VILLE / ARCHITECTURE : LE R.A.P. HORS D'ÉTUDE ?

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VILLE / ARCHITECTURE : LE R.A.P. HORS D’ÉTUDE ?

François DUCHAMP Licence 3

UE4 E622 : Rapport d’Étude Année Universitaire 2016-2017 Date de soutenance : Jeudi 8 Juin 2017 Enseignant Tuteur : Nadine ROUDIL Licence 3


VILLE / ARCHITECTURE : LE R.A.P. HORS D’ÉTUDE ? François DUCHAMP Licence 3

UE4 E622 : Rapport d’Étude Année Universitaire 2016-2017 Date de soutenance : Jeudi 8 Juin 2017 Enseignant Tuteur : Nadine ROUDIL Licence 3

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SOMMAIRE INTRODUCTION ................................................................................... 4

I.

Le Rap, un courant musical hautement « spatialisé » .............................. 5 1. L’espace urbain au fondement du mouvement Hip-Hop ............................................................ 5 2. Origines et arrivée du Rap en France ............................................................................................... 6 3. Les « espaces » du rap dans la ville Européenne ........................................................................... 8 a) La construction médiatique du rap comme phénomène « de banlieue » ...................................... 8 b) Des lieux de pratiques de plus en plus diversifiés ................................................................................... 8 4. Paris : Quand les rappeurs racontent leur ville ......................................................................... 10

II. Stigmatisation et exclusion urbaine: le Rap Français en porte voix ............ 12 1. Exclusion urbaine : de quoi parle-t-on ? ....................................................................................... 12 a) Tentative de mise à l’écart du champ culturel ......................................................................................... 12 b) Tentative de mise à l’écart du champ spatial ........................................................................................... 13 2. Exclu et excluant : le double visage du rappeur Français ....................................................... 15

III. Rap: un produit de l’architecture de nos villes ? .................................. 16 1. Histoire de l’urbanisme moderne ................................................................................................... 16 2. Robert Moses / Le Corbusier : les pères du mouvement Hip-Hop ? .................................... 17 3. Le Hip-Hop comme outil d’architecture ? ..................................................................................... 18

CONCLUSION ..................................................................................... 20

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INTRODUCTION « Avec mon rap j’éclaire ma ville » 1 disait Flynt en conclusion du morceau éponyme sorti en 2013. Le rappeur parisien, avec ces termes, a ainsi résumé le postulat qui a motivé ma démarche d’étude. Auditeur de rap depuis ma prime adolescence, j’ai pu me constituer au fil des années une connaissance large du genre, de ses codes et des ses valeurs. Par cet attrait et cette curiosité naturelle, j’ai choisi d’interroger l’image que le rap véhicule auprès d’une grande partie de la société, en m’intéressant aux véritables fondements de cette forme d’expression musicale. Pour autant, s’il est une caractéristique du genre bien ancrée dans l’imaginaire commun -à tord ou à raison- c’est sa dimension urbaine. En effet, le rap a été dès sa naissance intrinsèquement lié à l’espace ainsi qu’à l’imaginaire de la ville. Preuve en est la définition qu’en donne l’encyclopédie communautaire Wikipédia sur son site : « Le rap est une forme d'expression vocale, un des cinq piliers du mouvement culturel et musical hip-hop, ayant émergé au milieu des années 1970 dans les ghettos de New-York aux États-Unis. » 2 Même si le rap s’est aujourd’hui répandu dans le monde entier, il est et a toujours été spatialement localisé, voire même ultralocalisé , et très souvent urbain. C’est un élément, non pas central, mais structurant et inévitable. Depuis 1982, et le célèbre titre « The Message » de Grand Master Flash3, le rap a servi de porte-parole à une certaine partie de la population. Il n’a cessé de questionner le rapport à l’environnement bâti, aux politiques d’aménagements urbaines et aux ségrégations spatiales. Le rap a rencontré un écho immense dans les catégories populaires, qui ont très vite adopté ses codes. Néanmoins, il est possible de constater que le rap est encore aujourd’hui au centre de beaucoup de fantasmes et d’incompréhensions de la part du grand public et de la classe dominante ( entendu ici comme la classe sociale qui concentre les fonctions de direction dans les différents domaines de la société). Cela est dû en grande partie au fait que le rap s’est construit petit à petit autour de références communes à ses pratiquants, et qu’il reste assez difficile d’accès pour celui qui n’en possèderai pas les rudiments, les codes élémentaires. Le cas plus spécifique du rap français n’est pas une exception à ce constat. C’est sur ce dernier que j’ai décidé de focaliser mon étude, même si celle-ci ne pourra faire l’économie d’une mise en perspective plus large. Je tenterais, par une approche combinant celle du sociologue, de l’architecte mais aussi du simple auditeur de développer mon questionnement de départ à savoir : En quoi le rap pose-t-il des questions d’accès à la ville ? Dans un récent appel à contribution4, la Revue Espaces et Sociétés a défini cette notion comme suit : « l’accès à la ville – qui désigne étymologiquement autant l’approche de l’espace urbain que les modalités selon lesquelles celui-ci consent à accueillir (...) – au travers de lieux qui matérialisent cet accès. » Généralement la notion d’accès est entendue en termes de mobilités et de transports quand elle porte sur l’objet ‘ville’; ou en termes de conditions de ressources, de difficultés et d’inégalités quand elle porte sur l’objet ‘logement’. » Cette définition sera le point de départ de mon exploration des relations qui lient le rap à l’espace urbain. Ainsi, dans un premier temps, je m’attacherai à démontrer le caractère hautement spatialisé du rap Français. J’irais puiser dans son histoire, dans sa pratique langagière et me servirai de l’exemple de Paris, une des deux principales métropoles du rap français (avec Marseille). Il sera alors intéressant de se demander si il existe des espaces du rap dans la ville, et si oui, de les localiser. Dans une deuxième partie, je traiterais du rap en tant que porte-voix d’une exclusion spatiale et sociale française. Je tenterais de définir de quelle exclusion nous parlons ici, en la mettant en parallèle avec l’arrivée du rap en France. Cela nous permettra d’avancer l’hypothèse d’un double visage du rappeur français : stigmatisé et stigmatisant. Enfin, dans une troisième et dernière partie, nous élargirons le spectre d’étude pour nous demander si le rap ne peut pas être considéré comme un produit de l’architecture de nos villes ? Une brève histoire de l’Urbanisme moderne nous permettra de mettre en lumière les liens entre les architectures résultantes des politiques d’aménagement de l’époque, et l’apparition du mouvement HipHop. Ce lien établi, nous pourrons nous demander si sa réciproque est envisageable ? Autrement dit, peuton se servir du Hip-Hop comme outil de conception d’architecture ? 1

Flynt, « J’éclaire ma ville », J’éclaire ma ville, Label Rouge, 2007 “Rap.” Wikipédia, May 17, 2017. https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Rap&oldid=137419599. 3 Grand Master Flash and the Furious Five, « The Message », The Message, SugarHill Record, 1982 4 “Migrants et Accès À La Ville | Espaces et Sociétés.” Accessed April 22, 2017. http://www.espacesetsocietes.mshparis.fr/blog/2016/04/17/migrants-et-acces-a-la-ville/. 2

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I.

Le Rap, un courant musical hautement « spatialisé »

1. L’espace urbain au fondement du mouvement Hip-Hop Pour comprendre la relation qu’entretient le rap avec l’espace urbain, il est nécessaire de remonter aux origines même du Hip-Hop. En 2013, à l’occasion des 40 ans du mouvement, Laurence Rebecca (Journaliste BBC)5 revient sur la naissance de ce qui sera certainement une des plus grande révolution culturelle et musicale du 20e siècle. Le Hip-Hop nait en 1973 au 1520 Sedgwick Avenue, West Bronx, New York. C’est ici précisément que se tient la première « Block Party » (littéralement Fête d’ilot) de l’histoire. Comme le dira plus tard DJ Kool Herc, son organisateur : “This first hip-hop party would change the world.” Par Hip-Hop on désignera plus tard toutes ses disciplines, c’est à dire : le rap mais aussi le djing (passer des disques simultanément, en les mélangeant et en les modifiant), le graff (art de l'écriture, la représentation des lettres et des mots en peinture, en environnement urbain) le b-boying (danse Hip-Hop) et le Beat-making (composition de morceaux instrumentaux pour le rap et le R’n’B). Ce premier rassemblement cristallise une énergie déjà présente, et cela grâce aux innovations techniques et esthétiques de DJ Kool Herc. Il trouve notamment un moyen de jouer ses morceaux beaucoup plus fort, en utilisant deux platines et un mélangeur pour basculer entre les enregistrements et invente ce qui va devenir la base instrumentale du rap : il prolonge le break beat d’un morceau de James Brown : le chant et les autres éléments de la musique se retirent pour laisser place à la seule section rythmique. Le break beat surgit donc des mains de Kool Herc, et avec lui, la boucle ou le sampling manuel. 6 Herc apporte aussi de sa culture jamaïcaine la coutume de griller (parler sur les disques) que son ami Coke La Roc utilise et il constate l’effet puissant que cela produit sur la foule. Pour autant, si cette chaude nuit d’été permet de marquer précisément la genèse du rap, les facteurs qui ont mené à la création d'une culture hip-hop ont été une fusion d'influences sociales, musicales et politiques aussi diverses et complexes que le son lui-même, rappelle Laurence Rebecca. Dans son livre Can’t Stop Won’t Stop : une histoire de la génération Hip-Hop 6, le journaliste Jeff Chang localise les bases du hip-hop dans les politiques sociales du renouveau urbain lancé par Robert Moses (Urbaniste et Architecte en chef de New-York) et la négligence bénigne de l'administration Nixon. La construction du New-York's Cross Bronx Expressway (infrastructure routière majeure desservant Manhattan) détruit de nombreux quartiers ethniques de la ville, ainsi que ses logements et ses emplois et déplace les communautés pauvres (noires et hispaniques) dans de véritables terrains vagues, comme l'est de Brooklyn et le sud du Bronx, tandis que le gouvernement ferme les yeux sur la situation. À la lumière de cela, il semblerait évident de qualifier le Hip-Hop de culture urbaine à part entière. Pourtant la réalité s’avère plus complexe. En effet, dès ses débuts le groupe Afrikaa Bambataa résumera dans la célèbre phrase «Peace, Love unity and having fun» ce qui fait l’essence du Hip-Hop : son universalité. Comme l’explique très justement Seif Eddine Yahia dans Hip-Hop : une révolution enfin reconnue 7 : « Cet état d’esprit devait être une réponse à l’enfer des ghettos américains (et plus tard des ghettos français) ; à la guerre des gangs qui faisait rage à l’époque dans les rues de New York City et à un désœuvrement de la jeunesse des quartiers noir et latino au sein de Big Apple. L’énergie de cette jeunesse perdue dans la guerre des gangs devait être canalisée de manière à générer quelque chose de bon et de constructif. La danse, l’art pictural, le graff et par la suite le rap devaient devenir ces exutoires positifs. » 7 Le Hip-Hop est donc né dans cet environnement urbain mais ne se limite pas à celui-ci dans le sens où les valeurs qu’il véhicule sont universelles et donc pas limitée à une population strictement urbaine, et NewYorkaise de surcroit. Ce sont ces valeurs originelles qui permettront au Hip-Hop de se développer de manière exponentielle, de partir à la conquête du monde et de trouver en France un écho particulièrement puissant.

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Laurence, Rebecca. “40 Years on from the Party Where Hip Hop Was Born.” Accessed April 22, 2017. http://www.bbc.com/culture/story/20130809-the-party-where-hip-hop-was-born. 6 Chang Jeff, 2015, Can’t Stop Won’t Stop : une histoire de la génération Hip-Hop, Allia Éditions, Paris, 632 pages 7 « Hip Hop : Une Révolution Enfin Reconnue? » Seif Eddine Yahia - PDF.” Accessed May 20, 2017. http://docplayer.fr/8227295-Hip-hop-une-revolution-enfin-reconnue-seif-eddine-yahia.html.

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Back to School party – Bronx - 1974 Photographe anonyme http://culture-pop.fr/histoire-du-hiphop/

2. Origines et arrivée du Rap en France

Contrairement à son grand frère états-unien, qui est d’abord né dans la rue pour se diffuser ensuite dans les médias, le rap français à emprunté exactement le chemin inverse. En effet, à partir de 1984 le grand public découvre la culture Hip-Hop à travers l’émission H.I.P.H.O.P 8, diffusée sur TF1 et animée par le désormais célèbre Sidney, premier animateur noir en France. Si cette émission ne sera diffusée que quelques mois à l’antenne, son immense popularité va servir de catalyseur au rap français. C’est à cette époque que l’on voit apparaitre les premiers rappeurs français comme Richy Nec Plus Ultra, Lionel D ou Dee Nasty. Ce dernier sera aussi l’animateur de Deenastyle9 émission rap diffusée sur la radio pirate Nova. Il sera aussi l’organisateur des premiers rassemblements Hip-Hop parisien sur le terrain vague de La Chapelle qui feront éclore des rappeurs tels que Suprême NTM ou ASSASIN.Dans son livre Une histoire du rap en France 10, Karim Hammou définit la première période du rap français (de 19811991) comme celle des prémisses de la présence d’un rap en français (notamment dans des chansons de variétés), mais également celle de l’émergence de la figure du rappeur. Par la suite, si ce mouvement s’est développé à une telle vitesse en France, c’est aussi car il est arrivé dans un contexte politique et social propice à son expansion. En effet, les années 80 en France sont marquées par une crise profonde : chômage de masse auquel répond la rigueur économique, institutionnalisation du Front National et stigmatisation des immigrés. « Sous l’effet de la crise et du chômage croissant, les invectives se libèrent et un racisme latent se met à s’exprimer dans les plus hautes sphères politiques. Il y a bien un changement radical d’objet et de ton : là où la gauche portait jusqu’alors sa critique à l’encontre des bidonvilles, des conditions de travail et du racisme, l’heure est à une mise en question de la présence des immigrés dans la nation. » 11 8

Emission H.I.P H.O.P Présenté Par Sidney 19 Février 1984. Accessed May 20, 2017. https://www.youtube.com/watch?v=cZ1mm_SPlA4&t=742s. 9 Emission “Deenastyle” Radio Nova 1989 vol.01. Accessed May 20, 2017. https://www.youtube.com/watch?v=HkZ02kbJwW0. 10 Hammou Karim, 2014, Une histoire du rap en France, La Découverte Poche, Paris, 304 pages 11 “«Les Années 80 Ferment Le Temps de La Contestation».” Libération.fr, Janvier 2014. http://www.liberation.fr/france/2014/01/13/les-annees-80-ferment-le-temps-de-la-contestation_972472.

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Dans ces conditions, le rap trouve un écho extrêmement fort dans les couches les plus dévalorisées de la société et celles d’origine immigrées. Le sociologue Laurent Béru ira même jusqu’à qualifier le rap français de produit musical post-colonial (Béru, 2008)i. Si il est vrai que l’engagement véhiculé par de très nombreux rappeurs au début des années 90 conduit à la dénonciation d’un racisme institutionnel, (hérité tant de la période de la traite négrière que de l’époque de la soumission coloniale), cette affirmation reste cependant à relativiser tant le rôle des médias dans la stigmatisation du mouvement a été fort dès cette période. Laurent Béru lui même cite l’exemple des deux grands premiers succès commerciaux du Rap Français que sont le Suprême NTM et MC Solaar : « Si l’un (Suprême NTM) est souvent « accusé d’être trop « violent » et défrait la chronique médiatique à cause de procédures judiciaires engagées à leur encontre et aux propos critiques envers l’establishment, l’autre (MC Solaar) suscite quant à lui l’intérêt des médias parce que considéré, notamment par les journalistes culturels de la presse écrite, comme des artistes ayant « imposé une autre idée du rap ». 12 On voit bien ici la scission faite par les médias entre le mauvais rap (inadaptés aux valeurs de l’establishment) et le bon rap qui ne le remet pas en cause frontalement. On peut à cet égard tracer un parallèle intéressant avec l’arrivée du Jazz en Europe, celui ci étant le symétrique absolu du rap. En effet, Christian Béthune, sociologue, explique dans Le franchissement de l’Atlantique13 qu’après une flambée médiatique, lors de son arrivée en France – conséquence d’un engouement vif mais passager- « c’est chez les exclus, les laissés pour compte de la croissance, bref chez les plus démunis que le rap a rencontré un écho à la fois enthousiaste et massif. » à l’inverse du jazz qui lui «jouit d’un authentique succès populaire, c’est très vite une part de l’intelligentsia qui s’empare du phénomène. Écrivains (Jean Cocteau, Pierre Mac Orlan, Philippe Soupault…), compositeurs et chefs d’orchestre réputés (Darius Milhaud, Ernest Ansermet, Jean Wiener…), musicologues, anthropologues et essayistes se veulent à la fois les initiateurs du jazz dans le champ culturel européen et les interprètes de son essence. » Cette rupture que représente le rap avec toutes les formes musicales importées auparavant en Europe va même plus loin. Christian Béthune, explique alors : « À l’origine, le rapport du jazz européen au jazz américain est, peu ou prou, une relation de modèle à copie et, aux oreilles des amateurs, l’américanité représente à la fois un but vers lequel toute poétique est censée tendre et une sorte de norme indépassable du goût, exigences que l’on retrouvera au moment de l’émergence du rock’ n’ roll. » 14 En revanche pour les rappeurs français la réalité est toute autre : le hip-hop américain constitue « une source indéniable d’inspiration musicale et littéraire, une référence culturelle et un réservoir de thèmes et même de formules prêtes à l’emploi, mais ces emprunts s’accompagnent d’une attitude volontiers critique, voire désinvolte ou goguenarde, à l’égard de la culture de référence et de ses représentants. » 14 Kool Shen, l’une des moitiés du groupe NTM déclarera même à ce sujet : « L’Amérique ce n’est pas un exemple. ça en reste un au niveau du produit, mais pas de la démarche et de l’éthique. On ne parle pas d’éthique avec les américains, tu leur mets un billet, ils courent. ». 14

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Béru, Laurent. “Le rap français, un produit musical postcolonial ?” Volume !. La revue des musiques populaires, no. 6 : 1-2 (October 15, 2008): 61–79. 13 Béthune, Christian. “Le franchissement de l’Atlantique.” Volume !. La revue des musiques populaires, no. 3 : (October 15, 2004): 19–27. doi:10.4000/volume.1942.

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3. Les « espaces » du rap dans la ville Européenne

a) La construction médiatique du rap comme phénomène de banlieue L’origine du rap français et son indépendance vis-à-vis de son aîné étant maintenant établi, il convient de s’intéresser à la construction spatiale et sociale du rap dans la ville Européenne et nous verrons que là aussi, le traitement médiatique qui lui a été réservé a joué un rôle déterminant. Effectivement, à son arrivée en France, le rap a fortement bénéficié de sa soudaine visibilité médiatique dû à sa nouveauté (comme nous l’avons vu plus haut) cependant Le début des années 1990 marque un tournant puisque c’est pendant cette période que va se construire l’association entre rap et banlieue au sein du groupe majoritaire, qui va définir le rap comme la musique de l’Autre. Karim Hammou (Hammou, 2009)ii résume cette construction médiatique du rap par la triple étrangeté qu’il représente aux yeux de la classe dominante : - liée à sa géographie (le rap est-il d’ici ou d’ailleurs ?), - liée à sa nature même (le rap est-il un art ?) - liée à sa légitimité sociale (le rap est-il violent ?). Dans un compte-rendu de la thèse K.Hammou15, Séverin Guillard explique ce processus qui a « progressivement assigné le rap à l’espace géographique symbolique de la banlieue ». Selon lui « l’association à la banlieue est issue d’un compromis entre la volonté des rappeurs de définir le rap comme une pratique artistique et celle des animateurs de talk-show de le décrire comme un phénomène exotique. C’est ainsi que s’établit un mandat de responsabilité minoritaire reposant sur un malentendu tacite » Du côté des animateurs, le rap permet de donner à entendre les maux de la banlieue. Du côté des rappeurs, en revanche, la banlieue constitue un espace symbolique à partir duquel ils peuvent s’exprimer, et sur lequel ils peuvent éventuellement donner un discours différent. Il n’est pas ici question de nier le fait que les « banlieues » des grandes villes françaises ont été le théâtre du développement massif du rap français, mais bien de comprendre la logique qui l’a progressivement rangé au rang de pratique de banlieue dans les années 90.

b) Des lieux de pratiques de plus en plus diversifiés Partant de ce constat, on peut alors se demander si il existe des lieux de pratiques du rap dans la ville -que ce soit dans les banlieues ou en dehors- et quels sont-ils ? Comment le rappeur s’approprie t-il l’espace public et quels liens tisse-t-il avec celui-ci ? Existe-t-il des lieux de » pratique en dehors de la sphère publique ? Si dans l’imaginaire commun, le rappeur est un artiste de rue, peut-on réellement vérifier cette affirmation dans la réalité ? Pour Séverin Guillard, « La rue apparaît tout d’abord comme une représentation de l’espace. Cette image de la rue constituerait ainsi l’essence du hip-hop, construite à la fois selon une logique de classe (la rue serait l’espace des classes populaires) et de réussite artistique. »14 « La rue fait également référence à des pratiques de l’espace dans la mesure où elle correspond à des endroits concrets, fréquentés par les acteurs du monde du rap. Dans ce cadre, la rue ne fait plus référence à un espace symbolique chargé de valeurs reflétant « l’esprit du hip hop » mais bien à des structures propres à la pratique musicale, dans lesquelles vont s’effectuer les interactions entre les différents acteurs du monde du rap et où vont pouvoir s’exprimer les valeurs qui sous-tendent celui-ci. » 15 Cependant, dans les deux cas, la référence à la rue possède la même fonction : elle sert avant tout à montrer la légitimité d’un rappeur à s’inscrire dans le monde social du rap et la confiance que celui-ci lui manifeste en retour. Peu d’études existent sur les lieux de pratiques du rap au sein de la ville, celles-ci se concentrant généralement sur la division entre ville légitime et banlieue. Pourtant, cet éclairage est 14

Guillard, Séverin. “Batailler Pour Un Chant : Un Compte-Rendu.” Billet. Sur Un Son Rap. Accessed April 25, 2017. https://surunsonrap.hypotheses.org/2561. 15 Guillard, Séverin. “Batailler Pour Un Chant : Un Compte-Rendu.” Billet. Sur Un Son Rap. Accessed April 25, 2017. https://surunsonrap.hypotheses.org/2561.

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essentiel à la compréhension du mouvement Hip-Hop en France ainsi que des thèmes qu’il a ensuite développé autour de l’espace urbain. Allain Millon, dans un article assez critique envers la place du rap dans la société, explique assez bien le rapport que pouvait avoir originellement le rappeur à l’espace public : « À l’origine du rap, l’improvisation musicale était le moyen pour le rappeur de prendre à partie les différents acteurs de la ville pour les inciter à réfléchir sur la manière dont l’espace public est composé. Ce n’est pas propre au rap évidemment ; il suffit de remonter à la tradition troubadour pour voir comment les trouvères et troubadours improvisaient leurs chansons sur des thèmes de la vie quotidienne comme les encombrements de la ville, les menus larcins, les altercations... pour interpeller les habitants. Le rappeur fait exactement le même travail. »16 Voilà un premier éclairage concernant les lieux de pratiques du rap, mais l’espace public n’est pas le seul à être investi par le rappeur. Il existe de nombreux autres lieux de pratique, de production ou de représentation du rap dans la ville. Benoit Quitellier est un des seuls à s’être intéressé à cette question au travers de l’exemple de la ville de Bruxelles. Son étude de la spatialité des battles et des entrainements de breakdance à Bruxelles illustre les transformations contemporaines touchant l’ensemble des pratiques issues de la culture hip-hop. À travers une analyse fine de la capitale belge il conclu à la « prise de maturité et à l’évolution de la base sociale des pratiquants »17 qui permet au Hip-Hop à l’heure actuelle de se déplacer en dehors des zones les plus défavorisées de la ville, au sein de quartiers plus mixtes sur le plan ethnique et socio-économique. Cependant, il met aussi en avant la difficulté persistante de ses pratiquants à infiltrer des institutions ou évènements culturels traditionnels. Il pointe le fait que le Hip-hop soit toujours représenté dans les mêmes lieux qui ouvrent leurs portes et pour les mêmes événements. Selon lui, cela produit un effet pervers donnant l’illusion d’une intégration durable dans les structures socio-culturelles de la ville alors que le hip-hop et ses pratiquants sont encore en réalité très marginalisé. Il insiste : « Déjà peu présent au niveau des représentations, le réseau culturel traditionnel est tout simplement quasi absent de la production artistique et de la pratique hors cadre événementiel. » On comprend alors mieux le développement de stratégies compensatoires de la part des pratiquants de la discipline dont la principale consiste à mettre en pratique de façon spontanée des lieux de l’espace public. Pour autant, cette démarche n’est pas sans difficulté puisque même si le caractère principal de l’espace public est son accessibilité les rappeurs et breakeurs sont souvent victimes de leur statut d’usagers faibles dans les différents lieux qu’ils s’approprient, ainsi que de la relative mauvaise image qu’ils renvoient aux riverains. À cause de ces risques de refoulement ou d’éviction, ce sont dès lors de plus en plus des lieux situés dans zones moins attractives de l’agglomération qui sont utilisés par les pratiquants, typiquement des gares ou des stations de métro.

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Milon, Alain. “Pourquoi le rappeur chante ?” Cités, no. 19 (December 1, 2007): 71–80. Quittelier, Benoit. “Les lieux du hip-hop à Bruxelles : vers la fin du ghetto ?” Brussels Studies. La revue scientifique électronique pour les recherches sur Bruxelles, May 18, 2015. 18 Le rappeur Mokless en plein atelier d’écriture avec des jeunes / http://archives.fragil.org/focus/2385 19 Célèbre scène du rap battle d’Eminem dans un lieu underground de Detroit, extrait du film « 8 Mile » http://www.eminem.net/8mile/ 20 Extrait du clip « Gomorra » de SCH dans les utopies construites en banlieur de Naples http://www.mouv.fr/article-sch-voyage-dans-l-univers-de-gomorra-pour-son-nouveau-clip-video 17

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4. Paris : Quand les rappeurs racontent leur ville En France, il est impossible de parler du rap sans évoquer ses deux plus gros foyers de développement qu’ont été Paris et Marseille. Cependant, une analyse (même non-exhaustive) de la production rapologique de ces deux « métropoles du rap » serait tout bonnement irréalisable, aussi j’ai décidé de me concentrer sur celle qui a eu le plus d’impact sur la scène rap française : Paris. On peut facilement repérer des artistes ou des titres qui ont traité de manière directe ou indirecte de la ville Lumière. En se penchant sur ces exemples nous allons essayer de dresser un portrait rap de la capitale en allant piocher dans un florilège de titres plus ou moins anciens. Ceux-ci nous aideront à comprendre de manière plus directe comment le rappeur mobilise l’imaginaire de sa ville.

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MC Jean Gab’1 – Mes 2 amours et Paname

Dans ce titre, MC Jean Gabin, rappeur, enfant de la DDASS et ancien braqueur, nous plonge dans l’atmosphère musicale d’un Paris des années 30 et nous emmène dans une visite guidée de la capitale aux travers des lieux qui ont marqués son expérience de la ville : Barbès, Belleville, les Grands Boulevards, Pigalle, etc. Le rappeur dresse un portrait mélancolique de la ville lumière entre dégout et fierté d’y appartenir.Cette ambiance « vieux Paris est soulignée par l’intro du morceau où l’on distingue la voix de Jean Gabin, ainsi que le refrain où le rappeur emprunte la voix de Joséphine Baker pour affirmer : « J’ai deux amours, mon pays et Paris ». À noter que sur le même album se trouve le titre Paname, où il est question du même thème, mais dans une ambiance beaucoup plus sombre et scabreuse.

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Kohndo – Paris son âme

Kohndo, fidèle à son style plus « abstrait » s’intéresse d’avantage à l’atmosphère de la ville qu’à une description arrondissement par arrondissement. Le rappeur se place en observateur aérien d’une ville qu’il estime difficile à bien des égards, mais à laquelle il a bien du mal à cacher son attachement profond qu’il entonne dans le refrain « Paris hostile c’est ça ma ville, ma pile, mon île, le départ de mon exil ». Le clip vidéo associé au titre montre Kohndo spectateur d’un Paris mélancolique, gagné par l’anonymat et la solitude.

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Flynt – J’éclaire ma ville

Originaire de Paris Nord, Flynt décrit Paris comme le décor urbain de sa vie dévorée entre grisaille, galère, stress et surtout une franche impression de rater beaucoup de chose. Sentiment dont il « accuse » presque directement la ville qui l’a vu naitre d’en être responsable : « Paris, j’ai l’impression de passer à côté de ma vie ». Il insiste aussi sur la difficulté à condenser dans une chanson sa vision de la ville : « Paris, tu peux pas résumer la ville où tout arrive », et sur la bipolarité de la capitale divisée entre « ceux qui partage le gâteau et d’autres la cerise ». Bref, une sorte de cri de rage poussé par un homme triste, pris dans le tumulte incessant de son environnement.

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Hugo TSR – Là Haut

Hugo du TSR Crew, originaire du 18ème arrondissement de Paris, un rap sans paillettes et un message intact depuis le débuts des années 2000. Toujours les mêmes thèmes, ou presque, mais traités avec un flow, une plume et une noirceur difficilement imitables. Avec "Là-Haut", Hugo TSR prend de la hauteur sur sa ville pour mieux décrire ce qui se trame sous ses yeux. "J'm'en vais là-haut sur la butte, pour regarder la ville / Une gargouille de plus, les rues sont folles on dirait des rapides."

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Vald – Urbanisme

Vald est un nouvel arrivant sur la scène rap française (premières apparitions vidéos en 2012) et y fait clairement figure d’ovni. Il conjugue un style très cru à une approche totalement absurde du rap. Ici impossible de parler du titre sans parler du clip qui lui est associé, ou plutôt des clips qui lui sont associés. En effet l’artiste a choisi ici de réaliser trois clips pour un seul et même titre, trois plan-séquences de six minutes. Le scénario est simple : on y suit Vald, sortant d’un immeuble et allant s’acheter un paquet de cigarettes (cet événement étant le tournant dramatique de chaque clip, la pause scénographique entre les deux parties du morceau). Cette scène se répète dans chacun des trois clips. Au delà du caractère grotesque de la démarche, c’est avant tout une critique sévère de la ville et de sa jeunesse pour qui le point culminant de la journée « dans cette horrible rue où c’est toujours la même merde, c’est d’aller acheter des clopes ».

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II.

Stigmatisation et exclusion urbaine: le Rap Français en porte voix 1. Exclusion urbaine : de quoi parle-t-on ?

Comme nous l’avons vu plus haut, le terme exclusion prend ici plusieurs sens, celui de l’exclusion spatiale relatée dans les textes de certains rappeurs, le plus souvent issus de zones urbaines défavorisées, mais aussi celui de l’exclusion médiatique et culturelle du rap en France elle aussi dénoncée fortement dans les textes des rappeurs.

a) Tentative de mise à l’écart du champ culturel Dans son article Une culture urbaine, le Hip-Hop, Laurence Renard (Paysagiste DPLG) s’exprime en ces termes : « Porteur d’un message d’insoumission et exprimé en des termes souvent agressifs, le rap fait peur à l’establishment qui le réduit constamment à quelques symboles et l’attaque constamment. Quand Georges Brassens ou Gainsbourg pouvaient dire qu’ils voulaient, la moindre prise de position un peu forte d’un rappeur finit sur le bureau d’un juge. »21 Si il est nécessaire de nuancer ce constat, on ne peut pas pour autant nier la part de vérité dans cette affirmation. Il n’est aucunement question ici de faire de jugement de valeur entre artistes incomparables. Cependant, force est de constater que des artistes tels que Gainsbourg, Brassens ou même Renaud ont été beaucoup moins inquiétés en leurs temps par la justice, que les rappeurs français. Pour autant, les textes ou le comportement de ces immenses artistes étaient loin d’être lisses, avec des titres très engagés et explicites, parfois même violents. En fait, il semble y avoir une incompréhension mutuelle entre le monde du rap et celui des médias et du grand public. Il ne serait pas pertinent d’essayer ici de discerner qui a raison et qui a tord mais nous pouvons en revanche énoncer des faits qui témoignent de cette profonde incompréhension. Le plus flagrant d’entre eux est très certainement celui du passage éclair de Fabe (rappeur parisien à l’apogée de sa carrière dans les années 1990) sur le plateau de Taratata en 1995. Le rappeur y était invité par Nagui pour y défendre son album, mais celui-ci s’est vexé à cause du comportement des invités présent sur le plateau qui, juste avant sa prestation, ce sont amusé à singer sa musique. Autre exemple beaucoup plus récent, celui de Nekfeu en 2015 invité dans l’émission On n’est pas couché où Yann Moix (chroniqueur de l’émission) reproche au rappeur avec condescendance et agressivité sa non-légitimité à faire du rap, étant donné ses origines sociales (classe moyenne) et son physique plutôt lisse. Yann Moix est depuis revenu sur ses déclarations en déclarant sur Europe 1 : « En discutant avec lui, je me suis aperçu que c'était quelqu'un qui adorait la littérature, qui travaillait vraiment ses textes. J'ai découvert un chouette type, un vrai être humain, quelqu'un qui avait de l'humour et qui n'était pas rancunier comme d'autres petits rappeurs dont je ne vais pas citer les noms qui n'ont pas son talent. Et du coup j'ai reconsidéré sa musique, vous voyez ? Quand il y a quelqu'un en face vous vous dites que ce qu'il a fait ne peut pas être si mauvais que ça. Et donc depuis cette rencontre j'ai un peu plus écouté ses disques et je lui ai dit que je m'étais trompé." 22 Ici, le cas est spécialement intéressant puisqu’il illustre parfaitement l’ignorance dont peuvent faire preuve certains acteurs médiatiques vis-à-vis du rap, mais aussi leur incapacité à comprendre le rap comme discipline autonome, c’est à dire en dehors du prisme de la littérature, de la poésie ou de la chanson française.

21

“Une Culture Urbaine – Le Hip-Hop | La Fabrique Du Lieu.” Accessed https://www.lafabriquedulieu.com/une-culture-urbaine-le-hip-hop/. 22 Yann Moix sur Nekfeu : "J'ai découvert un chouette type" http://www.europe1.fr/culture/yann-moix-sur-nekfeu-jai-decouvert-un-chouette-type-2942174

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b) Tentative de mise à l’écart du champ spatial Cette tentative de mise à l’écart du champ culturel est étroitement liée à la mise à l’écart spatiale du rap (comme décrit plus haut dans la partie : des lieux de pratiques de plus en plus diversifiés). Simon Koci est un des seuls sociologues à s’être penché sur le sujet dans son article La ville sous les haut-parleurs ou le rap comme critique urbanistique et paysager, il a étudié un corpus de plus d’une centaine de textes de rap qui questionne directement la place des quartiers populaires et HLM dans la ville. Dans son étude passionnante, il y développe la figure du rappeur Habitant-Poète, qui parle de cette exclusion spatiale. En somme, il met en parallèle la voix du sociologue expert du fait urbain avec celle du rappeur qui ne se revendique absolument pas expert mais plutôt porteur d’un « discours critique et subversif, sensible et métaphorique tout aussi pertinent, si ce n’est autrement pertinent, que le discours scientifique classique ». Par cette dénomination d’habitant-poète, le sociologue s’inscrit dans le raisonnement de Laurence Renard lorsque celle-ci affirme que : « Le rappeur se nourrit de la richesse multiculturelle des quartiers populaires dont il est issu. Il parle de la ville et surtout des gens qui y vivent, des conditions de vie dans les quartiers difficiles, de la rage contre un système inégalitaire qui les discrimine. Mais au-delà du message contestataire, les rappeurs portent également un regard souvent très juste et plein d’humour sur leur quartier, leur ville et s’attachent à défendre leur territoire pour ce qu’il est, un lieu de vie, avec tout ce que cela comporte. »23 Il étaye ce raisonnement par un argumentaire à trois points : - Premièrement, les jeunes vivant dans les cités HLM ont une spatialité encore plus réduite que les jeunes d’autres classes sociales à cause de l’éloignement de celles-ci des centres urbains, de leur faibles dotations en transports en commun, et donc du découragement à la mobilité. « les personnes plus démunies auront un champ urbain réduit, en logeant très loin avec des moyens de transport mal commodes ou plus près dans des immeubles collectifs des zones « sensibles » : on peut parler dans ce cas d’habitants « captifs ». » (Paulet, 2000: 172)

« Je suis né à 2 kilomètres d’où j’traîne » Booba, « Jusqu’ici tout va bien », Temps mort, 45 Scientific, 2002

- Deuxièmement, cette spatialité limitée est encore plus flagrante pendant les périodes de vacances scolaires, ou les HLM et quartiers populaires sont surexploités contrairement aux zones plus aisées de la ville qui se vident au même moment. Il évoque d’ailleurs Camus qui parlait déjà de ce phénomène à Alger pendant l’entre-deux guerres : « Dans tous les cas, et si dur que fût l’été d’Algérie, alors que les bateaux surchargés emmenaient fonctionnaires et gens aisés se refaire dans le bon « air de France », […] les quartiers pauvres ne changeaient strictement rien à leur vie et, loin de se vider à demi comme les quartiers du centre, semblaient au contraire en voir augmenter leur population du fait que les enfants se déversaient en grand nombre dans les rues »iii Camus, 1994 237

Mais aussi Fabe et Oxmo Puccino : « Quand je serai grand j’veux habiter à la mer avec mon père et ma mère / Marcher dans l’sable, plus prendre le RER / Ces putains de tours j’veux plus les voir plus tard / J’veux vivre autre part, j’ai même une idée si tu veux savoir… » Fabe, « Quand je serai grand », Détournement de son, 1998

23

Koci, Simon. “La ville sous les haut-parleurs ou le rap comme critique urbanistique et paysager.” Environnement urbain / Urban Environment 8 (2014): 119–33. doi:10.7202/1027742ar.

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« Soleil du nord, soleil du nord / Famille nombreuse avec un seul salaire / C’est voir la mer à vingt ans et dix-neuf étés de galère » Oxmo Puccino, « Soleil du Nord », L’arme de paix, 2009

- Troisième raison qui fait de l’habitant des HLM un fin connaisseur de la ville et de l’espace public c’est la petitesse et l’exiguïté de son lieu de vie, l’espace intérieur atteint rapidement le seuil où l’effet de promiscuité se fait ressentir, ce qui pousse certains à investir les espaces extérieurs comme le prolongement de l’espace intérieur manquant. Simon Koci ajoute : « Basé sur le confort moderne privilégiant la famille nucléaire réduite, le découpage intérieur, concrétisation de l’hygiénisme architectural procédant de la pensée la plus rationaliste possible (La Cecla, 2011), s’avèrera inadapté aux besoins particuliers des ménages. Cela dit, et compte tenu de la taille réelle – et non projetée – des familles peuplant les appartements HLM (Segaud, Bonvalet et Brun, 1998), ces logements issus de l’architecture statistique (Mangeot, 1999) si ce n’est de l’ingénierie sociale devinrent rapidement trop exigus. »24 « Les quatre murs de ma chambre m’oppressent, appartement HLM / Les tours immenses et froides / […] Le mal est aiguë, dans une place exiguë » NAP, « Le monde perdu », Le boulevard des rêves brisés, 1999.

Une autre composante de cette exclusion spatiale dénoncée dans les textes des rappeurs est celle de la macrocéphalie parisienne, phénomène historique français, qui exclu automatiquement des pans entiers de son territoire. « Plein de strass à Paname / À l’Assemblée on ignore ce qui se passe sur le macadam.» Shurik’n avec Akhenaton, Manifeste, dans « Où je vis » Virgin, 1998

Cette dernière citation de Shurik’n, et notamment l’emploi du mot « strass » montre bien comment les rappeurs français ont tenté de mettre en lumière la superficialité des politiques d’aménagements publics dans ses zones HLM. On peut mettre en perspective cette superficialité au néologisme façadisme utilisé par les architectes et autres experts de la ville. « Peinture, façade remaquillées / Pour masquer la pauvreté / Au cas où le touriste ne serait pas prêt » Shurik’ feat. Faf la Rage, « Esprit anesthésié », Où je vis, 1998

« Les murs de la cité sont repeints / Histoire de faire bien » KDD, « Galaxie de glace », Résurrection, 1998

« Les élus ressassent rénovation ça rassure / Mais c’est toujours la même merde derrière la dernière couche de peinture / Feu les rêves gisent dans la cour » IAM, « Demain c’est loin », L’école du micro d’argent, 1999

24

Koci, Simon. “La ville sous les haut-parleurs ou le rap comme critique urbanistique et paysager.” Environnement urbain / Urban Environment 8 (2014): 119–33. doi:10.7202/1027742ar.

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2. Exclu et excluant : le double visage du rappeur Français Dans Pourquoi le rappeur chante ? Le rap comme expression de la relégation urbaine, Alain Millon avance le constat d’un rappeur français à deux visages : celui d’un relégué mais aussi celui d’un reléguant. Au terme de relégation, nous préférerons ici celui d’exclusion, plus adapté au propos. « Les rappeurs expriment en général cette exclusion et cette impression de « dé-communautarisation » par un rejet brutal de la société dans sa globalité, un peu à la manière du groupe IAM quand il s’en prend à ce système social à deux vitesses : « On vit dans un pays d’hypocrites et plein d’enflés / D’entrée : liberté, égalité, si t’as du blé.»  Akhenaton, Lettre aux hirondelles, 1994.

Cette stigmatisation se retrouve chez les taggers et graffeurs quand, en déposant leur trace, ils interpellent les habitants de la ville sur la nature de l’espace public en posant implicitement ces questions : « À qui appartient la rue ? » ; « Qu’est-ce qu’un acte de civilité ? » ; « À qui confier l’urbanisation de la ville ? » ; « S’agit-il d’une cicatrice ou d’un visage de la ville ? ». Relégué, le rappeur va, à son tour, utiliser sa relégation pour interpeller la communauté urbaine sur le fait que ces formes esthétiques peuvent contribuer, chacune à sa manière, à la reconstruction de l’espace urbain. Étrange retournement de situation qui produit l’effet inverse de celui qu’il était censé accomplir, et c’est justement ce va-et-vient d’individus qui sont à la fois relégués et « reléguant » qui permet de prendre conscience de la situation dans laquelle chacun met l’autre : la relégation du rappeur à l’égard de la norme standard et la relégation de l’habitant ordinaire à l’égard de codes culturels qu’il ne comprend pas. »25

Cette double exclusion est aussi développée dans les écrits de Marie Sonnette, Docteure en sociologie, qui a mis en lumière le caractère postcolonial de la confrontation Nous vs Eux très utilisé dans le rap français. Selon l’auteur, ceux-ci « invitent à la confrontation – symbolique – de leur camp contre celui d’en face. » Le rappeur tente alors d’exclure et de dénoncer les agissements d’une catégorie rangée dans le pronom «eux » assez mal défini mais traitant souvent « de l’État, de la police, de la justice, etc. ». Il tente aussi en parallèle d’inclure son public à l’aide du pronom « nous » ou « on ».26 « Les lieux d’origine de la plupart des rappeurs, au sein desquelles il n’est pas rare de compter plus de soixante origines et nationalités diverses, sont à l’image de la postcolonialité en France. D’ailleurs, régulièrement associée aux surenchères médiatico-politiques autour de l’insécurité, la stigmatisation des quartiers pauvres en périphérie urbaine se confond avec celle des populations immigrées en provenance des pays autrefois colonisés par la France. »27 « On ne sera jamais intégré avec nos boubous, nos wesh-wesh » Stomy Bugzy, Lino, Mystik, Despo Ruti, Alpha 5.2, Tekila et James KP, « Sois hardcore », Rimes passionnelles », Musicast : 2007)

25

Milon, Alain. “Pourquoi le rappeur chante ?” Cités, no. 19 (December 1, 2007): 71–80. Sonnette, Marie. “Des mises en scène du « nous » contre le « eux » dans le rap français.” Sociologie de l’Art OPuS 23 & 24, no. 1 (May 6, 2015): 153–77. 27 Béru, Laurent. “Le rap français, un produit musical postcolonial ?” Volume !. La revue des musiques populaires, no. 6 : 1-2 (October 15, 2008): 61–79. doi:10.4000/volume.221. 26

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III.

Rap: un produit de l’architecture de nos villes ?

Après avoir sondé en profondeur la relation qu’entretient le rap avec l’environnement urbain, tant sur le plan sociologique, historique, que sur sa construction linguistique et musicale, une question demeure en suspens. En effet, si le rap a très largement exploité le monde de la rue et de la ville pour y construire son imaginaire, et ce dès sa naissance à la fin des années 1970, on peut alors très justement se demander si le Hip-Hop (et donc le rap à fortiori) ne pourrait pas être un pur produit de l’architecture de nos villes ? Ce questionnement est d’autant plus vaste qu’il pose la question de la ville comme matrice créatrice et féconde d’un mouvement populaire majeur de notre époque moderne. Pour tenter de donner quelques éléments de réponse à cette question, je commencerais par revenir brièvement sur l’histoire de l’urbanisme moderne, celui la même qui a vu naitre le Hip-Hop en son sein. Cela me permettra de mettre en lumière les deux « planificateurs » urbains ayant certainement eu la plus grande influence sur la naissance du rap : Le Corbusier et Robert Moses. Dans un second temps, je retournerais le prisme d’analyse en me demandant si, à l’inverse, le Hip-Hop ne pourrait pas être un outil d’architecture et de planification urbaine pertinent pour nos villes ? Cette question m’amènera à Detroit aux États-Unis ou des expérimentations ont lieu à ce sujet.

1. Histoire de l’urbanisme moderne Trois villes européennes auront une influence majeure sur la ville contemporaine : Paris, Barcelone, Amsterdam. Selon les théoriciens de la ville, la modernité nait du foisonnement des techniques et des sciences au 19e siècle. Paris, par exemple, était à l’époque un centre attractif mais était composé de petites parcelles assez insalubres. La volonté publique d’aménagement est cristallisée avec Haussmann. La ville se construit toujours d’après les flux qui la compose. Le Paris moderne nait d’une architecture au service de la ville et d’une ville au service de l’architecture. Barcelone avec le tracé très géométrique de Cerda traite lui de la re-densification de l’ilot. Amsterdam, sur les plans de Hendrick Berlage (architecte) développe un urbanisme composé d’ilots longs (traditionnels ilot fermé avec jardins privatifs ou communs, d’îlots ouverts avec jardin collectifs). Plusieurs utopies de villes industrielles voient le jour à cette époque chez de nombreux architectes et artistes : les futuristes italiens, Tony Garnier (avec ses travaux de villes industrielles, projets de cités jardins, quartier des États-Unis à Lyon.), etc. « La ville est un outil de travail. Les villes ne remplissent plus normalement cette fonction. Elles sont inefficaces : elles usent le corps, elles contrecarrent l’esprit. Le désordre qui s’y multiplie est offensant : leur déchéance blesse notre amour-propre et froisse notre dignité. Elles ne sont pas dignes de l ‘époque, elles ne sont pas dignes de nous » iv Le Corbusier, Urbanisme, 1924 Le Corbusier expose ici sa vision de la ville très autoritaire : la nécessité d’une ville ordonnée et efficace. Il propose ainsi en 1922 son désormais célèbre Plan Voisin. Cette proposition urbanistique reprend les principes hygiénistes: air, soleil, végétation, espace. Les échelles y sont considérables. Le IVème congrès international d'architecture moderne réunis à Athènes en 1933 est l'occasion de théoriser les principes de l'urbanisme moderne marqué par le fonctionnalisme, ouvrant la voie au « style international ». Le Corbusier y présentera son « Plan Voisin » pour adapter Paris, vieille de plusieurs siècles, aux conditions nouvelles liées à son expansion. Il propose de raser le quartier du Marais, alors insalubre, afin de bâtir de hautes tours d'habitation. Si le projet est provocateur, les questions n'en sont pas moins pertinentes : comment adapter nos vieilles métropoles aux conditions modernes ? Ce projet fait écho à celui de « Ville verticale » de Ludwig Hilberseimer en 1924 qui suit des principes simpliste de ville sur différents niveaux de dalles. Ces propositions sont à l ‘époques considérée come vecteurs de modernité et de progrès mais sont très vite dénoncé par certains artistes qui y voient une vision de l’ homme esclave de la machine. L'Europe, très attachée à son histoire et à son patrimoine, repoussera ces solutions radicales, leur préférant les villes nouvelles (des centres urbains autonomes destinés à rééquilibrer le territoire) qui connaitront le succès que l’on connait.Si le scepticisme sur les retombées sociales et paysagères d’un projet tel que le plan Voisin ont effrayé les Européens, au point d’en rester à la simple utopie, ce n’est pas le cas des américains et notamment d’un homme qui n’hésitera pas à passer à l’acte : Robert Moses.

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2. Robert Moses / Le Corbusier : les pères du mouvement Hip-Hop ? Robert Moses est un urbaniste américain surnommé le maître de la construction de la 1ère moitié du XXe siècle et considéré comme l’architecte en chef de New-York. En tant que concepteur de la ville moderne, il est souvent comparé au Baron Haussmann du Second Empire à Paris. Il fait partie des figures les plus controversées de l'histoire de l’urbanisme aux États-Unis. Néanmoins, Il a influencé des générations d'ingénieurs, d'architectes et d'urbanistes qui ont propagé ses théories à travers le pays. Une de ses contributions urbanistiques majeures a été la réalisation d'un immense réseau d’autoroutes et de grands boulevards à New York. Au cours de sa conférence TED Hip-Hop Architecture: The Post Occupancy Report of Modernism (2017)v, l’architecte Mike Ford revient sur la conception de ce réseau autoroutier et notamment du « Bronx Express Way ». Il décrit l’implantation de ce projet avec humour comme étant : « le pire remix, ou sample de l’histoire de l’urbanisme », reprenant ainsi le vocabulaire du rap. En effet, pour pouvoir construire ce projet pharaonique, Robert Moses « s’est inspiré du plan et des idées de le Corbusier pour éviter d’avoir à déplacer des populations entières qui habitaient sur le tracé de son projet ». Selon Mike Ford, le problème essentiel de cette réappropriation est que l’américain « n’a utilisé aucun des points que Le Corbusier jugeait nécessaire au succès d’une telle architecture ». Ces éléments de réussite étaient listés comme suit par Le Corbusier : - des prismes de verres transparents - un accès immédiat à l’emploi - de vastes pelouses entourant les résidences - de l’ombre des arbres - de l’air pur et une absence de bruit

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29

Il est amusant de constater que le Hip-Hop est officiellement né au 1520, Sedgwick Avenue dans le Bronx (voir partie 1), un quartier construit par Robert Moses et qui ne respectait aucun de ces principes théoriques. Mais l’analyse de Mike Ford va plus loin et est encore autrement plus pertinente. Il va jusqu’à appeler Le Corbusier « The Fore-father of Hip-Hop » (Le premier père du Hip-Hop). Cependant, ce n’est absolument pas un compliment qu’il adresse ici mais une sévère critique. Il veut montrer que l’architecture moderne de ces quartiers (qu’il juge injuste et inhabitable) a servi d’incubateur à la culture . Il veut montrer en quoi une architecture (bonne ou mauvaise) est bien davantage que des briques et du mortier mais qu’elle peut influencer la vie et le comportement des gens, faire émerger les conditions nécessaires à des évolutions sociétales. Son message est éminemment politique. Il veut montrer avec son analyse que les raisons de l’existence des ghettos (des « hood » américains) ne résident pas dans « le comportement culturel des personnes de couleur » mais plutôt dans « des processus, des planifications, des politiques d’aménagements qui ont contribués à faire du hood ce qu’il est aujourd’hui ». Il pose le Hip-Hop comme « un compte rendu post-occupatoire du modernisme ». 28

Scéma des principes de fonctionnement de l’Unité d’habitation de http://www.dicat.unige.it/la_citta_sostenibile/med-ECO-QUARTIER/WEB/INDEX4FC6.HTM 29 Robert Moses devant la maquette du futur Bronx Express Way http://www.nycskylinehistory.com/robert-moses

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Corbusier


« Le Hip-Hop est né dans le modernisme, il a vécu dans le modernisme et si quelqu'un doit donner au modernisme un rapport d'occupation : c’est bien le hip-hop. Chanson après la chanson, Le Hip-hop est rempli de contrepoints et de commentaires sur l'architecture moderne. C’est la voix des sans voix, la voix des usagers non-consultés, des logements sociaux et du modernisme ». Si nous écoutons cette musique nous pouvons comprendre à quel point cette architecture a été un échec et à quel point elle a été source d’injustices. » vi On comprend bien dans ce passage à quel point le Hip-Hop, plus que toute autre forme musicale, s’évertue à questionner la ville, la validité de son architecture et met le doigt sur ce qui dérange vraiment, c’est à dire : qui conçoit la ville et pour qui ? Reste à savoir si il propose ou permet un moyen d’action.

3. Le Hip-Hop comme outil d’architecture ? Ce lien intrinsèque Hip-Hop/Architecture étant maintenant établi via son développement OutreAtlantique, il m’a semblé pertinent d’inverser ce lien de cause à effet. En d’autres termes, si la ville a un impact sur le Hip-Hop alors le Hip-Hop ne peut-il pas avoir un impact sur la ville ? Peut-on se servir du Hip-Hop comme outil d’architecture ? Cette question a été un des moteurs qui ont poussé l’architecte américain Mike Ford à écrire sa thèse HipHop Architecture à l’Université de Detroit. Cette thèse a posé les bases de toute sa pratique professionnelle pendant les années qui suivirent. Si son positionnement était considérée au départ comme marginal et sans réel intérêt par ses pairs, il a très vite démontré par la pratique la pertinence de son approche. Mike Ford est aujourd’hui invité comme speaker lors des prestigieuses conférences TEDx ou à la Harvard School of Architecture et va sortir courant 2017 un ouvrage collectant l’intégralité de son travail sur le néologisme dont il est l’auteur « Hip-Hop architecture ». Mike Ford s’appuie sur le fait que comme expliqué précédemment- le Hip-Hop est né dans une architecture caractéristique (le modernisme, poussé à l’extrême par Robert Moses), y a grandi, mais surtout, n’a cessé de poser son regard sur cet environnement. Avec le rap, ce sont des hits planétaires qui parlent à toute une génération qui vont pointer du doigt un environnement urbain qu’ils dénoncent, avec violence et justesse à la fois. Voici quelques extraits de ces titres, piochés parmi les plus célèbres : « Ain’t no trees, the grass ain’t green. And when I say it’s all bad, you know what I mean » Snoop Dogg, « Life in the projects », The PJ’s Soundtrack, , 1999

« Broken glass everywhere People pissing on the stairs, you know they just don't care I can't take the smell, can't take the noise Got no money to move out, I guess I got no choice Rats in the front room, roaches in the back Junkies in the alley with a baseball bat I tried to get away but I couldn't get far ’Cause a man with a tow truck repossessed my car » Grandmaster Flash & The Furious Five, « The Message », The Message, 1982

« Seniority kid, I speak for the minority Ghetto poverty, fuck the housing authority ! » Wu-Tang Clan , « S.O.S. », The Swarm, 1998

Ces extraits de textes sont le point de départ des « Hip-Hop Architecture Camps » que Mike Ford organise à travers les États-Unis. Lors de sa vidéo de présentation, il explique que ces ateliers poursuivent deux objectifs : -

Susciter des vocations de concepteur ou d’architectes parmi les minorités les moins représentées dans la profession Redéfinir l’histoire de l’Architecture et de l’Urbanisme en ce qui concerne la communauté Noiraméricaine 18


En effet, dans une société américaine très communautaire et inégalitaire, les architectes d’origine afroaméricaine ne représentent que 3% des praticiens. Un chiffre que Mike Ford espère bien faire décoller avec ces ateliers. « Now, people from the community, Hip-Hop artists, or simply people who were born in the modernism -born from architects hands-, are now controlling the hands of the architects ! » vii Le Hip-Hop sert alors de catalyseur au processus architectural de conception, par sa force, sa justesse, mais aussi et surtout par son universalité.

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CONCLUSION

« Le béton s'est écarté, ma feuille est devenue cette formidable steppe. »30 Sans le vouloir le rappeur Akhenaton du groupe IAM a trouvé les mots juste pour définir mon impression générale à la fin de cette étude. En effet, ce sujet de rapport d’étude était pour moi une prise de risque tant il semblait s’éloigner de l’objet Architecture, de prime abord. Pourtant l’intersection entre le rap et l’architecture s’est vite révélé être d’une incroyable richesse, autant en terme de contenu étudiable que de questions soulevées. J’ai pu montrer comment le rap s’était imprégné de la notion d’espace dans sa construction musicale, et que cet espace était urbain de naissance. Cette spatialisation passe aussi par une manière de raconter la ville, propre au rap et à ses codes, mais pas nécessairement propre à la banlieue, contrairement à l’amalgame français dont les médias sont les complices. Ma question de départ étant basée sur la notion d’accès à la ville dans le rap français, il m’était indispensable de traiter de la question de l’exclusion (spatiale ou sociale) dans le rap. La quantité de matière à exploiter à ce sujet m’a étonné, tout comme la nature double de cette exclusion : autant spatiale que culturelle. Enfin, les travaux de Michael Ford autour de la notion de Hip-Hop Architecture m’ont permis d’ouvrir encore d’avantage le spectre de mon étude et de comprendre pourquoi le rap était indissociable de l’architecture dans laquelle il était né. Plus incroyable encore, le travail de l’architecte américain montre en quoi le rap et le Hip-Hop peuvent servir l’architecture en y apportant sa spontanéité, son histoire mais aussi et surtout son universalité. À la lumière de ces enseignements, je me demande maintenant si la France (forte de son lien avec la culture Hip-Hop), ou d’autres pays, ne pourraient pas être eux aussi des terreaux fertiles à ce genre d’expérimentations ? Le rap est une culture populaire, un référentiel commun à plusieurs générations, issus des classes les plus aisées jusqu’aux plus populaires de la population. En exploitant les liens qui lient le rap français à l’aménagement urbain et à l’architecture, ne tiendrait-on pas ici un moyen efficace de faire bouger les choses ? Ne pourrait-on pas imaginer faire intervenir d’avantages de représentants des classes populaires dans le processus de conception de leur environnement, et ce grâce au Hip-Hop ? De former nous aussi d’avantages de jeunes ayant grandis dans les grands ensembles par exemple à imaginer leur cadre de vie ? Ces interrogations cristallisent en fait ce qui est ressorti de mon étude comme étant une véritable question de recherche, à savoir : Qu’en est-il de la légitimité du rap dans la culture française aujourd’hui? Ne pourrait-on pas se servir du Hip-hop et du rap comme discipline fédératrice autour des questions urbaines ? Si Simon Koci a montré que les textes de rap restaient relativement timide lorsqu’il s’agissait de proposer des solutions ou un véritable discours aménagiste , il ne faut pour autant pas oublier que le rappeur est avant tout un artiste et non un expert de l’urbain, comme peut l’être l’architecte ou l’urbaniste. Ces derniers auraient surement à gagner en explorant une discipline (le rap) qui a donné autant d’énergie à décrire le terrain de jeu de ces professionnels du lieu de vie : la ville.

« Donne moi les moyens et ma rue je la re-décore » Koma, « C’est ça qui nous rend plus fort », Le réveil, 1999

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IAM, 2003, « Aussi loin que l’horizon », Revoir un printemps

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TITRE / CHANSON Akhenaton, « Lettre aux hirondelles », Métèque et Mat, 1994. Booba, « Jusqu’ici tout va bien », Temps mort, 45 Scientific, 2002 Flynt, « J’éclaire ma ville », J’éclaire ma ville, Label Rouge, 2007 Grand Master Flash and the Furious Five, « The Message », The Message, SugarHill Record, 1982 IAM, 2003, « Aussi loin que l’horizon », Revoir un printemps IAM, « Demain c’est loin », L’école du micro d’argent, 1999 KDD, « Galaxie de glace », Résurrection, 1998 Koma, « C’est ça qui nous rend plus fort », Le réveil, 1999 NAP, « Le monde perdu », Le boulevard des rêves brisés, 1999 Oxmo Puccino, « Soleil du Nord », L’arme de paix, 2009 Shurik’n avec Akhenaton, « Manifeste », Où je vis, Virgin, 1998 Shurik’ feat. Faf la Rage, « Esprit anesthésié », Où je vis, Virgin, 1998 Snoop Dogg, « Life in the projects », The PJ’s Soundtrack, , 1999 Stomy Bugzy, Lino, Mystik, Despo Ruti, Alpha 5.2, Tekila et James KP, « Sois hardcore », Rimes passionnelles », Musicast, 2007 Wu-Tang Clan, « S.O.S. », The Swarm, 1998

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Table des Matières INTRODUCTION I.

Le Rap, un courant musical hautement « spatialisé ».............................3 1.

L’espace urbain au fondement du mouvement Hip-Hop.............................................3

2.

Origines et arrivée du Rap en France................................................................................4

3.

Les « espaces » du rap dans la ville Européenne............................................................5

a) b) 4.

II.

La construction médiatique du rap comme phénomène « de banlieue “..........................5 Des lieux de pratiques de plus en plus diversifies........................................................................6 Paris : Quand les rappeurs racontent leur ville.............................................................7

Stigmatisation et exclusion urbaine: le Rap Français en porte voix...........9 1.

Exclusion urbaine : de quoi parle-t-on ?...........................................................................9 a) b)

Tentative de mise à l’écart du champ culturel ...............................................................................9 Tentative de mise à l’écart du champ spatial...............................................................................10

2. Exclu et excluant : le double visage du rappeur Français.........................................12

III.

Rap: un produit de l’architecture de nos villes ?................................14 1.

Histoire de l’urbanisme moderne....................................................................................14

2.

Robert Moses / Le Corbusier : les pères du mouvement Hip-Hop ?.....................15

3.

Le Hip-Hop comme outil d’architecture ?......................................................................16

CONCLUSION...................................................................................... 18 BIBLIOGRAPHIE..............................................................................................................19

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Résumé : Ce rapport d’étude tente de mettre en lumière les liens existants entre le rap et l’espace urbain, la ville et l’architecture. Par une exploration historique, il tente de démontrer le caractère hautement spatialisé et urbain qui caractérise ce mouvement musical, en le mettant en parallèle avec le jazz par exemple. En se focalisant sur le cas spécifique du rap en France, il est aussi question de montrer comment le rap a connu un fort engouement dans les banlieues et les cités HLM et comment les médias ont participé à la stigmatisation d’un mouvement qui peine encore aujourd’hui à acquérir un statut de légitimité au sein de la culture française, malgré son succès et sa longévité. Cette exclusion de la sphère culturelle est d’ailleurs associée à une exclusion spatiale du rappeur au sein de la ville. Cette dernière occupe pourtant une place de choix dans l’univers et les thèmes développés par les rappeurs. Aussi, ce travail pose la question du rap comme produit de la ville et de l’architecture à travers l’exemple New-Yorkais, et donc de sa capacité à fédérer une population autour des questions urbaines afin d’agir sur celles-ci.

Mots clés : Rap / Aménagement / Stigmatisation / Culture / Médias / Société / Ville

Summary : This report tries to highlight the links between rap and urban space, city and architecture. Through a historical exploration, it aims to demonstrate the highly spatialized and urban component which characterizes this musical movement, putting it in parallel with jazz for example. Focusing on the specific case of french rap, it is also showing how rap has massively develloped itself in french hoods and how media participated in the process of stigmatization of the movement. Indeed, rap still struggles today to acquire legitimacy within French culture, despite its huge success and longevity. This exclusion from the cultural sphere is also associated with spatial exclusion of the rapper within the city. City life is a highly develloped theme for rappers. Thereby, this work tries to consider the case of rap as a product of the city and architecture through the New-York example, and therefore its potential applications in federating population around urban issues, in order to impact them.

Keywords : Rap /Urban Development / Stigmatization / Culture / Media / Society / City

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