Il y a dans la notion générique de relief, un enjeu de mesure et de démesure. Et c'est pour cela que le relief nous interroge pleinement, puisqu'il situe et resitue le sujet que nous sommes, Comme un sujet mobile et nomade Comme un sujet habitant, Comme un sujet regardant Pour cela comme un sujet sensible. De Biothing et ses micro-reliefs à André Bloc et son principe d'architecture sculpture, en passant par Günter Günschel et ses structures spatiales ou encore en découvrant la singularité du travail mené par Gérard Singer, dans un rapport d'échelle fluctuant, il s'agit bien là d'éprouver une première forme de ce rapport de mesure et démesure. Mais il en existe bien dʼautres que Emmanuelle Chiappone-Piriou et Aurélien Vernant, commissaires de lʼexposition ont savamment travaillé. Leurs choix curatoriaux génèrent des points de vues qui vous sont proposés sur ce rapport au relief, à lʼimage de cette proximité provoquée entre un paysage de Beauce (perçue par Andreas Gursky et qui a fait lʼenjeu dʼune commande artistique liée à la collection du Frac en 1994) et la présence dʼune sculpture de František Lesák, artiste tchèque (dont les œuvres viennent de suivre une procédure d'acquisition fin 2014 - 20 ans plus tard) que vous découvrirez en entrant dans la Galerie des Turbulences. À travers l'image de la montagne, la notion de Relief trouve aussi, un possible visage de l'altérité radicale qu'il peut être. Il nous invite à envisager, à engager une possible projection du « surmontable » (David Picard) et cʼest au prix de l'expérience acquise du sommet ou de la forme surmontée, dépassée, que pointent, aussitôt et déjà, les conditions d'une nouvelle perception, d'une nouvelle vision, d'un plus loin. Mesure et démesure encore, que la présence dʼAurélie Pétrel est venue travailler, nourrie de sa pratique personnelle, de sa maîtrise et de ses questionnements vis-à-vis des conditions de construction du regard. Invitée à partager, avec lʼéquipe du Frac et les commissaires, la définition, la préparation et la mise en forme de cette exposition, « Relief(s) » est pour cela imprégnée de sa présence, de ses parcours. Une présence qui se poursuivra dʼailleurs au long du déroulement de « Relief(s) » puisquʼil sʼétirera jusquʼaux prochaines journées du patrimoine en septembre prochain. Comment ne pas penser aussi au travail spécifiquement réalisé pour la Galerie des Fours à Pain par lʼartiste Yasuaki Onishi qui fut lʼhabitant du lieu pendant plusieurs jours pour concevoir son projet.
Cette forme suspendue joue avec les espaces, les volumes, le plein et les creux. Lʼombre et la lumière. En cela elle nous rappelle que seule la présence du relief entremêlée à celle de la lumière, donne à voir et à percevoir. Et donc à savoir. Cette œuvre dialogue avec une autre œuvre présente dans la Galerie des Turbulences, celle de Jorge Pedro Núñez qui fait référence à la pratique japonaise du Suiseki. Elle renvoie à cette quête traditionnelle de pierres naturelles, formant collection, qui vient se substituer, dans un condensé, à l'immensité du monde et son inaccessibilité. Cette pratique interroge nos besoins d'appropriation des choses, des procédures de transfert et de substitution auxquelles face à la démesure nous sommes parfois amenés ou tentés. Elle vient rendre compte dʼune démarche artistique que cet artiste développe par ailleurs et qui interroge notre relation au savoir et à sa maîtrise. Il travaille sur cet écart de perception, ce qui nous fait aller de leurs compilations (sans limite) du savoir et de sa maîtrise, à la nécessité de se créer aussi, presque paradoxalement, des cartographies et des parcours possibles pour arpenter cette démesure. Qui est alors et par cela-même, travaillée. Cette démarche trouve dans « Relief(s) » des échos forts avec les œuvres de Bas Princen mais aussi ou encore avec celle de Francis Alÿs (déplacer les montagnes) ou dʼArmin Linke. Laissez-vous aller à parcourir les espaces, à prendre la mesure des œuvres présentes, de la collection et du dialogue travaillé et renouvelé entre art et architecture que porte cet établissement. Et sʼil le faut, nʼhésitez pas à faire une courte pause, le temps dʼun hypothétique bivouac, avec Archizoom et No-Stop City, judicieusement présenté dans l'exposition.
Eric Degoutte Directeur par intérim des Turbulences – Frac Centre