS DE REMPLACEMENT EN CAS DE CHOMAGE (REVENUS NETS D’UN MENAGE* AU CHOMAGE EN % DES REVENUS NETS D’UN MENAGE EN CAS DE TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE) ET SUR LE RENDEMENT MARGINAL ABSOLU DU TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE PAR RAPPORT A UNE DEPENDANCE AUX ALLOCATIONS, BELGIQUE, 1999-2001

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Globalement, les différentes mesures adoptées depuis 2000 dans la sécurité sociale, les cotisations sociales et la fiscalité ont exercé un impact positif, en ce sens qu’elles ont rendu le travail faiblement rémunéré financièrement plus attractif pour toutes les catégories. Depuis 2000, aucun type de ménage ne subit encore de recul quand il accepte un travail à bas salaire au départ des allocations de chômage (les plus élevées). Les conséquences de ces réformes sont le plus substantiel pour les catégories confrontées au piège financier le plus extrême, à savoir les familles monoparentales et les ménages à un seul revenu qui passent d’une allocation de chômage maximale à un travail à temps plein au salaire minimum. Pour les premières, dans cette situation, le piège financier a été réduit de 16 points de pourcentage (un bonus de 8.300 FB par mois par rapport à la situation en 1999) et, pour les couples à un seul revenu avec enfants, de 10 points de pourcentage (un mieux de 7.400 FB par mois par rapport à 1999). De plus, même pour les catégories non confrontées au piège financier (isolés, couples à un seul revenu émargeant à l’aide sociale) ou celles qui ne l’étaient que dans une moindre mesure (ménages à deux revenus), leur position – même à faible niveau salarial – s’améliore parce que l’ensemble des mesures n’a pas été exclusivement axé sur les groupes en butte au principal piège financier. Les réformes n’ont toutefois exercé que peu d’influence sur les couples de chômeurs avec enfants désireux de s’engager dans un travail à temps partiel. Pour ces derniers subsistent des taux nets de remplacement supérieurs à plus de 90%. Dans les paragraphes suivants, nous détaillerons ces différentes mesures et analyserons leur impact (distinct) sur le piège financier. Nous illustrerons notre propos à l’aide des graphiques 8a et 8b (passage d’allocations de chômage maximales à un travail à temps plein et à temps partiel au salaire minimum) et des graphiques 9a et 9b (passage de l’aide sociale à un emploi à temps plein et à temps partiel au salaire minimum). Ces graphiques restituent étape par étape l’impact de chaque mesure spécifique sur le rendement marginal du travail faiblement rémunéré par rapport à une situation d’allocataires sociaux.

5.1.

ALLOCATIONS COMPLEMENTAIRES DE SECURITE SOCIALE POUR TRAVAILLEURS En 2000, un certain nombre de mesures sont entrées en vigueur dans le domaine de la sécurité sociale. Elles instauraient des allocations complémentaires lors du passage du chômage à un emploi. Par exemple, depuis juillet 2000 est institué un supplément unique pour garde des enfants et une prime de mobilité de 30.000 FB chacun, avec l’objectif de compenser les dépenses supplémentaires liées au travail (24). (24) Le supplément unique de 30.000 FB pour garde des enfants couvre dans une large mesure ces frais, à ceci près que cette mesure ne s’applique que pour la première année de travail. Nos simulations standard font apparaître que le coût brut de garde des enfants (à temps plein) pour un parent unique avec 2 enfants qui travaille au salaire minimum se chiffre à 49.200 FB par an. Après déduction fiscale des frais de garde des enfants, le coût net de ces dépenses s’élève encore annuellement à 39.000 FB (soit quelque 3.250 FB par mois), ce qui grève lourdement le budget des bas revenus. La nouvelle mesure couvre donc 77% des frais de garde des enfants pour la première année.

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Le supplément pour la garde des enfants s’applique uniquement dans l’assurancechômage aux familles monoparentales et n’est octroyé que pour un emploi de 18 heures minimum avec un contrat de travail à durée indéterminée. Le passage à un travail temporaire (intérim, contrat à durée déterminée) n’est donc pas récompensé par ce dispositif. Pour avoir droit à une prime de mobilité, la distance séparant le domicile du lieu de travail doit être supérieure à 25 km et la durée totale de déplacement doit être de 4 heures. En 2000, à peine, 39 chômeurs ont perçu le supplément pour garde des enfants et 25 la prime de mobilité. L’impact limité est indubitablement lié au caractère très récent de la mesure et au fait que les chômeurs doivent eux-mêmes en introduire la demande. En deuxième lieu, depuis octobre 2000, les allocations familiales majorées pour familles monoparentales et couples à un seul revenu chômeurs de longue durée continuent à être temporairement versées, à savoir durant le semestre en cours (25), lorsqu’ils passent du chômage à l’emploi (26) (budget de 51 millions). Les ayants droit aux allocations familiales majorées qui, après avoir accepté un emploi se retrouvent au chômage (avec bénéfice des allocations) dans un délai de 6 mois, bénéficient de nouveau immédiatement des allocations familiales majorées sans avoir à accomplir un nouveau stage d’attente de 6 mois (27). Par ailleurs, d’autres mesures ont encore été adoptées dans la sécurité sociale, afin de prévenir le caractère dissuasif d’un travail (temporaire). Les chômeurs âgés ont de nouveau immédiatement droit à des allocations majorées (le supplément pour ancienneté) s’ils se retrouvent chômeurs après une reprise temporaire du travail et la perte de revenus des chefs de ménage chômeurs sera limitée lorsque le partenaire (au foyer) (re)prend un travail. Le supplément unique pour garde des enfants et le maintien (provisoire) des allocations familiales majorées réduisent les pièges financiers pour les ménages à un seul revenu chômeurs avec enfants à charge. L’impact est conséquent pour les familles monoparentales au chômage qui acceptent un travail à temps plein au salaire minimum. Par exemple, le rendement marginal d’un salaire minimum à temps plein au départ d’une allocation maximale, augmente pour un parent unique de 4.560 FB par mois (plus de 50% de l’impact de toutes les mesures ensemble) et de 2.860 FB/mois pour les couples à un seul revenu avec enfants (quelque 40% de l’impact total) (graphique 8a). Lors du passage à un travail faiblement rémunéré à mi-temps (à salaire minimum), certains parents uniques profitent d’un avantage financier complémentaire grâce au supplément pour garde des enfants (ils progressent de 2.237 FB/mois par rapport à la situation de 1999, graphique 8b). La mesure du maintien des allocations familiales majorées intervenait déjà avant 2000 pour les chômeurs à temps partiel. Les familles monoparentales et les ménages à un seul revenu qui ont accepté un travail à temps partiel après avoir été au chômage pouvaient déjà conser-

(25) Les allocations familiales majorées peuvent être conservées pendant le trimestre en cours lorsque leur bénéfice a été accordé durant le deuxième mois du semestre précédent. (26) La trimestrialisation des allocations familiales. Loi programme du 12 août 2000. Loi portant des dispositions sociales, budgétaires et autres. Articles 84 et 85. (27) Loi D’Hondt. A.R. 1er mars 2000 avec effet rétroactif jusqu’au 14 juin 1999.

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ver leurs allocations familiales majorées sous le régime des ‘travailleurs à temps partiel conservant leurs droits’. Ce n’est pas le cas pour les bénéficiaires du minimum d’existence sous le régime de l’intégration socioprofessionnelle. Les allocations complémentaires, coup de pouce financier au passage du chômage au travail ne sont pas une véritable innovation dans la sécurité sociale belge. Auparavant, certaines mesures avaient déjà été élaborées pour les chômeurs qui acceptaient un travail à temps partiel. Les régimes de subvention les plus importants sont l’allocation de garantie de revenu (et l’intégration socioprofessionnelle dans l’aide sociale) et les régimes d’activation des allocations de chômage (ALE et emplois de services). Surtout pour les femmes dont le partenaire a un revenu, le passage au temps partiel partant du chômage est rendu plus fortement dissuasif en Belgique qu’ailleurs parce que, pour ces bénéficiaires de l’assurance-chômage, la durée des allocations est atypiquement longue. Or, ce groupe précisément exprime clairement le souhait de travailler à temps partiel. Certaines enquêtes spécifiques auprès de femmes inactives et au chômage indiquent une préférence très nette pour le travail à temps partiel (Van Dongen, e.a., 1995 ; De Lathouwer, e.a., 2000). Par exemple, il ressort d’une enquête auprès de chômeuses de longue durée qu’environ, la moitié souhaite travailler à temps partiel ; chez les femmes suspendues, ce taux est même de 70% (De Lathouwer, e.a., 2000). Le travail à temps partiel permet plus aisément aux femmes de combiner travail et famille. Les motifs cités en faveur du travail à temps partiel dans le Labour Force Survey font apparaître qu’en 1999, plus de 50% des femmes travaillent à temps partiel à cause des soins à apporter aux enfants ou pour d’autres raisons familiales, contre à peine 4% des hommes. Seulement, 6% des femmes déclare explicitement ne pas désirer de travail à temps plein (Demunter et Luminet, 2000). Par conséquent, la préférence accordée au temps partiel est encore fortement déterminée par la répartition inégale des tâches domestiques (Plantega, 2000). Un travail à temps partiel après une période d’exclusion totale du marché de l’emploi, permet aussi plus aisément de s’acclimater au rythme du travail rémunéré que le travail à temps plein (Commission européenne, 1999). La hausse spectaculaire du nombre d’ayants droit dans le régime précédent de « chômeurs travailleurs à temps partiel pour échapper au chômage complet » a permis de se rendre compte du succès de cette formule chez les femmes. La possibilité de travailler à mi-temps sans trop grandes conséquences financières a fait augmenter le nombre de bénéficiaires de ce régime entre 1980 et 1990 de 12.500 à 205.000. A cause des importantes conséquences budgétaires, le système a été rendu plus sévère à partir de 1990 et supprimé en 1993 pour être remplacé par le statut considérablement moins avantageux de l’allocation de garantie de revenu. Le nombre d’ayants droit dans ce régime a particulièrement rétrogradé jusqu’à 35.000 ayants droit en 2000. Outre l’allocation de garantie du revenu, rappelons encore le système de l’ALE, qui – compte tenu des conditions actuelles – subventionne un petit emploi à temps partiel (max.45 heures par mois) avec la totalité de l’allocation de chômage. Les ALE, avec 40.000 bénéficiaires (principalement des chômeuses de longue durée) connaissent un succès croissant (Van Brempt, 1997). Néanmoins, des questions peuvent être posées sur le 669


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passage imparfait dans un emploi régulier, notamment à cause de l’important piège financier lors du passage dans un emploi non subsidié (Cantillon et Thirion, 1998) et l’absence d’emplois à temps partiel sur le marché régulier.

5.2.

LA DIMINUTION SELECTIVE DES COTISATIONS SOCIALES DU TRAVAILLEUR POUR BAS SALAIRE En janvier 2000 fut instaurée la réduction des cotisations des travailleurs avec un bas salaire. Cette mesure a été étendue en avril 2000 et s’applique actuellement aux travailleurs dont le salaire brut s’élève à maximum 54.000 FB par mois (montants janvier 2001). Cette mesure prévoit une diminution des cotisations sociales. La réduction consiste en un montant forfaitaire qui diminue progressivement au fur et à mesure que la rémunération augmente. Pour les travailleurs au niveau salarial minimum, l’avantage joue pleinement. Grâce à cette mesure, le coin salarial au niveau du salaire minimum a régressé de 29% à 24% pour les isolés et de 13% à 8% pour les ménages à un revenu avec enfants. Etant donné que cet avantage parafiscal est octroyé à tous les individus faiblement rémunérés, il s’agit d’une mesure relativement onéreuse (6,8 milliards de FB inscrits au budget de 2000). Ceci à l’opposé par exemple des crédits d’impôts aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni qui sont accordés aux ménages disposant d’un faible revenu du travail (et donc après contrôle des moyens d’existence). L’effet net d’un abaissement des cotisations sociales est écrémé en partie par la fiscalité. En effet, les cotisations sociales plus faibles majorent le revenu net imposable et donc la base d’imposition des bénéficiaires de cette mesure. Par exemple, une réduction des cotisations de 3.300 FB par mois au niveau salarial minimum ne produit qu’un rendement marginal net supplémentaire (au départ d’une allocation de chômage maximale) pour un travail à temps plein au salaire minimum respectivement de (en arrondissant) 1.700, 1.900 et 2.200 FB par mois pour parents uniques, isolés et couples à un seul revenu avec 2 enfants à charge. Cette mesure ne permet que de déjouer très peu le piège financier pour familles monoparentales au chômage en comparaison avec les mesures très sélectives de la sécurité sociale. L’abaissement des cotisations sociales pour bas salaires a généré un changement dans la structure de financement de la sécurité sociale pour travailleurs salariés. Alors qu’en principe, les cotisations sociales sont proportionnelles, les réductions sélectives des cotisations des travailleurs salariés entraînent un caractère progressif de la structure des cotisations sociales. Ceci renforce le principe de solidarité de la sécurité sociale et affaiblit le principe d’assurance.

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5.3.

LA REFORME DE L’IMPOT SUR LES PERSONNES PHYSIQUES ET L’INTRODUCTION D’UN CREDIT D’IMPOTS La réforme fiscale (28) qui entrera en vigueur en Belgique à partir de 2002, prévoit une importante baisse des impôts pour tous les revenus (coût estimé : 131 milliards de FB) avec une introduction par phases réparties sur 4 ans (effet culminant en 2006). La réforme de la fiscalité comporte les lignes de force suivantes : diminution de la pression fiscale sur les revenus du travail, neutralisation du choix de la forme de ménage (suppression des différences d’imposition entre couples mariés et cohabitants), renforcement des avantages fiscaux pour enfants et introduction d’une fiscalité plus « verte ». Dans le contexte des pièges à l’emploi, deux volets sont particulièrement pertinents : l’introduction d’un crédit d’impôts personnel pour les bas revenus du travail et l’augmentation de la déductibilité fiscale des frais professionnels. Dans les graphiques 8 et 9, nous présentons l’impact de ces mesures sur le rendement marginal net d’un travail faiblement rémunéré au départ d’une situation d’allocataire. Dans ces exercices de simulation, nous partons de l’hypothèse que la réforme fiscale était déjà pleinement opérationnelle en 2001. Le crédit d’impôts pour individus faiblement rémunérés instaure un avantage fiscal pouvant s’élever au maximum à 20.000 FB par an pour les revenus imposables du travail situés entre 150.000 et 500.000 FB. Entre 100.000 et 150.000 (zone d’entrée) et entre 500.000 et 650.000 (zone de sortie) s’applique un avantage dégressif. Pour les personnes non imposables, voire devant s’acquitter de moins de 20.000 FB, le solde entre l’impôt et le crédit d’impôts est remboursé (impôt négatif sur les revenus). Le coût budgétaire du crédit d’impôts est estimé à 18 milliards de FB. Ce montant est élevé à cause du caractère individuel de l’avantage. Le crédit d’impôts génère une augmentation supplémentaire du rapport net des revenus du travail d’environ 1.650 FB par mois pour les chômeurs qui acceptent un travail au salaire minimum et ce pour tous les types de ménages simulés, y compris les ménages à deux revenus. Le rendement marginal est quasiment indépendant de la durée du travail (emploi à temps plein ou à temps partiel) mais, pour certains travailleurs à temps partiel, l’avantage financier est un peu plus élevé (quelque 1.800 FB par mois, donc un plus de 20.000 FB par an), parce que, du fait de l’application du crédit d’impôts, les taxes communales sont supprimées. L’augmentation des frais professionnels vise une diminution de la pression fiscale en augmentant le pourcentage de déductibilité des frais professionnels dans la première tranche de 20 à 25%. Le montant maximal pour frais professionnels forfaitaires reste cependant maintenu au même niveau. Cette mesure ne génère qu’un rendement marginal très faible de 350 à 450 FB par mois, en sus de l’avantage lié au crédit d’impôts, dans le cas du passage du chômage de longue durée avec une allocation maximale ou au départ de l’aide sociale à un travail salarié à temps plein au (28) Il s’agit ici de la proposition de réforme, version octobre 2001.

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REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

salaire minimum. Dans le cadre d’un emploi à temps partiel, l’avantage pour les isolés, les familles monoparentales et les couples à un seul revenu (avec ou sans enfants à charge) reste limité de 100 à 250 FB par mois ; les couples à deux revenus, quant à eux, voient augmenter leur revenu de 350 à 400 FB par mois. Au départ de l’aide sociale, seuls les isolés qui vont travailler tirent de cette mesure un avantage très mince (182 FB par mois). Les autres couples à un seul revenu ne tirent aucun avantage de cette disposition. Outre les mesures ci-dessus, la réforme fiscale contient encore d’autres dispositions susceptibles d’exercer un impact sur les stimulants financiers en faveur d’un travail faiblement rémunéré, bien qu’elles ne poursuivent pas spécifiquement cet objectif et s’appliquent tant aux travailleurs qu’aux bénéficiaires d’allocations. Il s’agit, en premier lieu, d’un alignement des minima exonérés d’impôts pour isolés et mariés, à l’occasion de quoi le minimum imposable est hissé au niveau de celui d’un isolé. Cette mesure entraîne une réduction supplémentaire d’impôts pour les couples mariés à revenu unique, y compris pour ceux qui travaillent (à temps plein) au salaire minimum, d’où le rendement marginal de ce travail au départ du chômage de longue durée ou de l’aide sociale augmente de 652 FB/mois (couples à un seul revenu avec enfants à charge) jusqu’à 1.916 FB/mois (couples à un seul revenu sans enfants à charge). En cas d’emploi à temps partiel faiblement rémunéré, l’avantage de cette mesure reste de facto limité aux ménages à un seul revenu sans enfants. Le crédit d’impôts pour enfants remboursable et la généralisation du minimum exonéré d’impôts pour familles monoparentales non mariées à tous les parents uniques induisent une hausse du rendement marginal du travail faiblement rémunéré pour les allocataires sociaux (de +1.369 FB/mois pour couples à un seul revenu avec enfants à charge qui vont travailler à temps plein au salaire minimum et de +1.681 FB/mois pour familles monoparentales et couples à un seul revenu qui travaillent à mi-temps au salaire minimum). Les couples à un seul revenu (avec allocation maximale) ne tirent aucun avantage supplémentaire d’un emploi parce que le revenu disponible net augmente tant en cas de chômage qu’en cas de travail, d’où le piège financier reste quasiment inchangé.

672


2000

2000

2001

met belastingskrediet

2001 3

12767

2001

beroepskosten

met verhoging forf.

2001 4

13221

2001

belastingvrije sommen

met gelijkschakeling

2001 5

13158

2000

2000 2

6201

SZ

2001

2001

6361

2001

met belastingskrediet

2001 3

8009

2001

2001 4

beroepskosten

met verhoging forf.

7

8388

2001

belastingvrije sommen

met gelijkschakeling

2001 5

10304

1 - Avec réforme de la Sécurité sociale 2 - Avec réduction des cotisations de Sécurité sociale 3 - Avec crédit d’impôts 4 - Avec augmentation des frais professionnels forfaitaires

zekerheid

2001

2001

11120

2001

kinderen ten laste

met belastingskrediet voor

2001 6

13158

2001

kinderen ten laste

met belastingskrediet voor

2001 6

10304

Couple à unkostwinner seul revenu enfants zonder sans kinderen ten laste à charge

SZ

met hervormingen sociale met bijdragevermindering

2000 1

1999

1999

3954

3879

zekerheid

met hervormingen sociale met bijdragevermindering

2000 2

11352

2001

2001

220 210 200 190 180 170 160 150 140 130 120 110 100 90 1999

1999

4320

1999

1999

-1642 2000

2000

2000 2

SZ

2001

2001

4792

2001

met belastingskrediet

2001 3

6439

2001

beroepskosten

met verhoging forf.

2001 4

6840

Parent unique

2001

belastingvrije sommen

met gelijkschakeling

2001 5

6745

2000

zekerheid

2000

2000 2

SZ

met hervormingen sociale met bijdragevermindering

2000 1

7182

9408

2001

2001

9625

2001

met belastingskrediet

2001 3

11228

2001

beroepskosten

met verhoging forf.

2001 4

11595

2001

belastingvrije sommen

met gelijkschakeling

2001 5

12247

2001

kinderen ten laste

met belastingskrediet voor

2001 6

6745

2001

kinderen ten laste

met belastingskrediet voor

2001 6

11935

Couple à un seul revenu avec 2 enfants à charge kostwinner met twee kinderen ten laste

zekerheid

met hervormingen sociale met bijdragevermindering

2000 1

2918

4656

5 - Avec alignement des sommes exonérées d’impôt 6 - Avec crédit d’impôts pour enfants à charge 7 - Réforme fiscale complète

hervorming

volledige fiscale

2001 7

10309

hervorming

volledige fiscale

2001 7

13345

relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif

2000

2000 1

1999

1999

9471

9908

220 210 200 190 180 170 160 150 140 130 120 110 100 90 in BEF/maand En FB/mois

Enin BEF/maand FB/mois

Isolé

2001

2001

hervorming

volledige fiscale

2001 7

11759

hervorming

volledige fiscale

2001 7

6745

220 210 200 190 180 170 160 150 140 130 120 110 100 90

220 210 200 190 180 170 160 150 140 130 120 110 100 90

relatief arbeidssurplus

in BEF/maand En FB/mois

in BEF/maand En FB/mois

relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif

Rendement du travail relatif

GRAPHIQUE 8A : IMPACT DES REFORMES FISCALE ET DE SECURITE SOCIALE SUR LE TAUX DE RENDEMENT DU TRAVAIL EN CAS DE PASSAGE D’UNE ALLOCATION DE CHOMAGE MAXIMALE A UN EMPLOI A TEMPS PLEIN AU SALAIRE MINIMUM, RENDEMENT MARGINAL ABSOLU (EN FB/MOIS) ET RELATIF, DIFFERENTS TYPES DE MENAGES, BELGIQUE, 1999-2001.

STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

673


1999

1999

17538

2000

zekerheid

2000

2000 2

SZ

met hervormingen sociale met bijdragevermindering

2000 1

18178

20031

2001

2001

20587

2001

met belastingskrediet

2001 3

22234

2001

beroepskosten

met verhoging forf.

2001 4

22672

2001

belastingvrije sommen

met gelijkschakeling

2001 5

22681

1 - Avec réforme de la Sécurité sociale 2 - Avec réduction des cotisations de Sécurité sociale 3 - Avec crédit d’impôts 4 - Avec augmentation des frais professionnels forfaitaires

in BEF/maand En FB/mois

2001

kinderen ten laste

met belastingskrediet voor

2001 6

22681

Couple à tweeverdiener deux revenus enfants zondersans kinderen ten lasteà charge

2001

220 210 200 190 180 170 160 150 140 130 120 110 100 90 1999

1999

12146

zekerheid

2000

2000 2

SZ

met hervormingen sociale met bijdragevermindering

2000

2000 1

13413

15259

2001

2001

15752

2001

met belastingskrediet

2001 3

17399

2001

beroepskosten

met verhoging forf.

2001 4

17799

2001

belastingvrije sommen

met gelijkschakeling

2001 5

17809

2001

kinderen ten laste

met belastingskrediet voor

2001 6

17809

tweeverdiener met twee kinderen laste Couple à deux revenus avec 2tenenfants à charge

5 - Avec alignement des sommes exonérées d’impôt 6 - Avec crédit d’impôts pour enfants à charge 7 - Réforme fiscale complète

hervorming

volledige fiscale

2001 7

23167 relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif

674 in BEF/maand En FB/mois

2001

hervorming

volledige fiscale

2001 7

18053

220 210 200 190 180 170 160 150 140 130 120 110 100 90

GRAPHIQUE 8A : IMPACT DES REFORMES FISCALE ET DE SECURITE SOCIALE SUR LE TAUX DE RENDEMENT DU TRAVAIL EN CAS DE PASSAGE D’UNE ALLOCATION DE CHOMAGE MAXIMALE A UN EMPLOI A TEMPS PLEIN AU SALAIRE MINIMUM, RENDEMENT MARGINAL ABSOLU (EN FB/MOIS) ET RELATIF, DIFFERENTS TYPES DE MENAGES, BELGIQUE, 1999-2001 (SUITE).

REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

Rendement du travail relatif relatief arbeidssurplus


in BEF/maand En FB/mois

in BEF/maand En FB/mois

2000

2000 2 2001

met belastingskrediet

2001 3

7368

2001

beroepskosten

met verhoging forf.

2001 4

7599

2001

belastingvrije sommen

met gelijkschakeling

2001 5

7560

SZ

2001

2001

2000 2

2000

6391

6263

2001

met belastingskrediet

2001 3

8170

2001

beroepskosten

met verhoging forf.

2001 4

8300

2001

belastingvrije sommen

met gelijkschakeling

2001 5

9164

1 - Avec réforme de la Sécurité sociale 2 - Avec réduction des cotisations de Sécurité sociale 3 - Avec crédit d’impôts 4 - Avec augmentation des frais professionnels forfaitaires

zekerheid

2001

2001

5554

2001

2001 6

7560

2001

2001 7

7620

2001

2001

2001 7

9164

kinderen ten laste

220 210 200 190 180 170 160 150 140 130 120 110 100 90

relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif

2000

2000 1

2000 1

2000

2000 2

7838

zekerheid

SZ

met hervormingen sociale met bijdragevermindering

2000

SZ

2001

2001

7504

2001

met belastingskrediet

2001 3

9287

2001

beroepskosten

met verhoging forf.

2001 4

9469

Parent unique

2001

belastingvrije sommen

met gelijkschakeling

2001 5

9425

2001

2001

2001

7985

2001

met belastingskrediet

2001 3

9661

2001

beroepskosten

met verhoging forf.

2001 4

9767

2001

belastingvrije sommen

met gelijkschakeling

2001 5

9789

2001

2001 7

9425

kinderen ten laste

2001

kinderen ten laste

2001

2001 7

met belastingskrediet voor volledige fiscale hervorming

2001 6

9789

9789

met belastingskrediet voor volledige fiscale hervorming

2001 6

9425

Couple à unkostwinner seul revenu avec 2 enfants met twee kinderen ten laste à charge

1999

zekerheid

6352

1999

2000

2000 2

7432

met hervormingen sociale met bijdragevermindering

6336

1999

1999

4031

6268

5 - Avec alignement des sommes exonérées d’impôt 6 - Avec crédit d’impôts pour enfants à charge 7 - Réforme fiscale complète

met belastingskrediet voor volledige fiscale hervorming

2001 6

9164

kinderen ten laste

met belastingskrediet voor volledige fiscale hervorming

zondersans kinderen ten lasteà charge Couple à unkostwinner seul revenu enfants

SZ

met hervormingen sociale met bijdragevermindering

2000

2000 1

1999

1999

4899

4914

zekerheid

met hervormingen sociale met bijdragevermindering

2000

2000 1

1999

1999

4413

4478

5589

220 210 200 190 180 170 160 150 140 130 120 110 100 90 in BEF/maand En FB/mois

En FB/mois in BEF/maand

Isolé

220 210 200 190 180 170 160 150 140 130 120 110 100 90

220 210 200 190 180 170 160 150 140 130 120 110 100 90

relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif

GRAPHIQUE 8B : IMPACT DES REFORMES FISCALE ET DE SECURITE SOCIALE SUR LE TAUX DE RENDEMENT DU TRAVAIL LORS DU PASSAGE D’UNE ALLOCATION DE CHOMAGE MAXIMALE A UN EMPLOI A TEMPS PARTIEL AU SALAIRE MINIMUM, RENDEMENT MARGINAL ABSOLU (EN FB/MOIS) ET RELATIF, DIFFERENTS TYPES DE MENAGES, BELGIQUE, 1999-2001.

STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

675


SZ

2

1

2000

2000

zekerheid

met hervormingen sociale met bijdragevermindering

2000

2000

1999

1999

6402

5556

5482

2001

2001

6500

2001

3

met belastingskrediet

2001

8283

2001

4

beroepskosten

met verhoging forf.

2001

8680

2001

5

belastingvrije sommen

met gelijkschakeling

2001

8686

1 - Avec réforme de la Sécurité sociale 2 - Avec réduction des cotisations de Sécurité sociale 3 - Avec crédit d’impôts 4 - Avec augmentation des frais professionnels forfaitaires

inEn BEF/maand FB/mois

2001

2001

2001

9208

6

kinderen ten laste

220 210 200 190 180 170 160 150 140 130 120 110 100 90 relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif

2000

2000

3973

1

zekerheid

2

SZ

met hervormingen sociale met bijdragevermindering

2000

2000

1999 1999

3119

2794

2001

2001

4066

2001

3

met belastingskrediet

2001

5850

2001

4

beroepskosten

met verhoging forf.

2001

6211

2001

5

belastingvrije sommen

met gelijkschakeling

2001

6211

2001

2001

2001

6276

6

kinderen ten laste

7

met belastingskrediet voor volledige fiscale hervorming

2001

6211

tweeverdiener met twee kinderen ten lasteà charge Couple à deux revenus, 2 enfants

5 - Avec alignement des sommes exonérées d’impôt 6 - Avec crédit d’impôts pour enfants à charge 7 - Réforme fiscale complète

7

met belastingskrediet voor volledige fiscale hervorming

2001

8686

Couple à deux revenus sanstenenfants à charge tweeverdiener zonder kinderen laste

in BEF/maand En FB/mois

676 220 210 200 190 180 170 160 150 140 130 120 110 100 90

relatief arbeidssurplus Rendement du travail relatif

GRAPHIQUE 8B : IMPACT DES REFORMES FISCALE ET DE SECURITE SOCIALE SUR LE TAUX DE RENDEMENT DU TRAVAIL LORS DU PASSAGE D’UNE ALLOCATION DE CHOMAGE MAXIMALE A UN EMPLOI A TEMPS PARTIEL AU SALAIRE MINIMUM, RENDEMENT MARGINAL ABSOLU (EN FB/MOIS) ET RELATIF, DIFFERENTS TYPES DE MENAGES, BELGIQUE, 1999-2001 (SUITE).

REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002


2000

2000 1

2001

2001 3

2001

2001 met belastingskrediet

4

2001

2001 met verhoging forf. beroepskosten

5

2001

2001 met gelijkschakeling belastingvrije sommen

18021

6

2001

2001 met belastingskrediet voor kinderen ten laste

18021

2000 met bijdragevermindering SZ

2000 2

13303

2001

2001

13642

2001 3

2001 met belastingskrediet

15290

2001 4

2001 met verhoging forf. beroepskosten

15669

2001 5

2001 6

17585

2001 2001 met gelijkschakeling met belastingskrediet belastingvrije voor kinderen ten sommen laste

17585

zonder kinderen laste Couple à kostwinner un seul revenu, sansten enfants à charge

2

2000 met bijdragevermindering SZ

2000

15983

18084

1 - Avec réforme de la Sécurité sociale 2 - Avec réduction des cotisations de Sécurité sociale 3 - Avec crédit d’impôts 4 - Avec augmentation des frais professionnels forfaitaires

2000 met hervormingen sociale zekerheid

1999

1999

11056

10967

1

2000 met hervormingen sociale zekerheid

1999

1999

13643

13407

15524

17630

90

100

110

120

130

140

150

160

170

180

190

200

210

220

90

100

110

120

130

140

150

160

170

180

190

2000 1

1999

1999

11407

2000 2

2000 met bijdragevermindering SZ

2001 2001

7627

2001 3

2001 met belastingskrediet

9274

2001 4

2001 met verhoging forf. beroepskosten

9689

2001 5

2001 6

9589

2001 2001 met gelijkschakeling met belastingskrediet belastingvrije voor kinderen ten sommen laste

9589

2000 1

2000 met hervormingen sociale zekerheid

11551

2000 met bijdragevermindering SZ

2000 2

13777

2001

2001

14096

2001 3

2001 met belastingskrediet

15699

2001 4

2001 met verhoging forf. beroepskosten

16066

2001 5

2001 6

18087

2001 2001 met gelijkschakeling met belastingskrediet belastingvrije voor kinderen ten sommen laste

16718

Couple à unkostwinner seul revenu avec 2 enfants met twee kinderen ten lasteà charge

2000 met hervormingen sociale zekerheid

1999 1999

5707

5446

7391

eenouders

Parent unique

5 - Avec alignement des sommes exonérées d’impôt 6 - Avec crédit d’impôts pour enfants à charge 7 - Réforme fiscale complète

2001 7

2001 volledige fiscale hervorming

17590

7

2001

2001 volledige fiscale hervorming

18208

200

210

220

Rendement du travail relatif Rendement du travail relatif

Isolé

En FB/mois En FB/mois

En FB/mois

En FB/mois

2001 7

2001 volledige fiscale hervorming

17911

2001 7

2001 volledige fiscale hervorming

9589

90

100

110

120

130

140

150

160

170

180

190

200

210

220

90

100

110

120

130

140

150

160

170

180

190

200

210

220

Rendement du travail relatif Rendement du travail relatif

GRAPHIQUE 9A : IMPACT DES REFORMES FISCALE ET DE SECURITE SOCIALE SUR LE TAUX DE RENDEMENT DU TRAVAIL LORS DU PASSAGE DE L’AIDE SOCIALE A UN EMPLOI A TEMPS PLEIN AU SALAIRE MINIMUM, RENDEMENT MARGINAL ABSOLU (EN FB/MOIS) ET RELATIF ,DIFFERENTS TYPES DE MENAGES, BELGIQUE, 1999-2001.

STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

677


2000

2000

2001

2001

7929

4

2001

3

2001 2001 met verhoging forf. beroepskosten

2001 met belastingskrediet

5

2001

2

2000

2000 met bijdragevermindering SZ

8466

2001

2001

8584

3

2001

2001 met belastingskrediet

10281

4

2001

2001 met verhoging forf. beroepskosten

10281

5

2001

6

2001

10281

2001 2001 met gelijkschakeling met belastingskrediet belastingvrije voor kinderen ten sommen laste

10281

6

2001

9779

2001 2001 met gelijkschakeling met belastingskrediet belastingvrije voor kinderen ten sommen laste

9779

1 - Avec réforme de la Sécurité sociale 2 - Avec réduction des cotisations de Sécurité sociale 3 - Avec crédit d’impôts 4 - Avec augmentation des frais professionnels forfaitaires

1

2

2000

2000 met bijdragevermindering SZ

7766

9837

zondersans kinderen ten lasteà charge Couple à unkostwinner seul revenu enfants

2000 met hervormingen sociale zekerheid

1999

1999

8466

8403

1

2000 met hervormingen sociale zekerheid

1999

1999

8167

8075

9655

Isolé

90

100

110

120

130

140

150

160

170

180

190

200

210

220

90

100

110

120

130

140

150

2000

1999 1999

5702

2000

2000 met hervormingen sociale zekerheid

1

2

2000

2000 met bijdragevermindering SZ

5099

2001 2001

5161

3

2001

2001 met belastingskrediet

6857

4

2001

2001 met verhoging forf. beroepskosten

6857

Parent unique

5

2001

2001

2

2000

2000 met bijdragevermindering SZ

5712

2001 2001

5774

3

2001

2001 met belastingskrediet

7471

4

2001

2001 met verhoging forf. beroepskosten

7471

8538

5

2001

2001

6

2001 2001 met gelijkschakeling met belastingskrediet belastingvrije voor kinderen ten sommen laste

7471

9152

6

2001 2001 met gelijkschakeling met belastingskrediet belastingvrije voor kinderen ten sommen laste

6857

Couple à un kostwinner seul revenu avec 2 enfants à charge met twee kinderen ten laste

5712

1

2000 met hervormingen sociale zekerheid

1999 1999

5099

5089

5 - Avec alignement des sommes exonérées d’impôt 6 - Avec crédit d’impôts pour enfants à charge 7 - Réforme fiscale complète

7

2001

2001 volledige fiscale hervorming

10281

7

2001

2001 volledige fiscale hervorming

9779

160

170

180

190

200

210

220

Rendement du travail relatif Rendement du travail relatif

En FB/mois

En FB/mois

En FB/mois En FB/mois

678 7

2001

2001 volledige fiscale hervorming

9152

7

2001

2001 volledige fiscale hervorming

8538

90

100

110

120

130

140

150

160

170

180

190

200

210

220

90

100

110

120

130

140

150

160

170

180

190

200

210

220

Rendement du travail relatif Rendement du travail relatif

GRAPHIQUE 9B : IMPACT DES REFORMES FISCALE ET DE SECURITE SOCIALE SUR LE TAUX DE RENDEMENT DU TRAVAIL LORS DU PASSAGE DE L’AIDE SOCIALE A UN EMPLOI A MI-TEMPS AU SALAIRE MINIMUM, RENDEMENT MARGINAL ABSOLU (EN FB/MOIS) ET RELATIF, DIFFERENTS TYPES DE MENAGES, BELGIQUE, 2000-2001.

REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002


STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

6.

ENSEIGNEMENTS PAR RAPPORT AUX ‘IN-WORK BENEFITS’ Les suppléments de revenus pour personnes faiblement rémunérées sont plutôt étrangers au modèle social continental. L’un des principes de base était en effet que les salaires devaient être suffisamment élevés pour permettre une vie décente (29). Dans les pays anglo-saxons, les ‘in-work benefits’ (prestations sociales inhérentes à l’emploi) constituent déjà depuis belle lurette une forme importante de protection du revenu de la population active. En matière de fiscalité, ces dispositions adoptent la forme de crédits d’impôts (au Royaume-Uni, le « Working Families Tax Credit » (30) ; aux Etats-Unis, l’« Earned Income Tax Credit (31)) ou de subsides à l’emploi pour les travailleurs [p. ex. au Canada, le « Self-Sufficiency Project » (Projet d’autosuffisance) ; aux Etats-Unis, les ‘re-employment bonuses’ (bonus de remise au travail)]. Ces systèmes destinés aux travailleurs salariés faiblement rémunérés ou aux ménages au bas revenu du travail ont pour but d’encourager les gens à aller travailler et d’améliorer la situation de prospérité des personnes faiblement rémunérées. Du fait de leur grande importance, la littérature a fourni pour ces pays une multitude d’évaluations des prestations sociales liées à l’emploi (‘in-work benefits’) (pour un aperçu, voir Marx, 2000 ; OECD, 1996 et 2000 ; Blundell, 2000). Ici, nous proposons un inventaire de certaines controverses, utiles à l’évaluation critique des récentes initiatives belges. Efficacité du point de vue des coûts – Certaines études empiriques d’évaluation des crédits d’impôts au Royaume-Uni et aux Etats-Unis nous enseignent que ces dispositions exercent un effet positif significatif sur la participation à la vie active (surtout en ce qui concerne les mères célibataires) à condition que les suppléments salariaux soient de nature substantielle. C’est pourquoi dans la plupart des pays anglo-saxons, les systèmes sont conditionnés à une enquête sur les revenus (ils s’adressent aux ménages ne disposant que d’un faible revenu du travail et non à des individus faiblement rémunérés) et instaurent une sélectivité catégorielle (ils visent en premier lieu les familles à faibles revenus avec enfants). Les études sur la répartition des moyens indiquent que, de cette manière, peu de dépenses sont dirigées vers les groupes disposant de revenus plus importants (Hotz et Scholz, 2000 pour les Etats-Unis ; Dilnot et McCrae, 2000 pour le Royaume-Uni). Les crédits d’impôts individuels visant tous les individus touchant un bas salaire, tels qu’ils ont été instaurés récemment en Belgique, sont atypiques dans un contexte international. La réduction des cotisations sociales pour bas salaires également constitue une mesure individuelle et non catégorielle. De tels systèmes sont potentiellement onéreux, surtout dans un pays où la répartition des revenus est relativement égale (OCDE, 2000). Au départ de considérations budgétaires, les mesures individuelles sont contraintes de rester de faible envergure. Les effets de l’offre resteront par conséquent plus limités. De récentes microsimulations empiriques sur le crédit d’impôts pour la Belgique démontrent (29) Les allocations familiales, qui reviennent tant aux travailleurs qu’aux inactifs font dans une certaine mesure exception à cette règle. (30) WFTC = Crédit d’impôts pour familles de travailleurs (31) EITC = Crédit d’impôt sur le revenu gagné

679


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

que l’impact sur la pauvreté est également minime à cause du fait qu’il n’est dirigé que dans une moindre mesure sur les groupes à bas revenus (Cantillon, Kerstens et Verbist, 2000). Comme le fait apparaître le graphique 10, ce sont surtout les groupes de revenus moyens et supérieurs et les ménages à deux revenus (déjà occupés) qui bénéficieront de cette mesure, parce qu’une grande partie des personnes faiblement rémunérées, à savoir les femmes travaillant à temps partiel, appartiennent justement à des groupes à hauts revenus. Les dernières mesures de subvention visant les bas salaires par le biais de prestations de sécurité sociale constituent par contre des exemples de forte sélectivité catégorielle. Le maintien (temporaire) des allocations familiales majorées, le supplément pour garde des enfants et la prime de mobilité sont axés sur les familles (monoparentales) au chômage avec charge d’enfants qui, dans l’hypothèse d’un passage à un travail faiblement rémunéré, sont les plus menacées d’être confrontées à un piège financier. Parce qu’elles sont dirigées sur un groupe spécifique, ces mesures sont susceptibles d’avoir un impact plus substantiel sur les pièges financiers.

GRAPHIQUE 10 : AVANTAGE FISCAL MOYEN ET POURCENTAGE DE MENAGES BENEFICIANT D’UN AVANTAGE FISCAL D’APRES LE DECILE DE REVENUS STANDARDISE ET LE TYPE DE MENAGE, BELGIQUE, 1997. belastingkrediet

Crédit d’impôts bel astingkr ediet 100 80 60 40 20 0

es

us

po

om

ev

120 100 80 60 40 20 0

2

3

4

5

6

7

8

9

10

Fa

mi

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1

Co

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u

Al le en st aa nd e Ee nv er di en er s Ee no ud er ge zi nn en Tw ee ve rd ie Sa ne me rs ng es te ld e ge zi nn

40000 35000 30000 25000 20000 15000 10000 5000 0

Crédit d’impôts

40000 35000 30000 25000 20000 15000 10000 5000 0

Source : MISIM, 1997.

En revanche, comme nous l’apprend la littérature, une sélectivité poussée met aussi en lumière un certain nombre d’effets négatifs et/ou de tensions avec d’autres objectifs. La sélectivité des revenus exerce des conséquences négatives sur l’offre d’emploi du (de la) partenaire, plus particulièrement si ce/tte dernier(ère) n’a qu’un faible potentiel de gain. Lorsque le partenaire va travailler (ou décide de continuer à travailler), le couple perd en tout ou en partie l’avantage financier pour le ménage. Cette imposition implicite du partenaire doit en quelque sorte être ‘remboursée’ avant que son travail ajoute un certain net au revenu du ménage. Cet inconvénient peut être réduit en étendant le champ d’extinction de l’avantage financier à une plus grande tranche de revenus, mais ceci rend le système nettement plus onéreux (Atkinson et Micklewright, 1991). Dans le cas d’une sélectivité catégorielle, des pro680


STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

blèmes d’équité peuvent se poser entre les ‘insiders’ (bénéficiaires) et ‘outsiders’ (exclus). Ceci est, par exemple, apparu dans le débat belge autour du maintien temporaire des allocations familiales majorées pour les chômeurs qui acceptent un emploi. Pourquoi, uniquement, (certains groupes) de(s) bénéficiaires d’allocations de chômage qui vont travailler auraient-ils droit à de tels subsides, tandis que les travailleurs non subventionnés doivent effectuer le même travail salarié faiblement rémunéré pour un salaire plus bas (parce que non subsidié) ? Evoquons encore un troisième problème apparenté, mis en avant dans la littérature anglo-saxonne : les éventuels effets de qualification au droit (‘entitlement effects’) à des subsides (Martin, 2000). Les avantages financiers ciblant exclusivement les bénéficiaires d’allocation peuvent entraîner un accroissement spectaculaire du groupe d’ayants droit (avec de lourdes conséquences budgétaires) du fait que travailleurs et employeurs s’organisent en fonction des avantages financiers du système, p. ex. licenciement et réembauche du travailleur ayant droit. Bien que cela soit difficile à prouver d’un point de vue empirique, de tels effets comportementaux ont été suspectés en Belgique dans le cadre du système antérieur d’allocations pour ‘temps partiels involontaires pour éviter d’émarger au chômage complet’ (voir OCDE, 1994). Jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, ce régime a vu un accroissement spectaculaire de chômeuses parmi lesquelles se trouvait plus que vraisemblablement une partie de travailleuses à temps partiel volontaires (voir ci-dessus). Les pièges des bas salaires et l’érosion des salaires – La littérature met en avant deux problèmes liés aux ‘bas salaires’. Tout d’abord, les subsides aux travailleurs déplacent le problème du piège à l’emploi vers un problème de piège du bas salaire. La mobilité verticale des travailleurs subventionnés est freinée parce qu’à partir d’un certain seuil salarial, gagner plus est en réalité pénalisé. Par exemple, dans le système belge du crédit d’impôts, la zone d’extinction de l’avantage (le seuil à partir duquel on se voit accorder un crédit d’impôts moindre) commence à partir de 500.000 BEF par an et, au-dessus de 650.000, l’on obtient plus aucun avantage. Ceci peut dissuader des gens à travailler plus (et donc à gagner davantage). Les programmes qui stimulent financièrement le travail à temps partiel présentent le danger de décourager le travail à temps plein. Les calculs de l’allocation de garantie de revenu indiquent que des emplois à temps partiel mieux rémunérés ou plus étendus sont à peine plus rentables que les emplois à temps partiel moins bien rémunérés ou plus réduits (voir section 4.2). Les analyses autour du fonctionnement des subsides aux salaires dans le cadre des ALE mettent au jour un piège salarial extrêmement ténu pour les familles monoparentales au chômage qui passent d’un petit emploi à temps partiel lourdement subsidié dans le statut ALE à un travail salarié à temps plein au salaire minimum (elles subissent une perte de 5.000 FB par mois au départ d’une allocation maximale). Le danger du piège du bas salaire est encore aiguisé lorsque le travail salarié faiblement rémunéré (subsidié) n’est pas couplé à une formation et à un accompagnement. D’un point de vue empirique, nous ne savons encore que très peu de la mobilité des revenus des travailleurs subsidiés (et de leur partenaire). Nous avons d’une certaine expérience pour l’EITC et le WFTC quant à certains effets négatifs sur l’offre de travail de femmes qui travaillent avec un partenaire fai681


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blement rémunéré et sur le nombre d’heures ouvrées. Une solution au piège du bas salaire consisterait à octroyer des suppléments salariaux sur une très large bande de salaires et donc, pas seulement aux bas salaires, mais dans des pays tels que la Belgique où l’inégalité salariale est réduite et où l’édifice salarial connaît des planchers relativement élevés, ceci exerce de forts effets ascendants sur le coût budgétaire de ces systèmes (Pearson et Scarpetta, 2000). Ensuite, les subsides aux travailleurs sont susceptibles d’exercer des effets négatifs sur la fixation du niveau des salaires. Il existe un risque d’érosion des salaires au bas de l’échelle de l’édifice salarial, parce que les employeurs sont stimulés à maintenir les salaires à un niveau bas. Le pouvoir subsidiant veille en effet à compléter le revenu du ménage des personnes faiblement rémunérées. Par ailleurs, des suppléments salariaux lourds risquent de démotiver les employeurs et les travailleurs quant à un investissement dans la formation de leur capital humain. Ici, aussi, il faut avouer que, sur un plan empirique, nous ne savons que très peu sur l’impact des subsides salariaux et l’acquisition de compétences. Conditions annexes générales – Les études d’évaluation indiquent que l’efficacité des stimulants financiers est largement déterminée par un certain nombre de conditions annexes. Les pays où les subsides aux travailleurs ont connu un fort impact sur la participation au marché de l’emploi étaient par ailleurs dans une période de forte expansion économique et de création historique d’emplois. Par exemple, aux EtatsUnis, l’extension de l’EITC en 1993 et les effets positifs sur la participation au marché du travail qui l’accompagnaient ont coïncidé avec une forte création d’emplois à partir du début des années ‘90. Savoir si les effets positifs sur l’offre de travail sont le résultat de la politique suivie ou sont aussi liés à l’amélioration générale de la conjoncture n’est pas toujours évident. Les subsides aux travailleurs semblent avoir un plus grand impact quand ils sont combinés avec d’autres dispositions visant à soutenir l’offre de main-d’œuvre, p. ex. des facilités de garde des enfants accessibles et à prix abordable, les efforts de placement, l’expérience professionnelle, la formation à l’embauche, etc. (Pearson et Scarpetta, 2000). L’étude sur l’impact des suspensions pour la Belgique (De Lathouwer et Bogaerts, 2000) fournit une évidence empirique pour le fait que les stimulants financiers seuls ne sont pas à même à garantir une intégration réussie sur le marché du travail. Dans le cas des suspensions, il s’agit de stimulants financiers négatifs (la suppression de l’allocation) contrairement aux stimulants positifs tels que les subsides salariaux. Une enquête auprès de cohabitants chômeurs de longue durée suspendus (pour l’essentiel des femmes) indique qu’à peine 30% de ceux-ci trouvent un emploi un certain temps après la suppression de l’allocation, tandis que la quasi-majorité se retrouve dans l’inactivité. L’enquête met en lumière d’importants seuils pour la participation au marché de l’emploi, par exemple le travail de soins aux enfants, le sentiment d’être trop âgé pour le marché du travail et des problèmes de santé. Ces résultats ne suggèrent nullement que les stimulants financiers ne jouent aucun rôle en matière d’offre de main-d’œuvre, mais bien que certains facteurs non financiers exercent également une influence prépondérante. Les décisions relatives à l’offre de main-d’œuvre sont également influencées par des facteurs tels que le niveau d’éducation, la qualité de 682


STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

l’emploi, les possibilités de concilier famille et travail et le temps de trajet entre le domicile et le travail (Sweeny, 1998). Une exclusion de longue durée du marché du travail mène en outre à des processus d’adaptation sociopsychologiques qui freinent le comportement de recherche active des non-travailleurs.

7.

RESUME ET CONSIDERATIONS EN MATIERE DE POLITIQUE A SUIVRE 1. Les individus disposant de peu de qualifications (formelles) échouent de plus en plus souvent à acquérir une indépendance économique et une sécurité d’existence financière par le biais d’un emploi régulier. De 1976 à 1997, leur chance de trouver un emploi a diminué de 46% à 31% (Flandre). Aujourd’hui, une personne sous-qualifiée sur trois perçoit une allocation sociale. La forte dépendance aux prestations se traduit en nombre accru de ménages en situation de précarité si l’on se base sur le revenu du travail régulier. La pauvreté avant transferts parmi les actifs a augmenté en Flandre de 14% à 21% entre 1976 et 1997. Ces constats nourrissent la préoccupation quant à l’impact négatif des institutions de l’Etat providence sur la participation au marché du travail. La sécurité sociale et la fiscalité créent des pièges à l’emploi, plus particulièrement chez les personnes disposant d’un faible potentiel de gain. La conjugaison de diverses caractéristiques institutionnelles (taux de remplacement élevés pour les bas salaires, durée atypiquement longue, approche trop passive due au manque d’investissements sociaux, politique de contrôle longanime et coin salarial élevé) risque de dissuader financièrement et sociopsychologiquement les chômeurs à faible potentiel de gain à chercher du travail et d’affecter leur employabilité. 2. En Belgique, également, nous avons assisté au glissement de l’objectif central de la sécurité sociale – à savoir, la protection du revenu – vers l’activation et la volonté de ‘rendre le travail rémunérateur’. Le thème du piège à l’emploi a été placé à l’agenda politique sous l’influence de quatre évolutions. En premier lieu, certains développements sur le marché du travail – par exemple, le problème de la pénurie d’emplois – ont exigé d’accorder plus d’attention à la problématique du piège à l’emploi. En deuxième lieu, le paradigme de “l’Etat social actif” a reporté à l’avantplan le discours sur les pièges à l’emploi et l’impact négatif des institutions de l’Etat providence. En troisième lieu, la stratégie européenne pour l’emploi a exercé une pression considérable sur les gouvernements nationaux afin qu’ils stimulent la participation au marché du travail. Pour concrétiser cet objectif, l’Europe préconise que les Etats membres s’attaquent aussi à une réforme favorable à l’emploi de leurs systèmes fiscal et de sécurité sociale. Enfin, l’amélioration de la situation budgétaire fin des années ’90 a créé des possibilités de dépassement des échanges entre protection des revenus et stimulants financiers en supprimant le piège à l’emploi par l’intermédiaire de stimulants positifs, c’est-à-dire une augmentation du rapport net du travail par des suppléments salariaux et non par la diminution des prestations sociales, d’où les partenaires sociaux furent plus enclins à discuter de cette problématique.

683


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3. Les calculs des pièges financiers pour un grand nombre de cas types à l’aide du modèle de simulation standard STASIM confirment les résultats d’études antérieures. Ce modèle permet, en outre, de mettre en cartes l’évolution des pièges financiers de 1989 à 2001. Ceux-ci sont liés à des groupes spécifiques. Accepter un travail à temps plein faiblement rémunéré (au salaire minimum ou légèrement supérieur) n’est pas financièrement rentable pour le groupe limité de familles monoparentales au chômage et pour les couples bénéficiant d’une allocation de chômage maximale. Ensemble, ces deux groupes comptent au maximum pour un quart des chômeurs de longue durée. Les pièges en cas d’acceptation d’un emploi à temps partiel faiblement rémunéré touchent à peu près la totalité de la population des chômeurs. Tout particulièrement, l’important groupe des cohabitants au chômage – c’est-à-dire des femmes dont le partenaire a un revenu (pratiquement la moitié de la population des chômeurs de longue durée) – ne constate qu’un gain financier minime s’il accepte un travail à temps partiel à un bas salaire. Etant donné l’importance de cette catégorie, le souhait fort présent chez les femmes de travailler à temps partiel et la longue durée du système de chômage, nous pouvons supposer que ce groupe est substantiellement dissuadé d’accepter un travail à temps partiel. 4. Au cours de la décennie 1989-1999, les pièges financiers pour les travailleurs à temps plein sont quasiment restés stables. La stagnation des niveaux des allocations au cours des années quatre-vingt-dix n’a pratiquement pas entraîné une diminution des pièges financiers parce que les salaires minimaux (bruts) ont suivi l’évolution plane des allocations. La hausse du salaire minimum pour les jeunes âgés de plus de 22 ans (du fait de la modulation selon l’âge) n’a eu qu’un effet restreint sur les pièges parce que l’impact net a été en partie écrémé par la hausse du coin salarial. Au cours des années quatre-vingt-dix, la politique des revenus à l’égard du travail à temps partiel a exercé une influence positive sur les pièges financiers dans l’aide sociale (introduction de l’intégration socioprofessionnelle). Dans l’assurance-chômage, le travail à temps partiel a été rendu financièrement moins attractif par le remplacement du régime des ‘temps partiels involontaires dans le but d’éviter d’émarger au chômage complet’ par l’allocation de garantie de revenu plus limitée en 1993. Pour la plupart des catégories dépendant de l’aide sociale, le travail à temps partiel est actuellement quelque peu (plus) attractif qu’au départ de l’assurance-chômage. 5. Afin de rendre le travail faiblement rémunéré un peu plus rentable, la Belgique n’a pas opté pour un abaissement des prestations sociales (avec pour conséquence le risque d’un accroissement de la pauvreté), mais pour une hausse de rapport net du travail faiblement rémunéré. La politique choisit de rendre financièrement plus intéressant le travail faiblement rémunéré via des voies fiscale et sociale. Depuis 2000, différentes mesures ont été adoptées qui reviennent à subsidier les bas salaires. Dans le passé, cette subvention prenait en tout premier lieu la forme d’une réduction des cotisations patronales de sécurité sociale. Avec les nouvelles mesures, les personnes faiblement rémunérées sont directement subsidiées par des allocations liées au fait de travailler (‘in-work benefits’) par analogie avec le système anglo684


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saxon. Ce faisant, le choix ne s’est pas porté sur un mécanisme, mais sur un ensemble de mesures tant dans la sécurité sociale (par des allocations complémentaires pour bas salaires (à temps plein)), dans les cotisations sociales (du fait de réduction de la cotisation du travailleur pour bas salaire) que dans la fiscalité (en particulier par l’institution du crédit d’impôts). L’impact global des différentes mesures a rendu le travail faiblement rémunéré financièrement plus intéressant pour toutes les catégories. Depuis 2000, aucun type de ménage ne subit encore de préjudice lorsqu’au départ des allocations de chômage les plus élevées, il accepte un emploi à bas salaire. Le gain net réalisé sur le plan des revenus à la suite de l’acceptation d’un emploi à temps plein au salaire minimum sera de quelque 2.800 FB à 8.300 FB plus élevé qu’avant ces réformes (pour respectivement un isolé avec allocation de chômage minimale et une famille monoparentale avec une allocation de chômage maximale). L’impact des réformes est le plus substantiel pour les catégories confrontées au piège financier le plus extrême, à savoir les familles monoparentales et les couples à un seul revenu qui passent d’une allocation de chômage maximale à un travail à temps plein au salaire minimum. Pour les familles monoparentales, dans cette situation, le piège financier a été réduit de 16 points de pourcentage (ce qui représente une progression de 8.300 FB par mois par rapport à la situation en 1999) ; pour les chefs de ménage avec charge d’enfants, de 10 points de pourcentage (une amélioration de 7.400 FB par mois par rapport à 1999). Mais également les catégories qui n’étaient pas confrontées à un piège financier (isolés, couples à un seul revenu dans l’aide sociale) ou ne l’étaient que dans une moindre mesure (ménage à deux revenus) voient s’améliorer leur situation en cas de travail faiblement rémunéré parce que l’ensemble des mesures n’a pas été exclusivement axé sur les groupes confrontés aux pièges financiers les plus importants. Les réformes n’ont toutefois exercé que peu d’influence sur les ménages de chômeurs à deux revenus avec charge d’enfants qui souhaitent travailler à temps partiel. Pour ce groupe, nous avons encore et toujours des taux de remplacement supérieurs à plus de 90%. 6. Dans le modèle social continental européen, l’octroi de subsides à des travailleurs faiblement rémunérés constitue une manière de repenser la sécurité sociale, la (para)fiscalité et la fixation des salaires (minimaux). Les systèmes qui octroient des subsides ou des allocations aux travailleurs sont plutôt étrangers à l’Etat providence continental avec des salaires (minimaux) relativement élevés. Dans les pays anglo-saxons où les marchés de l’emploi sont fortement dérégulés et où persiste un problème de travailleurs pauvres (‘working poor’) les ‘in-work benefits’ pour personnes faiblement rémunérées existent déjà depuis nettement plus longtemps. Le « Working Families Tax Credit” (WFTC) au Royaume-Uni et l’‘‘Earned Income Tax Credit’’ (EITC) aux Etats-Unis se sont développés jusqu’à la source la plus importante de protection sociale pour actifs. Grâce aux subsides accordés au travail faiblement rémunéré, l’on vise tout à la fois à rendre financièrement plus attractifs les emplois au bas de l’échelle du marché du travail et à améliorer la prospérité des personnes faiblement rémunérées (surtout des ménages à un seul revenu). De cette manière, le difficile échange (‘‘trade-off”) entre protection du revenu (justice) et stimulants financiers (efficacité) peut être surmonté. C’est également la seule voie en 685


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

direction d’amélioration ultérieure et nécessaire de la protection des revenus minimaux. La subsidiation du revenu des personnes faiblement rémunérées permet en outre de réduire le poids du salaire minimum brut en tant qu’instrument pour une politique salariale égalitaire. La stratégie (résidant en une augmentation régulière) du salaire minimum brut devient toujours plus problématique dans un contexte de modération salariale (sous l’influence de la concurrence internationale plus rude) et d’un piège à la productivité accru (sous l’influence du coin salarial) qui risquent de continuer à pousser les chômeurs structurels et les personnes faiblement qualifiées du marché du travail. 7. La littérature relative à l’évaluation des ‘in-work benefits’ entraîne une série de controverses importantes. En premier lieu, la politique doit toujours procéder à des pondérations en matière d’efficacité des coûts. ‘In-work benefits’ semblent exercer un effet positif sur la participation au travail à condition que leur étendue soit substantielle. Les systèmes plus sélectifs ont l’avantage de pouvoir utiliser les moyens de manière plus ciblée pour les catégories qui sont les plus menacées par les facteurs financiers dissuasifs et une (trop) faible protection de leur bas revenu. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, cette protection est organisée autour d’une sélectivité des revenus (subsides salariaux en fonction d’une enquête sur les moyens d’existence) pour les familles ne bénéficiant que d’un modeste revenu du travail. En Belgique, cette protection est basée sur la sélectivité catégorielle dans la sécurité sociale axée sur les ménages à un seul revenu au chômage avec enfants et par une réduction des charges (para)fiscale individuelle pour les bas salaires. L’inconvénient de telles mesures individuelles réside dans leur coût et dans des considérations budgétaires, vu qu’elles sont très souvent d’une portée modérée. Les systèmes sélectifs, cependant, présentent, à leur tour, un certain nombre d’inconvénients importants : par exemple, des effets d’offre d’emplois négatifs pour partenaires, des effets quant à l’accession au droit (« entitlement ») et des tensions entre bénéficiaires et exclus (« insider-outsider ») (avec des conséquences en matière de légitimité). En deuxième lieu, les ‘in-work benefits’ génèrent quelques risques en matière de bas salaires (piège au bas salaire). La mobilité verticale des travailleurs subsidiés est freinée parce que gagner plus (à partir d’un certain niveau de revenus) est puni de fait. Si le travail à bas salaire est rendu relativement attractif sur le plan financier par l’aide financière complémentaire, les travailleurs subsidiés seront moins motivés à passer dans un emploi non subsidié ou à obtenir une promotion. Il nous reste encore à évoquer le risque de l’érosion du salaire. Les employeurs sont encouragés à maintenir les salaires à un bas niveau, parce que le pouvoir qui subsidie accorde un complément de revenu au ménage. D’où la conservation d’un niveau plancher dans la fixation des salaires reste essentielle pour éviter une érosion de bas salaires (OCDE, 2000). Une économie des bas salaires démotiverait les employeurs et les travailleurs à investir dans une formation ultérieure et dans l’augmentation du potentiel de gain. En guise d’indication d’un piège du bas salaire, il est souvent fait référence au problème des ‘working poor’ (travailleurs pauvres) aux Etats-Unis. Mais reste à savoir si ce phénomène est causé par les subsides salariaux ou s’il en est la conséquence. Les ‘in-work benefits’ ont précisément été développés dans le système anglo-saxon en 686


STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

guise de correctif social à la dominance du marché. D’un point de vue empirique, nous ne savons encore que très peu sur l’impact des subsides salariaux sur la fixation des salaires et sur l’acquisition de compétences. Pour éviter que les subsides du (coût du) travail ne freinent la mobilité verticale, il faut en tous cas que leur octroi soit davantage associé à des stimuli de formation et de formation permanente ; en outre, il convient d’en surveiller le caractère non permanent. Enfin, l’efficacité des stimulants financiers reste largement déterminée par des conditions connexes importantes telles la croissance des emplois (et un climat économique positif) et par des dispositifs de soutien de l’offre (facilités de garde des enfants, possibilités de placement, formation à l’embauche). 8. En fin de compte, le problème des pièges à l’emploi reste une question empirique. A cet égard, les études existantes ne fournissent pas d’explication sur la manière dont l’offre (hétérogène) de travail réagit précisément aux facteurs de stimulation financière (dissuasifs). C’est pourquoi une politique d’activation ne peut pas simplement être dirigée sur une amélioration des stimulants financiers. Dans les considérations qui entrent en ligne de compte dans le choix entre l’allocation et le travail interviennent encore beaucoup d’autres facteurs (y compris non économiques) que le simple rapport financier du travail. Une politique de l’emploi socialement efficace axée sur une plus grande employabilité doit par conséquent également viser une surveillance de la qualité du travail et des conditions de travail, une amélioration de la combinaison famille-travail par des horaires de travail favorables à la vie familiale et un investissement dans des dépenses de soins (financièrement abordables et accessibles), un investissement dans des formations (adaptées) et dans l’accompagnement des chômeurs, une amélioration de la qualité des transports et un plus grand contrôle sur les abus des allocations afin de pouvoir garantir des allocations décentes. Une politique d’activation n’est par conséquent pas une solution bon marché et exigera plutôt plus de dépenses sociales que moins. Elle requiert d’autre part une organisation d’exécution qui ne soit pas simplement axée sur l’octroi d’allocations mais sur des investissements sociaux. Une politique en faveur de l’emploi ne peut aussi que difficilement constituer une alternative à une stratégie des revenus socialement efficace. Un filet de sécurité bien développé auquel sont affectés suffisamment de moyens pour ceux qui, malgré toute la croissance de l’emploi et l’activation, restent exclus du travail, reste une condition indispensable pour conserver un faible taux de pauvreté. La sécurité sociale doit également continuer à jouer son rôle dans l’Etat social actif comme l’un des instruments les plus importants de prévention de la pauvreté. __________

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ANNEXE 1 : EVOLUTION REELLE DES ALLOCATIONS MINIMALES ET MAXIMALES DE SECURITE SOCIALE, BELGIQUE, 1970-2001 (EN PRIX DE 2001). werkloosheidsuitkeringen Allocations de chômage 70000

prix de inEn prijzen van2001 2001

60000 50000

40000 30000 20000

10000

01

00

20

99

20

98

19

97

19

96

19

95

19

94

19

93

19

92

19

91

19

90

19

89

19

88

19

87

19

86

19

85

19

84

19

83

19

82

19

81

19

80

19

79

19

78

19

77

19

76

19

75

19

74

19

73

19

72

19

71

19

19

19

70

0

jaar Année

Min. gezinshoofd chef de famille min Min.samenwonende cohabitant (3ème période depuis 1982) min (3de periode vanaf 1982) Max.alleenstaande isolé 2ème période max 2e periode

Min.alleenstaande isolé min Max.gezinshoofd chef de famille en et isolé (3ème période) max alleenstaande 1e periode Max.samenwonende cohabitant 1ère période max 1e periode

bestaansminima Minima d’existence 70000

60000

En prix devan 2001 in prijzen 200

50000

40000

30000

20000

10000

jaar Année

Couples koppels

694

isolé alleenstaande

fam. monoparentale eenoudergezin

cohabitants samenwonenden

1

20 0

0

20 0

9

19 9

8

19 9

7

19 9

6 19 9

5

19 9

4

19 9

3

19 9

2

19 9

1

19 9

0

19 9

9

19 8

8

19 8

7

19 8

6

19 8

5

19 8

4

3

19 8

19 8

2

19 8

1

19 8

0

19 8

9

19 7

8

19 7

7

19 7

6

19 7

5

19 7

4

19 7

3 19 7

2

19 7

1

19 7

19 7

0

0


STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

ANNEXE 1 : EVOLUTION REELLE DES ALLOCATIONS MINIMALES ET MAXIMALES DE SECURITE SOCIALE, BELGIQUE, 1970-2001 (EN PRIX DE 2001). invaliditeitsuitkeringen Allocation d’invalidité 70000

inprijzen van2001 En prix de 2001

60000

50000

40000

30000

20000

10000

19 70 19 71 19 72 19 73 19 74 19 75 19 76 19 77 19 78 19 79 19 80 19 81 19 82 19 83 19 84 19 85 19 86 19 87 19 88 19 89 19 90 19 91 19 92 19 93 19 94 19 95 19 96 19 97 19 98 19 99 20 00 20 01

0

jaar Année

Min.gezinshoofd chef de famille min

Max.gezinshoofd chef de famille max

Min.alleenstaande isolé min

Max.alleenstaande isolé max

Min.samenwonende cohabitant min

Max.samenwonende cohabitant max

pensioenen Pensions 70000

50000

40000

30000

20000

10000

0 19 70 19 71 19 72 19 73 19 74 19 75 19 76 19 77 19 78 19 79 19 80 19 81 19 82 19 83 19 84 19 85 19 86 19 87 19 88 19 89 19 90 19 91 19 92 19 93 19 94 19 95 19 96 19 97 19 98 19 99 20 00 20 01

En prix de 2001 inprijzen van2001

60000

jaar Année

Min. chef de famille min gezinshoofd

Min.alleenstaande isolé min

Max. gezinshoofd chef de famille max

Max. alleenstaande isolé max

695


En % du revenu du ménage moyen standardisé

in % van het gemiddeld gestandaardiseerd gezinsinkomen

En % du revenu du ménage moyen standardisé

in % van het gemiddeld gestandaardiseerd gezinsinkomen

0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,5

0,6

0,7

0,8

0,9

1

0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,5

0,6

0,7

0,8

0,9

all Is.

jaar Année

gezinshoofd chef demén.

1988

cohabitants

samenwoners

1992

1985

1988

gezin fam.

all is.

jaar Année overleving survivant

1992

1997

pensioenen opzichtepar van het gemiddeld gestandaardiseerd gezinsinkomen Pensions detenretraite rapport au revenu du ménage moyen standardisé

1985

1997

Allocations de chômage par rapport au revenu du ménage moyen standardisé

werkloosheidsuitkeringen ten opzichte van het gemiddeld gestandaardiseerd gezinsinkomen

in % van het gemiddeld gestandaardiseerd gezinsinkomen

1

En % du revenu du ménage moyen standardisé 0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,5

0,6

0,7

0,8

0,9

1

in % van het gemiddeld gestandaardiseerd gezinsinkomen

696 En % du revenu du ménage moyen standardisé 0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,5

0,6

0,7

0,8

0,9

1

all is.

eenouder par. un.

jaar Année

samenwoners cohabitants

1992

1997

1985

gezinshoofd chef fam.

1988

all is.

jaar Année

samenwoners cohabitants

1992

1997

Allocations d’invalidité par rapport au revenu du ménage moyen standardisé

koppels couples

1988

invaliditeitsuitkeringen ten opzichte van het gemiddeld gestandaardiseerd gezinsinkomen

1985

bestaansminimum ten opzichte van het gemiddeld gestandaardiseerd Minimum d’existence par rapport au revenu du ménage gezinsinkomen moyen standardisé

ANNEXE 2 : MINIMA DANS LA SECURITE SOCIALE EN % DU REVENU DU MENAGE STANDARDISE 1985-1997, BELGIQUE (SEP). REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002


in % van het gemiddeld gestandaardiseerd gezinsinkomen

En % du revenu du ménage moyen standardisé

0

0,2

0,4

0,6

0,8

1

1985

gew minloon sal.min.ord.

1988

verhoogd 21,5j-6m maj.21,5ans-6m.

jaar Année verhoogd 22j-12m maj.22ans-12m.

1992

1997

Salaire minimum garanti par rapport au revenu du ménage moyen standardisé

gewaarborgd minimumloon ten opzichte van het gemiddeld gestandaardiseerd gezinsinkomen

ANNEXE 2 : MINIMA DANS LA SECURITE SOCIALE EN % DU REVENU DU MENAGE STANDARDISE 1985-1997, BELGIQUE (SEP) (SUITE).

STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

697


Coin salarial werknemerswig

Coin salarial werknemerswig

0

0,05

0,1

0,15

0,2

0,25

0,3

0,35

0,4

0,45

0

0,05

0,1

0,15

0,2

0,25

0,3

0,35

0,4

0,45

1990

1991

1992

1993

1989

1990

1991

1996

1997

1992

1993

100%

1994

1995

150%

jaar Année 200%

1996

1997

2000

2001

1998

1999

2000

2001

coin sal.à200%duRMMMG

1999

werknemerswig bij 200% GGMMI

1998

Couples à un seul revenu sans enfants à charge

coin sal. à 150% du RMMMG

jaar Année

1995

werknemerswig bij 150% GGMMI

1994

kostwinnersgezinnen zonder kinderen ten laste

werknemerswig bij 100% GGMMI

coin sal. à 100% du RMMMG

1989

alleenstaande Isolé

Coin salarial werknemerswig

698 Coinwerknemerswig salarial 0

0,05

0,1

0,15

0,2

0,25

0,3

0,35

0,4

0,45

0

0,05

0,1

0,15

0,2

0,25

0,3

0,35

0,4

0,45

ANNEXE 3 : COIN SALARIAL A 100%, 150% ET 200% DU SALAIRE MINIMUM, 1989-2001.

1989

1989

1990

1990

1992

1993

100%

1994

1995

150%

jaar Année 200%

1996

1997

1998

1991

1992

1993

100%

1994

150%

jaar Année

1995

200%

1996

1997

1998

kostwinnersgezinnen metavec kinderen ten à laste Couples à un seul revenu enfants charge

1991

eenoudergezinnen Familles monoparentales

1999

1999

2000

2000

2001

2001

REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002


Coin salarial werknemerswig

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

100%

150%

jaar

Année 200%

0

1990

0

0,1

0,15

0,2

0,25

0,3

0,35

0,4

0,45

0,05

1989

Couples à deux revenus sans enfants à charge

tweeverdienerskoppel zonder kinderen ten laste

0,05

0,1

0,15

0,2

0,25

0,3

0,35

0,4

0,45

Coinwerknemerswig salarial

1989

ANNEXE 3 : COIN SALARIAL A 100%, 150% ET 200% DU SALAIRE MINIMUM, 1989-2001.

1990

1991

1992

1993

100%

1994

150%

jaar Année

1995

200%

1996

1997

1998

tweeverdieners met kinderen ten laste Couples à deux revenus avec enfants à charge

1999

2000

2001

STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

699


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

ANNEXE 4 : L’EVOLUTION REELLE DU SALAIRE MINIMUM INTERPROFESSIONNEL (EN PRIX DE 2001) 1975-2001 ET EVOLUTION RELATIVE EN % DU REVENU DU MENAGE STANDARDISE 19851997. Salaire minimum garanti

gewaarborgd minimumloon

70000

60000

Eninprix de prijzen van2001 2001

50000

majoré 21,5 ans-6 m

Salaire minimum garanti gewaarborgd minimumloon

verhoogd 21,5j-6m

verhoogd22j-12m majoré 22 ans - 12 m

40000

30000

20000

10000

jaar Année

Salaire minimum garanti par rapport au revenu du ménage moyen standardisé

in % van het gemiddeld gestandaardiseerd gezinsinkomen

En % du revenu du ménage moyen standardisé

gewaarborgd minimumloon ten opzichte van het gemiddeld gestandaardiseerd gezinsinkomen

1

0,8

0,6

0,4

0,2

0 1985

1988

gew minloon sal. min. ord.

700

Année jaar verhoogd 21,5j-6m maj. 21,5 ans -6m

1992

maj. 22 ans22j-12m - 12 m verhoogd

1997

20 01

19 98 19 99 20 00

19 96 19 97

19 93 19 94 19 95

19 90 19 91 19 92

19 87 19 88 19 89

19 85 19 86

19 82 19 83 19 84

19 79 19 80 19 81

19 76 19 77 19 78

19 74 19 75

19 71 19 72 19 73

19 70

0


STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE ...

TABLE DES MATIERES STIMULANTS FINANCIERS ET TRAVAIL FAIBLEMENT REMUNERE. L’IMPACT DES REFORMES DE LA SECURITE SOCIALE ET DE LA FISCALITE SUR LE PIEGE A L’EMPLOI EN BELGIQUE INTRODUCTION

619

1. DEGRE DE DEPENDANCE AUX PRESTATIONS SOCIALES ET ROLE DES INSTITUTIONS DE L’ETAT PROVIDENCE

620

2. DETERMINANTS DU GLISSEMENT DE L’ETAT PROVIDENCE PASSIF VERS L’ETAT SOCIAL ACTIF

627

2.1. EVOLUTION DU MARCHE DE L’EMPLOI . . . . . . . . 2.2. LE PARADIGME DE « L’ETAT SOCIAL ACTIF » . . . . . . 2.3. UNE DYNAMIQUE EUROPEENNE PLUS TONIQUE . . . . 2.4. DEVELOPPEMENTS RELATIFS A LA SITUATION FINANCIERE .

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

629 630 630 630

3. LA PROBLEMATIQUE DU PIEGE A L’EMPLOI

633

3.1. PIEGE A L’EMPLOI OPPOSE A PIEGE FINANCIER . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. MESURES DES PIEGES FINANCIERS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

633 634

4. PIEGES FINANCIERS DANS LES ANNEES QUATRE-VINGT-DIX POUR LA BELGIQUE

639

4.1. HYPOTHESES DES SIMULATIONS STANDARD . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2. RESULTATS DES SIMULATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3. EVOLUTION DES PIEGES A L’EMPLOI 1989-1999 . . . . . . . . . . . . . . .

639 641 652

5. L’IMPACT DES REFORMES FISCALES ET DE SECURITE SOCIALE SUR LA REDUCTION DES PIEGES A L’EMPLOI

662

5.1. ALLOCATIONS COMPLEMENTAIRES DE SECURITE SOCIALE POUR TRAVAILLEURS . . . 5.2. LA DIMINUTION SELECTIVE DES COTISATIONS SOCIALES DU TRAVAILLEUR POUR BAS SALAIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.3. LA REFORME DE L’IMPOT SUR LES PERSONNES PHYSIQUES ET L’INTRODUCTION D’UN CREDIT D’IMPOTS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

667

6. ENSEIGNEMENTS PAR RAPPORT AUX ‘IN-WORK BENEFITS’

679

7. RESUME ET CONSIDERATIONS EN MATIERE DE POLITIQUE A SUIVRE

683

670 671

BIBLIOGRAPHIE

688

ANNEXES

694 701


ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL ET ATELIERS SOCIAUX : UNE ANALYSE DE CLASSIFICATION DES PUBLICS CIBLES EN TERME DE CARACTERISTIQUES INDIVIDUELLES ET DE TAUX D’INSERTION PAR A.C. D’ADDIO* et A. PINXTEREN** *** * CERISIS, IRES-Université Catholique de Louvain ** Cellule Economie Sociale, Ministère fédéral des Affaires Sociales, de la Santé publique et de l’Environnement

*** Cette recherche a été possible grâce au soutien des SSTC. Les auteurs remercient Marthe Nyssens pour les commentaires reçus ainsi que l’HIVA et le CERISIS pour la mise à disposition des données

1.

INTRODUCTION Depuis les années 70, les économies occidentales sont confrontées à un important chômage structurel. La Belgique, loin d’être épargnée par ce fléau, connaît encore ces dernières années un taux de chômage de plus de 9 % (1). Conséquences de cette dégradation, des situations d’exclusion ou des risques élevés d’exclusion se multiplient. Face à ces problèmes, les politiques publiques se sont orientées tout d’abord vers des dispositifs dit « passifs » visant souvent à l’indemnisation des demandeurs d’emploi. Cependant, dans une société où l’intégration sociale se réalise largement par le travail salarié, où l’emploi, plus qu’une source de revenu, confère une reconnaissance sociale, l’exclusion du marché du travail ne peut pas être acceptée. Révélant les limites d’une politique passive d’indemnisation, cette observation a confirmé la nécessité d’aller au-delà et de développer un dispositif de dépenses dites « actives » associées à des politiques qui visent l’insertion des exclus du système. Parallèlement aux politiques publiques, des initiatives « locales » d’insertion par l’économique, ont vu le jour et ont progressivement été légitimées par les autorités. De par leurs finalités et leurs structures associatives et coopératives, ces initiatives s’inscrivent dans le cadre général de l’économie sociale dont la finalité première est le service aux membres ou à la collectivité et non le profit et ce sur base associative, citoyenne, autonome par rapport aux pouvoirs publics et aux entreprises privées.

(1) Taux de chômage harmonisé : Nombre de demandeurs d’emploi en pourcentage de la population active.

703


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

Depuis les années 1980, se sont multipliées les initiatives d’économie sociale qui visent la réinsertion socio-professionnelle d’un public fragilisé via une activité productive. Dans le cadre de cette étude, nous nous sommes intéressés plus particulièrement à deux dispositifs émanant de cette “économie sociale d’insertion”. Le premier est apparu en Wallonie à la fin des années 1980. Il s’agit des Entreprises de Formation par le Travail (EFT). Ces entreprises, tout en développant une activité productive, s’adressent à des individus (et plus particulièrement à des jeunes) très peu qualifiés. Les EFT ont pour objectif de leur procurer une formation par le travail durant un temps déterminé afin qu’ils puissent, à leur sortie, intégrer ou réintégrer le marché du travail. Le second dispositif trouve son origine en Flandre au début des années 1980 : il s’agit des Ateliers Sociaux (Sociale Werkplaatsen). Ces initiatives visent la création d’emplois pour des demandeurs d’emploi peu qualifiés dans un environnement socioprofessionnel protégé. Les Entreprises de Formation par le Travail et les Ateliers Sociaux se caractérisent par des fondements légaux, des objectifs, des structures (de fonctionnement et de financement) divergents et s’adressent un public inactif et peu qualifié, tentant de l’insérer ou de le réinsérer socio-professionnellement en fournissant une formation par le travail (EFT) ou en procurant un emploi (atelier social). Conscients de ces différences, notre objectif dans cette étude est de comparer le profil des publics fréquentant ces dispositifs et leur trajectoire socio-professionnelle. Pour ce faire, après une brève description des deux initiatives, nous dépeindrons dans un premier temps, grâce aux bases de données (2) disponibles, les caractéristiques observées des participants aux deux politiques. Nous pourrons ainsi non seulement comparer les publics effectifs de chaque politique mais aussi confronter ceux-ci aux publics visés par les bases légales respectives. Ceci fournira une indication quant à la réalisation d’un objectif prioritaire des politiques actives, à savoir, toucher un public inactif et peu qualifié. Une fois les variables définies, l’utilisation d’une méthode de classification (ou de « cluster ») permettra ensuite de regrouper les individus présentant les mêmes profils en classes homogènes. Sur base de ces groupes, il sera intéressant de comparer le positionnement sur le marché du travail d’un même type de public. A cette fin, nous utiliserons le taux d’insertion comme indicateur des trajectoires des bénéficiaires. Ces initiatives s’inscrivent dans des contextes différents : la Flandre et la Wallonie. C’est pourquoi, avant de passer à cette analyse, nous présentons quelques traits saillants des marchés du travail flamand et wallon.

(2) La base de données EFT a été constituée par le Centre de Recherche Interdisciplinaire pour la Solidarité et l’Innovation Sociale (CERISIS-UCL) (Lefèvre, 2001,a). Les informations relatives au public des Ateliers Sociaux ont quant à elles été recueillies par le Hoger Insituut voor de Arbeid (HIVA).

704


ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL ET ATELIERS SOCIAUX ...

2.

LE MARCHE DU TRAVAIL EN FLANDRE ET EN WALLONIE Tout comme les autres pays appartenant à la zone « euro », la Belgique a connu au cours des années 1999 et 2000 une croissance plus rapide que prévue. Ce climat économique favorable a aussi influencé le marché du travail : de 1995 à 2000 l’emploi intérieur a progressé continuellement. Malgré cette tendance (Ministère de l’Emploi et du Travail (MET), 2001), en 1999, le taux d’emploi total en Belgique était inférieur à la moyenne de l’Union et des trois principaux pays voisins. Nous le savons, ce taux d’emploi relativement bas est imputable aux faibles taux d’emploi des jeunes, des femmes à partir de 40 ans et des personnes de plus de 50 ans, surtout chez les peu qualifiés appartenant à ces groupes à risque. Des différences remarquables apparaissent entre les différentes Régions en termes de taux de chômage, d’inactivité et d’emploi (voir tableau 1 et graphique 1).

TABLEAU 1 : INDICATEURS DU MARCHE DU TRAVAIL (SOURCE MET, 2001) Taux d’activité, taux d’emploi et taux de chômage au 30 juin 1999 (hommes + femmes, en %) Indicateurs

Bruxelles

Flandre

Wallonie

Royaume

Taux d’activité

64,4

65,1

65,2

65,2

Taux d’emploi

53,0

60,6

54,7

58,1

Taux de chômage

17,7

6,9

16,2

10,9

705


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

FIGURE 1 : TAUX D’EMPLOI DANS LES DIFFERENTES REGIONS BELGES : VENTILATION PAR SEXE ET CATEGORIES D’AGE (SOURCE : MET, 2001) HOMMES :

TOTAL :

FEMMES :

Pour les jeunes, entre autres, il résulte (MET, 2001) que la Flandre approche le résultat de l’UE et des trois pays voisins (Fig. 2) : environ un jeune sur trois est occupé dans cette Région. En Wallonie et à Bruxelles la situation est différente : un jeune sur cinq seulement a un emploi, ce qui est bien loin du résultat moyen pour l’UE (voir MET, 2001). Dans ces Régions également, un nombre relativement élevé de jeunes ayant suivi des études supérieures (respectivement 33 et 43 % en Wallonie et à Bruxelles), coexiste avec une proportion élevée de personnes peu qualifiées. Environ 30 % des personnes appartenant à ce groupe d’âge n’ont tout au plus qu’un diplôme de l’enseignement secondaire inférieur (MET, 2001).

706


ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL ET ATELIERS SOCIAUX ...

FIGURE 2 : VENTILATION, PAR STATUT PROFESSIONNEL, DE LA POPULATION AGEE DE 15 A 24 ANS DANS LES TROIS REGIONS BELGES (SOURCE : MET, 2001)

Les causes de l’inactivité des jeunes âgés de 15 à 24 ans ne doivent pas être recherchées uniquement dans la plus longue durée des études à temps plein. Selon le MET (2001) « le taux de chômage des 20-24 ans, exprimé en pourcentage du groupe démographique correspondant, s’élève d’ailleurs dans ces deux Régions à plus du double de celui de la Flandre…. En Wallonie et à Bruxelles, quelque 65 % des personnes peu qualifiées de 20 à 24 ans n’ont pas d’emploi (jusqu’à 75 et 71 %, respectivement, chez les femmes). En Flandre, ces pourcentages atteignent respectivement 38 et 54 %. » De plus, il semblerait qu’en Wallonie et à Bruxelles, respectivement 40 à 45 % des jeunes peu qualifiés ne travaillent pas et ne cherchent pas d’emploi (50 % en ce qui concerne les femmes). En Flandre, le pourcentage correspondant s’élève à 24 % environ, et à plus de 35 % chez les femmes. Le graphique 3 ci-dessous souligne les différences régionales en matière de taux d’emploi pour les différentes catégories d’âges.

707


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

FIGURE 3 : TAUX D’EMPLOI EN BELGIQUE ET DANS LES REGIONS : VENTILATION PAR SEXE ET NIVEAU DE QUALIFICATIONS (SOURCE, MET 2001) Catégorie d’âge 25-49

Peu Moyennement Très qualifiés qualifiés qualifiés

Catégorie d’âge 50-64

BELGIQUE

Total

FLANDRE

Peu Moyennement Très qualifiés qualifiés qualifiés

Total

Peu Moyennement Très qualifiés qualifiés qualifiés

Total

Peu Moyennement Très qualifiés qualifiés qualifiés

Total

Peu Moyennement Très qualifiés qualifiés qualifiés

Total

Peu Moyennement Très qualifiés qualifiés qualifiés

Total

WALLONIE

Peu Moyennement Très qualifiés qualifiés qualifiés

Total

Peu Moyennement Très qualifiés qualifiés qualifiés

Total

BRUXELLES

Hommes

Femmes

Toutefois, comme souligné dans Van der Linden (2000), cette connotation de « peu qualifié » est un peu réductrice. Il existe en effet des groupes fragilisés sur le marché de l’emploi mais cela n’est pas uniquement lié au manque de qualifications. D’autres facteurs comme l’appartenance à certaines catégories démographiques ainsi que la localisation géographique sont très importants à cet égard (Nyssens, 2002). L’inadéquation des qualifications aux exigences des nouvelles technologies et aux besoins de la production est certainement un élément contribuant lourdement à la dynamique du chômage, mais il n’est toutefois pas (malheureusement) le seul. Agir 708


ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL ET ATELIERS SOCIAUX ...

sur les compétences des individus par le biais de programmes de formation peut contribuer à combattre une partie du chômage. Mais, l’appartenance au groupe des “moins qualifiés” semble être plutôt la résultante de mécanismes complexes qui ne peuvent être réduits à la seule dimension de la formation. Les politiques qui sont souvent mises en avant pour les aider à (re-)intégrer le marché de l’emploi sont des politiques de formation et d’emploi. A côte de celles-ci, des initiatives au niveau décentralisé ont vu le jour. Parmi celles-ci nous nous focaliserons dans cette étude sur les Entreprises de Formation par le Travail et les Ateliers Sociaux.

3.

LES ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL (EFT) ET LES ATELIERS SOCIAUX (3)

3.1.

LES ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL

3.1.1.

Origine L’origine des Entreprises de Formation par le Travail (EFT) remonte au début des années 1980 où elles sont apparues à la fois : dans le secteur hébergement de la protection de la jeunesse, comme réponse aux questions d’orientation professionnelle et de formation des jeunes; dans des associations privées confrontées à des publics très marginalisés, comme possibilité d’insertion; dans le milieu de l’éducation permanente lié au mouvement ouvrier, sous forme d’actions intégrées de développement. Progressivement, l’ensemble du secteur s’est structuré et organisé de façon à ce que les pouvoirs publics légifèrent et dégagent des moyens. Ainsi, les rencontres et négociations de 1985 et 1986 débouchèrent, en janvier 1987, sur un arrêté de l’Exécutif de la Communauté française en matière d’entreprises d’apprentissage professionnel (EAP). Quelques mois plus tard celui-ci était englobé dans un décret plus large portant sur l’ensemble de l’insertion socioprofessionnelle et de la formation continue. Le contenu fort étendu du décret eut pour conséquence de faire coexister dans un même cadre législatif des EAP et des organismes d’insertion socioprofessionnelle (OISP), notion qui recouvre un ensemble d’initiatives beaucoup plus large. La nécessité se fit alors sentir d’éclaircir la situation. L’arrêté d’avril 1995 réalisa cette clarification et créa la notion d’EFT, et par là-même, entérina la disparition des EAP. Une soixantaine de centres se sont rapidement constitués. Ils ont souhaité travailler ensemble et échanger leurs expériences respectives, ce qui a abouti à la création de fédérations au sein desquelles la coordination s’opère dans un cadre où chacun peut conserver ses options philosophiques, pédagogiques et économiques. Les fédérations sont au nombre de quatre : AID, ALEAP, CAIPS, ACFI (4). (3) Cette partie est basée sur Pinxteren (2001) (4) AID : Réseau constitué d’OISP et d’EFT en Wallonie et à Bruxelles ainsi que de centres de formation professionnelle. Ce réseau s’élargit aux sociétés à finalité sociale ; ALEAP : Fédération pluraliste d’EFT et d’OISP agréées par la Région wallonne. ; CAIPS : Fédération d’EFT, OISP et Entreprises d’insertion agréée par la Région wallonne ; ACFI : Actions Coordonnées de Formations et d’Insertion sociale et professionnelle.

709


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

Dans un second temps, le secteur tout entier a voulu se concerter à partir de ses expériences communes afin de promouvoir le concept d’EFT. Une inter-fédération est née de cette concertation. Elle constitue pour les pouvoirs publics et les divers intervenants sociaux et économiques un interlocuteur incontournable. On dénombre 55 EFT agréées actuellement, formant près de 2000 stagiaires en permanence et nécessitant près de 700 emplois d’encadrement.

3.1.2.

Cadre légal Il s’agit de l’Arrêté du Gouvernement wallon du 06/04/1995 relatif à l’agrément des EFT (M.B. 14/07/1995) modifié par l’Arrêté du Gouvernement wallon du 18/11/1999 (M.B. 01/12/1999).

3.1.3.

Description et philosophie de la mesure (5) Les EFT ont pour mission d’assurer une formation à des personnes connaissant des difficultés sociales et, de ce fait, sur la voie de l’exclusion. Orientées vers les jeunes en rupture scolaire, les EFT veulent répondre à un besoin et à une demande de formation de leur part. A cet effet, la pédagogie développée par les EFT se veut novatrice et repose sur une interaction entre apprentissages théoriques et apprentissages pratiques, réalisés sur le lieu de travail. De plus, cette pédagogie est complétée par un accompagnement psychosocial des stagiaires. Les EFT ont donc misé sur la capacité formatrice des activités productives et économiques. De ce fait, elles œuvrent dans le champ économique au sens strict, puisque la plupart des EFT ont une activité de production (pas toujours commercialisée), participent à une chaîne économique, dégagent un chiffre d’affaires. La formation proposée a pour finalité le passage des stagiaires vers le marché régulier du travail ou vers une autre formation professionnelle. (Arrêté du 06/04/1995, art. 3) Les EFT sont tenues d’assurer un minimum de 8 000 heures de formation par an, sur l’ensemble des stagiaires. Le programme de formation suivi par chaque stagiaire doit comporter un minimum de 300 heures par an et doit s’étendre, au maximum, sur une période de 18 mois de formation effective. (art. 7)

(5) En ce qui concerne les subventions dont les EFT bénéficient nous renvoyons le lecteur à Pinxteren (2001).

710


ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL ET ATELIERS SOCIAUX ...

3.1.4.

Statut et agrément Les EFT doivent avoir le statut d’association sans but lucratif (ASBL) ou être organisées par un centre public d’aide sociale (CPAS) (6) (art. 8). Le ministre chargé de la formation professionnelle se prononce sur la demande d’agrément après avoir pris connaissance de l’avis motivé de la Commission d’agrément des entreprises de formation par le travail. La demande d’agrément est subordonnée à l’exercice d’une activité de formation par le travail en Région wallonne depuis un an au moins. Cependant, tout organisme qui exerce ou se propose d’exercer des activités répondant aux conditions précitées peut solliciter, avant même d’avoir fonctionné une année, une autorisation de fonctionnement provisoire. L’agrément est accordé pour une période de trois ans renouvelable. (art. 12)

3.1.5.

Public visé par la base légale Le groupe cible est constitué essentiellement de jeunes en décrochage scolaire. Il s’agit d’un groupe à risque élevé de chômage, qui exige une formation professionnelle, parce que l’école n’est pas parvenue à la lui fournir, en raison d’une mauvaise orientation ou du fait qu’il ne trouve pas de travail. Concrètement, cela signifie que le statut de ces personnes doit correspondre aux conditions suivantes : Public de moins de 26 ans (art. 4) : – Ne plus être en obligation scolaire (être donc âgé de plus de 18 ans) ; – Ne pas être porteur, au moment de l’admission, du certificat d’enseignement secondaire inférieur (CESI émis jusqu’en juin 1997) ou du certificat d’enseignement secondaire du deuxième degré (CESS), émis à partir de juin 1998, ni d’un titre équivalent ; – Ne pas être inscrit dans un établissement d’enseignement de plein temps (7).

L’EFT peut accueillir également des stagiaires âgés de plus de 25 ans, pour autant qu’ils ne soient pas porteurs du CESI (ou du CESS), ou d’un titre équivalent.

(6) Dans le cas où les EFT seraient organisées par un CPAS, on ne parlera plus d’initiatives d’économie sociale étant donné l’absence d’autonomie de gestion par rapport aux pouvoirs publics. (7) Le CESI est octroyé au terme de la 3ème année de l’enseignement général et technique et au terme de la 4ème année de l’enseignement professionnel. Le certificat d’enseignement secondaire supérieur (CESS) est octroyé au terme de la 6ème année du secondaire technique et général et au terme de la 7ème année de secondaire professionnel.

711


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

Ces personnes doivent en outre remplir une des conditions suivantes (art. 5) : – Avoir, au moment de leur admission, la qualité de bénéficiaire du minimum des moyens d’existence (minimex) ou être sans ressources ; – Compter au moins un jour de chômage ; – Réintégrer le marché de l’emploi c.-à-d. être un demandeur d’emploi n’ayant pas exercé d’activité professionnelle pour raison familiale (éducation des enfants, garde d’un parent malade) pendant les trois années précédant la réinsertion, tout en n’ayant perçu, au cours de cette période, aucune allocation de chômage, d’attente ou d’interruption.

Leur admission a lieu dans les limites prévues par une convention conclue à cet effet avec le FOREM (Office communautaire et régional de la formation professionnelle et de l’emploi). La loi prévoit en outre que l’EFT peut être autorisée à accueillir des stagiaires qui ne répondent pas à certaines des conditions imposées pour autant qu’ils ne représentent pas plus de 20 % du total des stagiaires admis dans chaque EFT.

3.2.

LES ATELIERS SOCIAUX (SOCIALE WERKPLAATSEN)

3.2.1.

Origine Les premiers Ateliers Sociaux (AS) observés datent du début des années 1980. La philosophie fut toujours celle de la réintégration, grâce au travail, de demandeurs d’emploi peu qualifiés. Le premier cadre légal relatif aux AS a pour origine la note gouvernementale flamande du 20 juillet 1994, portant sur la définition d’un cadre expérimental pour les AS. Ces derniers étaient alors vus comme une alternative aux ateliers protégés. Un décret vint ancrer, le 14 juillet 1998, l’expérience des AS dans un cadre légal définitif. Actuellement, on dénombre 85 ateliers sociaux actifs en Flandre, occupant 2 000 personnes à plein temps, appartenant au groupe cible, et encadrées par près de 340 personnes (8).

3.2.2.

Cadre légal Décret de la Région flamande du 14 juillet 1998 concernant les ateliers sociaux (M.B. 02/09/1998).

(8) Source: Samenwerkingsverband Sociale Tewerkstelling (SST)

712


ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL ET ATELIERS SOCIAUX ...

Arrêté du Gouvernement flamand du 8 décembre 1998 visant l’exécution du décret susmentionné (M.B. 23/02/1999).

Arrêté du Gouvernement flamand du 27 octobre 1993 visant la généralisation du système de contractuels subsidiés.

3.2.3.

Description et philosophie de la mesure (9) Les AS sont des initiatives qui ont pour objectif de procurer un travail durable aux demandeurs d’emploi les plus précarisés, dans un environnement professionnel protégé, sans pour autant décourager ou exclure toute possibilité de réintégrer le circuit économique normal. Cet objectif doit être atteint via la mise sur pied d’une activité entreprenariale caractérisée par l’adaptation du type de travail aux possibilités du travailleur et par son accompagnement social. (Décret 14/07/1998, art. 3) Les AS optent pour des activités d’utilité collective qui, bien que délaissées par le circuit économique classique, ne sont pas dépourvues de sens et peuvent générer des recettes. Ils couvrent des secteurs d’activités variés tels que le travail administratif, l’artisanat, la construction, les services aux personnes, le secteur Horeca, les activités de recyclage, l’agriculture biologique, etc. D’une manière générale, les AS choisissent une activité intensive en main-d’œuvre et possédant une plus-value sociale ou environnementale (Mertens et Simon , 1997).

3.2.4.

Statut et agrément Seules des ASBL spécifiquement constituées à cette fin peuvent être reconnues en tant qu’ateliers sociaux. Pour ce faire, et afin de bénéficier de subsides, elles doivent répondre aux conditions suivantes : Créer un climat d’entreprise adapté aux priorités des travailleurs du groupe cible et posséder des capacités de financement propres ;

Exercer une activité qui ne perturbe pas les prix du marché ;

Engager exclusivement des travailleurs appartenant au groupe cible ;

Prévoir un encadrement correspondant au minimum à un équivalent temps plein pour cinq travailleurs du groupe cible ;

A chaque embauche, réaliser un plan individuel de formation ;

(9) En ce qui concerne les subventions pour ces mesures nous renvoyons le lecteur à Pinxteren (2001).

713


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

Réaliser l’effort suffisant permettant, à terme, l’insertion sur le marché du travail des travailleurs du groupe cible.

Cet agrément est en principe accordé par le ministre flamand compétent en la matière, pour une période de quatre ans renouvelable. L’atelier social agréé sera évalué annuellement sur base des critères d’agrément précités.

3.2.5.

Public visé par la base légale Le groupe cible est constitué de demandeurs d’emploi très peu qualifiés qui ne trouvent ni ne conservent une place sur le marché régulier du travail depuis un temps considérable, mais qui sont en état de travailler. Dans le décret d’exécution, le groupe cible est décrit comme étant composé de « demandeurs d’emploi qui, en raison d’une accumulation de facteurs personnels et contextuels, ne peuvent trouver ou conserver une place sur le marché régulier du travail ». (art. 15) De plus, les bénéficiaires de la mesure doivent répondre aux conditions suivantes :

Etre inactif depuis 5 ans, sans interruption ;

Etre peu scolarisé (disposer au maximum d’un diplôme du secondaire inférieur, du secondaire supérieur spécialisé ou du secondaire supérieur professionnel) ;

Avoir des difficultés au point de vue social, physique ou psychique ;

Etre inscrit au VDAB (Vlaamse Dienst voor Arbeidsbemiddeling en Beroepsopleiding - Service flamand de placement et de formation professionnelle) en qualité de demandeur d’emploi.

Des exceptions motivées concernant le niveau du diplôme peuvent être envisagées. Les personnes ne peuvent être orientées vers des ateliers sociaux que par l’intervention du VDAB et seulement si elles ont épuisé tous les autres recours possibles afin de trouver une place sur le marché régulier du travail. (art 10) Le travail en atelier social doit être partie intégrante d’un projet individuel de réinsertion. (art. 11)

714


ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL ET ATELIERS SOCIAUX ...

4.

LA METHODOLOGIE

4.1.

INTRODUCTION Cette étude vise d’une part à comparer l’évolution des situations socioprofessionnelles des individus en Entreprise de Formation par le Travail ou en Ateliers Sociaux et d’autre part, le taux d’insertion résultant de ces mesures. Afin de réaliser cette comparaison de manière adéquate, il convient d’utiliser une technique permettant de rassembler les individus présentant les mêmes caractéristiques : la méthode de classification. Elle permettra précisément de regrouper les individus présentant des caractéristiques proches en classes les plus homogènes possibles. La méthodologie utilisée en vue de la comparaison des taux d’insertion sera illustrée ultérieurement étant donné qu’elle est strictement liée aux données disponibles. La méthode d’évaluation utilisée repose sur l’analyse des données relatives aux bénéficiaires des politiques actives. Ceci soulève le problème des biais de sélection. Leur origine conceptuelle est double. Ils résultent soit des comportements des bénéficiaires, soit des comportements des initiateurs de l’action (de la politique active) (Van der Linden, 2000). Le premier type de biais peut découler des comportements des bénéficiaires de la mesure et plus particulièrement de l’hypothèse que « la participation à une action est en partie la résultante d’une décision, d’une démarche de choix du bénéficiaire » (cf. Van der Linden, 2000). Ainsi, les personnes « qui estiment avoir des chances de tirer profit d’une action seront plus nombreuses à poser leur candidature et à aller jusqu’au bout du programme que les personnes qui pensent ne pas pouvoir en tirer profit ». Les facteurs influençant la participation sont tantôt observables (âge, sexe, diplôme etc.), tantôt inobservables (la motivation, le sérieux, la confiance en soi, etc.) par l’évaluateur. Ils seront aussi « vraisemblablement associés (positivement ou négativement) à la probabilité » de s’insérer sur le marché du travail et ce « même en l’absence de l’action ». Quant aux comportements de sélection par les initiateurs de l’action, il faut remarquer que, dans la mesure où ils/elles « procèdent à une sélection parmi les candidats, il est plausible qu’ils privilégieront les meilleurs candidats » par souci d’obtenir de bons résultats. La sélection, à l’instar de la participation, s’opère « sur des caractéristiques observables et dès lors contrôlables mais aussi sur des caractéristiques nonobservables ». Le taux de réussite de la mesure, le taux d’insertion, peut alors aussi bien « découler de l’écrémage lors de la sélection que de l’effet intrinsèque de l’action en question ».

715


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Par conséquent, le taux d’insertion calculé sera sujet à caution. Il pourra relever de l’efficacité intrinsèque de la mesure comme il pourra être le fruit des caractéristiques individuelles des participants corrélées positivement ou négativement avec leur chance d’insertion (où par « efficacité » on entend la réalisation des objectifs visés par une action ). Plus particulièrement, les biais de sélection induits par les facteurs non observables inciteront à la prudence lors de l’interprétation des résultats.

4.2.

LA CLASSIFICATION Les méthodes dites de classification ont pour but de regrouper les individus en un nombre restreint de classes homogènes. Il s’agit donc de décrire les données en procédant à une réduction du nombre des individus. Cette classification est automatique dans le sens où les classes sont obtenues au moyen d’un algorithme formalisé et non par des méthodes subjectives ou visuelles. On distingue deux grands types de méthodes de classification : Les méthodes non hiérarchiques qui produisent directement une partition en un nombre fixé de classes ;

Les méthodes hiérarchiques qui produisent des suites de partitions en classes de plus en plus vastes.

La méthode utilisée est celle de la classification non hiérarchique. Cette méthode consiste à regrouper n individus en k classes de telle sorte que les individus d’une même classe soient les plus semblables possible et que les classes soient bien séparées. Ceci suppose la définition d’un critère global mesurant la proximité des individus d’une même classe et donc la qualité de la partition. Si on peut considérer les individus comme des points d’un espace euclidien, le problème de la classification peut se décrire comme la recherche d’une partition d’un nuage de n points en k sous-nuages. La dispersion d’un nuage de points peut se caractériser par son inertie qui est la moyenne des carrés des distances au centre de gravité. Dès lors, une classe serait d’autant plus homogène que son inertie est faible. Appelons I1, I2,…, Ik les inerties de chaque classe, calculées par rapport à leur centre de gravité respectifs g1, g2,…, gk. La somme de ces inerties est appelée inertie intraclasse et est notée Iw : Iw = Σkj=1 Ij Il est donc souhaitable que Iw soit la plus petite possible pour avoir un ensemble de classes très homogènes. 716


ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL ET ATELIERS SOCIAUX ...

La dispersion de l’ensemble des k centres de gravité g1, g2,…, gk autour de g, centre de gravité du nuage total des n individus est appelée quant à elle inertie interclasse et est notée IB : IB = Σ Pj d2(gi; g) où Pj est la somme des poids des individus de la classe n° j. Une grande valeur de IB indique une bonne séparation des classes et il conviendra donc que IB soit la plus grande possible. Par le théorème de Huygens, l’inertie totale, I, du nuage de n points est égale à la somme de l’inertie intraclasse et de l’inertie interclasse : I = Iw+ IB. Ainsi, rendre maximale IB est équivalent à rendre minimale Iw puisque leur somme est constante. Du point de vue de l’inertie, il suffira de caractériser les meilleures partitions possibles en k classes rendant Iw minimale. A la limite, la meilleure partition serait alors celle où chaque individu constitue une classe car dans ce cas-là Iw= 0, puisque chaque point est confondu avec le centre de gravité de sa classe. Une telle extrême ne nous est évidemment d’aucune utilité. Nous cherchons plutôt désormais à obtenir une partition en k classes où k a été fixé a priori. La technique employée est celle des « nuées dynamiques » ou de ré-allocation itérative autour de centres mobiles. Il s’agit d’une méthode itérative rapide et performante. Le principe est le suivant (pour n individus et k classes souhaitées): on crée k classes en se centrant sur k individus tirés au hasard parmi n ; on affecte un individu à la classe dont “ l’individu central “ lui est le plus proche. On calcule alors les barycentres des k classes et on réaffecte les n points à la classe dont le barycentre lui est le plus proche. Cette procédure est itérée jusqu’à convergence. L’inconvénient de cette méthode est que la répartition finale des individus dépend du tirage initial. C’est pourquoi la possibilité est offerte par le programme informatique de répéter cette procédure plusieurs fois. L’ordinateur retiendra pour le tableau des résultats, la répétition qui maximise l’inertie interclasse. Cela revient à vouloir que les classes soient aussi éloignées que possible, tout en assurant une homogénéité optimale à l’intérieur de celles-ci.

5.

ORIGINES ET RECUEILS DES DONNEES

5.1.

LA BASE DE DONNEES « ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL » Les données concernant les stagiaires en EFT ont été recueillies par le Centre de Recherche Interdisciplinaire pour la Solidarité et l’Innovation Sociale (CERISIS-UCL). Le CERISIS a conduit une enquête longitudinale en trois vagues, sur les stagiaires répartis sur l’ensemble des vingt EFT de la province du Hainaut (voir Lefèvre, 1997 ; 1999 ; 2000 ; 2001a ; 2001b). Les données sont extraites de l’interrogation des sta717


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giaires à trois reprises : en tout début de stage, à la fin de la formation et (en moyenne) treize mois après la fin de la formation. Le temps qui sépare les deux premières interviews est fonction de la durée des formations qui peut varier entre trois et dixhuit mois. Les rencontres ont eu lieu dans l’entreprise suite à l’accord donné par le stagiaire à sa participation à l’enquête. L’échantillon s’est constitué de janvier 1997 à mai 1998. Sur les 339 personnes interrogées en début d’enquête, seulement 201 ont passé le deuxième entretien. De plus, parmi celles-ci, seulement 113 sont présentes en troisième vague (D’Addio, 2001).

5.2.

LA BASE DE DONNEES « ATELIERS SOCIAUX » Les données concernant les travailleurs du groupe cible en AS ont quant à elles été recueillies par le « Hoger Instituut voor de Arbeid » (HIVA) en septembre 1997 (voir Nicaise et ali, 2000). Les individus de l’échantillon sont au nombre de 144 et ont été interrogés à une seule reprise. L’objectif était de vérifier sur le terrain les caractéristiques qualitatives des travailleurs du groupe cible et de mesurer les effets de l’insertion par l’économique sur le parcours professionnel et le bien-être des intéressés. Ceci impliquait une approche longitudinale de sorte qu’il a fallu effectuer une enquête rétrospective sur la période courant avant et après l’entrée en AS. Les AS se sont développés dans un cadre expérimental début 1995 et c’est à partir de ce cadre qu’ont été fixés les critères actuels d’engagement. Dès lors, les enquêteurs ont sélectionné les arrivants de l’année 1995 (Lauwereys, Matheus et Nicaise, 2001).

5.3.

LES VARIABLES UTILISEES Les variables retenues sont au nombre de six :

L’âge (agent) : âge à l’entrée de la politique active, [17, 54 ] ;

Le sexe (sex) : 0 = homme ; 1= femme ;

L’expérience professionnelle (exprof) : l’expérience professionnelle éventuelle avant l’entrée en politique active ; 0 = pas d’expérience ; 1 = expérience(s) ;

La situation socioprofessionnelle à l’embauche en politique active (empac1) :

1.Emploi ; 2. Chômage ; 3. Minimex ; 4. Non demandeurs d’emploi ; 5. Autres. 718


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Le diplôme maximum obtenu (diplôme):

1. Pas de diplôme ; 2. Diplôme d’enseignement primaire spécial ; 3. Diplôme d’enseignement primaire ; 4. Diplôme d’enseignement secondaire inférieur spécial ; 5. Diplôme d’enseignement secondaire inférieur professionnel ; 6. Diplôme d’enseignement secondaire inférieur technique ; 7. Diplôme d’enseignement secondaire inférieur général ; 8. Diplôme d’enseignement secondaire supérieur spécial ; 9. Diplôme d’enseignement secondaire supérieur professionnel ; 10. Diplôme d’enseignement secondaire supérieur technique ; 11. Diplôme d’enseignement secondaire supérieur général ; 12. Enseignement supérieur non-universitaire de type court ; 13. Enseignement supérieur non-universitaire de type long ; 14. Enseignement universitaire ; 15. Enseignement post universitaire ; 16. Inconnu ;

La durée d’inactivité avant l’embauche en politique active (ina) :

0. Inconnue ou inexistante ; 1. Moins de 6 mois ; 2. Entre 6 mois et moins d’1 an ; 3. Entre 1 an et moins de 2 ans ; 4. Plus de deux ans. A ces variables sont associées : – Le type de politique active (mesure) : EFT=4 ; AS = 2 ; – L’emploi éventuel après la participation au programme (empac_3) : 0 = pas d’emploi ; 1= emploi.

6.

LE PUBLIC CIBLE EFFECTIF La description des deux politiques effectuée dans la section 3 était fondée strictement sur le cadre légal de ces mesures. Toutefois, sur le terrain, des différences peuvent exister entre l’approche légale et la réalité pragmatique. Ceci est certainement vrai pour le public cible. Cette section cherchera à évaluer dans quelle mesure les EFT et les AS atteignent le public visé par les bases légales respectives (10).

(10) Tous les graphiques présentés dans cette section ont été élaborés grâce à des calculs propres sur base des Enquêtes CERISIS et HIVA, respectivement.

719


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Le public cible effectif sera successivement décrit dans le cas des entreprises de formation par le travail et dans le cas des ateliers sociaux au regard de différentes variables descriptives. En continuité avec la logique adoptée, il conviendra ensuite de comparer la composition des deux publics cible effectifs.

6.1.

LE PUBLIC DES ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL Les EFT sont en grande majorité fréquentées par un public masculin (73,75 % d’hommes contre 26,25 % de femmes, soit au sein de notre échantillon 250 hommes et 89 femmes). En ce qui concerne l’âge du public, la moyenne est de 23 ans, avec un minimum de 17 ans et un maximum de 48 ans. La majorité des stagiaires (68 %) a moins de 25 ans et 87 % a moins de 30 ans. Ces observations illustrent la volonté légale explicite de toucher un public jeune.

FIGURE 5 : AGE DES STAGIAIRES EN EFT

Fig. 5.: Age des stagiaires en EFT 13% moins de 25 ans 25-30 ans

19%

plus de 30 ans

68%

Moins d’un stagiaire sur deux a, au maximum, un diplôme d’enseignement primaire (certificat d’enseignement de base-CEB) (11). Un stagiaire sur cinq a obtenu un diplôme d’enseignement secondaire inférieur (CESI) et près d’un stagiaire sur cinq ne possède aucun diplôme. L’observation de l’échantillon indique donc que seulement 60 % des stagiaires en EFT y sont admis en conformité avec la loi (12) contre 40 % des stagiaires qui détiennent un diplôme supérieur à celui autorisé. La loi prévoit cependant une dérogation à cette condition d’admission à raison de 20 % du public cible par EFT, seuil qui semble largement dépassé dans cet échantillon.

720

(11) Le CEB est octroyé tant pour l’enseignement primaire classique que pour l’enseignement primaire spécial. Le CESI est octroyé au terme de la 3ème année de l’enseignement général et technique et au terme de la 4ème année de l’enseignement professionnel. Le certificat d’enseignement secondaire supérieur (CESS) est octroyé au terme de la 6ème année du secondaire technique et général et au terme de la 7ème année de secondaire professionnel. (12) Cf section 3.


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FIGURE 6 : DIPLOME MAXIMUM OBTENU

Fig. 6 : Diplôme maximum obtenu 2% 4% 8%

Aucun diplôme Enseignement primaire spéciale

17%

Enseignement primaire Enseignement spécial secondaire inférieur Secondaire inférieur professionnel

22%

Secondaire inférieur technique Secondaire inférieur général

40%

4% 3%

Secondaire supérieur (toute catégorie)

Quant au statut à l’entrée de l’EFT, l’analyse de l’échantillon indique que seuls 3 % des stagiaires étaient au travail lors de leur embauche en EFT. De plus, 59 % des stagiaires étaient allocataires sociaux à leur entrée en EFT, 36 % étaient au chômage et 23 % émargeaient du CPAS. Relevons aussi que 24 % des individus de l’échantillon étaient en foyer d’accueil. Ils sont considérés comme sans revenu dans notre analyse. La volonté politique de toucher un public sans emploi semble donc rencontrée.

FIGURE 7 : STATUT DES STAGIAIRES AVANT L’ENTREE EN EFT

Fig. 7: Statut des stagiaires avant l'entrée en EFT 2%

3%

Emploi Chômage

24% 36%

Minimex Sans revenu En foyer

12%

Autres

23% Parmi les 97% de stagiaires inactifs à l’entrée en EFT, la majorité l’était depuis plus de 1 an contre 29 % depuis moins d’un an. Il s’agit bien d’un public éprouvant généralement des difficultés à trouver un emploi sur le marché du travail.

721


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FIGURE 8 : TEMPS D’INACTIVITE AVANT L’ENTREE EN EFT

Fig. 8. : Temps d'inactivité avant l'entrée en EFT 18% Non réponse

40%

Moins de 6 moins De 6 mois à 1 an

17%

De 1 à 2 ans Plus de 2 ans

13%

6.2.

12%

LE PUBLIC DES ATELIERS SOCIAUX Les AS comptent 54 % d’hommes et 46 % de femmes (soit 77 hommes et 67 femmes sur l’échantillon de 144 individus). La répartition des genres est donc presque équilibrée. L’âge du public effectif est en moyenne de 35 ans, avec un minimum de 19 ans et un maximum de 54 ans. La majorité des travailleurs (67 %) a plus de 30 ans et seulement 9 % moins de 25 ans.

FIGURE 9 : AGE DES TRAVAILLEURS DU GROUPE CIBLE AS

Fig. 9.: Age des travailleurs du groupe cible AS

9% Moins de 25 ans

23%

31%

25-30 ans 31-40 ans plus de 40 ans

37% L’analyse de l’échantillon nous indique que 35 % des travailleurs disposent d’un diplôme d’enseignement secondaire inférieur (CESI). Plus d’un travailleur sur 5 n’a aucun diplôme, dispose d’un diplôme d’enseignement primaire (CEB) ou détient un diplôme d’enseignement secondaire supérieur (CESS).

722


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On dénombre trois exceptions aux conditions légales au sein de l’échantillon, soit 2 % (diplôme d’enseignement secondaire général et d’enseignement supérieur). Ces exceptions sont cependant envisagées par le cadre légal dans la mesure où elles sont motivées (13).

FIGURE 10 : DIPLOME MAXIMUM OBTENU 3%

Fig. 10. : Diplôme maximum obtenu

1% 1%

12%

23%

3% 3% 4% 10%

18% 19%

3% Enseignement primaire spécial Secondaire inférieur professionnel Secondaire supérieur spécial Secondaire supérieur général

Sans diplôme Secondaire inférieur spécial Secondaire inférieur général Secondaire supérieur technique

Enseignement primaire Secondaire inférieur technique Secondaire supérieur professionnel Enseignement supérieur

L’analyse de l’échantillon indique que 48 individus, soit 33% des travailleurs du groupe cible, exerçaient une activité en dehors de leur domicile avant l’entrée en AS. Leur statut est assez varié et est illustré par le graphique 11a ci-dessous. Remarquons que seul 4% des ces travailleurs possédaient un contrat à durée indéterminée. Les individus repris dans les catégories formation et volontariat sont en majorité des demandeurs d’emploi. Ils seront considérés comme tel par la suite.

FIGURE 11A : STATUT DES PERSONNES ACTIVES AVANT L’ENTREE EN AS Fig. 11a: Statut des personnes actives avant l'entrée en AS

6%

4%

Contrat à durée indéterminée

18%

21%

Contrat à durée déterminée Intérim ACS

4%

Autres politiques de mise à l'emploi Formation Volontariat

10%

Autres

23% 14%

(13) Cf. section 3.2.

723


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Parmi les individus inactifs à l’entrée en AS, près de trois sur quatre étaient dans une situation de chômage. Plus d’un sur 10 dépendait du CPAS via le minimex. Seuls 6 % des travailleurs étaient sans revenu.

FIGURE 11B : SITUATIONS DES DEMANDEURS D’EMPLOI A L’ENTREE EN AS

Fig. 11.b : Situations des demandeurs d'emploi à l'entrée en AS 7% 5%

Sans emploi avec allocation Sans revenu Minimex

12%

Allocation maladie

6%

Autres

70% Parmi les 78 % des travailleurs du groupe cible demandeurs d’emploi à l’entrée en AS, et compte tenu des données disponibles, l’observation du graphique 10.2.4. indique qu’un individu sur trois étaient dans cette situation depuis plus de 2 ans. Près d’un travailleur sur sept l’étaient depuis plus d’un an ou depuis plus de 6 mois. Seul un individu sur dix étaient sans emploi depuis moins de 6 mois. Il apparaît donc que la volonté légale d’employer des travailleurs sans emploi depuis plus de 5 ans n’est pas rencontrée (14).

FIGURE 12 : DUREE D’INACTIVITE AVANT L’ENTREE EN AS

Fig. 12 : Durée d'inactivité avant l'entrée en AS 33%

Nulle ou inconnue 31%

Moins de 6 mois De 6 mois à un an

13%

(14) Cf. section 3.2

724

9% 14%

De 1 à 2 ans Plus de 2 ans


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6.3.

LE PUBLIC EFFECTIF Les différences existant entre les deux politiques actives analysées ont déjà été relevées à plusieurs reprises. Celles-ci se manifestent entre autre par une dissemblance de public visé sur le plan légal. Dans ce paragraphe, les divergences suggérées par les bases légales seront identifiées en comparant, cette fois, les publics cible effectifs. La comparaison des publics effectifs selon le genre indique que la proportion hommes-femmes en EFT est bien moins équilibrée que dans le cas de AS (graphique 13).

FIGURE 13 : COMPARISON SELON LE GENRE Fig. 13.: Comparaison selon le genre

AS

Hommes Femmes

EFT 0%

20%

40%

60%

80%

100%

En %

L’analyse du graphique 14 révèle des différences sensibles sur le plan de l’âge entre les deux publics effectifs. Ainsi, les EFT s’adressent essentiellement à un public de moins de 25 ans alors que les AS compte surtout des personnes de plus de 30 ans.

FIGURE 14 : COMPARAISON SELON L’AGE A L’ENTREE Fig. 14.: Comparaison selon l'âge à l'entrée AS

Moins de 25 ans 25-30 ans

EFT

Plus de 30 ans 0%

20%

40%

60%

80%

100%

En %

Les deux politiques s’adressent majoritairement à un public ne possédant pas un niveau d’étude supérieur au CESI. Les EFT compte une plus grande proportion de stagiaires possédant le CEB. Par contre, on dénombre plus de sans diplôme et plus de détenteurs du CESS dans les AS. 725


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FIGURE 15 : COMPARAISON SELON LES DIPLOMES Fig. 15.: Comparaison selon les diplômes Sans diplôme CEB EFT

CESI 0%

20%

40%

60%

80%

CESS

100%

En %

En théorie, les deux politiques actives s’adressent à des demandeurs d’emploi. Or, comme nous avons eu l’occasion de le constater, près de 22 % du public effectif en AS était au travail avant sa participation à la mesure. Cette situation est partagée par seulement 3% des stagiaires en EFT. Nous observons aussi que les AS embauchent en majorité des demandeurs d’emploi bénéficiant des allocations de chômage (Graphique 16.). Les EFT, en revanche, rencontrent des demandeurs d’emploi sans revenu, minimexés ou chômeurs.

FIGURE 16 : COMPARAISON SELON LA SITUATION SOCIOECONOMIQUE A L’ENTREE Fig.16.:Com paraison selon la situation socioéconom ique à l'entrée Em ploi Emploi Sansrevenu revenu Sans AS

Chôm age Chômage

EFT

M inim ex Minimex 0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

A utres Autres

En %

Abstraction faite des non-réponses, la comparaison de la durée d’inactivité (graphique 17) ne permet pas de distinguer nettement les deux politiques. Remarquons toutefois que les EFT regroupent une plus grande proportion de sans emploi depuis plus de deux ans ou depuis moins de 6 mois.

726


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FIGURE 17 : COMPARAISON SELON LA DUREE D’INACTIVITE Fig. 17: Comparaison selon la durée d'inactivité

Nulle ou non-réponse Moins de 6 mois

AS

De 6 mois à 1 an EFT

De 1 à 2 ans 0%

20%

40%

En %

7.

RESULTATS

7.1.

RESULTATS DE LA CLASSIFICATION

7.1.1.

Inerties intra- et interclasse

60%

80%

100%

Plus de 2 ans

Le nombre optimal de classes est trois. Ainsi, après dix itérations, le programme de classification de type « nuées dynamiques » fournit la partition en trois groupes d’individus. Les résultats obtenus indiquent une variance intergroupe élevée et une variance intragroupe faible. Ces observations sont conformes aux objectifs de la méthode de classification utilisée, dans le sens où elles confirment l’homogénéité intraclasse et l’hétérogénéité interclasse des individus.

7.1.2.

Répartition des individus (15) La répartition des individus par classes et par politiques est illustrée par le graphique 18. ci-dessous. La première classe est relativement métissée et se compose de 70 travailleurs en AS et de 47 stagiaires en EFT soit un total de 117 individus. La seconde, comptant 279 individus, est essentiellement composée de stagiaires en EFT (258 stagiaires) alors que la troisième classe, composée de 58 individus compte principalement des travailleurs en AS (45 travailleurs).

(15) Les graphiques présentés dans cette section dérivent de calculs propres sur base de la classification.

727


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FIGURE 18 : REPARTITION DES INDIVIDUS PAR CLASSE ET PAR POLITIQUE Fig. 18.: Répartition des individus par classe et par politique

Nombre d'individus

300

21

250 200

AS

150 100

258

50 0

45 13

47 Classe 1

7.1.3.

EFT

70

Classe 2

Classe 3

La distribution des individus par caractères et par classes a) La distribution selon les âges Les individus de la première classe ont entre 27 et 38 ans à leur entrée en politique active. La seconde classe est composée d’individus âgés de 17 à 27 ans au moment de leur embauche. Les individus de la troisième classe ont quant à eux entre 39 et 54 ans à leur entrée sous politique active. La comparaison de l’âge moyen à l’entrée en politique active des individus des différentes classes (graphique 19) révèle un partitionnement net selon les âges. Alors que la troisième classe regroupe des personnes d’en moyenne 45 ans, la seconde classe est composée d’individus sensiblement plus jeunes, en moyenne de 21 ans. La première classe, intermédiaire, regroupe des individus âgés en moyenne de 32 ans.

FIGURE 19 : AGE MOYEN PAR CLASSE DES INDIVIDUS A L’ENTREE SOUS POLITIQUE ACTIVE

Fig. 19: Age moyen par classe des individus à l'entrée sous poltique active 60 60 40 40

32 32

20 20

45 45 Age Agemoyen moyen

21 21

00 Classe 1 1 Classe 728

Classe 22 Classe

Classe 3 3 Classe


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b) La distribution selon le genre Comme l’observation du graphique 20 l’indique, la proportion d’hommes et de femmes est presque équilibrée au sein des première et troisième classes. La seconde regroupe par contre essentiellement des hommes. Cette observation n’est néanmoins pas surprenante sachant que cette classe est surtout composée d’individus sous politique active de type EFT et que cette politique attire une grande majorité d’hommes.

FIGURE 20 : DISTRIBUTION DES GENRES PAR CLASSES (EN %)

Fig. 20: Distribution des genres par classes (en%) Classe 3 Hommes

Classe 2

Femmes

Classe 1 0%

20%

40%

60%

80%

100%

c) La distribution selon l’expérience professionnelle Comme nous l’avons observé, la première et la troisième classe regroupent des individus plus âgés que les personnes composant le second groupe. De ce fait, il n’est pas surprenant de trouver au sein des deux premières classes citées une majorité d’individus possédant une expérience professionnelle avant leur entrée sous politique active (graphique 21).

FIGURE 21 : DISTRIBUTION DE L’EXPERIENCE PROFESSIONNELLE (EN %)

Fig. 21: Distribution de l'expérience professionnelle (en %) Classe 3

Sans expérience professionnelle

Classe 2

Experience professionnelle

Classe 1 0%

20%

40%

60%

80%

100% 729


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d) La distribution selon la situation socioprofessionnelle à l’embauche Comme l’illustre le graphique 22, les première et troisième classes sont composées majoritairement d’individus chômeurs à leur embauche sous politique active. La seconde classe, composée essentiellement de stagiaires en EFT, regroupe principalement des allocataires sociaux, chômeurs ou minimexés.

FIGURE 22 : DISTRIBUTION SELON LA SITUATION SOCIOPROFESSIONNELLE A L’EMBAUCHE (EN %) Fig. 22 : Distribution selon la situation socioprofessionnelle à l'embauche (en %) Emploi Chômage Minimex Sans revenu Autres

Classe 3 Classe 2 Classe 1 0%

20%

40%

60%

80%

100%

e) La distribution selon le diplôme L’observation du graphique 23 indique que la classification sur base des diplômes est moins nette que dans le cas de l’analyse de la distribution des autres caractéristiques. Chaque classe regroupe des individus de chaque niveau de diplôme dans une proportion relativement similaire. Remarquons toutefois que la classe 2 compte un pourcentage plus élevé d’individus ne détenant que le CEB et donc moins qualifiés. De même, on observe plus d’individus mieux qualifiés, possédant le CESS, au sein de la première classe.

FIGURE 23 : DISTRIBUTION SELON LES DIPLOMES (EN %) Fig. 23.: Distribution selon les diplômes (en %) Classe 3 Sans diplôme CEB

Classe 2

CESI CESS

Classe 1 0%

730

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%


ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL ET ATELIERS SOCIAUX ...

f) La distribution selon la durée d’inactivité Au regard du graphique 24, la distribution de la durée d’inactivité paraît relativement homogène entre les classes. Cette variable ne semble donc pas constituer un critère discriminant entre celles-ci. Ainsi, les trois classes regroupent une proportion importante d’individus inactifs depuis plus de 2 ans. Toutefois, cette proportion est un peu plus élevée au sein de la première et de la troisième classe. Le second groupe compte quant à lui quelque peu plus de demandeurs d’emploi depuis moins de 6 mois.

FIGURE 24 : DISTRIBUTION DE LA DUREE D’INACTIVITE PAR CLASSE (EN %) Fig. 24: Distribution de la durée d'inactivité par classe (en %) Nulle ou inconnue

Classe 3

Moins de 6 mois De 6 mois à 1 an

Classe 2

De 1 an à 2 ans Plus de 2 ans

Classe 1 0%

7.1.4.

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

Synthèse L’analyse de la distribution des classes selon les différents caractères sélectionnés pour la classification, et dès lors observables, permet d’esquisser pour chacun des groupes, le profil type des individus qui y sont regroupés. Ainsi, un individu appartenant à la première classe est en moyenne une personne, homme ou femme, engagée sous politique active de type EFT ou AS, âgée de 32 ans, chômeuse, possédant une expérience professionnelle, relativement qualifiée car porteuse du CESI ou du CESS, et inactive depuis plus d’1 an. Un individu du deuxième groupe est, toujours en moyenne, un jeune de 21 ans engagé sous politique active de type EFT, ne possédant pas d’expérience professionnelle, chômeur ou minimexé, un peu moins qualifié que les personnes regroupées dans les autres classes et inactif depuis moins de 2 ans. Enfin, le profil d’un individu du troisième groupe est celui d’un homme ou d’une femme en politique active de type AS, âgé(e) de 45 ans, chômeur(-euse), possédant une expérience professionnelle, porteur(-euse) du CEB ou du CESI et inactive depuis plus d’1 an. 731


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7.2.

LA SITUATION SOCIOPROFESSIONNELLE APRES LA PARTICIPATION AUX POLITIQUES ACTIVES ET LE TAUX D’INSERTION

7.2.1.

Introduction Comme nous l’avons mentionné, les politiques actives analysées visent l’insertion ou la réinsertion socioprofessionnelle d’individus peu qualifiés. Cet objectif se traduit, dans le cas des EFT, par une formation de maximum 18 mois prodiguée en vue de réduire le déficit de qualification dont est victime le public cible. La formation a pour but de favoriser l’insertion sur le marché de l’emploi. Le calcul du taux d’insertion, quelques temps après le passage en formation, se révèle dans ce cas pertinent pour l’évaluation de cette politique. Dans le cas des AS, l’objectif d’insertion ou de réinsertion se concrétise par la mise à l’emploi, sans limite de temps, dans un environnement professionnel protégé au sein de l’atelier social lui-même. Bien que la transition vers le marché de l’emploi traditionnel soit favorisée, elle ne constitue néanmoins pas une obligation. Dès lors, le taux d’insertion comme critère d’évaluation de cette politique active peut paraître maladroit. En effet, celui-ci prend en compte exclusivement les individus embauchés sur le marché du travail classique à la suite de leur passage en politique active. Or, ni l’objectif, ni la structure des AS ne garantissent cette transition, biaisant ainsi inévitablement le calcul du taux d’insertion. Ce calcul du degré de réussite des AS devrait alors plutôt se faire sur base de critères relatifs aux sentiments de bien-être procuré par l’activité professionnelle en milieu protégé ou encore sur base d’une estimation des bienfaits psychosociaux d’un tel travail. Cependant, la finalité de cette analyse est de comparer le profil des publics fréquentant ces dispositifs et leur trajectoire socioprofessionnelle. Dans ce cadre, il est intéressant de comparer le positionnement sur le marché du travail, pour un même type de public, conscients des finalités différentes des EFT et des AS. L’utilisation d’un indicateur tel que le taux de réinsertion nous permet de comparer la trajectoire des bénéficiaires. Après avoir décrit la méthodologie adoptée, les situations socioprofessionnelles des personnes ayant participées aux politiques actives seront exposées.

7.2.2.

Méthodologie L’objectif est ici celui de comparer la situation des individus après leur passage en politiques actives (16).

(16) Cette évaluation se fera uniquement au niveau microéconomique.

732


ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL ET ATELIERS SOCIAUX ...

L’enquête « EFT » fournit cette information au travers de 110 réponses en troisième vague, portant sur les individus sortis de la formation depuis, en moyenne, 13 mois. Sachant que le stage en EFT est limité dans le temps et que sa durée moyenne est de 11 mois pour les individus présents en 3ème vague, les réponses disponibles ont donc été obtenues, en moyenne, 24 mois après l’embauche en EFT. En d’autres termes, il est possible de déterminer la situation socioprofessionnelle d’un individu 2 ans, en moyenne, après son entrée en EFT. La période de travail au sein des AS n’est quant à elle pas limitée dans le temps. Pour rendre possible la comparaison, nous avons reconstruit un indicateur qui nous permet de savoir quelle est la situation de la personne 24 mois après son entrée en AS. Certains individus travaillent toujours au sein d’AS. Pour ces derniers, la situation socioprofessionnelle demeure inchangée depuis leur embauche. La question de la détermination de la situation socioprofessionnelle est plus délicate lorsque les individus interrogés ont déjà quitté l’AS lors de l’enquête de 1997. En effet, les données portant sur leur situation socioprofessionnelle au moment de l’enquête ne sont pas directement exploitables puisque celle-ci est parfois réalisée plus de 2 ans après l’embauche des individus. Il faut alors rechercher, dans les données disponibles, leur situation socioprofessionnelle 2 ans après leur embauche à l’instar des individus sortis des EFT. Il convient donc de distinguer, au sein de chaque classe, parmi les 133 individus entrés en AS, les personnes qui y sont toujours présentes de celles qui en sont sorties. Parmi ces dernières, il est alors nécessaire d’identifier leur situation deux ans après leur entrée en AS. En outre, les données recueillies ne portent pas sur la même période. En effet, l’enquête « EFT » prend en compte les individus embauchés à partir de 1997 alors que l’enquête AS de 1997, de par sa caractéristique rétrospective, se base sur les individus embauchés dans le courant de l’année 1995. Cette divergence temporelle peut avoir une influence sur le taux d’insertion. Rien n’indique en effet que les conditions sur le marché du travail soient restées les mêmes sur les deux périodes. Ainsi, les possibilités d’insertion peuvent varier selon que l’individu quitte la politique active en 1996 ou en 1999.

7.2.3.

La situation socioprofessionnelle après la participation aux politiques actives A partir de la classification de l’échantillon, dont les résultats ont été illustrés dans la section précédante, il est possible de déterminer la situation socioprofessionnelle des individus présentant un même profil (observable), 24 mois en moyenne après leur embauche sous politique active. Cette analyse se base sur la variable concernant le type de dispositif et celle relative à la situation par rapport à l’emploi 13 mois après le terme de la formation, pour les EFT, et 24 mois après l’entrée en AS (empac_3). 733


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Le taux d’insertion est calculé, dans le cas des EFT, par le rapport entre les stagiaires sortis de formation depuis 13 mois et ayant un emploi, et l’ensemble des observations relatives à la situation des stagiaires après leur formation. Ce calcul est limité par le nombre de réponses disponibles en 3ème vague. Le risque inhérent à cette limite est que la perte d’informations observables soit symptomatique d’une certaine classe d’individus (cf. D’Addio, 2002). Cependant, comme l’indique le tableau 2 ci-dessous, le taux d’individus perdus est proche entre les différentes classes. Il y a donc une relative équivalence interclasse quant à la perte d’informations observables.

TABLEAU 2. : TAUX D’INDIVIDUS PERDUS EN 3EME VAGUE DE L’ENQUETE « EFT » Classe 1

64 %

Classe 2

65%

Classe 3

61%

Le taux d’insertion à la suite du passage en AS est obtenu par le rapport entre les individus possédant un emploi hors de l’atelier social 24 mois après leur entrée en AS, et l’ensemble des travailleurs du groupe cible de la classe considérée. Nous distinguons les individus toujours employés en AS, les individus sortis de l’AS sans emploi et ceux détenant un emploi hors de l’AS. a) Classe 1 Parmi les individus de la première classe, nous observons que 9 stagiaires EFT sur 17 ont trouvé un emploi 13 mois après leur formation. Seuls 15 individus sur les 70 travailleurs en AS que compte cette classe, sont sortis de cette politique active. Parmi ceux-ci, 3 ont trouvé un emploi 2 ans après leur embauche en AS.

TABLEAU 3 : SITUATION SOCIOPROFESSIONNELLE APRES LE STAGE ET TAUX D’INSERTION DES STAGIAIRES EFT (CLASSE 1) EFT

Nombre d’observations

17 734

Sans emploi

Emploi

Nombre

Fréquence

Nombre

Fréquence

8

47 %

9

53 %


ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL ET ATELIERS SOCIAUX ...

TABLEAU 4 : SITUATION SOCIOPROFESSIONNELLE ET TAUX D’INSERTION DES TRAVAILLEURS DU GROUPE CIBLE 24 MOIS APRES LEUR EMBAUCHE SOUS POLITIQUE ACTIVE DE TYPE AS (CLASSE 1) AS

Nombre d’observations

Individus toujours sous politique active

Individus sortis et sans emploi

Individus sortis en détenant un emploi hors politique active

Nombre Fréquence Nombre Fréquence Nombre Fréquence 70

55

79 %

12

17 %

3

4%

b) Classe 2 Les données disponibles concernant l’éventuelle remise à l’emploi au terme de la formation en EFT sont au nombre de 89. Parmi celles-ci, on dénombre 34 stagiaires ayant trouvé un emploi. L’unique personne de cette classe à avoir quitté un AS ne travaille pas 24 mois après son entrée sous cette politique.

TABLEAU 5 : SITUATION SOCIOPROFESSIONNELLE APRES LE STAGE ET TAUX D’INSERTION DES STAGIAIRES EFT (CLASSE 2) EFT

Nombre d’observations

89

Sans emploi

Emploi

Nombre

Fréquence

Nombre

Fréquence

55

62 %

34

38 %

TABLEAU 6 : SITUATION SOCIOPROFESSIONNELLE ET TAUX D’INSERTION DES TRAVAILLEURS DU GROUPE CIBLE 24 MOIS APRES LEUR EMBAUCHE SOUS POLITIQUE ACTIVE DE TYPE AS (CLASSE 2) AS

Nombre d’observations

Individus toujours sous politique active

Individus sortis et sans emploi

Individus sortis en détenant un emploi hors politique active

Nombre Fréquence Nombre Fréquence Nombre Fréquence 21

20

95 %

1

5%

0

0%

735


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c) Classe 3 Au sein des observations de la troisième classe, seulement 5 résultats sont à notre disposition pour évaluer le taux d’insertion au niveau des EFT. Il apparaît que 3 stagiaires sur 5 ont trouvé un travail 13 mois après leur formation. Dans le cas des AS, un seul individu est sous contrat de travail parmi les 13 personnes sorties du dispositif et appartenant à cette classe.

TABLEAU 7 : SITUATION SOCIOPROFESSIONNELLE APRES LE STAGE ET TAUX D’INSERTION DES STAGIAIRES EFT (CLASSE 3) EFT

Nombre d’observations

5

Sans emploi

Emploi

Nombre

Fréquence

Nombre

Fréquence

2

40 %

3

60 %

TABLEAU 8 : SITUATION SOCIOPROFESSIONNELLE ET TAUX D’INSERTION DES TRAVAILLEURS DU GROUPE CIBLE 24 MOIS APRES LEUR EMBAUCHE SOUS POLITIQUE ACTIVE DE TYPE AS (CLASSE 3) AS

Nombre d’observations

Individus toujours sous politique active

Individus sortis et sans emploi

Individus sortis en détenant un emploi hors politique active

Nombre Fréquence Nombre Fréquence Nombre Fréquence 45

7.2.4.

32

71 %

12

26 %

1

2%

Analyse des résultats Au vu des résultats, les situations d’insertion professionnelle hors politique active apparaissent nettement plus élevées pour un individu ayant effectué un stage de formation en EFT que pour un travailleur du groupe cible 24 mois après son embauche sous politiques active de type AS. Soulignons, à nouveau, que les objectifs de ces deux dispositifs sont radicalement différents. Alors qu’une formation en EFT dure maximum 18 mois et tend à favoriser l’insertion socioprofessionnelle des stagiaires, les AS visent à fournir un emploi dans un environnement professionnel protégé, sans qu’aucune limite temporelle ne soit fixée à la présence des travailleurs du groupe cible.

736


ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL ET ATELIERS SOCIAUX ...

Au terme de leur formation en EFT, les stagiaires désireux de s’insérer socio-professionnellement n’ont dès lors pas d’autre alternative que de chercher un emploi. Outre la plus-value de qualification que peut apporter le stage, cette caractéristique de la mesure induit implicitement à un taux d’insertion plus élevé. D’autre part, dans le cas des AS, la sécurité de l’emploi offerte par un revenu garanti et l’absence d’échéance à la participation à cette politique ne favorisent pas la transition des travailleurs vers le marché de l’emploi traditionnel. Pour la plupart, ceux-ci ont éprouvé la précarité d’une situation de demandeurs d’emploi et les difficultés d’insertion liées à leurs caractéristiques socioprofessionnelles. Il se comprend alors aisément que les travailleurs du groupe cible soient moins enclins à quitter la stabilité offerte par les AS et par conséquent, que le taux d’insertion, en dehors du dispositif, résultant de cette politique soit peu élevé. La question des biais de sélection abordée précédemment nous incite à interpréter, encore plus prudemment ces résultats, principalement pour deux raisons. Premièrement, seuls 33% des participants aux formations EFT sont présents en 3ème vague. Il n’est pas infondé de penser que les personnes absentes de ce troisième entretien sont précisément les individus présentant les profils socioprofessionnels les plus défavorisés (cf. D’Addio, 2002). Ceci suppose qu’une sélection implicite se serait effectuée au sein de l’échantillon et que les résultats obtenus seraient biaisés par la prise en compte exclusive d’individus plus “performants” lors du calcul du taux d’insertion. La seconde source potentielle de biais résulte des comportements de sélection des opérateurs des AS compte tenu de l’objectif même du dispositif. La présence en AS n’étant pas limitée dans le temps, les individus ne sont, sans doute, dans de nombreuses situations pas incités à trouver un emploi au sein du marché du travail non protégé. Il se peut que la sortie d’un AS soit plus la conséquence d’une décision hiérarchique que de la volonté réelle des individus en question. Dans ce cas, cette décision est susceptible d’être motivée par les déficiences socioprofessionnelles ou comportementales de l’individu, soulignant alors les difficultés d’insertion rencontrées par celui-ci. Il en découle que le taux d’insertion, une fois sorti de l’AS, calculé dans ce contexte serait biaisé à la baisse, puisque les personnes prises en compte seraient incontestablement les plus malaisées à insérer. D’autre part, enjoint de quitter l’AS, le demandeur d’emploi présenterait peut-être moins de motivation à rechercher un travail qu’un individu en ayant fait le choix. On peut également supposer que certains individus qui sortent des AS sont parmi les plus “performants” par rapport au marché du travail et, par conséquent, veulent s’intégrer au sein du marché du travail non protégé.

737


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Il convient donc d’interpréter les résultats avec précaution, conscients des biais pouvant exister.

TABLEAU 9 : TAUX D’INSERTION PROFESSIONNELLE PAR CLASSE ET PAR TYPE DE DISPOSITIF DEUX ANS APRES L’ENTREE Classe

Classe 1

Type de politique

EFT

Taux de réinsertion au sein du dispositif Taux d’insertion hors dispositif

Classe 2 AS

EFT

Classe 3 AS

EFT

AS

0%

79 %

0

95 %

0%

71 %

53 %

4%

38 %

0%

60 %

2%

Il convient à ce stade de replacer la présente analyse dans le contexte plus vaste du problème structurel du chômage sur le marché du travail belge. La littérature économique met en avant plusieurs scénarios pour expliquer les causes de ce chômage structurel. Dans le cadre de cette analyse, nous en retenons deux. Le premier porte sur la “désemployabilité” des chômeurs de longue durée. Ce scénario souligne d’une part la perte de capital humain occasionnée par l’inactivité prolongée et, d’autre part, l’interprétation par les entreprises d’une période de chômage prolongée comme un signal négatif sur les aptitudes des travailleurs. Il en résulte que, plus une personne reste longtemps au chômage, moins elle est susceptible d’être embauchée, moins elle est employable. Les travaux empiriques à ce sujet révèlent effectivement une relation négative entre ancienneté de chômage et taux de sortie du chômage (Cockx et Dejemeppe, 1998) en faisant remarquer la fausse dépendance à la durée. Le second scénario explicatif a trait à l’inadéquation entre l’offre et la demande de qualification (skill mismatch, voir à ce propos Cockx, Dejemeppe et van der Linden, 2000). Les études empiriques démontrent une évolution asymétrique du taux de chômage par niveau d’étude. Ces différences entre les taux de chômage par degré de qualification sont généralement interprétées comme résultant d’un problème d’inadéquation entre le profil recherché par l’employeur et le profil offert par le demandeur d’emploi. Le progrès technologique, impliquant une demande importante de travailleurs qualifiés ainsi que la désindustrialisation, phénomène substituant le travail moins qualifié par le capital et la mécanisation, sont autant de facteurs limitant les possibilités d’emploi pour la main d’œuvre peu qualifiée.

738


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Les deux scénarios décrits impliquent des politiques actives quelque peu différentes. L’une porterait plutôt sur la mise au travail de chômeurs de longue durée, victimes d’un problème de désemployabilité. L’autre tenterait surtout de former des demandeurs d’emploi de manière à réduire leur déficit de qualification. Chaque politique étudiée semble s’inscrire dans l’un de ces champs d’action. Ainsi, les AS tendent plutôt à répondre au problème de désemployabilité des demandeurs d’emploi de longue durée en leur fournissant un travail dans un environnement protégé. Les EFT visent surtout quant à elle à pallier le problème de l’inadéquation entre l’offre et la demande de travail en permettant à des personnes peu qualifiées de suivre une formation (17). L’analyse des résultats concernant les AS, compte tenu de ces objectifs, devrait démontrer, au sortir de ceux-ci, un taux d’insertion plus important pour les personnes plus âgées, ayant connu une période d’inactivité longue et remises au travail par le biais de cette politique active. Le profil des travailleurs se rapproche, dans ce cas, des individus composant les classes 1 et 3. Si l’on considère uniquement les individus sortis des AS, l’observation du tableau 10. démontre que le taux d’insertion est effectivement plus élevé pour les individus des classes 1 et 3 que pour ceux regroupés au sein de la classe 2. Néanmoins, ce taux reste significativement inférieur aux taux relatifs aux individus présentant les mêmes caractéristiques mais ayant participé à une politique active de type EFT.

TABLEAU 10 : TAUX D’INSERTION PAR CLASSE ET PAR POLITIQUE ACTIVE POUR LES INDIVIDUS SORTIS DE CELLE-CI AS

EFT

Classe 1

25 %

53 %

Classe 2

0%

38 %

Classe 3

8%

60 %

Pour les AS, ces constats tendent à confirmer, pour une part, le scénario du chômage comme résultante d’un phénomène de désemployabilité. Les demandeurs d’emploi de longue durée, qui en moyenne ont une plus grande expérience professionnelle et une meilleure qualification (classe 1 et 3), remis au travail en AS, présentent de meilleures performances d’insertion, une fois sortis de l’AS que les individus sans emploi depuis moins de 2 ans embauchés eux aussi en AS (classe 2). D’autre (17) Une forte interaction existe entre les deux scénarios explicatifs. La catégorisation des politiques actives sera donc adoptée avec prudence.

739


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part, on constate que les bénéficiaires plus jeunes, relativement moins qualifiés, sans expérience professionnelle (classe 2) restent au sein des AS dans leur grande majorité et s’ils sortent ne retrouvent pas d’emploi. Ce constat limite la portée du premier scénario. En effet, ce résultat conforte l’hypothèse d’un problème d’inadéquation de qualification pour ce type de public que deux ans en AS ne peuvent combler. L’emploi protégé offre, dans ce contexte, une réinsertion socioprofessionnelle qui s’inscrit dans la durée. Les AS semblent donc accueillir deux types de publics, les uns souffrant plus de désemployabilité, les autres d’un manque de qualification, ces derniers étant ceux qui restent le plus au sein des AS dans la durée. Au regard des résultats pour les EFT, mesure active visant à réduire le déficit de qualification, on constate que c’est pour son public - cible, jeune peu qualifié (classe 2) que les performances sont les moins bonnes. D’aucun y verrait un paradoxe. Alors que l’objectif des EFT est de toucher un public jeune, ce public, au sortir de la formation, présente justement les moins bonnes performances en termes d’insertion. Il convient donc de contraster les résultats de cette politique compte tenu de son relatif échec à l’insertion des jeunes peu qualifiés. Les performances sont relativement meilleures pour des individus plus âgés, relativement plus qualifiés. Ces constats nous amènent à nous interroger sur la faisabilité de qualifier des jeunes sans qualification en un temps si réduit de formation. Rappelons, toujours pour cette classe 2, que 95% des individus en AS y sont encore présents 2 ans après leur embauche… Cette proportion est significativement supérieure à celle des travailleurs regroupés dans les deux autres classes. Les deux dispositifs paraissent plus à même de favoriser l’insertion des chômeurs de longue durée hors du dispositif que pour des jeunes peu qualifiés.

8.

CONCLUSION La description des groupes cible souligne certaines différences entre le public effectif et le public visé par la base légale. Alors que les EFT visent, entre autre, un public peu scolarisé ne détenant pas de CESI, on observe que 40 % des stagiaires possèdent celui-ci ou sont porteurs d’un diplôme supérieur. D’autre part, dans le cas des AS, le décret de la Région flamande impose d’accepter comme travailleurs du groupe cible uniquement des personnes inactives depuis plus de 5 ans. Or, l’analyse de l’échantillon démontre que cette exigence n’est pas rencontrée. La comparaison des publics effectifs interpelle, elle aussi, à plusieurs égards. Tout d’abord, l’âge moyen du public cible des deux politiques actives est sensiblement différent. Ceci s’explique par la volonté politique explicite, dans le cas des EFT, de toucher un public jeune alors qu’aucune restriction n’est imposée à ce sujet par le cadre légal relatif aux AS. La répartition des genres constitue une autre curiosité. Tandis qu’aucune mention légale ne porte sur ce point, les EFT regroupent en grande majorité des hommes contre une relative parité des sexes en AS. L’explication est

740


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peut-être à trouver dans le type de travail ou de formation proposé. Enfin, les stagiaires en EFT sont aussi généralement moins qualifiés que les personnes embauchées en AS. Sur base de la classification effectuée, nous remarquons aussi la répartition assez homogène des individus des EFT et des AS dans les trois classes constituées : une classe d’individus d’âge moyen, chômeurs depuis plus d’un an à leur entrée, possédant une expérience professionnelle, relativement qualifié; une deuxième classe composé majoritairement d’hommes jeunes, peu qualifiés, sans expérience professionnelle; un troisième groupe, relativement plus âgé, chômeurs depuis plus d’un an à leur entrée, possédant une expérience professionnelle, relativement qualifié. Ce constat suggère la présence d’un public (parfois) semblable (et sur base de ses caractéristiques observées) dans les deux mesures. Sur base des observations disponibles et avec la prudence inhérente aux possibles biais de sélection, la comparaison des trajectoires professionnelles entre les classes et les dispositifs est instructif. Le taux de réinsertion professionnelle hors du dispositif est, bien sur, bien supérieur en EFT qu’en AS ce qui s’explique par les objectifs fondamentalement différents des structures. Les EFT ont pour objectif de fournir une formation transitoire à des personnes très peu qualifiées, réduisant leur déficit de qualification et favorisant ainsi leur transition vers le marché du travail traditionnel. Les AS, quant à elles, visent la création d’emploi protégé, en leur sein, pour des chômeurs de longue durée. Allant au-delà de ce constat évident, il est intéressant de constater que tant les AS que les EFT accueillent des publics différents : un public jeune peu qualifié et sans expérience professionnelle et un public plus âgé, relativement plus qualifié et possédant une expérience professionnelle. Le taux de réinsertion des EFT est moins bon pour le public jeune peu qualifié - alors qu’il constitue légalement son public-cible. Ce même public est celui qui reste majoritairement, dans la durée, en AS et ne se réinsère pas en dehors de ceux-ci. Par contre, le public plus âgé et relativement plus qualifié est celui qui se réinsère mieux à la sortie des EFT et reste moins de temps au sein des AS. Il apparaît que ce public préfère une situation de mise à l’emploi dans un environnement professionnel protégé, comme le proposent les AS. __________

741


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ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL ET ATELIERS SOCIAUX ...

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743


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TABLE DES MATIERES ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL ET ATELIERS SOCIAUX : UNE ANALYSE DE CLASSIFICATION DES PUBLICS CIBLES EN TERME DE CARACTERISTIQUES INDIVIDUELLES ET DE TAUX D’INSERTION

744

1. INTRODUCTION

703

2. LE MARCHE DU TRAVAIL EN FLANDRE ET EN WALLONIE

705

3. LES ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL (EFT) ET LES ATELIERS SOCIAUX

709

3.1. LES ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. LES ATELIERS SOCIAUX (SOCIALE WERKPLAATSEN). . . . . . . . . . . . . . .

709 712

4. LA METHODOLOGIE

715

4.1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2. LA CLASSIFICATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

715 716

5. ORIGINES ET RECUEILS DES DONNEES

717

5.1. LA BASE DE DONNEES « ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL ». . . . . . . 5.2. LA BASE DE DONNEES « ATELIERS SOCIAUX » . . . . . . . . . . . . . . . . 5.3. LES VARIABLES UTILISEES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

717 718 718

6. LE PUBLIC CIBLE EFFECTIF

719

6.1. LE PUBLIC DES ENTREPRISES DE FORMATION PAR LE TRAVAIL. . . . . . . . . . . 6.2. LE PUBLIC DES ATELIERS SOCIAUX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.3. LE PUBLIC EFFECTIF . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

720 722 725

7. RESULTATS

727

7.1. RESULTATS DE LA CLASSIFICATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.2. LA SITUATION SOCIOPROFESSIONNELLE APRES LA PARTICIPATION AUX POLITIQUES ACTIVES ET LE TAUX D’INSERTION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

727 732

8. CONCLUSION

740

BIBLIOGRAPHIE

742


LE PARCOURS D’INSERTION AUGMENTE-T-IL LES CHANCES DES CHOMEURS DANS LEUR RECHERCHE D’UN EMPLOI ? L’INFLUENCE DE L’INTEGRITE, DE LA PARTICIPATION ET DE LA CONFIANCE SUR LA PERCEPTION DES CHANCES PAR JASPER VON GRUMBKOW* et ERIC RAMAEKERS** * Open University Pays-Bas ** Centrum voor Beroepsopleiding Maasland

INTRODUCTION Depuis 1999, en Flandre, les chômeurs, pour qui l’accès au marché de l’emploi est difficile, bénéficient d’une approche ciblée et personnalisée ; autrement dit le parcours d’insertion. Il s’agit d’une méthode d’intégration des chercheurs d’emploi au marché du travail. Les Pays-Bas mènent une politique identique, d’ailleurs inscrite depuis le 1er janvier 1998 dans un cadre légal [Loi Insertion des Demandeurs d’Emploi (Wet Inschakeling Werkzoekenden, WIW)]. Entre-temps, cette approche sur mesure a été mise en œuvre en Flandre dans le cadre du champ d’action du Vlaamse Dienst voor Arbeidsbemiddeling (VDAB). Bien des acteurs sur le marché du travail se sont actuellement approprié cette méthode. Outre le VDAB, nous pouvons observer des initiatives locales lancées par le secteur socioéducatif, l’aide sociale, les communes et divers projets en relation avec le chômage. Dans le jargon politique, on les qualifie de ‘tiers’. Par ailleurs, l’on trouve encore des services proposant des parcours d’insertion pour handicapés [arbeidstrajectbegeleidingsdiensten voor gehandicapten (ATB)], pour les minimexés (CPAS) et les jeunes de l’enseignement professionnel à temps partiel, et autres. La part du lion de ces initiatives d’accompagnement est rendue opérationnelle par le VDAB (opérateur ou exécutant) et ceci le plus souvent en collaboration avec des tiers spécialisés, centres publics d’aide sociale, ATB, enseignement à temps partiel, e.a. Les visées politiques sont très ambitieuses. Pendant le contrat de gestion conclu avec les pouvoirs publics (1999 – 2002), le VDAB s’est engagé à prendre en charge chaque année un nombre minimal d’usagers au chômage. L’objectif pour 2000 était le lancement de 64.000 parcours (Source : VDAB rapport annuel 2000). 745


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Le champ d’action depuis les débuts en 1999 est impressionnant. Le VDAB, à lui seul, signale pour la période 1999 - 2000 avoir effectué une définition de parcours et émis un diagnostic pour 81.102 chômeurs. Il a offert à 10.205 usagers sans travail une formation en matière de candidature à un emploi. 5.561 chômeurs ont suivi une formation axée sur la connaissance de soi. Il a dispensé à 28.760 chômeurs une formation professionnelle spécifique et en a accompagné 19.683 sur les lieux du travail (Source : VDAB rapport annuel 2000, p. 14). En 1999, aux Pays-Bas, les organes d’exécution ont fait part de l’inscription de 19.000 chômeurs à un parcours. Sur l’ensemble du groupe pouvant être pris en considération pour une telle approche, cela représente 27%. C’est moins que l’objectif visé. Un programme a été véritablement lancé pour 12.000 personnes (LISV, 2000). Si toutes n’ont pas profité d’un parcours d’insertion, c’est dû à plusieurs raisons : moyens limités, composition du fichier des chômeurs pour lequel il est difficile, sans préparation judicieuse préalable, de suivre un parcours, motivation de certains usagers et flux des sorties vers le travail d’usagers présentant toutes les chances de réussir sur le marché de l’emploi (Engelen e.a., 1999). L’étude d’Engelen et de ses collègues (1999) fait apparaître que les municipalités néerlandaises apprécient en règle générale la création et la mise en œuvre de projets de parcours. Elles ont le sentiment qu’après avoir terminé le parcours, la plupart des usagers sont orientés vers un travail. Nous ne disposons pas à cet égard de matériaux chiffrés, mais l’examen des dossiers par Engelen e.a. (1999) fournit des indications selon lesquelles, les usagers ayant suivi un parcours d’insertion parviennent plus souvent à intégrer le circuit de travail que leurs homologues n’en ayant pas bénéficié. En Flandre, les données chiffrées nous parviennent essentiellement du VDAB. Entre 1999 et 2000, quelque 56.536 parcours auraient été conclus. Parmi ceux-ci, pas moins de 41.457 usagers auraient emprunté une autre voie pour s’insérer dans le circuit du travail (73,30%) (Source : VDAB rapport annuel 2000). Les autres opérateurs de parcours d’insertion font état dans leurs rapports de pourcentages comparables. A cause d’éventuels chevauchements (nous ne savons pas si ces données ont déjà été reprises dans les statistiques du VDAB), nous ne nous attarderons pas sur ces données. En marge de ces résultats positifs, il nous faut souligner qu’il s’agit de parcours accomplis. Le caractère durable de la mise au travail est inconnu. Par ailleurs, nous ignorons tout des éventuels effets lorsqu’un chômeur trouve un emploi sans ce programme d’activation et du possible effet de substitution (lorsque l’engagement d’un chômeur entraîne le licenciement d’un travailleur ou le non-recrutement d’un candidat) (Layard, 1997, p. 339).

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LE PARCOURS D’INSERTION AUGMENTE-T-IL LES CHANCHES DES CHOMEURS DANS LEUR RECHERCHE D’UN EMPLOI ?

1.

OBJECTIF DE L’ETUDE Le parcours d’insertion est une politique d’activation axée sur la personne du chômeur en vue de le réintégrer. Dès lors, le succès du programme dépend aussi en partie de deux éléments : comment l’usager vit-il cet accompagnement et, en particulier, cet accompagnement multiplie-t-il ses chances d’améliorer sa situation. L’objectif du présent article est de cerner la vision des usagers chômeurs sur leurs possibilités de décrocher un emploi grâce au parcours d’insertion. Donc, notre première question s’énonce ainsi : “l’usager appréhende-t-il mieux ses opportunités de travail grâce au parcours d’insertion ?”. Dans cette étude, effectuée sur 471 chômeurs bénéficiaires de ce programme, nous avons par ailleurs aussi examiné l’influence d’un certain nombre de facteurs systémiques et répartitifs sur la perception des opportunités du public concerné. Le fichier complet de l’étude compte 624 usagers de parcours d’insertion mais, pour contrôler plus spécifiquement leurs réactions, nous n’avons pas pris en compte, pour faciliter notre analyse ultérieure, les participants aux cours de l’enseignement à temps partiel et les usagers sans statut de chômeur (indépendants, invalides partiels). Le présent article examine la question posée d’un point de vue sociopsychologique. La psychologie sociale est conçue comme une science, qui tente de mettre en évidence les déterminants sociaux du comportement et les circonstances induisant certains types comportementaux (von Grumbkow, 1988; Meertens & von Grumbkow, 1994). Nous tenterons de mettre à jour quelques déterminants des perceptions d’opportunités des chômeurs. Cet article est également lacunaire en ce qu’il n’aborde pas les actuelles réformes politiques en matière de réintégration. Ces réformes sont particulièrement attentives à la collaboration entre public et privé sur un plan local, à l’approche du guichet unique qui exige une participation étroite entre institutions, à l’éventuelle concurrence entre institutions et au financement plus volontiers fondé sur les prestations. Selon Aarts et Velema (2000), la concurrence sur le marché de la réintégration se durcit. On tente de placer dans une fonction adaptée au coût le plus bas possible tous les chômeurs raisonnablement réintégrables. Le marché de la réinsertion est tout, sauf homogène. Par ailleurs, dans cet article, nous nous limitons au marché de la réintégration lié au secteur public. Dans notre étude, nous nous intéressons donc à des chômeurs qui n’ont plus aucun lien contractuel ou financier avec un employeur (antérieur). Du fait de l’absence de ce lien, les opérateurs publics ne font guère preuve de dynamisme. Il n’existe aucun aiguillon financier pour créer une véritable émulation entre les différents organismes de parcours d’insertion sous l’angle des résultats. En tant qu’institution, l’appréciation se fait sur des parcours d’insertion réalisés et non sur des réinsertions réussies (placements dans des emplois réguliers) (Aarts et Velema, 2000). S’y ajoute que le groupe de chômeurs difficiles à caser constitue un ensemble disparate : chômeurs de longue durée, chômeurs qui n’ont jamais travaillé, handicapés (victimes d’accidents de travail). Dans notre étude, nous avons ignoré cette dernière catégorie. 747


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2.

PARCOURS D’INSERTION

2.1.

AMBITION SOCIOPSYCHOLOGIQUE

2.1.1.

Action ciblée En matière de parcours d’insertion, d’accompagnement et d’organisation, l’aspect innovateur réside dans l’approche ciblée, individualisée et progressive (Berg et al, 1996). On tente d’activer le chômeur pour le ramener à court terme sur le marché de l’emploi. La mise en oeuvre méthodique et progressive inspirée d’un modèle d’intervention sociopsychologique clair en constitue la caractéristique centrale. Ce modèle d’intervention distingue au moins trois composantes : (1) la définition du parcours d’insertion pour lequel est établi un projet, (2) le suivi du parcours pour en vérifier les progrès et (3) la guidance à l’aide d’entretiens de soutien. Le tout est organisé selon une procédure standardisée qui tient cependant compte de l’historique de l’usager et de ses aptitudes. Les différentes phases de l’intervention peuvent s’énoncer comme suit : un premier entretien suivi d’un diagnostic qui doit mener à un plan d’action provisoire, une proposition d’intervention (rédaction d’un projet de parcours d’insertion) qui, à son tour, peut être le point de départ d’un préparcours au cours duquel peut être dispensée une formation non professionnelle, l’intervention à proprement parler (consistant en l’exécution et en l’accompagnement du parcours d’insertion), l’éventuelle médiation dans le domaine de l’emploi, l’évaluation de l’intervention et un nouveau diagnostic posé sur la nouvelle situation créée après l’intervention.

2.1.2.

Activation et contrôle Dès la première proposition visant à mettre en oeuvre une intervention, l’accent est mis sur la motivation et l’activation ciblées de l’usager. Cette mise en place passe par des entretiens individuels. La motivation et l’activation sont poursuivies pendant toute l’intervention. Aux Pays-Bas, les études de Bergsma et Hazelaar (2001) font apparaître que le degré d’activation ne doit pas être surestimé. Souvent, le contrôle s’effectue seulement sur les lettres de candidature. L’activation et le contrôle s’appliquent principalement à des usagers dont on s’attend à ce qu’ils retrouvent rapidement du travail (aux Pays-Bas, les usagers dits de 1ère phase). Ceci implique que seuls sont stimulés et contrôlés les comportements de recherche et de sollicitation. Les usagers ne reçoivent pas directement des informations et des propositions de travail, notamment à cause du planning trop serré qui ne laisse guère de temps pour tenir compte de leurs besoins spécifiques. Par ailleurs, la manière de travailler du responsable peut également jouer un rôle. Ce dernier a deux options : soit se consacrer exclusivement au contrôle, soit agrémenter ce contrôle d’une activation (Terpstra, e.a 1999). S’y ajoute, qu’à ce jour, les opérateurs – du moins aux Pays-Bas – ne semblent pas faire preuve de beaucoup d’initiative pour mettre sur les rails de nouveaux parcours. En effet, nos voisins se focalisent sur l’activation et le contrôle en rapport avec les comportements de recherche et de sollicitation. Aux Pays-Bas, le parcours

748


LE PARCOURS D’INSERTION AUGMENTE-T-IL LES CHANCHES DES CHOMEURS DANS LEUR RECHERCHE D’UN EMPLOI ?

ne commence pas avant six mois. Cette passivité relative est liée à la structure du financement et à l’organisation du travail (Bergsma & Hazelaar, 2001) : la décision portant sur un parcours d’insertion est souvent prise par un responsable des services administratifs qui n’a pas de contact avec l’usager. En Flandre, les priorités sont autres. Les services destinés aux demandeurs d’emploi sont conçus de telle manière que le VDAB leur garantit à tous une prestation de base. Celle-ci comprend l’inscription, le traitement administratif, une information sur mesure, un premier screening et un éventuel appariement avec une offre d’emploi ou une invitation à une détermination de parcours (Source : VDAB rapport annuel 2000, p. 23-24). Donc, de prime abord, une forme de tri est opérée entre les demandeurs d’emploi. D’un côté, les personnes qui, la certitude en est relativement grande, semblent aptes à s’engager sur le marché de l’emploi. De l’autre côté, les personnes qui ont probablement besoin de l’une ou l’autre forme d’accompagnement. Dans ce cas, il arrive que des usagers soient envoyés à des tiers ou à des projets spécialisés dans le cadre de l’objectif 3 du FSE pour lequel le VDAB assume le rôle d’opérateur. En 2000, en Flandre, environ 25,2 millions d’euros ont été affectés à la prestation de services de base et 151,3 millions d’euros à la mise en oeuvre des parcours d’insertion. Ces moyens proviennent pour l’essentiel des pouvoirs publics flamands (Source : VDAB rapport annuel 2000, p. 82).

2.1.3.

Diagnostic ciblé On attend des accompagnateurs de parcours d’insertion qu’ils posent un diagnostic correct des caractéristiques liées à la personne. Ce diagnostic est fondé sur la réponse à au moins quatre questions (de Grip & Sanders, 2001). En premier lieu : que peut faire le chômeur et quelles sont donc ses capacités ? Le diagnostic tient compte de ses antécédents scolaires, de son aptitude à la formation, de sa capacité de flexibilité et de sa capacité de s’impliquer largement (horaires de travail irréguliers, temps partiel ou temps plein). Il s’agit ici du ”savoir-faire”. Cette étape – de diagnostic – est également l’occasion, de recadrer, de gommer la période d’inactivité. Ensuite, la deuxième phase, c’est le moment de cerner les attentes de l’usager. Il s’agit ici du « vouloir ». Dans quelle mesure, est-il suffisamment de bonne volonté pour accomplir différentes fonctions, pour être mobile sur le plan géographique, pour suivre des formations et pour se montrer largement disponible du point de vue des horaires de travail. En troisième lieu, il convient de vérifier ce que fait l’usager dans les faits pour tenter de décrocher un emploi (“cherche-t-il activement un emploi ?”) et quels sont, en quatrième lieu, les obstacles personnels. Pour les sans-emploi, ces obstacles sont principalement liés à l’âge, à un éventuel handicap, à des problèmes psychiques et à la situation familiale.

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2.1.4.

Durée et intensité du parcours d’insertion Il est clair qu’un parcours d’insertion, et donc son accompagnement, ne peuvent durer trop longtemps, faute de quoi suivre le parcours se transforme en un but en soi. Ceci vaut aussi pour son intensité. En effet, trop intense, le parcours est susceptible de faire naître des espérances irréalistes. Par contre, trop peu d’intensité peut avoir pour conséquence que le parcours d’insertion soit pris à la légère. En tout cas, il est indispensable que les contacts entre usager et accompagnateur doivent être intensifiés et ceci par le biais de réévaluations (Engelen et al., 1999). Les réévaluations fréquentes induisent une vision plus claire de la situation de l’usager, davantage de possibilités de recours à des modules (instruments du marché de l’emploi) et un contrôle de l’obligation de travailler. La réévaluation serait l’un des instruments d’activation les plus importants (Engelen et al., 1999).

2.2.

GROUPES CIBLES ET TRAVAIL SUR MESURE

2.2.1.

Groupes cibles Pour arriver à un conseil individualisé, une distinction minimale est nécessaire entre groupes cibles. Savoir quand émettre quelle offre dépend de la distance qui sépare l’usager du marché de l’emploi. A cet effet, on a développé aux Pays-Bas la « mesure des opportunités » (« kansmeter ») (Bunt et al, 2000). En Flandre, on a préféré ne pas déterminer au préalable les opportunités sur le marché de l’emploi, mais laisser l’initiative de la recherche à l’usager pendant un certain temps. Toutefois, dans le cadre du diagnostic, on recourt également à un entretien individuel qualificateur [instrument de mesure de la maturité au travail (« Ari: arbeidsrijpheidsinstrument »)]. Différentes répartitions en groupes cibles sont envisageables. Les Pays-Bas ont instauré la division en phases. Cette répartition permet de faire une estimation de la distance qui sépare l’usager du marché du travail. Sur la base de cette division en phases, on peut recourir de manière plus ciblée à des instruments spécifiques. Dans la phase 1, on attend des usagers qu’ils soient à même de trouver eux-mêmes du travail et ceci dans un délai de six mois. Les instruments sont axés sur une médiation directe et un retour sur le marché du travail. Les usagers de la phase 2 sont censés avoir besoin d’un cours ou d’une formation appropriés parce que l’on s’attend à ce qu’ils aient besoin de plus de six mois. Après un laps de temps de maximum un an, le demandeur d’emploi doit de nouveau être disponible pour le marché de l’emploi. Pour les usagers de la phase 3, les prévisions d’un retour au travail portent sur plus d’un an et les instruments à mettre en œuvre sont plus intensifs. Les usagers de la phase 2 et de la phase 3 reçoivent une offre de médiation par le biais d’un parcours d’insertion. Une distance infranchissable sépare les usagers de la phase 4 du marché du travail. Du fait de lourds obstacles personnels, il n’est guère possible de recourir à court terme à des instruments de marché du travail. Ici, l’accent est mis sur l’attention.

750


LE PARCOURS D’INSERTION AUGMENTE-T-IL LES CHANCHES DES CHOMEURS DANS LEUR RECHERCHE D’UN EMPLOI ?

Selon une étude comparative (MSZW, 2001), cette répartition en groupes cibles est déterminante pour le timing et l’offre proposée. Aux Pays-Bas, qui s’appuient tout comme en Suède sur une répartition en phases, une offre est faite relativement vite aux jeunes. La Belgique convoque le jeune après 3 mois, tandis que les adultes le sont après 6 mois. Chez nos voisins, il n’en va pas de même : l’offre faite aux adultes diffère dans le temps qui ne peut cependant excéder 12 mois après la première inscription. En Flandre, on recourt entre autres à une évaluation des risques. Les chances des bénéficiaires d’obtenir une médiation dans le cadre d’un parcours d’insertion diminuent au fur et à mesure que les facteurs de risque (caractéristiques liées à la personne) se cumulent chez l’usager. Les facteurs de risque (VDAB, 1999) dont il est tenu compte sont : le sexe (les femmes ont moins de possibilités) et le niveau d’éducation (un faible niveau d’éducation est synonyme de possibilités moindres). Parmi d’autres facteurs de risque, citons : un âge supérieur à 30 ans et une durée de chômage supérieure à deux ans. Par ailleurs, le fait d’être non belge, peut être indiqué comme facteur de risque supplémentaire (PWR, 1999).

2.2.2.

Travail sur mesure Le travail sur mesure suppose des conseils individualisés à l’intérieur d’une stratégie axée sur des groupes cibles. Le travail sur mesure a pour objectif de présenter ce type de programmes sans tomber dans le piège de la généralisation avec les éternels dépliants explicatifs et les classiques formations standard. La standardisation se heurte à la réalité des variations individuelles dans la population. La tentation est cependant grande d’uniformiser la politique menée. Les raisons sont de deux ordres : souvent, les usagers n’ont pas conscience de leurs potentialités et il est difficile pour les accompagnateurs du parcours d’insertion d’en avoir une image précise. Par ailleurs, la composition du groupe cible des demandeurs d’emplois évolue aussi rapidement. Brander et Geerlof (2000) déclarent par exemple que les femmes ayant des ambitions d’entrepreneur formaient, voici quelque dix ans, un fer de lance dans la politique, mais qu’actuellement, les nouvelles « entrepreneuses » ne se distinguent plus qu’à peine des nouveaux entrepreneurs. Néanmoins, pour chaque demandeur d’emploi, un accompagnement sur mesure doit être défini. De concert avec le consultant (accompagnateur de parcours d’insertion), une voie est balisée en vue de l’acquisition d’un emploi, en tenant compte des aptitudes, des limitations et des besoins de l’usager. En fonction de la formation et de l’expérience, le demandeur d’emploi parcourt un certain nombre de modules dans la quête commune d’un emploi. Plusieurs modules différents peuvent être choisis au cours du préparcours ou pendant l’intervention. Lors de la pose d’un premier diagnostic, des tests de langue, de niveau et de choix professionnel peuvent être utilisés. On accorde alors également un accompagnement lors de la sélection des choix. Ce faisant, il est tenu compte 751


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des capacités et des limites de l’usager ainsi que des perspectives du marché de l’emploi. En outre, l’usager peut également être suivi dans son écolage, envoyé en stage où il peut même être accompagné. Les propositions de parcours peuvent être limitées dans le temps (uniquement médiation pour les usagers mûrs pour le marché du travail) ou être plus longues (intensives avec éventuelles actions spécifiques en vue d’une formation à la sollicitation, d’une formation personnelle, d’une formation technique spécialisée ou d’une formation sur le terrain). Un parcours d’insertion comporte surtout des recyclages à l’aide de cours, l’acquisition d’une expérience de travail et, en fin de compte, le placement final. Dans la pratique, les activités de l’accompagnateur de parcours d’insertion sont focalisées sur la politique de formation et d’emploi. Le parcours d’insertion emprunte la piste du demandeur d’emploi sans suivre systématiquement celle de l’employeur (Van den Berg, 1996). L’objectif final du parcours d’insertion est pour ainsi dire toujours de décrocher un emploi dans le circuit normal du travail.

2.3.

PRESSION SUR LES ACCOMPAGNATEURS ET LES OPERATEURS DE PARCOURS D’INSERTION

2.3.1.

Liberté de choix limitée Malgré le travail sur mesure, la liberté de choix de l’usager au sein du processus de réintégration est limitée. Cette liberté serait uniquement possible si l’on expérimentait avec des budgets de réintégration individuels. Elle est également conditionnée par la transparence de l’offre de modules des opérateurs de circuits d’insertion, à l’instar de l’Australie et des Etats-Unis (Arents, et al, 2001). Dans ces deux pays, les demandeurs d’emploi peuvent choisir dans une liste présélectionnée d’organismes, l’opérateur dont ils vont requérir les services. Ils peuvent disposer eux-mêmes d’un budget spécialement affecté à cet effet. En Belgique et aux Pays-Bas, c’est l’organisme exécutant qui choisit l’organisme de réintégration auquel est adressé l’usager. Une plus grande liberté de choix demanderait, comme en Australie et aux EtatsUnis, la publication de listes parmi lesquelles l’usager pourrait comparer les prestations et les coûts des diverses organisations à l’aide de critères. Aux Pays-Bas, une expérience a été faite avec des budgets de réintégration personnels (« Persoonsgebonden reïntegratie budgetten ») (Bosselaar, 2001). Les demandeurs d’emploi pouvaient faire usage d’un budget d’environ 4.500 euros pour une année. L’affectation de ce montant faisait l’objet d’une vérification marginale. Bosselaar (2001) observe que les experts-placeurs éprouvent des difficultés à apprécier les dépenses proposées des usagers. Pour plusieurs usagers, ce système vise trop haut. Cette formule a au moins un mérite en ce sens que l’on assiste à un réaménagement des responsabilités : l’usager maîtrise mieux sa propre réintégration. Les bénéficiaires qui ont pu recourir à ce budget étaient généralement des personnes ayant bénéficié d’un degré de scolarisation élevé.

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LE PARCOURS D’INSERTION AUGMENTE-T-IL LES CHANCHES DES CHOMEURS DANS LEUR RECHERCHE D’UN EMPLOI ?

2.3.2.

Pression sur les usagers Le parcours d’insertion est basé sur un modèle d’accompagnement psychologiquement complexe parce qu’il demande une réorientation des chômeurs (de longue durée), une acceptation de la quête commune et une orientation personnelle visant à combler les lacunes. Le tout, toujours dans la perspective de retrouver le plus vite possible un emploi rémunéré. Cette approche doit former les fondations d’une amélioration des chances de chômeurs difficiles à placer. Par ailleurs, l’accompagnement est une affaire délicate parce qu’il contient toujours la menace de la perte de la prestation financière lorsque l’usager ne participe pas – voire n’en est pas capable – avec motivation à cette démarche. Un autre point épineux est lié à l’usager, qui tout en acceptant ses propres déficiences risque de se sentir en position de faiblesse par rapport aux experts et aux possibilités de l’accompagnateur et de l’opérateur du parcours d’insertion.

2.3.3.

Orientation sur les résultats et sur les usagers Le concept central est le suivant : chacun est digne de bénéficier d’un accompagnement et de trouver du travail. Quasiment, chacun est accepté dans cette procédure, indépendamment du cumul des facteurs de risque et de la répartition en phases (à l’exception des usagers de la phase 4). Des accompagnateurs du parcours d’insertion, on attend une ‘certaine production’ parce que la barre a été placée haut. Les accompagnateurs doivent se focaliser sur les résultats et sur leur public. Ils doivent abandonner leurs anciens modes routiniers de fonctionnement, étayés par l’expérience et l’histoire, pour les renouveler. Ils doivent s’ouvrir à la communication, être prêts et capables de nouer des liens de partenariat avec le chômeur. Cette concurrence exacerbée sur le marché de la réinsertion reflète le travail de l’accompagnateur. L’évolution de ce marché entraîne un plus grand dynamisme : caser un grand nombre de chômeurs à un prix raisonnable (Aarts et Velema, 2000). Dès lors naît une tendance visant à fixer au préalable un nombre d’usagers par accompagnateur (« case-load ») et un quota d’usagers prioritairement « ciblés » pour lesquels, le cas échéant, on peut même compter en minutes. Avec pour éventuelle conséquence que les usagers difficiles à accompagner sont laissés sur le carreau alors qu’en principe, une solution sur mesure doit permettre une certaine latitude. Cette façon d’aiguillonner l’accompagnateur et l’usager donne forme à une dépendance mutuelle. L’usager ressent une pression tout aussi forte pour s’engager dans les propositions de parcours d’insertion établis par les accompagnateurs. Dans ce processus de prise de conscience, l’usager est managé par l’accompagnateur du parcours. Ce changement dans la réflexion politique sur la sécurité sociale illustre la transition de la protection à l’activation (Deleeck, 2000).

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2.3.4.

Feed-back rapide Etre orienté sur les résultats et sur le public exige un feed-back rapide. Or, souvent, cette condition fait défaut. C’est tout autant le cas en Flandre qu’aux Pays-Bas. Il ressort de l’étude néerlandaise de Bergsma et Hazelaar (2001) qu’un usager qui introduit une demande d’allocation de chômage n’est pas directement conseillé sur la recherche d’un emploi vacant approprié. L’idée de travail n’est pas à l’ordre du jour lors de la demande. En premier lieu, des informations sont collectées sur le droit, la durée et l’importance de l’allocation. Outre cette vérification des critères formels d’admission, l’attention se porte aussi sur les critères plus subjectifs de savoir si la personne est responsable de son chômage. Plus tard seulement, lorsque intervient une dépendance à l’allocation, il est question de travail. Selon Bergsma et Hazelaar, la structure de financement n’y est pas étrangère, parce que les opérateurs ne sont pas indemnisés pour les actes qui précèdent la demande d’un soutien financier.

2.3.5.

Problème d’information Du fait de la grande diversité tant du côté de la demande que de l’offre, les travailleurs et les employeurs ne peuvent apprécier que difficilement jusqu’à quel point ils répondent aux attentes posées par l’autre partie. Les employeurs et les travailleurs sont confrontés à un problème d’information (Wets & Dewitte, 1997), ce qui entraîne un grand flou que l’on pourrait lever si on rendait plus accessibles les informations utiles sur l’offre des demandeurs d’emploi, voire sur la nature des emplois vacants (voir aussi Van den Berg et al, 1996).

2.3.6.

Organisations de réseau L’approche par parcours d’insertion exige un bon ancrage de l’opérateur du parcours d’insertion dans un réseau de dispositifs et d’institutions (van Gunst & Pennings, 1995). Du fait de la diversité des institutions qui offrent de l’aide et des multiples voies d’insertion mises en place, plusieurs opérateurs jouent un rôle dans les possibilités offertes à l’usager. Il n’y a pas que l’usager qui ait une certaine distance par rapport au marché de l’emploi; cette distance existe également dans le chef des organisations de parcours d’insertion. Cette distance est raccourcie si l’opérateur entretient de bons contacts avec d’autres organismes susceptibles d’offrir une aide sociale, de fournir un travail socioculturel ou qui sont proches de dispositifs éducatifs et qui entretiennent des liens étroits avec des lieux où peut s’acquérir une expérience de travail voire s’effectuer un placement. Comme aux Pays-Bas, où se développent des Centres pour le Travail et le Revenu [Centra voor Werk en Inkomen (CWI)], il est important que les usagers puissent s’adresser à un guichet pour les principaux services ad hoc qui se rapportent à l’ensemble du processus de réintégration. Les opérateurs doivent de plus en plus s’organiser en réseau capable de déployer des dispositifs ou de jouer rapidement un rôle d’intermédiaire (van Gunst & Pennings, 1995).

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LE PARCOURS D’INSERTION AUGMENTE-T-IL LES CHANCHES DES CHOMEURS DANS LEUR RECHERCHE D’UN EMPLOI ?

En Flandre, nous assistons à un glissement de la politique d’emploi vers le niveau local par le biais du concept de « werkwinkel » (boutique de travail). Ici, aussi, l’on souhaite instaurer le guichet unique, le principe d’un seul dossier par usager. Le “werkwinkel” au niveau communal remplit deux fonctions : la prestation intégrée de services de base pour demandeurs d’emploi et l’emploi de services. Le “werkwinkel” coordonne les actions qui sont offertes par le VDAB, les agences locales pour l’emploi, les services de proximité (ALE), le CPAS, les ATB et les organisations locales qui se consacrent à l’accompagnement des chômeurs (fonction de portail). Pour 2004, on prévoit en Flandre la création de 120 à 140 ‘werkwinkels’ (Source : VDAB rapport annuel 2000).

3.

PERCEPTION DES CHANCES : POSSIBILITES APPORTEES PAR LE PARCOURS D’INSERTION

3.1.

UN RESULTAT POSITIF : LA RECONNAISSANCE DES CHANCES Pour peu que le parcours d’insertion s’apparente à une sorte de pression sociale, son succès dépend aussi de la manière dont cette influence prend forme au sens psychologique. Intrinsèquement, l’objectif est qu’au cours de son parcours d’insertion, l’usager se persuade que ses chances d’intégrer le marché du travail sont meilleures que sans accompagnement. La pression sociale a pour premier effet d’améliorer les attitudes et les qualifications de l’usager. Lorsque le parcours d’insertion est réussi, l’usager percevra sa situation autrement qu’auparavant. En particulier, il percevra des opportunités qui, de prime abord, n’existaient pas (à ses yeux). Pour peu qu’il appréhende ses nouvelles potentialités – d’autant qu’il a bénéficié de programmes de formation –, on escompte bien qu’il les saisisse pour renforcer sa position. Notre point de départ est le suivant : si le parcours d’insertion se veut efficace, il doit donner lieu à certains résultats qui, d’après nous, doivent être compris par l’usager comme de nouvelles opportunités. Dans les études sur l’employabilité aussi, cette “chance d’entrée” – c’est-à-dire la possibilité d’obtenir un emploi – constitue le point de départ (de Grip & Sanders, 2001). L’employabilité consiste en la capacité et la volonté des personnes à obtenir un emploi et à le conserver (MOCW, 1998). Ce « visa » est avant tout fonction des qualifications du chômeur. La valeur de ses qualifications dépend des besoins du marché du travail. Ainsi, cette chance est liée tant aux caractéristiques de l’individu qu’aux opportunités sur le marché de l’emploi.

3.1.1.

Image positive des opportunités grâce au parcours d’insertion Dans une enquête réalisée en Flandre sur 471 usagers, tous participants d’un parcours d’insertion, nous nous sommes intéressés à leur autoperception eu égard à leurs opportunités. Nous faisons figurer une brève description de l’étude dans l’annexe 1. La perception des opportunités est déterminée à l’aide d’échelles de cinq 755


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points (de type Likert) qui portent sur une interrogation : jusqu’où, le parcours d’insertion accroît-il les possibilités d’amélioration de la situation. L’amélioration des opportunités se réfère notamment à : le fait de trouver un emploi fixe ; l’acquisition de compétences professionnelles meilleures et en plus grand nombre ; une plus grande confiance en soi ; l’amélioration de la situation financière ; l’augmentation du nombre de contacts ; un travail pas trop éloigné ; l’accroissement du nombre d’offres d’emploi ; un travail mieux en harmonie avec les souhaits et les préférences propres. Il ressort du tableau 1 que le groupe cible apprécie positivement les opportunités perçues d’amélioration de sa situation. Nous constatons dans ce tableau 1 que 53% des personnes interrogées confirment que le parcours d’insertion augmente les opportunités de travail par rapport aux personnes non accompagnées, 33% se disent plus ou moins d’accord et 14% ne sont pas d’accord ou sont sans opinion. 74% des personnes interrogées pensent avoir plus de chances de décrocher un emploi fixe et 48% entérinent pleinement le fait que leur situation est améliorée. Il va de soi que nous ne pouvons fermer les yeux sur le pourcentage d’usagers chômeurs sceptiques. Par exemple, 23% des usagers expriment leur désaccord (ou se déclarent sans opinion à ce sujet) sur le fait que la confiance en soi augmenterait grâce au parcours d’insertion, 30% des usagers chômeurs ne voient dans ce programme aucune raison d’amélioration de leur position financière (même pas dans le futur) et 19% trouvent que le parcours ne tient aucun compte, voire insuffisamment, des préférences et des souhaits personnels. Seulement, 43% sont convaincus qu’un emploi fixe les attend, 31% sont plus ou moins d’accord et 26% pensent que c’est illusoire ou n’expriment aucune opinion. Nous en concluons que le parcours d’insertion est apprécié de manière globalement positive. L’usager voit augmenter ses chances grâce à ce système. Au sein du groupe, nous relevons cependant un grand nombre de variations. Cette variabilité demande quelques explications. Comment se fait-il que certains usagers se montrent plus positifs à l’égard du parcours d’insertion que d’autres ? Dans la suite du présent article, nous tenterons de trouver certaines explications à cette situation.

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LE PARCOURS D’INSERTION AUGMENTE-T-IL LES CHANCHES DES CHOMEURS DANS LEUR RECHERCHE D’UN EMPLOI ?

TABLEAU 1: APPRECIATION PAR L’USAGER CHOMEUR DE SES CHANCES D’AMELIORER SA SITUATION GRACE AU PARCOURS D’INSERTION (EN %) Amélioration des opportunités de

Pas du tout d’accord

1. Travail 2. Amélioration de la situation 3. Augmenter ses compétences professionnelles 4. Acquérir une plus grande confiance en soi 5. Une meilleure position financière 6. Plus de contacts 7. Meilleur accrochage aux souhaits et préférences personnels 8. Travail dans les environs 9. Tenir compte de circonstances personnelles 10. Plus d’offres d’emploi 11. Trouver un emploi fixe

4.

Plus ou Ni d’accord Plus ou moins en ni en moins désaccord désaccord d’accord

Tout à fait d’accord

2% 3% 3% 4% 4% 2%

3% 3% 3% 4% 6% 3%

9% 11 % 13 % 15 % 20 % 8%

33 % 35 % 31 % 33 % 28 % 34 %

53 % 48 % 50 % 44 % 42 % 53 %

3% 3% 2% 5% 4%

3% 4% 5% 3% 5%

13 % 18 % 12 % 16 % 17 %

35 % 35 % 34 % 34 % 31 %

46 % 40 % 47 % 42 % 43 %

FACTEURS INFLUENCANT LA PERCEPTION DES OPPORTUNITES Parce que nous avions constaté que les usagers variaient dans la perception de leurs possibilités, nous avons cherché ce qui pouvait éventuellement expliquer cette différence. Ce faisant, nous avons porté notre attention sur trois facteurs plausibles, susceptibles d’influencer la perception des opportunités. Ces facteurs se rapportent à la manière dont les usagers (à leurs yeux) sont approchés par l’accompagnateur et/ou par l’organisme de parcours d’insertion. Les facteurs examinés sont les suivants : (1) le vécu de la pertinence et de l’équité de la procédure du parcours d’insertion, (2) le degré d’implication de l’usager du fait de sa participation à l’organisation et à la réalisation du parcours, et (3) le degré de confiance de l’usager dans l’accompagnateur et dans l’opérateur du parcours d’insertion. A notre avis, ces trois facteurs peuvent exercer une influence sur le degré d’appréciation des usagers de leurs opportunités et sont ainsi décisifs dans la réussite du programme. Par facteur examiné, nous avons par ailleurs étudié s’il existait des différences statistiques pour deux sortes de caractéristiques. Il s’agit de deux caractéristiques liées au système, à savoir le type de parcours (bref ou long) et l’institution qui pourvoit au parcours (VDAB ou autres). Enfin, nous analysons une caractéristique de la répartition (sensibilité de l’usager au risque).

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SCHEMA 1 : APERCU DES FACTEURS EXAMINES Caractéristiques du système • •

VDAB ou autres Parcours limité ou long

Caractéristique de répartition (sensibilité au risque) • • • • •

4.1.

Sexe Age Nationalité Durée du chômage Formation

Procédure intègre

Confiance - Accompagnateur - Système

Participation - Instrumentale - Non instrumentale

Chances perçues d’amélioration de la position grâce au parcours d’insertion

PROCEDURES INTEGRES Le parcours d’insertion s’articule notamment autour de procédures, d’attributions et de décisions. Les procédures sont d’autant qualifiées d’équitables qu’elles sont intègres, transparentes et respectueuses des intérêts de l’usager (Schoormans & von Grumbkow, 1988). C’est un fait avéré que des bénéficiaires de prestations, persuadés de la pertinence et de l’intégrité des procédures, adoptent à l’égard des instances responsables une attitude plus loyale et respectueuse des règles établies (Schoormans & Syroit, 1989). Mais, qu’est-ce qu’une procédure intègre dans le cadre du parcours d’insertion ? Pour répondre à cette question, nous avons recours au modèle théorique de Leventhal (1980). Il part du principe que chaque individu possède un plan cognitif pour les événements qui précèdent une répartition (ou une attribution) de moyens ou de produits. Au sein du système du parcours d’insertion sont prises des décisions formelles et informelles. Le chômeur apprécie la manière dont cela se produit et la procédure qui mène aux décisions dans la mesure où celles-ci sont à son avis intègres et justes. Une procédure est intègre et juste lorsqu’elle se conforme, selon Leventhal, à un certain nombre de règles. Parmi celles-ci, nous reprenons les suivantes : La règle de cohérence. Cette règle renvoie au principe de l’égalité des chances pour tous. L’accompagnateur du parcours d’insertion ainsi que le système doivent traiter tous les usagers d’une manière identique. La règle de précision. Cette règle implique que l’information reçue par l’usager sur le parcours d’insertion qui le concerne, soit exhaustive, minutieuse et pertinente.

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LE PARCOURS D’INSERTION AUGMENTE-T-IL LES CHANCHES DES CHOMEURS DANS LEUR RECHERCHE D’UN EMPLOI ?

La règle de rectification. Cette règle postule que les réclamations doivent être traitées avec soin. Des décisions injustes doivent, par exemple, être rectifiées par le biais d’une procédure d’appel. L’usager doit disposer de la possibilité absolue de modifier quelque chose. La règle de la représentativité. Lors de la prise de décision, il faut tenir compte du mode de vie de l’usager (religion, opinion sur le travail, et autres). Un travail sur mesure implique que l’usager soit approché comme un individu. C’est-à-dire avec respect pour ses conceptions philosophiques personnelles. La règle de l’éthique. Le système du parcours d’insertion et le mode de travail de l’accompagnateur du parcours d’insertion doivent être ressentis par l’usager comme intègres et justes. Les usagers chômeurs exigent, comme toute autre personne, d’être traités avec respect.

Dans notre étude, nous avons déterminé le degré d’appréciation de l’intégrité du parcours d’insertion en interrogeant les usagers sur certains des aspects du programme. Nous produisons ici quelques exemples de questions que nous leur avons soumises : La procédure octroie-t-elle à tous les chômeurs le même nombre de possibilités ? L’accompagnateur du parcours d’insertion traite-t-il tous les chômeurs de la même manière ? Dans quelle mesure, les informations dispensées sont-elles précises et pertinentes ? Les plaintes sont-elles traitées soigneusement ? Le système et l’accompagnateur sont-ils intègres et justes ? Notre étude démontre (voir figure 1) un lien positif entre le degré d’intégrité et d’équité des procédures et la perception des opportunités. Sur l’axe X, on peut lire comment sont perçues les procédures en termes d’intégrité et d’iniquité. Sur l’axe Y, nous trouvons les opportunités perçues. Nous constatons que le sentiment des opportunités s’améliore lorsque le traitement réservé à l’usager est ressenti comme plus intègre. La corrélation entre les deux variables est grande et positive (r = .62; N = 467; p < .001). Cela signifie que l’inverse est également vrai. L’approche par parcours d’insertion n’exerce manifestement pas d’effets sur les usagers ayant une image négative des procédures. Si nous tenons compte des règles de pertinence procédurale de Leventhal, nous observons qu’une attitude générale positive à l’égard du système est favorable à la perception des opportunités. Le chômeur convaincu que le système du parcours d’insertion fournit à tous le même nombre de chances et que le programme est intègre et juste, entrevoit plus de possibilités que le chômeur qui adopte une attitude négative par rapport au parcours d’insertion. Par ailleurs, notre étude fait également apparaître que la manière dont l’usager perçoit son accompagnateur

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de parcours d’insertion exerce également une influence sur les opportunités. Lorsque l’usager est persuadé que son accompagnateur traite tout le monde d’une manière identique et dispense des informations de façon précise et pertinente, sa perception des opportunités s’en voit améliorée. Si les règles énumérées de pertinence procédurale ne sont pas respectées, les possibilités sont ressenties comme moins nombreuses. Nous en concluons que les parcours d’insertion exercent une influence sur les possibilités des chômeurs. Des procédures équitables contribuent réellement et positivement à la perception des opportunités. Les usagers qui, d’après leurs propres dires, sont traités de façon équitable obtiennent des scores plus positifs à l’égard des résultats escomptés du parcours d’insertion que ceux qui affirment être traités moins équitablement.

FIGURE 1: LE LIEN ENTRE LE VECU DES PROCEDURES EQUITABLES (EN TROIS CLASSES) ET LA PERCEPTION DES POSSIBILITES LIEES AU PARCOURS D’INSERTION DU POINT DE VUE DES USAGERS SELON LA LONGUEUR DE LEUR PARCOURS (LONG OU LIMITE). Chances d’amélioration de la situation Kans op positieverbetering

Chances (de faiblestot à grandes) Kansen (laag hoog)

55

50

45

Parcours Traject

40

Limité beperkt 35

inéquitable unfair

Faire procedures 4.1.1.

relativement intègre enigszins unfair

intègre fair

Long uitgebreid

Procédures intègres

Parcours d’insertion limités ou longs Si nous comparons ensuite les usagers qui suivent un parcours d’insertion long avec les participants d’un parcours limité, nous remarquons (voir figure 1) que des procédures moins intègres n’exercent pas le même effet. Dans le cadre des parcours d’insertion longs, les procédures moins intègres exercent plus d’effets négatifs sur les opportunités que dans le cadre de parcours brefs. Une possible explication réside

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LE PARCOURS D’INSERTION AUGMENTE-T-IL LES CHANCHES DES CHOMEURS DANS LEUR RECHERCHE D’UN EMPLOI ?

dans le fait que, dans un parcours d’insertion long, un plus grand nombre d’éléments est susceptible de mal se passer que dans un programme de courte durée (médiation uniquement). Le cycle d’accompagnement dure plus longtemps et il y a plus de points d’action. Les parcours d’insertion longs supposent plusieurs conditions dans le chef de l’usager : davantage de rapports avec son accompagnateur (entretiens en vue de mesurer les progrès, moments d’évaluation), attitude active et motivation constante. De ce fait, le participant est plus en plus souvent confronté à des procédures et à des règles. Ses côtés faibles sont rabotés par des formations et des recyclages supplémentaires. Dans les parcours d’insertion longs, un sentiment de frustration est susceptible d’intervenir plus tôt. Aussi, il risque d’exercer plutôt un effet sur les opportunités perçues d’amélioration de la situation. Cela n’enlève rien au fait que les parcours d’insertion longs soient vécus par la moyenne des usagers plus positivement que les parcours limités (p < .001; N = 467). Les règles de justice (Leventhal, 1980) qui indiquent si une procédure est équitable, sont plus élaborées dans le système des parcours d’insertion longs. Le participant à un parcours d’insertion long est - contrairement à l’usager inscrit à un programme limité - à la fois plus positif à l’égard de son traitement par le système du parcours d’insertion (p < .001 ; N = 468) que par l’accompagnateur du parcours (p < .001 ; N = 468). Ce résultat de l’étude plaide pour un recours plus large aux parcours d’insertion longs et pour une analyse des règles de justice dans les parcours brefs. Lorsque les procédures ne sont pas ressenties comme inéquitables, il n’existe que peu de différences entre les parcours d’insertion longs et limités. Une évaluation des coûts/bénéfices en fonction de l’efficacité sort quelque peu du cadre de cette étude. Un parcours d’insertion long exige plus de temps et de présence humaine. En outre, cette procédure est plus onéreuse. Toutefois, il faut également porter en ligne de compte l’effet de récupération. Si l’usager ou l’accompagnateur du parcours d’insertion (ou l’organisme chargé de ce parcours) obtiennent trop peu de résultats, le parcours d’insertion n’offre qu’une pertinence sociétale trop réduite. Si l’usager entrevoit vraiment pour lui-même insuffisamment d’opportunités, un parcours d’insertion limité est plus recommandé.

4.1.2.

VDAB et autres En comparant la moyenne des réactions à la question de la pertinence et de l’intégrité ressenties des procédures du parcours d’insertion, nous obtenons une différence statistique significative entre les organismes chargés du parcours d’insertion (p <.001 ; N = 468). En règle générale, les usagers du VDAB estiment qu’ils disposent de moins d’opportunités et n’obtiennent pas un traitement uniforme. Une analyse plus détaillée des règles de justice (Leventhal, 1980) permet de détecter que toutes sont concernées par cette différence. Les usagers du VDAB ont une opinion moins positive sur les procédures par rapport au public d’autres organismes. Ceci vaut tout 761


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autant pour la cohérence (égalité des chances pour tous), la pertinence (information correcte), la rectification (traitement des réclamations), la représentativité (respect des opinions) que pour l’éthique (intègre et juste).

TABLEAU 2: MANIERE DONT LES USAGERS CHOMEURS ENGAGES DANS UN PARCOURS D'INSERTION PERCOIVENT LES PROCEDURES DU VDAB OU D'AUTRES OPERATEURS DE PARCOURS D'INSERTION (TIERS, ATB, ETC.). LES MOYENNES SONT RESTITUEES SUR UNE ECHELLE A 10 POINTS ORGANISME DISPENSATEUR DU PARCOURS D’INSERTION VDAB Variable Règle de la cohérence Règle de la précision Règle de la rectification Règle de la représentativité Règle d’éthique

AUTRES

M

SD

MIN

MAX

n

M

SD

MIN

MAX

n

7,50 8,03

2,16 1,82

2 2

10 10

301 301

8,38 8,52

1,81 1,71

2 2

10 10

170 170

7,65

1,86

2

10

301

8,25

1,81

2

10

170

7,46 8,12

1,93 1,83

2 2

10 10

301 301

8,08 8,79

2,14 1,49

2 2

10 10

170 170

Le fait que les autres organismes (CPAS, ATB, tiers) se sont mieux organisés sur le plan des procédures en ciblant certains sous-groupes - par exemple, femmes faiblement qualifiées, chômeurs de longue durée, minimexés, migrants et autres – est peut-être un facteur d’explication. Une approche individuelle et un travail sur mesure constituent déjà depuis longtemps une composante implicite de leur action dans le domaine du parcours d’insertion. Le VDAB fonctionne depuis moins longtemps comme un organisme mettant en œuvre des parcours d’insertion. Cet avantage du point de vue de l’expérience acquise quant à la méthode explique les success stories d’autres organismes. “Nous avons déjà aidé beaucoup de chômeurs qui se trouvaient dans une position similaire à la vôtre à trouver du travail”, est une formule qu’il nous arrive d’entendre. Les autres organisations se chargeant de parcours d’insertion fonctionnent de manière plus individuelle et disposent de structures organisationnelles moins complexes. Ce résultat de l’enquête plaiderait en faveur d’approches à plus petite échelle. Il faut s’attendre à un mouvement de rattrapage dès que le VDAB aura atteint pleinement sa vitesse de croisière. D’autres organismes assumant des parcours d’insertion réussissent manifestement mieux, du moins aux yeux de l’usager, à renforcer la position relative du chômeur à risque par la création de conditions connexes meilleures (plus grande proximité, plus identifiable). Selon Nicaisie et Bollens (1995), il s’agit de certains des aspects essentiels des programmes de formation dans le cadre d’une politique de marché active. 762


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Il serait souhaitable que les institutions concernées, et pas uniquement le VDAB, analysent leurs propres procédures dans la mesure où celles-ci sont perçues comme étant équitables, voire inéquitables.

4.1.3.

Caractéristiques de risque Le VDAB (1999) rapporte que les possibilités de médiation diminuent dès que l’on cumule deux facteurs de risque (objectifs) ou plus. Les facteurs de risque qu’il évoque sont : le sexe, un faible niveau de formation, être âgé de plus de 30 ans, une durée de chômage supérieure à deux ans et une nationalité étrangère (non belge). Le cumul de deux facteurs de risque ou plus n’a cependant, selon notre enquête, que peu d’influence sur l’appréciation de l’amélioration de la position par le biais du parcours d’insertion. Cette donnée pourrait être une confirmation en sens positif du succès de l’organisation de l’opérateur du parcours d’insertion. L’usager chômeur doit en effet suivre un programme sur mesure qui ne tient pas seulement compte des caractéristiques de sa qualification, de la nature et de la durée de son chômage, mais encore d’autres caractéristiques contextuelles, parce que celles-ci peuvent aussi s’avérer importantes lors de la rentrée sur le marché du travail (Van den Berg et al, 1996). En matière de vécu des procédures du parcours d’insertion, nous trouvons effectivement des différences significatives pour les usagers chômeurs qui cumulent plus de deux facteurs de risque (p < .004 ; N = 468). Ceux-ci estiment qu’ils sont traités de manière moins cohérente (le système du parcours d’insertion leur procure moins de chances), que le système est moins perfectible (les éventuelles réclamations sont traitées moins soigneusement par l’accompagnateur du parcours ou par le système) et moins représentatif (le système du parcours tient moins compte de leur mode de vie et de leur opinion sur le fait d’aller travailler) et est moins intègre (le système est moins équitable). Une analyse plus approfondie démontre que, dans notre étude, la seule caractéristique distinctive est le sexe (analyse régression, procédure progressive) (p < .002 ; N = 468). Les autres caractéristiques de risque ont une influence propre, indépendante sur la perception des chances. Les femmes entrevoient moins d’opportunités que les hommes. Ceci vaut notamment pour les possibilités de travail, l’amélioration de la situation, la plus grande prise en compte des circonstances personnelles. Un certain nombre de règles de justice est considéré par les femmes comme moins équitable que par les hommes. Une femme au chômage estime plus volontiers qu’un homme que l’on ne tient pas assez compte de son opinion sur le fait d’aller travailler et a moins peur de perdre son revenu de remplacement. Les femmes pensent encore qu’elles sont traitées de manière moins égalitaire. A notre avis, l’explication est à ramener aux différences dans la position qu’occupe encore et toujours la femme sur le marché de l’emploi. Différences qui se situent au niveau de la participation à l’enseignement, à la participation au marché de l’emploi, à la ségrégation entre professions masculines et fémi763


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nines, à la rémunération du travail accompli et à l’inégalité consécutive à des différences en matière de socialisation (il suffit de penser ici aux soins aux enfants). Des actions supplémentaires de soutien et un accompagnement plus long (parcours d’insertion long) pourraient aller de soi pour cette catégorie de risque. Tout le monde ne cherche pas un emploi avec la même ardeur. Une étude a constaté que, chez les tiers, 13 à 18% de ceux qui suivent une formation professionnelle (faisant partie d’un parcours d’insertion) n’avaient pas l’intention de chercher du travail (Nicaisie & Bollens, 1995). Cela peut provenir d’une multitude de raisons matérielles et psychosociales. Certains chômeurs sont satisfaits de leur statut et préfèrent qu’il ne soit pas modifié. Il est possible que la durée du chômage joue un rôle. Van Aelst (1999) parle d’une période d’optimisme, mais surtout au début de la période de chômage, on observe un effet négatif sur la santé mentale (dépression plus profonde, perte de l’estime de soi). Après quelque temps (2 ans), le chômeur semble toucher le fond (Taris, 1998). Dans notre étude, nous voyons cependant que le facteur de risque lié à la durée du chômage n’exerce pas d’effet négatif sur la perception des chances. Par contre, nous remarquons que, lorsque le chômage dure plus longtemps, l’usager chômeur trouve que ses plaintes sont traitées moins soigneusement. Des décisions incorrectes ne peuvent être redressées que difficilement. Il est vraisemblable que d’autres facteurs de risque que ceux examinés ici soient plus importants pour apprécier les opportunités de travail et pour ressentir l’équité des procédures. Parmi ces autres critères, nous pensons au revenu et à la situation familiale (avec ou sans enfants). En tant que critère subjectif, l’opportunité de la médiation peut être influencée par la volonté de travailler et de se sacrifier. Nous en concluons que les procédures sont qualifiées de plus intègres par le public d’autres organismes que par celui du VDAB. Selon l’usager, les parcours d’insertion longs reposent plus souvent sur des procédures perçues comme intègres que ce n’est le cas avec les parcours brefs. A partir du cumul de deux facteurs de risque, nous observons une influence négative sur le mode de perception des procédures du parcours d’insertion. Les femmes estiment que les procédures ne tiennent pas assez compte de leur mode de vie. Les usagers chômeurs de longue durée sont moins satisfaits par le soin apporté au traitement. Ces différences procédurales dans le parcours d’insertion exercent un impact sur la perception des chances.

4.2.

PARTICIPATION INSTRUMENTALE ET NON INSTRUMENTALE

4.2.1.

La notion de participation Participer (avoir son mot à dire) se réfère à la possibilité d’exercer une influence sur les décisions et/ou sur le processus décisionnel, éléments constitutifs du parcours d’insertion. Cette influence comprend une composante à la fois instrumentale et non instrumentale (personnelle). Nous sommes confrontés à une participation ins-

764


LE PARCOURS D’INSERTION AUGMENTE-T-IL LES CHANCHES DES CHOMEURS DANS LEUR RECHERCHE D’UN EMPLOI ?

trumentale lorsque l’usager est en mesure d’influer sur le contenu des décisions et est informé de manière optimale à cet effet. Cette forme instrumentale a donc à voir avec l’information et l’influence susceptibles d’orienter le contenu de la décision. La participation plus personnelle (non instrumentale) concerne la possibilité, en dehors de l’exercice d’une influence, d’être entendu. Parfois, cet aspect de la participation est aussi qualifié de « value-expressive approach » (voice) et peut être une condition à une participation instrumentale. Cette participation non instrumentale se réfère au sentiment de l’usager qui se persuade qu’il a son mot à dire dans les décisions à prendre et qu’il peut avoir confiance dans son accompagnateur conscient de ce qui l’intéresse et capable de traduire cette connaissance dans les orientations du parcours d’insertion. L’importance que peut avoir le comportement d’un accompagnateur de parcours est démontrée par les études classiques sur l’effet Pygmalion (Eden & Ravid, 1982). Il en ressort que lorsque l’on investit beaucoup dans un usager, cet investissement en soi exerce déjà une influence sur l’obtention de résultats objectivement meilleurs. Par ailleurs, ici, il ne s’agit pas uniquement des attentes des accompagnateurs, mais aussi de celles des accompagnés. L’impact différent des deux aspects de la participation sur le taux de satisfaction par rapport au contenu et au processus est confirmé par d’anciennes études (Korsgaard & Roberson, 1995). Les chercheurs en arrivent à la conclusion que la participation instrumentale exerce une grande influence sur la justesse ressentie d’un résultat décisionnel (« decision control »). La participation personnelle (non instrumentale) influe grandement sur le processus décisionnel (« process control »). Ce dernier est conditionné par l’attitude de l’accompagnateur (de parcours d’insertion) qui prend l’usager au sérieux, fait montre de son implication et accepte une collaboration réelle. L’enquête de Schoormans et Syroit (1989) fait également apparaître que les bénéficiaires d’allocations s’estiment traités plus justement lorsqu’ils ont pu faire mieux entendre leurs vœux, souhaits et opinions. Le fait d’avoir son mot à dire (“voice”) dans le déroulement du parcours entraîne, comme ils le démontrent, un taux de satisfaction plus élevé par rapport aux instances qui procurent les prestations. Dans un véritable lien de partenariat, l’intérêt de l’usager est mieux pris en compte. Il est en mesure d’exercer un contre-pouvoir (‘countervailing power’). L’implication et la participation impliquent que l’usager a plus de voix au chapitre quant à sa propre situation dans le parcours d’insertion. Un des résultats en est qu’il est en mesure de prendre ses responsabilités par rapport à la situation dans laquelle il se trouve. Sans voix au chapitre sur les décisions qui l’affectent personnellement, l’usager n’assume aucune responsabilité sur les conséquences possibles des décisions. Les études réalisées parmi les bénéficiaires d’allocations font ressortir que la perte de contrôle exerce un effet négatif sur la motivation d’améliorer sa propre position (Schoormans & von Grumbkow, 1985). Nous avons déterminé la participation instrumentale en demandant aux usagers de parcours d’insertion si - et jusqu’à quel point -, ils peuvent exercer une influence sur l’accompagnement de leur parcours et sont suffisamment avisés des possibilités de 765


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ce programme. Nous avons vérifié la participation (personnelle) non instrumentale, devant donner une meilleure prise aux usagers sur le processus (“process control ») en les questionnant sur la qualité de la relation avec l’accompagnateur de parcours. Nous leur avons demandé si, au cours des entretiens avec leur accompagnateur, ils pouvaient suffisamment exprimer leurs idées et sentiments propres et si l’accompagnateur était suffisamment au courant de leurs intérêts. Les résultats de notre enquête indiquent qu’une plus grande participation dans le parcours d’insertion aboutit à une contribution positive dans la perception d’un nombre plus élevé de chances sur le marché de l’emploi (r = .54 ; N = 469 ; p < .001). Les usagers qui, selon leurs propres dires, se sentent impliqués (de manière instrumentale et non instrumentale), se rendent compte que le parcours d’insertion a pour eux des conséquences positives. Ceci est à l’opposé des usagers qui ne ressentent pas cette possibilité de participation (voir figure 2).

FIGURE 2 : OPPORTUNITES D’AMELIORATION DE LA POSITION PAR RAPPORT AU DEGRE DE PARTICIPATION DU POINT DE VUE DES USAGERS SELON LA LONGUEUR DE LEUR PARCOURS (LONG OU LIMITE) Chances de la situation Kansen opd’amélioration positieverbetering

Chances (de faibles tot à grandes) Kansen (laag hoog)

52 50 48 46 44 42

Parcours Traject Limité beperkt

40 38

peu Weinig

Mate van inspraak 4.2.2.

moyen Matig

grand Veel

Long uitgebreid

Degré de participation

Parcours d’insertion longs ou limités Dans l’hypothèse d’un parcours d’insertion long, l’usager a plus d’occasions d’exercer une influence sur le processus décisionnel que dans un parcours d’insertion limité (p < .001 ; N = 469). L’information sur les possibilités offertes par le parcours

766


LE PARCOURS D’INSERTION AUGMENTE-T-IL LES CHANCHES DES CHOMEURS DANS LEUR RECHERCHE D’UN EMPLOI ?

d’insertion se déroule mieux selon que les contacts sont plus nombreux. C’est notamment le cas avec les parcours d’insertion longs. Les contacts plus nombreux permettent de forger un lien de confiance entre l’accompagnateur de parcours et l’usager. Ce dernier peut mieux s’épancher. L’accompagnateur obtient une meilleure perception de “l’histoire périphérique” de l’usager. Cela signifie en outre qu’une participation moindre dans le cadre de parcours d’insertion longs entraîne un effet négatif encore plus prononcé sur la perception des opportunités qu’une participation moindre dans le cadre d’un parcours limité (voir figure 2). Une autre explication des effets négatifs moindres liés à la piètre participation dans le cadre de parcours brefs réside dans le fait que ces programmes (raccourcis) sont réservés à des usagers mûrs pour le marché du travail qui, dès lors, ont besoin de peu d’actions et de moins d’implication.

4.2.3.

VDAB et autres Si nous comparons le public du VDAB avec celui d’autres institutions (CPAS, ATB, tiers), nous observons que le VDAB implique manifestement moins ses usagers et leur permet moins de participer que les autres opérateurs de parcours d’insertion. La différence dans le degré d’implication instrumentale est statistiquement significative (p < .001 ; N = 469). Pour ce qui est de la participation non instrumentale, cependant, aucune différence à signaler (p < .24 ; N = 469). En matière d’implication empathique, l’accompagnateur de parcours d’insertion du VDAB n’obtient donc pas un score plus mauvais que son collègue des autres organismes assumant la même mission. En revanche, il est possible que le premier soit limité dans son travail par certaines lois et règles qui n’autorisent l’implication instrumentale que dans une moindre mesure. Il existe donc une plus grande participation dans les autres organismes chargés de parcours d’insertion et dans les parcours d’insertion longs. Depuis toujours, le VDAB est responsable de la médiation, du placement et du recyclage des chômeurs. Les initiatives de tiers doivent leur naissance en partie au fait que les “noyaux durs de chômeurs” ne se voyaient pas accorder suffisamment de soutien. Ces noyaux durs exigent des méthodes de travail s’accompagnant à la fois d’un dialogue, condition majeure, et d’une influence moins directive. Il semble que le VDAB, plus que les autres institutions, ait un modèle opératoire dans lequel les facteurs d’influence sont ou étaient distillés par le « haut ». Il est possible que l’usager des opérateurs tiers de parcours d’insertion s’attribue plus volontiers la responsabilité des résultats produits par les parcours d’insertion. Selon l’usager, au VDAB, ce serait peut-être l’organisation elle-même (sa mission) qui en est responsable parce qu’il oriente plus volontiers le participant en tenant compte des offres. On pourrait mettre en parallèle le travail orienté sur l’offre et la demande et le travail partant respectivement du haut vers le bas ou du bas vers le haut. Si l’on veut améliorer la participation, il y a donc lieu de procéder à des adaptations du système.

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FIGURE 3 : CHANCES D’AMELIORER SA POSITION PAR RAPPORT AU DEGRE DE PARTICIPATION DES USAGERS DU VDAB ET DES AUTRES INSTITUTIONS d’amélioration de la situation Kansen opChances positieverbetering

52 Chances (de faiblestot à grandes) Kansen(laag hoog)

50 48 46 44 42 40 Parcours Trajectinstelling

38

Limité vdab

36 34

peu Weinig

moyen Matig

grand Veel

Long andere

Mate van inspraakDegré de participation

4.2.4.

Caractéristiques de risque La supposition – c’est-à-dire, celui qui cumule un plus grand nombre de facteurs de risque éprouverait moins le sentiment d’une participation instrumentale et non instrumentale – n’a pu faire l’objet d’une confirmation dans notre étude. Ceci constitue un signe positif, car, si l’idée de travail sur mesure était bien appliquée, prévaudrait alors, en fonction des antécédents de l’usager, une autre approche. A l’évidence, le principe d’un travail sur mesure est réalisé. L’usager ne suit pas un parcours d’insertion standard et n’est pas approché de manière uniforme, mais suit un programme taillé à sa mesure. Ce faisant, il est manifestement tenu compte dans les statistiques des caractéristiques de qualification ainsi que de la nature du chômeur et de la durée du chômage. En conclusion, nous avançons que les différences perçues dans les opportunités sur le marché du travail peuvent en partie être expliquées par des différences de degré de participation. Une participation plus intense signifie que, psychologiquement, le système du parcours d’insertion génère de meilleures chances. On trouve une participation plus grande dans les autres organismes se chargeant de parcours d’insertion et dans les parcours d’insertion longs. Selon leurs propres dires, les usagers présentant plus ou moins de facteurs de risque ne sont pas approchés sur un mode propre.

768


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4.3.

CONFIANCE

4.3.1.

La notion de confiance La politique à l’égard des usagers s’inspire parfois très largement, parfois partiellement, du modèle rationnel de choix. Ce modèle suppose que, dans toute la mesure du possible, les usagers chômeurs soient partants pour maximiser leurs avantages et minimiser leurs désavantages. Selon ce modèle, les usagers réagissent à l’accompagnateur et à l’opérateur du parcours d’insertion sur un mode instrumental, c’est-àdire d’une manière qui protège le mieux possible les intérêts propres. D’après ce modèle, l’interaction sociale entre l’usager et l’accompagnateur de projet est déterminée par la négociation. Du fait que l’on part du principe d’un conflit d’intérêts entre parties, les deux tentent de tirer le maximum de la négociation (Kramer & Tyler, 1996). Si les institutions chargées de la réinsertion recevaient plus d’incitations à la prestation, il en résulterait un plus grand intérêt financier à la réussite d’une intégration. Cela signifierait aussi que les rapports avec l’usager se situeraient sur un plan plus réaliste. Par ailleurs, cela exigerait de ces institutions de disposer d’un réseau adéquat avec les employeurs, les organismes sectoriels et les fédérations d’employeurs, dans le territoire géographique où elles opèrent en tant qu’institutions chargées d’une mission de réintégration. Ceci doit dès lors aussi être visible pour l’usager. Le modèle rationnel de choix mettant l’accent sur des motifs individualistes et matérialistes forme une part (non négligeable) de la réalité du parcours d’insertion. Un autre élément de cette réalité part de l’idée que les usagers ne sont pas seulement des décideurs rationnels, mais encore des décideurs sociaux. Les gens vivent et travaillent avec d’autres. Dans leurs interactions avec autrui, la confiance en l’autre joue un rôle crucial. Le modèle social conçoit la confiance comme une forme d’orientation sur autrui (Kramer & Tyler, 1996). Pour Mc Allister (1995), la confiance équivaut au degré d’acceptation selon lequel un individu est prêt à harmoniser ses propres valeurs, actes et décisions avec ceux de l’autre. Outre la volonté d’harmonisation, la confiance comporte un aspect d’attente. Les gens collaborent avec autrui parce qu’ils nourrissent l’espoir (la confiance) que ce qu’ils investissent ne sera pas exploité par l’autre. Ce faisant, il ne s’agit pas de mettre à l’abri un avantage, parce qu’il s’agit ici de parties plus faibles (usagers chômeurs), de contrecarrer des désavantages susceptibles de naître de l’organisation du parcours d’insertion. C’est pourquoi un grand nombre de définitions de la confiance partage un élément central : les faiblesses de l’un ne peuvent être exploitées par l’autre. Nooteboom, Berger et Noorderhaven (1997) définissent la confiance sur la base de ce deuxième aspect comme suit : X fait confiance à Y dans la mesure où X préfère collaborer avec Y parce qu’il a l’intuition – subjective - qu’Y ne fera pas usage d’occasions que X considère comme nuisibles, y compris lorsque c’est dans l’intérêt d’Y de le faire (von Grumbkow & Ramaekers, 2000).

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Dans la mesure où l’usager connaît ses limitations, il devra faire confiance dans le fait que celles-ci ne seront pas exploitées. Il tentera de protéger le dernier reste d’avantage qui lui reste. Conformément à cela, nous avons défini la confiance comme l’espoir que l’usager ne craint pas que l’autre (accompagnateur ou opérateur du parcours d’insertion) adopte une attitude opportuniste. Dans notre étude, nous examinons la confiance dont peut témoigner l’usager face à la personne (accompagnateur de parcours) comme celle dont il peut témoigner face à l’opérateur (institution, plus précisément le VDAB et autres). Nous avons déterminé le degré de confiance en posant aux usagers de parcours d’insertion des questions relatives au mode opératoire de l’accompagnateur et au système du parcours d’insertion. Eu égard à l’accompagnateur, nous avons demandé dans quelle mesure, l’usager a confiance dans ses conseils et dans ce qu’il peut lui obtenir. A propos de l’institution organisant les parcours d’insertion, nous nous sommes interrogés sur le degré de confiance qui règne quant aux résultats de cet accompagnement et à la manière dont il est organisé. L’accompagnateur de parcours est la personne de contact centrale, qui établit avec les usagers un plan de parcours individuel sur mesure en vue d’obtenir un emploi et qui en discute avec tous les acteurs ou instances concernés. Il surveille et coordonne l’exécution du parcours d’insertion. Lors de l’appréciation de la confiance, les usagers prennent en compte l’approche de l’accompagnateur. Cette appréciation est déterminante pour la confiance dans le conseil et dans ce que peut obtenir l’accompagnateur. La prestation de services dépend de la qualité de l’accompagnateur. Il existe bel et bien des cours pour développer la qualité, mais une formation complète est inexistante. Les accompagnateurs sont principalement formés dans et par la pratique. Il résulte de l’étude de Brander et Geerlof (2000) qu’une condition importante pour soutenir des chômeurs qui souhaitent par exemple lancer leur propre entreprise – les chômeurs dits entrepreneurs - réside dans la confiance qu’ils ont dans les qualités de leur accompagnateur conseil. L’étude de Schoormans et Syroit (1989) fait ressortir que le jugement que portent les bénéficiaires d’allocations dépend surtout de leur appréciation du comportement et des points de vue adoptés par les fonctionnaires et les collaborateurs des instances allouant des prestations. Notre étude confirme que les divergences en matière de perception des opportunités peuvent s’expliquer en partie par des différences sur le plan de la confiance. Le degré plus élevé de confiance de l’usager dans l’accompagnateur en tant que personne et dans l’opérateur du parcours d’insertion, exerce une influence sur l’amélioration ressentie de sa situation en cours du programme. La confiance dans le système de parcours exerce un effet légèrement supérieur sur la perception des opportunités que la confiance accordée à l’accompagnateur.

770


LE PARCOURS D’INSERTION AUGMENTE-T-IL LES CHANCHES DES CHOMEURS DANS LEUR RECHERCHE D’UN EMPLOI ?

4.3.2.

Type de parcours et type d’organisation Les usagers effectuant un parcours long manifestent davantage de confiance que les participants à un parcours limité (p < .001 ; N = 469). Une explication réside dans le fait que la perspective à long terme est plus grande dans le cas de parcours d’insertion longs (l’ancrage dans le temps). L’ancrage temporel fait référence à la perspective de temps au sein de laquelle prennent forme les relations (Bermasco, 1999). Lorsque l’usager a confiance, il perçoit pour lui-même des opportunités plus nombreuses si un plus grand nombre d’actions est programmé dans le futur. Le lien de réseau s’adresse plus globalement aux institutions chargées de parcours d’insertion dans le cadre de parcours longs. L’ancrage dans un réseau renvoie au réseau qui permet aux parties impliquées de générer un comportement coopératif pour, par exemple, offrir des garanties (Bermasco, 1999). Dans le cas d’un parcours d’insertion long, un réseau d’actions doit être mis sur pied (par exemple : formation à la sollicitation, contacts avec les employeurs, contacts avec les initiatives de formation). Dans la figure 4, nous constatons que la confiance dans les autres organismes mettant sur pied des parcours d’insertion est plus grande que dans le VDAB. Les données de notre étude indiquent qu’en matière de confiance, une différence existe effectivement selon que l’on est accompagné par le VDAB ou par d’autres institutions. Il est possible que le VDAB ait plus que d’autres organismes chargés de parcours d’insertion une tâche correctrice et médiatrice. Au cours de la récession économique, sa mission a été soumise à de très fortes pressions. Plus que d’autres services, le VDAB est peut-être associé à l’idée de sanctions. La question se pose de savoir si on n’est même jamais parvenu à se débarrasser de cette image de « père fouettard ». Il va de soi que nous devons également tenir compte du fait que, dans le chef du VDAB, plus encore que chez les autres organismes qui mettent en oeuvre des parcours d’insertion, il peut y avoir une baisse de confiance dans les services administratifs, également susceptible de jouer un rôle (Echardus, 1998).

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Degrévertrouwen( de confiance (de peu à beaucoup) Mate van laag naar hoog)

FIGURE 4: MOYENNE DU TAUX DE CONFIANCE DANS L’ACCOMPAGNATEUR ET DANS LE SYSTEME DU PARCOURS D’INSERTION EN FONCTION DE L’ORGANISME QUI L’ORGANISE : VDAB ET AUTRES (CPAS, ATB, TIERS, ...) 8,8 8,6 8,4 8,2 8,0 7,8

Confiance dans le Vertrouwen parcours begeleiding

7,6 7,4

VDAB vdab

Trajectinstelling

4.3.4.

autres anderen

Confiance dans vertrouwen le système systeem

Opérateur du parcours d’insertion

Caractéristiques de risque Les usagers qui cumulent un plus grand nombre de facteurs de risque (cf. modèle VDAB) semblent faire preuve d’un peu moins de confiance dans le parcours d’insertion (p < .06 ; N = 470) et dans les institutions qui organisent ces parcours (p < .10 ; N = 469), mais les différences sont trop minces pour autoriser des conclusions définitives. Il est toutefois intéressant de noter que la confiance est (significativement) moindre chez les usagers de nationalité non belge. Notre étude fait apparaître que surtout les femmes sans emploi de nationalité étrangère font montre d’une confiance moindre dans le parcours d’insertion. Ce constat s’applique tant au système du parcours qu’à l’accompagnateur. Cette confiance moindre a pour conséquence que l’usager perçoit moins d’opportunités. Selon leurs propres dires, ces usagers ont moins de contacts et moins de chances de trouver un emploi dans les environs. Une approche spécifique de la confiance est nécessaire pour cette catégorie, par exemple par un recours à des animateurs de quartier, c’est-à-dire de personnes qui connaissent le système de valeurs et de normes de ce public.

772


LE PARCOURS D’INSERTION AUGMENTE-T-IL LES CHANCHES DES CHOMEURS DANS LEUR RECHERCHE D’UN EMPLOI ?

En conclusion, nous pouvons postuler que les divergences en matière de perception des chances peuvent être en partie expliquées par des différences dans la confiance éprouvée par les usagers et par le fait que cette confiance est en partie induite par le type de parcours d’insertion (long ou limité), par l’organisme organisateur du parcours (VDAB ou autres) et par la nationalité.

5.

CONCLUSION A notre question de départ – « le parcours d’insertion améliore-t-il les chances perçues par l’usager sur le marché de l’emploi ? » - nous répondons positivement. Grâce à l’accompagnement dans son parcours, l’usager voit augmenter ses opportunités. Le groupe des usagers présente cependant un grand nombre de variations qui demandent à être expliquées. Certains d’entre eux se positionnent moins positivement par rapport à l’accompagnement dans le parcours d’insertion que d’autres. Pourquoi les usagers apprécient-ils différemment le parcours d’insertion ? Notre enquête fait apparaître ce qui suit : Des procédures équitables améliorent la perception des chances. Les usagers des autres organismes mettant en œuvre des parcours d’insertion jugent que les procédures sont plus équitables que ceux du VDAB. Les parcours d’insertion longs présentent de meilleures procédures que les parcours limités. Les femmes estiment que les procédures tiennent trop peu compte de leur mode de vie. Les chômeurs de longue durée trouvent (selon leurs dires) qu’ils sont traités moins soigneusement, voire que certaines décisions erronées prises en cours de parcours sont plus difficilement réversibles. Les différences d’appréciation des parcours d’insertion s’expliquent donc en partie par ces points. Par ailleurs, les divergences en matière de perception des opportunités de travail peuvent s’expliquer par des différences du point de vue de la participation. Les autres opérateurs de parcours d’insertion ainsi que les parcours d’insertion longs offrent plus de possibilités de participation. Enfin, les divergences en matière de perception des chances peuvent s’expliquer par le degré de confiance. Celui qui accorde une plus grande confiance dans le parcours et dans l’organisme organisateur, entrevoit aussi un plus grand nombre d’opportunités. Les parcours d’insertion longs génèrent une confiance plus grande que les parcours limités. Les autres organismes chargés de parcours d’insertion (CPAS, ATB, tiers, etc.) récoltent un meilleur score de confiance que le VDAB. Par ailleurs, les usagers belges, ayant connu un chômage d’une durée plus brève, sont plus confiants que les usagers de nationalité étrangère et au chômage depuis plus longtemps.

Pour vérifier définitivement nos conclusions, nous avons tenté de cerner les facteurs évoqués, permettant d’expliquer au mieux les divergences en matière de perception des chances en procédant à une analyse « régression multiple » avec comme variable de départ les chances d’amélioration de la situation. 773


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Dans un premier stade, nous avons introduit la sensibilité au risque. Dans un deuxième temps, les caractéristiques du système (organisme organisant le parcours d’insertion et système de parcours d’insertion) et, enfin, les facteurs ressentis, à savoir : l’équité, la participation et la confiance. L’analyse fait ressortir qu’ensemble, ces trois facteurs peuvent expliquer 43% des disparités dans la perception des opportunités. La majeure partie (38%) s’explique par l’équité procédurale, la participation instrumentale et la confiance dans le système du parcours d’insertion. Une partie nettement plus réduite peut être expliquée par l’institution (VDAB contre les autres) et par le facteur de risque ‘sexe’. Ceci signifie que : Seulement, une petite partie des différences perçues en matière de chances peut s’expliquer par les caractéristiques uniques de l’opérateur du parcours d’insertion. Le VDAB et les autres sont des institutions disposant d’une structure et d’une culture spécifiques. Leur altérité n’exerce cependant qu’un impact limité sur les chances sur le marché du travail perçues par les usagers d’un parcours d’insertion. On dénote toutefois la présence d’un effet. Ceci demande des analyses plus approfondies de la manière dont les différences uniques de structure et de culture de ces institutions agissent sur les perceptions de leur propre public d’un parcours d’insertion. Les facteurs de risque sont également d’une importance relative. Seules, les différences de sexe contribuent de manière significative à l’explication des divergences en matière de perception des opportunités. Les femmes ressentent moins d’occasions que les hommes. Ces phénomènes sont observés indépendamment des caractéristiques de l’institution organisatrice des parcours d’insertion, de leurs attitudes (à l’égard de l’intégrité, de la confiance et de la participation) et de leurs autres caractéristiques personnelles (durée du chômage, niveau de formation, nationalité et âge). Ceci exige que des efforts particuliers soient fournis dans le domaine des parcours d’insertion surtout en ciblant les femmes. La manière dont fonctionne l’accompagnement du parcours d’insertion est l’élément le plus déterminant pour son bénéficiaire. L’opérateur doit être intègre, autoriser la participation instrumentale (« decision control ») et générer de la confiance dans le système. C’est précisément sur ces points - où les organismes responsables des parcours d’insertion (VDAB et les autres) divergent entre eux - que naîtront les différences dans les chances qu’ils offrent à leurs usagers inscrits à un parcours d’insertion.

(Traduction) __________

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ANNEXES : MATERIAU DE BASE DE L’ETUDE 1.

CARACTERISTIQUES DE L’ETUDE

1.1.

PERIODE DE L’ETUDE Au cours de la période juin – octobre 1999, nous avons procédé à une enquête écrite auprès de 304 demandeurs d’emploi, participant à un parcours d’insertion, principalement dans les provinces du Limbourg (269) et de la Flandre Occidentale (35). Au cours de la période juillet 2000 – février 2001, 167 autres personnes ont encore été interrogées dans la province du Limbourg. La totalité du fichier de l’enquête comporte 624 usagers interviewés, dont 471 ont été impliqués dans les résultats d’analyse du présent article. Les autres ne disposaient pas d’un statut de chômeur « pur », parce qu’ils suivaient des cours dans l’enseignement à temps partiel, étaient indépendants ou partiellement valides, voire ressortissaient à d’autres statuts.

1.2.

CARACTERISTIQUES DU GROUPE EXAMINE Le groupe examiné se composait de 188 hommes (40,0 %) et de 283 femmes (60,0 %). L’âge moyen était de 30 ans et se ventilait sur une échelle de 18 à 54 ans (SD = 9,12). Les autres données démographiques contextuelles sont les suivantes : Diplôme : 13,6 % enseignement primaire, 40,2 % enseignement secondaire inférieur, 16,2 % enseignement secondaire supérieur, 21,5 % enseignement spécialisé et 8,5 % de formation différente (1 chômeur ne fournit aucune indication). Durée du chômage: 7,0 % moins d’un (1) mois, 16,6 % de 1 mois à 6 mois, 24,0 % de 6 à 12 mois, 24,4 % de 12 à 24 mois, 14,6 % de 24 à 60 mois, 13,4 % plus de 60 mois. Revenu net du ménage par mois : 10,2 % gagnaient moins de 20.000 BEF net, 24,8 % entre 20.000 et 30.000 BEF net, 25,5 % entre 30.000 et 40.000 BEF net, 9,2 % entre 40.000 et 50.000 BEF net. (12 usagers n’ont pas fourni de réponse). Sensibilité au risque : Les usagers ont moins de chances d’obtenir une médiation dans le cadre d’un parcours d’insertion en fonction des facteurs de risque cumulés (caractéristiques personnelles). Les facteurs de risque (VDAB, 1999) dont il est tenu compte sont : sexe, faible niveau de scolarisation, âge supérieur à 30 ans, durée de chômage de plus de deux ans et nationalité autre que belge. 775


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Notre fichier d’étude compte 30,1 % d’usagers ne présentant qu’un seul, voire aucun, facteur de risque, 30,6 % d’usagers affectés de deux facteurs de risque et 39,3 % d’usagers dont les facteurs de risques sont de l’ordre de trois ou quatre. Données contextuelles se rapportant à l’organisme instituant le parcours d’insertion : Institution : Dans notre étude, 63,9 % des usagers suivaient le système du parcours d’insertion auprès du VDAB et 36,1 % auprès d’autres organismes offrant des parcours d’insertion (tiers, CPAS, ATB, et autres). Types de parcours : Sur 471 usagers, 154 suivaient un parcours limité et 316 un parcours long (1 usager a fait mention des deux parcours). A l’intérieur de la forme des parcours longs, 40 usagers suivaient une formation à la sollicitation, 95 une formation professionnelle spécifique, 45 personnes une formation de connaissance de soi et 138 une formation sur les lieux de travail.

2.

VARIABLES EXAMINEES La manière de ressentir les chances d’amélioration de la position propre par le biais du parcours d’insertion est mise en relation avec trois caractéristiques qui peuvent se résumer comme suit : caractéristiques (de risque) liées à la personne, liées au système et liées à la répartition.

2.1.

CARACTERISTIQUES LIEES A LA PERSONNE ET AU SYSTEME Pour ce qui est des caractéristiques liées à la personne, nous avons vérifié l’existence de différences entre hommes et femmes, la formation acquise, l’âge de l’usager, la durée du chômage et le revenu net moyen du ménage. Des caractéristiques liées au système, nous examinons le type, la nature du parcours et l’institution qui offre le parcours d’insertion. Pour ce qui est du type de parcours d’insertion, nous opérons une distinction entre parcours limité et parcours long. Par rapport aux parcours limités, les parcours longs peuvent comprendre diverses dispositions supplémentaires. C’est ce que nous qualifions de nature du parcours. Ces dispositions peuvent être de divers ordres : formation à la sollicitation, formation professionnelle spécifique, formation axée sur la personne et/ou accompagnement sur le lieu de travail. Nous avons également comparé les opinions des usagers en fonction de l’organisme dispensateur du parcours : usagers VDAB et usagers d’autres institutions (tiers, CPAS, ATB, et autres).

776


LE PARCOURS D’INSERTION AUGMENTE-T-IL LES CHANCHES DES CHOMEURS DANS LEUR RECHERCHE D’UN EMPLOI ?

2.2.

CARACTERISTIQUES DE REPARTITION (SENSIBILITE AU RISQUE) Nous considérons comme caractéristique de répartition la sensibilité au risque de l’usager. Les caractéristiques de risque (Source : VDAB, 1999, groupes à risque) sont : le sexe, un faible degré de scolarité, un âgé supérieur à 30 ans, une durée de chômage supérieure à deux ans et une nationalité étrangère. La possibilité de bénéficier d’une médiation est plus faible que la probabilité moyenne à partir du moment où un demandeur d’emploi cumule deux facteurs de risque ou plus. Par ailleurs, l’importance du groupe de chômeurs indemnisés complets ne présentant aucun facteur de risque, voire au maximum un seul, augmente (source idem VDAB). Ceci pourrait signifier qu’un nombre toujours plus restreint de demandeurs d’emploi qui cumulent plus de deux facteurs de risque perdent leur droit à allocation ou qu’ils sont moins « sanctionnables ».

2.3.

QUESTIONNAIRES UTILISES Les questionnaires que nous avons utilisés consistent en plusieurs échelles et mesurent respectivement les chances perçues sur le marché de l’emploi (perception des opportunités), la manière de ressentir le traitement procédural (procédure intègre), la forme de confiance ressentie et le degré d’implication et de participation. Les échelles sont les plus souvent de type Likert et présentent une bonne cohérence interne. Perception des opportunités : la perception des chances sur le marché de l’emploi a été déterminée en sondant à travers une liste de onze questions. Ce sondage portait sur l’amélioration des chances de trouver du travail grâce au parcours, l’acquisition de meilleures compétences professionnelles, une plus grande confiance en soi et une meilleure connaissance de ses attentes. Procédure intègre : la justice procédurale ressentie est déterminée sur la base du modèle d’équité de Leventhal. L’échelle comprend dix questions réparties sur cinq règles d’équité. Chacune d’entre elles est approchée sous l’angle de deux perspectives (accompagnateur du parcours d’insertion et système). Confiance : le degré de confiance est déterminé à l’aide de quatre questions et a été examiné du point de vue du système (procédure, résultats) et du point de vue de la personne qui accompagne le parcours (procédure, résultats). Implication et participation : l’implication et la participation ressenties sont déterminées entre autres à l’aide de quatre questions sur le degré d’influence qui peut être exercé sur l’accompagnement du parcours d’insertion (instrumental) et sur le fait de savoir si les entretiens avec l’accompagnateur offrent suffisamment la possibilité d’exprimer ses propres idées et sentiments (personnel, non instrumental).

3.

ANALYSES Les analyses ont été effectuées par une confrontation des différences entre moyennes. Pour cela, nous avons recouru à une analyse multivariance et, le cas échéant, avons introduit des covariables pour tenir compte des effets des facteurs de risque (âge, sexe, durée du chômage, nationalité et niveau de formation). Pour le reste, nous avons également procédé à des analyses de corrélation et de régression multiple. 777


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LE PARCOURS D’INSERTION AUGMENTE-T-IL LES CHANCHES DES CHOMEURS DANS LEUR RECHERCHE D’UN EMPLOI ?

TABLE DES MATIERES LE PARCOURS D’INSERTION AUGMENTE-T-IL LES CHANCES DES CHOMEURS DANS LEUR RECHERCHE D’UN EMPLOI ? L’INFLUENCE DE L’INTEGRITE, DE LA PARTICIPATION ET DE LA CONFIANCE SUR LA PERCEPTION DES CHANCES

INTRODUCTION

745

1. OBJECTIF DE L’ETUDE

747

2. PARCOURS D’INSERTION

748

2.1. AMBITION SOCIOPSYCHOLOGIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. GROUPES CIBLES ET TRAVAIL SUR MESURE . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3. PRESSION SUR LES ACCOMPAGNATEURS ET LES OPERATEURS DE PARCOURS D’INSERTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

748 750 752

3. PERCEPTION DES CHANCES : POSSIBILITES APPORTEES PAR LE PARCOURS D’INSERTION

755

3.1. UN RESULTAT POSITIF : LA RECONNAISSANCE DES CHANCES . . . . . . . . . .

755

4. FACTEURS INFLUENCANT LA PERCEPTION DES OPPORTUNITES

757

4.1. PROCEDURES INTEGRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2. PARTICIPATION INSTRUMENTALE ET NON INSTRUMENTALE . . . . . . . . . . . 4.3. CONFIANCE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

758 764 769

5. CONCLUSION

773

ANNEXES

775

BIBLIOGRAPHIE

778

781


SERVICES DE PROXIMITE : ACTIVER LES CHOMEURS OU SOUTENIR LA DEMANDE ? PAR BERNARD CONTER* et MARIE-DENISE ZACHARY** * Attaché scientifique, Service des études et de la statistique, Région wallonne ** Economiste (1)

1.

INTRODUCTION La persistance de la crise de l’emploi et le constat d’incapacité du marché à résorber seul le chômage ont conduit la réflexion vers de nouvelles pistes de création d’emplois. Parallèlement, les évolutions sociétales, notamment la participation plus massive des femmes au marché du travail, ont créé de nouveaux besoins, dits de proximité, en grande partie non satisfaits par le marché. La conjonction de ces deux phénomènes a engendré divers dispositifs d’activation du chômage, en vue de répondre aux besoins de services de proximité. Les Agences locales pour l’emploi (ALE) et les titres-services en font partie. Bien que s’inscrivant tous deux dans le champ des services de proximité, ces dispositifs diffèrent cependant dans leur conception, leur mise en oeuvre et les objectifs poursuivis en ce qui concerne les prestataires. S’il est permis de dresser un bilan des Agences locales pour l’emploi, introduites en 1987 en Belgique et qui ont vraiment pris leur essor avec la réforme de 1994, les titres-services constituent une initiative récente qu’il reste à mettre en oeuvre. Ils semblent cependant a priori répondre à certains des griefs mis en évidence dans le cadre des ALE, du moins si certaines conditions d’efficacité sont respectées. Ces conditions peuvent être déduites du fonctionnement de dispositifs similaires, notamment ceux développés en France. Avant une description détaillée de ces dispositifs et des enjeux qui les sous-tendent, il convient de préciser le concept de services de proximité et de situer son apparition dans le cadre de l’évolution des politiques d’emploi devenues plus actives (2).

(1) Au moment de cette recherche, l’auteur était chercheur à l’IRES (UCL). (2) Cet article s’inspire d’une contribution au colloque « Intégration européenne et économie sociale » organisé par l’Association d’économie sociale à Lille en septembre 2001 (Voir Zachary et Conter, 2001).

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2.

LE DEVELOPPEMENT DES SERVICES DE PROXIMITE ET L’ACTIVATION DU CHOMAGE

2.1.

LES ENJEUX : REPONSE AUX BESOINS SOCIAUX ET CREATION D’EMPLOIS L’engouement récent pour les services de proximité, et en particulier les services aux personnes, répond à des motivations économiques inhérentes à la crise de l’emploi, les pouvoirs publics y décelant une source de gisement d’emplois, notamment pour les peu qualifiés. Devant l’impuissance des entreprises et des pouvoirs publics à résorber significativement le chômage de longue durée, les services de proximité deviennent l’objet de politiques visant à développer de nouveaux postes de travail et à répondre dans le même temps à des besoins liés aux évolutions démographiques, sociales et culturelles (IRES, 1996 ; Francq et Lemaigre, 2000). Par services de proximité, on entend des services aux personnes et aux collectivités qui touchent aux cadres et aux actes de la vie quotidienne (Saintrain et Streel, 1996) : gardes d’enfants, aides aux personnes en situation de dépendance, services ménagers, amélioration du cadre de vie, services culturels, de loisir et d’environnement y sont regroupés. Si les services de proximité renvoient à des pratiques déjà anciennes, partiellement régulées par les politiques publiques, l’apparition du concept en tant que tel est relativement récente et doit être située dans l’évolution des politiques d’emploi. En effet, la croissance des taux de chômage et les contraintes budgétaires ont conduit les pouvoirs publics à modifier la structure de leurs interventions sur le marché du travail pour s’orienter de plus en plus vers des politiques actives. Ces nouvelles orientations, guidées par une réduction des dépenses, se sont traduites par une diminution de la création directe d’emplois au profit d’une politique de soutien à la demande de services intensifs en main-d’œuvre, présentés comme offrant des perspectives d’emploi considérables. Dès lors, l’objectif des politiques publiques qui ont structuré le champ des services de proximité s’est progressivement transformé au fil des ans, passant d’une optique de besoins (entrant dans le cadre des politiques sociales) à une optique d’emploi (Meulders et Plasman, 1996). L’assimilation des services de proximité à des gisements d’emploi pour les peu qualifiés est par ailleurs renforcée par la prégnance des discours européens qui préconisent de réorienter les personnes dépendantes de l’aide sociale vers le travail et la formation, notamment par une politique active de l’emploi, et de transformer les systèmes d’allocation en systèmes volontaristes capables d’améliorer l’employabilité des travailleurs.

784

Ces politiques méritent cependant d’être questionnées. D’une part, le risque de dualisation du marché du travail augmente : du point de vue des demandeurs d’emploi, ces mesures ne résolvent pas toujours la question de l’exclusion et contribuent au développement d’activités relevant d’une nouvelle domesticité (Saintrain et Streel, 1996). D’autre part, de tels dispositifs n’offrent pas de garantie quant à la qualité des services prestés et ne répondent pas au caractère structurel des besoins, soit de nature collective, soit considérés d’utilité sociale par la collectivité, qui réclament une structuration de l’offre de services de proximité ainsi qu’une formation et une qualification des prestataires (IRES, 1996).


SERVICES DE PROXIMITE : ACTIVER LES CHOMEURS OU SOUTENIR LA DEMANDE ?

2.2.

LES MOYENS DE L’ACTIVATION La distinction entre politiques actives et politiques passives de l’emploi est aujourd’hui devenue classique. Le principe de l’activation des politiques de l’emploi a été prôné par l’OCDE dès les années 1970 ; il s’agissait, dans un contexte de chômage croissant qui ne pouvait être résorbé par l’évolution du marché du travail, de transformer en dépenses actives (programmes de réinsertion, formations, primes à l’embauche) les dépenses d’indemnisation du chômage, jugées trop passives. Les autorités européennes ont repris et développé cette thématique, notamment dans le Livre blanc ou dans les conclusions du sommet d’Essen. Elles l’ont amplifiée dans la mise en oeuvre de la stratégie européenne de l’emploi, qui préconise aux Etats-membres d’augmenter les taux d’emploi, notamment par le biais de l’activation des allocations sociales. Dans cette optique, l’initiative de l’individu est placée au centre de l’attention des politiques et la formation professionnelle devient une dimension essentielle de la politique de l’emploi (Conter, 2000). Les dispositifs publics de développement des services de proximité s’appuient souvent, en raison de la faible solvabilité de la demande, sur une technique d’activation des allocations sociales. Activer ces allocations revient à transformer une indemnisation (dite passive) en une action positive sur le marché du travail. En d’autres termes, il s’agit de convertir l’allocation de chômage ou l’allocation sociale en élément de rémunération d’une personne engagée dans le cadre d’une relation contractuelle précise (Bodart, 1999). L’activation ne porte pas que sur la conversion des allocations, elle concerne aussi les individus. Des mesures d’accompagnement, d’incitation et, parfois, de sanction des demandeurs d’emploi sont jointes à ces dispositifs. L’idée d’activation repose sur le principe selon lequel le bénéfice des allocations sociales doit trouver une compensation en faveur de la société : les bénéficiaires ont à rendre compte à l’Etat de leur (volonté d’) activité (Alaluf, 1999). Cette idée de contractualisation de la relation de protection sociale (attribution d’une allocation en échange d’engagements à réintégrer le marché du travail) est au cœur du développement de la conception d’Etat social actif (Conter et Zachary, 2000). Les procédés d’activation, désignés par un vocabulaire à connotation positive, reposent souvent sur des éléments de précarité de statut, de rémunération ou de la relation de travail. Les dispositifs d’activation étant réservés, la plupart du temps, à des groupes cibles jugés “peu employables” dans les formes classiques de l’emploi, les conditions de l’activité qui leur est proposée sont en général moins favorables. De plus, de tels dispositifs n’offrent souvent qu’une rémunération amputée (3), voire une allocation complémentaire à l’allocation de chômage. Enfin, les effets en termes de réinsertion professionnelle ne sont pas toujours garantis. Certaines mesures limitent dans les faits l’expérience de travail à la durée des avantages accordés. D’autres, telles que les Agences locales pour l’emploi (ALE), n’offrent que peu de perspectives de réinsertion sur le marché classique du travail. (3) Plusieurs dispositifs d’insertion des jeunes s’appuient, par exemple, sur une rémunération égale à 90% du salaire en vigueur.

785


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Selon Bodart (1999), pour rencontrer efficacement ses objectifs, l’activation du chômage devrait garantir un véritable contrat de travail, assorti d’une rémunération non amputée et offrir une insertion professionnelle continue, valorisante et organisée. La réalisation d’activités occasionnelles par les demandeurs d’emploi ne peut répondre à cette exigence. En revanche, comme en témoignent des expériences réalisées dans différents pays de l’Union européenne, le développement de services de proximité, associé à l’octroi d’un salaire et d’un statut décent, peut répondre de façon plus équitable aux enjeux assignés à l’activation.

3.

LES AGENCES LOCALES POUR L’EMPLOI

3.1.

CARACTERISTIQUES DU DISPOSITIF Les Agences locales pour l’emploi (ALE) relèvent des dispositifs qui tentent d’allier activation du chômage et rencontre des nouveaux besoins sociaux (4). La création d’ALE dans les communes, mesure initiée en 1987, a pour objectifs, d’une part, de rencontrer des besoins non satisfaits par les circuits de travail réguliers et, d’autre part, de permettre aux chômeurs de longue durée de reprendre contact avec le monde du travail et d’augmenter leur rémunération de façon légale, en évitant les risques inhérents au travail au noir. La mesure vise donc aussi, en marge, à limiter le travail clandestin, tout en exerçant un certain contrôle sur la volonté de travailler des chômeurs. Revu en 1994 (5), et dans une moindre mesure au cours des années suivantes, le système impose la présence d’une ALE dans chaque commune ou groupe de communes. Les chômeurs complets indemnisés de longue durée (6) y sont inscrits d’office. Légalement, le refus d’exercer une activité convenable dans le cadre des ALE peut mener à la suspension temporaire du droit aux allocations de chômage. Mais il convient de relativiser le caractère obligatoire de la mise au travail car les agences collaborent sur le terrain avec les personnes qui ont marqué leur accord. En pratique, le travailleur ALE conclut un contrat d’emploi à durée indéterminée, à temps partiel, avec l’agence locale qui agit en tant qu’employeur. Ce contrat ne s’inscrit pas dans la loi sur le travail de 1978 ; il est « sui generis » et adapté aux prestataires des ALE. Le travailleur en ALE conserve dès lors son statut de demandeur (4) Le système des ALE présente des similarités avec les emplois Melkert aux Pays-Bas où les communes peuvent imposer (travaux d’utilité dans le quartier) ou inciter (travaux socialement utiles) les demandeurs d’emploi à réaliser certaines tâches. Le demandeur d’emploi ne reçoit pas d’allocation complémentaire pour ses prestations et peut faire l’objet d’une sanction (retrait ou diminution de l’allocation) s’il refuse un emploi jugé convenable. (5) Il est à noter que c’est à cette période que sont prises les mesures d’exclusion de cohabitants pour cause de chômage anormalement long et que la durée admissible du chômage passe de deux fois la moyenne de l’arrondissement à une fois et demi cette moyenne (Zachary et al., 1997). (6) Soit 2 ans de chômage pour les moins de 45 ans et 6 mois pour les plus de 45 ans, sauf s’ils sont dispensés de l’obligation d’être disponibles sur le marché du travail. Les bénéficiaires de l’aide sociale et les autres chômeurs peuvent s’y inscrire volontairement.

786


SERVICES DE PROXIMITE : ACTIVER LES CHOMEURS OU SOUTENIR LA DEMANDE ?

d’emploi. L’indemnité (3,72 EUR nets par heure prestée) est payée par l’utilisateur (personne physique ou morale) sous la forme de chèques-ALE dont le montant varie entre 4,96 et 7,44 EUR, selon la commune. La différence entre le montant perçu et celui du chèque sert à couvrir les frais administratifs et à financer des actions de formation. Le prestataire reçoit ce complément de revenu tout en conservant son allocation de chômage ou une autre allocation sociale. Il peut prester un maximum de 45 heures par mois et augmenter ainsi son revenu mensuel de 167,4 EUR au plus. Les prestations de travail dans le cadre d’une ALE sont dispensées des cotisations patronales et personnelles de sécurité sociale et les utilisateurs bénéficient d’une déduction fiscale de leurs dépenses en frais de personnel ALE (le montant entrant en ligne de compte pour cette réduction d’impôt est plafonné à 1.983 EUR). Dans le but d’éviter une concurrence déloyale envers le circuit commercial, les activités prises en considération sont limitées. Il s’agit, pour les particuliers, d’aide ménagère, de garde d’enfants ou de malades, d’aide administrative, d’entretien de jardin. Dans le cas d’associations non commerciales, la loi autorise l’aide aux tâches administratives, aux activités de formation et aux travaux d’entretien. Les administrations locales peuvent proposer des activités qui ont trait à l’embellissement du cadre de vie et à l’aide occasionnelle dans les bibliothèques ou à la sécurité (agents de prévention et de sécurité) (7). Les établissements d’enseignement ont l’autorisation de recruter du personnel ALE pour s’occuper des enfants durant le temps extrascolaire, effectuer des animations ou régler la circulation à la sortie des écoles. Enfin, les entreprises agricoles et horticoles peuvent y avoir recours pour des travaux saisonniers et occasionnels.

3.2.

ELEMENTS D’EVALUATION L’expérience des ALE vise un certain nombre d’objectifs. Ont-ils été atteints ? Dans quelle mesure le dispositif a-t-il permis de satisfaire des besoins non rencontrés par les circuits réguliers du travail ? Constitue-t-il un passage efficace vers un retour à l’emploi pour des chômeurs de longue durée, généralement peu qualifiés ? La création des ALE a-t-elle contribué à lutter contre le travail au noir ? Ces questions multiples appellent des réponses nuancées, à construire en lien avec les évolutions du marché du travail et les effets produits sur les bénéficiaires eux-mêmes. Dans les lignes qui suivent, nous centrerons plus particulièrement notre analyse sur les enjeux soulevés par le dispositif, après avoir présenté quelques données descriptives.

3.2.1.

Données quantitatives Le système ALE a connu un développement important entre 1995 et 2001 suite à l’installation progressive des agences dans les communes et à l’obligation d’inscription des demandeurs d’emploi comptant au moins 2 ans de chômage, soit 49% des (7) Les agents de prévention et de sécurité bénéficient d’un statut particulier et prestent un nombre d’heures (53) supérieur à celui autorisé pour les autres activités ALE.

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demandeurs d’emploi inoccupés. Ces chômeurs inscrits d’office représentent 85% des inscrits, les autres sont volontaires. Tous ne sont cependant pas actifs (tableau 1) : durant l’année 2001, le nombre de prestataires ALE s’élevait à 37 679 personnes, soit 20% des inscrits. Il s’agit d’une population durablement installée dans le chômage : 38% d’entre eux comptent de 5 à 10 ans d’inactivité et 22% plus de 10 ans (8). Il est à noter que le nombre d’utilisateurs s’est considérablement amplifié depuis la mise en place de la nouvelle réglementation (1994) ; il s’agit principalement de personnes physiques (93% des utilisateurs).

TABLEAU 1: EVOLUTION DU NOMBRE DE PRESTATAIRES, D’UTILISATEURS ET D’HEURES PRESTEES (1995 - 2001)

1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001

Chômeurs et minimexés inscrits dans une ALE

Prestataires (1)

Utilisateurs

Heures prestées

Equivalents temps plein (2)

64 559 98 584 125 000 153 000 177 194 187 744 188 722

10 132 15 998 30 327 34 327 36 346 37 954 37 679

3 135 5 516 71 034 106 245 120 904 131 580 132 486

2 934 000 5 457 000 7 900 000 10 555 000 12 632 441 13 616 064 13 743 898

1 707 3 188 4 601 6 147 7 370 7 944 8 028

Source : ONEM, 1996 à 2002. Calculs propres pour les équivalents temps plein. (1) Au 30 juin pour l'année 1995; en moyenne sur l'année pour les années suivantes. (2) Sur base de la durée conventionnelle du travail pour un équivalent temps plein, communiquée chaque année par le Ministère de l'emploi et du travail.

En termes de volume d’activité, au cours de l’année 2001, le nombre d’heures prestées représentait un peu plus de 8 000 équivalents temps plein et la moyenne par travailleur ALE était de 30 heures par mois. Pour les personnes physiques, les travaux réalisés sont essentiellement de nature ménagère (41%) ou des activités définies comme mixtes qui incluent en grande partie des activités domestiques (47%). Il faut savoir que la prestation d’un nombre minimum d’heures en ALE (180 heures d’activité pendant une période de 6 mois) dispense de l’inscription comme demandeur d’emploi. De ce fait, le chômeur n’est plus soumis aux obligations liées à ce statut ni exposé aux risques de suspension de l’allocation ; il n’est également plus recensé dans certaines statistiques du chômage. C’est le cas de 4% des demandeurs d’emploi. L’accès au travail en ALE et la dispense de chômage associée ne sont pas limitées dans le temps.

(8) Chiffres pour septembre 1999 (ONEM, 1999).

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TABLEAU 2: PROPORTION D’INSCRITS, DE PRESTATAIRES ET DE DISPENSES PARMI LES DEMANDEURS D’EMPLOI INOCCUPES (3) (CHIFFRES DE 2001) Inscrits en ALE (plus de 2 ans de chômage)

Prestataires actifs en ALE (%)

Prestataires ALE dispensés (%)

46,6 48,5 47,7

3,8 13,6 9,5

1,1 6,3 4,1

Hommes Femmes Total

Source : ONEM (2002). Calculs propres. (3) Exprimés en unités physiques, auxquels on a ajouté les prestataires ALE dispensés de l'inscription comme demandeurs d'emploi et qui n'apparaissent donc plus dans cette rubrique. En effet, ces personnes demeurent des chômeurs à part entière.

Parmi les demandeurs d’emploi inoccupés, les femmes sont proportionnellement plus nombreuses que les hommes à être prestataires actifs en ALE (respectivement 14% et 4%). De même, elles sont plus nombreuses à prester suffisamment d’heures pour demander la dispense d’inscription comme demandeur d’emploi (6% des demandeuses d’emploi inoccupées, contre 1% parmi les hommes de la même catégorie).

3.2.2.

Forte représentation féminine La ventilation des prestataires par sexe permet de remarquer la forte représentation féminine parmi les travailleurs ALE (84% de femmes en 2001, alors qu’elles constituent 67% des inscrits). Cette proportion est en augmentation constante depuis 1995, où elle était de 69%. Par ailleurs, on constate que les femmes sont en moyenne plus jeunes : 62% d’entre elles ont entre 35 et 50 ans, tandis que la même proportion d’hommes est âgée de 40 à 55 ans. Les catégories d’indemnisation sont également différemment représentées en fonction du sexe (tableau 3) : les femmes sont majoritairement cohabitantes (56%), alors que plus de la moitié des hommes sont chefs de famille (55%). Le travailleur le plus représenté parmi les prestataires ALE est une femme, entre 35 et 50 ans, le plus souvent cohabitante ou, dans une moindre mesure, chef d’une famille monoparentale.

TABLEAU 3: REPARTITION DES CHOMEURS ACTIFS EN ALE PAR CATEGORIE D’INDEMNISATION (POURCENTAGES POUR 2001) Catégorie Chefs de famille Cohabitants Isolés

Femmes (%)

Hommes (%)

Total (%)

32 56 12

55 23 23

36 51 13

Source : ONEM, (2002). 789


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Ces quelques chiffres suffisent à révéler que le dispositif atteint surtout des femmes qui ont, d’une part, le statut de cohabitantes et sont menacées de l’exclusion du bénéfice des allocations de chômage (le travail en ALE permet d’éviter ce risque ; c’est le cas de 47% des femmes prestataires, qui sont dispensées et échappent ainsi à la menace d’exclusion) ou, d’autre part, sont à la tête de familles monoparentales, vivant dans la précarité. De la sorte, et sans négliger le revenu supplémentaire apporté par le travail en ALE, il accroît les effets pervers qui touchent une frange de la population déjà discriminée sur le marché du travail (davantage de temps partiel, notamment non volontaire, salaire moindre pour niveau de diplôme équivalent, discrimination à l’embauche).

3.2.3.

Enseignements tirés des enquêtes qualitatives Ainsi que le soulignent Cantillon et Thirion (1998), le système ALE mérite une évaluation positive du point de vue de la lutte contre la pauvreté car il procure, grâce à une activité professionnelle, un supplément de revenu (parfois indispensable) à un nombre important de chômeurs. Outre ce bénéfice financier, une étude de Van Brempt (citée par Cantillon et Thirion), menée en Flandre, met en évidence quelques points positifs pour les prestataires : sentiment d’utilité, fait d’avoir retrouvé une activité, à temps partiel, permettant d’allier vie de famille et travail, rupture de l’isolement. Cependant, d’autres enquêtes (CSC, 2000 ; FGTB, 1996), réalisées par les organisations syndicales, nuancent ces propos. Elles dénoncent en effet l’exploitation et l’atteinte à la dignité des travailleurs ALE, du fait de l’absence de contrôle exercé chez les particuliers et de la réticence des prestataires à révéler certains abus par crainte de perdre leurs allocations. Les syndicats signalent également des discriminations sur le plan de la nationalité ou de l’origine nationale de la personne dans le choix des travailleurs ainsi que des inégalités de traitement en fonction des communes (certaines remboursent les frais de déplacements intégralement ou partiellement, d’autres pas). Enfin, ils mettent en exergue l’instabilité et le caractère irrégulier des gains tirés d’une activité en ALE, alors que les prestataires les considèrent comme partie intégrante de leurs revenus. Tous ces éléments mettent en évidence la précarité dans laquelle se trouvent les prestataires ALE, non seulement en termes de revenu mais aussi dans la relation professionnelle, avec un employeur (l’ALE) différent de l’utilisateur proprement dit. Ils révèlent aussi l’extrême individualisation de la relation de travail et le manque de réponses collectives aux questions de la pauvreté et de l’exclusion du marché du travail.

3.2.4.

Concurrence avec le marché régulier Les activités permises dans le cadre des ALE ne sont pas toutes des activités absentes des circuits réguliers. Le dispositif a permis d’en sortir (partiellement) certaines du secteur informel (tâches ménagères, travaux de jardinage), mais d’autres concurrencent des activités existantes. Le cas des emplois communaux (tâches exercées par

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les ouvriers et le personnel des maison de repos, par exemple) est à citer (CSC, 2000), mais on peut craindre également une concurrence déloyale dans les secteurs agricoles et horticoles, de même que dans celui des crèches et des aides familiales. Pour ces deux derniers secteurs, il faut signaler que le prix des services proposés sur le marché est proportionnel au revenu, tandis que le coût réel pour l’utilisateur des ALE est dégressif, de par l’avantage fiscal octroyé (Zachary et al., 1997). Ce dernier peut provoquer une distorsion de la concurrence avec ces secteurs. On ajoutera que le montant concerné par la déductibilité fiscale accordée aux particuliers n’est pas négligeable. Il est estimé à 22 millions d’euros (9) pour l’année 2000. Cet avantage fiscal, lié au taux d’imposition à l’impôt des personnes physiques, favorise en outre les ménages à hauts revenus et rompt avec la logique d’équité (contribution en fonction des revenus) appliquée dans les services sociaux disponibles sur le marché.

3.2.5.

Piège à l’emploi Le dispositif des ALE, en augmentant le revenu des chômeurs, renforce le risque de piège financier, défini comme un manque d’incitant, pour le demandeur d’emploi, à chercher ou à accepter un emploi, qui lui procure un gain de pouvoir d’achat nul ou limité, voire entraîne une diminution de ses revenus. Selon De Greef (2000), « pour les ménages monoparentaux et les ménages à un revenu, le passage d’une activité en ALE, même limitée, à un emploi à temps plein se traduit presque toujours par une perte de revenu », le désincitant financier s’accroissant avec le nombre d’heures prestées en ALE. En ce qui concerne les isolés ou les ménages à deux revenus, la trappe à chômage se met en place essentiellement lorsque l’activité en ALE est maximale (45 heures par mois) et qu’ils retrouvent un emploi à temps plein. Pour tous, le passage du chômage avec activité dans le cadre de l’ALE à un emploi à temps partiel n’est jamais financièrement avantageux. Cette situation est renforcée par le fait qu’un chômeur prestant au moins 180 heures en 6 mois échappe au risque d’exclusion pour chômage de longue durée et est dispensé de l’obligation d’être disponible sur le marché du travail et des obligations afférentes (par exemple celle d’accepter un emploi convenable). Ces constats sont en contradiction avec les objectifs d’une politique d’activation, à savoir réduire la dépendance vis-à-vis des allocations de chômage et améliorer le retour à l’emploi des chômeurs de longue durée. Ce retour est rendu défaillant du fait de l’aspect financier du statut ALE qui génère un revenu (allocations et suppléments) sensiblement supérieur au salaire minimal net pour de nombreux types de ménages, et parce que le travail en ALE permet d’atteindre un niveau de revenu convenable avec une occupation à temps partiel de moins de 50% et très flexible, perçue comme un avantage pour des familles avec de jeunes enfants (Cantillon et Thirion, 1998). (9) Le montant moyen d’un chèque est de 5,60 EUR (Jadoul, 2001) et 80% des heures prestées en ALE le sont pour des personnes physiques dont le revenu est imposable en moyenne à 36%.

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3.2.6.

Absence de perspectives professionnelles Les pièges d’une dépendance aux allocations sociales sont renforcés par le fait que l’activité exercée garde un caractère non professionnel et qu’elle est insuffisamment liée à la formation (Cantillon et Thirion, 1998). En théorie, un quart des recettes réalisées par les agences grâce aux chèques ALE devrait être consacré au financement de formations pour les prestataires. En pratique cependant, l’absence de lien structurel entre les agences et les centres de formation pour demandeurs d’emploi limite la concrétisation de cette mesure. Par ailleurs, 41% des prestataires actifs en ALE travaillent pendant au moins 30 heures par mois ; cette situation, outre le fait de les dispenser de leurs obligations en tant que demandeurs d’emploi, les pénalisent de fait dans l’accès aux formations. L’entrée en formation les obligerait en effet à renoncer à un complément de revenu immédiat, sans leur garantir d’insertion professionnelle. Ce constat induit deux éléments au moins. D’une part, la qualité des services prestés peut être handicapée par le manque de professionnalisation des prestataires, d’autant que certains services de proximité susceptibles d’être satisfaits dans le cadre des ALE réclament compétences et qualifications. D’autre part, cela renforce la dualisation du marché du travail et l’idée de nouvelle domesticité au profit d’une population favorisée, constituée de ménages le plus souvent à deux revenus, qui occupent des emplois stables.

3.2.7.

Bilan global du système Les avantages et inconvénients du dispositif ALE sont présentés dans le tableau 4. On ne peut cependant faire l’impasse d’une réflexion plus large, reliant ce type de mesure à l’évolution du marché du travail et à la normalisation des formes atypiques de l’emploi.

TABLEAU 4: AVANTAGES ET INCONVENIENTS DU DISPOSITIF ALE Acteurs

Avantages

Inconvénients

Pouvoirs publics et société

z Diminution supposée du travail

z Dualisation du marché du

Prestataires ALE

au noir z Résorption apparente du nombre de demandeurs d’emploi z Complément de revenus z Exercice d’une activité et

rupture de l’isolement

Utilisateurs

secteurs du marché

z Piège à l’emploi z Absence de perspectives

z Maintien des allocations de

chômage

professionnelles et peu de formation z Individualisation de la relation de travail

z Déductibilité fiscale z Flexibilité et disponibilité des

z Pas de professionnalisation des services

prestataires 792

travail

z Concurrence avec certains


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Le développement d’initiatives du type ALE s’appuie sur l’idée qu’un marché du travail unique (régi par des normes communes en matière de formation des salaires, d’organisation du travail, de sécurité sociale) n’offre plus les conditions suffisantes au développement du plein emploi. Dès lors, l’on se doit de considérer « qu’une forme de dualisation du travail offre des pistes pour surmonter le déficit d’emplois dont souffre notre société » (MET, 1996). La multiplication de dispositifs aux statuts particuliers a contribué au développement d’une zone intermédiaire entre l’activité et le chômage (formules diverses de stages d’insertion-formation, ALE, intérim d’insertion, etc.), souvent caractérisée par la précarité des situations (qu’il s’agisse des statuts d’emploi ou des rémunérations qui y sont associées). Cette politique est souvent justifiée par le fait que ces emplois précaires constitueraient un marchepied vers l’emploi stable. Cet argument peut être remis en question. Il n’est pas établi que l’exercice d’activités occasionnelles telles que celles organisées par les ALE (essentiellement des travaux de nettoyage ou de jardinage à domicile) constitue un tremplin vers l’emploi. Plus généralement, comme le conclut Concialdi (2000), « l’exercice d’activités réduites n’a guère d’influence sur le devenir professionnel des chômeurs ». Lorsque ceux-ci parviennent à échapper au chômage, c’est essentiellement la nature de l’emploi exercé dans le passé qui est déterminante. Si l’emploi est classiquement défini comme un engagement contractuel à produire une activité en échange d’une contrepartie salariale qui garantit une protection sociale, l’activité occasionnelle organisée par les ALE échappe à cette définition. Ce dispositif est pourtant considéré comme relevant des politiques de l’emploi et comme moyen de sortie du chômage. De la sorte, les pouvoirs publics contribuent à forger une nouvelle vision du travail et de l’emploi, de même qu’ils participent à la reconnaissance institutionnelle d’une catégorie de travailleurs aux marges du chômage et de l’emploi, « favorisant ainsi la diffusion d’une flexibilité croissante des modes de gestion de la main-d’œuvre, dont le coût est essentiellement porté par la collectivité » (Concialdi 2000). En d’autres termes, les politiques publiques de l’emploi, par le développement de dispositifs et de statuts hors normes, au premier rang desquels figurent plusieurs mesures d’activation, ont appuyé « le mouvement de normalisation des emplois précaires et leur utilisation prioritaire pour les catégories en difficulté d’insertion professionnelle » (Maruani et Reynaud, 1999). Le cas des Agences locales pour l’emploi nous semble relever de cette catégorie de mesures.

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4.

AUTRES DISPOSITIFS D’ACTIVATION ET DE DEVELOPPEMENT DES SERVICES DE PROXIMITE

4.1.

PROGRAMMES DE TRANSITION PROFESSIONNELLE ET EMPLOIS-SERVICES La technique de l’activation des allocations sociales a été utilisée dans plusieurs types de mesures d’emploi (10). Au même titre que les ALE, les programmes de transition professionnelle (PTP) et les emplois-services, aujourd’hui supprimés, sont directement centrés sur le développement de services de proximité. Les premiers s’adressent aux pouvoirs publics et aux collectivités locales, les seconds visaient principalement le secteur privé. Tous deux s’appuient sur une même logique : rencontrer des besoins non satisfaits et rendre ces services accessibles par la transformation de l’allocation sociale en subvention salariale. Les employeurs bénéficient d’une subvention en général égale à la moitié du salaire minimum et sont par ailleurs dispensés du paiement de l’essentiel des cotisations de sécurité sociale. Les emplois-services visaient des tâches qui ne sont pas ou plus exécutées et qui améliorent la qualité du service au client, les conditions de travail ou la protection de l’environnement. Il s’agissait par exemple des fonctions de pompistes, d’empaqueteurs, de surveillants de parking ou d’exploitants de cafétéria d’entreprise. Si ce dispositif a permis le retour à l’emploi de chômeurs peu qualifiés, il a souvent fait l’objet de critiques. D’une part, la stabilité de l’emploi n’était pas garantie du fait de la limitation dans le temps des avantages accordés aux employeurs. D’autre part, des doutes ont été formulés quant à la qualité des emplois offerts, au régime de travail à temps partiel (près de trois quarts de mi-temps, surtout pour les emplois féminins), et au niveau de rémunération relativement faible (limitée jusqu’en 2000 à 120% du salaire minimum). L’absence de promotion ou de perspective professionnelle était également soulignée (MET, 1999). Pour ces diverses raisons, les emplois-services ont été supprimés en 2002. Les programmes de transition professionnelle offrent aux employeurs des secteurs public et non marchand des avantages à l’embauche similaires au dispositif précédemment cité. L’activation des allocations sociales permet la création d’emplois de services dans les domaines de la propreté publique, de l’aide aux personnes, de la rénovation urbaine, de la sécurité publique, de l’accueil et de l’animation dans les espaces publics. L’intitulé du programme témoigne de son objectif de rotation : les contrats sont limités à deux ans. De création récente (1998), les PTP se différencient des emplois-services sur deux points essentiels : une finalité sociale doit être assignée au projet et la majorité des contrats sont conclus à temps plein. Une évaluation de ce dispositif s’impose. Elle devra prendre en compte les possibilités de formation et le caractère véritablement transitionnel de ces emplois.

(10) Elle permet par exemple, dans le secteur de l’économie sociale, aux entreprises d’insertion d’engager des travailleurs peu qualifiés. Plus récemment, des accords sur l’intérim d’insertion ont permis aux entreprises de travail intérimaire de bénéficier à faible coût d’une main-d’œuvre peu qualifiée, en échange d’un engagement à long terme et d’une formation.

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4.2.

L’ALTERNATIVE DES TITRES-SERVICES Le système belge des ALE a été critiqué par diverses associations et organisations syndicales en raison de son principe et de ses conditions de fonctionnement (nouvelle domesticité, piège à l’emploi, absence de perspective professionnelle pour les prestataires, inscription obligatoire, faiblesse de la régulation des relations entre travailleurs et employeurs). Les organisations patronales et de classes moyennes ont par ailleurs mis en évidence tantôt des éléments de concurrence déloyale, tantôt le frein que constituent les ALE au développement de véritables emplois de service. Ces critiques ont débouché sur plusieurs réformes du dispositif des ALE. Dans la foulée, une proposition de création de titres-services, qui s’appuie notamment sur les expériences étrangères (11), est en cours d’adoption. Ce nouveau dispositif n’abroge pas celui des ALE ; il est cependant appelé à le remplacer partiellement. Nous présentons ci-après les principales caractéristiques de ce système et mettons en évidence quelques conditions nécessaires à une amélioration qualitative des services et statuts de travail offerts.

4.2.1.

Objectifs et caractéristiques du dispositif Le développement d’un dispositif de titres-services s’appuie sur un argumentaire assez similaire à celui qui avait présidé à la mise en place des ALE : de nombreux besoins, liés aux transformations des modes de vie, des structures familiales et aux aspirations nouvelles de la population âgée, ne peuvent être satisfaits par le marché. La Loi du 20 juillet 2001 visant à favoriser le développement de services et d’emplois de proximité (12) poursuit les mêmes objectifs d’offre de services, de développement de l’emploi, de soutien à la croissance par le développement d’activités économiques nouvelles, et de lutte contre le travail au noir (les services glissant, de par leur institutionnalisation, dans le secteur formel de l’économie). La Loi prévoit une intervention financière des pouvoirs publics afin de diminuer le coût des services de proximité et de permettre la création d’emplois salariés dans les entreprises de prestataires de services. L’objectif énoncé de ce système est la création de 3.000 emplois. L’intervention publique dans un tel domaine d’activité est justifiée, dans l’exposé des motifs de la Loi, par les « externalités collectives » liées à la consommation de ce type de services. Il s’agit, d’une part, d’effets positifs sur l’emploi, de la diminution des inégalités de genre sur le marché du travail et de la baisse des coûts sociaux liés au travail au noir. D’autre part, on peut également en attendre des effets en termes (11) Ainsi par exemple, une expérience de subvention à la consommation de services de proximité a été lancée en 1994 au Danemark. Les particuliers bénéficient d’un subside de 50% du coût de la main-d’œuvre pour leurs achats de services domestiques auprès de sociétés agréées. De même, la France a introduit en 1992, dans son système fiscal, la possibilité de bénéficier de réductions d’impôts pour des dépenses liées aux prestations de certains services domestiques et familiaux. Cette initiative a été complétée par la mise en place du chèque emploi-service (1994) et du titre emploi-service (1997) (Joyeux et al., 2000) (Cfr. infra). (12) Publiée au Moniteur Belge le 11.08.2001.

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de développement local à travers, par exemple, l’amélioration du cadre de vie ou encore des effets en terme de santé publique grâce à l’aspect préventif de la garde des personnes âgées ou malades. L’objectif poursuivi étant le développement de l’emploi salarié, on notera également, qu’une diminution du chômage se traduit, pour les pouvoirs publics, par des effets retours liés à la diminution du coût de l’indemnisation du chômage, à la perception de cotisations sociales et à l’augmentation des dépenses de consommation.

4.2.2.

Principes de mise en œuvre Par la diffusion de titres-services, les pouvoirs publics visent à accroître la demande de services de proximité en assurant le cofinancement du coût de chaque heure prestée. Pour des services légalement définis, les ménages pourront acquérir un titre-service à utiliser auprès d’un prestataire. Ce dernier se verra ensuite rémunéré par les pouvoirs publics au coût réel du service réalisé, la valeur nominative du chèque étant supérieure à la valeur d’achat. Les activités couvertes par le titre-service sont le travail ménager (nettoyage, lessive et repassage, travaux de couture occasionnels, courses ménagères et préparation des repas), la garde d’enfants à domicile (si elle est organisée par ménage) et l’accompagnement des personnes âgées, malades ou handicapées dans leurs tâches ménagères, leurs déplacements et leurs loisirs. Techniquement, le système se distingue des ALE dans la mesure où il s’appuie sur un subside à la consommation (réduction du coût du service pour en stimuler la demande). Les allocations de chômage perçues par le travailleur en ALE sont par contre assimilées à un subside à la production (financement du producteur afin de diminuer le prix du service offert). Seule la déduction fiscale des dépenses ALE des usagers peut être considérée comme un subside à la consommation (Joyeux et al., 2000). Une société émettrice éditera des titres-services d’une valeur de 6,20 EUR dans les limites des enveloppes fixées par les autorités compétentes (cfr. infra). Le particulier qui souhaite bénéficier de ce système pour faire réaliser à son domicile des travaux ou services de proximité commandera à la société émettrice ses titres (limités à 500 par an et fiscalement déductibles) et demandera à une société de service agréée de réaliser les travaux (13).

(13) Il paiera la société de service au moyen du titre-service (un titre par heure prestée) et cette dernière se verra verser par la société émettrice un montant de 17,35 euros par titre.

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Les Régions définiront les conditions d’agrément des entreprises de services. Ces conditions porteront essentiellement sur les caractéristiques des travailleurs embauchés, le type et la qualité des services offerts. Le système étant défini comme outil de remise à l’emploi, les travailleurs recrutés pour réaliser les travaux de service devront être des demandeurs d’emploi inscrits à l’office régional de l’emploi. Ces principes sont énoncés dans la Loi du 20 juillet 2001 sur les services de proximité et dans l’Arrêté royal d’application de celle-ci (14). En raison de la répartition des compétences entre les différents niveaux de pouvoirs institutionnels en Belgique, la mise en œuvre de cette loi reposera sur des accords de coopération entre ceux-ci. Un premier accord de coopération a été signé entre l’Etat fédéral et les Régions en décembre 2001. Celui-ci porte essentiellement sur la mise en œuvre et le financement du dispositif (15). L’agrément des entreprises prestataires de services devra faire l’objet d’un accord de coopérations entre les Régions. Deux questions essentielles devront être réglées : celle de l’unification ou non des critères d’agrément dans les différentes Régions du pays et celle de la nature des emplois créés. En effet, si la Loi du 20 juillet 2001 prévoit que le travailleur d’une des sociétés de service « doit être occupé au moins à mi-temps dans le cadre d’un contrat de travail au sens de la Loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail », il semble qu’un accord entre acteurs régionaux soit particulièrement difficile à obtenir sur la durée des contrats. Les uns prônent des contrats à durée indéterminée, d’autres souhaitent pouvoir déroger à cet article de la Loi, rejoignant en cela les attentes du patronat flamand (VEV) en matière d’ouverture du système des titres-services aux sociétés d’intérim.

4.2.3.

Plus-value du dispositif Le dispositif des titres-services ne modifie pas la nature du service offert par l’ALE mais est porteur d’un changement majeur : il s’appuie, en principe, sur des emplois salariés et non plus sur des activités occasionnelles consenties aux demandeurs d’emploi. Les particuliers utilisent les titres-services auprès de sociétés agréées de leur choix pour faire réaliser l’activité voulue à domicile. Les services sont donc réalisés par des salariés d’entreprises ou d’organismes spécialisés (entreprise, association, entreprise d’économie sociale, service social). En ce sens, le dispositif du titreservice s’inscrit véritablement dans la politique de l’emploi alors que les ALE relèvent davantage des mesures de traitement social du chômage.

(14) A.R. du 12 décembre 2001 concernant les titres-services, publié au M.B. le 22.12.2001. (15) Un budget annuel de 5 millions d’euros y est prévu. Il sera supporté pour moitié par l’Etat fédéral et pour l’autre moitié par les Régions et la Communauté germanophone.

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Un autre avantage du système est la professionnalisation des services. Celle-ci repose sur la stabilisation des travailleurs prestataires et sur les exigences de formation qui peuvent être définies par les pouvoirs publics, notamment dans le cadre de l’agrément des organismes de service.

4.2.4.

Conditions d’efficacité L’appui sur le marché et la salarisation des prestataires ne constituent pas en soi des garanties d’efficacité du système. Une activité régulatrice forte s’impose de la part des pouvoirs publics. La nature des services concernés, en particulier ceux relevant de l’aide aux personnes (garde d’enfants, aide aux personnes malades, âgées ou handicapées), implique qu’une attention particulière soit portée à la qualité du service et aux compétences du personnel prestataire. Des procédures d’arbitrage, des codes de conduite, des exigences en termes de formation devront être définis. L’agrément des organismes de services constituera de ce point de vue un outil privilégié pour les pouvoirs publics. Un autre enjeu sera de rendre le système attractif par rapport aux alternatives. En s’alignant sur les prix pratiqués dans le secteur informel de l’économie, les pouvoirs publics offrent aux ménages la garantie d’un service professionnalisé et sécurisé (assurance, possibilité de plainte). Se pose alors la question de la déductibilité fiscale de ce type de dépense. Critiquable dans son principe, de par l’accroissement des inégalités de revenus qu’elle occasionne (Laville, 1997 ; 1999), son efficacité (en termes d’incitation) peut être mise en question du fait de la très faible proximité temporelle entre le paiement du service et le bénéfice de l’avantage procuré (16) (Joyeux et al., 2000). Elle s’impose néanmoins si le système ALE bénéficie du même avantage. Pour privilégier l’emploi salarié initié par le dispositif des titres-services par rapport aux activités occasionnelles organisées par les ALE, il y a lieu soit de proscrire la concurrence entre les deux systèmes (par exemple en interdisant certaines activités aux ALE si le service peut être assuré par un organisme agréé), soit d’assurer une égalité dans le coût du service (la compétition se jouant alors sur des critères autres, tels que la qualité). Enfin, par le subside à la consommation et la détermination du prix d’achat des titres-services, les pouvoirs publics fixent un prix de marché pour les services offerts. Si la demande est telle qu’une concurrence puisse se développer entre organismes de service, il y aura lieu de veiller à l’objet de cette concurrence. Celle-ci ne devrait se jouer que sur la qualité du service. Aussi, il conviendra de déterminer des critères de qualité des services et de porter l’action régulatrice des pouvoirs publics sur les conditions de travail et de salaire. Une réglementation précise doit être établie en ce qui concerne le temps de travail, le temps et le coût des déplacements, les condi-

(16) La subvention étant effective au plus tôt l’année qui suit la dépense.

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SERVICES DE PROXIMITE : ACTIVER LES CHOMEURS OU SOUTENIR LA DEMANDE ?

tions salariales. Il s’agit en effet d’éviter qu’un secteur si hautement subsidié puisse organiser la concurrence en reportant, par exemple, sur les travailleurs les coûts horaires et financiers des déplacements.

4.2.5.

Des questions ouvertes Le dispositif des titres-services offre une réponse socialement acceptable à plusieurs critiques formulées à l’égard des ALE, notamment en ce qui concerne le statut des travailleurs (sauf en cas d’ouverture du dispositif au secteur de l’intérim). Il ne parvient cependant pas à en surmonter tous les écueils, qu’il s’agisse des pièges à l’emploi liés aux écarts de revenus entre inactivité et travail ou de la relation de domesticité développée entre salariés plus aisés et prestataires de services. A côté de quelques questions techniques comme celle de l’éventuel dépassement des crédits disponibles (que feront les entreprises de service si le budget est épuisé et que la société émettrice doit arrêter l’édition des titres ?), le développement d’emplois salariés à partir des besoins domestiques soulève des interrogations plus fondamentales. Nous avons fait référence à la « société de serviteurs » qui pourrait naître de la multiplication des services domestiques offerts aux consommateurs qui en ont les moyens et réalisés par d’autres qui ne peuvent se les payer. A cet égard, la déduction fiscale des titres-services, si elle peut s’imposer du fait de la concurrence des ALE, contribuera à augmenter les inégalités. Même si le dispositif envisagé permet une médiation entre le demandeur (l’usager) et le prestataire de service (le travailleur), la nature des rapports humains à la base de ce type de transaction devra être hautement surveillé afin d’éviter les risques d’exploitation dénoncés dans le cadre des ALE. Comme le souligne J-L. Laville (1997), « la restauration du plein emploi, si elle est recherchée par la mise en valeur de n’importe quelle ressource sans se poser la question du sens des activités menées, peut conduire à des effets pervers sur la cohésion sociale entendue comme la capacité de vivre ensemble. Des prestations de plus en plus diversifiées peuvent être mises au point pour une société qui ne serait plus composée que de clients potentiels. L’élargissement de la gamme des services disponibles et du ‘libre choix’ pour les plus favorisés de ces clients ne peut alors qu’accréditer la vision d’une société comme simple support au bien-être individuel. Au-delà de la question des inégalités accrues entre ménages pouvant disposer d’aides à domicile diverses et ceux qui n’ont pas les moyens d’y accéder, se pose aussi la question des rapports humains induits par des services ou la relation est centrale ».

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Par ailleurs, la forte représentation des femmes dans ces emplois de service, présentée dans l’exposé des motifs de la Loi sur les emplois de proximité comme une contribution à la diminution des inégalités de genre sur le marché du travail, mérite d’être interrogée du point de vue de la répartition des rôles sociaux. Une attention particulière devra être portée à la qualité des emplois offerts et aux salaires octroyés, ainsi qu’à l’organisation concrète du travail (rythme des missions, temps de déplacement). L’évaluation prévue par la Loi devra dépasser l’exercice quantitatif (volume de titres utilisés, nombre d’emplois, etc.). La question du contrat de travail des prestataires est également cruciale. L’ambition première des Régions de n’autoriser que des contrats à durée indéterminée s’inscrit dans la logique d’insertion du dispositif. L’utilisation motivée de contrats à durée limitée (remplacements, surcroît de travail saisonnier) peut être légitime. La réalisation des services de proximité par des travailleurs intérimaires est, en revanche, contraire aux objectifs de stabilisation professionnelle des travailleurs. Enfin, l’accessibilité de ces services au plus grand nombre demandera sans doute des cofinancements supplémentaires. Si la Loi prévoit une intervention possible des mutuelles ou des CPAS, il y aura lieu de réfléchir à l’avenir au financement de cette intervention.

4.3.

BILAN DE L’EXPERIENCE FRANÇAISE DU CHEQUE EMPLOI-SERVICE Dans plusieurs pays, dont la France, les pouvoirs publics se sont appuyés sur le développement des services de proximité pour accroître l’emploi. Deux dispositifs français ont concrétisé cette volonté : il s’agit des emplois familiaux et des chèques emploi-service. Ces deux systèmes concernent des activités identiques à celles visées par le titre-service en Belgique : garde d’enfants, travaux de ménage ou de repassage, petits travaux d’entretien du jardin, garde-malade à domicile, aide ménagère pour personnes âgées ou handicapées. Les emplois familiaux ont été crées en 1992 pour permettre aux ménages d’embaucher des salariés à temps partiel pour la réalisation de services de proximité. Ils ont été accompagnés par la mise en place d’associations agréées de services à domicile. Ces associations sans but lucratif ont pour objectif de mettre en rapport l’employeur et le salarié et d’assurer les formalités administratives inhérentes à l’emploi (bulletins de paie, calculs des cotisations sociales, déclarations à la sécurité sociale). Elles peuvent également agir en tant qu’employeur et facturer les services à l’utilisateur. Le chèque emploi-service (CE-S) a été expérimenté à partir de décembre 1994 ; il avait pour objectif de faciliter le recours aux services à domicile par la simplification des procédures d’embauche et de rémunération des salariés.

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Pour ce faire, les institutions financières (banques, poste) éditent des chéquiers à l’attention des particuliers qui les utilisent pour payer soit un salarié à domicile, soit une association de services à domicile. La demande d’adhésion à signer pour recevoir un chéquier comprend une autorisation de prélèvement automatique des cotisations sociales. Le salaire du prestataire est négocié avec l’utilisateur-employeur (mais ne peut être inférieur au SMIC net horaire). Ce dernier rémunère les prestations grâce au CE-S ; il en envoie un volet au centre national de traitement du CE-S qui calculera le montant des cotisations sociales (directement prélevées sur le compte de l’utilisateur-employeur) et adressera une attestation annuelle qui ouvre le droit à la réduction d’impôt. Le travailleur encaisse le chèque auprès de son institution bancaire et bénéficie d’une couverture par la sécurité sociale. Si le travail réalisé porte sur plus de huit heures par semaine ou plus de quatre semaines de suite, un contrat de travail doit être rédigé. Les deux dispositifs poursuivent l’objectif de lutte contre le travail au noir ; ils donnent également droit à une réduction d’impôt de 50% sur les dépenses occasionnées (salaires et cotisations sociales). Ces dispositifs ont fait l’objet d’une évaluation dès les premières années de mise en service (Zilberman 1995 a et b). Le travail ménager apparaît comme la principale activité rémunérée (80 à 87 % des heures selon les dispositifs). L’activité est en général régulière et de courte durée (quatre à cinq heures sur deux jours par semaine dans le cas des activités ménagères). La durée hebdomadaire du travail rémunéré par le CE-S est d’environ 4 heures, alors qu’elle est de près de huit heures dans le cas des emplois familiaux. Ces derniers comprennent cependant davantage d’activités de garde (enfants, personnes âgées, handicapés) qui prennent plus de temps. Le « salarié type » du secteur des services de proximité est donc une « femme de ménage multi-employeurs » qui, poussée du côté du modèle du travailleur indépendant, entretient avec ses employeurs (ou clients) une relation de nature plus commerciale que salariale. Le chèque-service tire en effet l’employeur-usager vers le modèle de consommateur d’un service qu’il peut renouveler ou non après chaque prestation (Labruyère, 1996). Les « emplois » ainsi créés dans le domaine des services de proximité sont de plus en plus souvent « le résultat d’un assemblage d’interventions réalisées sous plusieurs statuts : aux heures réalisées en mandataire (17) ou payées en chèques emploi-service, s’ajoutent souvent des missions en associations intermédiaires, des vacations en tant qu’aide ménagère, mais aussi parfois quelques heures de ménage au noir (…). C’est en jonglant avec toutes les propositions que peuvent leur faire les prestataires de services que ces salariées, souvent seules ou chefs de famille monoparentale, complètent leur planning de travail de manière à obtenir un revenu mensuel proche du SMIC » (Labruyère, 1996). (17) Pour le compte d’une association de service.

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Les services de proximité semblent donc structurés et sortis pour une part du travail au noir ; ils restent cependant confinés dans des formes précaires d’emploi. De ce point de vue, la globalisation des demandes par les sociétés de service, telle que prévue dans le système belge de titre-service, semble constituer une réponse aux enseignements de l’expérience française quant à la qualité des emplois créés.

5.

CONCLUSION L’expérience des ALE montre qu’il existe une demande réelle pour des services de proximité qui sont porteurs de développement d’activités économiques. Cette demande correspond à un volume de travail de près de 8.000 équivalents temps plein mais n’a cependant pas eu, à l’heure actuelle, d’impact en termes de création d’emplois. En effet, les ALE n’offrent qu’une occupation aux demandeurs d’emploi, même si, pour nombre d’entre eux, l’allocation complémentaire ainsi obtenue est d’une importance vitale. Sans avoir (jusqu’à présent) versé dans l’obligation légale d’activité (workfare), le dispositif a institutionnalisé des travaux de proximité qui relèvent souvent de l’obligation matérielle pour les demandeurs d’emploi. Le système ainsi développé accroît la dépendance vis-à-vis des allocations de chômage et plonge les individus dans des pièges à l’emploi, la sortie vers les formes classiques de travail devenant peu rentable financièrement. En inscrivant ces activités dans les politiques de l’emploi et d’activation du chômage, les pouvoirs publics participent à l’institutionnalisation et à la normalisation d’une zone de précarité aux marges de l’emploi et du chômage. En outre, ils n’accordent pas ainsi l’attention nécessaire aux services de proximité dont la pertinence sociale est avérée et dont le développement ne peut être confondu avec un objectif de remise au travail des chômeurs de longue durée. L’enjeu est donc de veiller à s’appuyer sur la demande de services de proximité pour créér de véritables emplois et une offre de services de qualité. Cette demande n’existe que dans la mesure où un financement important de ces services est garanti par les pouvoirs publics. Dans le cas des ALE, c’est l’allocation de chômage du prestataire qui tient lieu de subside de l’offre. Nous avons montré que la subsidiation des services seule ne suffit pas à transformer une activité en emploi. L’expérience française du CE-S présente de ce point de vue des limites : les salariés sont obligés de composer avec des activités multiples, et donc incertaines, pour se constituer des temps de travail leur permettant d’atteindre un niveau de salaire proche du SMIC. Le système des titres-services, en cours d’élaboration en Belgique, vise à concilier les objectifs de solvabilisation de la demande de service et de développement d’emplois. Ces objectifs impliquent une régulation importante de la part des pouvoirs publics subsidiants.

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SERVICES DE PROXIMITE : ACTIVER LES CHOMEURS OU SOUTENIR LA DEMANDE ?

Les exigences de stabilité des emplois liés aux titres-services (contrat à durée indéterminée, au moins à mi-temps) peuvent paraître exigeantes dans un contexte de flexibilité croissante des emplois. Elles sont cependant légitimes lorsque l’on considère l’important taux de subsidiation de ces emplois (73%) et les objectifs de mise au travail des demandeurs d’emploi, assignés à un dispositif qui poursuit entre autres la mission de les sortir du système ALE. La mise en œuvre de politiques de création d’emploi ne suffit pas au développement d’une offre structurée de services de proximité. Il s’agira, pour les pouvoirs publics, de réguler les pratiques commerciales des entreprises de services, mais aussi de déterminer, notamment à travers l’agrément, des exigences en matière de formation des prestataires et des critères de qualité des services. Il conviendra ainsi de suivre attentivement les conditions de mise en œuvre des titres-services pour les salariés, mais aussi de veiller à l’égalité d’accès aux services offerts. Il n’est en effet pas concevable que des services hautement subsidiés et directement liés à des besoins sociaux (garde de personnes âgées, handicapées, entretien de domicile) ne soient financièrement accessibles ni à ceux qui en ont le plus besoin ni aux salariés qui les réalisent. En ces matières, on ne peut donc répondre au seul objectif d’élévation du taux d’emploi sans s’intéresser à la question de la qualité de l’emploi et, de façon générale, à celle des inégalités. Rendre solvable la demande de services de proximité (c’està-dire en permettre l’accès aux ménages dont les revenus sont insuffisants pour faire appel à l’offre – formelle ou informelle – existante) exigera notamment de sortir d’une politique de tarification unique. Dans cette perspective, les organismes intermédiaires d’aide sociale (pouvoirs locaux ou mutuelles, par exemple) peuvent jouer un rôle central. En modulant le prix des services selon les revenus des ménages, ils peuvent rendre davantage accessibles les services existants. Cette extension de l’offre, tout en répondant efficacement aux besoins, est par ailleurs susceptible de produire davantage d’effets sur l’emploi. __________

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TABLE DES MATIERES SERVICES DE PROXIMITE : ACTIVER LES CHOMEURS OU SOUTENIR LA DEMANDE ? 1. INTRODUCTION

783

2. LE DEVELOPPEMENT DES SERVICES DE PROXIMITE ET L’ACTIVATION DU CHOMAGE

784

2.1. LES ENJEUX : REPONSE AUX BESOINS SOCIAUX ET CREATION D’EMPLOIS . . . . . 2.2. LES MOYENS DE L’ACTIVATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

784 785

3. LES AGENCES LOCALES POUR L’EMPLOI EN BELGIQUE

786

3.1. CARACTERISTIQUES DU DISPOSITIF . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. ELEMENTS D’EVALUATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

786 787

4. AUTRES DISPOSITIFS D’ACTIVATION ET DE DEVELOPPEMENT DES SERVICES DE PROXIMITE

794

4.1. PROGRAMMES DE TRANSITION PROFESSIONNELLE ET EMPLOIS-SERVICE . . . . . . 4.2. L’ALTERNATIVE DES TITRES-SERVICES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3. BILAN DE L’EXPERIENCE FRANCAISE DU CHEQUE-EMPLOI-SERVICE . . . . . . . .

794 795 800

5. CONCLUSION

802

BIBLIOGRAPHIE

806

804


LA SITUATION ATYPIQUE DES INDEPENDANTS DANS LE CHAMP DE LA SECURITE SOCIALE : QUELS ENSEIGNEMENTS EN TIRER POUR D’AUTRES GROUPES DE TRAVAILLEURS SALARIES ? PAR PAUL SCHOUKENS Professeur, docteur, K.U. Leuven

INTRODUCTION Voici déjà quelque temps que les marchés du travail européens font l’objet d’une plus grande flexibilité. Afin de diminuer les chiffres du chômage, les décideurs politiques consacrent beaucoup d’attention à la création d’emplois dits « atypiques ». De plus, chacun s’accorde pour dire que la flexibilité de l’emploi doit devenir la règle. La création d’emplois et le travail atypique sont également au centre de l’actuel débat européen sur l’exclusion sociale : la création d’emplois constitue un outil important de lutte contre la pauvreté et d’autres facteurs menant à l’exclusion sociale. Trouver du travail s’apparente souvent à un garde-fou crucial contre l’exclusion sociale. L’emploi doit ici être conçu de manière large; cela dépasse le cadre dans lequel une personne fournit des prestations professionnelles selon le modèle usuel du travailleur salarié, c’est-à-dire un individu qui travaille dans un lien stable de subordination avec un employeur bien défini. A partir des années ’70, la tendance à se départir de ce modèle classique du travailleur salarié s’est intensifiée et des formes qualifiées de travail « atypique » ont émergé. Il en est résulté une plus grande flexibilité dans l’utilisation de la maind’œuvre; cette augmentation de la flexibilité du travail est souvent liée à la réduction du coût du facteur travail. Le travail atypique adopte des formes diversifiées. Par exemple sont considérés comme travail atypique : le travail à temps partiel, le travail à domicile, le travail temporaire, le travail indépendant, mais aussi toutes les formes particulières soumises à une couverture ou à une exemption spécifiques de la sécurité sociale ( employés de maison, petits boulots, etc.). La création du travail atypique a engendré des relations problématiques avec la sécurité sociale classique. En effet, les lois sociales sur le temps de travail, la protection de l’emploi et les systèmes de sécurité sociale ont été petit à petit consolidées 807


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autour du modèle classique du travailleur salarié. Les formes de travail qui dévient de la relation de travail typique ne s’intègrent pas toujours harmonieusement dans le système de protection sociale, parce que ce dernier manque parfois de souplesse pour s’adapter immédiatement à tous les nouveaux emplois. En conséquence, les personnes qui acceptent les emplois flexibles ou qui y sont forcées risquent de perdre leurs droits de sécurité sociale. Ceci peut être dû au fait que le travailleur atypique ne correspond pas au concept du travailleur typique et, dès lors, tombe hors du champ d’application personnel du système de sécurité sociale (par exemple, l’émergence de l’indépendant et l’exclusion de ce groupe du système de sécurité sociale bâti sur le modèle des travailleurs salariés); mais, la perte des droits peut également être en relation avec le mode non compatible de ce travail avec les techniques utilisées pour construire la protection sociale (par exemple, périodes irrégulières de travail du travailleur temporaire qui ne peuvent être prises en considération pour la période de qualification ouvrant le droit à des prestations de sécurité sociale). En fonction du genre de travail atypique, les problèmes se dessinent en sens divers. Situation dont nous pouvons aisément dire qu’elle ne facilite guère la discussion sur la manière de traiter le travail atypique et/ou marginal dans la sécurité sociale. Beaucoup de typologies ont été introduites pour tenter de systématiser quelque peu le phénomène du travail atypique et marginal. En règle générale, cela traite, comme l’indique le concept, de toutes les formes d’emplois qui ne sont pas effectués d’une manière classique. La situation suivante est classique : un travailleur salarié accomplit une certaine quantité de travail dans une relation de subordination vis-à-vis de l’employeur (étant traditionnellement mesuré en heures de travail). Greisner propose une typologie intéressante : selon lui, le travail classique doit répondre à trois caractéristiques : une relation de travail, dépendante, de longue durée et à temps plein. Autrement dit, s’inscrire dans une structure hiérarchique ne comportant qu’un seul employeur (relation dépendante), durer longtemps (la relation de travail prolongée autorise une promotion au sein de l’entreprise), et être indivisible (le temps plein est l’unique source de revenus du travailleur) (1). Le travail atypique est un travail qui se départit de l’une de ces trois caractéristiques. Les différentes formes de travail atypique se retrouvent dans les catégories suivantes : travailleurs indépendants (qui effectuent un travail non dépendant), travailleurs à temps partiel (qui n’effectuent pas un travail à temps plein) et travailleurs à durée déterminée (dont l’emploi n’est pas stable). Cette catégorisation est sûrement ouverte à la critique. Un grand nombre de personnes, dont je fais partie, s’interrogent à propos du classement des travailleurs indépendants parmi les travailleurs atypiques. Ne sont-ils pas très représentatifs dans leur travail, en exerçant des activités professionnelles de manière indépendante ? Il faut cependant admettre que, pour la sécurité sociale, la catégorie des indépendants est communément définie comme des individus professionnellement

(1) Voir D. Greiner, “Atypical work in the European Union”, in D. Pieters (ed.), Changing work patterns and social security, Londres–La Haye-Boston, Kluwer Law International, 2000, (45), 46.

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actifs mais non considérés comme des travailleurs salariés (classiques) (2). Ce ne serait pas la première fois que l’on entende dans les cercles européens que les indépendants sont réellement « le type le plus extrême de travailleurs atypiques » (3). Au lieu de contester la nature atypique de l’emploi indépendant pour des raisons de sécurité sociale, tentons plutôt de comprendre les défis où nous a entraîné notre réflexion sur la construction d’une protection sociale propre aux travailleurs indépendants. Voici quelques décennies, le groupe des indépendants était peut-être l’un des premiers groupes de travailleurs atypiques qui posa concrètement problème aux systèmes de sécurité sociale existants. En effet, ceux-ci étaient (et le sont encore dans une large mesure) fortement développés autour du modèle du travailleur salarié classique. Quand, dans le courant des années ‘60 et ’70, il devint acceptable que le risque entrepreneurial pouvait être combiné avec le principe de solidarité de la sécurité sociale, naquit l’immense tâche de concevoir une protection sociale propre aux travailleurs indépendants « atypiques ». Certains éléments de cette approche conflictuelle de la protection sociale pour indépendants se retrouvent encore aujourd’hui dans la question de savoir si les entrepreneurs doivent (ou non) être couverts contre le risque de chômage. Les passes négatives du cycle économique et la faillite d’une entreprise ne font-elles pas partie du risque entrepreneurial ? Il n’est pourtant pas moins vrai que chaque Etat membre de l’UE pourvoit en l’une ou l’autre forme de protection sociale pour ce groupe de travailleurs indépendants (4); d’ailleurs, certains Etats sont même parvenus à développer une véritable assurance-chômage en leur faveur. Les Etats candidats à l’UE – plus particulièrement les pays d’Europe centrale et orientale confrontés pour la première fois aux nouveaux entrepreneurs – se débattent actuellement avec la question du comment développer une sécurité sociale adaptée à la nature atypique de l’emploi indépendant. L’exercice dépasse de loin la simple application des règles actuelles de sécurité sociale développés pour les salariés aux travailleurs indépendants. Si nous voulons mieux comprendre la question épineuse de l’application des régimes de sécurité sociale

(2) Voir à ce sujet : P. Schoukens, “The definition of self-employment from a comparative and European perspective”, in International Social Security Association and National Sickness Insurance Fund for Self-Employed Persons (éds.), Social protection and the development of self-employment in nonagricultural occupations, Genève, ISSA, 1998, pp. 103-114 et P. Schoukens, “Comparison of the social security law for self-employed persons in the member states of the European Union”, in D. Pieters, Changing work patterns and social security, Londres-La Haye-Boston, Kluwer Law International, 2000, (63), pp.63-65. (3) Comme ce fut le cas p. ex. dans la conférence sur la sécurité sociale européenne et les indépendants, qui s’est tenu à Florence (Octobre 1993). Voir également : D. Pieters et P. Schoukens, “The European Community and the social security of self-employed”, in P. Schoukens (ed.), Social protection of the self-employed in the European Union, Deventer-Boston, Kluwer Law and Taxation Publishers, 1994, pp. 27-41. (4) Pour un aperçu et une analyse comparative, voir P. Schoukens, De sociale zekerheid van de zelfstandige en het Europese Gemeenschapsrecht: de impact van het vrije verkeer van zelfstandigen, Louvain, Acco, 2000, pp. 37-297 et -, “Comparison of the social security law for self-employed persons in the member states of the European Union”, in D. Pieters (ed.), Changing work patterns and social security, Londres-La Haye-Boston, Kluwer Law International, 2000, pp. 63-98.

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conçus pour des travailleurs salariés classiques, au groupe diversifié des travailleurs atypiques, il peut s’avérer intéressant d’examiner les obstacles auxquels ont été (et sont toujours) confrontés les Etats membres dans leur conception de la sécurité sociale pour la catégorie des indépendants. Pour le propos de la présente contribution, nous examinerons tout d’abord les problèmes que les Etats rencontrent lorsqu’ils appliquent les « systèmes de sécurité sociale typiques aux travailleurs salariés » au groupe atypique des travailleurs indépendants. Nous analysons comment peuvent être approchés les défis d’une application de la sécurité sociale classique (pour travailleurs salariés) à des formes de travail moins typiques. En prenant pour exemple le groupe des indépendants, nous pouvons disposer d’un cadre théorique pouvant être utilisé pour faciliter l’incorporation d’autres travailleurs atypiques dans nos systèmes de sécurité sociale. Ce cadre sera développé dans le deuxième chapitre. Outre la question de savoir comment commencer à intégrer les travailleurs atypiques dans la sécurité sociale, nous pouvons également nous interroger sur la nécessité d’instaurer une sécurité sociale pour les travailleurs atypiques. Dans le cadre du présent article, j’aborderai cette problématique au départ d’un environnement européen. Je pense, en effet, que plusieurs éléments peuvent être trouvés au niveau de l’Union européenne, lesquels recommandent avec insistance d’inclure les travailleurs atypiques dans les systèmes de sécurité sociale existants. Cette question sera traitée dans le troisième chapitre.

1.

LES TRAVAILLEURS INDEPENDANTS EN TANT QUE TRAVAILLEURS ATYPIQUES ET LES CONSEQUENCES QUI EN RESULTENT POUR LA SECURITE SOCIALE Alors que, dans les années ‘60 et ’70, la question de savoir si les entrepreneurs indépendants devaient être couverts pour les risques sociaux faisait l’objet d’intenses débats, nous voyons que tous les Etats membres de l’Union européenne (5) et même les pays candidats de l’Europe centrale et orientale (6) disposent désormais d’une certaine couverture de protection sociale pour cette catégorie de travailleurs. Décidément, la sécurité sociale n’est pas le domaine exclusif des travailleurs salariés classiques. Au fil des ans et des décennies, l’idée de couvrir aussi l’entrepreneur indépendant contre les risques sociaux s’imposa de plus en plus. L’inclusion des indépendants dans les programmes de sécurité sociale semblait non seulement nécessaire pour des raisons sociales, mais encore parce que des préoccupations financières jouaient également un rôle. En Irlande, la décision d’introduire les indépendants dans l’assurance-pension (sociale) pour personnes âgées et survivants a résulté en partie d’une volonté de rendre cette catégorie professionnelle financièrement coresponsable. Apparemment, après la retraite ou le décès du travailleur indépendant, un grand nombre d’indépendants et de leurs survivants finissaient par émarger à la pension universelle d’aide sociale; or, ce dernier régime ressortit au budget général. Vu – en termes relatifs – le peu de ressources de l’impôt sur les (5) Pour un aperçu des systèmes et une analyse comparative, voir ma thèse de doctorat citée ci-dessus. (6) Voir P. SCHOUKENS, The social security systems for self-employed people in the applicant EU countries of Central and Eastern Europe, Anvers-Oxford-New York, Intersentia, 2002, 239p.

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revenus, les indépendants ne contribuaient manifestement pas beaucoup au budget général. En étendant l’assurance-pension sociale aux indépendants et en les faisant payer des cotisations pour l’assurance-pension, ces travailleurs ont été obligés de contribuer davantage pour leurs droits subséquents à une pension de retraite. Cet article n’est pas l’endroit indiqué pour s’étendre copieusement sur tous les systèmes différents de sécurité sociale présents en Europe. Il suffit ici de rappeler que, globalement, une distinction peut être opérée entre les régimes généraux ou universels dans lesquels ont été inclus les travailleurs indépendants, les régimes généraux pour indépendants et les régimes catégoriels pour des groupes d’indépendants. Dans un système de sécurité sociale général ou universel, une protection de base est organisée dans le même régime pour tous les groupes de travailleurs de la population ou même pour la population tout entière. Citons comme exemples : le Danemark, la Finlande, la Suède, la Grande-Bretagne, l’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg, le Portugal, la République Tchèque, la République Slovaque, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, l’Estonie, la Roumanie, la Bulgarie, la Slovénie et la Pologne. Le système général n’opère aucune distinction, des points de vue structurels ou organisationnels, entre les différentes catégories professionnelles ou groupes de la population. Ce régime fournit, indépendamment du groupe qui est assuré, une couverture (de base) identique, la même structure administrative et un plan financier uniforme. Dans un régime général pour indépendants, toutes les catégories professionnelles des indépendants sont regroupées en un seul système de sécurité sociale. Il dispose d’une structure administrative propre avec un conseil d’administration composé de représentants d’associations d’indépendants et du gouvernement. Le système collecte et gère lui-même les ressources financières. Pour ce qui est de la couverture de sécurité sociale et du financement, ce régime n’opère entre travailleurs indépendants aucune distinction entre groupes professionnels. Un tel système s’observe en Belgique. Les régimes catégoriels pour indépendants sont des systèmes spécifiques à différentes catégories professionnelles de travailleurs indépendants. Des exemples de tels systèmes sont présents en Allemagne (agriculteurs, professions libérales, artistes et écrivains), en France (artisans, commerçants et industriels, avocats et autres professions libérales, agriculteurs), en Italie (marchands, artisans, agriculteurs et professions libérales), en Autriche (marchands, professions libérales, notaires, agriculteurs, autres indépendants), en Espagne (indépendants, marins, agriculteurs), en Grèce (les plus importants : commerçants, artisans, avocats, ingénieurs, agriculteurs, etc.), en Pologne (agriculteurs) et en Roumanie (avocats). Les régimes sont dès lors structurés autour des groupes professionnels. La catégorisation de l’incorporation dans des régimes généraux/universels, régimes généraux pour indépendants et systèmes catégoriels doit quelque peu être relativisée lorsque nous considérons la protection sociale induite par les systèmes respectifs. L’existence de régimes catégoriels distincts pour des groupes de travailleurs indépendants n’exclut pas l’appartenance à un système plus général pour certaines prestations de sécurité sociale. L’Italie, par exemple, a assuré certaines catégories de travailleurs indépendants (principalement les agriculteurs, les marchands et les arti811


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sans) sous le système général des travailleurs salariés, bien que des organes de gestion distincts aient été conservés au sein de l’institut administratif du régime des salariés (Instituto Nazionale della Previdenze Soziale). Les indépendants belges ont été rangés sous le régime des travailleurs salariés pour leur assurance-santé (risques de soins de santé majeurs et incapacité de travail). Outre tout ceci, il faut tenir compte du fait que les systèmes catégoriels pour travailleurs indépendants évoluent souvent sur le plan du contenu en direction des régimes plus généraux (pour travailleurs salariés). Par exemple en Grèce, le régime de pension du système des salariés (Idryna KoïnomiKou Asfaliseou) sert de modèle à la réforme des différents programmes catégoriels pour travailleurs indépendants. D’autre part, les systèmes généraux de sécurité sociale devront prévoir des règles spécifiques pour le groupe des travailleurs indépendants. Ces adaptations sont généralement présentes pour les prestations à court terme de remplacement du revenu (particulièrement dans le cadre de la maladie et du chômage) et pour les réglementations relatives au financement. Parfois, ce développement peut être si profond que traiter spécifiquement les travailleurs indépendants est plus facile au sein du régime général de sécurité sociale qu’au sein d’un système catégoriel dont le contenu tend à se rapprocher du régime général pour travailleurs salariés. Sous cet angle, nous pouvons observer que le contenu des systèmes catégoriels de pension grec et français se rapprochent toujours plus du système pour travailleurs salariés. A l’opposé, les indépendants britanniques ne perçoivent qu’une prestation de base en cas d’incapacité de travail, bien qu’ils partagent le même système avec les travailleurs salariés. Quant à la couverture de sécurité sociale, les régimes diffèrent significativement. Au mieux, on pourrait dire que tous les travailleurs indépendants de l’Union européenne ont accès d’une manière ou d’une autre à une forme de protection sociale. Le type de protection peut toutefois fortement diverger et, par ailleurs, un grand nombre de programmes s’appliquent sur une base volontaire. La comparaison (7) des régimes légaux a démontré qu’un certain nombre d’Etats membres ne garantissent que peu ou aucune protection à leurs citoyens travailleurs indépendants. Par exemple, tous les indépendants allemands ne sont pas obligés de s’assurer. Si l’indépendant ne ressortit pas à l’un des systèmes catégoriels existants, il est uniquement couvert du point de vue de la sécurité sociale pour les charges de famille. Pour tous les autres risques, il doit recourir à une assurance-pension volontaire (couvrant la pension-vieillesse, la pension de survivant et la pension-invalidité) et à une assurance-maladie (qui couvre les soins de santé, la maladie et la maternité); cette dernière existe uniquement sous la forme d’un prolongement de l’assurance des travailleurs salariés. Les travailleurs indépendants à faibles revenus, également, sont souvent négligés. Par exemple, la Grande-Bretagne impose à ses travailleurs indépendants des seuils de revenu minimal pour accéder à la sécurité sociale. Si de tels seuils sont fixés à un niveau relativement élevé, un grand nombre des travailleurs indépendants (8) (7) Voir ma thèse de doctorat et les recherches effectuées sur les systèmes d’Europe centrale et orientale, telles que citées ci-dessus. (8) Parfois évalués à un quart de la totalité de la population des travailleurs indépendants : J. Brown, A policy vacuum: social security for the self-employed, Joseph Rowntree Foundation, York, 1992, pp. 12-15 et p. 68.

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risquent de se retrouver sans la moindre protection sociale. Dans ce cas, il est toujours possible en Grande-Bretagne d’adhérer au système sur une base volontaire, mais la réalité démontre que les indépendants ne recourent que très rarement à cette solution. De telles situations présentent un contraste criant avec la protection sociale qui est garantie aux travailleurs indépendants, par exemple, dans les pays scandinaves, dans un grand nombre de pays de l’Europe centrale et orientale, au Luxembourg, en Espagne et au Portugal; dans ces deux derniers pays, si les travailleurs indépendants s’assurent au moins pour l’ensemble des risques. Les indépendants bénéficient ici d’une couverture de sécurité sociale qui, du point de vue du contenu, se rapproche très fort de celle des travailleurs salariés. Les autres Etats se situent entre ces deux extrêmes : une forme de protection de sécurité sociale est offerte pour certains risques, mais pas pour tous. Par exemple, pour les indépendants, tous les pays ont des problèmes avec la couverture de l’incapacité de travail et du chômage (partiel). Pour ces risques, il n’existe que rarement un régime en vigueur, lié au revenu gagné antérieurement. Les longues durées de stage, les prestations fixes et une évaluation inflexible du degré d’incapacité de travail ou du chômage temporaire sont plus usuelles. Parlant en termes structurels, la couverture de sécurité sociale des travailleurs indépendants en Europe va donc d’une protection sociale complète à une couverture limitée de base, voire à l’absence totale de protection. En soi, le type de système de sécurité sociale existant n’affecte pas le niveau de la protection garantie. En guise d’exemple, les systèmes généraux britannique et néerlandais fournissent uniquement une couverture de base. Les régimes professionnels, essentiellement, ne concernent que les salariés. Les pays scandinaves, au contraire, ouvrent ces régimes (y compris ceux relatifs au chômage et à l’incapacité de courte durée) aux travailleurs indépendants, fût-ce à l’aide de certaines adaptations. Enfin, il est également possible qu’un système professionnel offre une couverture sociale identique aux salariés et aux indépendants (par exemple, au Luxembourg, en Hongrie, en République tchèque, en République slovaque, en Slovénie, en Lituanie et, dans une certaine mesure, au Portugal et en Espagne). Que nous apprend tout ceci ? Quel que soit le système existant, les travailleurs indépendants doivent être traités d’une manière spécifique. Pour l’essentiel, ces problèmes se résument à l’absence d’une relation « employeur-travailleur salarié ». Les indépendants se trouvent, par rapport aux salariés, dans une situation spécifique, « atypique » : la relation hiérarchique entre employeur et travailleur est absente; de plus, le revenu se gagne d’une manière plus flexible étant donné qu’aucune rémunération fixe n’est appliquée. Tous les régimes de sécurité sociale qui sont fondés sur ces éléments, sont à l’origine de problèmes lorsque, sans autre forme de considération, ils sont appliqués aux travailleurs indépendants. C’est pourquoi, il existe suffisamment de facteurs visant à différencier la protection sociale définitive dont bénéficient les travailleurs indépendants de celle des travailleurs salariés. Ces facteurs résident principalement dans le mode de financement du système, dans l’évaluation du chômage 813


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(temporaire), dans l’incapacité temporaire de travail, dans l’incapacité partielle de travail et dans la retraite partielle. Les points noirs les plus importants auxquels sont confrontés les Etats lorsqu’ils organisent une protection sociale pour les travailleurs indépendants sont : la difficulté d’estimer la perte réelle de revenu dans l’hypothèse d’un arrêt temporaire de travail. Il est souvent impossible de préciser la part de revenus que l’indépendant risque de perdre;

la difficulté d’attribuer la perte de revenus au risque social en question. En cas d’incapacité temporaire de travail, il est, par exemple, difficile de vérifier jusqu’à quel point, la perte de revenu doit être attribuée à l’incapacité de travail et non à des facteurs extérieurs (le cycle économique); la difficulté de connaître exactement le revenu de l’indépendant puisque les travailleurs indépendants déclarent eux-mêmes leurs revenus. Quand les clients du travailleur indépendant sont ce qu’il est convenu d’appeler des acheteurs finaux, il existe une tendance à sous-évaluer le revenu. Par ailleurs, le mauvais fonctionnement d’un système fiscal a des répercussions sur le financement de la sécurité sociale; la difficulté de déterminer dans quelle mesure un choix conscient est à l’origine du risque social. Avec les travailleurs indépendants, il n’est pas toujours facile de vérifier s’ils ont ou non organisé eux-mêmes leur maladie ou leur chômage.

Néanmoins, on peut observer que les Etats peuvent utiliser l’individualité des travailleurs indépendants de manière créative. Au lieu d’appliquer simplement les régimes pour salariés aux indépendants, ils partent de la situation spécifique (ou atypique) du travailleur indépendant lorsqu’ils conçoivent la protection sociale pour ce groupe. Lorsque, par exemple, il est difficile d’évaluer la perte exacte de revenus d’un indépendant dans le cadre d’une d’incapacité temporaire de travail, pourquoi ne pas accorder dans cette situation une plus grande attention à la perte de potentiel de travail? Au lieu d’accorder une prestation de remplacement du revenu, il peut s’avérer plus sensé de voir à un remplaçant, afin de pallier la perte de main-d’œuvre. Dans l’hypothèse d’une incapacité de travail ou d’une retraite partielle, la gradation dans la compensation du revenu reste plus limitée, en comparaison avec les travailleurs salariés. D’où il conviendrait de concevoir une pension partielle d’invalidité ou de retraite moins diversifiée pour le travailleur indépendant. Ou pourquoi ne commencerions-nous pas à accorder un prêt de transition aux indépendants confrontés à des difficultés économiques ou financières temporaires plutôt que de débourser des allocations de chômage ? Pour ce qui concerne le chômage, nous pouvons observer que les Etats n’éprouvent pas de problèmes à concevoir de véritables assuranceschômage pour les travailleurs indépendants. L’accent glisse en direction de programmes de chômage qui ne sont pas tant structurés autour du caractère involontaire de la situation de chômage, mais visent un revenu de remplacement pour tous 814


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ceux qui ont définitivement mis un terme à leurs activités professionnelles. Lorsque nous considérons le chômage de cette manière, il devient moins controversé d’organiser un système d’allocations de chômage pour les indépendants qui ont mis définitivement fin à leurs activités commerciales. Pour le financement, également, nous constatons qu’il est possible d’utiliser de manière plus créative la déclaration fiscale. Ce n’est pas parce qu’il est difficile de travailler avec les informations sur le revenu imposable que l’on ne pourrait pas développer un mécanisme de financement pour les régimes de sécurité sociale des indépendants. Ainsi, il est souvent fait usage de revenus fixes mais comparables (par exemple, le revenu moyen du secteur professionnel en question, avec parfois la possibilité de prouver un revenu supérieur ou inférieur) ou d’échelles de revenus pouvant être choisies (avec des conséquences sur le montant de la prestation) voire de paramètres fixés indiquant le revenu (par exemple, nombre de clients ou nombre d’affaires en cours pour les professions libérales, nombre de lits pour les hôteliers, etc.). Tous ces exemples démontrent clairement que ce n’est pas la spécificité ou le caractère atypique de l’emploi d’indépendant qui est à l’origine d’une protection sociale moins développée; ce phénomène relève plus de la difficulté à effectuer mentalement le pas d’une adaptation des régimes de sécurité sociale qui ont principalement été développés pour les travailleurs salariés, aux besoins des travailleurs non-salariés. En fin de compte, tout peut être ramené à la politique suivie. La créativité, l’inventivité et la volonté de créer une protection sociale digne de ce nom pour les indépendants ne sont pas présentes dans tous les Etats. Nous devrions nous départir de cette pratique qui consiste à appliquer et à copier simplement pour et aux travailleurs atypiques les systèmes de protection sociale existants pour travailleurs salariés. Lorsque nous appliquons ce modus operandi, une conclusion – aveuglante – s’impose à nous : il est difficile, voire impossible, d’organiser une protection sociale pour le travailleur atypique. Jusqu’à un certain point, ceci correspond à la situation que nous rencontrons dans certains pays d’Europe centrale et orientale. Lorsqu’ils ont été confrontés au groupe émergeant de travailleurs indépendants, leur première réaction a été de l’intégrer dans les régimes existants pour travailleurs salariés. Toutefois, très rapidement, il s’est avéré que l’absence de règles spécifiques d’application compliquait leur mise en pratique pour les indépendants. Malheureusement, en guise de réaction, certains des Etats envisagent d’exclure les travailleurs indépendants des régimes en question. Par exemple, du fait de l’intégration des indépendants dans le système de pension en Lituanie, ils étaient « accidentellement » aussi couverts contre le chômage parce que les conditions d’assurance pour les deux risques sont liées. Au lieu de redessiner le système de couverture de manière à mieux l’adapter à la situation spécifique des indépendants, on projette d’exclure explicitement ces derniers de la couverture contre le chômage. En Lettonie, des projets concrets existent pour introduire une allocation parentale pour les parents assurés qui restent à la maison pour élever leurs enfants. Actuellement, il n’est toujours pas certain que les indépendants puis815


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sent également bénéficier de cette allocation, étant donné qu’à ce jour, aucune règle spécifique d’application a été conçue pour cette catégorie. Nous pouvons encore citer d’autres exemples, particulièrement dans les domaines de l’invalidité et de la retraite partielles ou en matière de règles de cumul des pensions avec des revenus d’une activité professionnelle. Bien qu’initialement, l’intention fût bonne (on tente de fournir au groupe des travailleurs indépendants une couverture sociale complète), le résultat ne répond pas aux espérances (on supprime la protection sociale lorsqu’il s’avère que le système ne fonctionne pas). Cela démontre une fois de plus qu’appliquer purement et simplement des systèmes existants sans tenir compte des spécificités du groupe professionnel n’est pas une approche rationnelle. Je pense que le point de départ devrait être tout à fait à l’opposé. Au lieu de partir d’un groupe professionnel que nous considérons comme « typique » (classique), nous devrions partir du caractère neutre de la sécurité sociale par rapport au statut professionnel d’un individu. La philosophie sous-jacente de la sécurité sociale n’estelle pas la même pour toutes les activités professionnelles? En cas de survenance d’un risque, on tente de neutraliser la perte de revenu subie ou de compenser les coûts occasionnés. Que tout ceci requière différentes réalisations en fonction des situations spécifiques aux groupes professionnels ne change rien à ce point de départ. Ce n’est qu’en oeuvrant dans ce sens que les Etats seront en mesure de circonvenir l’application difficile de la sécurité sociale du travailleur salarié classique au travailleur indépendant atypique. Il faudrait prendre la situation particulière de la catégorie professionnelle concernée en ligne de compte pour adapter au maximum les principes de base existants de la sécurité sociale.

2.

REGLES DE BASE NEUTRES ET REGLES D’APPLICATION LIEES A UNE PROFESSION Il me semble que l’on devrait opérer une distinction entre les principes de base de la sécurité sociale, neutres quant au statut professionnel, et leur mise en œuvre qui devrait dans toute la mesure du possible être adaptée au statut professionnel. Afin de réaliser cette distinction, retournons brièvement aux travailleurs indépendants. L’individualité de ces derniers implique qu’une série de régimes de sécurité sociale soit difficile à appliquer. C’est principalement le cas pour les systèmes de remplacement du revenu pour de brèves périodes, étant donné qu’un grand nombre de conditions d’octroi se réfèrent à la relation d’emploi entre travailleur et employeur (licenciement, salaires, etc.). Néanmoins, à condition de réaliser les nécessaires adaptations, les régimes d’incapacité ou de chômage de courte durée peuvent être organisés pour les travailleurs indépendants. En principe, la sécurité sociale s’accompagne d’un caractère neutre par rapport au statut professionnel. Ceci peut être le cas parce que le risque en tant que tel n’est pas tributaire d’une profession (par exemple, les programmes de remboursement des coûts de soins de santé et des charges familiales), mais aussi parce que les régimes qui sont attachés à une profession peuvent, en principe, aussi être projetés sur tous les groupes professionnels.

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Dans la pratique, la mise en œuvre des régimes, par contre, sera souvent liée au statut professionnel : c’est-à-dire adaptée à la situation spécifique d’une catégorie professionnelle. Si l’on souhaite appliquer la règle de base avec un minimum de succès, il est même conseillé de tenir compte autant que possible des caractéristiques spécifiques de ce groupe professionnel. De ce point de vue, les conditions de mise en oeuvre pour les travailleurs salariés seront généralement construites autour de la relation avec leur employeur. Pour les travailleurs indépendants, il faudra tenir compte de leur position indépendante. Il convient donc d’opérer une distinction entre le point de départ de la sécurité sociale et sa mise en oeuvre. Le premier est neutre quant au statut professionnel, la dernière peut éventuellement être conditionnée par le statut professionnel. La mise en œuvre liée au statut professionnel n’a pas seulement des conséquences sur la distinction traditionnelle entre travailleurs salariés et travailleurs indépendants. Ainsi, de nouvelles catégories professionnelles peuvent graduellement se développer, lesquelles n’opèrent ni dans le cadre d’un lien de subordination, ni dans une relation complètement indépendante (les lavoratori parasubordinati). En effet, un grand nombre de pays éprouvent des difficultés à qualifier des groupes – artistes, travailleurs à domicile, télétravailleurs, représentants, partenaires aidants et managersactionnaires, franchisés, etc. – en termes de législation sociale. Il existe souvent des différences considérables entre Etats dans l’attribution d’un statut de sécurité sociale pour ces derniers. En effet, on pourrait tout aussi bien faire valoir que les artistes, les représentants, etc., qui, par la loi, sont placés sous le système des salariés, devraient être considérés comme des pseudo-travailleurs ou comme des travailleurs atypiques lorsque la pratique démontre qu’il n’existe aucune forme de subordination par rapport à leur employeur. Ce n’est guère surprenant qu’un grand nombre de pays éprouvent des problèmes avec ces travailleurs lorsqu’ils ont été intégrés par la loi dans le système traditionnel des salariés sans y avoir apporté les adaptations indispensables (par exemple, les problèmes actuels avec les artistes en Belgique, les problèmes rencontrés en Autriche avec les personnes qui ne ressortissent ni au système des travailleurs salariés, ni aux catégories traditionnelles de travailleurs indépendants, etc.). Pour eux aussi, il sera important d’analyser la façon d’adapter les risques sociaux traditionnels à leur situation de travail spécifique. Lorsque l’on se focalise sur ce dernier aspect, il ne serait guère plus aussi important de savoir s’il s’agit d’un travailleur salarié classique, ou plutôt d’un travailleur indépendant, voire d’un tout autre type de travailleur. Je suis d’avis que ceci offre tout à la fois une perspective pour le travailleur totalement atypique, celui qui fournit un travail non rémunéré et qui, de ce fait, est très souvent négligé par toute forme de protection sociale (par exemple, les personnes qui font le ménage ou qui soignent des membres de leur famille sur une base non rémunérée). Pour ces personnes aussi, il serait possible d’envisager comment adapter les règles d’application de la sécurité sociale pour être le plus étroitement en ligne avec leur situation spécifique (c.-à-d. le caractère non rémunéré et, dès lors non économique de leur travail). 817


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Pour l’essentiel, il s’agit donc de repenser notre sécurité sociale. Nous ne devons pas partir des systèmes existants pour les travailleurs classiques (salariés à plein temps) qui, historiquement, sont très souvent nés de cette catégorie professionnelle, mais nous devons mettre nettement plus l’accent sur l’objectif que vise en fin de compte la sécurité sociale : à savoir, ne pas isoler les individus de la société lorsque survient un risque social. Ceci peut être réalisé, entre autres, par le remplacement des revenus, la mise à disposition de prestations de services et/ou la compensation des frais. En premier lieu, il convient d’examiner les visées de base face à certains risques ou situations; dans un deuxième temps, il faudrait réfléchir à la manière dont cela peut être mis en œuvre pour certaines catégories de personnes. Jusqu’à présent, nous nous sommes surtout focalisés sur le travail qualifié d’« atypique » du fait qu’il est accompli d’une manière indépendante. Nous nous sommes principalement concentrés sur les catégories de travailleurs. La typologie de Greiner utilisée pour cerner le travail atypique présente également d’autres formes apparentées au caractère propre au travail non fondé sur un horaire complet (« travail à temps partiel ») ou l’emploi non stable (« emploi à durée déterminée »). Ici, l’accent est plutôt placé sur les différents types ou modes de fourniture d’un travail. Pour ma part, je pense que la distinction entre principes neutres et règles d’application liées à la profession peut également générer ici une certaine valeur ajoutée. Par exemple, eu égard aux travailleurs à temps partiel et aux travailleurs à durée déterminée, certains problèmes se présentent à cause de l’arsenal de conditions inflexibles pour s’ouvrir des droits de sécurité sociale. Lorsque l’on recourt à des périodes de qualification (stages) ou s’il faut avoir accompli une quantité bien définie de travail (jours, heures, mois) pour s’ouvrir des droits, il n’y a guère de quoi être surpris que les travailleurs à temps partiel ou les travailleurs à durée déterminée soient laissés en rade. Quand de telles conditions sont liées au champ d’application personnel, il peut en résulter des conséquences perverses, vu que les travailleurs atypiques deviendraient pour l’employeur une main-d’œuvre peu onéreuse. Diverses raisons peuvent être à la base d’une fixation de périodes de qualification ou de conditions d’accès aux droits liées à des quantités définies de travail. Un problème pourrait résider dans les difficultés que rencontrent les administrations pour tenir à jour des périodes d’assurance fragmentées. Dans le domaine des pensions de retraite, sûrement, le fardeau administratif de la tenue à jour des périodes d’assurance est parfois invoqué pour justifier la non-prise en compte du travail à durée déterminée ou du travail d’un type irrégulier. Ici, l’adaptation à la situation spécifique du travailleur atypique relève du développement ultérieur de procédures administratives. Il faut admettre que les technologies modernes d’informatisation nous ouvrent des perspectives d’un réglage fin des données administratives existantes, capables d’inclure également les personnes présentant un parcours de travail irrégulier. En conséquence, il se pourrait que les régimes de pension, plutôt que de se focaliser sur les rémunérations de temps plein payées durant une période définie (par exemple, une année pour pouvoir entrer en ligne de compte pour le calcul), doivent commencer à conserver des données relatives aux revenus gagnés et/ou aux contributions versées tout au long d’une période plus ou moins longue (dans le cas extrê818


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me, durant toute la vie active). Dans un tel cadre, l’accent portera davantage sur le revenu moyen gagné pendant un laps de temps défini que sur la quantité de travail accomplie au cours d’une période donnée. Un autre souci de préoccupation concerne la fraude ou la prévention de la fraude. Les travailleurs doivent avoir fait partie du système pendant une certaine période pour obtenir des droits à des prestations. Ceci est nécessaire pour prévenir les situations dans lesquelles un individu deviendrait uniquement travailleur avec l’intention de percevoir le plus rapidement possible une prestation en fonction des revenus gagnés. Lorsque nous examinons les instruments-cadres standard de l’OIT et du Conseil de l’Europe, nous lisons aux chapitres relatifs à la maladie, à la maternité et au chômage que les périodes de qualification sont acceptables pour autant qu’elles soient jugées indispensables pour prévenir les abus (9). Toutefois, de telles dispositions sont souvent formulées en gardant à l’esprit le travailleur typique (à temps plein) et ont, concrètement, pour effet négatif d’exclure de la protection de la sécurité sociale les travailleurs à temps partiel ou les travailleurs à durée déterminée, même si la période de travail est telle qu’elle exclut toute suspicion de fraude. Pour prévenir qu’une telle situation puisse se produire, le principe de lutte contre la fraude devrait être formulé d’une manière plus neutre (par exemple, sans référence explicite ou implicite au travail à temps plein) et, lors de son application, il convient de prendre en considération les différents types de travail (ainsi, pour un travailleur à durée déterminée, il faudrait tenir compte des périodes de travail à plus long terme). Dans leur approche similaire, les Conventions OIT sur le travail à temps partiel (10) et sur le travail à domicile (11) formulent des dispositions de cette nature. L’article 6 de la Recommandation 182 relative au travail à temps partiel propose notamment de réduire progressivement le seuil exigé pour la couverture (de sécurité sociale) ainsi qu’une réduction du risque de pénaliser les travailleurs à temps partiel par des seuils de qualification pour les prestations ou par la méthode de calcul du montant des prestations. L’article 25 de la Recommandation 184 déclare dans une formulation plus claire que la sécurité sociale doit être adaptée pour couvrir les besoins des travailleurs à domicile et qu’il conviendrait en fin de compte d’introduire des systèmes particuliers. En d’autres termes, les deux Recommandations font clairement entendre qu’il faut tenir compte des caractéristiques spécifiques des travailleurs atypiques lors de l’application des principes de base existants de la sécurité sociale.

3.

L’EUROPE ET LA NECESSITE DE SAUVEGARDER LA SECURITE SOCIALE POUR LES TRAVAILLEURS ATYPIQUES ET MARGINAUX Dans les paragraphes qui précèdent, nous avons vu qu’il était possible de concevoir une protection sociale pour le travail atypique à condition d’être prêts à prendre en considération pour la mise en œuvre des principes de base de sécurité sociale les (9) Voir p.ex., les articles 17, 23 51 du Code européen de sécurité sociale (Conseil de l’Europe) du 16 avril 1964. (10) Convention OIT N° 175 sur le travail à temps partiel et la Recommandation N° 182. (11) Convention OIT N° 177 sur le travail à domicile et la Recommandation N° 184.

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caractéristiques spécifiques des diverses catégories professionnelles et des différents types professionnels. Autre chose est de savoir si nous sommes disposés à intégrer les formes de travail atypique dans nos régimes traditionnels de protection sociale et, par conséquent, de repenser fondamentalement notre sécurité sociale. L’objet de la présente contribution n’est pas de parcourir toutes sortes de théories sociologiques sur les objectifs de la sécurité sociale. Pour ce faire, d’autres sont nettement mieux placés. Je me restreindrai donc à rappeler la finalité de la sécurité sociale : préserver l’intégration des individus dans notre société. Eu égard à cet objectif, nous pouvons discerner un certain nombre d’évolutions dans le cadre européen et international de la sécurité sociale qui, à mon avis, sont susceptibles de sortir des effets concrets pour les travailleurs atypiques. Notre propos n’est pas de fournir un aperçu de toute la législation internationale et européenne pertinente pour le travail atypique et sa relation avec la sécurité sociale (12). Ceci ne nous emmènerait d’ailleurs pas beaucoup plus loin qu’un certain nombre de Conventions et de Recommandations de l’OIT sur le travail atypique et sur le travail à domicile (13); ainsi que, pour ce dernier groupe, à certaines initiatives de l’UE. Les Directives CE sur le travail à temps partiel (14) et sur le travail à durée déterminée (15) traitent principalement des conditions de travail et non de questions de sécurité sociale (16). Ces deux documents légaux spécifient clairement qu’ils se rapportent uniquement aux conditions d’emploi et admettent que les questions concernant la sécurité sociale obligatoire relèvent des Etats membres. D’ailleurs, les directives ne s’aventurent guère plus loin qu’une référence à la Déclaration sur l’Emploi de décembre 1996 du Conseil européen de Dublin. Dans cette déclaration, le Conseil soulignait, entre autres, la nécessité de rendre les régimes de sécurité sociale plus favorables à l’emploi en « développant des systèmes de protection sociale capables de s’adapter aux nouveaux modèles de travail et d’offrir une protection sociale appropriée aux personnes engagées dans le cadre de tels modèles ». Je me limiterai à certains principes européens généraux et aux conséquences que leur application peut exercer sur la sécurité sociale des travailleurs atypiques. Je n’ai nullement l’intention de fournir un aperçu complet de la législation européenne en vigueur qui traite directement ou indirectement de la protection sociale du travail-

(12) Sur ce sujet, voir p. ex. l’excellent article de D. Pelekanos, “International social security instruments and alternative work patterns”, in D. Pieters (ed.), Changing work patterns and social security, La Haye-Londres-Boston, Kluwer Law International, 2000, pp. 133-149. (13) Convention N° 175 sur le travail à temps partiel, clarifiée en sus par la Recommandation N° 182 et la Convention 177 concernant le travail à domicile, avec clarification supplémentaire dans la Recommandation N° 184. (14) Directive CE N° 97/81 du 15 décembre 1997, JO, L 20 janvier 1998, numéro 14, 9. (15) Directive CE N° 1999/70 du 28 juin 1999, JO, L 10 Juillet 1999, numéro 175, 43. (16) La même chose se vérifie pour le récent accord-cadre sur le télétravail, signé par l’ETUC, l’UNICE/l’UEAPME et le CEEP le 16 juillet 2002.

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leur atypique (17). Ici, nous examinerons l’impact potentiel que sont susceptibles d’avoir sur le travailleur atypique et sur son accès à la protection sociale le débat européen contre l’exclusion sociale et la garantie européenne de liberté de circulation des personnes.

3.1.

LIBERTE DE CIRCULATION ET TRAVAIL ATYPIQUE Les citoyens et les travailleurs jouissent de la libre circulation au sein de l’Union européenne (respectivement, les articles 18, 39, 43 et 49 du Traité CE). Dans son programme d’action relatif à la mise en œuvre de la Charte de la Communauté sur les droits sociaux fondamentaux des travailleurs, la Commission notait déjà que les divergences en matière de couverture de sécurité sociale étaient susceptibles d’agir comme un frein sérieux sur la liberté de circulation (des travailleurs) (18). Aujourd’hui, plutôt qu’une exception, la règle semble être de rendre la liberté de circulation des personnes dépendantes d’une couverture sociale minimale. Par exemple, nous disposons de trois directives qui règlent la liberté de circulation des personnes professionnellement non actives (19). Ces directives autorisent les citoyens des Etats membres et les membres de leur famille qui n’ont pas encore ce droit en vertu d’autres dispositions, à circuler librement à condition d’être suffisamment assurés pour les soins de santé et de disposer de suffisamment de moyens d’existence. En bref, les personnes non professionnellement actives peuvent uniquement exercer leur droit de circulation librement lorsqu’elles ne deviennent pas une charge pour les pays d’accueil. Elles doivent avoir assez de moyens d’existence et être suffisamment assurées pour les soins de santé avant de pouvoir exercer leur droit de résidence dans un autre Etat membre. De telles réglementations peuvent être trouvées dans deux propositions visant à étendre à des nationaux de pays tiers la libre circulation des prestations de services. Les deux propositions accordent à des citoyens non UE le droit de recourir à la libre

(17) Sous ce point de vue, l’effet découlant des directives sur l’égalité de traitement des hommes et des femmes sur le travail atypique est par exemple intéressant, particulièrement lorsque les groupes de travailleurs atypiques sont (majoritairement) composés de personnes d’un sexe déterminé et connaissent un traitement différent en matière de sécurité sociale. Voir plus généralement sur cette question : A. Dashwood et S. O’Leary, The principle of equal treatment in EC Law, Londres, Sweet & Maxwell, 1997, 300 p.; T. Hervey et D. O’Keeffe, Sex equality law in the European Union, Wiley, 1997; et S. Prechal et N. Burrows, Gender discrimination Law of the European Community, Aldershot, Dartmouth, 1990, 351 p. (18) Voir les Considérants de la Recommandation du Conseil CEE, 27 juillet 1992 sur la convergence des objectifs et des politiques de protection sociale, JO, L 26 août 1992, numéro 245, 49. (19) Respectivement pour les citoyens des Etats membres en général, pour les travailleurs salariés, pour les travailleurs indépendants qui ont mis fin à leur activité professionnelle et pour les étudiants. Directive 90/364/CEE du Conseil du 28 juin 1990 sur le droit de résidence, JO L 13 juillet 1990, numéro 180, 26; Directive 90/365/CEE du Conseil du 28 juin 1990 sur le droit de résidence pour travailleurs salariés et travailleurs indépendants qui ont mis fin à leur activité professionnelle, JO. L. 13 juillet 1990, numéro 180, 28; et Directive 93/96/CEE du Conseil du 29 octobre 1993 sur le droit de résidence pour étudiants, JO. L. 18 décembre 1993, numéro 317, 59.

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circulation des prestations de services (20) en tant que travailleurs indépendants ou de voyager dans un autre Etat membre comme travailleur (détaché) dans le cadre de la fourniture de prestations de services (21). Dans ce cas, l’individu en question doit être suffisamment assuré contre la maladie ou les accidents du travail En dehors de la sphère de la sécurité sociale, nous notons également que la liberté de circulation des services peut s’accompagner de normes sociales minimales. La directive relative au détachement des travailleurs en est une illustration (22). Cette directive impose le respect d’un noyau minimal de conditions de travail pouvant être imposé par les Etats membres aux travailleurs détachés lorsqu’ils sont temporairement actifs sur leur territoire dans le cadre de la libre circulation des prestations de services. Avec cette mesure européenne, on tente de contrer le risque de dumping social. Par exemple, avant la promulgation de la directive, on ne savait pas jusqu’à quel point, la loi nationale sur le travail s’appliquait aux travailleurs détachés qui, normalement, travaillaient dans un autre Etat membre. La Directive 96/71 a au moins prévenu, le possible minage de la loi nationale sur le travail par l’exercice extrême de la libre circulation des prestations de services. Pourtant, la directive ne concerne en rien les régimes de sécurité sociale. Pour ces aspects, la directive renvoie explicitement à la réglementation de coordination, dans le considérant 21 : « considérant que le règlement (CEE) No 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté fixe les dispositions applicables en matière de prestations et de cotisations de sécurité sociale ». Mais, la réglementation de coordination impose-t-elle des normes standard ? Le Règlement 1408/71 se limite simplement à régler les régimes de sécurité sociale existants pour les travailleurs migrants et les travailleurs indépendants. Tout éventuel effet d’harmonisation a, en principe, été exclu. Dès lors, le Règlement 1408/71 n’impose sûrement pas de normes minimales en matière de sécurité sociale. Vu de plus près, la référence de la Directive N° 96/71 concernant des normes sociales minimales au Règlement N° 1408/71 devient plus compréhensible. Bien qu’entre Etats membres, les régimes de sécurité sociale puissent diverger en termes de contenu, le texte présume qu’une couverture de base identique est offerte à tous les travailleurs au sein de l’Union européenne. Sachant que tous les Etats membres ont adhéré aux normes minimales supranationales en matière de sécurité sociale, on a probablement estimé qu’il n’était pas nécessaire d’établir un lien entre la liberté de

(20) Proposition de Directive du Conseil étendant la libre prestation de services transfrontaliers aux ressortissants d’un Etat tiers établis à l’intérieur de la Communauté, 12 février 1999, JO C 10 mars 1999, numéro 67,17. (21) Proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil relative aux conditions de détachement des travailleurs salariés ressortissants d’un Etat tiers dans le cadre d’une fourniture de services transfrontaliers, 12 février 1999, JO C 10 mars 1999, numéro 67, 12. (22) Directive 96/71, 16 décembre 1996, JO, L., 21 janvier 1997, numéro 18, 1.

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circulation des travailleurs et une couverture minimale de base. Le paysage actuel de la sécurité sociale pour travailleurs salariés offre ainsi suffisamment de garanties pour accorder à ces personnes le droit de circuler librement. La majeure partie de ces instruments standard se retrouve dans d’autres institutions internationales. Le Conseil de l’Europe et l’Organisation Internationale du Travail (OIT) particulièrement jouent un rôle de premier plan sous ce rapport (23). Toutefois, les dispositions relatives au champ d’application personnel nous enseignent que, concrètement, ces conventions n’ont qu’une signification minime pour les travailleurs atypiques (24). Comme l’esquissait à juste titre Pelekanos : « [C]es instruments ont été formulés pour protéger le travailleur salarié à plein temps et ne traitent pas de manière directe de la question de la protection sociale des travailleurs engagés dans des formes d’emploi atypiques. Dans le cadre de ces instruments, les travailleurs occupés dans des formes atypiques d’emploi peuvent se voir exclus de la couverture, et s’ils ne sont pas exclus, peuvent être privés des droits de sécurité sociale étant donné que les conditions de qualification et autres fixées ne prennent pas en considération les caractéristiques et circonstances spécifiques de l’emploi atypique (traduction) ». En d’autres termes, les catégories professionnelles atypiques tombent hors du champ d’application de la protection minimale. La Convention OIT n° 102 et le Code européen – dont la transposition au plan national ne s’est guère avérée être un grand défi pour les Etats membres de l’Union européenne (25) - n’ont dès lors qu’une importance concrète minime pour la majorité des travailleurs atypiques. Les efforts fournis pour tenir compte de la situation de protection sociale des travailleurs atypiques sont plutôt limités et se focalisent principalement sur le travail à temps partiel et sur le travail à domicile. De plus, ces instruments n’ont été ratifiés que par un nombre très restreint d’Etats de l’UE (26).

(23) Les traités les plus importants sur les normes minimales ayant été ratifiés par les Etats membres de l’Union européenne sont respectivement la Convention OIT n° 102 relative aux normes minimales de sécurité sociale, le Code européen et la Charte sociale européenne, tous deux conclus dans le cadre du Conseil de l’Europe. La Charte sociale européenne garantit e.a. le ‘droit à la sécurité sociale’. Pour une description concrète de ce droit, il est fait référence aux normes minimales de la Convention OIT n° 102 (article 12, paragraphe 1 de la Charte). Dans la Charte révisée, il est fait référence au Code du Conseil de l’Europe; toutefois, la Charte révisée n’a été ratifiée que par trois Etats membres de l’UE. (24) Voir aussi D. Pelekanos, “International social security instruments and alternative work patterns”, in D. Pieters (ed.), Changing work patterns and social security, La Haye-Londres-Boston, Kluwer Law International, 2000, (134), 147. (25) Par rapport à la promulgation de normes minimales dans la Convention n° 102, il a fallu établir un équilibre entre un niveau réalisable de protection sociale pour les Etats membres les plus pauvres de l’OIT et une ligne directrice minimale pour les Etats sociaux occidentaux : voir K. Kremalis., “Principles of international and European social security law”, in D. Pieters (ed.), Social Security in Europe, Anvers-Apeldoorn-Bruxelles, Maklu-Bruylant, 1991, (131), 142. (26) Convention OIT n° 175 (travailleurs à temps partiel) par la Finlande, l’Italie, le Royaume-Uni et les Pays-Bas et la Convention OIT n° 177 (travailleurs à domicile) par l’Irlande et la Finlande.

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Autrement dit, il convient d’être prudent avant de pousser des personnes dans un travail atypique, si ce dernier n’est pas accompagné d’une protection sociale appropriée. A cause de l’absence de conditions sociales minimales d’accompagnement, il n’est guère possible de prévenir que le travailleur atypique soit à charge de l’Etat de résidence temporaire lors de l’exercice de son droit à la libre circulation. Nous ne devons pas oublier qu’en vertu de l’article 39 du Traité CE, ce dernier droit n’est pas exclusivement réservé aux travailleurs typiques. Le concept « travailleur salarié » doit être considéré au sens de l’article 39 du Traité CE comme étant celui qui effectue un travail authentique et effectif, dont l’ampleur est suffisamment significative pour que cette activité ne puisse être considérée comme une activité purement marginale et complémentaire (27). L’essentiel est qu’une personne effectue des prestations de services pour et sous la direction d’une autre pendant une certaine période de temps en retour de quoi elle perçoit une rémunération (28). En d’autres termes, les travailleurs atypiques, du moins si leurs activités professionnelles ne sont pas d’une nature marginale extrême, peuvent invoquer le principe de la libre circulation. Par ailleurs, il convient de noter qu’un autre groupe important de travailleurs atypiques, les travailleurs indépendants, bénéficient du droit de se déplacer librement au sein de l’UE sur la base des articles 43 et 49 du Traité CE (29). En conséquence, le risque qu’un travailleur atypique insuffisamment assuré sur le plan social, doive être pris en charge par un état de résidence temporaire en cas de problèmes financiers ou de santé, n’est guère une fiction. Et, il ne faudrait sûrement pas oublier que l’individu qui a (légalement) exercé son droit de liberté de circulation, ne peut se voir refuser l’accès à des programmes d’aide. Sur la base de la jurisprudence établie de la Cour européenne de Justice, aucune discrimination ne peut être opérée vis-à-vis des personnes employées en ce qui concerne les prestations sociales (30). Autrement dit, les Etats pourraient être confrontés avec les problèmes sociaux des travailleurs atypiques pour lesquels (dans le pays d’origine), aucune garantie n’a été prévue sur le plan d’une protection sociale propre. Alors que nous exigeons une couverture sociale minimale et un minimum d’existence pour les personnes non professionnellement actives qui exercent leurs droits de libre circulation dans le territoire de l’Union européenne, ceci n’est pas prévu pour le travailleur dépourvu de toute protection sociale. La probabilité que cette situation se présente existe surtout avec les travailleurs atypiques. (27) CEJ, 26 février 1992, Raulin, affaire C-357/89, REC., 1992, I-1027. (28) Voir e.a. CEJ, 21 juin 1988, Brown, affaire 197/86, REC., 1988, 3205; CEJ, 26 février 1992, Bernini, affaire C-3/90, REC., 1992, I-1071; CEJ, 12 mai 1988, Sala, affaire C-85/96, REC., 1988, I-2691 et CEJ, 8 juin 1999, affaire C-337/97, REC., 1999, I-3829. (29) Voir à ce sujet : P. Schoukens, “The situation of self-employed persons with a view to Article 43 and 49 of the EC-Treaty, in Federal Ministry of Social Security and Generations and EU Commission (eds.), Social security in Europe: The EC-Treaty and Regulation 1408/71, Vienne, Bundesministerium für soziale Sicherheit und Generationen, 2001, 136-164. (30) Voir à propos de cet exemple : CEJ, 16 décembre 1976, Inzirillo, affaire 63/76, REC., 1976, 2957; CEJ, 14 janvier 1982, Reina, affaire 65/81, REC., 1982, 33; CEJ, 10 novembre 1992, Commission contre Belgique, affaire C-326/90, REC., 1992, I-5517. Pour les travailleurs indépendants : CEJ, 13 mars 1993, Commission contre Luxembourg, affaire C-111/91, REC., 1993, I-817. Dans le cadre de l’article 18 du Traité CE (citoyens) : CEJ, 12 mai 1998, Sala, affaire C-85/96, REC., 1998, I-1931 et plus récemment CEJ, 20 septembre 2001, Grzelczyk, affaire C-184/99, REC.,I-6193.

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Lors d’études antérieures, j’ai démontré que ceci est particulièrement vrai pour les travailleurs indépendants (31) étant donné que la couverture de protection sociale pour ce groupe professionnel varie considérablement en fonction des Etats membres. Sur la base, notamment, de la théorie des « règles de base neutres et d’une règle d’application liée à la profession », j’ai plaidé pour des mesures sociales dans le cadre de la libre circulation des travailleurs indépendants. Comme déjà mentionné, compte tenu du caractère neutre de la sécurité sociale, j’ai conclu que des principes de base identiques s’appliquent à toutes les personnes professionnellement actives, indépendamment de leur statut professionnel. Pour les travailleurs exerçant leur droit de libre circulation, aucune règle communautaire n’est applicable en matière de revenu minimal ou de protection de sécurité sociale, à l’opposé des travailleurs indépendants. Néanmoins, comme nous l’avons fait valoir ci-dessus, le point de départ (social) est extrêmement différent. Contrairement à ce qui s’applique aux travailleurs salariés, dans l’UE, la couverture de sécurité sociale pour les indépendants est fort variable, allant de l’absence de toute protection à une protection approchant de très près le niveau de protection des salariés. Lorsque le point de départ diffère entre travailleurs salariés et travailleurs indépendants, actifs à un niveau européen, la législation européenne devrait, il me semble, en tenir compte. Autrement dit, le point de départ inégal entre les catégories professionnelles devrait être contrebalancé par des réglementations d’ajustements nécessaires. D’ailleurs, de telles mesures correctrices sont d’autant plus légitimes qu’au sein de l’Union européenne, le groupe des travailleurs indépendants a encore et toujours le droit à la libre circulation des personnes sans un minimum de garanties pour leur protection sociale. Je pense que la théorie peut également avoir une plus-value pour les autres catégories ou types de travail atypique, tout particulièrement lorsque la couverture sociale est susceptible de diverger fortement entre les Etats membres de l’UE.

3.2.

EXCLUSION SOCIALE ET TRAVAIL ATYPIQUE La lutte contre l’exclusion sociale est l’un des objectifs les plus ambitieux de l’agenda de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. L’Union européenne l’a fait figurer parmi ses principaux objectifs (Traité CE, article 136) et a développé toute une méthodologie et un plan de travail pour le mettre en place. Actuellement, la lutte de l’UE contre l’exclusion sociale se bâtit autour de la méthode de coordination ouverte, une technique conçue pour systématiser la diffusion des meilleures

(31) Voir ma thèse de doctorat sur ce sujet : P. Schoukens, De sociale zekerheid van de zelfstandige en het Europese Gemeenschapsrecht: de impact van het vrije verkeer van zelfstandigen, Louvain, Acco, 615 p.; voir également : P. Schoukens, “A comparative presentation of the national social security systems for the self-employed: outstanding issues of co-ordination”, in European Commission and Ministry of Labour and Social Security (eds.), The free movement of the self-employed within the European Union and the co-ordination of national social security systems, Athènes, Access, 2001, 195-231.

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pratiques et réaliser une convergence plus grande en direction des buts principaux de l’UE (32). Le débat s’articule autour d’une approche intergouvernementale dont le résultat n’est pas légalement exécutoire. Il s’agit principalement d’un outil politique aux fins de rapprochement des programmes nationaux qui combattent l’exclusion sociale. Le concept d’exclusion sociale est difficile à définir. Dans sa communication sur « la modernisation et l’amélioration de la protection sociale », la Commission de l’UE déclare : « [L’]exclusion va au-delà de la pauvreté. C’est l’accumulation et la combinaison de différents types de privation : absence d’éducation, détérioration des conditions de santé, absence de domicile fixe, perte de soutien familial, non-participation à la vie régulière de la société, et absence d’opportunités de travail. Chaque type de privation augmente les autres types. Le résultat en est un cercle vicieux, menant du chômage de longue durée à la rupture des liens familiaux, et le cas échéant à la marginalité et à la délinquance » (33). Ou, pour résumer, comme l’ont formulé Berghman et Vleminckx « les individus peuvent être exclus de différentes dimensions de la société dans laquelle ils vivent. Ils peuvent être exclus de l’emploi, de l’éducation, du logement, des contacts personnels, du respect, etc. La notion d’exclusion sociale fait référence au caractère multidimensionnel de la privation relative (traduction) » (34). Différencier l’exclusion sociale de la pauvreté et du chômage (de longue durée) ne rend pas les choses aisées quand n’existe pas de définition claire pour les trois concepts. Afin de ne pas tomber dans une discussion sans fin sur les définitions et les délimitations, une meilleure approche consiste à examiner quels buts poursuit en fin de compte l’inclusion sociale. Plutôt que tenter de définir ce qu’est précisément l’exclusion sociale, il pourrait s’avérer plus utile de comprendre ce qu’elle représente du point de vue fonctionnel. La lutte contre l’exclusion sociale devrait se focaliser sur le maintien de l’intégration des gens dans la société (35). Lors de l’approche du concept d’exclusion sociale, on identifie très souvent des personnes qui vivent à la marge de la société et qui exigent une aide spécifique : chômeurs de longue durée, jeunes chômeurs, personnes âgées, familles monoparentales, migrants et réfugiés, les moins favorisés dans les régions urbaines et rurales. En soi, l’absence de revenus ou de ressources est une cause importante, bien que non exclusive, de la position d’exclusion. Mais, l’exclusion peut aussi être liée à un handicap ou à l’âge de l’individu concerné, voire à l’absence d’accès aux nouvelles technologies.

(32) Conseil européen, Conclusions de la Présidence, Lisbonne, 23 et 24 mars 2000, 12. (33) Communication de la Commission CE, 12 mars 1997 sur la modernisation et l’amélioration de la protection sociale dans l’Union européenne, COM(97), 102, 9. (34) K. Vleminckx et J. Berghman, “Social Exclusion and the Welfare State”, in D.G. Mayes, J. Berghman et R. Salais, Social exclusion and European Policy, Cheltenham-Northampton, Edward Elgar, 2001, (27), 34. (35) Sur la relation entre exclusion sociale et théorie sociologique, voir : K. Vleminckx et J. Berghman, “Social Exclusion and the Welfare State”, in D.G. Mayes, J. Berghman et R. Salais (eds.), Social exclusion and European policy, Cheltenham-Northampton, Edward Elgar, 2001, (27), 31.

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Le but ultime est de maintenir les personnes (potentiellement) exclues dans la société. Aux yeux de l’UE, ce maintien devrait résulter d’une approche bidimensionnelle : en premier lieu, les individus devraient continuer à s’intégrer dans la société en trouvant du travail; si ceci est impossible, d’autres outils sociaux pourraient être utilisés. Sous cet angle de vue, il est intéressant de prendre note du cinquième considérant de la Recommandation du Conseil 92/441 : « […] qu’il convient en conséquence de poursuivre les efforts et de conforter les acquis des politiques sociales et d’adapter ces politiques au caractère multidimensionnel de l’exclusion sociale, qui implique d’associer aux diverses formes nécessaires d’aide immédiate des mesures visant résolument l’intégration économique et sociale des personnes concernées » (36). Dans la Communication sur la modernisation et l’amélioration de la protection sociale de la Commission, déjà citée, nous pouvons également lire que les systèmes nationaux de revenus minimaux doivent « convertir une solidarité passive et précaire avec les personnes exclues, en un contrat qui leur offre de réelles opportunités d’intégration tant sociale qu’économique ». Par essence, cette description comporte deux composantes : intégration économique et/ou intégration sociale. Afin de corriger socialement la création du marché intérieur, l’Europe vise en tout premier lieu une activation par le travail, participer au marché de l’emploi est considéré comme étant la meilleure garantie d’intégration. Des mesures sociales spécifiques sont uniquement nécessaires pour les personnes pour qui l’activation par le travail n’est pas efficace. En fin de course, les citoyens européens devraient rester socialement intégrés. Si ceci ne peut être réalisé (uniquement) par une activation par le travail (intégration économique), des revenus de remplacement, ainsi que d’autres prestations sociales également, devraient continuer à intéresser les personnes concernées à la société (intégration sociale au sens large). Les politiques sociales doivent poursuivre l’objectif plus ambitieux d’aider les personnes à trouver une place dans la société. Le principal outil, sans qu’il soit toutefois le seul, est le travail rémunéré (37). A mon avis, cette focalisation sur l’emploi doit être placée dans sa perspective correcte. L’intégration dans le marché du travail ne peut pas, en tant que telle, mener à l’exclusion sociale. Sous cet angle de vue, les mesures ciblant l’intégration dans le marché de l’emploi ne doivent pas avoir pour conséquence d’exclure la personne concernée de la société. Forcer les gens à travailler à des salaires ridiculement bas peut, par exemple, aussi conduire à l’exclusion sociale. L’action européenne (et nationale), qui est développée autour de l’intégration par le travail devrait dès lors être attentive aux conséquences sociales plus larges que de telles mesures d’activation sont susceptibles de produire. De ce point de vue, les deux dimensions de

(36) Recommandation CEE Conseil, 24 juin 1992 portant sur les critères communs relatifs à des ressources et à des prestations suffisantes dans les systèmes de protection sociale, JO L 26 août 1992, numéro 245, 46-48. (37) Commission des Communautés européennes, Politique sociale européenne. Options pour l’Union (Livre Vert), COM(93), 551, 21. Dans les conclusions de la Présidence du Conseil européen de Lisbonne (23 et 24 mars 2000), nous pouvons également lire que la meilleure – mais probablement pas l’unique – “sauvegarde contre l’exclusion sociale est un emploi”.

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l’exclusion sociale sont intrinsèquement associées l’une à l’autre. De plus, il ne convient pas d’accorder plus de poids à l’une qu’à l’autre. Au lieu de simplement trouver des emplois pour les personnes exclues, l’accent, dans le débat européen, devrait être déplacé quelque peu vers la création d’emplois de qualité qui maintiennent l’intégration des personnes dans la société. Je pense que ceci peut également produire des effets sur le travail atypique. Pousser des individus dans des emplois atypiques sans protection sociale correspondante est un exemple de piètre politique d’inclusion par le travail; une telle politique est source de fortes probabilités d’exclusion sociale. Les Etats peuvent promouvoir le travail atypique comme une manière de diminuer les chiffres du chômage. En agissant ainsi, on peut consciemment choisir de faciliter la conclusion de contrats avec des travailleurs indépendants, des travailleurs à temps partiel, des travailleurs à durée déterminée, des travailleurs à domicile, et tous les autres types de travail atypique. S’il s’avère que la protection de sécurité sociale des travailleurs atypiques n’a pas été fortement développée, voire qu’elle est tout simplement absente, une telle politique est susceptible d’aboutir à une forme de destruction sociale. Dans un tel cas, le gouvernement accepterait qu’une large partie de la population soit professionnellement active sous un statut de sécurité sociale inférieur. Ce type d’intégration économique démontre, en d’autres termes, un degré d’inclusion sociale médiocre. D’où, je pense qu’une politique basée sur ce type d’approche ne cadre pas avec l’idée de lutte contre l’exclusion sociale, telle que la comprend actuellement l’Union européenne. Si l’on encourage le travail atypique, des garanties suffisantes doivent être incorporées pour que la population travaillant de manière flexible ait accès à la protection sociale. Cette ligne de pensée est confirmée, il me semble, par la Charte de la Communauté des droits sociaux fondamentaux des travailleurs. Ici, nous pouvons lire, entre autres, que : « [T]out travailleur de la Communauté européenne a droit à une protection sociale adéquate et doit bénéficier, quel que soit son statut et quelle que soit la taille de l’entreprise dans laquelle il travaille, de prestations de sécurité sociale d’un niveau suffisant ». Rien dans cette Charte ne permet de conclure que cette disposition s’applique exclusivement au « travail typique ». Le paragraphe sur la protection sociale stipule clairement que quel que soit le statut du travail, il y a lieu de garantir une protection sociale au travailleur. La valeur juridique de la Charte communautaire est cependant loin d’être claire. Cela a commencé comme une déclaration d’intention signée par les autorités responsables des Etats membres. Toutefois, lors du Traité d’Amsterdam (1997), le chapitre sur la politique sociale du Traité CE a introduit une référence non ambiguë à la Charte communautaire. Dans l’article 136, nous pouvons lire que « [L]a Communauté et les Etats membres, conscients des droits sociaux fondamentaux, tels que ceux énoncés dans la Charte sociale européenne […] et dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989, ont pour objectifs la promotion de l’emploi, […] ». En d’autres termes, l’Union européenne (et les Etats membres) doit avoir à l’esprit la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs (ainsi que la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe) lorsqu’elle développe les objectifs sociaux énumérés. Le moins que l’on puisse dire, c’est que, lors de la mise en œuvre de la promotion de l’emploi, l’Union européenne ne devrait pas entrer en conflit 828


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avec la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux. Le même principe s’applique aux Etats membres lorsqu’ils mettent en œuvre les objectifs apparentés de l’Union européenne. Une autre question, d’une nature plus épineuse, est de savoir si chaque type de travail, aussi marginal qu’il puisse être, doit offrir une protection sociale. Ou, pour le formuler autrement, devons-nous tenir compte du travail marginal lorsque nous traitons de sécurité sociale ? Comme je l’ai déjà indiqué, les Etats devraient se focaliser sur la création d’emplois qui ne mènent pas à l’exclusion de la sécurité sociale. En termes pratiques, la tentation est grande d’associer travail « qualitatif » à un certain montant de revenu moyen pouvant être gagné au cours d’une certaine période (mois, année, durée de vie, etc.). Un travail qui ne génère pas suffisamment de revenus ne mérite pas d’être pris en considération pour des besoins de sécurité sociale et, dès lors, devrait être découragé dans toute la mesure du possible. L’idée sous-jacente est la suivante : une personne qui ne gagne pas ce niveau de revenus est incapable de subvenir à ses propres besoins. Le problème est alors de savoir comment définir ce niveau minimal. Comme je l’ai déjà mentionné, du fait de l’introduction au Royaume-Uni à une certaine époque d’un seuil de revenu minimal, on a estimé qu’un quart des travailleurs indépendants était exclu du système de protection sociale. En baissant le montant minimal, un nombre plus important d’indépendants aurait pu accéder au système, mais je suis d’avis que ceci n’est pas une bonne manière d’aborder le problème. La lutte contre l’exclusion sociale devrait également contenir une dimension qui va au-delà du travail économiquement rémunérateur. La protection sociale n’est pas seulement prédéterminée par les revenus tirés du travail; dans un tel cadre, les « travailleurs non-agorals » – c.-à-d. des personnes qui, en termes économiques, ne gagnent aucun revenu – seront toujours tenus hors du système. Certains accomplissent un travail, qui n’est pas rémunéré de manière économique mais d’une grande valeur pour la collectivité (faire le ménage, prendre soin d’autres personnes, etc.). Devrions-nous, dès lors, décourager ce type de travail à cause de son caractère non rémunérateur ? Parlant de l’accès à la protection sociale, je pense qu’il nous faut différencier protection sociale associée au revenu professionnel et protection sociale d’une nature plus générale. La première donne droit à des prestations qui, en définitive, sont liées aux gains antérieurs de l’activité de travail. La dernière est de nature générale en ce qu’elle porte sur les risques - en soi, non liés au travail (par exemple, soins de santé et allocations familiales) - ou qu’elle procure une prestation de base pour des personnes qui ne sont pas parvenues à bâtir une carrière professionnelle suffisante pour s’ouvrir des droits dans les régimes de revenus professionnels (par exemple, systèmes de remplacement du revenu de base sans obligation de cotisation en cas de vieillesse, chômage et incapacité de travail). Dès lors, devons-nous accepter le travail marginal dans les régimes professionnels de sécurité sociale? Et, si oui, à partir de quel niveau, l’activité professionnelle n’est-elle plus marginale et devient-elle un véritable travail? A titre personnel, je pense qu’il est (théoriquement) possible d’introduire tout type de travail marginal dans les 829


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régimes professionnels. Toutefois, prendre en considération dans les régimes associés aux revenus professionnels le travail marginal et/ou le travail non rémunérateur d’un point de vue économique ne solutionne pas le problème de l’exclusion sociale. La prestation obtenue pour les activités professionnelles marginales ou non-économiques ne sera jamais assez élevée pour permettre la survie d’un individu. Autrement formulé, les régimes basés sur les revenus professionnels doivent recevoir quelque correction sociale pour être en mesure de sauvegarder l’inclusion sociale. Ceci peut par exemple se faire en accordant une prestation minimale définie dans les régimes professionnels ou en sous-tendant les régimes associés aux revenus professionnels avec des régimes universels qui tiennent compte de l’ensemble de la population (active). Dans mon esprit, cette correction sociale devrait toujours avoir un rapport avec le travail au sens large. Certaines personnes peuvent tomber hors du champ d’application des régimes professionels du fait de leur travail marginal, voire non-économique. Ceci ne signifie pas pour autant qu’elles devraient perdre tout bénéfice à la protection sociale. D’une manière ou d’une autre, elles devraient avoir la garantie de pouvoir bénéficier de droits à la sécurité sociale, même si les prestations dont elles bénéficieraient n’étaient que des prestations de base. Toutefois, ce type d’inclusion sociale devrait s’accompagner d’une perspective d’(de) (ré)intégration dans le travail, quelle que soit sa nature (économique ou non économique). Il pourrait par exemple prendre la forme d’une coopération dans la recherche d’un emploi adapté à l’intéressé, mais tout autant en acceptant un travail non rémunéré, utile à la société. Je suis d’avis que, chaque fois que c’est possible, l’inclusion sociale devrait conduire également à l’inclusion dans le travail, dans cette perspective, toutefois, le travail devrait être accepté dans son sens large. Ce faisant, la perspective d’être redirigé vers le travail et, donc, d’une (ré)intégration dans la société, serait élargie.

EN GUISE DE CONCLUSION Cette contribution vise à démontrer que le travail, quelle que soit la forme qu’il puisse adopter, devrait être accompagné d’une protection sociale adéquate. L’exercice problématique de l’application de la protection sociale aux travailleurs indépendants nous a enseigné qu’opérer une distinction entre les principes de base de la sécurité sociale, qui sont neutres par rapport au statut professionnel du travailleur et les règles d’application qui, dans toute la mesure du possible, devraient tenir compte de la situation spécifique du groupe de travailleurs est susceptible de constituer une clé utile. D’une certaine manière, il est relativement évident que la protection sociale de la main-d’œuvre classique ne peut que difficilement s’appliquer aux formes de travail atypique. C’est une question de redéfinition des points de départ : en principe, la sécurité sociale devrait être neutre par rapport aux différents types de travail pouvant être accomplis. L’expansion du marché unique démontre aussi que nous devons être prudents lors de l’introduction de formes atypiques de travail sans mettre en place la moindre protection sociale adéquate. Il existe une possibilité que ces travailleurs atypiques qui 830


LA SITUATION ATYPIQUE DES INDEPENDANTS DANS LE CHAMP DE LA SECURITE SOCIALE ...

bénéficient de la libre circulation ne deviennent à charge du système de protection sociale des Etats d’accueil. Par ailleurs, le récent débat européen sur la lutte contre l’exclusion sociale a donné voix à la demande de création d’emplois ayant un certain niveau de qualité. Ce dernier élément signifie, à mon avis, qu’entre autres, le travail quelle que soit la forme qu’il prenne devrait donner lieu à une protection sociale. Si ce n’était pas le cas, l’inclusion dans le travail pourrait résulter sur l’exclusion sociale. D’autre part, l’inclusion dans le système de protection sociale ne peut uniquement être axée sur le travail de nature rémunératrice. En tant que tel, le travail économiquement rémunérateur ne devrait pas être le seul moyen de permettre aux personnes d’accéder aux prestations de sécurité sociale. Ainsi, les individus occupés dans un travail marginal ou dans un emploi de nature non rémunératrice devraient pouvoir accéder à la protection sociale, même si cette dernière adoptait la forme d’une protection de base. Ce type d’intégration sociale devrait toutefois être également axé sur l’inclusion dans le travail, ou pour le formuler en d’autres termes, des efforts – du travail au sens large – peuvent être demandés pour rester intégré dans la société. En fin de course, dans toute la mesure du possible, l’inclusion sociale devrait mener également à l’inclusion dans le circuit du travail. (Traduction) __________

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TABLE DES MATIERES LA SITUATION ATYPIQUE DES INDEPENDANTS DANS LE CHAMP DE LA SECURITE SOCIALE : QUELS ENSEIGNEMENTS EN TIRER POUR D’AUTRES GROUPES DE TRAVAILLEURS ATYPIQUES ?

INTRODUCTION 1. LES TRAVAILLEURS INDEPENDANTS EN TANT QUE TRAVAILLEURS ATYPIQUES ET LES CONSEQUENCES QUI EN RESULTENT POUR LA SECURITE SOCIALE

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2. REGLES DE BASE NEUTRES ET REGLES D’APPLICATION LIEES A UNE PROFESSION

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3. L’EUROPE ET LA NECESSITE DE SAUVEGARDER LA SECURITE SOCIALE POUR LES TRAVAILLEURS ATYPIQUES

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3.1. LIBERTE DE CIRCULATION ET TRAVAIL ATYPIQUE . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. EXCLUSION ET TRAVAIL ATYPIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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EN GUISE DE CONCLUSION

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LES DEVELOPPEMENTS DE L’EUROPE SOCIALE L’UE ET LA PROTECTION SOCIALE : PROPOSITIONS POUR LA CONVENTION EUROPEENNE

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MOBILITE DES PATIENTS ET REPONSES POLITIQUES DE L’UE

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L’INFLUENCE DE LEGISLATION DE L’UE SUR LA NATURE DES SYSTEMES DE SOINS DE SANTE DANS L’UNION EUROPEENNE

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LE SERVICE NATIONAL DE SANTE BRITANNIQUE : APERCU POLITIQUE ET HISTORIQUE

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LA CONVERGENCE EUROPEENNE CONFRONTEE AUX DISPARITES NATIONALES, LES DISPARITES EN MATIERE DE PRESTATIONS DANS LES PAYS DE L’UNION EUROPEENNE

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L’UNION EUROPEENNE ET LA PROTECTION SOCIALE : PROPOSITIONS POUR LA CONVENTION EUROPEENNE (1) PAR FRANK VANDENBROUCKE (2) Ministre des Affaires sociales et des Pensions

INTRODUCTION Le présent article abordera deux questions étroitement liées : (1) Si l’Union européenne (UE) doit jouer un rôle dans le développement de la politique sociale, quel est le rôle qui devrait lui être imparti ? (2) Le rôle propre de l’UE, tel que nous le définirions en répondant à la première question, nécessiterait-il une modification du Traité ? Si la réponse à la seconde question est positive, la Convention européenne et la prochaine Conférence intergouvernementale (CIG) offrent une occasion unique d’inclure les changements souhaités dans un nouveau Traité européen. Du point de vue de la politique sociale, mon approche du rôle de l’UE ne sera pas exhaustive. Pour l’essentiel, je me concentrerai sur le développement de la protection sociale et, par conséquent, je n’aborderai pas les questions de politique de l’emploi et les autres problématiques liées. Je n’établirai pas non plus de lien entre la discussion sur la protection sociale et le débat sur la manière dont les États membres peuvent maintenir le financement nécessaire aux programmes sociaux dans un contexte de « concurrence fiscale », ni sur le débat relatif à l’avenir des fonds structurels. Cette omission volontaire ne minimise en rien l’importance de ces thèmes, bien au contraire. Toutefois, mon objectif vise, d’une part, à examiner l’impact de l’UE sur la mission spécifique d’un ministre national responsable de la protection sociale (y compris des soins de santé) et, d’autre part, à présenter le modèle d’Union que ce ministre aimerait voir éclore. (1) La présente contribution est une version adaptée de Vandenbroucke, F. (2002), “The EU and Social Protection: What Should the European Convention Propose?”, MPIfG Working Paper, 2/6 (Juin), prononcé le 17 juin 2002 au Max-Planck-Institut für Gesellschaftsforschung (MPIfG), à Cologne. Pour lire d’autres allocutions et documents politiques, consultez www.vandenbroucke.com. (2) Je tiens à remercier Elias Mossialos (London School of Economics), Anthony Atkinson (Nuffield College, Oxford), Mario Telò (Institut d’Etudes Européennes, ULB), et Philippe Van Parijs (Chaire Hoover, UCL) de m’avoir donné l’opportunité de discuter des idées contenues dans le présent article au cours de réunions et de séminaires qui se sont tenus à Bruxelles, Londres et Oxford. Je tiens également à remercier Anne Van Lancker, Bart Vanhercke et beaucoup d’autres amis pour leurs remarques à propos des versions antérieures, et Tom Van Puyenbroeck ainsi que Christina Thomas pour leurs commentaires éditoriaux. Je remercie par avance quiconque m’adressera commentaires ou critiques à l’adresse suivante : frank.vandenbroucke@minsoc.fed.be.

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La première partie de mon article répondra succinctement à ma première question sur le rôle de l’UE dans la politique de la protection sociale. La deuxième partie présentera un bref aperçu de l’agenda européen des ministres en charge de la « protection sociale » tel qu’il est établi à ce jour, et suggérera des propositions à court terme pour l’évolution ultérieure de cet agenda, sans impliquer une modification du Traité. Dans cette deuxième partie, je démontrerai que l’agenda de la protection sociale a gagné en dynamisme depuis le Sommet de Lisbonne de mars 2000, mais qu’il reste fragile du point de vue institutionnel et politique. Dans la troisième partie de cet article, j’exposerai six propositions relatives au Traité. Ces propositions répondent aux questions soulevées dans la première partie et à l’expérience acquise au cours de la période de l’après-Lisbonne discutée dans la deuxième partie.

1.

QUEL ROLE DEVRAIT JOUER L’UE DANS LE DEVELOPPEMENT DE LA POLITIQUE DE LA PROTECTION SOCIALE ? Si l’UE devait jouer un rôle dans le développement de la politique de la protection sociale, quel serait-il ? Afin de fournir une réponse cohérente à cette question, nous devrions d’abord évaluer les faits : quel rôle joue effectivement l’UE dans le devenir de la protection sociale ? Dans leur excellent ouvrage, Stephan Leibfried et Paul Pierson résument les faits comme suit : « le processus d’intégration européenne a érodé à la fois la souveraineté (c’est-à-dire l’autorité légale) et l’autonomie (c’est-à-dire la capacité de régulation de fait) des Etats membres dans le domaine de la politique sociale. Les Etats sociaux nationaux demeurent les institutions fondamentales de la politique sociale européenne, mais ils le sont dans le contexte d’un cadre politique à plusieurs niveaux de plus en plus contraignant » (3). Outre les pressions directes sur les Etats sociaux nationaux résultant d’initiatives de politique sociale mises sur pied par les institutions européennes, la dynamique de l’intégration du marché exerce, de jure, des pressions indirectes sur les Etats sociaux nationaux par l’imposition par la Cour de justice des Communautés européennes (ci-après la « Cour ») d’exigences directes de compatibilité avec le marché, et de facto par les forces de concurrence économique dans un marché intégré.

1.1.

EROSION DE L’AUTORITE LEGALE A LA SUITE DES EXIGENCES DE COMPATIBILITE AVEC LE MARCHE L’imposition directe d’exigences de compatibilité avec le marché, découle principalement de l’application de deux libertés fondamentales garanties par le Traité : la libre circulation des travailleurs et la libre circulation des services.

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(3) Leibfried, S. et Pierson, P., Social Policy. Left to Courts and Markets?, in: Wallace, H. et Wallace, W., Policy-Making in the European Union, Quatrième édition, The New European Union Series, Oxford University Press, p. 268 (traduction libre).


L’UNION EUROPEENNE ET LA PROTECTION SOCIALE : PROPOSITIONS POUR LA CONVENTION EUROPEENNE

L’application du principe de liberté de circulation des travailleurs implique qu’aucun Etat membre, ne peut limiter la plupart des prestations sociales à ses nationaux ; ne peut faire prévaloir que ses prestations s’appliquent exclusivement à son territoire et ne peuvent dès lors être octroyées que sur celui-ci ; bien qu’il dispose toujours d’une grande latitude pour prévenir que d’autres systèmes de politique sociale concurrencent directement sur son propre territoire le régime qu’il a construit, n’est plus totalement en mesure de s’y opposer ; n’a un droit d’administration exclusif des prétentions des travailleurs migrants à des prestations sociales.

L’application du principe de libre circulation des services est étroitement liée au fait que le droit européen se rapporte principalement à l’activité économique et aux libertés d’entreprendre. De toute évidence, la question est de savoir si les prestations de services des Etats sociaux constituent une activité économique. Dans l’affirmative, la liberté de fournir des prestations financières ou sociales serait d’application, comme les règles générales européennes de libre concurrence. Il s’ensuivrait, par exemple, que les gouvernements des Etats membres ne disposeraient plus de l’exclusivité pour décider qui est autorisé à fournir des services sociaux ou des prestations sociales. Heureusement, l’intégration européenne reconnaît l’existence d’une véritable activité sociale de type non économique. Toutefois, les libertés de marché du Traité ne prévoient pas d’exemption générale pour l’activité de l’Etat social, et la distinction entre activité « économique » et activité « sociale » (ou « solidarité ») n’est pas toujours nettement tranchée. Par conséquent, une grande part des conflits juridiques et des arrêts de la Cour porte sur la définition – et la redéfinition constante – de cette ligne en pointillé qui sépare l’activité « économique » de l’activité « solidaire ». Dans un rapport pour la Présidence belge de l’UE de l’année 2001, le Professeur Elias Mossialos (4) et son équipe ont démontré l’existence, dans le domaine des soins de santé surtout, de perspectives significatives pour un remodelage radical des politiques nationales à travers ce « filtre du marché ». Comme le soulignent également Leibfried et Pierson, c’est dû en particulier au fait que, dans la plupart des systèmes nationaux, l’assurance-santé présente plus de « caractéristiques de marché », est plus fragmentée en groupes de fournisseurs qui opèrent déjà sur les marchés (instrumentation médicale, produits pharmaceutiques) ou sur des quasimarchés (médecins conventionnés) et que, dans la majorité des pays, elle a traditionnellement été ouverte à l’offre du privé. De plus, au cours des récentes décennies, les réformes nationales ont été de plus en plus souvent soumises à des « cures (4) E. Mossialos, M. McKee, W. Palm, B. Karl and F. Marhold (2002), EU Law and the Social Character of Health Care Systems, P.I.E. – Peter Lang, Bruxelles, 259 p.

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de marché » et à la dérégulation. Dans la mesure où ces réformes éloignent l’assurance sociale de la redistribution et de la solidarité, il est évident qu’au-delà d’un certain seuil – non identifié à ce jour -, de tels programmes risquent tout simplement de se muer en une entreprise économique parmi d’autres qui se doit d’être compétitive face à l’assurance-santé privée et à d’autres concurrents dans le respect de règles équitables du jeu (5). L’exemple des soins de santé démontre qu’il serait parfaitement simpliste de blâmer « l’Europe » pour les problèmes auxquels sont confrontés les décideurs politiques nationaux, comme si « l’Europe » imposait des solutions de marché à des Etats membres peu disposés à les accepter. De fait, au lieu de poser la question « Les prestations de services des Etats sociaux constituent-elles une activité économique ? », on pourrait poser une question légèrement différente : « Dans quelle mesure les Etats membres veulent-ils organiser leurs prestations sociales nationales comme une activité économique ? » Les véritables conséquences de l’application du régime concurrentiel européen et des règles du marché intérieur ont été illustrées à plusieurs reprises dans les arrêts rendus par la Cour. Un seul exemple suffira à illustrer mon propos. Dans les arrêts Kohll (6) et Decker (7), la Cour a considéré qu’en exigeant une autorisation préalable pour le remboursement de soins d’orthodontie et de l’achat de lunettes en dehors de son territoire, le Luxembourg avait créé par ses règles en matière d’assurance-santé une entrave injustifiée à la liberté de circulation des biens et des services au sein de l’Union européenne. Par conséquent, la sécurité sociale luxembourgeoise fut forcée de rembourser ces soins de santé reçus sans autorisation dans un autre Etat membre. Ces arrêts ont clairement donné à entendre une fois encore que les systèmes de sécurité sociale, même s’ils relèvent d’une compétence nationale, ne peuvent ignorer la loi européenne. Par ailleurs, les arrêts Kohll et Decker créent un système dual de couverture sociale en matière de soins de santé : D’une part, il y la coordination de la sécurité sociale par le Règlement 1408/71. Ce Règlement intègre le patient qui a reçu l’autorisation de son institution de sécurité sociale dans le système de protection sociale de l’endroit où il bénéficie d’un traitement médical, « comme s’il était assuré par celui-ci ». Il s’ensuit principalement que le patient est soumis au même partage des coûts et aux mêmes réglementations (p. ex. consultation d’un généraliste avant celle d’un spécialiste), et que les coûts sont réglés entre les deux systèmes de protection sociale conformément aux tarifs de l’Etat dans lequel les soins ont été prodigués. Les personnes migrantes deviennent temporairement « membres » du système de soins de santé de l’Etat hôte.

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(5) Les paragraphes précédents sont dans une large mesure inspirés par l’analyse de Leibfried et Pierson. (6) CEJ, Kohll, C-158/96, (1998) ECR I-1931. (7) CEJ, Decker, C-120/95, (1998) ECR I-1831.


L’UNION EUROPEENNE ET LA PROTECTION SOCIALE : PROPOSITIONS POUR LA CONVENTION EUROPEENNE

D’autre part, les patients recourant à la procédure engendrée par Kohll et Decker ne sont pas intégrés dans le système de protection sociale d’un autre Etat membre. Cependant, une fois de retour dans leur pays de résidence, ils réclament la couverture du système de protection sociale de leur pays d’origine “comme s’ils y avaient reçu le traitement”. Par conséquent, le remboursement dans l’Etat de résidence est sujet aux conditions et aux tarifs en vigueur dans cet Etat (8).

Cette dualité ne crée pas seulement un cadre propice à la complexité et à la confusion, mais pose aussi un problème plus fondamental. La procédure traditionnelle autorise la mobilité (sous condition) tout en préservant la cohésion interne des systèmes nationaux de soins de santé. La procédure Kohll et Decker introduit un certain degré de liberté, qui, s’il était illimité, serait susceptible de faire éclater la cohésion interne des systèmes nationaux de soins de santé. Ainsi, elle pourrait mener tout à la fois à l’augmentation des inégalités d’accès aux soins de santé et à l’accroissement des problèmes lorsqu’il s’agit de garantir la qualité des soins – deux objectifs essentiels que les ministres de la santé nationaux européens souhaitent atteindre. Je n’entends pas par là que la mobilité accrue des patients est un problème en soi. Au contraire, je suis d’avis que la mobilité accrue des patients est susceptible, pour plusieurs raisons, de s’avérer très positive si elle s’inscrit dans un cadre approprié. Par exemple, elle autoriserait le développement d’un système de centres d’excellence européens pour des traitements médicaux hautement spécialisés, ainsi que pour de nouvelles thérapies. Elle permettrait de cueillir les fruits de projets de coopération transfrontaliers ou d’organiser une solidarité tangible entre des Etats membres confrontés à des difficultés spécifiques dans le domaine des soins de santé. Toutefois, la nature du cadre appliqué en vue d’organiser la mobilité des patients sera cruciale. Un exemple concret pourrait illustrer mon propos. Supposons que les citoyens britanniques aient la possibilité de se faire soigner sans autorisation préalable n’importe où en Europe, par exemple en Belgique, et que le National Health Service (NHS) ait à rembourser les frais. La mobilité des patients ouvrirait des perspectives intéressantes : elle résoudrait dans l’immédiat le problème des listes d’attente, alors que les investissements supplémentaires réalisés aujourd’hui par le gouvernement britannique réclament du temps pour produire des résultats tangibles; par ailleurs, dans la mesure où le NHS viendrait à envisager de sous-traiter ses patients au secteur privé au sein du R-U, une concurrence des prix transparente et bien organisée entre le secteur privé britannique et les dispensateurs de soins du reste de l’Europe pourrait s’avérer avantageuse. Toutefois, la libre mobilité des patients comporte également des risques significatifs : pas seulement le risque d’une facture incontrôlable (vu que le gouvernement du R-U n’est pas en mesure de superviser le rapport coût-efficacité à l’étranger), mais encore des problèmes potentiels en ce qui concerne la qualité (8) Les paragraphes qui précèdent sont inspirés de W. Palm et J. Nickless, (2001), “Access to healthcare in the European Union: The consequences of the Kohll and Decker judgements”, Eurohealth, vol. 7(1), p. 13-22.

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des soins, vu l’asymétrie de l’information qui caractérise le secteur de la santé. Du point de vue du secteur belge de la santé, la mobilité des patients britanniques créerait certes des possibilités, par exemple des revenus supplémentaires. Mais parallèlement, la mobilité des patients, au cas où elle se baserait sur une procédure de type « Kohll et Decker » et non sur la procédure traditionnelle exposée dans le Règlement 1408/71, pourrait alimenter le développement d’un système de soins de santé « à deux vitesses » en Belgique, si les patients britanniques devaient être traités à des tarifs « libres » (c’est-à-dire, des tarifs ne se conformant pas à la convention nationale belge en la matière). En effet, un flux croissant de patients venant de l’étranger, inspiré par Kohll et Decker, pourrait alimenter le développement d’un secteur « non conventionné » de plus en plus important dans les soins de santé belges, évolution que nous n’aimerions sûrement pas voir se concrétiser. On peut également imaginer d’autres interactions entre Etats membres. Si un Etat membre X venait à décider de semi-privatiser une partie de son système national de soins de santé, l’application d’une approche de type « Kohll et Decker » à la mobilité des patients peut, dans une certaine mesure, favoriser la privatisation de l’activité des soins de santé dans les pays voisins. En d’autres termes, dès qu’il est question de mobilité des patients, la question fondamentale est : allons-nous créer des occasions en offrant de nouvelles solutions aux patients européens compte tenu de la solidarité incorporée dans nos systèmes ou allons-nous simplement exporter nos problèmes les uns vers les autres ?

1.2.

DIMINUTION DE L’AUTONOMIE DUE AUX PRESSIONS DE FAIT SUR LES ETATS SOCIAUX Les pressions indirectes de fait sur les Etats sociaux résultent d’une concurrence accrue à l’intérieur du marché unique tout comme des politiques économique et budgétaire promues par l’UE. Je crois qu’il faut éviter les discussions oiseuses sur « le dumping social généré par l’UE ». Intensifier la concurrence dans un marché intégré n’est qu’un des nombreux défis auxquels sont confrontés nos Etats sociaux nationaux. Aujourd’hui, nos systèmes sociaux sont sous pression, en premier lieu parce que (a) les domaines traditionnels de la protection sociale, par exemple les pensions et les soins de santé, exigent plus de ressources et que (b) de nouveaux risques et besoins sociaux sont apparus. Par ailleurs, nous savons par expérience que l’intégration européenne ne mène pas nécessairement à une érosion sociale. En effet, dans un grand nombre de pays, le marché unique a entraîné le renouvellement de conventions entre partenaires sociaux et, par conséquent, le renouveau – plutôt que l’érosion – de leurs Etats sociaux.

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L’UNION EUROPEENNE ET LA PROTECTION SOCIALE : PROPOSITIONS POUR LA CONVENTION EUROPEENNE

Néanmoins, il serait naïf de se satisfaire d’une seule extrapolation (9). L’intégration économique et monétaire et l’importance accrue de la mobilité du capital et du travail au sein de l’Union laisseront, à long terme, des traces profondes sur l’architecture de nos Etats sociaux. De plus, à court terme, nous sommes à la veille d’un nouvel élargissement de l’Union. Autrement dit, l’histoire de l’intégration reste à écrire. Lorsqu’il est question de l’impact véritable de l’intégration européenne sur le développement de l’État social, les délibérations n’ont pas encore abouti, bien que la théorie économique soit parfaitement claire sur ce sujet. Les économistes ont depuis longtemps reconnu les dangers potentiels de la mobilité accrue susceptible d’entraîner une érosion de la base d’imposition (peut-être même à une « concurrence fiscale ») avec des effets sur la capacité des Etats membres à financer leurs programmes sociaux. La pression sur les Etats sociaux n’est pas simplement le résultat de l’intégration du marché, elle est aussi produite par le suivi des politiques économiques des Etats membres via les Grandes orientations des politiques économiques (GOPE) de l’UE et les plans annuels de stabilité. Une chose est sûre, reconnaître que ces processus politiques créent des pressions n’implique en aucune façon occulter l’attention considérable accordée au sein de l’UE à la santé des finances publiques. Au contraire, des finances publiques saines et viables sont une condition sine qua non pour être en mesure de soutenir une politique saine et durable, ce qui, de toute évidence, est un souci majeur dans nos sociétés vieillissantes. Toutefois, une prudence excessive en matière de finances s’accompagne du danger d’économiser sur ce qui constituerait un investissement sain et nécessaire. Les investissements sociaux ne font pas exception à cette observation. Les investissements sociaux intelligents sont absolument nécessaires pour deux raisons : primo, répondre aux attentes accrues de nos citoyens quant à la qualité des services publics actuels en général (une question qui préoccupe le public dans un grand nombre d’Etats membres, et l’un des sujets les plus sensibles lors des récentes élections) et, secundo, préparer nos Etats sociaux à l’avenir. Il est vraisemblable qu’un transfert « direct » des coûts vers le secteur privé allège les charges budgétaires, mais ce transfert ne peut offrir que peu de solutions substantielles à des questions complexes comme la qualité, l’équité et la justice – par contre, il peut entraîner moins de qualité, moins d’équité et moins de justice (10). Dès lors, des finances publiques saines devraient être accompagnées d’investissements sociaux rationnels. Alors qu’une pression tangible (justifiée) de l’UE s’exerce en faveur de finances publiques saines, il n’y a en comparaison, à ce jour, que peu d’efforts de l’UE en faveur d’investissements sociaux intelligents. (9) Tout comme il serait naïf de limiter l’analyse à une évaluation superficielle de l’évolution historique : même si nous n’assistons pas actuellement à une ‘régression sociale’, il se pourrait qu’il y ait déjà un certain degré de ‘sous-provisionnement de l’assurance sociale’ dans nos Etats sociaux contemporains; voir Drèze pour une synthèse récente de cette discussion dans J. H. Drèze (2002), “Economic and Social Security: The Role of the EU”, De Economist, vol. 150(1), p. 1-18. (10) Myles présente une excellente analyse de ce problème en ce qui concerne les pensions dans un rapport préparé à l’intention de la Présidence belge de l’UE par Esping-Andersen et al., qui a été publiée sous forme de Chapitre 3 dans G. Esping-Andersen (Ed.), D. Gallie, A. Hemerijck et J. Myles (2002), Why we Need a New Welfare State?, Oxford University Press, 272 p.

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REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

1.3.

OBJECTIFS COMMUNS ET DIVERSITE LEGITIME Une évaluation sobre des faits, conjointement à une théorie économique ne souffrant aucune controverse, nous amène à deux conclusions. Primo, il semble juste de dire que les Etats membres ont perdu plus de contrôle sur leurs politiques sociales nationales que l’UE n’a gagné de facto en transferts d’autorité. Dès lors, notre capacité de mener des politiques sociales s’affaiblit. Le problème est d’importance étant donné que la réduction d’autonomie et d’autorité des États membres, combinée à la faiblesse continue dont témoigne l’UE dans ses réponses sont susceptibles de restreindre les investissements sociaux innovateurs qui sont nécessaires dans tous les Etats membres Le problème va s’aggraver avec l’élargissement de l’UE parce que l’unanimité requise au sein du Conseil pour des domaines essentiels de la politique sociale risque de paralyser le processus décisionnel et, c’est probablement encore plus important, parce que l’élargissement entraînera une augmentation dramatique de l’hétérogénéité économique, sociale, politico-culturelle et politico-institutionnelle parmi les Etats membres de l’UE (11). Secundo, une mobilité accrue des travailleurs et du capital, mais aussi des organisations prestataires de services, des dispensateurs de soins et des patients pourrait accorder la priorité à deux trajectoires polarisées, comme le craignent Leibfried et Pierson. Des fonctions essentielles de l’Etat social (redistribution, système par répartition,…) conserveraient un statut de « libre intervention », dans la mesure où elles constituent une aide sociale « pure ». Cependant, plus ces fonctions sont assurées par des services basés sur le marché, plus l’Etat social évoluerait, du point de vue des institutions de l’UE, vers la sphère de « l’action économique », se pliant ainsi aux principes du marché unique et aux règles de marché. Ce faisant, l’Etat social pourrait se voir progressivement submergé pour devenir un marché intérieur européen de la « sécurité », c’est-à-dire un marché unique pour une protection personnelle et des instruments d’assurance (12). Certaines raisons économiques fondamentales et bien connues (asymétrie de l’information, sélection défavorable, etc.) font que les principes de marché et la sécurité sociale ne suivent pas des trajectoires parallèles, ni au niveau national, ni au niveau européen. Comme je le développerai ci-après, à ce jour, la Cour a suivi une voie sûre, suffisamment nuancée et respectueuse des préalables des politiques sociales nationales. Il serait injuste de blâmer « l’Europe » pour certaines difficultés rencontrées par les responsables des politiques sociales nationales lorsqu’ils préfèrent se fier aux mécanismes de marché ou de quasimarché dans l’offre proposée en matière de prestations sociales. Pourtant, le Traité ne fournit aucune garantie solide contre un développement polarisé tel que l’appréhendent Leibfried et Pierson.

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(11) Selon des simulations effectuées par la Commission, le fossé entre les revenus dans les différents pays augmentera du simple au double dans une Union à 27 membres. Pour les 8 pays les plus pauvres, représentant environ 16% de la population de l’UE à 27, le revenu moyen par tête d’habitant s’élèvera à environ 40% du revenu moyen de l’UE à 27 (12) Leibfried et Pierson, o.c., p. 283.


L’UNION EUROPEENNE ET LA PROTECTION SOCIALE : PROPOSITIONS POUR LA CONVENTION EUROPEENNE

Ce n’est pas une question d’opinion politique, mais une question de fait que la dynamique économique et institutionnelle de la création d’un marché unique a rendu de plus en plus difficile l’exclusion des questions sociales de l’agenda de l’UE : « la séparation nette entre les questions de marché, relevant de la sphère supranationale, et les questions sociales, relevant des sphères nationales, ne peut être maintenue » (13). Toutefois, la réponse à ce problème ne réside pas dans un transfert additionnel de compétences nationales vers l’UE, ni dans le fait d’imposer l’uniformité, sans même parler de l’harmonisation pour le plaisir d’harmoniser. Même si je souligne plus loin que le concept d’un « modèle social européen » n’est pas seulement sensé mais qu’il devrait être précisé au moyen « d’objectifs communs », je pense également que les gouvernements nationaux ne pourraient jamais s’accorder sur un projet européen détaillé de fonctions essentielles de l’Etat social. Comme le fait justement valoir Fritz Scharpf, toute tentative visant à passer outre la diversité légitime en imposant des solutions européennes uniformes risque de faire éclater l’Union. La diversité nationale ne peut être traitée d’illégitime ; au contraire, elle fait elle-même partie de la structure légitimante des convictions et des pratiques qui soutiennent le cadre politique européen à plusieurs niveaux (14). Bien qu’un rôle propre soit dévolu à la législation UE dans le domaine social (et le processus décisionnel doit s’améliorer dans ce domaine, comme je l’expose dans la section 3.4), la politique de la protection sociale est principalement du ressort des communes, des régions et des Etats-nations et devrait le rester. Néanmoins, l’Europe devrait permettre aux Etats membres de développer des « Etats sociaux actifs » et doit encourager des investissements sociaux intelligents, en indiquant les objectifs généraux, lorsque sont concernés l’emploi et la protection sociale. En outre, la mobilité transfrontalière devrait faciliter l’élaboration de nouvelles mesures sociales raisonnables, plutôt que rendre les politiques sociales plus difficiles à soutenir à long terme.

2.

LE DEFI DE L’APRES-LISBONNE : CONVERSION DES PRINCIPES DANS LA PRATIQUE Cette approche de la politique sociale de l’UE – à savoir, la nécessité pour l’UE de disposer d’un concept opérationnel de politique sociale, qui se distingue d’une volonté d’imposer l’uniformité, voire d’un transfert de compétences – a inspiré la (13) Leibfried et Pierson, o.c, p. 268. (14) Scharpf, F., (2002), Legitimate Diversity: The New Challenge of European Integration, Cahiers européens de sciences po, 1. Scharpf fournit une analyse passionnante des obstacles à la réalisation d’une politique sociale au niveau de l’UE, centrée sur l’idée de ‘diversité légitime’, que je partage. Toutefois, il propose des solutions différentes à celles que je suggère ici. La première solution de Scharpf repose sur (une version révisée) des dispositions relatives à une ‘coopération renforcée’ du Titre VII du Traité. Sa seconde solution consiste à combiner la ‘Méthode ouverte de coordination’ avec l’idée de ‘directives-cadres’. Dans le cadre du présent article, je ne puis toutefois pas faire justice à son argumentation sophistiquée. Pour faire bref, disons que je crains que, dans le secteur social, une ‘coopération renforcée’ pourrait semer plus de discorde que ne le pense Scharpf, et, en deuxième lieu, que le fait de combiner des directives-cadres avec la Méthode ouverte de coordination pourrait s’avérer contre-productif sur le plan politique.

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Présidence belge de l’UE lors du second semestre 2001. Notre leitmotiv consistait en l’application des principes convenus lors du Sommet de Lisbonne en mars 2000, en continuant à bâtir sur le travail réalisé par les Présidences française et suédoise, qui ont succédé à la Présidence portugaise. Ces « principes de Lisbonne » – comme je les appellerais – tournaient autour d’une idée centrale (la performance économique et la cohésion sociale ne sont pas des objectifs qui s’excluent, mais qui se renforcent mutuellement) et d’une proposition de méthodologie, labellisée « méthode ouverte de coordination ». Par ailleurs, la Présidence portugaise poursuivait une ambition précise à propos du « leadership » de la coordination européenne : renforcer le rôle directeur et coordinateur du Conseil européen, réduire la compétence quasiment exclusive du Conseil économique et financier (ECOFIN) sur les Grandes orientations des politiques économiques (GOPE) et tenir compte lors de leur élaboration de l’emploi et des préoccupations sociales (15). Pour ce qui est de la protection sociale, notre ambition « de mettre en œuvre Lisbonne » impliquait trois objectifs : rendre opérationnelle la collaboration européenne dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale ; lancer la méthode ouverte de coordination dans le domaine des pensions et préparer le terrain à une réforme des règles actuelles régissant la coordination des régimes de sécurité sociale pour les citoyens migrants (Règlement 1408/71) (16). La troisième priorité – la coordination de la sécurité sociale – relève du domaine de la législation UE, c’est-à-dire du droit « dur » ; les deux premiers sujets appartiennent au domaine de la « méthode ouverte de coordination », ou droit « doux ». J’examinerai la notion de coopération ouverte dans la section 2.1. Ensuite, je résumerai les résultats obtenus à ce jour pour ce qui est de l’inclusion sociale, des pensions et de la coordination de sécurité sociale dans les sections 2.2, 2.3 et 2.4, et je mentionnerai un certain nombre de défis à court terme. Dans la section 2.5, je m’étendrai sur les perspectives de développement de la méthode ouverte de coordination dans le domaine des soins de santé et des soins aux personnes âgées. Les sections 2.6 et 2.7 seront consacrées à un bref examen de deux autres instruments de décision politique, qui ont également un rôle à jouer : la législation UE et le dialogue social. En même temps que les questions soulevées dans la Partie 1, cette description de notre expérience actuelle prépare le terrain à ma discussion dans la Partie 3 sur les amendements nécessaires à apporter au Traité.

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(15) Comme le font remarquer à juste titre M. Ferrera, M. Matsaganis et S. Sacchi dans “Open coordination against poverty: the new EU ‘Social Inclusion process”, Journal of European Social Policy, Vol. 12, No. 3, Août 2002, p. 227-239. Pour une discussion intéressante de ce problème de ‘leadership’ au sein de l’UE, avec référence au processus de Lisbonne, voir M. Telò (2002), “Governance and government in the European Union: the open method of coordination”, in M. J. Rodrigues (ed.), The New Knowledge Economy in Europe, Edward Elgar, Cheltenham. (16) Ce troisième objectif de la Présidence belge est moins explicite dans les Conclusions de Lisbonne, mais je suis d’avis qu’il résulte logiquement de la combinaison d’un certain nombre de préoccupations générales exprimées par le Sommet de Lisbonne, telles que la mobilité des forces de travail, la cohésion sociale, etc.


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2.1.

LA METHODE OUVERTE DE COORDINATION : INSTRUMENT CREATIF (17) Les fondements méthodologiques de la méthode ouverte de coordination en tant que nouvelle approche paneuropéenne de la politique sociale ont été formellement posés lors du Conseil européen de Lisbonne en mars 2000. Avant ce Sommet, la coordination politique au niveau de l’UE se rapportait à la politique économique (surveillance multilatérale des politiques économiques nationales, prévue dans le Traité de Maastricht de 1992) tout comme à l’emploi (le processus de Luxembourg, formalisé par le Traité d’Amsterdam de 1997 en tant que « stratégie coordonnée pour l’emploi » et affinée par le Conseil européen de Luxembourg au cours de cette même année). Dans ce qui suit, je distingue la « coordination politique » qui avait été établie avant le Sommet de Lisbonne, pour laquelle existe une base formelle dans le Traité, et la « méthode ouverte de coordination » telle qu’elle a été définie à Lisbonne. Ensemble, ces pratiques constituent toutefois un « livre de recettes » de méthodologies de loi douce / droit doux, et dans le débat politique, ces méthodes sont souvent regroupées sous la rubrique générale de « coordination ouverte » (18). En résumé, la méthode ouverte de coordination est un processus au cours duquel sont définis des objectifs clairs et convenus d’un commun accord, après quoi un peer review, sur la base de Plans d’action nationaux (PAN), permet aux États membres de l’UE de comparer leurs pratiques et d’apprendre les uns des autres. Cette méthode respecte la diversité locale, elle est en fait fondée sur celle-ci; elle est flexible, mais vise à promouvoir le progrès dans la sphère du social. Un processus d’apprentissage efficace requiert l’utilisation d’indicateurs comparables et convenus d’un commun accord afin de pouvoir superviser les progrès réalisés par rapport aux objectifs communs, ainsi qu’une évaluation et, le cas échéant, des recommandations douces faites par la Commission européenne et par le Conseil. L’échange d’informations fiables a pour objet – du moins dans une certaine mesure – d’institutionnaliser le « mimétisme politique » intelligent (19).

(17) Pour des analyses récentes plus pointues de la méthode ouverte de coordination, voir p.ex. de La Porte, C. et Ph. Pochet (eds.) (2002), Building Social Europe through the Open Method of Coordination, P.I.E.-Peter Lang, Bruxelles, et M. J. Rodrigues (ed.) (2002), The New Knowledge Economy in Europe, Edward Elgar, Cheltenham. (18) Dans une perspective juridique du Traité existant, l’agrégation politique très commune de la ‘coordination politique’ et de la ‘méthode ouverte de coordination’ ne mène pas seulement à confusion, elle est tout simplement erronée, vu que le Traité existant contraint à l’évidence à opérer cette distinction. Comme je l’ai indiqué succinctement dans la section 3.3., opter ou non pour une définition ‘générique’ de la coordination ouverte, incluant tout à la fois la coordination politique qui trouve déjà ses fondements juridiques dans le Traité existant et la méthode ouverte de coordination définie lors du Sommet de Lisbonne, est une question épineuse. (19) Un mimitisme politique (policy mimicking) intelligent doit être activement géré et – pour le dire dans les termes utilisés par Anton Hemerijck et Jelle Visser – “contextualisé”. Voir A. Hemerijck et J. Visser (2001), Learning and Mimicking: How European Welfare States Reform, paper presented at Cologne, Max Planck Institute, 13 November 2001.

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Parce qu’elle est pragmatique, cette approche « ouverte » peut effectivement mener à un progrès social. Ainsi, nous avons trouvé une voie qui implique un engagement crédible pour une Europe sociale. En conséquence, nous adressons des signaux forts aux citoyens européens. Par exemple, la formulation explicite d’un Agenda social européen peut être considérée comme un « bouclier » contre une possible érosion de nos Etats sociaux à la lumière de l’unification économique. Toutefois, je crois que la valeur ajoutée de la méthode ouverte de coordination va au-delà du principe du processus d’apprentissage technique et d’une simple prévention d’une érosion de l’Etat social en Europe. Définir des objectifs convenus d’un commun accord est nettement plus qu’une simple technique utile en vue de réaliser les progrès visés dans les Etats membres. Les objectifs communs sont essentiels parce qu’ils nous permettent de traduire le « modèle social européen », amplement discuté mais plutôt abstrait, en un ensemble tangible d’objectifs communs dont les racines remontent à la coopération européenne. Pour la première fois, grâce à la méthode ouverte de coordination, ce concept abstrait est interprété au moyen de définitions plus précises des résultats que nous souhaitons atteindre. Faisant écho à Anton Hemerijck (20), je dirais que la méthode ouverte de coordination représente à la fois un outil cognitif et normatif. C’est un outil « cognitif », parce qu’elle nous permet d’apprendre les uns des autres. A mon avis, ce processus d’apprentissage ne se limite pas à l’expérience d’autres Etats membres, mais s’étend également à leurs vues et opinions sous-jacentes, domaine qui n’est pas moins important. La coordination ouverte est un outil « normatif » parce que, nécessairement, les objectifs communs incorporent des points de vue substantiels sur la justice sociale. Ainsi, la coordination ouverte crée graduellement un paradigme de politique sociale européenne. La coordination ouverte n’est pas une sorte de recette fixe pouvant s’appliquer à n’importe quel sujet. Notre méthodologie dans le domaine de l’inclusion sociale (voir section 2.2) diffère de la coordination politique qui a été développée en 1997 dans le cadre du Processus de Luxembourg sur l’Emploi sur la base de l’Art. 128 du Traité. (Le Processus pour l’emploi implique la production annuelle d’un rapport. Sur la base de ce dernier, des recommandations individuelles sont émises à chaque État membre.) Notre méthodologie quant aux pensions diffère à son tour de celle appliquée à l’inclusion sociale : elle consiste en un processus relativement léger, où les Etats membres s’adressent des rapports mutuels tous les trois ou quatre ans sur la manière d’inclure les objectifs convenus ensemble dans leur politique nationale, avec une mise à jour annuelle qui nous permet d’intégrer des conclusions communes sur la politique des pensions dans les GOPE élaborées chaque année par

(20) Hemerijck définit le modèle social européen sur la base de dimensions ‘cognitives’ et ‘normatives’ dans ‘The Self-transformation of the European social model’ in G. Esping-Andersen et al., o.c..

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l’Union. En d’autres termes, la coordination politique et la coordination ouverte constituent ensemble un livre de recettes diverses, certaines légères et d’autres, plus lourdes. J’ai souligné ailleurs que, lors de l’utilisation de ce livre de recettes, il faut garder en mémoire un certain nombre de principes clés (21). Premièrement, il ne s’agit que d’une méthode parmi d’autres. Nous ne pouvons réaliser une Europe sociale en nous appuyant exclusivement sur la coordination ouverte. Nous avons également besoin d’un autre instrument, à savoir le travail législatif. C’est pourquoi la méthode ouverte de coordination ne doit pas remplacer le travail législatif là où il s’avère nécessaire. Deuxièmement, nous ne devons pas confondre les objectifs avec les instruments de la politique sociale. Confondre ces éléments est contraire à l’esprit de subsidiarité, fondamental dans la méthode ouverte de coordination. Par ailleurs, un manque de clarté par rapport aux objectifs fondamentaux mène à une analyse politique faussée (22). Le troisième principe consiste en « l’exhaustivité » : nous devons inclure dans l’analyse tous les outils possibles (23). Le quatrième principe concerne le choix des critères que nous utilisons lorsque nous souhaitons mettre des objectifs en pratique : lors de la définition de nos normes, nous devons simultanément être réalistes et ambitieux. Nous avons résolument besoin des meilleures pratiques dans le processus d’apprentissage : des « normes d’excellence » réalisables au lieu de normes de médiocrité. Le cinquième – et dernier – principe pour une application fructueuse de la méthode ouverte de coordination se situe à un niveau pratique. A défaut d’indicateurs comparables et quantifiables, il nous est impossible de mesurer les progrès accomplis. Pour cette raison, aux yeux de la Présidence belge de l’UE, une priorité essentielle consistait à s’accorder sur une série d’indicateurs relatifs à l’inclusion sociale. Pour cette même raison, nous voulons maintenant développer une série d’indicateurs en matière de pensions. Il me semble que ce cinquième principe est le véritable test décisif quant à la volonté politique de s’engager dans la

(21) Voir F. Vandenbroucke, “Sustainable Social Justice and ‘Open Coordination’ in Europe”, in G. Esping-Andersen e.a., o.c., et F. Vandenbroucke (2002), “Social Justice and Open Coordination in Europe. Reflections on Drèze’s Tinbergen Lecture”, De Economist, vol. 150(1), p. 83-93. (22) Par exemple, le débat sur l’avenir des pensions a pendant longtemps été dominé par une analyse comparative élaborée du système par répartition opposé au système par capitalisation. De telles analyses d’instruments abordent par exemple la question de leur efficacité relative par rapport à certaines hypothèses macroéconomiques et démographiques. Etant donné que cette question est décisive, nous devons nous assurer que le débat sur les pensions ne s’englue pas dans de telles discussions sur les instruments. (23) A la fin de la section 1.2, j’ai déjà mentionné qu’un transfert des coûts de l’assurance sociale vers le secteur privé allégerait probablement le fardeau budgétaire du gouvernement, mais risquerait de n’offrir que peu de solutions à des questions fondamentales complexes. Ceci vaut clairement, par exemple, pour le domaine des pensions, où des problèmes d’équité intergénérationnelle et de justice intragénérationnelle ne sont manifestement pas ‘résolus’ par un tel transfert. Cela peut en effet même entraîner moins d’équité et de justice. Une approche globale du défi des pensions nous oblige de ce fait non seulement à réexaminer nos piliers de pensions publiques, mais encore à réguler nos piliers privés.

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coordination ouverte. Tous ceux qui, en paroles, se sont dit favorables à cette méthode devraient transformer leurs paroles en actes lorsqu’il s’agit de développer des indicateurs. Mentionnons encore, en liaison avec ce cinquième principe, le besoin de constituer une capacité statistique au niveau de l’UE. Le caractère « doux » de la coordination ouverte est souvent considéré avec scepticisme. Pourtant, je suis persuadé qu’avec une coopération « douce » et la réalisation d’un consensus, nous pouvons aller bien au-delà des déclarations solennelles mais vagues des sommets européens. Il est admis en général, pour ce qui concerne l’inclusion et la protection sociales, que les délibérations à propos des résultats de la coordination ouverte n’ont pas encore abouti. Néanmoins, je pense que nous sommes autorisés à procéder à des extrapolations (mutatis mutandis) à partir de l’expérience que nous avons acquise dans le domaine de l’emploi. Le premier test exhaustif quant au fait de savoir si la coordination politique appliquée à l’emploi est réellement capable de répondre aux grandes attentes résidera dans l’évaluation intérimaire du processus de Luxembourg. En juillet 2002, la Commission européenne a présenté une Communication dans laquelle elle a évalué la stratégie de l’emploi, basée sur une analyse des estimations de l’impact national. En ce qui concerne l’évaluation de l’impact belge, le rapport DULBEA – HIVA stipule justement qu’ « Il ne fait pas de doute que la stratégie européenne pour l’emploi a induit des changements significatifs des politiques d’emploi et de la gestion du marché du travail en Belgique ». […] La stratégie européenne pour l’emploi et les lignes directrices ont entraîné des adaptations et des innovations dans tous les domaines de la politique de l’emploi […] » (24). Le rapport stipule également que « Depuis la mise en œuvre des plans d’action nationaux en 1998 la coordination entre l’Etat fédéral, les Communautés et les Régions a positivement évolué » (25). On peut conclure que le « stress de la convergence » a été très réel, et qu’il est possible de mettre en évidence des résultats tangibles. Les évaluations mettront sans aucun doute en lumière que l’impact a varié d’un Etat membre à l’autre, et elles seront critiques face à un certain nombre de questions. Si le rapport d’évaluation rédigé par les institutions belges est représentatif, il critiquera notamment le manque de mécanismes d’évaluation et l’obligation de produire un rapport chaque année. Il en résultera accroissement de mesures à court terme manquant parfois de pertinence, parce que de nouvelles mesures doivent être conçues chaque année au détriment d’une efficacité à plus long terme. Des questions légitimes sont soulevées, notamment par le Parlement européen, à propos du lien entre coordination ouverte et prise de décision démocratique en Europe. Même si l’un des bénéfices potentiels de la coordination politique ouverte est qu’elle contraint tous les gouvernements nationaux à préparer et à débattre de

(24) DULBEA, HIVA (2002), L’évaluation d’impact de la stratégie européenne pour l’emploi en Belgique, Résumé, p 1. (25) o.c, p 4.

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leurs réformes politiques en public, l’absence d’une participation formelle du Parlement européen indique un déficit démocratique. Ce thème est important dans le débat sur l’avenir des institutions européennes qui sera préparé par la Convention. En termes plus généraux, un risque potentiel quant à son développement ultérieur est que la méthode ouverte de coordination est susceptible de modifier progressivement l’équilibre actuel entre les institutions européennes et de s’engager dans une voie indésirable, évolution qui se ferait au détriment à la fois du Parlement et de la Commission. Non seulement, la coordination ouverte ne doit pas remplacer d’autres outils politiques qui ont prouvé leur utilité, mais elle ne doit pas être non plus un instrument dirigé contre la Commission ou contre le Parlement. Par ailleurs, sans la participation de la Commission, il est difficile d’envisager la coordination ouverte en tant que telle. La coordination ouverte n’est pas une panacée, ni même une formule magique pour la politique sociale. Toutefois, une méthode ouverte de coordination efficace est plus qu’un processus d’apprentissage géré intelligemment. Si nous l’utilisons judicieusement, la coordination ouverte est une méthode proactive et créative qui nous permet de définir « l’Europe sociale » en termes plus spécifiques et de l’ancrer fermement comme un bien collectif commun au cœur de la coopération européenne.

2.2.

COMBATTRE LA PAUVRETE ET PROMOUVOIR L’INCLUSION SOCIALE Eradiquer la pauvreté et promouvoir l’inclusion sociale constituaient une des ambitions clés formulées lors du Conseil européen de Lisbonne en mars 2000. En décembre 2000, un accord politique était obtenu sur des objectifs communs en matière d’inclusion sociale et, au début de 2001, les États membres étaient invités à soumettre des PAN relatifs à l’inclusion sociale. À la fin de 2001, nous étions en mesure : d’adopter un premier rapport commun sur l’inclusion sociale, contenant à la fois une analyse des PAN en faveur de l’inclusion sociale déposés par chaque Etat membre en juin de la même année et des « recommandations douces » en matière de politique à suivre par les Etats membres ;

d’adopter une série de 18 indicateurs quantitatifs concernant l’exclusion sociale au sein des Etats membres de l’UE (26). Ils permettront dorénavant à chaque pays de mesurer précisément la situation actuelle et l’évolution de l’exclusion sociale, comme un concept multidimensionnel, d’une manière comparable. Cette première série couvre quatre dimensions de l’exclusion sociale : la pauvreté financière, l’em-

(26) Report from the Social Protection Committee on indicators in the field of poverty and social exclusion (13509/01). Voir également, pour une discussion approfondie de l’utilisation des indicateurs quantitatifs au niveau de l’UE, Atkinson, T., Cantillon, B., Marlier, et B. Nolan (2002), Social Indicators. The EU and Social Inclusion, Oxford University Press, Oxford.

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ploi, la santé et l’éducation. L’exemple le mieux connu de ces indicateurs est le « taux de bas revenu », défini comme le pourcentage d’individus vivant dans un ménage dont le revenu total est inférieur à 60% du revenu national médian; il indique le pourcentage d’individus qui « courent le risque de devenir pauvres ». Parmi les autres indicateurs, citons : le taux de « bas revenu persistant », le taux de personnes de faible niveau d’éducation, la cohésion régionale, le taux de personnes vivant dans un ménage de chômeurs, la proportion de jeunes en décrochage scolaire, l’autoperception de l’état de santé en fonction du niveau de revenus et la proportion de chômeurs de longue durée et de très longue durée ; d’approuver un programme d’action de quatre ans, qui a été lancé formellement le 1er janvier 2002; il vise à stimuler la coopération entre décideurs politiques, partenaires sociaux, ONG, scientifiques et individus socialement exclus.

Ainsi, un « cycle » de coordination ouverte a été mis en œuvre et, grâce aux indicateurs convenus d’un commun accord, la méthode peut devenir pleinement opérationnelle. Par ailleurs, des progrès ultérieurs figurent à l’agenda. Au cours de la seconde moitié de 2002, la Présidence danoise s’est engagée dans une évaluation des objectifs communs en matière d’inclusion sociale convenus lors du Sommet européen de Nice. Cet examen s’est limité à quelques matières importantes, par exemple l’intégration de la question de l’égalité entre hommes et femmes dans le processus d’inclusion et l’engagement des Etats membres à fixer des objectifs quantifiés en matière de pauvreté nationale, pouvant être liés aux indicateurs convenus d’un commun accord. Comme les indicateurs sont multidimensionnels, une manière pragmatique de progresser consistait à requérir des Etats membres la présentation d’objectifs quantifiés et de leur laisser la possibilité de choisir le(s) leur(s). Gardant en tête l’élargissement, j’apprécie énormément le fait que la Commission européenne s’est engagée dans des discussions bilatérales avec les pays candidats. A partir de l’été 2002, les pays candidats commenceront à préparer leurs propres rapports nationaux appelés « Joint Inclusion Memoranda » (JIM), basés sur les plans d’action nationaux en faveur de l’inclusion sociale afin d’être en mesure de devenir immédiatement membres du Comité de la Protection sociale et de s’engager pleinement dans la méthode ouverte de coordination dans ce domaine dès qu’aura lieu l’élargissement. Comme je l’indique dans la section 3.3, nous devrions dès à présent préparer la mise en œuvre de la méthode ouverte de coordination de l’après-élargissement – et l’adapter le cas échéant – à la fois en termes de faisabilité pratique et en termes de constitutionnalisation.

2.3.

PENSIONS : UN ENJEU SOCIAL ASSORTI DE CONTRAINTES FINANCIERES En matière de pensions, le Conseil Emploi et Affaires sociales, le Conseil économique et financier (ECOFIN) et, plus tard, les Conseils européens de Laeken et de Barcelone se sont accordés sur 11 objectifs communs et sur une méthode de travail en

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vue de la coopération européenne en cette matière (27). Ces objectifs communs se réfèrent au caractère adéquat des pensions, à la viabilité financière des systèmes de pensions et à leur modernisation en réponse aux besoins sociétaux changeants. La Présidence belge a très explicitement voulu une approche intégrée, alliant à la fois une préoccupation quant à la viabilité financière au caractère adéquat des pensions (28). Cette vaste perspective a été institutionnalisée en incluant dans ce processus simultanément le Conseil Emploi et Affaires Sociales et ECOFIN, mais également en demandant explicitement d’intégrer les résultats dans les GOPE. L’Europe serait ainsi en mesure de parler pour la première fois d’une même voix – cohérente – sur les pensions. Les 11 objectifs sont en effet le reflet d’une approche intégrée. Par exemple, le premier objectif commun stipule que les Etats membres devraient «[…]veiller à ce que les personnes âgées ne soient pas exposées au risque de pauvreté et puissent jouir d’un niveau de vie décent; qu’ils partagent le bien-être économique de leur pays et puissent en conséquence participer activement à la vie publique, sociale et culturelle». Conformément au sixième objectif, les États membres devraient également «[…]réformer les systèmes de pensions par des moyens appropriés en tenant compte de l’objectif global de maintien de la viabilité des finances publiques. Dans le même temps, la viabilité des systèmes de pensions doit s’accompagner de politiques fiscales saines, incluant, lorsque c’est nécessaire, une réduction de la dette. Les stratégies adoptées pour atteindre cet objectif peuvent également inclure la mise en place de fonds de réserve spécifiques pour les pensions». Selon un autre objectif encore, les Etats membres doivent «[…]veiller, grâce à des cadres réglementaires appropriés et une gestion saine, à ce que les régimes de retraite financés sur des fonds privés et publics puissent offrir des pensions suffisamment efficaces, abordables, transférables et sûres». Les Etats membres ont également accepté de rédiger un premier Rapport stratégique national sur les pensions pour septembre 2002. Dans ce rapport, ils ont rendu compte des efforts réalisés au niveau national pour atteindre les objectifs communs. Enfin, les Etats membres ont consenti à s’attaquer à la mise au point d’indicateurs en vue d’évaluer et de surveiller l’action dans le domaine des pensions. Un accord final devrait être possible pour la fin de 2003, sous la Présidence italienne.

(27) Qualité et viabilité des pensions. Rapport conjoint sur les objectifs et les méthodes de travail dans le domaine des pensions (14098/01), tel qu’avalisé par le Conseil Emploi et Affaires sociales le 3 déc. 2001. Bruxelles, 11 p . (28) La viabilité financière et la justice sociale sont souvent considérées, au mieux, comme des amis difficiles, au pire, comme des ennemis jurés. C’est une erreur. La viabilité financière n’est pas une contrainte “extérieure” affectant nos systèmes de pension indépendamment de leur logique interne. Au contraire : l’équité intergénérationnelle (et intragénérationnelle) est une condition préalable à leur viabilité. Ceci est tout à fait transparent dans le débat budgétaire : la viabilité du système public des pensions sera compromise si d’essentielles dépenses gouvernementales futures sont abandonnées à cause du coût du vieillissement, ou si celles-ci ne sont envisageables qu’au prix d’impôts intolérablement élevés.

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Toujours dans le domaine des pensions, les Présidences de l’année 2003, à savoir celles de la Grèce et de l’Italie, devront s’assurer que le travail sur les pensions sera véritablement intégré dans les GOPE. Ce point est important compte tenu du fait que notre méthode ouverte de coordination européenne est le résultat de négociations longues et parfois difficiles qui tentaient - et elles ont réussi - d’atteindre un équilibre entre deux formations du Conseil, ECOFIN et le Conseil Emploi et Affaires sociales. Il serait inacceptable pour les GOPE, instrument essentiel (prévu par le Traité) aux mains du Conseil ECOFIN pour la coordination et la supervision des politiques économiques des Etats membres, de dévier, pour ce qui concerne les pensions, de ce qui a été convenu dans l’approche conjointe de la méthode ouverte de coordination. Ce serait évidemment inacceptable compte tenu des deux exigences explicites des chefs d’Etat et de gouvernement concernant les GOPE. À Lisbonne, le Conseil européen a en effet exigé que les GOPE se focalisent également sur les réformes visant à promouvoir la cohésion sociale. À Göteborg, le Conseil européen a demandé d’incorporer les résultats du travail conjoint sur les pensions dans les GOPE. Malgré nos intentions politiques claires, les GOPE de l’année 2001 ne reflètent pas assez l’importance des objectifs en matière d’emploi et de politique sociale. Je me range complètement à l’avis du Comité de la protection sociale sur les GOPE lorsqu’il déclare que : « les Grandes orientations devraient être un instrument central et promouvoir un assortiment politique bien coordonné qui reflète les articulations entre politiques économique, de l’emploi et sociale – le triangle politique – établi par le Conseil européen de Lisbonne. Il devrait également s’ensuivre une plus grande reconnaissance du travail effectué, dans le cadre de la méthode ouverte de coordination, en relation avec la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale et avec le financement de pensions sûres et viables, en vue de réaliser l’objectif de créer une plus grande cohésion sociale fixé par Lisbonne » (29). Par rapport à l’un des « principes » fondamentaux « de Lisbonne », nous ne sommes sûrement pas encore là où nous devrions être. Ce qui se produira avec le résultat de la coordination ouverte sur les pensions en 2003 sera le véritable « moment de vérité ».

2.4.

PROTECTION SOCIALE POUR LES CITOYENS MIGRANTS : SIMPLIFIER ET AMELIORER LA COORDINATION EUROPEENNE DES SYSTEMES DE SECURITE SOCIALE La libre circulation des personnes est l’une des pierres angulaires de l’intégration européenne et l’une des quatre libertés garanties par le Traité CE. L’un des facteurs déterminants quant à la question de savoir si les personnes peuvent bénéficier de cette liberté consiste à s’assurer que les barrières administratives n’affecteront pas leurs droits en matière de sécurité sociale. À cet effet, en 1971, le Conseil des mini-

(29) Voir “Opinion of the Social Protection Committee” sur la Recommandation de la Commission pour les Grandes Orientations de Politique Economique 2002, 16 mai, 2002 (doc. 8673/02).

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stres a adopté le Règlement 1408/71, qui garantit que les personnes qui se déplacent au sein de l’Union européenne conservent leurs droits en matière de sécurité sociale. Etant donné que ce Règlement consent une protection large, on pourrait dire que la complexité du Règlement et de ses innombrables amendements représente une entrave à la libre circulation. C’est pourquoi la Présidence belge a décidé de s’attaquer à la question fondamentale de savoir comment procéder aux nécessaires simplification et amélioration du Règlement 1408/71. En décembre 2001, le Conseil Emploi et Affaires sociales est arrivé à un accord sur un certain nombre de principes et d’options de base (qualifiés de « paramètres ») qui ont fourni le cadre politique au sein duquel le Conseil et le Parlement européen œuvrent à présent à des réformes spécifiques en vue de moderniser le Règlement 1408/71. Le dernier Conseil des Affaires sociales sous la Présidence espagnole (3 juin 2002) est arrivé à un accord politique sur les dispositions générales du nouveau Règlement, qui déterminent des questions importantes telles que le champ d’application personnel et matériel (Qui est couvert ? À quels secteurs de la sécurité sociale le Règlement s’applique-t-il ?) et les principes généraux qui régissent la coordination de la sécurité sociale (l’agrégation des périodes assurées, l’égalité de traitement et la détermination de l’Etat compétent – « Quel est le droit en vigueur ? »). Depuis juillet 2002, la Présidence danoise poursuit les négociations sur ces chapitres spécifiques du Règlement. Au point où en sont les choses, il se pourrait qu’intervienne, d’ici la fin de l’année 2003, un accord sur un nouveau mécanisme de coordination, du moins au niveau du Conseil. Dans ce contexte, nous sommes également parvenus à un accord politique important sur les conditions qui président à l’extension du Règlement (CEE) 1408/71 aux citoyens de pays tiers. Un tel accord n’aurait pas été possible sans le fort soutien de la Commission européenne. L’objet de cette extension vise à permettre dans l’avenir aux citoyens de pays tiers d’exporter leurs droits en matière de sécurité sociale acquis dans un Etat membre vers un autre lorsqu’ils se déplacent à l’intérieur de l’UE. À ce jour, seuls les citoyens de l’UE en ont la possibilité. Un exemple illustre les conséquences possibles sur la situation actuelle : la fille d’un employé marocain travaillant en France va à Londres pour ses études. Son père travaille en France depuis trente ans. Et pourtant, en principe, il perd le droit aux allocations familiales et ce, nonobstant qu’il paye régulièrement toutes ses cotisations de sécurité sociale. En décembre 2001, les ministres des Affaires sociales se sont mis d’accord en premier lieu sur la question– en apparence triviale, mais néanmoins politiquement sensible – du fondement juridique de l’extension du Règlement 1408/71 aux nationaux de pays tiers, en deuxième lieu sur le principe de l’application d’une telle extension aux systèmes de sécurité sociale de tous les Etats membres. Il en découle que le Royaume-Uni et l’Irlande ont la possibilité de rejoindre les autres Etats membres 853


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dans l’extension du Règlement à des nationaux de pays tiers en recourant à leur droit de « opt in». En troisième lieu, les ministres se sont entendus pour déclarer que la coordination applicable aux nationaux de pays tiers devrait leur offrir une série de droits uniformes aussi proches que possible de ceux dont bénéficient les citoyens de l’Union européenne. Grâce aux importants efforts de la Présidence espagnole et au fait que le R-U et l’Irlande ont en effet décidé de nous rejoindre, le Conseil des Affaires sociales du 3 juin 2002 est parvenu à un accord sur cette extension du Règlement 1408/71 aux nationaux de pays tiers. Il n’est pas exagéré de dire que cet accord représente un événement déterminant dans l’objectif de l’Union européenne visant à réaliser une plus grande égalité entre nationaux UE et non-UE. Cet accord réduira, à partir du 1 janvier 2003, les difficultés juridiques et administratives pour les institutions de sécurité sociale et devrait contribuer à l’avènement de la solidarité ainsi qu’à une Europe socialement juste.

2.5.

COORDINATION OUVERTE EN MATIERE DE SOINS DE SANTE ET DE SOINS AUX PERSONNES AGEES Outre l’inclusion sociale et les pensions, un troisième domaine a été identifié comme entrant en ligne de compte pour l’application de la coordination ouverte : les soins de santé et les soins aux personnes âgées. Étant donné que, dans nos sociétés, le défi des pensions se combine avec l’augmentation des coûts de santé et des soins aux personnes âgées, une évaluation appropriée de la future protection sociale exige une approche intégrée. Pour le prochain Conseil européen de printemps, en mars 2003, la Commission européenne préparera un rapport complet sur ce sujet, qui nous fournira suffisamment d’éléments pour décider des conditions du lancement d’une méthode ouverte de coordination dans ce domaine. Même s’il nous faut être circonspects et ne pas commencer à appliquer la méthode ouverte de coordination dans de nouveaux domaines de travail simplement « pour faire quelque chose », je pense en effet que l’impact croissant de l’intégration européenne sur les systèmes de soins de santé auxquels j’ai fait référence, justifie réellement la préparation d’une certaine forme de coordination ouverte européenne dans ce domaine. Idéalement, une coopération trilatérale entre le Comité de la Protection sociale et le Comité de la Politique économique ainsi qu’avec un Comité spécifique (encore à créer) du Conseil des ministres européens de la Santé pourrait s’avérer du plus haut intérêt, pour fournir des idées à la Commission et au Conseil. Les différents Comités intéressés pourraient chacun se concentrer sur l’un des principes d’accessibilité, de viabilité financière et de qualité, identifiés par le Conseil européen comme les principaux défis dans ce domaine. Mais l’absence d’une telle structure consultative complexe ne signifie pas pour autant qu’il faille se croiser les bras et ne rien entreprendre.

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L’UNION EUROPEENNE ET LA PROTECTION SOCIALE : PROPOSITIONS POUR LA CONVENTION EUROPEENNE

2.6.

L’AGENDA LEGISLATIF : SE CONCENTRER SUR LA REALISATION Même si je me concentre, dans le point 3 du présent article, sur le travail de la Convention et de la prochaine CIG, je n’en oublie pas moins qu’entre-temps, nous devrions être en mesure de boucler l’Agenda de Politique sociale décidé à Nice (décembre 2000). Cet agenda incluait, parmi d’autres éléments, un certain volume d’activité législative dans le domaine social (dans la présente section, j’inclus dans ma discussion de la politique sociale la politique de l’emploi). Ceci étant dit il ne faut pas être devin pour comprendre qu’il est improbable qu’une législation européenne importante se développe dans le domaine social au cours des prochaines années. Je n’entends toutefois pas par là que, jusqu’à présent, le travail législatif de l’UE s’est avéré infructueux. Pour ne donner que deux exemples récents, les Directives sur l’information et la consultation des travailleurs (30) et sur l’implication des travailleurs dans la Société européenne (30bis), ont été adoptées en 2001. C’est principalement en raison de l’existence de cet acquis substantiel que je suis convaincu qu’une focalisation accrue sur la mise en œuvre est aujourd’hui à l’ordre du jour. J’y vois deux raisons connexes : la première étant les différences majeures dans les réalisations des actuels Etats membres en matière de transposition de la législation UE dans leur droit national et la seconde - plus fondamentale - étant les perspectives de l’élargissement. Dans ce contexte, le bon sens veut que nous accordions maintenant la priorité à la mise en œuvre effective de l’acquis actuel, qui est déjà tout à fait considérable et impliquera de ce fait des efforts énormes et soutenus, spécialement de la part des nouveaux Etats membres. Dès lors, le point qui mérite actuellement toute leur attention est la réalisation. Pour être clair, ce qui a été décidé à l’Agenda social, au Sommet européen de Nice, doit être concrétisé. Pour certains actes législatifs existants, l’Agenda social entrevoyait une possibilité de révision et de mise à jour. C’est notamment le cas pour les Directives sur l’insolvabilité (31), l’exposition à l’amiante (32) et l’égalité de traitement entre hommes et femmes dans le domaine de l’emploi (33). On y trouve aussi la simplification et la modernisation du troisième Règlement à émettre par l’Union, actuellement régulé par le Règlement 1408/71, que j’ai examiné antérieurement. (30) Directive 2002/14/CE du Parlement Européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, JOL 80 du 23.3.2002. (30bis) Directive 2001/86/CE du Conseil du 8 octobre 2001 complétant le statut de la Société européenne pour ce qui concerne l’implication des travailleurs, JOL 294 du 10.11.2001. (31) La modification consiste principalement à adapter la Directive existante au caractère transnational de certaines sociétés : les travailleurs devront uniquement s’adresser à un employeur pour savoir quel fonds de réserve leur versera leurs dernières rémunérations. (32) La modification de la “Directive concernant la protection des travailleurs des risques liés à l’exposition à l’amiante au travail” consiste principalement en l’introduction de niveaux maxima d’exposition et en l’amélioration de la protection des travailleurs dans certains cas (p. ex. démolition). (33) Les principales modifications de cette Directive (datant de 1976) portent sur l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en ce qui concerne les conditions de travail.

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L’Agenda social réclame également un nombre limité de nouvelles initiatives législatives. La proposition de Directive sur le travail temporaire (34) a été récemment présentée par la Commission européenne. Les négociations relatives aux Directives sur la protection des travailleurs contre les risques de vibrations (35) et contre le bruit (36) tout comme celle sur les activités des institutions de fonds de retraite professionnelle sont sur le point d’être - ou ont déjà été - bouclées avec succès.

2.7.

DIALOGUE SOCIAL EUROPEEN Le dialogue social européen couvre, d’une part, les négociations (bipartites) interprofessionnelles et sectorielles et, d’autre part, une consultation (tripartite) sur un large éventail de questions. Ceux qui ont déclaré que le dialogue social au niveau européen était une réussite font le plus souvent allusion à la négociation sectorielle bipartite entre employeurs et syndicats, ne couvrant pas moins de 27 secteurs, qui a produit des accords contraignants et d’autres, moins contraignants. D’autres interlocuteurs, se référant au résultat de la négociation interprofessionnelle, considèrent que le dialogue social européen en est à ses débuts. Le fait est que, depuis le lancement du « dialogue social de Val Duchesse » en 1985, nous sommes passés du stade de la simple discussion entre partenaires sociaux européens à la reconnaissance explicite de leur rôle dans le Traité et, qui plus est, à la reconnaissance de la primauté des canaux de négociation sur les canaux législatifs. Cependant, la négociation interprofessionnelle n’a abouti qu’à peu de résultats tangibles. Aujourd’hui, nous sommes encore loin d’un véritable traitement européen des relations industrielles : à ce jour, seules trois conventions collectives ont été conclues. Pourtant, à la veille du Conseil européen de Laeken, les partenaires sociaux ont fait une déclaration dans laquelle ils exprimaient leur volonté de développer le dialogue social en établissant de concert un programme de travail pluriannuel, et se sont accordés sur la nécessité de généraliser et d’améliorer la coordination de la consultation tripartite sur les divers aspects de la stratégie de Lisbonne. En outre, le récent Conseil européen de Barcelone a insisté pour que les partenaires sociaux mettent leurs stratégies au service des Objectifs et de la Stratégie de Lisbonne. À cette fin, ils sont invités à produire un rapport annuel sur leurs efforts, au niveau tant national qu’européen, et de le présenter lors du Sommet social qui, dorénavant, se tiendra avant chaque Conseil européen de printemps.

(34) Des négociations ont lieu sur une nouvelle Directive sur les conditions du travail des travailleurs intérimaire, à la suite de l’échec des négociations entre partenaires sociaux européens. (35) Directives 2002/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 juin 2002 concernant les prescripions minimales de sécurité et de santé relatives à l’exposition des travailleurs aux risques dus aux agents physiques (vibrations), Journal officiel n° L 177 du 06/07/2002. (36) Position commune (CE) n° 8/2002 du 29 octobre 2001 arrêtée par le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l’article 251 du traité instituant la Communauté européenne, en vue de l’adoption d’une directive du Parlement européen et du Conseil concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé relatives à l’exposition des travailleurs aux risques dus aux agents physiques (bruit), Journal officiel n° C 045 E du 19/02/2002.

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Pour cette raison, l’UE a manifesté à plusieurs reprises sa volonté d’accorder des responsabilités aux partenaires sociaux. Aujourd’hui, je pense qu’il est prudent de dire que les développements futurs dans cette matière devront être initiés principalement par les partenaires sociaux eux-mêmes. En premier lieu, c’est à eux de prouver qu’à leur tour, ils sont disposés et capables de devenir de véritables acteurs au niveau européen. Par ailleurs, certains arguments plaident en faveur d’un amendement du Traité visant à faciliter le dialogue social européen, comme je le suggérerai dans la Section 3.5.

3.

ANCRER LA POLITIQUE DE LA PROTECTION SOCIALE PAR LE BIAIS DE LA CONVENTION EUROPEENNE ET DE LA CIG : SIX PROPOSITIONS Dans la Partie 1 du présent article, j’ai examiné le rôle que l’UE devrait jouer dans le domaine de la protection sociale, en partant de sa mission actuelle. En termes très généraux, je suis arrivé à la conclusion que l’Europe devait permettre aux Etats membres de développer des Etats sociaux actifs et doit encourager les investissements sociaux intelligents, en indiquant les objectifs généraux. La mobilité transfrontalière devrait créer des occasions supplémentaires pour des solutions sociales intelligentes, plutôt que de rendre les politiques sociales plus difficiles à soutenir. Dans la Partie 2, j’ai présenté l’agenda UE actuel en matière de protection sociale, qui a gagné en dynamisme depuis le Sommet de Lisbonne. Mon aperçu de la Partie 2 sous-entend également que ce dynamisme dépend très nettement de la volonté politique des gouvernements des États membres de réaliser des progrès. Par conséquent, les acquis restent fragiles du point de vue politique et institutionnel. De plus, les questions importantes (comme l’organisation en soi de la mobilité des patients) restent ouvertes, vu que le Traité manque d’un équilibre explicite entre les principes du marché unique et les principes poursuivis par les Etats sociaux nationaux. Par ailleurs, dans le domaine de la protection sociale, l’efficacité de la prise de décision peut être améliorée. La Convention européenne et la prochaine CIG offrent l’occasion d’ancrer cette approche de la politique de la protection sociale dans l’architecture de l’UE et de trouver un équilibre neuf et explicite entre les principes du marché unique et les principes poursuivis par les Etats sociaux nationaux. Six propositions doivent être prises en considération, qui visent à conférer à la protection sociale une place propre dans l’architecture de l’UE. Même si je sais que la Convention peut mener à un concept tout nouveau en vue d’un futur Traité de base, j’ai développé ces propositions d’amendement du texte actuel du Traité pour concrétiser autant que possible mes arguments.

3.1.

INCLURE DANS LE TRAITE CONSTITUTIONNEL LA CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX En premier lieu, nous devrions introduire la Charte des Droits fondamentaux dans le Traité constitutionnel (de base). Je considère que cette intégration ne devrait pas trop prêter à controverse, primo, parce que les droits fondamentaux sont l’essence 857


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de toute constitution et, secundo, parce que le contenu du texte de la Charte fait l’objet d’un très large consensus. Même si les citoyens n’en retiraient pas des droits susceptibles d’être invoqués et à effet immédiat, cette intégration rendrait les principes sociaux horizontaux et, ce faisant, traduirait clairement l’engagement fondamental européen et la vision que nos citoyens ne sont pas de simples facteurs de production. Plus important encore, une telle insertion de la Charte impliquerait que chaque action prise par l’Union et chaque action envisagée par les Etats membres dans l’application du droit européen respectent la Charte.

3.2.

INCLURE UNE DECLARATION DES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE LA POLITIQUE DE LA PROTECTION SOCIALE DANS LE TRAITE Dans la Section 1.1, j’ai examiné l’érosion de l’autorité juridique des États membres, en soulignant le rôle de la Cour. En guise d’exemple, je me suis plus particulièrement référé aux célèbres cas Kohll et Decker, qui ont eu un grand retentissement à travers l’Europe parce que la Cour affirmait que la nature particulière des prestations et des biens médicaux ne les exonère pas du principe fondamental de la liberté de mouvement (37). Or, il serait sûrement simpliste de blâmer la Cour pour les problèmes auxquels nous sommes confrontés. En premier lieu, la Cour ne fait qu’appliquer les dispositions du Traité en prenant en compte les objectifs tels qu’ils y sont identifiés, mais il va de soi qu’elle ne peut créer de politique en tant que telle. Ceci dit - et c’est mon second point -, il semble que la Cour a en fait développé une théorie cohérente sur les droits sociaux, marquant les limites de l’intégration économique européenne avec plus de netteté que la législation CE. Dans les affaires Kohll et Decker, par exemple, la Cour a pris en considération l’équilibre financier du système de sécurité sociale. Néanmoins, dans les affaires en question, l’équilibre penchait en faveur de la libre circulation parce que la Cour a estimé que les prestations demandées – à savoir, le remboursement d’une paire de lunettes dans l’affaire Decker et le remboursement d’un traitement d’orthodontie dans l’affaire Kohll - n’étaient pas de nature à exercer un impact significatif sur le financement des systèmes nationaux de sécurité sociale (38). Les arrêts Kohll et Decker furent suivis en juillet 2001 des arrêts Smits-Peerbooms, qui ont clarifié davantage l’application du droit européen aux systèmes de soins de santé des Etats membres. Dans ces arrêts, la Cour a confirmé que tous les Etats membres doivent se soumettre au droit communautaire lorsqu’ils exercent leur prérogative d’organisation de leurs systèmes de sécurité sociale. La Cour a confirmé par ailleurs que les prestations médicales, y compris les services hospitaliers, relèvent du champ d’application de l’Article 50 du Traité (la liberté de fournir des services au sein de la Communauté). Cependant, la nécessité de maintenir l’équilibre financier des systèmes de sécurité sociale et le maintien d’un service médical et hospitalier équilibré ouvert à tous peuvent justifier une restriction telle qu’elle existe (37) Decker, para. 24; Kohll, para. 20. (38) Decker, para. 40; Kohll, para. 42.

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dans le système de l’autorisation préalable. Toutefois, la Cour a arrêté que, pour qu’un programme d’autorisation administrative préalable soit justifié, même s’il déroge à une liberté fondamentale, il doit, en tout cas, se fonder sur des critères objectifs et non discriminatoires, connus à l’avance, de manière à limiter le pouvoir discrétionnaire des autorités nationales afin qu’il ne soit pas exercé arbitrairement (39). Sans aucun doute, la Cour tente de soupeser les objectifs sociaux des systèmes nationaux lorsqu’elle décide de l’application des règles de marché, mais elle n’a pas la possibilité de tenir compte de toutes les conséquences – directes mais aussi, et surtout, indirectes – possibles de ses décisions sans indications plus claires du Traité. De plus, nous ne pouvons être entièrement sûrs de la direction que prendront les futurs arrêts de la Cour. C’est pourquoi je partage entièrement le point de vue d’Elias Mossialos selon lequel nous devons nous accorder au plus haut niveau politique sur une déclaration de principes fondamentaux qui intègre les valeurs et les objectifs des systèmes de santé européens, sans toutefois réduire le degré d’autonomie actuel des Etats membres dans la conception et la réforme de leurs systèmes de soins de santé (40). Ces principes devraient figurer dans un futur Traité, équilibrant ainsi le marché intérieur avec les objectifs sociaux que poursuivent les systèmes de soins de santé des Etats membres.

(39) Mme Smits-Geraets cherchait à se faire rembourser par son fonds d’assurance néerlandais le traitement pour la maladie de Parkinson qui lui avait été dispensé en Allemagne. La demande de remboursement fut rejetée pour le motif que ce traitement spécifique à la maladie de Parkinson était disponible auprès d’un dispensateur conventionné. La requérante faisait valoir l’argument que la qualité des soins cliniques offerts par la clinique allemande était supérieure à celle proposée aux Pays-Bas. Dans un cas distinct, M. Peerbooms fut envoyé pour une thérapie de neurostimulation expérimentale à Innsbruck, en Autriche, pour laquelle il n’aurait pas pu entrer en ligne de compte aux Pays-Bas qui actuellement réservent ce traitement à des patients âgés de moins de 25 ans. Après le traitement en Autriche, M Peerbooms a recouvré une conscience totale. Toutefois, le remboursement demandé fut refusé sur la base que les soins appropriés auraient pu être obtenus auprès d’un dispensateur conventionné. En pratique, dans les affaires Smits-Peerbooms la CEJ a suivi l’opinion des autorités néerlandaises. La Cour a considéré que les conditions de la législation néerlandaise, selon lesquelles le patient doit bénéficier d’une autorisation, sont compatibles avec la loi UE dans la mesure où le critère de ‘normalité’ du traitement est rempli, a pour effet que l’autorisation ne peut être refusée pour cette raison lorsqu’il apparaît que le traitement concerné a été suffisamment essayé et testé par les cercles scientifiques médicaux internationaux, et dans la mesure où l’autorisation peut être refusée sur la base de l’absence de nécessité médicale uniquement si le même traitement ou un traitement également efficace peut être obtenu sans délai déraisonnable dans un établissement ayant un accord contractuel avec le fonds d’assurance de maladie de la personne assurée. Etant donné que la notion de ‘délai déraisonnable’ n’a pas été entièrement définie, il y a lieu de noter que certains Etats membres où les délais d’attente sont très longs pour un certain nombre de conditions médicales peuvent éprouver des difficultés à justifier un refus d’autorisation d’un traitement à l’étranger. (40) Une fois encore, je fais référence à E. Mossialos et. al., o.c.

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Néanmoins, nous ne devons pas confiner la portée de cet acte de rééquilibrage aux seuls soins de santé, mais l’élargir à toute la politique sociale. Afin d’être en mesure d’exprimer clairement l’idée que la dimension sociale fait partie intégrante de l’Union, nous devons nous efforcer de renouveler la formulation des principes généraux de la Communauté européenne, tels qu’ils ont été définis dans les Articles 2 et 3 du Traité. La meilleure manière de procéder serait d’amender, ou plutôt, de compléter, l’Article 3, § 2, qui porte sur la promotion de l’égalité entre hommes et femmes. Ce nouvel Article pourrait utilement intégrer l’acquis jurisprudentiel social de la Cour. En pratique, le nouvel Article pourrait être formulé comme suit : « Dans toutes les activités auxquelles il est fait référence dans cet Article, la Communauté aura pour objectif d’éliminer les inégalités et de promouvoir l’égalité entre hommes et femmes et prendra en considération les besoins de protection sociale, particulièrement en vue de promouvoir une protection sociale accessible et financièrement viable de haute qualité organisée sur la base de la solidarité. »

Proposition de texte Inclure une disposition sur les principes fondamentaux de protection sociale dans le Traité L’Article 3, § 2, concernant l’égalité entre hommes et femmes (référence au Traité d’Amsterdam) devrait être complété comme suit : « Dans toutes les activités auxquelles il est fait référence dans cet Article, la Communauté aura pour objectif d’éliminer les inégalités et de promouvoir l’égalité entre hommes et femmes et prendra en considération les besoins de protection sociale, particulièrement en vue de promouvoir une protection sociale accessible et financièrement viable de haute qualité organisée sur la base de la solidarité. » Pour que le texte soit cohérent, l’actuel Article 6 concernant la protection de l’environnement et la promotion du développement durable devrait devenir l’Article 3, § 3.

Toutes les actions entreprises par l’Union devraient alors se plier à ces principes et répondre aux souhaits des États membres de préserver leur capacité de les mettre en œuvre via des services et des mesures de l’Etat social. Ces actions comprennent l’application et l’interprétation des règles du marché intérieur et de la concurrence par la Commission européenne, la Cour et par les Etats membres et, de façon plus générale encore, l’élaboration des GOPE, des lignes directrices concernant l’Emploi, etc. Un accord sur de tels principes généraux pourrait se fonder sur l’intelligence mutuelle que nous développons en ce moment grâce à la méthode ouverte de coordination; il pourrait à son tour délimiter le cadre dans lequel les Etats membres continueront à affiner, dans différents domaines, les détails de la méthode ouverte de coordination. 860


L’UNION EUROPEENNE ET LA PROTECTION SOCIALE : PROPOSITIONS POUR LA CONVENTION EUROPEENNE

3.3.

ANCRER LA METHODE OUVERTE DE COORDINATION EN MATIERE DE POLITIQUE SOCIALE A L’ARCHITECTURE DE L’UE La coordination ouverte, telle qu’elle s’est développée à ce jour, présente une faiblesse potentielle : en effet, ce type de collaboration intergouvernementale tend à dépendre étroitement de la constellation liée aux tendances politiques du moment. Puisque la méthode ouverte de coordination ne fait pas partie de l’acquis formel, nous devons imaginer des solutions qui préservent la validité de cet acquis doux après l’élargissement. L’acquis doux représente le résultat tangible de la voix des ministres des Affaires sociales dans la prise de décision européenne et devrait être considéré comme un puissant soutien pour les politiques sociales des pays candidats. Sans aucun doute, les pays candidats seront heureux d’apprendre qu’en matière de politique sociale, cette voix décline d’autres accents que ceux des organisations internationales, comme le FMI et la Banque mondiale. L’élargissement de l’UE à 25 Etats membres compliquera sûrement les processus de « peer review » et d’évaluation dans le cadre de la méthode ouverte de coordination. La faisabilité pratique exigera une simplification (peut-être aussi un ajustement de la fréquence) et éventuellement une intégration des divers processus. Je ne m’étendrai pas sur ce point, mon propos étant ici la constitutionnalisation de la méthode ouverte de coordination dans les domaines de la protection sociale et de l’inclusion sociale. Eu égard à l’ambition d’établir un nouveau Traité cohérent et transparent, il semble logique de prôner, au sein de la Convention, l’inclusion de la méthode ouverte de coordination comme l’un des instruments généraux de l’Union. Cette intégration pourrait se faire dans l’article du Traité constitutionnel projeté qui décrirait tous les instruments de l’Union. Cet article général fournirait une description des caractéristiques de base de la méthode ouverte de coordination. Un tel article « générique » pourrait même englober les processus de coordination politique déjà établis dans l’actuel Traité, par exemple le processus de l’emploi (Art. 128). L’application spécifique de la méthode ouverte de coordination à l’emploi pourrait ensuite être exposée plus en détail dans le chapitre du Traité consacré à l’emploi, l’application spécifique à la protection sociale et à l’inclusion sociale pourrait être développée dans les dispositions sociales du Traité, etc. Il convient de s’engager dans une telle « définition générique » avec toute la circonspection voulue étant donné les risques politiques y afférents : par exemple, proposer une description « ad minima » de tous types de coordination au sein de l’UE pourrait porter préjudice à ce qui a déjà été réalisé en matière de coordination dans le domaine de l’emploi. La question de savoir si une telle définition générique de la coordination ouverte est indiquée ou non dans le nouveau Traité excède le cadre du présent article. Aussi, je ne tiens pas à m’aventurer ici dans cet exercice horizontal, et je me contenterai de proposer une assise légale pour la coordination ouverte telle qu’elle s’applique spécifiquement à la protection sociale et à l’inclusion sociale. Cette base légale devrait

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prendre appui sur le processus d’apprentissage dont nous faisons actuellement l’expérience et que j’ai donc développé dans la Partie 2, et devrait répondre aux critères suivants : faire clairement comprendre que la coordination ouverte concerne deux matières spécifiques dans le vaste champ de la politique sociale : la modernisation de la protection sociale et la promotion de l’inclusion sociale (pour traduire notre volonté que la coordination ouverte ne remplace pas le « droit UE dur », dans les secteurs où une approche de type « droit dur » est indiquée) ; faire comprendre de manière non ambiguë que la coordination ouverte sur certaines matières ne dépendra pas de la bonne volonté politique, mais sera formulée comme une obligation du Traité; pourvoir la Commission d’un rôle actif, sans occulter le rôle positif de premier plan qu’a joué le Comité de la Protection sociale au cours de ces deux dernières années dans la constitution d’une identité politique commune des ministres des Affaires sociales ; définir le rôle du Parlement européen et des partenaires sociaux ; prévoir la possibilité, et non l’obligation, de développer des lignes directrices (il semble plus aisé, à ce stade, d’envisager le développement de lignes directrices concernant l’inclusion sociale que sur un domaine excessivement sensible tel que les pensions) ; exiger l’incorporation des résultats du processus dans les GOPE (pour la facilité, j’utilise l’expression « Grandes orientations des politiques économiques », en me référant au Traité tel qu’il existe aujourd’hui ; peut-être la Convention devra-t-elle opter pour un concept plus large, par exemple « Grandes orientations des politiques économiques, de l’emploi et de la protection sociale ».

Puisque le Traité de Nice a instauré le Comité de la Protection sociale via l’Article 144, je suggère d’intituler ce nouvel Article « 144bis » ; vu l’ambition de restructurer le Traité dans son ensemble, il ne s’agit ici, de toute évidence, que d’une question de présentation.

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Proposition de texte (Article « 144bis ») Ancrer la méthode ouverte de coordination relative à la protection sociale et à l’inclusion sociale dans le Traité Dans les domaines visés à l’Article 137, paragraphe 1, points (j) et (k), (*) le Conseil, sur la base des conclusions du Conseil européen, statuant en vertu d’un consensus entre les Etats membres, sur proposition de la Commission qui prend en compte l’avis du Comité de la protection sociale, et après consultation du Parlement européen, des partenaires sociaux et du Comité de la protection sociale, - adopte des objectifs communs et des indicateurs communs, - élabore, le cas échéant, des lignes directrices dont les Etats membres tiennent compte dans leurs politiques, - adopte des rapports sur la mise en œuvre de ce processus de coopération. Les résultats de ce processus seront incorporés dans les Grandes orientations des politiques économiques. (*) référence au Traité instituant la Communauté européenne tel qu’amendé par le Traité de Nice

Notons que la base légale proposée n’exclut pas une coopération entre le Comité de la protection sociale et, par exemple, le Comité de politique économique, comme ce fut le cas jusqu’à présent (avec succès) dans la coordination ouverte sur les pensions. En pratique, il suffit que le Conseil européen réclame cette coopération.

3.4.

RENFORCER LES DISPOSITIONS SOCIALES DU TRAITE Ma quatrième proposition se rapporte aux dispositions sociales du Traité, que l’on trouve dans les Articles 136 et 137 (41). Les nouvelles formulations des dispositions sociales depuis Amsterdam nous autorisent à conclure que les objectifs sociaux de l’Union sont acceptés comme étant indépendants, bien que la place centrale du principe de subsidiarité soit toujours en vigueur; en conséquence, la politique sociale relève toujours et avant tout de la compétence des Etats membres, comme il (41) Ex. Articles 117 et 118.

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se doit. À mes yeux, ces Articles ont un champ d’application suffisamment vaste. Toutefois, nous devons changer la procédure décisionnelle applicable aux dispositions sociales du Traité, dont certaines sont toujours régies au Conseil par la règle de l’unanimité. Comme mentionné plus haut, la perspective de l’élargissement réclame une généralisation du vote à la majorité qualifiée (VMQ), dans ce cadre également; en tout état de cause, il conviendrait d’appliquer le VMQ en tant que minimum minimorum à la coordination technique des systèmes de sécurité sociale (Règlement 1408/71 ; Art. 42 du Traité). Je suis conscient que certains Etats membres (actuels et futurs) appréhendent le glissement vers un vote à la majorité qualifiée pour toutes les dispositions sociales et y voient une tentative de les obliger à renoncer à leurs avantages concurrentiels en termes sociaux, qu’ils considèrent parfois comme une compensation à leurs désavantages géographiques et en matière de biens d’investissements. Je voudrais dissiper cette crainte en mentionnant trois éléments. Le premier est substantiel : nous ne devrions pas oublier que des preuves scientifiques cumulatives ont encore corroboré, depuis la Présidence néerlandaise en 1992, que la protection sociale est un facteur productif et non une entrave à la compétitivité. Mon deuxième argument est institutionnel : même si nous sommes en mesure d’abandonner enfin la règle de l’unanimité pour les décisions en matière de politique sociale à la prochaine CIG, il est clair qu’une large coalition des pays candidats, éventuellement soutenus par un ou deux Etats membres actuels, pourrait aisément, et justement, bloquer la prise de décision dans ce domaine. Justement, en effet, puisque nous prendrions un mauvais départ dans l’unification de l’Europe si l’Union en venait, dès le début, à forcer la main aux pays candidats. En fin de compte, je crois que nous pouvons adjoindre les conditions indispensables pour s’assurer qu’une telle extension du VMQ n’impose pas aux Etats membres de charges trop lourdes à supporter. Les conditions qui ont déjà fait l’objet d’un accord sous l’Article 137 du Traité et qui font référence, entre autres, aux exigences minimales et aux contraintes administratives et financières inutiles, peuvent servir de source d’inspiration (42).

3.5.

FACILITER LE DIALOGUE SOCIAL EUROPEEN Vu la complexité du cadre légal, basé sur le Traité, dans lequel est mené le dialogue social au niveau européen, on peut arguer de la nécessité de sa simplification. En effet, dans certains cas, l’unanimité est requise pour « rendre obligatoires / exécuter » les dispositions résultant des négociations au sein du Conseil, alors que, dans d’autres cas, il suffit de la majorité qualifiée. La plupart du temps, différentes procédures de vote s’appliquent à divers aspects d’un seul accord; de plus, il arrive assez fréquemment que les départements juridiques des institutions intéressées ne (42) L’Article 137, § 2 du Traité de Nice mentionne explicitement “à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres” et “par voie de directives, des prescriptions minimales applicables progressivement […]. Ces directives évitent d’imposer des contraintes administratives, financières et juridiques telles qu’elles contrarieraient la création et le développement de petites et moyennes entreprises”.

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L’UNION EUROPEENNE ET LA PROTECTION SOCIALE : PROPOSITIONS POUR LA CONVENTION EUROPEENNE

s’accordent pas sur les procédures décisionnelles appropriées. Par ailleurs, l’étendue des sujets susceptibles de faire l’objet d’une négociation reste limitée dans le Traité et exclut des aspects importants tels que la rémunération. Ici, également, une grande part d’insécurité juridique naît de la question de savoir si certaines parties d’accords potentiels relèvent ou non des sujets à propos desquels une négociation est autorisée. Certains arguments poussent à donner la possibilité aux partenaires sociaux de décider eux-mêmes des sujets relatifs à l’emploi qu‘ils souhaitent négocier. Ou en d’autres termes : il faut supprimer les dispositions du Traité qui limitent l’étendue des négociations). Ainsi, il serait possible de promouvoir le dialogue social européen en donnant force de loi à toutes les conventions collectives européennes par un VMQ.

Proposition de texte Faciliter le dialogue social au niveau communautaire L’Article 139 TCE concernant le dialogue social devrait être amendé comme suit : « 1. Le dialogue entre partenaires sociaux au niveau communautaire peut conduire, si ces derniers le souhaitent, à des relations conventionnelles, y compris des accords. 2. La mise en œuvre des accords conclus au niveau communautaire intervient soit selon les procédures et pratiques propres aux partenaires sociaux et aux Etats membres, soit, dans les matières relevant de l’Article 137, y compris le salaire, le droit d’association, le droit de grève, le droit d’imposer des lock-out, à la demande conjointe des parties signataires, par une décision du Conseil sur proposition de la Commission. Le Conseil statue à la majorité qualifiée, sauf lorsque l’accord en question contient une ou plusieurs dispositions relatives à l’un des domaines visés à l’Article 137, paragraphe 3, auquel cas il statue à l’unanimité. »

3.6.

RESPECTER LES ACCORDS ENTRE PARTENAIRES SOCIAUX AU NIVEAU NATIONAL ET PRESERVER LES SERVICES D’INTERET GENERAL Le point final avant ma conclusion concerne le dialogue social au niveau des Etats membres, directement affecté par les règles européennes de concurrence via deux dispositions du Traité. L’Article 81, paragraphe 1, du Traité « interdit les accords entre entreprises, les décisions d’associations d’entreprises et les pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du 865


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marché commun » (43). Pendant longtemps, pour ce qui concerne l’application de cet Article du Traité, un grand nombre d’incertitudes a accompagné le statut des accords conclus dans le cadre de négociations collectives entre partenaires sociaux. Ces dernières années, la Cour a introduit des clarifications importantes, par exemple dans l’affaire Albany (44), relative au système néerlandais d’affiliation obligatoire à un fonds sectoriel de pension. Dans ce cas célèbre, la Cour a, entre autres, arrêté que « les objectifs de politique sociale poursuivis par de tels accords seraient toutefois sérieusement compromis si les partenaires sociaux étaient soumis à l’Article 81(1)CE dans la recherche en commun de mesures destinées à améliorer les conditions d’emploi et de travail » (45). La Cour a suivi un raisonnement similaire en ce qui concerne l’Article 86, paragraphe 2, du Traité, qui traite des entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général. De récents arrêts de la Cour ont donné une interprétation plutôt flexible au concept de « service d’intérêt économique général », qui traditionnellement couvrait toujours des services d’une nature purement économique. Ainsi, la Cour considère que les « entreprises » (p. ex. les fonds sectoriels de pension) chargées d’une fonction sociale essentielle ou d’une mission sociale particulière d’intérêt général (p. ex. lorsqu’elles jouent un rôle majeur dans le système national des pensions) doivent être considérées comme des « entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général », ce qui peut donner lieu, conformément à l’Article 86(2) CE, à une dérogation aux règles de concurrence du Traité. Compte tenu de cette jurisprudence de la Cour, il semble opportun d’insérer une nouvelle disposition dans l’Article 81(1) CE selon laquelle les accords conclus dans le contexte de négociations collectives entre partenaires sociaux poursuivant des objectifs de politique sociale ne relèvent pas du champ d’application des dispositions du Traité concernant les entreprises. Il semblerait également approprié de réfléchir en vue du Traité sur l’interprétation flexible donnée par la Cour au concept de « service d’intérêt économique général ».

(43) Lenaerts, K., Le dialogue social en Europe, Working Paper pour la Convention européenne, 2002, p 8. (44) CEJ, Albany, C-67/96, (1999) ECR 1-5863, par. 59. (45) Lenaerts, K., o.c., p. 9.

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L’UNION EUROPEENNE ET LA PROTECTION SOCIALE : PROPOSITIONS POUR LA CONVENTION EUROPEENNE

Proposition de texte Dialogue social au niveau national Règles s’appliquant aux entreprises - services d’intérêt général 1. insérer à l’Article 81 CE la disposition suivante : « Les accords conclus dans le cadre de négociations collectives entre partenaires sociaux en vue d’objectifs de politique sociale ne relèvent pas du champ d’application de l’Article 81(1) CE. » 2. modifier l’Article 86(2) CE dans le sens suivant : « Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique ou investies d’une mission sociale d’intérêt général ... » Une proposition alternative serait d’adapter l’Article 86(2) CE comme suit : « Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique ou social ... » Une autre solution consisterait à supprimer la référence à « économique ». L’Article 86(2) CE se lirait alors comme suit : « Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt général ... »

4.

RESUME ET CONCLUSION Mon étude du rôle que devrait jouer l’UE dans le domaine de la protection sociale trouve sa source dans une question empirique : quel rôle l’UE joue-t-elle à présent dans le développement de la protection sociale ? Les faits mènent à deux conclusions. En premier lieu, la part de contrôle que les Etats membres ont perdue sur les politiques sociales nationales en raison des pressions émanant de l’intégration des marchés est plus importante que la part que l’UE a, de facto, gagnée en autorité transférée, aussi substantielle que celle-ci puisse être. Dès lors, notre capacité de conduite de la politique sociale s’affaiblit. Cette situation pose problème, étant donné que l’autonomie et l’autorité réduites des Etats membres, conjuguées à la faiblesse continue à développer des réponses au niveau de l’UE, pourraient restreindre tant la portée que les efforts en faveur d’investissements sociaux innovateurs, pourtant nécessaires de toute part vu les défis communs créés par le vieillissement démographique. Le problème deviendra plus 867


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aigu encore avec l’élargissement de l’UE parce que l’unanimité requise au Conseil pour des domaines essentiels de la politique sociale est une règle qui risque de paralyser le processus décisionnel et peut-être plus important encore - parce que l’élargissement augmentera fortement l’hétérogénéité économique, sociale, politico-culturelle et politico-institutionnelle parmi les États membres de l’UE. En deuxième lieu, dans un contexte de mobilité accrue, non seulement des travailleurs et du capital mais encore des organisations de prestations de services, des dispensateurs de soins et des patients, la constellation du Traité pourrait céder la priorité à deux trajectoires polarisées, comme le craignent Leibfried et Pierson. Certaines composantes de base de l’Etat social (redistribution, …) resteraient à l’abri de « l’intervention » européenne, dans la mesure où elles sont « purement » sociales ; mais plus ces fonctions sont assurées par des services basés sur le marché, plus l’Etat social se déplacerait, du point de vue des institutions de l’UE, vers la sphère de « l’action économique », se soumettant ainsi aux principes du marché unique et aux règles du marché. Dans ce processus, l’Etat social pourrait graduellement être submergé dans un marché européen unique de la « sécurité », c’est-à-dire un marché unique pour la protection personnelle et les instruments d’assurance. Bien qu’il soit injuste de blâmer « l’Europe » pour certaines des difficultés auxquelles sont confrontés les stratèges en matière de politique sociale lorsqu’ils choisissent d’accorder davantage de confiance aux mécanismes de marché ou de quasi-marché dans leur arsenal de dispositions sociales, le Traité ne donne pas de garanties solides contre un tel développement polarisé. Toutefois, la réponse à ce problème ne réside pas dans un transfert additionnel de compétences nationales à l’UE et encore moins en l’harmonisation pour l’amour de l’harmonisation. Bien que je souligne que le concept d’un « modèle social européen » n’est pas seulement rationnel mais qu’il doit être défini au moyen d’objectifs communs, je pense également que la diversité nationale en matière de systèmes de protection sociale ne peut être traitée comme si elle était illégitime. Au contraire, la diversité fait elle-même partie de la structure légitimante de convictions et de pratiques supportant le cadre politique européen multiniveaux. Bien que la législation de l’UE ait un rôle propre à jouer dans le domaine social, la politique de la protection sociale est et devrait essentiellement rester la responsabilité des communes, des régions et des Etats-nations. Néanmoins, l’Europe devrait permettre aux Etats membres de développer des Etats sociaux actifs et doit encourager les investissements sociaux intelligents en indiquant les objectifs généraux lorsque sont concernés tant l’emploi que la protection sociale. Par ailleurs, la mobilité transfrontalière devrait créer de nouvelles possibilités de solutions sociales intelligentes, plutôt que de rendre les politiques sociales plus difficiles à soutenir. J’espère avoir démontré dans la seconde partie du présent article que la politique de la protection sociale – conçue de cette façon – a gagné en dynamisme grâce au Sommet de Lisbonne. Néanmoins, ces progrès restent fragiles du point de vue politique et institutionnel. De plus, les questions majeures (par exemple, l’organisation adé868


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quate de la mobilité des patients) restent ouvertes, parce que le Traité ne présente pas d’équilibre explicite entre les principes du marché unique et les principes que poursuivent les Etats sociaux nationaux. En outre, l’efficacité du processus décisionnel dans le domaine de la protection sociale peut être améliorée. À cette fin, je table sur six propositions : Premièrement, nous devrions inclure la Charte des Droits fondamentaux dans le Traité constitutionnel.

Deuxièmement, afin de pouvoir exprimer clairement l’idée selon laquelle la dimension sociale fait partie intégrante de l’Union, il est crucial de reformuler les principes généraux de la Communauté européenne, tels qu’ils figurent aux Articles 2 et 3 du Traité, et d’ancrer dans le nouveau Traité un engagement envers la protection sociale. Étant donné que ce principe serait de nature « horizontale », toutes les actions entreprises par l’Union devraient en tenir compte.

Troisièmement, nous avons besoin d’une base légale pour la méthode ouverte de coordination, telle qu’elle doit être appliquée au domaine de la protection et de l’inclusion sociale. Elle devrait garantir le transfert des résultats de la méthode ouverte de coordination relative au domaine social vers la coordination des politiques économique et budgétaire au niveau des Grandes orientations des politiques économiques. Quatrièmement, l’élargissement exige que nous augmentions l’efficacité décisionnelle quant aux dispositions sociales du Traité. Le VMQ devrait sûrement s’appliquer, en guise de minimum minimorum, à la coordination technique des systèmes de sécurité sociale.

Cinquièmement, les partenaires sociaux devraient avoir la possibilité de décider eux-mêmes des questions relatives à l’emploi qu’ils souhaitent négocier. Tous les accords collectifs devraient être déclarés juridiquement contraignants par le VMQ.

Enfin, il semble opportun d’introduire une nouvelle disposition prévoyant que les accords conclus dans le cadre de négociations collectives entre partenaires sociaux en vue d’objectifs de politique sociale ne relèvent pas du champ d’application des règles du Traité s’appliquant aux entreprises. Il semblerait tout aussi approprié de réfléchir à l’interprétation flexible, par la Cour du concept de « service d’intérêt économique général » dans le Traité. __________

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TABLE DES MATIERES L’UNION EUROPEENNE ET LA PROTECTION SOCIALE : PROPOSITIONS POUR LA CONVENTION EUROPEENNE

INTRODUCTION

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1. QUEL ROLE DEVRAIT JOUER L’UE DANS LE DEVELOPPEMENT DE LA POLITIQUE DE LA PROTECTION SOCIALE ?

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1.1. EROSION DE L’AUTORITE LEGALE A LA SUITE DES EXIGENCES DE COMPATIBILITE AVEC LE MARCHE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2. DIMINUTION DE L’AUTONOMIE DUE AUX PRESSIONS DE FAIT SUR LES ETATS SOCIAUX 1.3. OBJECTIFS COMMUNS ET DIVERSITE LEGITIME . . . . . . . . . . . . . . . .

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2. LE DEFI DE L’APRES-LISBONNE : CONVERSION DES PRINCIPES DANS LA PRATIQUE

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2.1. LA METHODE OUVERTE DE COORDINATION : INTRUMENT CREATIF . . . . . . . 2.2. COMBATTRE LA PAUVRETE ET PROMOUVOIR L’INCLUSION SOCIALE. . . . . . . . 2.3. PENSIONS : UN ENJEU SOCIAL ASSORTI DE CONTRAINTES FINANCIERES. . . . . . 2.4. PROTECTION SOCIALE POUR LES CITOYENS MIGRANTS : SIMPLIFIER ET AMELIORER LA COORDINATION EUROPEENNE DES SYSTEMES DE SECURITE SOCIALE . . . . . . . 2.5. COORDINATION OUVERTE EN MATIERE DE SOINS DE SANTE ET DE SOINS AUX PERSONNES AGEES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.6. L’AGENDA LEGISLATIF : SE CONCENTRER SUR LA REALISATION. . . . . . . . . . 2.7. DIALOGUE SOCIAL EUROPEEN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. ANCRER LA POLITIQUE DE LA PROTECTION SOCIALE PAR LE BIAIS DE LA CONVENTION EUROPEENNE ET DE LA CIG : SIX PROPOSITIONS 3.1. INCLURE DANS LE TRAITE CONSTITUTIONNEL LA CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. INCLURE UNE DECLARATION DES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE LA POLITIQUE DE LA PROTECTION SOCIALE DANS LE TRAITE . . . . . . . . . . . . . . . 3.3. ANCRER LA METHODE OUVERTE DE COORDINATION EN MATIERE DE POLITIQUE SOCIALE A L’ARCHITECTURE DE L’UE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.4. RENFORCER LES DISPOSITIONS SOCIALES DU TRAITE. . . . . . . . . . . . . 3.5. FACILITER LE DIALOGUE SOCIAL EUROPEEN . . . . . . . . . . . . . . . . 3.6. RESPECTER LES ACCORDS ENTRE PARTENAIRES SOCIAUX AU NIVEAU NATIONAL ET PRESERVER LES SERVICES D’INTERET GENERAL . . . . . . . . . . . . . . . 4. RESUME ET CONCLUSION 870

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MOBILITE DES PATIENTS ET REPONSES POLITIQUES DE L’UE (1) PAR RITA BAETEN Chercheuse, Observatoire social européen, Bruxelles

1.

INTRODUCTION La couverture de l’hebdomadaire anglophone « The Bulletin » du 18 octobre 2001 avait pour manchette : « la Belgique : supermarché de la chirurgie, principale destination des réfugiés de la santé ». L’introduction de l’article signalait : « Attirés par les services médicaux belges relativement bon marché, efficaces et rapides, les Européens – particulièrement les Britanniques – viennent se faire opérer ici par dizaines ». Dans les journaux flamands, on pouvait lire en avril de cette année comment l’assureur de soins de santé néerlandais CZ avait conclu des contrats avec certains médecins généralistes et hôpitaux belges pour faire traiter ses patients. L’indemnisation s’effectue sur la base des tarifs néerlandais. Les éditoriaux mettaient en garde contre une médecine de classe (2). Que se passe-t-il ? Pourquoi cet engouement des patients et des financiers des soins étrangers pour nos infrastructures de soins ? Pourquoi cet intérêt de nos établissements de soins de la part de ces patients étrangers ? Quelle est l’ampleur du phénomène et, dans ce contexte, la Belgique constitue-t-elle un cas isolé ? Que savonsnous des évolutions et quelles sont les conséquences, avantages et risques éventuels ? Comment cette histoire se situe-t-elle dans un environnement européen ? Telles sont les questions auxquelles cet article tente de répondre.

2.

PATIENTS ETRANGERS DANS DES ETABLISSEMENTS DE SOINS BELGES : TOILE DE FOND ET MOTIFS Les systèmes publics européens de soins de santé se basent principalement sur le principe de la territorialité : des autorités nationales définissent l’ensemble des soins à financer et les frontières nationales équivalent aux limites de validité des droits et des soins de santé dispensés et remboursés. Des règles ont été élaborées au plan européen, communément appelée « Règlement de coordination ». Ces règles doivent garantir que les citoyens européens, lorsqu’ils se déplacent au sein de l’Union européenne, conservent leurs droits à des traite(1) Avec mes remerciements à Willy Palm, Bart Vanhercke et Chris De Laet pour leurs réactions constructives à cet article. (2) Het Nieuwsblad, De Gentenaar et Het Volk du 12 avril 2002.

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ments médicaux. Ce Règlement (3) détermine l’accessibilité et le financement des soins pour les personnes qui sont domiciliées ou qui résident temporairement dans un autre pays que dans l’Etat où s’applique leur droit à des soins médicaux (4). Ce Règlement assure l’accès à des soins médicaux à quiconque circule en Europe par-delà ses frontières nationales, en gardant toutefois globalement intact le principe de la territorialité. Au cours d’un bref séjour à l’étranger, on a, en principe, uniquement droit à des soins médicaux urgents. Que quelqu’un se fasse soigner à l’étranger pour des soins non urgents ou programmés, pour le compte de l’institution de financement à laquelle il est affilié, n’est admis qu’à certaines conditions strictes. L’institution de financement doit pour cela avoir accordé son consentement préalable et les soins sont dispensés sur la base des tarifs et des conditions de remboursement en vigueur dans le régime légal de l’Etat membre dans lequel sont dispensés les soins. C’était du moins la situation qui prévalait jusqu’en 1998 et elle récoltait d’ailleurs un large consensus chez les Etats membres. Le 28 avril 1998, la Cour européenne de Justice prononça les célèbres arrêts Kohll et Decker (5). Dans ces arrêts, la Cour a assimilé la dispense de soins médicaux à des prestations de services au sens du Traité et a déclaré que s’y appliquaient les règles communautaires relatives à la libre prestation de services. Les arrêts ouvraient la possibilité de se rendre directement à l’étranger pour y recevoir des soins, sans avoir demandé préalablement l’autorisation de l’institution à laquelle est affilié le patient. Celui-ci doit payer la totalité du prix sur place et demander ultérieurement le remboursement des soins à son institution de financement au tarif applicable dans le pays d’affiliation. Ces arrêts ont cependant laissé beaucoup de questions ouvertes quant à leur portée. Le 12 juillet 2001, la Cour a quelque peu précisé ses intentions en se prononçant dans deux nouveaux arrêts (6). Le point le plus important se résume comme suit : la Cour déclare applicables les règles communautaires relatives à la libre prestation (3) Version consolidée : Règlement (CE) n° 118/97 du Conseil du 2 décembre 1996 modifiant et révisant le Règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté et Règlement (CEE) n° 574/72 fixant les modalités d’application du Règlement (CEE) n° 1408/71, JO L 28, 30 janvier 1997. (4) Ce Règlement a déjà fait à plusieurs reprises l’objet de commentaires dans des articles parus dans la présente Revue : Lewalle H. et Palm W., “Quel est l’impact de la jurisprudence européenne sur l’accès aux soins à l’intérieur de l’Union européenne ?”, Revue belge de sécurité sociale, 2ème trimestre 2001, pp. 435-453 ; Baeten R., “La politique des soins de santé a-t-elle une place dans l’agenda européen ?”, Revue Belge de Sécurité Sociale, 3ème trimestre 2000, pp. 831-853 ; Schulte B., “Droit social européen”, Revue belge de sécurité sociale, 4ème trimestre 2001, pp. 661-705. (5) Cour de Justice, Affaires jointes C-120/95 et C 158/96, N. Decker contre Caisse de Maladie des Employés et R. Kohll contre Union des Caisses de Maladie, Arrêts de la Cour, 28 avril 1998. Ces arrêts ont également été commentés à plusieurs reprises dans la présente Revue : Lewalle H. et Palm W. ; op.cit.; et Schulte B., op.cit. (6) Cour de Justice, Affaire C-157/99, B.S.M. Smits, épouse Geraets contre Stichting Ziekenfonds et H.T.M. Peerbooms contre Stichting CZ Groep Zorgverzekeringen ; Cour de Justice, Affaire C-368/98, Abdon Vanbraekel e. a. contre Landsbond der christelijke mutualiteiten (LCM), Arrêts de la Cour, 12 juillet 2001.

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de services tant pour les soins ambulatoires que pour les soins hospitaliers et aussi bien pour les soins dispensés dans des régimes de soins basés sur leur remboursement que dans des systèmes qui dispensent des soins en nature. Toutefois, la Cour reconnaît, que dans certaines circonstances, un frein à cette liberté de circulation peut être justifié, par exemple en exigeant une autorisation préalable. Ceci peut s’avérer nécessaire dans un système opérant sur la base de contrats avec des dispensateurs de soins - comme aux Pays-Bas, sur lequel portait d’ailleurs l’arrêt -, pour garantir l’équilibre financier de la sécurité sociale ou le maintien d’une offre étendue en dispositifs hospitaliers accessibles à tous. Ces limitations doivent être basées sur des critères objectifs et ne peuvent entraîner aucune discrimination vis-à-vis des dispensateurs de soins étrangers. Dans le cas du système néerlandais, ceci signifie que l’accord ne peut être refusé que si le patient peut obtenir des soins identiques ou de même valeur dans un délai raisonnable dans une institution avec laquelle la mutualité concerné a signé un contrat. La Cour se prononce sur la base de dossiers spécifiques qui lui sont soumis. Les principes étayant les prononcés doivent cependant être appliqués dans tous les Etats membres, lesquels doivent eux-mêmes examiner comment les mettre en pratique chez eux. Après les premiers arrêts, Kohll et Decker, une grande inquiétude était née dans les Etats membres, mais peu d’entre eux ont adapté leur régime aux arrêts (7). Les pays qui dispensent des soins en nature ont estimé qu’ils n’étaient pas concernés par ces prononcés. Toutefois, les arrêts de juillet 2001 ont fait clairement entendre que les principes s’appliquent également à ces régimes et que ces Etats membres doivent également chercher à traduire les principes découlant des prononcés dans leurs systèmes. Parallèlement à ces développements juridiques, une évolution importante s’est produite dans les régimes de soins d’un certain nombre d’Etats membres. Des mesures de maîtrise des dépenses de soins de santé, une régulation stricte de l’offre, la mise à disposition de budgets fermés pour les infrastructures de soins et une politique des revenus restrictive pour les dispensateurs de soins ont donné naissance dans certains pays à de longues périodes d’attente pour les soins. Chez nos voisins néerlandais et britanniques, les listes d’attente sont ressenties comme un réel problème (8). Les hôpitaux néerlandais ont de longues listes d’attente dans les (7) Seuls le Luxembourg, auquel s’appliquait le prononcé, et la Belgique, qui possède un système de soins possédant les mêmes caractéristiques que le luxembourgeois, ont adapté leurs procédures pour les soins ambulatoires aux dispositions des arrêts. Par ailleurs, le Danemark, la Finlande et la Grèce on reconnu une applicabilité partielle et limitée de la procédure à leur système. Voir à ce sujet : Palm W., Nickless J., Lewalle H. et Coheur A., Implications of recent jurisprucence on the co-ordination of health care protection systems, rapport général, produit pour la Commission européenne, Direction générale pour l’Emploi et les Affaires sociales, Bruxelles, AIM, 2000. (8) Certaines études ont démontré que les listes d’attente pour des soins sont plus importantes dans les pays ayant une densité moindre de spécialistes, dans les pays où les médecins sont soit rémunérés par abonnement soit sont salariés, et dans les pays où le patient n’a pas un libre accès au spécialiste, voir : Post D. et Stockx L. J., Volksgezondheid Toekomst Verkenning, 1997, VI Zorgbehoefte en zorggebruik, Utrecht, Bilthoven, RIVM, ELSEVIER/ De Tijdstroom, 1997.

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secteurs de l’ophtalmologie, de l’orthopédie, de la chirurgie et de la chirurgie plastique (9). De plus en plus de patients cherchent à souscrire des assurances privées pour se faire soigner dans un circuit parallèle (principalement au Royaume-Uni) ou se rendent à l’étranger pour recevoir des soins, parfois payés par une assurance privée, mais souvent à leurs propres frais. Dans ces pays, les autorités sont fortement pressées de remédier à la situation. Tant aux Pays-Bas qu’au Royaume-Uni, les listes d’attente dans le secteur des soins constituaient une question brûlante lors des dernières élections. De nouveaux plans stratégiques furent déployés pour réduire ces listes et les moyens financiers injectés dans le secteur des soins ont été drastiquement augmentés (10). L’investissement de moyens supplémentaires en matière de santé ne peut toutefois produire des effets qu’à terme. Attirer des praticiens supplémentaires ou débutants dans ce secteur constitue un processus lent (formation, recrutement) dont le succès dépend des rémunérations et des conditions de travail proposées. Par ailleurs, la création (construction) d’infrastructures supplémentaires exige aussi du temps. Dès lors, les autorités de ces pays sont à la recherche de mesures susceptibles d’aider à résorber le problème des listes d’attente à court terme. Ainsi, elles tentent d’attirer de l’étranger des dispensateurs de soins et même parfois des équipes médicales et paramédicales complètes et concluent des contrats avec des circuits de soins privés et commerciaux. Une autre possibilité réside dans la conclusion de contrats avec des infrastructures à l’étranger en vue de faire soigner les patients. Les arrêts Kohll et Decker et suivants, favorisent ce processus. Ils obligent les pays qui ne sont pas en mesure de dispenser dans un délai raisonnable les soins nécessaires – repris dans la nomenclature des soins du pays concerné - à rembourser les traitements de patients qui sont allés chercher cette prestation de services dans un autre pays. Les Etats membres et les assureurs de soins de santé doivent ouvrir en principe sans discrimination leur système contractuel pour la dispense de soins aux dispensateurs et établissements de soins étrangers. En concluant directement des contrats avec des institutions à l’étranger, les financiers du secteur des soins (mutuelles ou autorités) sont à même de conserver un plus grand contrôle sur le coût, le contenu et la qualité des prestations de soins. L’institution étrangère est intégrée dans l’offre propre (11). C’est pour cette raison que les pays qui connaissent des listes d’attente préfèrent cette piste au remboursement des soins aux patients inscrits sur des listes d’attente qui ont été de leur propre initiative chercher de l’aide à l’étranger.

(9) RIVM, Nationaal Kompas Gezondheidszorg (http://www.rivm.nl/nationaalkompas/). (10) Pour les Pays-Bas : Deuxième Chambre, Brief minister en staatssecretaris met het Actieplan Zorg Verzekerd, zoals toegezegd tijdens de Algemene Politieke Beschouwingen. La Haye : sessions de l’année 2000-2001, 2000g; 27488, n° 1 (). Pour le Royaume-Uni : The NHS Plan, 2000. (11) Voir entre autres Lewalle H. et Palm W., op. cit.

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Une certaine confusion règne encore cependant quant à savoir précisément ce qu’est, selon les arrêts, une période raisonnable au cours de laquelle les Etats membres doivent pouvoir garantir des soins et dans quelle mesure cela s’applique aux listes d’attente. L’un des prochains arrêts, l’arrêt Van Riet, apportera, nous l’espérons, plus de clarté dans ce domaine (12). Au Royaume-Uni, les sections locales du National Health Service (NHS) ont reçu la possibilité de faire soigner des patients à l’étranger. Au cours d’une phase expérimentale, des contrats ont été conclus pour des pathologies spécifiques entre trois autorités locales du Sud du Royaume-Uni et des hôpitaux en Allemagne et en France. De janvier à avril 2002, 200 patients ont été traités à l’étranger (13). On estime que la moitié des patients sur les listes d’attente dans cette région du Sud serait disposée à se faire soigner à l’étranger (14). Dans “Delivering the NHS Plan - next steps on investment, next steps on reform”, publié par le NHS en avril 2002, le gouvernement britannique indique clairement qu’un plus grand rôle sera dévolu à la pluralité des dispensateurs de soins de santé, y compris des dispensateurs du continent, en vue de fournir des soins aux patients NHS et de résorber les listes d’attente. Ce faisant, on préfère formellement encourager des équipes médicales étrangères à venir s’installer au Royaume-Uni. Cependant, toutes les options restent ouvertes. Des pourparlers sont engagés avec des établissements de soins d’autres pays de l’UE. Aux Pays-Bas, les assureurs soins de santé sont rendus responsables de l’acquisition (achat) de suffisamment de soins, le cas échéant à l’étranger, et disposent d’une plus grande liberté quant à la conclusion de contrats. Le système des soins y sera plus axé sur la demande que sur l’offre. Le marché belge des soins possède le profil approprié pour répondre à cette demande supplétive de soins de l’étranger. Notre pays se situe, avec la France et le Luxembourg, dans le groupe de pays où le financement des soins de santé est intégré à la sécurité sociale et où les soins sont remboursés à la prestation. En comparaison avec la plupart des autres Etats européens, nous disposons d’une très grande offre d’infrastructures de soins, continuellement en expansion (15). Du fait de la baisse de la durée moyenne des hospitalisations, certains établissements de soins sont confrontés à une sous-occupation structurelle. Etant donné que ces hôpitaux doivent de toute façon continuer à payer des frais fixes, ils sont susceptibles de connaître des problèmes financiers. La Belgique ne connaît pas le phénomène des listes d’attente et la concurrence entre hôpitaux pour s’attirer les patients est grande. De plus, notre offre d’hôpitaux n’est pas structurée de manière hiérarchique et il n’existe pratiquement pas d’arrangements sur une éventuelle répartition des tâches engtre hôpitaux. Le positionnement d’un hôpital sur le marché détermine en majeure partie les services qu’il offre. Certains hôpitaux en périphérie, plus modestes, ont consenti (12) Affaire C-385/99, Müller-Frau et Van Riet. (13) “Treatment overseas”, Primary Care, an edition of NHS Magazin, 5 juillet 2002 (http://www.nhs.uk/nhsmagazine/ primarycare/feature3b.asp). (14) Extrait des documents préparatoires à la réunion d’experts à Minorque, organisée par la présidence espagnole de l’Union européenne au cours du premier semestre de 2002. (15) OCDE Eco-santé 2002. et Peers J., Gezondheidszorg in België : uitdagingen en opportuniteiten, 1999.

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de lourds investissements en personnel et appareillages afin de pouvoir participer à ce marché concurrentiel. Aussi, dans de telles circonstances, le fait d’attirer des patients étrangers peut être un moyen d’assurer la viabilité financière de l’hôpital. Pour les hôpitaux plus grands, attirer des patients étrangers peut signifier des revenus complémentaires, mais aussi constituer une opportunité pour continuer à se spécialiser, et pour acquérir un instrumentaire onéreux et engager, voire garder, de coûteux spécialistes renommés. Les patients étrangers supplémentaires rendent possible de rentabiliser ces investissements. En attirant des patients étrangers pour des pathologies spécifiques, les hôpitaux peuvent en outre atteindre un seuil d’activité critique et acquérir et entretenir l’expérience nécessaire. Par ailleurs, si les soins dispensés à ces patients ne se font pas aux tarifs en vigueur en Belgique, mais sur la base de prix convenus au cours de négociations avec les financiers étrangers, il peut en résulter des conditions avantageuses pour les hôpitaux et les médecins en Belgique (16). Faire venir des patients nantis disposant d’assurances privées peut s’avérer lucratif pour les établissements et les dispensateurs de soins (17). Recruter une clientèle étrangère peut donc être source d’un grand nombre d’avantages pour les hôpitaux belges. Selon un article paru dans le journal De Morgen, 25 hôpitaux belges se sont présentés dans une brochure du service de santé britannique pour accueillir et traiter des patients britanniques (18). Par ailleurs, les tarifs hospitaliers en Belgique relativement modiques (19) ne reflètent pas toujours le coût réel.

3.

CONSEQUENCES EVENTUELLES SUR LE SECTEUR DES SOINS DE SANTE Que signifient des lors ces évolutions pour le secteur des soins de santé en Belgique? Plusieurs analyses nous laissent présumer que les patients qui cherchent, de leur propre initiative, à se faire soigner à l’étranger constituent et constitueront à l’avenir un phénomène limité, qui se présentera principalement dans les régions frontalières

(16) Dans l’arrêt Ferlini (Cour européenne de Justice, Affaire C-411/98 entre A. Ferlini et Centre hospitalier de Luxembourg, 3 octobre 2000), la Cour déclare que rien ne justifie l’application de tarifs différents pour des soins médicaux (dans ce cas précis, pour un accouchement) entre des individus affiliés au système de sécurité sociale national et des fonctionnaires des Communautés européennes, à défaut d’une justification objective, puisque ceci implique une discrimination interdite sur la base de la nationalité. Sur la base de cette affaire, il n’est dès lors, en principe, pas permis d’appliquer des « tarifs lucratifs », ou des tarifs spécifiques pour des patients étrangers. Les rapports entre cet arrêt et les arrêts Kohll et Decker, où devraient être appliqués les tarifs de l’institution de financement du patient étranger ne sont cependant pas clairs. (17) Pour les motifs des hôpitaux, voir e.a. : Van Thillo, J. et Pouders E. Internationalisering in de gezondheidszorg. Hoe kan Uw ziekenhuis zich openstellen? Een bedrijfseconomische analyse naar aanleiding van de arresten Decker-Kohll, Anvers, Pricewaterhouse-Coopers, 15 janvier 1999. (18) De Morgen du 2 février 2002. (19) Selon The Economist du 1er septembre 2001, pour une opération de placement d’une prothèse, dans le privé, les prix vont de 5.000 £ en Belgique à 5.500 £ en Allemagne et montent jusqu’à 6.750 £ au R-U. Voir également : Starmans B., Leidl R. et Rhodes G., “A comparative study on crossborder care in the Euregio Meuse-Rhine”, European Jounal of Public Health, 1997, N° 7 (suppl. 3), pp.33-41.

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et pour des affections spécifiques graves (20). La faible superficie de la Belgique, le grand nombre de frontières par rapport à sa surface, font que, toutes proportions gardées, il existe beaucoup d’établissements de soins de l’autre côté de la frontière à proximité des assurés belges et vice-versa. C’est pourquoi en Belgique le flux des patients qui, de leur propre chef, traversent la frontière pour consommer des soins est plus important, bien que limité, que dans les autres Etats européens. Les soins transfrontaliers sur la base du règlement européen de coordination ont représenté en 2000 2,25 % du budget total de l’INAMI (20a). Un certain nombre d’initiatives dans les zones frontalières visent à assouplir l’accès aux soins transfrontaliers pour les habitants des régions frontalières des deux côtés de la frontière, sur la base du Règlement européen de coordination (21). La situation devient cependant tout autre lorsque des financiers de soins étrangers (publics et privés) concluent unilatéralement des contrats avec les établissements de soins belges pour faire soigner en Belgique des patients de manière systématique et organisée. Il s’agit ici d’une évolution récente, souvent encore au stade de discussions exploratoires et de négociations. Les données chiffrées sur ces développements sont rares et ne sont pas toujours fiables, comparables et univoques. Il ressort d’une enquête récente du ministère de la Santé publique belge auprès des hôpitaux belges que, près d’1,7 % des admissions dans les hôpitaux belges au cours du deuxième semestre de 2001 concernaient des patients non belges, habitant dans un autre pays de l’UE. Le mode de financement des soins accordés à ces patients n’a pas été spécifié dans l’enquête. Une importante partie de ces admissions portait sur des urgences au cours d’un séjour temporaire en Belgique. Plus de la moitié des patients sont des Néerlandais admis dans des hôpitaux en Flandre. Cette enquête indique également que la présence des patients néerlandais dans les hôpitaux belges augmente. Cette augmentation a surtout lieu en Flandre et à Bruxelles (22). L’assureur soins de santé néerlandais CZ, qui compte parmi ses membres d’assurés particuliers et d’assurés mutualisés aurait d’août 2001 à mai 2002 il a dirigé près de 1.300 affiliés vers deux hôpitaux flamands pour y suivre un traitement programmé, sur la base d’un contrat direct avec ces établissements, donc indépendamment du Règlement de coordination (23). Ce chiffre est à placer en regard des (20a) Réponse du Ministre Vandenbroucke à la question parlementaire 2-764 de la Sénatrice Erika Thijs. Sont compris dans ces chiffres, les soins dispensés pendant des séjours temporaires ou de longues durée à l’étranger. (20) Voir entre autres Hermesse J., “L’ouverture des frontières aux patients. Quelles conséquences économiques?”, Soins sans frontières dans l’Union Européenne?, Symposium International, Luxembourg, A.I.M., 1999 ; Palm, W. et al., 2000, op cit.; Brouwer, W.B.F. Het Nederlandse gezondheidszorgstelsel in Europa, een economische verkenning, RVZ, Zoetermeer, 1999. (21) Pour un aperçu, voir : Baeten R., De gevolgen van de Europese eenmaking voor de organisatie en de verstrekking van de gezondheidszorgen in België, patiëntenmobiliteit en grensoverschrijdende zorg, Bruxelles, OSE, novembre 2000. (22) Ministère des Affaires sociales, de la Santé publique et de l’Environnement, European foreign patients in the Belgian hopitals: A survey of the Belgian Ministry of Public Health form 1/7/01 to 31/3/02, juin 2002. (23) Information orale.

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2.849 admissions en Flandre de patients domiciliés aux Pays-Bas, figurant dans le rapport du ministère dans 39 hôpitaux au cours de la période de juillet à décembre 2001 et des 1.145 admissions de patients en provenance des Pays-Bas signalés dans le courant des trois premiers mois de 2002 dans 29 hôpitaux. Les patients néerlandais sont donc très probablement concentrés actuellement dans quelques hôpitaux flamands. Cet assureur a également négocié des contrats similaires avec d’autres hôpitaux et d’autres assureurs néerlandais prennent des initiatives semblables. Le NHS britannique mène également des négociations avec certains établissements de soins belges. Tout semble dès lors indiquer que nous nous trouvons ici au début d’un nouveau processus. Quant au contenu de ces contrats, aux tarifs qui sont portés en compte, au mode de paiement, etc., nous ne disposons actuellement de quasiment aucune donnée. Si les financiers des soins de santé étrangers (privés ou publics) concluent des contrats avec des établissements de soins belges, en dehors du cadre du Règlement européen de coordination, sans qu’y soient impliquées les autorités concernées, les risques suivants sont à craindre :

Durées d’attente plus longues ?

Dans la mesure où il est question d’une surcapacité des dispositifs et des dispensateurs de soins dans les hôpitaux belges, les patients étrangers sont susceptibles d’alléger la pression financière sur ces derniers. Dans la récente enquête du ministère de la Santé publique, mentionnée ci-dessus, les hôpitaux ont déclaré avoir suffisamment de capacités pour admettre les patients étrangers. Il est toutefois important de surveiller cette situation. Les hôpitaux ne reconnaîtront pas facilement qu’ils admettent des patients étrangers, mais que leur capacité pour ce faire est insuffisante. Ceci signifierait qu’ils avouent accorder la priorité aux patients étrangers. La vigilance est de mise surtout si les hôpitaux concluent des contrats avec des financiers étrangers pour des pathologies spécifiques ou des contrats par lesquels ils s’engagent à réserver une capacité déterminée exclusivement aux patients étrangers. Par ailleurs, l’hypothèse selon laquelle des patients néerlandais sont concentrés dans quelques hôpitaux flamands mérite que l’on suive de près la situation.

Prix plus élevés ?

Il est tout aussi plus important de s’arrêter au fait que de nouvelles formules de contrats sont introduites dans notre système des soins. Jusqu’à présent, notre système de soins, tout comme la plupart des autres en Europe, était relativement fermé, avec des dispensateurs et des mutuelles qui opéraient sur le territoire national pour les citoyens résidant à l’intérieur de ce territoire et les pouvoirs publics qui créaient un cadre pour les normes de qualité, les moyens budgétaires, etc. Dans notre système, les tarifs sont déterminés par des négociations collectives entre assureurs maladie et dispensateurs de soins et, ensuite, approuvés par les autorités publiques. Cette politique est le résultat d’un grand nombre d’équilibres subtils qui doivent garantir de part et d’autre la viabilité financière du système et l’accessibilité à un vaste ensemble de soins à quasiment la totalité de la population, dans un système principalement 878


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mis à exécution par des acteurs privés. Du fait de l’introduction de financiers de soins de santé étrangers qui négocient directement en dehors de tout cadre administratif avec des dispensateurs et des établissements de soins, ces équilibres peuvent être mis à mal. Il est tout à fait vraisemblable que les dispensateurs de soins réussissent à négocier des tarifs plus avantageux dans leurs contrats. Les financiers publics de soins de santé des pays soumis à des listes d’attente subissent en effet de fortes pressions politiques pour remédier aux problèmes, et leur solution alternative consiste à faire appel à un circuit de soins privés dans leur propre pays, où les tarifs sont libres. Les financiers privés de soins de santé qui achètent des soins pour des patients qui disposent de moyens financiers peuvent également proposer des tarifs plus élevés. De telles évolutions sont susceptibles de faire monter la pression en vue également d’augmenter les tarifs sur le plan national. Par ailleurs, dans le chef des établissements de soins, ceci donne un signal d’encouragement à accorder la priorité aux patients étrangers.

Circuits parallèles de soins de santé ?

Cela signifie que, pour les institutions, il peut s’avérer plus intéressant d’admettre des patients étrangers que des patients belges. Pour les médecins aussi, il peut sembler plus rentable de soigner des patients étrangers parce que les tarifs conventionnels ne s’appliquent pas à eux. Le risque existe que les hôpitaux se mettent à sélectionner des patients riches ayant souscrit des assurances privées ou des patients souffrant de pathologies lucratives. Cette évolution s’accompagne d’un danger de voir naître un système de soins de santé à deux vitesses : les patients belges aisés qui souhaitent être soignés plus rapidement ou dans un cadre plus luxueux peuvent également tenter de faire appel à ces infrastructures.

Médicalisation à outrance ?

Les institutions qui mènent une politique consciente d’attraction des patients étrangers, ont de ce fait la possibilité de continuer à se spécialiser. Pour les hôpitaux, cette spécialisation représente un avantage concurrentiel, y compris dans le recrutement de patients nationaux. Dans ces institutions, l’offre continuera à glisser des soins « normaux » vers des soins plus spécialisés, et ceci alors que notre pays dispose déjà d’une très vaste offre et surabondance d’équipements et de dispositifs techniques, en comparaison avec d’autres pays industrialisés. Puisque, dans le secteur des soins de santé, l’offre supplémentaire a tendance à créer une demande supplémentaire (provider induced demand) (24), cela peut signifier que de nouveaux problèmes de santé seront médicalisés et que, dans ces établissements, les affections y compris de patients nationaux seront inutilement traitées dans un circuit de plus grande spécialisation. Nous trouvons une illustration de ce glissement du flux des patients vers des circuits plus spécialisés dans le projet de l’Eurégion Meuse-Rhin. Du fait de l’assouplissement de l’accès aux soins de santé transfrontaliers, les hôpitaux périphériques

(24) Voir entre autres Lapré R. et al., Algemene economie van de gezondheidszorg, Elsevier/De Tijdstroom, Maarssen 1999.

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de la région germanophone de Belgique voient passer une partie de leurs patients dans le circuit des hôpitaux universitaires de l’autre côté de la frontière (vers Aix La Chapelle et Maastricht). Jusqu’à présent, dans les évolutions que l’on observe ici, les pouvoirs publics sont très peu voire quasiment pas du tout impliqués. Les contrats sont directement conclus entre les assureurs étrangers et les autorités, d’une part, et, d’autre part, les institutions belges. Les pouvoirs publics disposent de très peu d’informations sur ce qui s’y passe, sur le contenu des contrats, leur étendue, les prix en vigueur, les procédures, etc. Et, pourtant, ils sont directement concernés en tant qu’acteurs chargés de préserver la qualité et l’accessibilité des soins et la viabilité financière du système de soins. Or, il s’avère que, d’après ce que nous avons mentionné plus haut, ce caractère social de notre système risque d’être mis sous pression par cette nouvelle situation. Par ailleurs, les pouvoirs publics sont également le financier des soins, via le paiement du prix à la journée de soins et via les subventions des frais d’investissement dans les hôpitaux. C’est pourquoi il est extrêmement important que les pouvoirs publics disposent de suffisamment d’informations et de prise sur les flux de patients et les contrats établis entre établissements belges de soins et dispensateurs de soins étrangers : sur le contenu des contrats, le nombre de patients, la nature des pathologies, les modes de paiement, etc. Si les systèmes de soins veulent continuer à remplir leur mission de base – à savoir, offrir des soins de santé de qualité et accessibles à tous -, il est indispensable de conclure des accords entre les autorités compétentes des pays concernés, ceci afin de créer un cadre au sein duquel les dispensateurs et les financiers peuvent conclure des contrats. Au moment d’écrire cet article (septembre 2002), les autorités britanniques et belges semblaient négocier avec succès en vue d’un tel cadre. Cet accord-cadre prévoit le financement des soins via une forme assouplie du Règlement européen de coordination, ce qui offre plus de garanties de transparence et peut-être de prévention d’un certain nombre des risques décrits ci-dessus.

4.

REACTIONS EUROPEENNES A LA JURISPRUDENCE RELATIVE A LA MOBILITE DES PATIENTS Nous avons déjà mentionné ci-dessus les arrêts qui ont joué un rôle dans les évolutions au sein du secteur hospitalier belge. La plupart des pays européens se consultent sur la manière dont ces arrêts doivent être appliqués à leur système de soins. Ce faisant, bien des problèmes voient le jour.

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En voici quelques-uns : problèmes pour déterminer le prix exact et le tarif de remboursement correct pour des soins que les patients ont reçus à l’étranger. La qualité des soins, leur contenu, les qualifications de leur dispensateur, l’établissement dans lequel ils sont dispensés (par exemple ambulatoires ou intramuraux) sont susceptibles de diverger fortement d’un pays à l’autre ; les Etats membres peuvent difficilement imposer aux dispensateurs et aux établissements de soins de l’étranger les mêmes exigences en matière de qualité, de coûtefficacité, de respect d’un cadre budgétaire, qui s’appliquent aux dispensateurs et établissements de soins nationaux. Les possibilités de contrôle de tels critères (p. ex. services d’inspection) à l’étranger sont très limitées ;

si les dispensateurs et les établissements de soins étrangers ne doivent (peuvent) pas se tenir aux réglementations, les dispensateurs et établissements de soins nationaux sont susceptibles de contester ces réglementations nationales avec l’argument que les règles qui leur sont imposées les discriminent par rapport aux services à l’étranger.

Les arrêts Smits-Peerbooms et Vanbraekel de juillet 2001, que nous avons commentés ci-dessus, n’ont sûrement pas été de nature à apaiser l’inquiétude qui avait vu le jour dans les Etats membres après les prononcés dans les affaires Kohll et Decker. De plus en plus d’Etats membres ressentent désormais la nécessité de mettre ces problèmes à la discussion au niveau européen. Par ailleurs, les Etats sont aussi de plus en plus conscients que ces arrêts s’intègrent dans une problématique nettement plus vaste, qui résulte de l’application des règles du Traité européen relatives au marché unique à certains aspects des soins de santé. Dès lors, il ne s’agit pas seulement des règles en rapport avec la liberté de circulation des services, ayant été appliquées dans les arrêts commentés ci-dessus, mais aussi des dispositions relatives à la liberté de circulation des personnes et des marchandises et des règles européennes relatives au droit de la concurrence. Ces règles n’ont pas été établies en vue de leur application aux systèmes de soins de santé. Cependant de plus en plus d’aspects de celles-ci sont déclarés valides pour les systèmes de santé. Ceci entraîne dans plusieurs domaines des effets non souhaités susceptibles de toucher à la qualité, à l’accessibilité et à la viabilité financière des systèmes. L’énorme résistance qu’opposaient les Etats membres à une discussion au niveau européen de la politique de la santé commence peu à peu à s’effriter. Au départ d’approches et de domaines de compétence différents, certaines initiatives politiques voient le jour dans différentes institutions européennes. La présidence belge de l’Union européenne au cours du seconde semestre 2001 a organisé une conférence « Intégration européenne et systèmes nationaux de soins de santé : un défi pour la politique sociale ? ». Cette conférence a été une première amorce pour mettre la problématique de l’impact des règles économiques commu-

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nautaires sur les systèmes nationaux de soins de santé à l’agenda politique. Une étude, menée à la demande du ministre Vandenbroucke par une équipe d’experts sous la direction du Professeur Elias Mossialos, en vue de préparer cette conférence, présente un bon aperçu de la problématique (25). « L’executive summary » de ce rapport, écrit pour un public de décideurs politiques et de managers du secteur de la santé, figure dans le présent numéro. Suite à cette conférence, les conclusions de la présidence du sommet de Laeken de décembre 2001 ont inséré le passage suivant : « Une attention particulière devra être accordée à l’impact de l’intégration européenne sur les systèmes de soins de santé des Etats membres ». La présidence espagnole de l’Union européenne a placé explicitement et pour la première fois le thème de la mobilité des patients à l’agenda politique au cours de l’année 2002.

L’intérêt particulier de l’Espagne sur ce sujet a été en partie suscité du fait de problèmes internes au pays. De nombreux retraités d’Europe du Nord, résident pendant de longues périodes le long du littoral espagnol. Les soins leur sont dispensés par les établissements de soins régionaux, la compensation des frais consentis est toutefois payée à l’autorité centrale madrilène par les autorités étrangères et assureurs-maladie. Les services locaux de soins de santé ne perçoivent généralement pas de compensation pour la charge de travail et de frais supplémentaires auxquels ils sont exposés du fait de l’administration de soins à des patients étrangers. La ministre espagnole de la Santé publique qui prit l’initiative de cette conférence, Celia Villalobos, provient de la région côtière de Malaga. Par ailleurs, l’Espagne connaît également des listes d’attente pour certains traitements médicaux, et les autorités craignent que les patients concernés n’aillent chercher des soins à l’étranger. La présidence espagnole tentait ainsi de mettre à profit le climat européen favorable pour discuter sur le plan politique de la mobilité des patients, pour un agenda politique en grande partie espagnol interne. Le processus lancé par les Espagnols, semble toutefois devoir mener nettement plus loin que les objectifs que les Espagnols avaient mis en évidence. L’Espagne a organisé sur le thème de la mobilité des patients une réunion informelle des ministres de la santé publique, à Malaga, (en février) et une réunion d’experts (fin mai) en guise de préparation du Conseil de santé publique qui a eu lieu le 26 juin dernier. Le passage suivant extrait du compte rendu de la réunion à Malaga mérite d’être souligné: « Se croiser les bras n’est pas une option raisonnable. La politique des soins de santé doit être dirigée par les hommes politiques et il ne semble guère indiqué pour la santé des patients en Europe d’admettre que les tribunaux dessinent la politique des soins de santé » (traduction libre). A la réunion d’experts en mai 2002 à Ménorce, avec des participants désignés par les Etats membres, quatre thèmes ont été étudiés : (25) Mossialos E. et Mc Kee M., EU law and the Social Character of Health Care, P.I.E. Peter Lang, Bruxelles, 2002.

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– Des centres de référence spécialisés; – Le partage des surcapacités pour des patients sur des listes d’attente; – Les soins transfrontaliers dans des zones frontalières; – Des soins aux personnes résidant pour une plus longue période dans un autre pays. Ainsi, lors du Conseil des ministres de la Santé du 26 juin 2002, des conclusions ont été adoptées sur la mobilité des patients. Ces conclusions mettent en avant la nécessité d’une coopération renforcée entre Etats membres afin de promouvoir l’accessibilité à des soins de santé de qualité et, simultanément, de garantir l’équilibre financier des systèmes de soins de santé européens. La décision la plus importante dans ces conclusions réside dans le lancement d’un «processus de réflexion de haut niveau » sur la mobilité des patients en coopération avec les ministres de la santé publique et d’autres intéressés majeurs. Ce processus doit déboucher sur des conclusions en vue d’éventuelles mesures ultérieures. La décision de lancer ce processus est un pas important, compte tenu de la résistance qui existait jusqu’à tout récemment dans un grand nombre d’Etats membres quant à une discussion sur le plan politique au niveau européen des soins de santé. La plupart des Etats membres se sont toujours scrupuleusement gardés, pour des raisons compréhensibles, de toute immixtion européenne dans leur système de santé. Maintenant que l’on remarque que l’Europe s’est malgré tout infiltrée dans les systèmes de soins de santé par le biais du marché intérieur, les Etats membres ressentent la nécessité de chercher une réponse à ces défis à l’échelon européen ou multilatéral. Pourtant, une résistance persiste quant à la formalisation de ces questions au niveau européen. Le Conseil n’a pas accepté l’institution d’un Comité de Haut Niveau officiel (institutionnalisé) mais s’est contenté de proposer un « processus de réflexion de haut niveau ». Ceci reflète le souhait de souligner le caractère intergouvernemental de l’initiative, au lieu du caractère supranational. Une proposition, dans une version précédente des conclusions du Conseil, visant à appliquer la méthode ouverte de coordination (voir explications ci-dessous) en liaison avec la mobilité des patients n’a pas non plus abouti. La résistance à l’application de la méthode de coordination dans le domaine de la (des soins de) santé reste manifeste. D’autre part, il est important que, dans ses conclusions, le Conseil reconnaisse que d’autres évolutions, comme les développements sur le plan du marché intérieur, exercent des effets sur les systèmes de soins de santé. Le Conseil est d’avis que ces évolutions doivent concorder avec les objectifs de la politique de santé des Etats membres ainsi qu’avec les principes généraux de solidarité, d’équité et d’universalité.

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En mai 2002, au cours d’une procédure de conciliation, le Parlement européen et le Conseil approuvaient un programme d’action sur le plan de la santé publique (26). Ce programme d’action prévoit entre autres la possibilité d’entreprendre des initiatives en vue «d’améliorer les analyses et la connaissance de l’impact du développement de la politique de santé et d’autres mesures politiques et activités communautaires, telles que le marché intérieur, sur les systèmes de santé, plus précisément de leur contribution à un haut niveau de protection de la santé des personnes … » (traduction libre). Ceci est un nouveau paragraphe qui ne figurait pas comme tel dans la proposition initiale de 2000 de la Commission et qui a peut-être été inspiré par les développements qui se sont produits depuis.

En plus de ces initiatives qui se sont développées en vertu des compétences de santé publique européenne, un processus a également été lancé dans le cadre de la politique européenne en matière de protection sociale. Le Conseil européen de Lisbonne (27) a confirmé que les systèmes de protection sociale doivent être réformés, entre autres pour pouvoir continuer, dans le futur aussi, à offrir des prestations de soins de santé de haute qualité (27a). Afin de réaliser les objectifs en matière de protection sociale, ce Conseil européen a plaidé pour une coopération renforcée entre les Etats membres, dans le cadre d’échanges d’expériences et de meilleures pratiques à l’aide de réseaux d’information améliorés (le processus de Lisbonne). Pour mettre cette stratégie en œuvre, le Conseil de Lisbonne a introduit la «méthode ouverte de coordination ». Cette méthode implique la fixation de directives européennes et de planifications spécifiques pour atteindre les objectifs fixés collectivement, la détermination d’indicateurs et de « benchmarks » (points repères) comme moyen de comparaison des meilleures pratiques, la traduction des directives européennes dans les lignes politiques nationales et régionales en fixant des buts spécifiques et en adoptant des mesures qui tiennent compte des différences nationales et régionales, un examen et une évaluation périodiques ainsi qu’un examen par des experts, organisés à l’instar d’un processus mutuel d’apprentissage. Un Comité de la Protection sociale composé de fonctionnaires de haut niveau des Etats membres a été installé en vue d’activer cette stratégie en matière de protection sociale (28).

Afin de préparer l’application de ce processus de Lisbonne aux soins de santé, le Conseil de mars 2002 a approuvé un rapport introductif sur les lignes politiques en matière de soins de santé et de soins aux personnes âgées (29). Le rapport plaide (26) Le Parlement européen et le Conseil, Décision du Parlement européen et du Conseil en vue de la fixation d’un programme d’action communautaire dans le domaine de la santé publique (2003-2008), 15 mai 2002, PE-Cons 3627/02 SAN 56 CODEC 590. (27) 23 et 24 mars 2000. (27a) Ainsi que favoriser l’emploi, préserver les pensions et promouvoir l’inclusion sociale. (28) De La Porte C. et Pochet P., « Une stratégie concertée en matière de sécurité sociale au plan Européen », Revue belge de sécurité sociale, 2ème trimestre 2000, pp. 471-490 et Pochet, Ph. « La lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale et la méthode ouverte de coordination », Revue belge de sécurité sociale, 1er trimestre 2002, pp. 159-177. (29) Conseil de l’Union européenne, Rapport introductif sur les soins de santé et les soins aux personnes âgées, document 6361/02 SOC 82 ECOFIN 61 SAN 23 du 25 février 2002.

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pour l’échange d’informations et pour les meilleures pratiques, mais ne parvient cependant pas à décider d’appliquer la méthode ouverte de coordination dans ce domaine. Pour 2002-2003, le rapport propose d’analyser en tout premier lieu les infrastructures de soins destinées aux personnes âgées. Pour ce qui est de la problématique initiée par les arrêts de la Cour européenne de Justice quant à la libre circulation des patients, le rapport renvoie aux activités à ce propos dans d’autres formations du Conseil. Il vise ainsi les initiatives dans le cadre du Conseil des ministres de la Santé. En réaction à ce rapport, le Conseil européen de Barcelone a prié la Commission et le Conseil d’examiner en profondeur les questions de l’accessibilité, de la qualité et de la viabilité financière des soins de santé d’ici le Conseil européen du printemps de 2003. Ce rapport fait ressortir une fois de plus la résistance des Etats membres quant à une comparaison et une évaluation des systèmes de soins de santé à un niveau européen, ainsi qu’à la mise en pratique de la méthode ouverte de coordination à ce domaine. Le fait que la problématique est réduite, du moins temporairement, aux soins aux personnes âgées, illustre également cette résistance, mais peut également s’expliquer au départ des objectifs des initiatives européennes en matière de protection sociale, c’est-à-dire s’efforcer de rendre les systèmes plus efficaces et de tenir compte du vieillissement de la population, pour alléger la pression financière sur les dépenses de sécurité sociale. Pourtant, l’analyse des soins de santé aux personnes âgées mènera inévitablement à une analyse du système global de soins de santé. Bien qu’un certain nombre d’infrastructures soient exclusivement axées sur les personnes âgées, la majorité d’entre elles (notamment celles chargées de dispenser des soins en cas de malades aiguës) ne sont en effet pas spécifiques à l’âge.

5.

CONCLUSION Ces deux dernières années, l’Union a été confrontée à une évolution rapide dans l’interaction entre systèmes de soins de santé, tant au niveau de la dispense de soins qu’au niveau politique, principalement en réaction à la jurisprudence de la Cour européenne de Justice sur l’applicabilité des règles européennes en matière de libre prestation de services sur le plan des soins de santé. Les autorités et les mutualités qui opèrent dans le cadre de l’assurance-maladie publique explorent les possibilités de conclure des contrats directs avec les établissements de soins d’autres pays. Au niveau de l’UE, les Etats membres tentent de mettre sur la table les problèmes qui en découlent. Pour la première fois, il existe un large consensus pour discuter au niveau européen de certains aspects de l’organisation des systèmes de soins de santé. Un certain nombre de tensions continuent cependant à parcourir le processus de décision politique, verticalement en ce qui concerne les compétences entre Etats membres et les institutions européennes, horizontalement entre les responsables politiques des affaires sociales et les responsables de la santé publique ainsi qu’entre la politique de santé et la politique sociale d’une part et la politique économique et la politique du marché intérieur d’autre part. 885


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Chez les responsables de la santé publique et des affaires sociales, la nécessité d’une collaboration plus étroite dans ce domaine s’impose de plus en plus. Entre-temps, les différents documents politiques renvoient systématiquement à l’indispensable coordination avec d’autres initiatives dans le domaine des systèmes de soins. Nous assistons aussi à la naissance d’une répartition des tâches entre organes « sociaux » et organes de « santé publique ». L’application du processus de Lisbonne et de la méthode ouverte de coordination aux soins de santé et aux soins aux personnes âgées relève des organes sociaux et économiques (formations du Conseil, Directions générales et Comités). Le traitement de la problématique de l’impact des règles du marché intérieur sur les soins de santé et du problème de la mobilité des patients qui y est associé, fait l’objet d’un examen dans les organes (formations du Conseil et Directions générales) compétents en matière de santé. Par ailleurs, on discute aussi ouvertement du transfert de compétences liées aux soins de santé (médicaments, dispositifs médicaux, qualifications professionnelles) des organes ayant autorité pour le marché unique et pour l’industrie vers les organes exerçant leurs compétences dans le domaine de la santé publique. Bien du chemin a été accompli y compris pour ce qui est de la tension née de la répartition des compétences entre niveaux européen et national. Jusque tout récemment, toute tentative visant à mettre à la discussion la politique des soins de santé au niveau européen était directement bloquée par les Etats membres qui, à cet effet, faisaient appel au principe de la subsidiarité et au Traité qui affirme que l’organisation et le financement des systèmes de santé sont de la compétence des Etats membres. A présent, les Etats membres, en général, ont compris que, pour préserver les principes de base de leurs systèmes – à savoir la solidarité, la justice et l’universalité ils doivent inclure – les garanties nécessaires au niveau européen. Le temps semble mûr pour une discussion sur le fond quant à l’impact du marché unique sur les systèmes de soins de santé. Une grande réserve se maintient quant à la discussion au niveau européen d’autres aspects des systèmes de soins. Les Etats membres ne semblent pas vraiment disposés à produire une comparaison systématique de leurs systèmes de soins respectifs et de recourir pour cette matière à la méthode ouverte de coordination, du moins pas au niveau politique. A un niveau plutôt technique, cette ouverture semble cependant exister dans le cadre du programme d’action pour la santé publique. La résistance à l’application de la méthode ouverte de coordination peut aussi s’expliquer étant donné la complexité du domaine. Les systèmes de soins de santé consistent en des interactions entre financiers publics, exécutants privés des secteurs marchands et non marchands, et patients qui bénéficient des soins. La vaste gamme de parties concernées et intéressées, le risque toujours présent d’un usage impropre des moyens disponibles, la possibilité de substitution entre différentes formes de soins, etc., rendent la quête de réponses aux défis dans ce secteur très complexe et la comparaison entre les systèmes des différents pays difficile. Par ailleurs, dans ce secteur, l’échange des meilleures pratiques se déroule à d’autres niveaux que pour les autres domaines de la protection sociale. Il ne s’agit pas seulement d’échanger 886


MOBILITE DES PATIENTS ET REPONSES POLITIQUES DE L’UE

des expériences sur des mesures politiques et des initiatives des autorités. En effet, l’échange d’expériences et de meilleures pratiques est pour le moins tout aussi important sur le terrain, entre cliniciens et dispensateurs. Un Comité de la protection sociale avec des fonctionnaires des Etats membres n’est pas l’instance la mieux appropriée pour mener des discussions sur ce plan. Il est toutefois probable que les évolutions initiées par la jurisprudence de la Cour européenne de Justice incitent également les Etats membres à procéder plus volontiers à une comparaison de leurs systèmes respectifs. Avec des patients qui sont incités à faire leurs emplettes en Europe, des financiers qui se mettent en quête de soins à l’étranger pour leurs affiliés et l’obligation d’apprécier la reconnaissance scientifique d’une méthode de traitement sur la base d’un consensus européen plutôt que national, il sera de plus en plus indispensable de comparer à un niveau européen les prix, le contenu des soins administrés, les modes de paiement, la qualité des soins dispensés, les modes sur lesquels les patients sont renvoyés à des spécialistes, les critères de prescription, etc. Dans ce cadre, la détermination d’un ensemble minimal de soins assurés partout en Europe et la fixation de normes de qualité pour les établissements de soins semblent également judicieuses, surtout si l’on tient compte de l’élargissement de plus en plus proche de l’Union européenne. La conviction s’accroît, et nous en avons commenté plusieurs exemples, qu’en son état actuel, le Traité n’offre qu’insuffisamment de garanties de sauvegarde des objectifs sociaux des systèmes de soins de santé européens dans le cadre du développement du marché unique européen. Dans ce contexte, les discussions qui sont actuellement menées dans le cadre de la Convention pour l’Avenir de l’Europe sont d’une importance capitale. Ce faisant, il s’agit de trouver une réponse au problème que le ministre belge Vandenbroucke formulait comme suit dans son allocution à l’Institut Max Planck de Cologne : « les Etats membres ont perdu une plus grande part de contrôle sur les politiques sociales nationales en raison des pressions émanant de l’intégration des marchés que l’UE n’a, de facto, gagné en autorité transférée, aussi substantielle que celle-ci puisse être. Dès lors, le fossé se creuse dans notre capacité de conduite de la politique sociale » (30). (Traduction) __________

(30) Vandenbroucke F., The EU and social protection: what should the European Convention propose?, Article présenté à l’Institut Max Planck pour l’Etude des Sociétés, Cologne, le 17 juin 2002.

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TABLE DES MATIERES

MOBILITE DES PATIENTS ET REPONSES POLITIQUES DE L’UE

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1. INTRODUCTION

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2. PATIENTS ETRANGERS DANS DES ETABLISSEMENTS DE SOINS BELGES : TOILE DE FOND ET MOTIFS

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3. CONSEQUENCES EVENTUELLES SUR LE SECTEUR DES SOINS DE SANTE

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4. REACTIONS EUROPEENNES A LA JURISPRUDENCE RELATIVE A LA MOBILITE DES PATIENTS

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5. CONCLUSION

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L’INFLUENCE DE LEGISLATION DE L’UE SUR LA NATURE DES SYSTEMES DE SOINS DE SANTE DANS L’UNION EUROPEENNE (1) PAR ELIAS MOSSIALOS*, MARTIN MCKEE**, WILLY PALM***, BEATRIX KARL**** et FRANZ MARHOLD***** * Co-Directeur, LSE Health and Social Care, London School of Economics and Political Science et Directeur de recherche, European Observatory on Health Care Systems; ** Professeur au European Public Health, London School of Hygiene and Tropical Medicine et Directeur de recherche, European Observatory on Health Care Systems; *** Directeur, Association Internationale de la Mutualité, Bruxelles; **** Assistant Professeur, Institute for Labour Law and Social Law of the Karl-Franzens-University Graz, Autriche et Cadre invité, Max-Planck-Institute for Foreign and International Social Law, Munich; ***** Professeur, Institute of Labour Law and Social Security Law, Karl-Franzens-University Graz, Autriche.

Bien que l’organisation des systèmes de soins de santé varie fortement selon les États membres, leur point commun est un modèle basé sur la solidarité sociale et la couverture universelle. La nature précise des droits aux allocations varie. Dans les pays dotés d’un seul système de santé national financé par les taxes, le droit à la couverture est généralement immédiat et se base sur la résidence à l’intérieur du pays en question. Dans les systèmes d’assurance sociale, la situation est plus complexe, particulièrement où il existe de nombreux organismes assureurs, mais l’adhésion est toujours obligatoire, sauf dans les quelques pays qui ont exempté ou exclu les catégories de la population les plus nanties en partant de l’hypothèse qu’elles peuvent prendre d’autres dispositions. Même dans ces cas, les gouvernements peuvent requérir une couverture contre les maladies graves, comme aux Pays-Bas. Plus récemment, des mesures ont été prises à l’égard de ceux qui ne seraient pas couverts à un autre titre, même s’il faut reconnaître que celles-ci peuvent encore exclure certains groupes tels que les migrants illégaux. Néanmoins, le modèle social européen va au-delà d’une simple couverture, considérant la protection sociale comme un moyen de promouvoir tant la cohésion sociale que la croissance économique. Pour atteindre ces objectifs, il faut que les systèmes de santé soient organisés de telle sorte qu’ils donnent un accès équitable à des soins (1) Ce texte est un résumé succinct d’un rapport scientifique « The influence of EU law on the social character of health care systems in the European Union » du 19 novembre 2001 dans le cadre de la Présidence belge (UE). Ce rapport est aussi publié sous forme d’un livre intitulé: “EU Law and the Social Character of Health Care”, Elias Mossialos & Martin McKee, en collaboration avec Beatrix Karl, Willy Palm et Franz Marhold, Work & Society n°38, P.I.E.-Peter Lang, 2002, Bruxelles, 259 pp.

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efficaces. Les systèmes de santé devraient faire plus que simplement satisfaire à la demande des individus. De manière spécifique, ils devraient évaluer les besoins de leur population en matière de santé, en particulier les besoins qui ne sont pas satisfaits, et assurer que des politiques efficaces seraient déployées de façon équitable afin d’y satisfaire. Les approches pour ces extensions et leur mise en œuvre sont variées mais on retrouve une telle aspiration clairement identifiable dans tous les systèmes de soins de santé de l’UE. Essentiellement, le modèle social européen est fondé sur le fait que les soins de santé ne sont pas un bien que l’on échange normalement et que l’accès à ces soins constitue un droit fondamental. Par conséquent, il se base sur un système complexe de subventions croisées, des riches aux pauvres, des gens en bonne santé aux malades, des jeunes aux personnes âgées, des célibataires aux familles et des travailleurs salariés aux inactifs. Ce modèle a continué à récolter un soutien populaire majoritaire, reflétant les forces historiques desquelles il est né et les valeurs profondément ancrées de la solidarité en Europe. Un marché pour la prestation de soins de santé est inévitablement imparfait ; les individus ne peuvent pas toujours être dans la meilleure position pour évaluer leurs besoins en matière de santé, soit parce qu’ils ignorent la nature de leurs besoins en matière de santé ou soit parce qu’ils ne sont tout simplement pas capables de les exprimer correctement. Les soins de santé constituent une matière de plus en plus complexe, qui engendre des asymétries majeures au niveau de l’information qui ouvrent la voie au comportement opportuniste d’exploiteur de la part des fournisseurs et donc un besoin de systèmes efficaces de réglementations et de surveillance. Pour ces raisons, tous les pays industrialisés ont pris un rôle actif dans l’organisation des soins de santé. Même les Etats-Unis qui sont seuls face aux autres pays industrialisés à croire, à tort, au fait de pouvoir appliquer les mécanismes du marché aux soins de santé, ont établi un secteur public substantiel, couvrant environ 40% de la population pour traiter au moins certains des symptômes les plus manifestes de l’échec du marché. Par conséquent, les États membres ont explicitement déclaré dans les Traités que l’organisation et la prestation de services en matière de santé et de soins de santé demeure une matière qui relève des compétences nationales. Toutefois, de nombreux éléments individuels de soins de santé sont, de manière tout à fait équitable, soumis aux principes du marché. Les gouvernements ne produisent ni ne distribuent des produits pharmaceutiques. Les établissements de soins achètent du matériel, clinique ou non, sur le marché libre. A la fois le matériel médical et la technologie sont en vente libre sur le marché international. De nombreux professionnels de la santé sont des non-salariés, qui s’engagent dans des contrats avec des autorités sanitaires ou des organismes assureurs. Les patients peuvent obtenir des traitements en dehors du système de soins de santé légalement établi, soit dans leur propre pays, soit à l’étranger. Toutes ces matières sont légitimement assujetties aux règles en application dans le cadre du marché interne ; en effet, les libertés fondamentales faisant partie intégrante du Traité nécessitent que de telles 890


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transactions soient transparentes et non discriminatoires. De plus, dans la mesure où les réformes des soins de santé adoptent les mécanismes du marché, elles s’exposent indirectement au contrôle du droit européen. Cette situation engendre certaines difficultés. Les politiques mises en place pour maintenir le principe de solidarité, assortie de son système complexe de subventions croisées, sont particulièrement vulnérables aux politiques qui trouvent leurs origines dans les principes du marché. La concurrence non réglementée en matière de soins de santé réduira, presque inévitablement, l’équité en raison de l’inclination à sélectionner ceux dont les besoins en matière de santé sont les moindres, rendant difficile ou coûteuse l’obtention d’une couverture pour ceux qui en ont le plus besoin. Des systèmes d’ajustement des risques peuvent être établis mais sont loin d’être parfaits, particulièrement dans un environnement aussi compétitif. Les politiques de maîtrise des coûts peuvent se baser sur une restriction de l’offre, comme le nombre de structures sanitaires. Cela peut être mis en péril si les patients peuvent exiger que leurs organismes assureurs paient leur traitement ailleurs. Des politiques qui évoquent la question d’asymétrie de l’information pourraient impliquer des contrats sélectifs avec les fournisseurs mais cela nécessite l’existence de normes uniformément admises. Les inquiétudes relatives à l’asymétrie de l’information ont également eu comme conséquence que les gouvernements européens rejettent des politiques qui peuvent sembler, de manière superficielle, redresser cette asymétrie, comme les publicités en matière de produits pharmaceutiques, basées sur l’évidence empirique, directement axées sur le consommateur, qui s’avèrent souvent trompeuses et augmentent les coûts en soins de santé tout en apportant peu, voire aucun bénéfice aux patients. Cependant, il s’agit manifestement d’une ingérence avec le fonctionnement du marché. En d’autres termes, même pour ces éléments de soins de santé qui sont couverts par des dispositions internes de marché, les États membres et l’Union européenne ont explicitement déclaré que les effets du marché doivent être contenus. C’est pourquoi, à présent, la politique sociale et sanitaire en Europe s’est développée de manière inadaptée et anachronique. Les Etats membres décident les objectifs qu’ils souhaitent atteindre, tels que l’équité et des soins plus efficaces, et doivent alors trouver des mécanismes qui permettent de les réaliser et qui sont compatibles avec le droit européen. Une grande partie du droit européen pertinent provient d’arrêts fondés sur des considérations émises dans d’autres secteurs ou qui envisagent d’apporter un principe de solution à un cas isolé, laissant des questions majeures d’applicabilité sans réponse. Par conséquent, les décideurs du domaine de la santé sont confrontés à une multitude d’avis contradictoires émanant des partisans d’une interprétation stricte ou large de l’application du droit européen à la matière des soins de santé. La question en pleine évolution de la libre circulation des patients est instructive. Les arrêts Kohll et Decker de la Cour européenne de Justice (CEJ) ont contraint le système de sécurité sociale luxembourgeois à rembourser les soins de santé non 891


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autorisés dans un autre État membre sur la base des principes communautaires de libre circulation des biens et des services. Cela a clarifié que les systèmes de sécurité sociale, même s’il s’agit d’un domaine qui relève d’une compétence nationale, n’étaient pas non-assujettis au droit européen. Suivant les dernières affaires de Smits et Peerbooms, la CEJ a précisé que tous les services médicaux, y compris l’hospitalisation, tombent sous la définition de services selon le Traité CE, étant donné que d’une façon ou d’une autre le prestataire est rémunéré pour le service presté. Le fait que le remboursement soit réclamé dans le cadre du système d’assurance maladie des Pays-Bas, qui est régi par une approche basée sur des allocations en nature, n’a pas été considéré comme pertinent. Même si la CEJ a considéré qu’exiger une autorisation préalable dans tous les cas où des soins de santé sont prestés dans un autre État membre constitue bien un obstacle à la libre circulation des biens et des services, elle a admis dans les affaires SmitsPeerbooms que dans le dessein de garantir une offre équilibrée et accessible de services hospitaliers, c’était une mesure nécessaire et raisonnable. Cependant, la Cour n’accepterait une telle exception au principe de libre circulation des services que si les critères appliqués pour octroyer l’autorisation étaient objectifs et non discriminatoires à l’égard des prestataires établis dans un autre État membre. A cet égard, elle a estimé que les conditions d’autorisation néerlandaises n’étaient pas compatibles avec le principe d’égalité de traitement parce qu’elles sont susceptibles de favoriser les prestataires néerlandais. Tout en ne bannissant pas complètement l’utilisation d’un système d’autorisation préalable, les arrêts de la Cour ont restreint radicalement le pouvoir d’appréciation des États membres pour déterminer leurs propres politiques en exigeant que leurs décisions soient nécessaires, proportionnelles et basées sur des critères objectifs et non-discriminatoires. De plus, dans l’arrêt Vanbraekel, la CEJ a considéré que si l’autorisation est donnée – ou refusée à tort – le patient devrait bénéficier du meilleur tarif de remboursement possible, soit celui du pays de résidence, soit du pays de l’Etat compétent. En associant le contenu du règlement 1408/71, sur lequel la couverture en matière de soins de santé à l’étranger s’est basée à l’origine, avec les principes de la libre prestation de services, la CEJ semble avoir créé des difficultés pour ce système de coordination. La jurisprudence de la CEJ a donné lieu à des incertitudes de taille. Étant donné la prédominance du Règlement 1408/71 en ce qui concerne la libre circulation des patients, ces décisions ont ébranlé des certitudes, du moins partiellement. Par conséquent, il semble nécessaire d’entreprendre une révision de l’ensemble du cadre légal réglementant l’accès aux soins de santé dans l’Union européenne. Étant donné que la question attire maintenant davantage l’attention – particulièrement dans des pays où les patients sont confrontés à des listes d’attente ou à d’autres difficultés d’accès et que des acteurs essentiels expérimentent de nouvelles façons de répondre aux attentes des patients, y compris à l’étranger, un encadrement est nécessaire. 892


L’INFLUENCE DE LEGISLATION DE L’UE SUR LA NATURE DES SYSTEMES DE SOINS DE SANTE DANS L’UNION EUROPEENNE

De la même façon, la croissance du commerce électronique génère également des défis pour la politique des soins de santé, comme admis dans l’appel du Conseil des ministres visant à mettre en oeuvre les technologies de l’information dans le secteur des soins de santé de façon à promouvoir l’inclusion sociale. L’UE a pris des mesures destinées à protéger les consommateurs dans la société de l’information, de nature législative ou autre. Nombre de ces mesures touchent indirectement certains aspects des systèmes de soins de santé, dès lors qu’elles concernent les données et la protection de bases de données, la sécurité dans les transferts électroniques, la vente à distance, la responsabilité des produits et le contrôle de qualité. Comme peu de ces mesures ont été instaurées en ayant les soins de santé à l’esprit, elles pourraient s’avérer fragiles et donc être moins efficaces lorsqu’elles s’appliquent aux soins de santé. Certaines des initiatives non-législatives concernent directement la qualité et le champ d’application de l’e-health, en grande partie par des actions volontaires ou autorégulatrices et bien que ces initiatives soient les bienvenues, leur tâche est rendue plus ardue par la complexité d’assurer la qualité sur Internet. La situation relative à la libre circulation des professionnels génère également des difficultés. Les directives pertinentes sont apparues à une époque où lorsqu’on avait obtenu une qualification, elle octroyait essentiellement un droit à vie à la pratique. C’est de moins en moins le cas et certains Etats membres instituent des mécanismes afin de limiter l’intégration à ceux qui remplissent certaines exigences de formation permanente. La façon dont ceux-ci sont traités à l’intérieur du cadre légal existant est loin d’être claire. En outre, le principe de reconnaissance mutuelle, défendu dans l’affaire Kohll, écarte effectivement la possibilité que des programmes de formation dans un pays ne soient pas de niveau équivalent à ceux d’autres pays, quoiqu’il en soit manifestement ainsi. A l’heure actuelle, il existe un vide juridique au niveau de la réglementation relative aux professionnels de la santé en Europe, avec des structures réglementaires nationales renforcées mais une absence de coordination au niveau européen. Pour de nombreuses raisons, l’autorégulation professionnelle prévaut en Europe mais les organes impliqués à l’échelon national ont souvent des fonctions additionnelles qui peuvent inclure l’éducation, l’établissement de normes professionnelles, une fonction syndicale… Malheureusement, dans ces organes européens qui existent bel et bien, ces rôles prêtent souvent à confusion. Le secteur pharmaceutique génère de nombreuses difficultés par son caractère nettement plus international et l’acuité particulière du défi qui consiste à équilibrer intérêts commerciaux et sanitaires. Un exemple touche la publicité s’adressant directement aux consommateurs : il existe de fortes pressions commerciales pour l’autoriser mais aussi de bonnes raisons de politique de santé pour la refuser. Les institutions de l’UE ont créé un cadre qui, suivant des lignes directrices communes, uniformise l’offre de médicaments sur un marché commun ou intérieur au profit des producteurs de médicaments (et des fournisseurs qui se procurent leurs produits sur différents marchés au sein de l’UE – importations parallèles) même en dépit des droits de propriété intellectuelle. Le droit européen et la politique européenne ont 893


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eu beaucoup moins d’influence directe sur la demande. Le droit européen – que ce soit au niveau primaire (les règles des Traités) ou la législation communautaire dérivée – n’a qu’une influence marginale sur les contrôles de prix et de remboursements ainsi que sur les techniques de management du côté de l’offre. Les contrôles des prescriptions des médecins, des marges des grossistes et des pharmaciens effectués dans le cadre de demandes indirectes via des intermédiaires, sortent du cadre des politiques de l’UE en matière de médicaments. Cependant, l’e-health et l’e-commerce pourraient offrir de nombreuses possibilités de remplacer le modèle traditionnel de voie d’accès unique par un modèle prévoyant de multiples voies d’accès tant pour une distribution qu’une information directe (quelle qu’en soit la qualité) à l’égard du patient. Reste à savoir si la commission sera ainsi en mesure d’influencer d’une manière plus directe tant la demande par des intermédiaires que la demande elle-même. En ce qui concerne les dispositifs médicaux, d’autres adaptations aux réglementations nationales s’imposent également. Par exemple, bien que le nouvel Euro-système comprenne le protocole de suivi de marché, de nombreux problèmes subsistent. Bien que le système puisse apparaître contraignant, il suscite toujours des questions sur la vigilance et l’autogestion. Il existe aussi des différences nationales quant à la mise en oeuvre et les comptes-rendus, soulevant la difficulté d’obtenir une convergence sans compromettre la santé et la sécurité des patients dans des pays soumis à des règles strictes. Autrement dit, il faut éviter de réduire les règles au plus petit dénominateur commun tout en atteignant les objectifs de la politique industrielle. Ces différences nationales font que le suivi post-marketing des dispositifs médicaux reste un processus complexe et difficile. L’assurance santé volontaire est dans certains pays un moyen de plus en plus important pour accéder à des soins de santé de qualité dans des délais raisonnables. En l’occurrence, l’objectif impératif d’intégrer les marchés de l’assurance domine la politique européenne. Le cadre légal actuel de la Communauté se fonde essentiellement sur la logique de la libre-concurrence au niveau de la Communauté entre assureurs, dont la solvabilité est contrôlée et garantie par les autorités compétentes de l’État membre d’origine, suivant un ensemble convenu de conditions d’assurance et de règles de prudence. Le pouvoir du gouvernement pour régler concrètement les prix et les conditions des produits d’assurance est fortement réduit pour éviter qu’il n’entrave une concurrence loyale entre les assureurs européens et ne compromette la santé financière des entreprises d’assurance. En matière de soins de santé, les États membres se voient ainsi contraints de développer le rôle de l’assurance santé libre, sans pour autant perdre de vue les principes de solidarité. L’article 54 de la troisième directive concernant l’assurance non-vie, qui introduit la possibilité d’exemption fondée sur l’intérêt général, a peu de chances de satisfaire les besoins de réglementation ressentis dans différents États membres.

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L’INFLUENCE DE LEGISLATION DE L’UE SUR LA NATURE DES SYSTEMES DE SOINS DE SANTE DANS L’UNION EUROPEENNE

L’application de la législation sur la concurrence en matière de soins de santé pose également des problèmes. Si de nombreuses transactions effectuées dans un cadre réglementaire peuvent échapper à l’assujettissement pour des motifs sociaux, les autorités sanitaires doivent être conscientes de la possibilité de supprimer cette protection par la déréglementation et la privatisation. Les institutions de soins de santé peuvent être considérées comme des entreprises. Ceci n’est pas remis en cause par des considérations telles que la propriété ou le statut de société à but lucratif. Ce qui importe, c’est de savoir si elles pratiquent ou non une activité à caractère économique. En outre, toute activité exercée par une organisation doit être jugée d’après ses mérites; même si la plupart de ses activités sont réputées ne pas avoir de caractère économique et ne sont donc pas assujetties aux règles de concurrence, toutes ses activités ne sont pas pour autant déréglementées. Il existe plusieurs cas dans lesquels des activités peuvent être considérées comme dénuées de caractère économique. Elles peuvent avoir un caractère souverain, autrement dit être nécessairement effectuées par l’État dans l’exercice de son autorité officielle. Toutefois, l’État doit prouver qu’il lui est nécessaire d’effectuer cette activité et doit être prudent lorsqu’il délègue son rôle à d’autres organes. Ce peut être une activité sociale, mais il doit prouver qu’elle concerne la protection sociale et se base sur le principe de la solidarité. L’activité peut aussi être exemptée parce qu’elle n’implique pas de paiement identifiable ou parce qu’elle engage simplement l’organisation en question dans la satisfaction de ses besoins fondamentaux pour fonctionner encore. Pourtant, on comprend aisément que des réformes de soins de santé mal conçues peuvent, surtout lorsqu’elles introduisent des mécanismes de marché et une décentralisation, soumettre inopinément des organisations à des règles de concurrence. Nous avons déjà souligné qu’en Europe, les soins de santé sont organisés de manière à préserver la solidarité et à promouvoir un traitement équitable, effectif et efficace. De nombreuses causes, telles qu’une asymétrie informationnelle et des externalités expliquent pourquoi il est improbable qu’un marché libre promouvra ces objectifs, comme le démontre un bref examen du système de soins de santé américain. En particulier, soumettre des organisations de soins à la pleine application de la législation en matière de concurrence peut rompre les nombreux accords nécessaires à une distribution équitable de services qui répondent d’une manière appropriée aux besoins de soins de santé de la population. Ce faisant, on risque de désavantager encore les membres les plus vulnérables de la société, dont la voix se fait déjà si peu entendre. Il est donc clair que la politique de santé et la promotion du marché unique peuvent, dans de nombreux domaines, soit entrer en conflit soit, plus souvent, générer des ambiguïtés. À défaut d’une définition claire des principes sur lesquels devrait se fonder la politique de santé en Europe, la CEJ est tenue de fonder ses décisions avant tout sur l’obligation de promouvoir le marché unique. Elle ne reconnaît pas les conditions par895


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ticulières aux soins de santé, comme la nécessité de ne pas saper les systèmes nationaux; cependant, il faut des avis beaucoup plus élaborés sur ce que l’Union européenne entend réaliser en répondant aux besoins de santé de sa population dans le cadre d’un marché unique. Nombre de ces défis naissent de l’importance croissante du rôle de la CEJ, qui est de donner son interprétation de l’application du droit de l’UE dans des cas spécifiques. Cependant, cette interprétation crée alors des précédents qui sont appliqués dans des circonstances différentes. Si les États membres ne peuvent influencer l’interprétation de la CEJ, ils peuvent toujours modifier la législation européenne elle-même. Cependant, la procédure de codécision rend très difficile tout renversement des décisions de la CEJ fondées directement sur un Traité de la CE. Bien qu’en théorie, il aurait été plus facile de modifier les règlements et directives en raison des possibilités offertes par le vote à la majorité qualifiée, dans la pratique, rares sont les interprétations de la CEJ qui ont entraîné une action législative en vue d’inverser le sens des décisions. En effet, la plupart des décisions de la CEJ touchent différemment les États membres, si bien qu’ils ne s’unissent pas pour appuyer le changement d’une législation contestée. La tendance à recourir aux juridictions peut contribuer à affaiblir la légitimité du processus d’intégration dans son ensemble. L’Union européenne souffre déjà d’une forme de «déficit politique», à tel point que des acteurs comme les partis politiques, les syndicats, même les médias, dont les actions servent souvent de point de référence aux électeurs nationaux sont généralement en position de faiblesse au niveau européen. En camouflant les conflits d’intérêts et en remplaçant les conflits partisans par des débats prétendument neutres sur l’interprétation de la loi, on affaiblit considérablement le processus politique et on offre aux opposants à l’intégration des occasions de réclamer le remplacement de la démocratie citoyenne par une forme de «démocratie judiciaire». Cependant, le même processus peut être considéré sous un jour plus positif puisque entamer des procédures au niveau européen permet aux Européens de protéger leurs droits contre des décisions d’administrations nationales. Néanmoins, les arrêts de la CEJ peuvent aisément être perçus comme des ingérences qui remettent en question les options et traditions des communautés nationales. Le défi auquel est confronté l’UE est que sa législation secondaire, c’est-à-dire ses directives et ses règlements, et l’interprétation qu’en donne la Cour doivent se fonder sur ce qui est prévu dans les Traités. Cependant, le caractère social des systèmes de santé européens n’est pas inscrit dans ces Traités. Que faire alors ? Le présent rapport se veut un plaidoyer en faveur d’une politique de santé européenne explicite, qui offrirait des avantages considérables, en définissant une position convenue entre tous les États membres au sujet de ce qu’ils ten896


L’INFLUENCE DE LEGISLATION DE L’UE SUR LA NATURE DES SYSTEMES DE SOINS DE SANTE DANS L’UNION EUROPEENNE

dent à réaliser à travers leurs systèmes de santé. Il est probable qu’un certain consensus pourra se dégager en faveur d’une position commune, du moins quant aux principes. En conséquence, si l’on ne veut pas saper par mégarde le modèle social européen en appliquant incorrectement le droit de l’UE conçu pour répondre à des besoins dans d’autres secteurs ou en rendant une série de jugements en matière de soins de santé, il faudra s’accorder sur une déclaration de principes fondamentaux qui établissent les objectifs des systèmes de santé européens, qui mettent en équilibre marché intérieur et objectifs sociaux et qui puissent être intégrés dans un futur Traité. Force est toutefois de reconnaître que les tentatives de développer des politiques plus détaillées peuvent rencontrer des difficultés étant donné la grande diversité des réglementations de soins de santé en vigueur au sein des États membres. Par ailleurs, une simple déclaration de principes, même si elle est susceptible de réduire les conséquences involontaires et indésirables du marché intérieur, n’est pas de nature à suffire pour obtenir les avantages qu’une intégration européenne plus forte pourrait offrir aux systèmes de soins de santé. Une méthode ouverte de coordination qui comprend des moyens formels pour profiter de l’expérience d’autrui en tenant compte de ses propres conditions nationales, offre la possibilité de promouvoir les meilleures pratiques, en échangeant des informations sur ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas, dans telles ou telles conditions. Dans de nombreux cas, il sera possible de développer des approches partagées de problèmes communs. Cette procédure respecte les différences historiques, politiques et culturelles et ne compromet pas le processus d’harmonisation des initiatives nationales qui, alors qu’elles visent le même but, sont incompatibles entre elles. Une méthode ouverte de coordination rendra plus explicites certains des défis posés par le marché intérieur aux systèmes de soins de santé. Elle fournira également un cadre permettant de relever ces défis et d’examiner des réponses légales appropriées, y compris d’éventuelles révisions du Traité. Toutefois, ces procédures réclameront du temps et il est clair qu’il faut agir aujourd’hui. Ainsi est-il de la plus haute importance que l’UE mette en place, le plus rapidement possible, un système qui permette de suivre en permanence l’influence du droit de l’UE sur les systèmes de soins de santé. __________

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LE SERVICE NATIONAL DE SANTE BRITANNIQUE : APERCU POLITIQUE ET HISTORIQUE * PAR MICK CARPENTER Lecteur en Politiques Sociales. Département de Sociologie. Université de Warwick

INTRODUCTION : PLIE MAIS NE ROMPT PAS, MALGRE DES PRESSIONS CONSIDERABLES ? On pourrait décrire le « British National Health Service » (NHS) comme un système détenu et financé par les pouvoirs publics, caractérisé par de puissants axes de responsabilité verticale (OMS Europe 1999: 24). Dans une certaine mesure, le NHS britannique est une institution unique, le produit d’une histoire nationale spécifique, d’une forte cohésion sociale et de la direction de l’Etat au cours de la guerre de 1939-45, ensuite maintenu par le gouvernement travailliste de 1945-51 via l’accord d’après-guerre. Malgré cela, la modernité des soins de santé britanniques a exercé un grand impact sur le monde entier. Le principe d’un système de soins de santé – financé principalement par l’impôt, accessible à tous gratuitement, institutions de soins aux mains des pouvoirs publics, personnel employé par l’Etat – constitue le modèle de « Beveridge» qui a été imité, avec certaines variantes, par les pays scandinaves. Ce système a encore influencé les tentatives de construire des systèmes nationaux de santé dans les pays de l’Europe du Sud dans les années 1970. Il est même probable que ses tendances centralisatrices aient également influencé l’évolution des récentes réformes de la santé en France. D’autres innovations telles que dans le système de soins britannique le « généraliste » ou « médecin » de première ligne sont largement promues dans le monde entier comme, d’ailleurs, la distinction opérée entre « dépense » et prestation de services introduite par le gouvernement Thatcher en 1990. Je me risquerai à qualifier ces innovations de réformes anglo-américaines vu leur mode actuel de promotion, via essentiellement des techniques américaines de management visant à contrôler les effets inflationnistes de la médecine privée sur un système socialisé de soins de santé. A première vue, le National Health Service (NHS) britannique instauré en 1948 semble également être une institution remarquablement flexible et stable. Il a survécu à 17 années de politique néolibérale thatchérienne. Même les réformes radicales des années 1990 n’ont rien modifié de fondamental dans son principe central de solidarité en matière de financement, même si ce n’est pas forcément pour des raisons de * Allocution prononcée lors du colloque ‘‘La Protection sociale en Europe : Mythes et Réalités’’ de l’Institut européen des juristes en droit social (IES) qui s’est tenu à Paris les 30 novembre et 1er décembre 2001.

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solidarité. Le gouvernement travailliste de 1997 prétend avoir mis fin au « marché intérieur » et avoir ramené le NHS dans une voie plus cohérente, fidèle à ses principes de base. Comme nous le verrons, cette affirmation est sujette à contestation, car les critiques font valoir comme argument que, d’une certaine manière, le « New Labour » a intensifié la privatisation du secteur. Le problème apparemment insoluble des longues listes d’attente persiste, malgré les efforts incessants en vue de rendre le système plus efficace. En général, les patients disposent d’un choix limité parce qu’ils doivent s’inscrire auprès de leur médecin généraliste, qui prend alors les décisions capitales en matière de renvoi devant un autre médecin. La question des ressources, de l’importance de la part du gâteau national que la société est prête à consacrer au système, reste une question politique majeure. Dans ces circonstances, les critiques de droite s’interrogent sur le futur maintien du système actuel de financement et d’organisation publics, parce que la nature des efforts nécessaires pour hisser les dépenses au niveau des normes Nord-européennes n’est pas politiquement réalisable avec les seules ressources du Trésor. Je reviendrai sur ces points à la fin de l’article, lorsque je ferai valoir que, bien que le système lui-même doive s’adapter aux nouvelles demandes et aspirations – surtout pour affronter ce qui est qualifié de « déficit démocratique » -, le modèle de base possède encore bien des vertus qui lui valent d’être recommandé vu le formidable soutien qu’il connaît auprès du grand public. Les évaluations des différents systèmes de santé divergent. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), dans son rapport (World Health Report 2000) a, sur la base de critères controversés, établi un palmarès. La France venait en première position en termes de performance d’ensemble pour sa bonne santé grâce à l’utilisation des dépenses de soins de santé, la Grande-Bretagne, quant à elle, a reçu une décevante 18ème place (Organisation Mondiale de la Santé 2000, Braveman et al 2000). Les réformes introduites dans certains Etats apportent leur lot de questions similaires et d’interrogations qui en amènent d’autres : En termes de santé, quelle différence l’accès à la médecine opère-t-il réellement et que faut-il encore en plus que la simple fourniture de soins pour promouvoir la santé ?

Comment trancher : qu’est-ce une bonne médecine, qu’est-ce un bon ou un mauvais médecin ? Jusqu’où impliquer les patients et les utilisateurs dans ces décisions qui, par tradition, sont prises par les médecins avec une certaine participation des pouvoirs publics. En d’autres termes, quelle suite accorder aux agendas tant de « qualité » que d’« efficacité » ?

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Jusqu’où peut aller l’engagement d’universalisme (égalité et fraternité), compte tenu de l’explosion des onéreuses interventions médicales ? Jusqu’où, la médecine doit-elle s’ouvrir ou se soumettre à certaines conditions ? Quelle est la hauteur de l’intervention financée par des parties tierces, qu’il s’agisse de fonds d’assurance ou de subventions gouvernementales ?

Comment répondre aux besoins sociaux des malades de longue durée et des aînés comme un aspect de citoyenneté ou de solidarité ? Problèmes qui, dans leur ensemble, n’ont pas été pris en considération au moment où les systèmes de santé européens avaient été créés voici une génération.

1.

PRIMO, UN BRIN D’HISTOIRE ET DE POLITIQUE ...

1.1.

LA POLITIQUE A L’ORIGINE DE LA CREATION DU NHS : FINANCEMENT ET ORGANISATION Hormis les USA « exceptionnellement » orientés sur le marché (1), le financement des systèmes de santé des pays capitalistes développés s’opère de l’une ou l’autre façons: soit par une assurance sociale obligatoire (système bismarckien), soit par les impôts (système beveridgien). Ces deux systèmes présentent des similitudes en ce qu’ils cherchent des moyens collectifs permettant à la population d’avoir accès à d’onéreux soins de santé. Ils ne s’en remettent pas simplement à l’individu. Traditionnellement, tous deux ont également souscrit à l’autonomie clinique du médecin, via une relation « libre » ou libérale avec le patient qui, en pratique, est dominée par des producteurs (2). Au départ de cette situation, tous deux s’efforcent de glisser vers un cadre impliquant pour les médecins plus de responsabilités envers les instances de financement, une relation de travail en partenariat avec leurs patients et un meilleur équilibre entre soin, prévention et guérison, ainsi qu’entre hôpital et soins de première ligne. La beauté des systèmes basés sur la taxation repose (largement) sur le plan pratique sur le fait qu’ils accordent l’accès comme un simple droit « citoyen », tel que défini par exemple dans la loi britannique sur le NHS de 1946. Ils restent dans une fourchette raisonnable du point de vue des coûts des transactions ou des frais de paperasserie/bureaucratie. Une forte quotité de service salarié (partiel chez les médecins généralistes) évite l’inflation des honoraires médicaux à la prestation, généralisée dans les systèmes d’assurance sociale et privée. Par ailleurs, on pourrait faire valoir l’argument qu’en Grande-Bretagne, ce système maintient le niveau des dépenses à un seuil trop faible, à cause notamment des pressions liées au vieillissement de la population, et ne fournit pas suffisamment d’incitants – problème que les réformes de 1990 ont tenté de résoudre – pour offrir un maximum d’efficacité. (1) Les pays d’Europe méridionale, également, divergent quelque peu à cause, selon moi, de leur caractère « hybride », mettant en oeuvre des éléments d’un système basé sur la taxation, l’assurance sociale, et l’orientation sur le marché – particulièrement la Grèce, pays qui m’intéresse. (2) Le « libéralisme » présente toujours des limites politiquement définies, et se restreint également substantiellement à certains domaines de la pratique médicale, plus particulièrement la psychiatrie.

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Les systèmes d’assurance sociale varient quant à l’étendue de l’accès accordé et encore davantage du point de vue de l’occupation professionnelle, ce qui nécessite ultérieurement de les enrichir de droits citoyens plus étendus. Le système canadien y parvient via un seul fonds d’assurances, qui en fait virtuellement un système beveridgien. Le système allemand est effroyablement complexe et fragmenté. Le système français, quant à lui, oscille quelque part entre le canadien et l’allemand. Jusqu’il y a peu, les systèmes fondés sur la taxation opéraient sur une base “accès ouvert” - fûtce avec des mécanismes « implicites » de rationnement -, les systèmes fondés sur une assurance, par contre, ont traditionnellement défini les formes de dépenses médicales admissibles et inadmissibles. En d’autres termes, ils ont plus fréquemment eu recours à des processus de rationnement explicite. Pour cette raison, il est plus aisé de contenir les coûts dans les systèmes fondés sur la taxation comme le démontre l’expérience constante en Grande-Bretagne ou récente en Suède. En fait, le contrôle central offre en règle générale de meilleures opportunités pour orienter la politique. Il tend également à se montrer « paternalistes » envers les usagers dont on attend de la gratitude pour l’obtention de prestations de services gratuites (qu’ils ont en réalité payées). Les systèmes fondés sur une assurance sociale, généralement basés sur des honoraires à la prestation et un fort sentiment de droit, sont nettement plus onéreux. Ainsi, alors que les dépenses en Grande-Bretagne à la fin des années ‘90 s’élevaient à 6,7% du PIB et en Suède à 8.2%, les deux grands systèmes de santé basés sur l’assurance sociale – Allemagne et France – dépensaient respectivement 10,7% et 9,5% (OMS Europe 1999). Généralement, il s’agissait des deniers publics. Jusqu’à un passé récent, le secteur privé était réduit et son principal rôle se restreignait à dispenser des soins hospitaliers à des personnes qui, ayant reçu des soins de première ligne de l’Etat, souhaitaient contourner les longues listes d’attente en chirurgie non urgente des institutions publiques. Outre la Grande-Bretagne, des systèmes fondés sur la taxation sont également présents en Scandinavie. Les systèmes basés sur l’assurance sociale sont plus répandus, nous en trouvons des variantes à travers l’Europe continentale, l’Australasie et le Canada. La question de savoir pourquoi certains pays disposent d’un système fondé sur la taxation, d’autres d’un système fondé sur l’assurance sociale, voire d’aucun comme les Etats-Unis, n’entre pas dans le cadre de ce bref article. Toutefois, les principales influences sont liées, d’une part, à l’équilibre du pouvoir entre les intérêts des médecins et des assurances civiles ou privées et, d’autre part, entre le centralisme de l’Etat et la puissance des mouvements travaillistes socialistes. Ce n’est que lorsque l’intérêt de ces derniers est assez fort et surpasse la puissance bien implantée des premiers dans le système, que l’on voit émerger des Services Nationaux de Santé fondés sur l’imposition. Or, même dans ce cadre, cette évolution dépend d’acteurs de poids – en Grande-Bretagne, Beveridge et Bevan ; en Suède, Hojer – qui sont capables de saisir les moments historiques. 902


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En Grande-Bretagne, le NHS a été créé en 1948 comme partie intégrante du « postwar settlement » (règlement d’après-guerre) du gouvernement travailliste, via une série de compromis, négociés entre l’Etat et les professionnels de médecine, d’une part, et le mouvement travailliste organisé, d’autre part. Ceci a donné lieu à un système unifié basé, sur la taxation, mais dont l’organisation était effectivement dévolue aux médecins. Certes, la population en a obtenu l’accès, mais peu de contrôle démocratique. Les médecins étaient les grands vainqueurs, particulièrement les médecins hospitaliers. La guerre, par la force des choses, avait fait affluer dans les hôpitaux de grandes quantités d’argent et ils avaient bien l’intention de maintenir cette situation. Cependant, ils ne tenaient pas à tomber sous le contrôle des autorités locales ni même des conseils régionaux, pas plus d’ailleurs que leurs confrères généralistes (médecins de la communauté) qui, auparavant, dépendaient du « système panel » semi-indépendant créé par Lloyd George via le « National Insurance Act » (Loi nationale sur les assurances) de 1911. Toute la philosophie sous-jacente était également étayée par la croyance dans les « progrès de la médecine » : supprimez la barrière des coûts et les gens iront consulter plus tôt, seront traités efficacement et guériront rapidement. Cette croyance était si ancrée que l’on prédisait même que les coûts liés aux soins baisseraient au fur et à mesure que la santé de la population s’améliorerait (Klein 1995, Baggott 1998). Les principaux changements organisationnels étaient : la relégation de l’assurance et de la médecine privée dans les marges ; la reprise par l’Etat des hôpitaux locaux publics et des hôpitaux « volontaires » (charité) ou des hôpitaux d’enseignement élitaire, mais ces derniers acquirent une semi-indépendance ; le maintien de l’autonomie clinique des médecins hospitaliers, de leur droit d’exercer librement leur art en privé, et l’assurance d’une représentation collective à tous les niveaux des organes décisionnels ; le maintien du statut contractuel semi-indépendant et de l’autogestion des médecins généralistes ; « Regional Health Authorities » (Organes régionaux de santé) en tant que principaux organes de planification.

Le trait peut-être le plus important du système était le rôle de « portier » exercé par le médecin généraliste. Ce rôle n’est pas né pour une question rationnelle de politique. Il résulte largement d’un compromis entre les médecins généralistes et les médecins hospitaliers d’élite, ce qui a eu pour conséquence que le travail des spécialistes dépendait toujours de l’appréciation des généralistes. En Grande-Bretagne, les gens ne peuvent s’adresser directement à un spécialiste. Ce système peut être qualifié de paternaliste (« le médecin est le mieux placé pour choisir un autre médecin ») et limite les pouvoirs des consommateurs médicaux. Mais, on peut également reconnaître qu’il renforce la focalisation sur un système plus holistique et sur les soins de première ligne. Chacun doit s’inscrire auprès d’un généraliste pour obtenir un traitement, c’est le « billet d’accès » au système – et la grande majorité des gens le font. 903


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Autre fait significatif : le flux du personnel médical est réglé par un accord entre la profession et l’Etat. Le nombre de médecins et d’infirmiers formés chaque année est réglementé, ce qui évite la surabondance de médecins à laquelle sont souvent confrontés d’autres pays européens. Ceci implique à son tour moins de résistances à l’encontre d’une médecine interventionniste, de haute technologie. Dans une étude sur la culture de certains systèmes de santé, Lyn Payer (1989) a fait valoir le caractère « conservateur » du système de médecine britannique. Avant de sanctionner une technique, les médecins britanniques veulent savoir si elle fonctionne. Le fait, qu’excepté accident et arrivée aux urgences, les gens doivent s’adresser d’abord à un médecin généraliste, agit également comme un frein sur la demande de traitement de haute technologie. De fortes caractéristiques teintées de paternalisme ont été héritées du passé, lorsque le médecin, le prêtre, le notaire et le « bobby » (agent de police) local étaient des représentants naturels de l’autorité. Ceci est renforcé par des pressions tant institutionnelles que culturelles. En particulier, le contrôle central fort sur l’argent alloué chaque année au système agit comme méthode efficace de maîtrise des coûts et comme système « implicite » de rationnement, dans lequel les « dilemmes des médecins » sont apaisés. L’ironie veut que ce « conservatisme » et ce paternalisme se soient développés parallèlement au « socialisme » après la seconde guerre mondiale et que, peut-être, ils ne commencent à se fracturer que maintenant ; pourtant, en aucun cas, ils ne se sont totalement désintégrés, malgré les réformes de santé radicales des années 1990.

1.2.

LA POLITIQUE DU DEVELOPPEMENT DU NHS DE 1948 A 1979 – UN APERCU CONCIS ET PARTISAN Dès les premiers jours du NHS, certains articles de presse prétendaient que certains abusaient d’un système « gratuit », ce qui, dans le contexte du gouvernement conservateur des années ’50, souleva la question de sa viabilité. Le gouvernement institua le « Guillebard Enquiry » (Commission Guillebard) en 1957 pour examiner ces questions. Les scientifiques qui influencèrent cette commission étaient dominés par une pensée sociale démocratique et donc accordèrent au NHS un « bulletin de bonne santé » en l’assortissant toutefois d’une remarque relative à son sous-investissement. Ceci renforça le consensus politique autour du NHS et facilita, dans le courant des années ’60, l’expansion massive des dépenses hospitalières dans le cadre de l’ « Hospital Plan » de 1962. Ce dernier fixa le principe selon lequel un Hôpital général de district moderne et multidisciplinaire devait servir les besoins d’une localité définie. L’augmentation d’échelle et la complexité du NHS mirent une nouvelle fois l’accent sur la nécessité de gérer les grandes institutions et de planifier la gamme complète des prestations de services sur le plan des localités. Dans l’idéologie dominante de cette époque, ceci soulignait le besoin d’une technocratie. Cela aboutit à la Réorganisation du NHS, qui eut lieu parallèlement avec celle des gouvernements locaux. Il est intéressant de noter que ces réformes furent attaquées simultanément par la droite et par la gauche, - bien sûr au départ de points de vue politi-

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ques et d’agendas différents - parce qu’elles mettaient en place des bureaucraties distantes qui n’avaient pas à se justifier Deux principes dominaient et peut-être un troisième, en quelque sorte en guise de post-scriptum : Intégration verticale – une série de « couches » de planification du haut vers le bas du gouvernement central via les régions jusqu’au niveau du « district ».

« Management du consensus » – ceci signifie que les managers et les médecins ont des pouvoirs identiques, c.-à-d. les médecins disposent d’un droit de veto, ce qui s’apparente à une recette pour un « pat » permanent.

Des Local Community Health Councils (Conseils de santé pour les communautés locales) furent installés pour représenter la voix des usagers, avec si peu de pouvoirs formels qu’on les qualifiait souvent de « bouledogues édentés ». Il faut malgré tout être honnête et reconnaître qu’un grand nombre d’entre eux ont mené de vives campagnes pour représenter les intérêts des communautés.

Depuis les années ’40, les moyens dévolus au NHS ont considérablement été augmentés en termes de valeur nominale, mais non en tant que pourcentage de la prospérité nationale (PIB), à cause de la manière dont le système de « gestion et de contrôle » a servi de frein aux dépenses. La majorité de l’argent provenait directement des impôts plutôt que des cotisations à l’Assurance Nationale, d’une faible quotité des coûts portés en compte aux usagers et d’un secteur médical privé limité qui avait commencé à grandir dans le courant des années ’60, lorsque la nouvelle classe moyenne tenta d’esquiver la politique fiscale du gouvernement. Les années qui suivirent la Réorganisation de 1974, furent des années de bouleversement (Klein 1996, Baggott 1998). Pour rappel, le gouvernement cherchait à brider la médecine privée au sein du NHS, les infirmières et les aides sous-payés se révoltèrent contre les salaires intolérablement bas, et, en guise de réponse à la « crise pétrolière », des tentatives furent mises en place pour restreindre les dépenses de santé, plus spécialement les projets requérant des capitaux. La nouvelle structure provoqua des batailles à divers niveaux entre managers entre eux et entre managers et professionnels de la santé. Les grèves des travailleurs faiblement rémunérés des années 1978-9 - « l’hiver du mécontentement » -renforcèrent le sentiment de crise, ce qui contribua à porter au pouvoir un gouvernement conservateur. Le gouvernement travailliste de 1974-9 chercha à traiter deux problèmes spécifiques. Le premier le fut effectivement, le second pas et est donc récemment réapparu à la surface. En premier lieu, depuis 1948, le système du financement des régions et des hôpitaux était contraire au principe de Robin des Bois, en ce sens que les plus privilégiés et les moins privilégiés continuaient, année après année, à recevoir les mêmes parts du gâteau. Ceci faisait partie d’une « loi inverse sur les soins » (« inverse care law ») (voir Tudor Hart 1970), dans laquelle les plus pauvres et les plus malades percevaient moins de ressources, parce que les hôpitaux d’élite à Lon905


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dres et dans le Sud Est, accueillant principalement (mais pas exclusivement) les mieux lotis, continuaient à percevoir chaque année le plus gros morceau. Les premiers pas pour y remédier furent faits avec la Resources Allocation Party (Part d’allocation des ressources) de 1976, ou RAWP Formula qui cherchait à organiser la répartition entre les localités en fonction de la population et des « besoins de soins ». Cette formule a été changée depuis, notamment par les Réformes du NHS de 1990 mais, pour l’essentiel, elle reste acquise et a résisté à l’usure du temps. La RAWP était cependant un instrument peu pratique, incapable de supprimer les inégalités de plus en plus criantes, selon les avis unanimes -, dans les soins de santé même si, globalement, la santé s’améliorait. Un groupe de travail fut institué, lequel fut à l’origine de la rédaction du « Black Report” (Rapport sur les points noirs) de 1980, qui en appelait à un effort concerté pour remédier à la pauvreté et à la misère comme moyen d’améliorer la santé, plutôt que d’investir simplement dans les services de santé. Ce rapport est considéré comme un document capital pour la nouvelle santé publique en Grande Bretagne et à l’étranger. Hélas, avant d’être publié, un gouvernement conservateur avait pris le pouvoir et l’ignora délibérément. Toutefois, du fait de l’augmentation de la pauvreté et du chômage au cours des années 1980, les inégalités dans le domaine de la santé n’ont cessé de s’aggraver (Townsend, Davidson et Whitehead 1992).

1.3.

LA POLITIQUE DES SOINS DE SANTE SOUS L’ERE CONSERVATRICE 1979-87 Alors que le gouvernement travailliste radical de 1945 avait agi avec diligence pour réformer profondément le système de santé, les conservateurs radicaux de 1979 atermoyèrent 11 ans avant de tenter de faire pareil. Pourquoi ces tergiversations ? En grande partie, à cause du danger potentiel de toucher à ce domaine sensible et à cause d’autres priorités plus pressantes : la lutte contre les syndicats en général et contre le Syndicat National des Mineurs en particulier. Ceci ne signifie pas pour autant que ce gouvernement fût inactif. Un arsenal de mesures fut adopté afin de préparer le terrain à la réforme plus substantielle à partir de 1983. Premièrement, le gouvernement passa du consensus à la « gestion générale » ce qui signifiait que des non-médecins et même des managers extérieurs issus de l’industrie pouvaient désormais « occuper des fonctions dirigeantes », mettant ainsi fin à l’impasse depuis 1974. Deuxièmement, il innova en sous-traitant avec le secteur privé des prestations de services non médicales et professionnelles comme le nettoyage et le catering. Finalement, ce n’est que lors de la “troisième période de gouvernement” des radicaux – à partir de 1987 - que les conservateurs s’attelèrent à « réformer » en profondeur le NHS à la suite de la combinaison de deux facteurs. En premier lieu, une audace croissante liée à un sentiment d’invulnérabilité politique et, en second lieu, les pressions politiques des médecins et des médias pour augmenter les dépenses en matière de soins de santé alors que, jusque-là, le gouvernement avait tenu très étroitement les cordons de la bourse. Margaret Thatcher elle-même, en tant que Premier

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Ministre, voulut prendre l’initiative et conduire une importante analyse politique des options futures de financement et d’organisation du NHS. En cours d’analyse, elle décida rapidement d’abandonner les projets visant à passer à un financement par assurance, peut-être parce qu’elle réalisa que le financement par la fiscalité donnait au gouvernement contrôle et influence. En lieu et place, elle chercha à réaliser un changement radical dans l’organisation et la philosophie du système en partant de la supposition que le problème ne provenait pas d’un manque de ressources, mais de la piètre efficacité à l’échelon local et de niveaux de performances inégales. En d’autres termes, elle décida de se débarrasser de « l’enveloppe socialiste » tout en tentant d’en transformer les effets jusqu’à calquer son modèle préféré de l’industrie privée, par le biais du « marché intérieur ». Le « NHS and Community Care Act » (Loi sur le NHS et les soins dans la communauté) de 1990 constitua la plus grande « fracture radicale » depuis 1948, et impliquait les principaux éléments ci-après : les « Health Authorities » (Autorités sanitaires) doivent surtout devenir des organes de planification et d’organisation de la sous-traitance ;

les médecins généralistes peuvent élire les « gestionnaires de budget » et traiter avec les hôpitaux pour les soins de seconde ligne ; un nouveau contrat fut établi pour les médecins généralistes leur allouant une plus grande responsabilité en matière de dépenses de médicaments (budgets indicatifs) et des paiements incitatifs pour certaines procédures telles que le screening des patients plus âgés ;

les trusts d’hôpitaux et d’ambulances doivent devenir des sociétés semi-indépendantes et rechercher du travail contractuel auprès des autorités sanitaires et des médecins généralistes, gestionnaires de budget ;

création d’un exécutif NHS qui détournerait la responsabilité de la planification nationale de santé des politiciens vers le Ministère de la Santé, oeuvrant à travers ses antennes régionales ;

la responsabilité des soins résidentiels et à domicile des personnes âgées doit être assumée par les autorités locales.

Etant donné que, délibérément, ces changements radicaux ne furent jamais évalués, il est difficile de savoir avec certitude quels effets ils ont exercés (OMS Europe 1999). Un grand nombre de commentateurs, mais pas tous, pourrait s’accorder sur ce qui suit :

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il est probable que les améliorations globales des performances, par exemple la réduction des listes d’attente, fussent davantage dues à un financement accru au cours des premières années des réformes, et à des mesures spécifiques telles que la « Waiting List Initiative » (Initiative de la liste d’attente), qu’aux réformes ellesmêmes ;

les généralistes, gestionnaires de budget ont acquis quelques avantages pour leurs patients, mais apparemment au détriment de ceux dont le médecin généraliste n’est pas gestionnaire de budget ;

en pratique, les réformes étaient moins radicales et décentralisées qu’elles ne le semblaient à première vue : la sous-traitance n’existait que dans certaines limites, les politiciens n’ont pas cédé le contrôle à l’Exécutif NHS, et les hôpitaux préféraient servir leur communauté locale plutôt que s’ouvrir au marché. A droite, ceci est considéré comme une raison à l’échec, tandis qu’à gauche, c’est perçu comme une limitation des effets négatifs potentiels (par exemple la fermeture massive des hôpitaux) ; le système de contrats annuels a fortement augmenté la bureaucratie sans qu’il en résulte des bénéfices évidents et avérés ; les réformes organisationnelles ne peuvent atteindre qu’un résultat limité lorsque le niveau des dépenses NHS reste faible par rapport aux normes internationales et que les innovations médicales et le nombre croissant de personnes âgées font peser sur le système de santé des demandes accrues. Le système hospitalier opérait avec peu de capacités de réserve et était particulièrement mis sous pression durant les mois d’hiver ;

le système de soins de la communauté a entraîné une lutte de compétences entre les autorités sanitaires et les pouvoirs locaux, au cours de laquelle les premières souhaitaient se décharger des patients et les envoyer à « l’aide sociale » pour réaliser des économies, les derniers répugnant à voir augmenter les frais en assumant une responsabilité pour ces patients.

Il va de soi que ceci constitue une évaluation sélective : pour de plus amples détails, veuillez voir Le Grand et al (1998). Au cours des derniers jours du gouvernement conservateur, la politique a glissé de l’expérience de marché - la gestion de budget par les médecins généralistes - à un effort concerté de « conventionnement » des généralistes, désormais noyau d’un nouveau système de « NHS de première ligne », afin de résoudre la tension née de la compétition entre les autorités sanitaires et les médecins généralistes, en favorisant d’ailleurs ces derniers. Ceci s’est concrétisé avec la promulgation de la « Primary Care Act » (Loi sur les soins de première ligne) de 1997, qui obtint le soutien du Parti travailliste parce que celui-ci souhaitait que la prise de décision réside entre les 908


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mains du « personnel de première ligne » (et, ce faisant, le rendre collectivement responsable). Cette loi visait à instaurer de nouvelles structures locales dans lesquelles les médecins généralistes pouvaient se regrouper en collectifs en vue de planifier la sous-traitance des soins de première ligne, de deuxième ligne et les soins communautaires. Dans un premier stade, ceci se déroulerait sous les auspices des autorités sanitaires par le biais de “Primary Care Groups » (Groupes de soins de première ligne), tandis que, dans un deuxième stade, les soins de santé seraient sous-traités par des « Primary Care Trusts » (Trusts de soins de première ligne) locaux plus vastes. Ceux-ci reprendraient effectivement le rôle d’attribution de contrats des autorités sanitaires, fonction qui serait ensuite largement réduite à un rôle de supervision.

2.

NEW LABOUR ET LE NHS : DE VIEUX HABITS AVEC DE NOUVEAUX BOUTONS ? Lorsque les travaillistes sont arrivés au pouvoir en 1997, le Parti s’était juré de supprimer le marché intérieur et, surtout, le système des généralistes gestionnaires de budget qu’il considérait comme particulièrement inéquitable. Il chercha également à faire de la lutte contre les inégalités en matière de soins de santé une priorité politique, après quasiment deux décennies durant lesquelles cette réalité avait à peine été reconnue. Dans l’espace limité qui m’est disponible ici, j’identifierai les principales mesures et fournirai un commentaire critique sur les états de services du gouvernement. Les trois principaux livres blancs de la politique du New Labour sont :

1997 The New NHS : Modern . Dependable (le nouveau NHS : Moderne . Fiable) ;

1999 Saving Lives : Our Healthier Nation (Sauver des vies : notre nation plus saine) ;

2000 The NHS Plan (le plan NHS) ;

Le “White Paper” (Livre blanc) de 1997 a aboli le système de contrats annuels pour le remplacer par des accords de trois ans. Comme nous l’avons déjà mentionné ci-dessus, le glissement vers un NHS avec les médecins généralistes en première ligne fut poursuivi et, en avril 2002, des “Primary Care Trusts » (Trusts de soins de première ligne) ont été initiés sur la base d’une implantation locale. Personne ne sait dans quelle mesure les généralistes s’adapteront à leur rôle accru en matière de planification, alors que, traditionnellement, ils ont eu tendance à ne pas regarder plus loin que la porte de leur cabinet. Les compétences et responsabilités des régions et des autorités sanitaires sont en voie d’être adaptées en conséquence. Quelqu’un de cynique pourrait faire valoir l’argument qu’abolir totalement le système de gestion de budget des médecins généralistes 909


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n’est pas réalisable. Finalement, on a tenté de l’incorporer dans le système des soins de première ligne en tant qu’ensemble. En l’absence du marché intérieur, le gouvernement a introduit d’autres sanctions en matière de performances, parmi lesquelles deux méritent d’être signalées. La « Modernisation Agency » (Agence de modernisation) fixe les normes de bonne pratique tandis que la « Commission for Health Improvement » (Commission pour l’amélioration de la santé) constitue un corps d’inspection qui évalue les hôpitaux et les trusts selon un certain nombre de critères. Les institutions qui obtiennent des scores médiocres se verront accorder des opportunités d’amélioration, et seront, en fin de compte, confrontées à une intervention extérieure. Le « National Institute for Clinical Excellence » (NICE), malgré l’euphémisme de son titre, est essentiellement un mécanisme de rationnement qui évalue de nouveaux produits pharmaceutiques afin de voir si l’autorisation de leur prescription est bénéfique (les conservateurs avaient établi une liste officielle en 1986). Le premier jugement de cet organisme a été de rejeter l’agréation du médicament antigrippe Relenza. Ultérieurement, il approuva la prescription du Viagra, mais uniquement dans les cas d’impuissance masculine. Il est évident que le fait de se démarquer du marché intérieur a accru les tendances à la centralisation ainsi que l’effritement de l’autonomie des médecins. Dans l’ensemble, le gouvernement n’a pas autorisé le consumérisme en partie d’une part d’une philosophie antimarché et, d’autre part de son souhait de renforcer certains aspects de l’autorité professionnelle, particulièrement le rôle de portier (« gatekeeper ») afin de restreindre les aspirations des usagers à des prestations à prix fixes. Ainsi, la réécriture de la « Charte des Patients » des conservateurs souligne les responsabilités ainsi que les droits des patients. En outre, le NHS Direct (centre d’appel téléphonique) et, dans les centres urbains, les “Walk-In Centres” offrent conseils et aide pour les maladies bénignes, tous deux fonctionnant avec des infirmières plutôt qu’avec des médecins. Bref, des mesures populistes visant à augmenter l’accessibilité ; qui ont, par ailleurs, suscité de vives inquiétudes dans les cercles médicaux. L’approche centralisatrice a également été appliquée à la santé publique, un domaine négligé jusqu’au « White Paper » de 1992 (« Health of the Nation » - santé de la nation) du gouvernement conservateur précédent, lequel n’était pas parvenu à résoudre les inégalités en matière de santé. Le gouvernement reconnaît et lutte contre ces disparités mais, contrairement au « Black Report » (Rapport sur les points noirs) et à d’autres analyses de gauche (p. ex. Wilkinson 1996), il ne voit pas la nécessité de répondre aux inégalités en tant que telles. Tony Blair a fait clairement entendre qu’il les accepte et qu’il tient uniquement à limiter l’inégalité des chances et à élever le seuil de prospérité jusqu’à un niveau acceptable par des mesures politiques comme son salaire minimum légal. Les inégalités ont été essentiellement combattues par une approche régionale, des “Health Action Zones” (zones d’action sanitaire). Celles-ci cherchent à encourager l’intervention conjointe des agences sanitaires gouvernementales et locales en vue de promouvoir une amélioration des prestations et des changements pour un mode de vie sain parmi les populations défavorisées. Au 910


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niveau local, les autorités sanitaires et les mandataires locaux doivent produire ensemble des « Health Improvement Plans » (HImP) (Plans d’amélioration de la santé) visant à améliorer localement la santé, en mettant surtout l’accent sur la lutte contre les inégalités Certains critiques ont fait valoir que ce type d’approche régionale ignore les causes structurelles de la mauvaise santé et renvoient à l’échec du gouvernement central qui s’est trouvé incapable de trouver une solution au haut niveau de pauvreté au Royaume-Uni, qui est des plus élevés de l’UE. Les « National Service Frameworks » (Cadres nationaux pour les prestations de services) constituent une retombée importante du Livre blanc « Saving Lives » (Sauver des vies). Dans des domaines tels que la maladie mentale, les troubles cardiaques et le cancer, ses lignes de conduite imposent des modèles de meilleures pratiques et des normes nationales détaillées pour les prestations de services. On peut dire que ces cadres produisent des normes identifiables de qualité et décrivent des domaines de meilleures pratiques, afin que chacun puisse en profiter. Le gouvernement a également engagé des « grosses pointures » dans les domaines des maladies cardiaques, du cancer et de la toxicomanie afin d’améliorer les résultats sur un plan national. Ceci peut être considéré comme un des volets de l’effort concerté de centralisation visant à éroder l’autonomie médicale. Le problème du financement ne sera pas résolu. Le gouvernement a donc mis en oeuvre une quantité considérable d’efforts et de travail depuis 1997, ciblant principalement des questions d’organisation, et se persuadant que définir des normes, des objectifs, créer de nouvelles structures et engager des initiatives de tous ordres étaient une manière d’aller de l’avant. Certains ont même qualifié cette attitude de nouvelle maladie gouvernementale, l’« initiativite ». Ceci laisse également entrevoir de grandes similitudes avec l’ère Thatcher, en ce sens que, jusqu’à la veille des élections générales de 2000, le gouvernement s’en est tenu aux plans stricts de dépenses en matière de soins de santé des conservateurs qui l’avaient précédé. Par ailleurs, il a cherché à financer de nouveaux axes via la « Private Finance Initiative » (PFI) (Initiative de financement privé) très controversée. Cette mesure sous-entend des partenariats entre public et privé, imaginés pour la première fois par le gouvernement conservateur en 1992. Cette opération consiste à mettre un capital pour de nouveaux projets – par exemple, des hôpitaux – à la disposition du secteur public, qui ensuite - pendant une période de 20 à 30 ans – en facture la location au Trésor public. Des voix se sont élevées pour demander si le gouvernement en aura pour son argent et s’il est moral de reporter le coût d’une infrastructure hospitalière sur la génération suivante. Les hôpitaux PFI disposaient typiquement de moins de lits, ce qui, souvent, n’a pas manqué d’occasionner rationalisation et fermeture. Sur le plan local, ces infrastructures ont souvent fait l’objet de débats et illustrent le problème du déficit démocratique en matière de soins et de santé. Les décisions sont prises par le Ministre de la Santé à Londres. A Coventry, la population locale voulait un hôpital au centre de la ville, mais, en lieu et place, le nouvel hôpital sera construit à la périphérie de la ville. A Kidderminster, l’hôpital 911


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accueillant les urgences fut même fermé lorsque les services furent transférés dans des bâtiments sur la route menant à Worcester. Les habitants étaient tellement mécontents que, lors des élections générales, ils éjectèrent le membre du parlement du Labour et élurent un candidat de la liste « Save Kidderminster Hospital » (Sauvez l’hôpital de Kiddenminster). Ce n’est que, depuis 1999, que le gouvernement travailliste accorde des ressources supplémentaires au NHS et ce, jusqu’en 2003 (ce qui se produira après cette date, n’est pas clair). Ceci faisait partie d’un effort concerté visant à oeuvrer encore plus en faveur d’une efficacité organisationnelle, (voir le livre blanc « The NHS Plan »). Avant la crise du 11 septembre, Tony Blair avait annoncé que l’amélioration des soins de santé et des services publics était l’une de ses priorités centrales. Il déclare à présent avoir consacré suffisamment de ressources aux soins de santé et que c’est une question de meilleures prestations du personnel médical. Dans le cadre de ces efforts, son gouvernement a mis fin à la guerre avec le secteur privé qui faisait rage depuis les années 1970 et signé un Concordat historique par lequel il s’engage à travailler en partenariat. Etant donné qu’il n’existe que très peu de capacités de réserve dans le secteur public, le gouvernement pense que ce n’est qu’à la veille des prochaines élections, en 2005, qu’il pourra accroître les activités en sous-traitant la chirurgie non urgente. Tony Blair proclame que, de toutes façons, cela ne compromet pas les principes au cœur du NHS. Le public observe tout cela avec réalisme, sans idéologie. La retraitée qui attend d’être opérée des hanches ne se plaindra sûrement pas si elle obtient d’être opérée comme patiente NHS via des capacités de réserve dans le secteur privé. Il est inutile de dire que ceci est une question controversée pour un parti qui, par tradition, s’entremettait pour le secteur public, et qui depuis s’est brouillé avec les syndicats du secteur public. Toutefois, les événements qui se sont déroulés depuis le 11 septembre ont au moins, pour le moment, tempéré la polémique sur ces fronts. L’une des questions centrales de la politique qui n’a pas été abordée est peut-être celle du financement des soins de longue durée. Comme nous l’avons déjà vu ci-dessus, le NHS de 1990 et la « Community Care Act » ont créé une distinction artificielle entre les « soins de santé » gratuits dans le cadre du NHS, et les « soins sociaux » relevant de la responsabilité des pouvoirs locaux et pouvant être portés en compte. La « Royal Commission on Long Term Care » (Commission royale sur les soins de longue durée) de 1998 tablait sur un argument : l’élément soins devait être gratuit dans les deux cas, mais des éléments tels que le logement devaient faire l’objet d’un contrôle des moyens d’existence. Certains critiques prétendent que le glissement vers les « Primary Care Trusts » entraînera, après 2002 pour les patients NHS, le payement de certaines de ces prestations de services, alors que, dans le passé, ces mêmes soins leur étaient accordés tout à fait gratuitement (Pollock 2001). Tout ce que nous pouvons dire à ce stade, c’est que, depuis avril 2000, le glissement vers les 912


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Trusts crée un niveau d’incertitude sur la mise à disposition future des soins de santé et des soins sociaux temporaires, encore aggravée par les pressions sur le financement. Dans d’autres pays, p. ex. en Allemagne et en France, ce problème a été résolu à la source en opérant des glissements vers des assurances de soins de longue durée.

3.

CONCLUSION : LA POLITIQUE NORMALE SERA REPRISE AUSSITOT QUE POSSIBLE... Finalement, la politique en reviendra aux questions domestiques et le problème des ressources du NHS remontera à la surface comme point central. Le gouvernement Blair semble affirmer au peuple britannique qu’il peut avoir des prestations de santé de haute qualité sans avoir à payer pour cela beaucoup plus. Blair semble croire que défendre des hausses d’impôts s’apparente à un suicide politique. Pourtant, il y a des limites à ce que peuvent atteindre les « initiatives » de quelque nature qu’elles soient, quelque innovatrices et prometteuses un grand nombre d’entre elles puisse être. Le véritable choix politique consiste à savoir si nous nous dirigeons vers un modèle de marché américain ou vers un modèle social européen. Actuellement, la Grande-Bretagne balance inconfortablement entre les deux. Aux Etats-Unis, la part de revenu national des dépenses publiques est d’environ 30%, au Royaume-Uni d’à peu près 40% et en Europe continentale, elle se situe souvent aux alentours de 50%. Nous ne pouvons avoir les niveaux européens de prestations de services avec les niveaux d’imposition britanniques ou des niveaux d’imposition américains avec les niveaux des prestations de services britanniques (Dilnot 2001). Le gouvernement a l’intention d’augmenter d’ici 2006 la part affectée aux soins de santé jusqu’à atteindre environ 8%, ce qui, déclare-t-il, représente la moyenne européenne. Les économistes de la santé suggèrent toutefois que la moyenne des dépenses européennes est supérieure à 9% du PIB, et que ce chiffre serait encore plus élevé si l’on s’alignait sur la norme des pays Nord-européens plus riches (Towse et Sussex 2000, Appleby et Boyle 2000). Vus sous cet angle, les projets du gouvernement sont extrêmement pusillanimes. Si nous ajoutons à ceci la nécessité de financer les soins de longue durée, afin de soulager dans un sens la pression subie par les services de santé, et la nécessité d’adopter des mesures sociales pour lutter contre la pauvreté pour la soulager dans l’autre, les dépenses publiques devront à l’évidence être augmentées de manière substantielle. Ce type de démarche est-il politiquement réalisable ? Lors des dernières élections générales, les projets des conservateurs visant à opérer des coupes sombres dans les dépenses publiques et à isoler la Grande-Bretagne du courant dominant en Europe ont été clairement rejetés. Ceci rend possible un optimisme prudent puisque le public britannique a tiré les enseignements des années Thatcher et a pris conscien913


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ce qu’il est possible « d’avoir le beurre et l’argent du beurre » – mais uniquement si l’on est disposé à payer pour cela ! Le danger d’une intervention trop peu énergique réside dans l’incapacité du secteur public de répondre aux impossibles demandes qui lui seront faites, ce qui mènerait tout droit à une réactivation de l’agenda radical de droite de privatisation de l’ensemble du secteur. (Traduction) __________

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BIBLIOGRAPHIE Appleby, J. et Boyle, S., Blair’s Billions: Where Will He Find the Money for the NHS?, British Medical Journal, 320, pp. 865-867, 2000. Braveman, P., Starfield, B. et Geiger, H. J., World Health Report 2000: How It Removes Equity from the Agenda for Public Health Monitoring and Policy in British Medical Journal, 323, pp. 678-681, 2001. Baggott, R., Health and Health Care in Britain, Londres, Macmillan, deuxième édition, 1998. Dilnot, A., Our Unequal Society in The Guardian, 2 Juin, 2001. Klein, R., The New Politics of the NHS, Londres, Longman, troisième édition, 1996. Payer, L., Medicine and Culture, Londres, Gollancz, 1989. Pollock., A., Will Primary Care Trusts Lead to US-Style Health Care?, British Medical Journal, 322, pp. 964-967, 2001. Townsend, P., Davidson, N. et Whitehead, M., Inequalities in Health: The Black Report. The Health Divide, Penguin, Harmondsworth, 1992. Towse, A. et Sussex, J., Getting UK Health Care Expenditure up to the European Union Mean – What Does That Mean? in British Medical Journal, 320, pp. 640-642, 2000. Tudor Hart, J., The Inverse Care Law in The Lancet, 27 février, pp. 405-412, 1971. OMS Europe, Health Care Systems in Transition: United Kingdom, Copenhague, European Observatory on Health Care Systems, 1999. Wilkinson, R., Unhealthy Societies, Londres, Routledge, 1996. __________

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ANNEXE : LE NHS BRITANNIQUE : UNE BREVE CHRONOLOGIE 1 L’ère social-démocrate Précurseurs : (sous un angle de vue rétrospectif): 1911 National Insurance Act (Loi sur l’assurance nationale) – Système de panel pour médecins généralistes 1940 Emergency Medical Service (Services médicaux d’urgence) 1945 Election du gouvernement travailliste d’après-guerre 1946 National Health Service Act (Loi sur les services nationaux de santé) 1948 Etablissement du NHS 1957 Commission Guillebaud 1962 Plan sur les hôpitaux 1974 Réorganisation du NHS – apothéose de la planification 1976 Resources Allocation Working Party – système d’affectation des ressources 1980 Publication du « Black Report » sur les inégalités en matière de santé L’ère néolibérale 1979 Election du gouvernement conservateur de Thatcher 1979 Abolition du niveau régional 1983 Introduction de la gestion générale et obligation de procéder à des appels d’offres concurrentielles 1990 Le NHS et la Loi sur les soins de la communauté – la cassure radicale ? 1992 Initiative du financement privé et Livre blanc “La santé de la Nation” 1997 Loi sur les soins de première ligne Une troisième voie ? 1997 Livre blanc – Le NHS : Moderne . Fiable 1999 Livre blanc – Sauver des vies : notre nation plus saine Our Healthier Nation 2000 Livre blanc – Le Plan NHS __________ 916


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Commentaire : Cette chronologie a pour objectif de montrer les liens qui existent entre glissements politiques/idéologiques et les réformes programmatiques, par opposition aux changements progressifs (réformes à l’intérieur d’une voie et celles empruntant une voie radicalement différente). Les arguments clés sont : Rétrospectivement, le National Insurance Act de 1911 qui a créé le système de panel pour les médecins généralistes et l’Emergency Medical Service de 1939 qui prépara le système à la guerre, sont considérés comme les précurseurs de l’ère social-démocrate. Toutefois, ceci ne signifie pas pour autant que ces textes poursuivissent ce but ni même qu’ils fussent des étapes incontournables sur cette voie. Ils ont plutôt facilité un mouvement ultérieur dans cette direction.

La chronologie montre que la création du NHS a eu lieu très rapidement après que les élections ont porté au pouvoir un gouvernement travailliste. La principale réforme du gouvernement conservateur fut cependant reportée de 1979 à 1990. Toutefois, comme l’indiquent les italiques, les réformes progressives des années 1980 étaient des actes intentionnels, bien qu’hésitants, en direction d’une autre voie. Les réformes de 1990 en tant que telles n’ont pas fondamentalement déstabilisé les soins de santé organisés selon un modèle social-démocrate.

Mon argument suggère de manière quelque peu controversable que nous n’avons pas emprunté une autre, troisième, voie après l’élection du New Labour en 1997. Dans les grandes lignes, nous sommes plutôt restés – hormis quelques petites variantes - sur la même piste, qui nous mène dans une direction néolibérale (bien qu’il reste encore beaucoup de chemin à accomplir). Certains aspects du programme socialiste ont développé une voie social-démocrate, mais il existe peut-être des éléments déstabilisateurs qui accélèrent le mouvement dans une direction néolibérale. Il est encore toujours possible de conserver et de développer la tradition socialdémocrate mais, à cet égard, il faut qu’il y ait des glissements politiques, que l’on s’attaque au « déficit démocratique » et que l’on s’engage à libérer plus de moyens et à les garantir. ____________

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TABLE DES MATIERES LE SERVICE NATIONAL DE SANTE BRITANNIQUE : APERCU POLITIQUE ET HISTORIQUE INTRODUCTION : PLIE, MAIS NE ROMPT PAS MALGRE DES PRESSIONS CONSIDERABLES 1. PRIMO, UN BRIN D’HISTOIRE ET DE POLITIQUE ...

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1.1. LA POLITIQUE A L’ORIGINE DE LA CREATION DU NHS : FINANCEMENT ET ORGANISATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2. LA POLITIQUE DU DEVELOPPEMENT DU NHS DE 1948 A 1979 – UN APERCU BREF ET PARTISAN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3. LA POLITIQUE DES SOINS DE SANTE SOUS L’ERE CONSERVATRICE 1979-87 . . . .

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2. NEW LABOUR ET LE NHS : DE VIEUX HABITS AVEC DE NOUVEAUX BOUTONS ?

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3. CONCLUSION : LA POLITIQUE NORMALE SERA REPRISE AUSSITOT QUE POSSIBLE…..

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BIBLIOGRAPHIE

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ANNEXE

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LA CONVERGENCE EUROPEENNE CONFRONTEE AUX DISPARITES NATIONALES. LES DISPARITES EN MATIERE DE PRESTATIONS DANS LES PAYS DE L’INION EUROPEENNE * PAR MARIE-FRANCE LAROQUE AISS. Bureau régional pour l’Europe

Vu de loin les systèmes européens semblent proches, et ce n’est pas pour rien que l’on parle de modèle social européen. Cependant s’ils étaient réellement proches leur harmonisation n’aurait pas ce caractère un peu utopique que nous lui connaissons et nous n’aurions pas eu besoin de ces complexes règles de coordination qui assurent des passerelles entre les divers régimes de l’UE pour les travailleurs migrants et la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. En réalité si les divers régimes obéissent à des principes fondamentaux proches, ils se sont constitués dans des cadres de référence différents. Les évolutions qu’ils ont connues ont un peu brouillé les différences d’origine et même si l’on peut apercevoir des convergences, on ne peut encore parler d’uniformisation.

1.

LES DEUX SYSTEMES DE REFERENCE D’ORIGINE Les régimes de protection sociale ont à l’origine été inspirés par deux courants de pensée qu’ont incarnés deux hommes : le chancelier Bismarck en Allemagne et Lord Beveridge au Royaume-Uni. Ce n’est pas seulement la personnalité et le parcours de vie différents de ces deux hommes qui expliquent des choix différents dans les systèmes mis en place, mais aussi des contextes nationaux et historiques différents. L’Allemagne, au milieu du XIXe siècle connaît un développement marqué des mouvements socialistes parmi les travailleurs. C’est aussi à ce moment qu’émerge la notion d’Etat au sens moderne du terme avec la construction de l’Allemagne. La politique du Chancelier Bismarck est la répression classique mais aussi la mise en place d’un système d’assurances sociales obligatoires généralisées pour tous les travailleurs avec l’idée ainsi de couper court aux revendications sociales. Les assurances sociales seront gérées selon le principe du paritarisme afin d’ “occuper” les syndicalistes et les empêcher de développer des luttes revendicatives; l’Etat a la mission de “promouvoir positivement, par des institutions appropriées et en uti-

* Allocution prononcée lors du colloque ‘‘La protection sociale en Europe : Mythes et Réalités, de l’Institut européen des juristes en droit social (IES) qui s’est tenu à Paris les 30 novembre et 1er décembre 2001.

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lisant les moyens de la collectivité dont il dispose, le bien-être de tous ses membres et notamment des faibles et des nécessiteux” (message au Reichstag novembre 1881). Le régime créé repose sur 3 lois fondamentales : l’une pour l’assurance maladie (1883), la seconde pour l’assurance accident du travail (1884), la dernière pour l’assurance invalidité et vieillesse (1889). L’assurance sociale a pour rôle essentiel de compenser la perte de salaire quand le travailleur n’est plus, temporairement ou définitivement, en mesure de gagner sa vie et celle de sa famille. Le droit à la protection sociale est lié à l’existence d’un salaire, les travailleurs indépendants et ceux qui n’ont pas d’activité professionnelle ne sont pas couverts. Il est financé par les cotisations, proportionnelles au salaire et versées par les employeurs et les travailleurs à part égale. Les prestations sont proportionnelles à cet effort contributif. Le salarié ouvre des droits à sa famille. Mais, les assurances sociales ne concernent que les salariés et leurs familles. Enfin on fait une distinction très nette entre l’assurance sociale et l’assistance sociale financée par l’impôt. Ce modèle sera repris pour mettre en place des régimes d’assurances sociales dans d’autres pays européens. La révolution soviétique conduira à mettre en œuvre des mécanismes de protection sociale très différents en Union soviétique. La crise de 1929, le New Deal et le Welfare State de Roosevelt vont conduire aux Etats-Unis au Social Security Act (1935).

Il faut attendre 1942 et la publication du rapport de la commission chargée d’examiner le système anglais, présidée par Lord Beveridge, en plein cœur de la seconde guerre mondiale, pour voir se mettre en place les fondements du deuxième grand système de protection sociale.

L’influence de Roosevelt et de Keynes est patente, la primauté du plein emploi apparaît comme un élément-clé pour comprendre la logique de Beveridge. L’objectif est d’éliminer l’indigence, Beveridge se replaçant ainsi dans la tradition des lois anglaises sur les pauvres, antérieures à la révolution industrielle. Au nom de la dignité de l’homme, il refuse le principe des prestations soumises à conditions de ressources. Le rapport critique le système anglais existant sur plusieurs points : couverture insuffisante tant pour les personnes concernées que pour les risques, l’organisation complexe… Les principes qui sous-tendent le régime à mettre en place selon Beveridge sont les suivants: éliminer automatiquement la pauvreté en garantissant des prestations forfaitaires de base sans même avoir à faire la preuve qu’il existe une indigence, couvrir toute la population, quand un risque se réalise verser une prestation forfaitaire, indépendante du revenu professionnel, identique quel que soit le risque, financer le système par des cotisations forfaitaires.

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LA CONVERGENCE EUROPEENNE CONFRONTEE AUX DISPARITES NATIONALES ...

Le régime créé apporte une protection uniforme à toute la population en associant une assurance nationale pour les substituts de revenu professionnel, la responsabilité directe de la collectivité nationale pour les prestations familiales et les services médicaux avec un financement fiscalisé, un service public unifié. Le modèle bismarckien a été adopté avant ou pendant la 2e guerre mondiale par la plupart des pays européens y compris le Royaume-Uni pour le chômage, la maladie et l’invalidité mais pas la retraite. Le rapport Beveridge marquera la France, la Belgique, les Pays-Bas et les pays scandinaves encore plus fortement. Aujourd’hui encore l’empreinte de ces deux systèmes de référence demeure, même si elle a souvent été altérée. Elle semble expliquer en partie les réticences actuelles à modifier certains éléments considérés comme fondamentaux.

2.

LA PRISE EN CHARGE DE SOINS DE SANTE

2.1.

DEUX APPROCHES: L’ASSURANCE MALADIE ET LE SERVICE NATIONAL DE SANTE L’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Luxembourg, la Grèce ont un système d’assurance maladie. Les principes en sont les suivants : – une protection catégorielle, souvent généralisée à l’ensemble de la population mais il peut encore exister des exclusions (hauts revenus en Allemagne, petits emplois en Espagne, Autriche) ; – un financement en principe par des cotisations ; – une gestion par les partenaires sociaux. Le service national de santé a été mis en place au Royaume-Uni, en Irlande, en Italie, en Espagne, au Portugal, au Danemark, en Suède. Il obéit aux principes suivants : – une protection universelle étendue à tous les résidents ; – des services médicaux le plus souvent publics et financés par des ressources fiscales ; – pas de dépenses pour l’assuré mais le libre choix du médecin ou de l’établissement de soins plus ou moins restreint. Les Pays-Bas où se côtoient assurance maladie pour les dépenses courantes et système universel pour les dépenses médicales exceptionnelles et la Finlande où coexistent un service public et des services privés complémentaires avec mécanismes d’assurance maladie constituent deux exemples de systèmes mixtes de prise en charge des soins de santé.

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2.2.

LES DIFFERENCES Le remboursement des soins ambulatoires (Belgique, Luxembourg) après avance des frais par l’assuré ou l’octroi direct des prestations en nature par des prestataires conventionnés avec les caisses d’assurance maladie (Allemagne, Autriche, Danemark, Pays-Bas). Le choix du médecin: libre sans restriction (Belgique, Luxembourg, Royaume-Uni, Finlande pour les médecins privés), libre mais avec inscription (Pays-Bas) ou parmi les médecins conventionnés ou du service public (Allemagne, Autriche, Italie, Portugal, Suède), sous certaines conditions (Espagne), selon la catégorie d’assuré (Irlande, Danemark), inexistant (Grèce). L’accès aux spécialistes : libre, éventuellement limité aux médecins conventionnés (Belgique, Allemagne, Suède, Portugal, Luxembourg, Norvège, Portugal ) ou obligatoirement prescrit par le généraliste “gate keeper” (Irlande, Italie, Pays-Bas, Autriche, Finlande, Royaume-Uni), au Danemark selon la catégorie d’assuré. Le paiement du médecin: l’assuré paie des honoraires que lui rembourse sa caisse sur la base des tarifs conventionnés (Belgique, Luxembourg), l’assuré paie une participation (Suède, Norvège), l’assuré ne paie rien et le médecin est rémunéré par la caisse ou le service national de santé (Danemark, Allemagne, Espagne, Italie, PaysBas, Royaume-Uni). La participation du patient: nulle (Grèce, Royaume-Uni), variable selon catégorie d’assuré (Danemark, Irlande), selon type de soins (Suède), selon type d’établissements.

2.3.

LES PRINCIPALES EVOLUTIONS Le contexte dans les pays européens est sensiblement identique et se caractérise notamment par un accroissement des coûts de prise en charge des soins de santé; des influences réciproques jouent dans le domaine des techniques de gestion et de financement. Il n’est donc pas surprenant qu’apparaisse une tendance à une certaine convergence. Le passage de l’assurance maladie au service national de santé : Tous les pays du sud de l’Europe se sont dotés au cours des années 80 et 90 de services nationaux de santé et ont renoncé à l’assurance maladie.

L’accroissement de la participation des assurés dans les systèmes d’assurance maladie : Il s’agit là d’une tendance générale; elle repose sur la volonté de maîtriser les dépenses de santé. Plusieurs moyens sont utilisés : prestations non remboursées, tickets modérateurs instaurés ou augmentés, relèvement des cotisations des assurés.

L’émergence de la concurrence restreinte: une (double) piste d’avenir en Europe?: L’Allemagne et les Pays-Bas, étaient des pays où existaient, jusqu’à la fin des années 80, des régimes d’assurance maladie de type bismarckien avec segmentation professionnelle et concurrence entre assureurs limitée aux assurés à hauts revenus.

922


LA CONVERGENCE EUROPEENNE CONFRONTEE AUX DISPARITES NATIONALES ...

Aux Pays-Bas tous les résidents étaient couverts pour les risques lourds, l’assurance était obligatoire; mais concernant les soins courants, les assurés à hauts revenus (30% de la population) bénéficiaient d’une assurance facultative auprès des compagnies privées. En Allemagne, les assurés, dont les revenus étaient inférieurs au plafond, étaient affiliés à une caisse publique professionnelle ou, à défaut, à une caisse locale publique ; ceux dont les revenus dépassaient le plafond étaient affiliés soit dans les caisses publiques soit auprès d’assureurs privés mais dans ce cas le retour dans le secteur public leur était interdit ; moins de 10% relevaient de l’assurance privée, il n’existait pas de péréquation financière entre caisses. Les réformes ont eu pour but d’étendre la concurrence à toute la population. Mais il s’agit d’une concurrence un peu théorique car les règles cadres aboutissent à des primes peu différenciées aux Pays-Bas et ont peu d’effets sur les dépenses et sur la qualité des soins Au Royaume-Uni la centralisation du National Health Service et la détermination ex-ante du budget ont empêché une dérive des dépenses de santé mais ont abouti à un certain rationnement des soins. Les réformes des années 80 ont favorisé l’émergence de mécanismes concurrentiels par une responsabilisation accrue des cabinets médicaux et des hôpitaux, un renforcement du rôle du “gate keeper” du généraliste pour l’accès à l’hôpital et aux spécialistes, le généraliste négociant la prise en charge de ses patients avec les prestataires de second recours. Ces voies originales sont loin d’avoir résolu tous les problèmes, elles ont cependant amené une amélioration de la qualité des soins mais aussi une hausse des dépenses, notamment pour les prescriptions pharmaceutiques.

3.

LA RETRAITE

3.1.

LES DEUX UNIVERS Dans les régimes d’assurance bismarckiens, tels qu’on les observe en Belgique, en Allemagne, en Autriche, au Luxembourg, en Italie, en Espagne, en Grèce, les éléments clés sont : – la condition d’activité professionnelle,professionnelle ; – le droit à pension ouvert avec une certaine durée d’assurance, le montant de la pension proportionnel à la durée d’assurance et au salaire antérieur ; – un financement par les cotisations; – une gestion par les partenaires sociaux ; – pas nécessairement de minimum garanti ; – les régimes de base assurant un taux de remplacement élevé, les régimes complémentaires sont peu développés.

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REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

Dans les régimes universels, qui caractérisent la Suède, le Danemark, les Pays-Bas, la Finlande, le Royaume-Uni, l’Irlande, les points de référence sont : – une condition de résidence ; – un montant forfaitaire fonction du nombre d’années de résidence (Danemark, Finlande) ou de versement de cotisations (Pays-Bas, Irlande, Royaume-Uni) ; – un financement par l’impôt ou des cotisations forfaitaires ; – une gestion publique ; – à titre de complément, des régimes professionnels en répartition, obligatoires ou facultatifs, gérés par les partenaires sociaux dans le cadre d’accords professionnels (Pays-Bas, Danemark, Finlande) ou gérés par l’Etat ou des compagnies d’assurance privées (Royaume-Uni SERPS).

3.2.

LES DIFFERENCES Si les régimes d’assurance obéissent aux mêmes principes, les modalités selon lesquelles ils sont mis en œuvre diffèrent considérablement d’un régime à l’autre. On peut citer notamment : – l’existence d’une pension minimum garantie mais avec des déterminants très variables ; – la durée d’assurance pour bénéficier d’une pension complète ; – l’âge du départ en retraite, en général autour de 65 ans, mais les conditions pour bénéficier d’une pension anticipée sont très variables d’un pays à l’autre ; – les éléments de calcul de la pension (taux, salaire de référence, durée de cotisation) ; – les différents types de périodes prises en compte ; – les majorations ; – l’indexation est toujours prévue mais à un rythme variable (annuel ou selon le rythme d’évolution d’un indice particulier), selon les prix ou les salaires ; – le cumul avec un salaire en général possible ; – le régime fiscal.

3.3.

EVOLUTION L’allongement de l’espérance de vie et la “rectangularisation” de la pyramide des âges, la chute de la fécondité, et le taux de dépendance caractérisent à peu près tous les pays d’Europe au début du XXIe siècle. Mais la situation de l’emploi différente génère des attitudes différentes sur l’âge de la retraite et l’incitation à différer la liquidation de sa retraite. Ainsi des pays comme les Pays-Bas, les pays scandinaves, le Royaume-Uni et le Portugal se sont déjà engagés dans des réformes incitant les travailleurs vieillissant à différer leur retraite, au contraire d’autres pays qui n’ont pas encore une situation satisfaisante sur le marché de l’emploi et continuent à favoriser les sorties anticipées du marché du travail.

924


LA CONVERGENCE EUROPEENNE CONFRONTEE AUX DISPARITES NATIONALES ...

3.3.1.

Vers des systèmes mixtes Dans les pays où prédominaient les régimes universels se créent ou se développent fortement des régimes professionnels complémentaires, souvent obligatoires, en capitalisation ou en répartition, pour améliorer le niveau du revenu de remplacement (Danemark, Royaume-Uni); en Suède on a abandonné le système universel pour un système basé sur des cotisations. Les régimes d’assurance introduisent, quand il sn’existaient pas, des minima garantis (Allemagne), ce qui est contraire au principe de proportionnalité entre l’effort contributif et la prestation, et voient leur financement se diversifier, d’autres sources que les cotisations assises sur les salaires étant recherchées.

3.3.2.

Le passage des régimes à prestations définies vers des régimes à cotisations notionnelles définies : une piste d’avenir ? On observe des tentatives pour construire des systèmes qui puissent s’autoréguler partiellement et faire partager équitablement la charge entre les actifs et les retraités (cf. les réformes en Suède et Italie). Ces tentatives se caractérisent par plusieurs éléments. On cherche à : rendre les régimes plus contributifs pour corriger les inéquités intragénérationnelles et à inciter à une carrière plus longue, notamment en rendant flexible l’âge de départ en retraite, l’arrêt ou la poursuite de l’activité ne dépendant plus que des choix personnels ; prendre en compte les gains d’espérance de vie, de sorte que ce soient les bénéficiaires de cet allongement qui en supportent le coût induit ; fixer les règles de revalorisation telles qu’elles permettent de partager les effets de la croissance ou au contraire de la récession ; fixer un taux de cotisation unique et stable sur une très longue période.

Dans les régimes à cotisations notionnelles définies, les règles d’acquisition des droits et de liquidation sont modifiées pour que le montant de la pension dépende de l’effort contributif total et de l’espérance de vie au moment de la liquidation. Le compte individuel, chaque année, est crédité virtuellement des cotisations versées, cette sorte de capital virtuel est revalorisé en fonction de la progression du salaire par tête (Suède) ou du PIB (Italie). Lors de la liquidation on affecte le capital d’un coefficient qui dépend de l’âge effectif de départ à la retraite et de l’espérance de vie à cet âge. Il s’agit d’une capitalisation virtuelle car c’est toujours un régime en répartition, il n’y a pas d’accumulation financière et la valeur de l’annuité ne dépend pas des performances des marchés financiers.

925


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 4e TRIMESTRE 2002

3.3.3.

L’adjonction d’éléments de retraite financés par capitalisation Ce complément, selon les pays, assure une part variable du revenu de remplacement. Il existe depuis longtemps au Royaume-Uni et représente une part non négligeable de la pension de retraite. Il a été introduit dans les réformes récentes en Allemagne, en Suède, en Italie.

3.3.4.

L’âge de la retraite Il se situe en général à 65 ans. En général il ne diminue pas mais il a parfois été relevé pour l’uniformiser, quand il n’était pas le même pour les hommes et les femmes (Royaume-Uni, Autriche, Grèce, Belgique). On a développé des formules de retraite flexible ou de pensions anticipées sous condition de durée d’assurance, pour des raisons sociales ou de santé.

4.

CONCLUSION Cet exposé est limité à deux aspects de la protection sociale, la prise en charge de soins de santé et la retraite. Il aurait été intéressant de passer en revue d’autres cas : l’assurance chômage et les politiques nationales qui, soit privilégient le retour sur le marché de l’emploi et l’employabilité des chômeurs, soit tentent de conserver un certain équilibre entre indemnisation et activation des dépenses de chômage ; la prise en charge des soins de longue durée ou de la dépendance pour laquelle l’Allemagne a créé une nouvelle branche des assurances sociales et le Luxembourg une prestation de sécurité sociale financée par la TVA, d’autres Etats s’efforçant de trouver des solutions en dehors de la sécurité sociale ; les accidents du travail qui, en Belgique et en Finlande notamment, tombent dans le champ de la libre prestation de service et doivent donc, selon le droit communautaire, pouvoir être assurés sur le marché avec le plein respect de la concurrence économique sous le contrôle de l’Etat; les autres pays européens en général les maintiennent dans le cadre classique de l’assurance sociale publique, cependant les Pays-Bas, ont supprimé l’indemnisation spécifique, ne distinguant plus selon l’origine de l’accident la réparation à apporter.

926

En Europe les conditions économiques et démographiques sont homogènes, mais les différences culturelles demeurent encore relativement significatives. Les premières rendent plus aisée une certaine convergence, sinon harmonisation, des dispositifs nationaux de protection sociale, mais dans les domaines où les secondes sont encore prégnantes les résistances seront plus fortes. Il ne faut pas oublier les contraintes extérieures à l’Europe ou à la protection sociale comme la mondialisation, les progrès techniques, l’harmonisation fiscale, les principes de libre circulation dans les traités communautaires. Enfin quelles conséquences aura l’élargissement de l’Union européenne et, à plus ou moins long terme, la refonte des règles de prise de décision dans l’Union européenne?


LA CONVERGENCE EUROPEENNE CONFRONTEE AUX DISPARITES NATIONALES ...

TABLE DES MATIERES

LA CONVERGENCE EUROPEENNE CONFRONTEE AUX DISPARITES NATIONALES. LES DISPARITES EN MATIERE DE PRESTATIONS DANS LES PAYS DE L’UNION EUROPEENNE.

1. LES DEUX SYSTEMES DE REFERENCE D’ORIGINE

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2. LA PRISE EN CHARGE DES SOINS DE SANTE

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2.1. DEUX APPROCHES : L’ASSURANCE MALADIE ET LE SERVICE NATIONAL DE SANTE . . . 2.2. LES DIFFERENCES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3. LES PRINCIPALES EVOLUTIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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3. LA RETRAITE

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3.1. LES DEUX UNIVERS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. LES DIFFERENCES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3. EVOLUTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

923 924 924

4. CONCLUSION

926

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TRAVAUX DE RECHERCHE RECHERCHES EN COURS

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RECHERCHES PROGRAMMEES

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TRAVAUX DE RECHERCHE

RECHERCHES EN COURS Titre de la recherche : Les maladies professionnelles en Europe (2ème étude) 2002 Promoteur et institution : EUROGIP Rue de la Fédération 55, Paris avec l’appui du groupe de travail international « maladies professionnelles » du Forum européen de l’assurance AT-MP Commanditaire : Caisse nationale de l’assurance maladie professionnelle des travailleurs salariés (CNAMTS) et Forum européen de l’assurance AT-MP Durée : De 2000 à fin 2002 Personnes à contacter : Marie-Chantal Blandin, Christine Kieffer et Catherine Lecaonet Eurogip Rue de la Fédération 55, Paris, France télécopie : 33.1.40 56 36 66 But et méthode de la recherche : L’étude constitue la suite d’une première « étude sur les maladies professionnelles en Europe en comparaison sur 13 pays » publiée en septembre 2000 (Voir Revue belge de sécurité sociale 2001, n°2 – p. 368 à 384). L’étude actuelle actualise en harmonisant les données statistiques de chaque pays de 1990 à 2000 et présente l’actualité 1999-2002 intervenue ou en préparation dans chacun des pays, ainsi que les travaux engagés pour améliorer les conditions de reconnaissance et/ou de réparation des maladies professionnelles. Les pays qui ont pris part à l’enquête sont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas (quoique ne disposant plus d’une assurance spécifique depuis 1967 a néanmoins participé pour ce qui concerne le recensement de l’actualité), le Portugal, la Suède et la Suisse. Les études de cas de l’année 2002 concernent l’asthme et la lombalgie. L’étude prévoit également un examen du problème du sous enregistrement ou de la sous déclaration des maladies professionnelles soupçonnées dans plusieurs états ainsi qu’une analyse de la prise en compte de l’état antérieur dans l’évaluation de l’incapacité.

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REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 2e TRIMESTRE 2001

Titre de la recherche : EODS (European occupational diseases statistics) – Statistiques européennes des maladies professionnelles – Phase 1 Promoteur et institution : EUROSTAT – Unité E3 – Luxembourg avec l’aide de la Direction générale de l’Emploi et des Affaires sociales – Unité D5 – Santé, sécurité et hygiène du travail, les membres de la Task Force EODS et en particulier le Finnish Institute of occupational Health (FIOH) Institut finlandais pour la santé professionnelle (Anti Karjolainen) et l’Institut national danois pour la santé professionnelle (Johnny Dyreborg) Commanditaire : Commission européenne Durée : La phase 1 fait suite à l’enquête pilote (1995-1999) (Voir Revue belge de sécurité sociale 2000, n° 4, p. 1149 et p. 1150), a débuté en 2000 et s’échelonne sur les années à venir. Personnes à contacter : Didier Dupré Eurostat Unité E3 Bâtiment Bech D2/727, rue Alphonse Weicher 2, 2721 Luxembourg Télécopie (352) 43 01 35 399 But et méthode de la recherche : La recherche a pour but de récolter progressivement des données harmonieuses comparables et fiables ainsi que les indicateurs sur les maladies professionnelles en Europe. Etat de la recherche La première étape du projet a été lancée. Il s’agit de récolter, pour fin 2002, les données de l’année 2001 dans les 14 Etats membres (l’Allemagne s’étant désistée). Les données statistiques récoltées concernent tous les cas de maladies professionnelles reconnues et/ou indemnisées en incapacité temporaire, permanente et décès) dans le cadre des listes nationales dans 14 Etats membres au cours de l’année 2001. Les renseignements sont fournis pour chaque malade sur base de plusieurs variables, après avoir été banalisés pour sauvegarder la protection de la vie privée. Les variables étudiées sont le pays d’apparition de la maladie, l’âge, le sexe, l’activité professionnelle du malade au moment de l’exposition, l’activité économique de l’entreprise au moment de l’exposition, le numéro de référence à la liste européenne, le diagnostic médical (CIM10), la gravité de la maladie, l’exposition. 932


TRAVAUX DE RECHERCHE

La seconde phase de l’étude débutera lorsque tous les Etats membres auront fait parvenir les données et consistera en l’analyse des renseignements fournis. La constitution d’une base de données comparables sur le plan européen est en effet un élément important de la stratégie de la Commission européenne pour évaluer l’efficacité de la législation relative à la santé et à la sécurité au travail. * *

*

RECHERCHES PROGRAMMEES Titre de la recherche : “Solidarité” intergénérationnelle Promoteur et institution : S. Opdebeeck et A. Van Meerbeeck – KU Leuven Commanditaire : Services fédéraux des affaires scientifiques, techniques et culturelles (S.S.T.C.) Durée : De janvier 2003 à décembre 2004 Personne à contacter : Sybille Opdebeeck Interfacultair onderzoekscentrum LUCAS Kapucijnevoer 35, 3000 Louvain 016/33.69.10 Résultats et méthode de recherche : Les débats sociaux sur des thèmes comme durabilité financière des systèmes de pension, saut de génération de l’héritage, obligation d’entretien (C.P.A.S.), avenir de la garde des enfants et soins à domicile des personnes âgées, démontrent que la question de la solidarité entre groupes d’âge ou de générations restent d’une actualité brûlante. En outre, dans une société “vieillissante”, dans le cadre d’un Etat providence en construction, les responsables politiques devront prêter attention à toutes les formes d’‘‘âgisme” et à la représentation générale que l’on se fait de la “jeunesse”, de la « vieillesse » ainsi qu’à la solidarité entre groupes d’âge. A l’instar du racisme, du sexisme ou de « l’handicapisme », « l’âgisme » a trois visages ou dimensions : attitudes, comportements et idéologie. Le présent projet de recherche explore la dimension “attitude” de l’âgisme et les images, conceptions, attitudes envers les personnes âgées, les jeunes, la solidarité intragénérationnelle et les rela933


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 2e TRIMESTRE 2001

tions sociales entre groupes d’âge. Comme angle d’approche de ces thèmes, nous avons choisi d’observer trois groupes d’âge : les personnes de 25 à 29 ans, celles de 40 à 44 ans et celles de 65 à 69 ans. La recherche commencera par une brève étude de la littérature et une analyse de quelques banques de données quantitatives existantes. Par ailleurs, en guise de préparation et de complément aux interviews de la phase ultérieure de la recherche, nous analyserons certains documents. Ensuite, nous réaliserons et traiterons quelque 65 interviews en tête-à-tête.

Titre de la recherche : Limites et possibilités des pauvres comme acteurs dans la politique belge de lutte contre la pauvreté. Promoteur et institution : Jan Vranken – Université d’Anvers Commanditaire : Services fédéraux des affaires scientifiques, techniques et culturelles (S.S.T.C.) Durée : Janvier 2003 à décembre 2004 Personne à contacter : Jan Vranken Onderzoeksgroep Armoede, sociale uitsluiting en de Stad (OASeS) Prinstraat 13, 2000 Anvers 03/220.43.20 Objectifs et méthode de recherche : Les collectifs organisés de pauvres agissent en étant convaincus d’avoir/d’obtenir une prise sur les facteurs extérieurs qui influencent leurs conditions de vie. Au minimum, ils espèrent contribuer à la prise de conscience du phénomène de la pauvreté. Ils se profilent comme acteurs indispensables dans la politique menée en vue de la combattre. La participation instrumentale et communicative des pauvres est également inscrite dans les divers plans politiques – du niveau local jusqu’à et y compris le niveau politique européen – comme une nécessité. A cet égard, la gouvernance, comme la politique, du bas vers le haut et le dialogue sont des principes politiques actuels illustratifs. Même l’idée d’autoorganisation, utilisée initialement pour les associations d’allochtones, inspire les “associations oeuvrant pour les pauvres » contemporaines. Le degré de soutien accordé au collectif par des professionnels – qui n’appartiennent pas (plus) au groupe des pauvres – est un critère autorisant la distinction entre les associations. 934


TRAVAUX DE RECHERCHE

Cette recherche a pour objet de vérifier s’il existe effectivement chez les pauvres des facteurs objectifs qui leur permettent d’avoir suffisamment de prise sur leur réalité pour la changer. Cette recherche offre l’opportunité d’esquisser une image du caractère souhaitable, des possibilités et des limitations du dialogue entre pauvres, leurs associations, les responsables politiques et autres acteurs dominants en fonction dans la lutte contre la pauvreté en Belgique.

Titre de la recherche : Choix sociétaux, pauvreté structurelle et coût social Promoteur et institution : Ides Nicaise – HIVA, KU Leuven Commanditaire : Services fédéraux des affaires scientifiques, techniques et culturelles (S.S.T.C.) Durée : De janvier 2003 à décembre 2004 Personne à contacter : Ides Nicaise Hoger Instituut voor de Arbeid Van Evenstraat 2E, 3000 Louvain 016/32.33.37 Objectifs et méthode de recherche : S’appuyant sur un matériau empirique (l’Etude Panel des Ménages belges), ce projet vise à étudier un certain nombre de processus d’intégration et d’exclusion sociales aux intersections entre enseignement, marché de l’emploi et protection sociale en Belgique. Un modèle dynamique simple de simulation sera élaboré en vue d’évaluer les effets à court et à long terme des choix politiques (et des coûts et bénéfices sociaux qui les accompagnent). En premier lieu, on procédera à l’établissement d’un modèle général de base, fondé sur un cadre conceptuel dans lequel sont distingués cinq statuts de protection sociale. Les deux statuts inférieurs (‘sous-protection’ et ‘aide sociale’) correspondent à la catégorie opérationnelle ‘pauvres’. Les mouvements (mensuels, annuels) entre les cinq statuts seront mis quantitativement en cartes dans une “matrice de mobilité”. Dans une deuxième phase, les effets de diverses mesures seront simulés, tant sur le court que sur le long terme (pour les effets à long terme, un modèle de Markov sera utilisé , à l’occasion de quoi, la matrice de mobilité – selon le cas avec modification des paramètres – deviendra l’instrument central). 935


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 2e TRIMESTRE 2001

Enfin, dans un troisième stade, les résultats des simulations seront traduits en termes de coûts et de bénéfices sociaux, tenant compte de divers effets partiels pour toutes les parties concernées (en fonction de la nature de la mesure, des retombées directes et des effets sur la mobilité, de la sélectivité, du poids mort, des effets de cohorte, des coûts budgétaires, des effets de récupération, etc.). Ensuite, le modèle qui est développé dans la présente recherche pourra encore être affiné et appliqué à des évaluations ex-ante de divers choix politiques.

Titre de la recherche : Les implications de la flexibilité du marché de l’emploi pour la sécurité sociale Promoteur et institution : Jos Berghman – KU Leuven Commanditaire : Services fédéraux des affaires scientifiques, techniques et culturelles (S.S.T.C.) Durée : De janvier 2003 à décembre 2004 Personne à contacter : Jos Berghman Sociologie van sociaal beleid Van Evenstraat 2B, 3000 Louvain 016/32.31.89 Objectifs et méthode de recherche : La présente recherche prendra pour point de départ une approche large de la sécurité sociale. Cela signifie, en premier lieu qu’il sera tenu compte des trois piliers de la sécurité sociale. Afin de parvenir à esquisser une image globale et fidèle de la sécurité sociale, il faut en effet qu’outre les réglementations légales (premier pilier) que la recherche se penche sur les dispositifs liés à une profession (deuxième pilier) et individuels (troisième pilier). Etant donné que les deuxième et troisième piliers gagnent en importance, il reste à reconnaître les rapports réciproques entre les trois piliers et les éventuels glissements dans ces relations.

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La première question à traiter est la suivante : comment la sécurité sociale actuelle peut-elle offrir une protection efficace au sein d’un marché de l’emploi soumis à une flexibilité de plus en plus poussée ? En deuxième lieu, il faut s’interroger sur les mesures : quelles sont celles qui ont déjà été prises sur le plan de la sécurité sociale et quelles sont celles qui doivent encore être prises en vue de la flexibilité accrue du marché du travail ? En troisième lieu, il faut vérifier si la concertation sociale, sur toile de fond d’un marché de l’emploi plus flexible, est encore un modèle adapté pour la prise de décisions dans la sécurité sociale ?


TRAVAUX DE RECHERCHE

Titre de la recherche : Les revenus des indépendants. Une enquête sur les causes de l’étroite (et peu rapide croissance) base de revenus en vue du financement du statut social des indépendants. Promoteur et institution : B. Cantillon et K. Van den Bosch – CSB, UA Commanditaire : Services fédéraux des affaires scientifiques, techniques et culturelles (S.S.T.C.) Durée : De janvier 2003 à décembre 2004 Personne à contacter : Bea Cantillon Centrum voor Sociaal Beleid Prinsstraat 13, 2000 Anvers 03/220.43.38 Objectifs et méthode de recherche : Cette recherche tente, en partant du matériau statistique disponible, d’améliorer la compréhension : 1. du contenu réel de la répartition des revenus des indépendants comme il ressort des données de l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (INASTI) ; 2. des causes de l’inégalité extrêmement grande des revenus sur lesquels les indépendants paient des cotisations sociales, des causes de la croissance lente de la base de revenus dues au statut social propre aux indépendants. Cette recherche doit permettre : 1. d’obtenir une meilleure évaluation de la répartition des revenus des indépendants ; 2. de comparer cette répartition des revenus avec les revenus sur lesquels sont payées des cotisations sociales (données INASTI) ; 3. d’obtenir une meilleure compréhension des causes de la grande inégalité des revenus des indépendants ; 4. de formuler des recommandations visant à mieux s’informer sur les revenus des indépendants dans les enquêtes sur les revenus ; 5. d’objectiver le débat sur la réforme de la sécurité sociale pour travailleurs indépendants ; 6. de formuler des recommandations politiques afin de rendre possible une harmonisation de la sécurité sociale des travailleurs salariés et indépendants.

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REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 2e TRIMESTRE 2001

Titre de la recherche : Vers une rationalisation des Règlements Promoteur et institution : Yves Jorens – RU Gent Commanditaire : Services fédéraux des affaires scientifiques, techniques et culturelles (S.S.T.C.) Durée : De janvier 2003 à décembre 2004 Personne à contacter : Yves Jorens Vakgroep Sociaal recht Universiteitsstraat 4 9000 Gand 09/264.68.63 Objectifs et méthode de recherche : Les dispositifs de coordination européens s’avèrent souvent trop complexes et trop difficiles pour être interprétés par les autorités nationales, par les institutions de sécurité sociale et par les tribunaux et même par les institutions européennes ellesmêmes. En 1997, la Commission européenne a reconnu (COM 97/586 final : Un plan d’action pour la liberté de circulation des travailleurs) qu’une modernisation et une simplification s’imposaient afin de rendre ces règlements plus pratiques et plus efficaces. Le Règlement peut être décrit comme une mosaïque où l’on trouve des réglementations spécifiques pour différentes catégories de personnes et où des principes différents sont appliqués à des risques divers. La présente proposition souhaite contribuer à la suppression de ces incohérences. En soi, cela fournirait une contribution importante à la poursuite de la simplification du Règlement. Nous considérons la rationalisation comme le moyen par excellence d’aboutir à une modernisation et une simplification adéquates du Règlement. Le point de départ de la proposition actuelle est les douze paramètres qui servent de lignes directrices aux éventuelles réformes de la réglementation européenne de coordination. Ces paramètres ont été adoptés – sur proposition de la présidence belge – par le Conseil européen des ministres lors du sommet de Laeken en décembre de l’année dernière. L’étude se focalisera sur trois secteurs de la sécurité sociale, à savoir : la santé, l’emploi et l’invalidité. Ces risques seront étudiés selon deux angles d’approche : - identification et analyse des incohérences à l’intérieur des règles du(des) Règlement(s) en fonction du risque ; 938


TRAVAUX DE RECHERCHE

- évaluation et analyse des initiatives bilatérales La recherche vise donc en tout premier lieu à offrir un appui scientifico-juridique, économique, financier et de droit administratif aux actuels discussions et débats sur l’éventuelle réforme du Règlement. Titre de la recherche : Examen de la sécurité sociale belge à l’aune des paramètres européens en vue de la modernisation du Règlement de coordination CE Promoteur et institution : Coordinateur : P. Schoukens – KU Leuven Partenaires : D. Pieters – KU Leuven J. Berghman – KU Leuven Commanditaire : Services fédéraux des affaires scientifiques, techniques et culturelles (S.S.T.C.) Durée : De janvier 2003 à décembre 2004 Personne à contacter : Paul Schoukens Instituut voor Sociaal Recht Tiensestraat 41, 3000 Louvain 016/32.54.22 Objectifs et méthode de recherche : Ce projet de recherche vise à mettre en cartes l’impact potentiel des paramètres en vue de la réforme et de la modernisation du Règlement 1408/71 sur la sécurité sociale belge. A cet effet, on vérifiera en tout premier lieu par paramètre à quelles propositions concrètes de réforme du Règlement 1408/71, on peut s’attendre et quelles en seront les retombées sur le système de sécurité sociale belge. Les conséquences seront vérifiées tant du point de vue de leurs effets sur les plans tant juridico-technique que de la politique sociale. Outre l’éventuel impact des propositions sur le droit belge de sécurité sociale, on examinera donc également le degré de cohérence des propositions avec les tendances actuelles de la politique (de sécurité) sociale belge. Afin de soutenir la composante de la politique sociale, on peut envisager de budgétiser l’impact financier d’un certain nombre de projets de réformes et de simplification. Au cours des études préparatoires, nous avons déjà présenté un aperçu des propositions de réforme existantes. Par ailleurs, nous avons examiné les degrés souhaitable et réalisable de plusieurs projets de réformes (européennes) courants dans un contexte belge. Tout ceci doit désormais être mis en association avec le cadre que nous 939


REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 2e TRIMESTRE 2001

offrent à présent les paramètres européens. Au cours de cette étude, il faudra vérifier quelles sont les propositions de réforme et de simplification compatibles avec les paramètres définis et les possibles conséquences de semblables propositions sur la sécurité sociale de notre pays. De cette manière, les acteurs compétents belges peuvent être soutenus quant à leur positionnement à l’égard de l’éventail des projets de réforme qui se dessinent à l’intérieur des limites friables des paramètres européens.

Titre de la recherche : Mobilité ascendante et descendante dans les carrières des travailleurs et des chômeurs Promoteur et institution : L. De Lathouwer - UFSIA Commanditaire : Services fédéraux des affaires scientifiques, techniques et culturelles (S.S.T.C.) Durée : De janvier 2003 à décembre 2004 Personne à contacter : Lieve de Lathouwer Centrum voor Sociaal Beleid Prinsstraat 13, 2000 Anvers 03/220.43.30 Objectif et méthode de recherche : Avec l’attention accrue portée sur l’employabilité de l’offre de main-d’œuvre, scientifiquement et politiquement, une importance plus grande est accordée à une perception dynamique de la carrière durant toute une vie et des transitions du marché de l’emploi. Les évolutions sociétales telles que la féminisation du marché du travail, une flexibilité accrue et une population professionnelle vieillissante mènent à de nouvelles combinaisons de travail et de vie privée et, par conséquent, à de nouveaux modèles de travail en comparaison avec la carrière standard de 45 ans d’un travailleur à temps plein (masculin) qui, auparavant, était la norme. Les institutions de l’Etat providence (protection du travail, sécurité sociale, etc.) devraient davantage stimuler et soutenir la mobilité et les combinaisons des sphères de vie et devraient s’adapter aux mutations du marché du travail et du contexte familial. Pour la Belgique, nous n’avons quasiment aucune connaissance empirique de la dynamique des carrières. Ceci représente une grande lacune des points de vue tant scientifique que politique. Cette proposition de projet a pour objet de mettre en cartes les transitions observées sur le marché de l’emploi, avec une attention toute par940


TRAVAUX DE RECHERCHE

ticulière à la mobilité ascendante opposée à la mobilité descendante et aux dimensions sexe et âge. Pour cela, il est fait usage de données administratives des travailleurs et des chômeurs de l’ensemble des banques de données de la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale (BCSS). Les analyses permettent de se faire une idée de la nature, de la fréquence, des caractéristiques personnelles et des caractéristiques de travail des transitions du marché du travail. Les analyses permettront de valoriser l’instrument (encore très récent) de l’ensemble des banques de données et de le compléter en fonction de l’étude sur les carrières.

Titre de la recherche : Dynamiques de participation des SDF dans les dispositifs et la politique : une enquête d’action exploratoire Promoteur et institution : Barbara Demeyer – HIVA KU Leuven Commanditaire : Services fédéraux des affaires scientifiques, techniques et culturelles (S.S.T.C.) Durée : De janvier 2003 à décembre 2004 Personne à contacter : Barbara Demeyer Onderzoeksgroep ‘zorg voor maatschappelijke achterstelling’ Van Evenstraat 2A, 3000 Louvain 016/32.31.16 Objectifs et méthode de recherche : Ce travail a pour but de se faire une idée des dynamiques de participation des sansdomicile fixe à la vie sociale par rapport à leur problématique sociale. Outre l’aspect d’acquisition de connaissances, cette étude vise également à apporter du matériel en vue de dynamiser et de soutenir les processus de participation. Pour rendre possible cet aspect « mû par le changement” (‘change-driven’), nous optons pour une enquête active. Le maigre intérêt scientifique et politique accordé au phénomène de l’exclusion sociale forme un net contraste avec le développement d’une action en faveur des sans-abri au cours de ces trois dernières décennies. Le thème de la participation de ces derniers, en particulier, a échappé à l’attention des scientifiques. Partant du constat de cette lacune, la présente proposition de recherche amène à l’avant-plan les questions suivantes, se rapportant à la participation et aux initiatives des sans-domicile fixe : 941


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– quelles sont les initiatives prises par les sans-abri afin de faire connaître leur situation à la population par rapport aux dispositions et à la politique menée ? – dans quelle mesure, les intéressés souhaitent-ils que les phénomènes de pauvreté et d’exclusion deviennent plus visibles et génèrent une plus grande connaissance ? – quel est l’impact des actions de collectifs, associations, ONG qui fournissent des informations sur les besoins des SDF sur la population, les dispositifs et la politique ? – Quelles sont les conséquences de cette plus grande visibilité sur les plans économique, social et humain ?

Titre de la recherche : Réponse et initiative du citoyen. Développement d’un marché de l’emploi transitionnel : enquête sur les déterminants des carrières transitionnelles. Promoteur et institution : Coordinateur : D. Buyens – Vlerick Leuven Gent Management School Partenaires : P. van der Hallen – Steunpunt WAV, KU Leuven D. Mortelmans – Universiteit Antwerpen M. Rigaux – Universiteit Antwerpen A. Van Regenmortel – Universiteit Antwerpen Commanditaire : Services fédéraux des affaires scientifiques, techniques et culturelles (S.S.T.C.) Durée : De janvier 2003 à décembre 2004 Personne à contacter : Dirk Buyens HRM Centre – Vlerick Leuven Gent Management School Bellevue 6B 9050 Gand 09/210.97.22 Objectifs et méthode de recherche : Alors que la carrière traditionnelle était définie en termes de progression professionnelle au sein d’une ou deux entreprises, la nouvelle carrière est définie comme une séquence d’opportunités d’emplois qui dépassent les limites d’une seule société (De Fillippi & Arthur, 1996). Une deuxième évolution importante qui accroît l’intérêt d’une étude sur les carrières consiste dans le constat que, pour les individus, la sphère de vie “au travail” n’apparaît pas comme indépendante des autres sphères de vie qui déterminent leur quotidien (Van Dongen, Omey & Wijgaerts, 2001). Du point de vue de la politique menée, également, la connaissance sur la mobilité des emplois et du marché du travail constitue une condition annexe cruciale. 942


TRAVAUX DE RECHERCHE

D’une part, afin de donner forme au « marché de l’emploi transitionnel », il est en effet nécessaire de collecter des informations sur la mobilité dans et autour du marché de l’emploi. D’autre part, une intervention proactive et adéquate au départ de la politique n’est possible que si l’on dispose d’une perception claire des facteurs actifs “dans le courant de la carrière (professionnelle)”. C’est principalement à cette dernière piste que se rattache la présente proposition de projet. En d’autres termes, au centre de cette recherche se trouve la réalisation d’un inventaire et d’une analyse des éventuels facteurs inhibants et facilitants en fonction de la nouvelle conception sociale et juridique du concept de carrière. A cet effet, nous analysons dans une première phase, les données disponibles en matière de carrières des neuf premières vagues du PSBH (1992-2000). L’analyse des données du PSBH constitue une importante première ébauche et un cadre général pour effectuer, au cours d’une seconde phase, une étude ultérieure sur les facteurs déterminants de la carrière (professionnelle) aux niveaux juridique et de l’entreprise. ______

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BIBLIOGRAPHIE LIVRES

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ARTICLES

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BIBLIOGRAPHIE

LIVRES Codex sociale zekerheid (2001-2002) par D. Simoens, W. Van Eeckhoutte, J. Van Steenberge, B. Herzits et G. Vandermeulen (red.) Bruges, die Keure, 2002, 250 pages Ce codex présente avec la plus grande clarté un ensemble de lois, particulièrement pratique. Chaque chapitre est doté d’un tableau chronologique dans lequel, outre les lois et arrêtés publiés, peuvent également être traités des textes absents de ce codex avec leurs amendements ultérieurs. Spécialement à l’intention de l’utilisateur, au début d’un texte légal ou réglementaire important et/ou volumineux figure éventuellement une table des matières afin de faciliter d’autant le travail de recherche. Sous chaque modification du texte, figurent une référence avec la mention de la nature de l’acte qui le modifie, la date, le numéro d’article et éventuellement la date d’entrée en vigueur. Il est intéressant de savoir que le codex sera actualisé chaque année. * *

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Clés… pour le premier emploi par le ministère fédéral de l’Emploi et du Travail Bruxelles, Ministère fédéral de l’Emploi et du Travail, 2002, 92 pages Pour augmenter ses chances de décrocher un premier emploi, il faut bien s’y préparer. Le Ministère fédéral de l’Emploi et du Travail a donc rassemblé dans la brochure « Clés pour…. le premier emploi » un ensemble de conseils pratiques et d’astuces qui permettront aux jeunes de trouver l’emploi qui leur convient le mieux. Une fois les études terminées ou arrêtées, outre chercher un emploi, le jeune va devoir effectuer un certain nombre de démarches. Il devra s’inscrire comme demandeur d’emploi, s’inscrire auprès d’un organisme assureur….,ce qui n’est pas toujours très évident. Aussi, la brochure « Clés pour…. le premier emploi » explique les différentes étapes à suivre. Ensuite, qui dit recherche d’emploi, dit inévitablement rédaction de curriculum vitae et de lettres de motivation. Or, mettre en évidence ses points forts ou accrocher un employeur sur base d’un C.V. n’est pas toujours chose aisée. Voilà pourquoi cette brochure présente également de nombreux tuyaux en la matière :quel type de C.V. choisir ?, quels éléments doivent se retrouver dans la lettre de motivation ? … Ensuite, les entretiens et les tests font eux aussi l’objet d’une description.

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De plus, pour ceux qui rêvent d’être leur propre patron ou d’embrasser une profession libérale, un chapitre est consacré au travail indépendant. Les obligations administratives, les règles en matière de sécurité sociale, les conditions d’accès à la profession… tous ces points y sont repris. A noter aussi pour ceux qui ont le goût de voyage que deux chapitres sont consacrés au travail en Europe et à l’étranger. Y sont abordés les voies à explorer pour trouver un job, les institution auxquelles on peut s’adresser pour un stage ou une formation, des conseils pratiques… Enfin, une longue liste d’adresses utiles clôture cette brochure. * *

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Clés… pour sortir du chômage en créant son emploi par le Ministère fédéral de l’Emploi et du Travail Bruxelles, Ministère fédéral de l’Emploi et du travail, 2002, 48 pages Crée son emploi pour sortir du chômage est une initiative encouragée par les aides financières, des formations, des conseils juridiques et comptables…. L’ensemble des aides qui permettront aux futurs indépendants de bâtir leur projet est rassemblé dans la brochure « Clés pour….. sortir du chômage en créant son emploi » que le Ministère fédéral de l’Emploi et du Travail vient de mettre à jour. Cette brochure répond aux nombreuses questions que peuvent se poser les demandeurs d’emploi futurs indépendants. Qu’est-ce que le statut indépendant ? Quelles sont les formations proposées aux chômeurs désireux de créer leur emploi ? Quelles sont les aides permettant de réaliser un tel projet ? Quels sont les droits et les obligations des indépendants ? … Une présentation des avantages et des risques liés au statut indépendant permit ainsi aux chômeurs de mieux se préparer à créer leur emploi. Enfin, dans le dernier point de la brochure, ils trouveront la liste des adresses utiles s’ils souhaitent obtenir de plus amples informations à ce sujet. * *

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BIBLIOGRAPHIE

Politique de l’emploi et concertation sociale (1999-2002) par Etienne Arcq Bruxelles, CRISP, 2002, 45 pages Au moment où les interlocuteurs sociaux et le gouvernement reprennent contact pour baliser les négociations de l’accord interprofessionnel 2003-2004, il est intéressant de faire le point sur l’état de la concertation sociale. L’ « Etat social actif » a-t-il la même conception de la concertation sociale que ses prédécesseurs ? Les interlocuteurs sociaux ont-ils dû s’adapter à une nouvelle politique ou ont-ils maintenu le cadre existant. L’exercice est centré sur les mesures destinées à favoriser l’emploi, un thème qui est entré progressivement dans le champ du négociable depuis 1986 et qui est présenté par l’actuelle coalion gouvernementale comme son cheval de bataille. Dans une partie consacrée aux préliminaires de l’accord interprofessionnel, Etienne Arcq s’attache à replacer la dynamique de l’accord interprofessionnel dans l’ensemble de la politique de l’emploi du gouvernement, et il analyse les positions de départ des interlocuteurs sociaux avant la négociation de l’accord. Dans la partie consacrée à l’accord interprofessionnel 2001-2002 et à son application, l’exposé suit les différents points de l’accord consacrés aux matières qui touchent directement ou indirectement l’emploi. Les trois étapes systématiquement suivies (contexte, contenu de l’accord et mise en application) mettent en évidence les pratiques (bipartisme ou tripartisme) auxquelles chaque mesure correspond. En conclusion, l’auteur évalue le degré d’autonomie des interlocuteurs sociaux en matière de négociation collective sur l’emploi, ainsi que l’état de la coordination entre les niveaux de négociation. * *

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De Vlaamse Wooncode en de sociale huisvesting par B. Hubeau, P. Desmedt et E. Janssens Bruges, die Keure, 2002, 250 pages Après l’introduction antérieure d’une taxe sur les logements inoccupés et sur les taudis ainsi que du décret de la chambre, le décret du gouvernement flamand du 6 octobre 1998 règle le contrôle de la qualité, le droit de préemption et le droit social de gestion sur les logements. Le 1er novembre 1998, ce pilier du Code flamand du logement entrait en vigueur. Le code du logement stipule que chaque logement doit satisfaire à certaines normes minimales de qualité. Les logements non conformes à ces normes risquent d’être déclarés inadaptés ou insalubres. La location d’immeu949


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bles non conformes est punissable. Via une attestation de conformité, les bailleurs peuvent démontrer que leurs logements sont en règle sur le plan qualitatif. Les pouvoirs publics peuvent sanctionner les propriétaires qui se battent l’œil des normes de qualité via le droit de préemption ou via le droit social de gestion. L’introduction de ces nouveaux instruments offre aussi de nouvelles opportunités à une politique de qualité des logements. Cet ouvrage riche en ressources couvre toutes les sources de la politique flamande du logement avec, entre autres, le texte actualisé et annoté du Code flamand du logement et de ses arrêtés d’exécution. Le tout est divisé clairement en 5 rubriques : 1. 2. 3. 4. 5.

Code flamand du logement Surveillance de la qualité Subventions de projets Aide aux particuliers Système social de location

Pour donner un caractère permanent à ce recueil de lois unique, ce livre des sources sera actualisé chaque année. * *

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Code de droit européen du travail et de la sécurité sociale par Roger Blanpain et Frank Hendrickx Bruxelles, Bruylant, 2002, 479 pages Ce Code de droit européen du travail et de la sécurité sociale répond à l’évolution constante de la politique sociale européenne. En effet, la création de la Communauté du charbon et de l’acier s’est déroulée il y a 50 ans et depuis, l’Euratom et surtout la Communauté économique européenne ont pris leur envol. Dès le début de la construction de la CEE, les grandes problématiques sociales et liées au travail, comme la libre circulation des travailleurs et l’égalité de traitement entre hommes et femmes, ont été abordées. Et ceci n’était qu’un début, car d’autres problèmes rendant nécessaire une approche européenne se sont progressivement présentés, entre autre le droit du travail international privé, les contrats de travail individuels, la protection des enfants, la protection des femmes enceintes, la durée du temps de travail, la sécurité et l’hygiène, la restructuration d’entreprises, la participation des travailleurs, les conseils d’entreprises européens et la coordination des systèmes de sécurité sociale. Cette croissance de la législation européenne relative au droit du travail et de la sécurité sociale est la raison d’être de ce Code, qui tend à rassembler tous les textes afférents dans un ouvrage clair. 950


BIBLIOGRAPHIE

L’importante législation européenne se retrouve dans les traités, et dans un nombre impressionnant de règlements, directives, résolutions et recommandations. Il existe aussi d’autres document importants qui ont trait aux droits fondamentaux, notamment la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (décembre 2000). Ce Code renferme également la documentation considérable émanant du Conseil de l’Europe. Depuis sa création, le Conseil de l’Europe joue effectivement un rôle très actif, surtout dans le domaine des droits fondamentaux. Ce Code entend faciliter l’accès à l’éventail complet de textes relatifs au droit du travail et de la sécurité sociale. En effet, les différents textes étant disséminés dans un grand nombre de publications variées, ils ne se trouvent dès lors pas aisément à la portée des étudiants et des praticiens du droit. * *

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La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : son apport à la protection des droits de l’homme en Europe par Jean-Yves Carlier et Olivier De Schutter Bruxelles, Bruylant, 2002, 312 pages Cet ouvrage est le fruit d’une journée d’étude organisée le 15 décembre 2000, à Louvain-la-Neuve, par le Département de droit international de la Faculté de droit de l’Université catholique de Louvain et par le Diplôme d’études spécialisées (DES) en droit de l’homme de l’UCL et des Facultés Universitaires Saint-Louis, à l’occasion de l’éméritat du Professeur Silvio Marcus Helmons. Le sujet retenu, analyse l’apport de la Charte des droit fondamentaux de l’Union européenne, proclamée solennellement à Nice le 7 décembre 2000, à la protection des droits de l’homme en Europe. L’examen de la Charte s’articule en trois parties. La première donne le contexte, la deuxième analyse le contenu de la Charte et la troisième donne des points de vue de ceux qui seront appelés à la vivre ou à la faire vivre. Une annexe reproduit le texte de la Charte avec les explications du Présidium. * *

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La reprise de l’emploi en Europe : l’exemple de l’Autriche, au Danemark, de l’Irlande et des Pays-Bas par Peter Auer Genève, B.I.T., 2002, 149 pages Cette étude originale porte sur le redressement remarquable de l’économie et du marché du travail de quatre petits pays européens - l’Autriche, le Danemark, l’Irlande et les Pays-Bas. Elle analyse leurs bons résultats et les facteurs de leur redressement, en particulier la promotion du dialogue social et l’institution de politiques macroéconomiques et du marché du travail décisives. Evaluant les progrès enregistrés, mais aussi les problèmes qui subsistent, elle compare leurs avancées avec celles d’autres pays de l’Union européenne et examine la manière dont des politiques et des mesures analogues pourraient contribuer à lutter contre le chômage et à progresser vers le plein emploi. Elaborée à partir de rapports préparés pour examiner la politique de l’emploi de ces pays, rapports qui s’inscrivent dans le cadre du suivi du Sommet mondial de 1995 pour le développement social, l’étude procède à une analyse comparée approfondie de leurs marchés du travail. Elle met en évidence l’intensité d’emploi de l’expansion économique et expose de façon circonstanciée la situation de chacun de ces pays. Les raisons de ces bons résultats sont également examinées. Ainsi, l’étude fait apparaître la capacité d’adaptation de l’Etat providence dans des pays européens développés, dont on estimait que les institutions et les acteurs sociaux étaient sclérosés et incapables de créer des emplois. Or, ce qui a permis la reprise, ce ne sont pas des déréglementations mais les efforts novateurs que les partenaires sociaux et les pouvoirs publics ont déployés pour définir ensemble de nouvelle règles, politiques et institutions et pour en conjuguer efficacement les effets. Enfin, l’étude formule des recommandations en ce qui concerne l’action à mener pour promouvoir la croissance et le progrès social, dans ces pays et dans d’autres en Europe. __________

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BIBLIOGRAPHIE

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REVUE BELGE DE SECURITE SOCIALE - 2e TRIMESTRE 2002

Jacobs, Jean-Philippe : Le plan Rossetta dans le secteur public wallon in l’Observatoire, n° 34, 2002, p. 89-90. Kessler, Fr. et Lhernould, J. Ph. : L’impact sur le droit de la protection sociale de la jurisprudence de la CJCE relative à la libre prestation des services in Droit social, n° 7/8, 2002, p. 748-759. Lyon-Caen, Arnaud : Une révolution dans le droit des accidents du travail, cass. soc. 28-2-2002 in Droit social, n° 4, 2002, p. 445-449. Maggi Germain, Nicole : Travail et santé : le point de vue d’une juriste in Droit social, n° 5, 2002, p. 485-493. Masselot, Annick : La CJCE et les droits des salariées enceintes dans le cadre d’un contrat à durée déterminée in Droit social, n° 4, 2002, p. 450-455. Michelet K. : La conception européenne du droit à des prestations sociales et la jurisprudence administrative in Droit social, n° 7/8, 2002, p. 760-766. Mingasson, Lise : Croissance, décroissance et cohésion sociale : entretien avec J.M. Belorgez et Robert Castel in Informations sociales, n° 98, 2002, p. 4-16. Nonneman, W. et Okkerse, L. : Migratie en de arbeidsmarkt in Economisch en sociaal tijdschrift, n° 1, 2002, p. 3-32. Parent, A. et Gilles, Chr. : Le lien entre croissance et revenu garanti, une comparaison (France - Etats-Unis) in Informations sociales, n° 98, 2002, p. 52-61. Parent, A. : Protection sociale et croissance (nouvelles approches théoriques) in Informations sociales, n° 98, 2002, p. 88-94. Steck, Philippe : Prestations familiales et croissance du point de vue macro-économique, sociologique et politique in Informations sociales, n° 98, 2002, p. 100-108. Tagi, Ali : Les personnes âgées, le travail et l’égalité des chances in Revue internationale de sécurité sociale, n° 1/2002, p. 125-142 Van Gestel, Marc : Wachtlijsten gehandicapten in Sociaal Welzijnsmagazine, n° 4, 2002, p. 18-19. Walker, Alan, Une stratégie pour vieillir en restant actif in Revue internationale de sécurité sociale, n° 1/2002, p. 143-166. __________ 954


ABSTRACTS


ABSTRACTS

ABSTRACTS “Départ anticipé des travailleurs âgés en Belgique” par Gerhard Gieselink, Yves Stevens et Bea Van Buggenhout Le texte présente une analyse descriptive du départ anticipé des travailleurs âgés en Belgique. Le phénomène du départ anticipé massif s’est instauré à partir du milieu des années ‘70. Plusieurs voies de départ anticipé avaient été introduites par les gouvernements ou par les partenaires sociaux en vue de rétablir l’équilibre, perturbé par la crise économique, sur le marché du travail. Ce faisant, les responsables ont fait preuve d’une grande inventivité. Différents systèmes ont vu le jour au cours de ces trente dernières années, certains étaient greffés sur le régime des pensions, d’autres sur l’assurance-chômage et d’autres encore reposaient sur une combinaison des deux. Aujourd’hui, il reste encore quatre grandes voies de sortie anticipée. La première est la prépension conventionnelle. Le système qui trouve ses fondements juridiques dans une C.C.T. du Conseil National du Travail, octroie aux travailleurs aînés licenciés un supplément à leurs allocations de chômage. Le deuxième circuit est basé sur l’assurance-chômage. L’assise en est le statut du ‘chômeur âgé’, qui exempte les travailleurs aînés de l’obligation d’être disponibles sur le marché de l’emploi. Ce statut spécifique est souvent complété en termes financiers par un supplément pour ancienneté pour les travailleurs aînés ou par des indemnités conventionnelles complémentaires. Ces derniers systèmes, qualifiés du sobriquet “prépension Canada Dry”, sont surtout depuis ces dernières années particulièrement populaires au sein des entreprises parce qu’ils constituent une solution alternative intéressante à la prépension conventionnelle. Les troisième et quatrième voies de départ anticipé concernent la retraite anticipée et l’invalidité. Quant à cette dernière voie, nous pouvons constater que, même si l’assurance-incapacité de travail ne prévoit aucun statut particulier pour invalides âgés, l’invalidité, souvent, fait office de « salle d’attente » à la pension de retraite. Ces quatre circuits de départ anticipé s’avèrent – tant isolément que dans leur ensemble – récolter énormément de succès. Si l’on observe la population des travailleurs salariés âgée de 50 à 64 ans, le rapport entre actifs et personnes qui quittent prématurément le circuit de travail est de 39% contre 61%. La retraite est le circuit de départ anticipé qui recueille le plus de suffrages. Vingt pour cent de tous les travailleurs entre 50 et 65 ans font usage de la possibilité de partir à la retraite avant 65 ans. Parmi les autres voies de départ anticipé, le statut de “chômeur âgé” est celui qui recueille le plus grand succès. Dix-sept pour cent des travailleurs salariés entre 60 et 65 ans bénéficient de ce statut. La prépension n’arrive qu’en troisième position avec 13%. Ce constat n’est pas insignifiant, étant donné que le débat sur le départ anticipé est assez fréquemment ramené et réduit à la notion de prépension. Les invalides âgés enfin, représentent 11% du total. 957


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Ces dernières années, le départ anticipé massif fait de plus en plus souvent l’objet de discussions. La diversité des canaux de départ anticipé démontre cependant que, pour réduire ce phénomène, il faut une approche globale et nuancée. Le départ anticipé trouve son origine dans un consensus entre travailleurs et employeurs. Réussir à limiter ce phénomène ne peut résulter que d’un nouveau consensus et que d’une seule condition : les deux parties doivent tirer avantage d’un maintien au travail plus large des travailleurs aînés.

“Early release for older employees in Belgium” by Gerhard Gieselink, Yves Stevens and Bea Van Buggenhout The article presents a descriptive analysis of the early release of older employees in Belgium. The phenomenon of large scale early release became established in the middle of the 70’s. Several methods of early release had been introduced by governments or social partners in order to restore the balance in the employment market that had been distorted by the economic crisis. In the process, considerable imagination had been used. Different systems were implemented over these last thirty years, some of which were grafted onto the pensions scheme, others onto unemployment insurance, and yet others that relied on a combination of both. Today, there remain four main routes to early discharge. The first is the collective pre-pension agreement. The system, which has its legal basis in the Collective Bargaining Agreement (CCT) of the National Works Council (Conseil National du Travail), grants a supplement to unemployment benefit to older employees who are made redundant. The second route is via redundancy insurance. Its underpinning is the régime of the “older unemployed person” (chômeur agé), who is exempted from the obligation to remain available for employment. This specific status is often complemented by a financial supplement in respect of length of employment for older employees or by additional contractual allowances. These systems, sometimes referred to as “Canada Dry pre-pensions”, have been particularly popular with companies in recent years because they provide an attractive alternative to collective pre-pension agreements. The third and fourth routes to early release, are those of early retirement and invalidity. In the case of the last of these, we observe that even if incapacity benefit confers no particular status to older invalids, invalidity is often the “de facto” waiting room for a retirement pension. These four systems of early release are – individually and collectively – hugely successful. If we look at the population of salaried employees between the ages of 50 and 64, the ratio of actively employed to those who have prematurely left employment is 39% as against 61%. Early retirement is the preferred method of early discharge. Twenty percent of employees between 50 and 65 use the possibility of retiring before 56. Of the other methods of early discharge, the status of “chômeur agé” is the most popular. Seventeen percent of salaried employees between 60 and 65 take advantage of this régime. The pre-pension occupies only the third position 958


ABSTRACTS

with 13%. This observation is not without significance, given that the debate on early release is often brought down to the notion of pre-pension. Finally, older infirm persons represent 11% of the total. In recent years, early discharge, on a wide scale, is increasingly the subject of debate. The diversity of the ways to reach early release demonstrates, however, that in order to reduce the phenomenon, it will be necessary to adopt a global and flexible approach. Early release was born out of a consensus between employees and employers. If its impact is to be limited, it can only be through a new consensus and under one condition: namely that the two parties must be able to derive benefits from a wider continuity of employment for older employees. * *

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“Stimulants financiers et travail faiblement rémunéré. L’impact des réformes de la sécurité sociale et de la fiscalité sur le piège à l’emploi en Belgique” par Lieve De Lathouwer et Kristel Bogaerts Au fil des ans, dans la plupart des pays industrialisés, les priorités politiques ont évolué. Alors que, dans les années ’70, la protection du revenu était au centre de la politique sociale, au cours des années ’90, l’exigence d’activation et d’une plus grande rentabilité du travail (‘making work pay’) occupe l’avant-scène. De vastes dispositions en matière du revenu et une forte pression fiscale sont susceptibles, tout particulièrement pour les personnes ne disposant que d’un faible potentiel de gain, de rendre financièrement inintéressant le travail à bas salaire (le piège à l’emploi). Cet article se consacre à une analyse du piège à l’emploi dans les années quatrevingt-dix. Nous esquissons d’abord le problème de la dépendance accrue dans la sécurité sociale. Ensuite, nous tentons de comprendre pourquoi le problème du piège à l’emploi a été mis à l’agenda politique belge au cours de la seconde moitié des années ‘90. Une partie importante de notre contribution est consacrée aux calculs de l’évolution du piège à l’emploi au cours de la période 1989-2001. Pour cela, nous recourons au modèle de simulation standard Stasim, mis au point par le Centrum voor Sociaal Beleid à la demande du Ministère fédéral de l’Emploi et du Travail. Ce modèle permet également de vérifier l’impact des dernières réformes de la sécurité sociale (réduction des cotisations des travailleurs pour bas salaires et allocations complémentaires) et de la fiscalité (crédit d’impôts) sur le piège à l’emploi.

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Enfin, nous tirons un certain nombre d’enseignements d’une politique de suppléments aux revenus et de crédits d’impôts pour les personnes faiblement rémunérées.

“Financial incentives and low paid work. The impact of social security and tax reforms on the unemployment trap in Belgium ” by Lieve De Lathouwer and Kristel Bogaerts Over the years, in most industrialised countries, political priorities have evolved. Whereas in the 70’s, protection of income was at the centre of social policy, during the 90’s, the requirement of activation and making work pay, moved centre stage. Substantial income related measures and strong fiscal pressures can make low paid work unattractive, particularly for those with low earnings potential (the unemployment trap). In this article we analyse unemployment traps in the 90’s. We first outline the problem of benefit dependency in social security. We then try to understand why the problem of unemployment traps was placed on the political agenda during the second half of the 90’s. The major part of our study concerns calculations of the evolution of the unemployment trap over the period 1989-2001. We have used a tax-benefit model for various household types STASIM, developed by the Centrum voor Sociaal Beleid at the request of the Federal Ministry for Employment and Labour. This model enables us to verify the impact of the latest reforms in social security (reduction of employee contributions for low wage earners and in-work benefits) and in taxation (tax credits) on the unemployment trap. Finally, we draw lessons from a policy of income supplements and tax credits for lower paid workers. * *

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« Entreprises de Formation par le Travail et Ateliers Sociaux : une analyse de classification des publics cibles en terme de caractéristiques individuelles et de taux d’insertion » par A. C. D’Addio et A. Pinxteren Dans une société où l’intégration sociale se réalise largement par le travail salarié, où l’emploi, plus qu’une source de revenu, confère une reconnaissance sociale, l’exclusion du marché du travail ne peut pas être acceptée. Révélant les limites d’une poli960


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tique passive d’indemnisation, cette observation confirme la nécessité d’aller audelà et de développer un dispositif de dépenses dites « actives » associées à des politiques qui visent l’insertion des exclus du système. Dans le cadre de cette étude, nous nous sommes intéressés plus particulièrement à deux politiques actives émanant de l’économie sociale d’insertion : les Entreprises de Formation par le Travail (EFT) et les Ateliers Sociaux (Sociale Werkplaatsen). Ces deux mesures se caractérisent par des fondements légaux, des objectifs, des structures de fonctionnement et de financement divergents. Malgré leurs différences, ces deux initiatives s’adressent à un public inactif et peu qualifié et tentent d’insérer ou de réinsérer socioprofessionnellement ce public en lui fournissant une formation ou en lui procurant un travail. Il apparaît essentiel d’évaluer dans quelle mesure ces politiques atteignent ce double objectif.

« Training through employment – (Entreprises de Formation par le Travail) and Social Workshops – (Ateliers Sociaux): an analysis of the classification of target population groups in terms of individual characteristics and insertion rates » by A. C. D’Addio and A. Pinxteren In a society where social integration is largely achieved through remunerated work, where it is employment, rather than a source of income, that confers social acceptance, exclusion from the labour market is unacceptable. This statement not only highlights the limitations of a passive policy of « hand-outs »; it also underscores the need to go further and to develop a program of « active » expenditure allied to policies that seek to include those that are excluded from the system. In the context of this study, we have given particular attention to two active policies that stem from the social economy of insertion : the training through employment centres (les Entreprises de Formation par le Travail (EFT)) and the Social Workshops (Ateliers Sociaux - Sociale Werkplaatsen). These two initiatives are characterised by different legal set-ups, objectives and operational and financial structures. Despite their differences, however, both initiatives are directed towards those in society who have no activity and have low levels of skill, seeking to give them socio-professional insertion or reinsertion by providing training or jobs. It seems essential to evaluate to what degree these policies achieve these twin objectives. * *

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« Le parcours d’insertion augmente-t-il les chances des chômeurs dans leur recherche d’un emploi ? L’influence de l’intégrité, de la participation et de la confiance sur la perception des chances » par Jasper von Grumbkow et Eric Ramaekers Certaines catégories de chercheurs d’emploi restent confrontées à des difficultés qui, pour ainsi dire, semblent insurmontables. Pour une multitude de raisons, le travail rémunéré continue à être perçu comme un but inatteignable. Manifestement, l’accompagnement qui était (est) dévolu à ce groupe n’est pas suffisamment efficace. C’est pourquoi au cours de ces dernières années, ce groupe a été progressivement approché d’une manière différente. La nouveauté de l’approche réside dans la manière individuelle d’aborder l’individu et d’induire son comportement. Cette approche sur mesure est aussi parfois qualifiée de « parcours d’insertion ». Un grand nombre d’acteurs sur le marché de l’emploi flamand s’est approprié cette méthode. Nous pensons au VDAB (méthode mise en oeuvre dans leurs travaux depuis 1999), au CPAS, à l’enseignement à temps partiel, aux tiers, aux initiatives locales, etc. Aux Pays-Bas, une politique similaire est encadrée par la Loi d’Insertion des demandeurs d’emploi [Wet Inschakeling Werkzoekenden (WIW)]. Dès lors, la réussite d’un parcours d’insertion dépend aussi de la manière dont l’usager ressent cet accompagnement et du fait de savoir si cet accompagnement peut améliorer sa situation. D’un point de vue sociopsychologique, nous avons vérifié auprès de 471 usagers au chômage si le parcours d’insertion améliorait leur perception des opportunités sur le marché du travail. A notre avis, l’amélioration des chances a trait e.a. à un travail régulier, à de meilleures compétences professionnelles, à l’élargissement des contacts, etc... Le parcours d’insertion est majoritairement apprécié positivement. Néanmoins, nous constatons que l’opinion du public diffère quant à la perception des opportunités. Nous avons examiné quelles pouvaient être les explications à ces divergences. Dans le présent article, nous avons vérifié l’influence de trois facteurs possibles sur la perception des opportunités. Les facteurs examinés sont la cohérence et l’intégrité de la procédure du programme, le degré de participation de l’usager et sa confiance dans l’accompagnateur et l’opérateur du circuit d’insertion. Par facteur examiné, nous avons chaque fois intégré à l’analyse le type de parcours (limité ou long), l’institution qui met en œuvre le programme (VDAB ou autres) et une caractéristique répartitrice, plus particulièrement la sensibilité au risque.

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« Does the assisted process of integration increase the chances of an unemployed person finding employment? What influence does integration, participation and confidence have on the perception of ones chances? » by Jasper von Grumbkow and Eric Ramaekers Certain categories of job seekers are confronted by what appear to be insurmountable difficulties. For a great many reasons, paid employment continues to be viewed as a goal that is unachievable. Clearly, the assistance that is given to this group of persons is not efficient enough. It is for this reason that, in recent years, the approach to this group has progressively changed. The novelty of the approach is exemplified by the individual manner in which each is treated and encouraged to modify his or her behaviour. This personalised approach is also sometimes referred to as the “process of integration” (“parcours d’insertion”). A large number of those involved in the flemish employment market have adopted this method. We are thinking here of the VDAB (that has used this method in its activities since 1999), of the CPAS, of part-time teaching, of other institutions, of local initiatives, etc. In the Netherlands, a similar policy is enshrined in the Law on the Integration of Job-seekers [Wet Inschakeling Werkzoekenden (WIW)]. The success, therefore, of the integration process also depends on the way the user perceives the assistance offered and whether he or she feels that it will improve their situation. From a socio-psychological stand point, we have questioned 471 unemployed users on whether the integration process improved their view of their chances in the labour market. In our opinion, improved chances, means, for example; regular employment, improved professional skills, wider contacts, etc... The integration process is, by and large, seen as positive. We note, however, that public opinion differs on the perception of opportunities. We have looked at what could explain such differences. In this article, we evaluate three possible factors that might influence the perception of opportunities. The factors we have looked at are the coherence and integrity of the procedures of the program, the degree of user participation and his or her confidence in the assistant and the organisation providing the integration program. For each factor under review, we have taken account of the type of process (limited or long), the institution that operates the program (VDAB or others) and a distinguishing characteristic, namely attitude to risk. * *

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« Services de proximité : activer les chômeurs ou soutenir la demande ? » par Bernard Conter et Marie-Denise Zachary Pour résorber le chômage de longue durée, les politiques d’emploi nationales, encouragées par les recommandations européennes, se tournent vers les nouveaux gisements d’emploi que constituent les services de proximité. Leur développement repose souvent sur diverses formules d’activation du chômage. La mise en place des Agences locales pour l’emploi a, notamment, généré un volume de travail correspondant à quelques 8 000 équivalents temps plein. Cependant, elles ne sont pas exemptes d’effets pervers : les prestataires demeurent des chômeurs, effectuant de petits boulots, ils ont peu accès à la formation et il s’agit d’une population majoritairement féminine (plus de 80% des prestataires). Par ailleurs, s’il permet de répondre à certains besoins, ce dispositif ne constitue pas un outil efficace d’insertion, il s’appuie sur un statut précaire et représente pour les individus un piège à l’emploi. En revanche, l’introduction prochaine des titres-services semble relever d’une approche alternative susceptible d’améliorer le statut des travailleurs et davantage en mesure de garantir la qualité des services prestés. Ce système s’appuie en effet sur des emplois salariés et non plus sur des activités occasionnelles consenties aux demandeurs d’emploi. Une activité régulatrice forte semble cependant nécessaire si l’on veut garantir aux utilisateurs la qualité indispensable à la nature des services visés, en particulier ceux qui relèvent de l’aide aux personnes.

« Local services: beating unemployment or feeding it ? » by Bernard Conter and Marie-Denise Zachary In order to reduce long-term unemployment, national employment policies, encouraged by European recommendations, are turning to new sources of employment, comprised of local services. Their development is often the product of different jobless mobilisation strategies. The instauration of local employment agencies has, in effect, generated a volume of work corresponding to the equivalent of some 8 000 full-time jobs. They have, however, some less desirable side effects: those providing the services remain unemployed, perform odd jobs, have little access to training and the majority of them are women (more than 80%). Furthermore, even if the system satisfies certain needs, it is not an efficient means of achieving integration, it leans upon the precarious status of the unemployed and represents for them, an employment trap. However, the coming introduction of service vouchers, « titres-services » seems to derive from an alternative approach that could improve the status of workers and, furthermore, improve the quality of the services provided. This system relies upon 964


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salaried employment and no longer upon occasional jobs handed out to jobseekers. A strong regulatory system would, however, appear to be necessary if one is to give users a guarantee of quality that is a requirement of the nature of the services in question, particularly when it concerns assistance to persons. * *

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« La situation atypique des indépendants dans le champ de la sécurité sociale : quels enseignements en tirer pour d’autres groupes de travailleurs atypiques ? » par Paul Schoukens Dans le présent article, l’auteur livre une esquisse des problèmes qu’éprouvent les Etats lors de l’élaboration d’une sécurité sociale qui adhère le mieux possible à la situation spécifique des travailleurs indépendants. Ce faisant, il tente de créer un cadre théorique des techniques utilisées dans ce contexte. Ce cadre est orienté sur la distinction qui devrait être opérée, à son avis, entre, d’une part, les principes de base neutres du point de vue du statut professionnel, formant le fondement de notre sécurité sociale et, d’autre part, l’application spécifique au statut professionnel de ces principes de base. Cette théorie revient à dire que les règles de base doivent être similaires pour tous les groupes professionnels (travailleurs salariés et travailleurs indépendants), mais que leurs effets doivent respecter autant que possible la spécificité de ces catégories professionnelles. Dès lors, le point de départ de la sécurité sociale devrait être le même pour toutes les personnes professionnellement actives : en cas de survenance d’un risque social, tenter de remédier à la perte de revenus ou de compenser les frais déboursés. Lors de la mise en pratique, il faudra tenir compte des caractéristiques propres au groupe professionnel. Ainsi, les conditions d’exécution chez le travailleur salarié tournent autour du rapport de travail avec son employeur. Chez le travailleur indépendant, les conditions d’application doivent être adaptées à son statut d’indépendant. L’auteur pense que cette distinction entre neutralité et spécificité du statut de travail peut également générer une valeur ajoutée lors de la conception de la sécurité sociale pour d’autres catégories de travailleurs atypiques comme : travailleurs à temps partiel, personnes qui travaillent à des moments irréguliers ou pendant de brèves périodes, télétravailleurs, etc… L’article franchit ainsi un premier pas visant à appliquer cette théorie citée aux autres formes de travail atypique. Après s’être inquiété de savoir s’il était possible de concevoir une sécurité sociale adaptée aux travailleurs atypiques, l’auteur aborde la question suivante : dans quelle mesure, les institutions supranationales - plus précisément l’Union européenne incitent-elles les Etats à mettre au point une telle protection adaptée. Tous ces éléments sont associés à la libre circulation des citoyens, ainsi qu’au débat actuel sur l’exclusion sociale au sein de l’Union européenne. 965


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« The atypical situation of the self-employed in the field of social security : what lessons can be learned as regards other groups of atypical workers ? » by Paul Schoukens In this article, the writer sketches out the difficulties that states experience when they draw up social security provisions that adhere as closely as possible to the specific situation of the self-employed. In so doing, he attempts to create a theoretical framework of the techniques that are used for this. This framework is directed towards the distinction that ought, in his view, to be made between, on the one hand, the basic principles of neutrality as regards professional status, which are at the heart of our social security, and, on the other hand, the particular application of those principles to professional status. This theory comes down to saying that the basic rules must be similar for all professional groups (salaried workers as well as the self-employed), but that their application should be adapted as far as possible to the specificities of these professional categories. Accordingly, social security should, at its starting point, be the same for all professionally active persons: in the event of social risk, it should seek to remedy loss of revenue or compensate for costs incurred. In its practical application, account should be taken of the particular characteristics of the professional group. Thus, the application to salaried workers will be influenced by the working relationship with the employer. For the self-employed, the conditions of application should be adapted to that status. The writer believes that this distinction between neutrality and specificity can also give added value to the creation of social security provisions for other categories of atypical workers such as: part-time workers, those who work for irregular or brief periods, home-workers, etc … The article thus takes a first step towards the application of the stated theory to other forms of atypical work. After being concerned to know whether it might be possible to create a system of social security suitable for atypical workers, the writer broaches the following question: to what extent do the supranational institutions – more particularly the European Union – encourage states to develop such adapted protection. All these matters are related to the freedom of movement of citizens and to the current debate on social exclusion within the European Union. ______

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PRIX Le numéro En Belgique ..........................6,20 EUR A l'étranger ...........................7,44 EUR

L'abonnement annuel (4 numéros) En Belgique ........................18,59 EUR A l'étranger ........................ 22,31 EUR ISSN : 0035-0834 C.C.P. : 679-2005863-97

Les auteurs sont priés d'adresser leurs manuscrits à Hendrik Larmuseau, Directeur général, Service public fédéral Sécurité sociale 3C, rue de la Vierge Noire - 1000 Bruxelles

e-mail : hendrik.larmuseau@minsoc.fed.be Les textes reçus sont soumis, pour avis, à des spécialistes en la matière.


CONSEIL DE REDACTION PRESIDENTS Les Commissaires royaux honoraires ROGER DILLEMANS PIERRE VAN DER VORST

CONSEILLERS SCIENTIFIQUES GABRIELLE CLOTUCHE, directrice à la Commission européenne HERMAN DELEECK, professeur émérite MICHEL DISPERSYN, professeur à l’Université Libre de Bruxelles (U.L.B.) PIERRE PESTIEAU, professeur à l’Université de Liège (U.Lg) BERND SCHULTE, professeur au Max Planck Institut, München WILLY VAN EECKHOUTTE, professeur à la Rijksuniversiteit Gent (R.U.G.) JEF VAN LANGENDONCK, professeur à la Katholieke Universiteit Leuven (K.U.L.) PASCALE VIELLE, professeur à l’Université catholique de Louvain (U.C.L.)

MEMBRES DE L'ADMINISTRATION FRANK VAN MASSENHOVE, Président, Service public fédéral Sécurité sociale MARC GOOSSENS, Directeur général, Service public fédéral Sécurité sociale HENDRIK LARMUSEAU, Directeur général, Service public fédéral Sécurité sociale FRANK ROBBEN, Administrateur général, Banque-carrefour de la sécurité sociale JOHAN VERSTRAETEN, Administrateur général, Office national d'allocations familiales pour travailleurs salariés ELISE WILLAME, Directrice générale, Service public fédéral Sécurité sociale

COMITE DE REDACTION PRESIDENT HENDRIK LARMUSEAU, Directeur général, Service public fédéral Sécurité sociale

MEMBRES FRANK VAN MASSENHOVE, Président, Service public fédéral Sécurité sociale Directeurs généraux au Service public fédéral Sécurité sociale: MARC GOOSSENS, JOHAN LUTTUN, HUBERT MONSEREZ et ELISE WILLAME Ont collaboré à la réalisation de ce numéro : JEANNINE DROUOT, MICHEL EGGERMONT, FRANCOISE GOSSIAU, JEAN-PAUL HAMOIR, JEAN MEERSSCHAERT, MURIEL RABAU, GUY RINGOOT, DANIEL TRESEGNIE et ROLAND VAN LAERE


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