Études sur Léonard de Vinci volume 2

Page 1

JiK

.."V

W*






Digitized by the Internet Archive in

2011 with funding from University of Toronto

http://www.archive.org/details/tudessurlona02duhe




ÉTUDES SUB

LÉONARD DE VINCI CEUX QU'IL A LUS ET CEUX QUI L'ONT LU PAR

Pierre

DUHEM

CORRESPONDANT DE L'iNSTITUT DE FRANCE PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES SCIENCES DE BORDEAUX

SECONDE SÉRIE

PARIS LIBRAIRIE SCIENTIFIQUE Libraires de 6,

S.

M.

A. le

HERMANN ET

Roi de Suéde.

RUE DE LA SORBONNE, 6

*9°9

FILS


if

MEDM

I

O

2,


ÉTUDES SUR

LÉONARD DE VINCI CEUX QU'IL A LUS ET CEUX QUI L'ONT LU PAR

Pierre

DUHEM

CORRESPONDANT DE L'iNSTITUT DE FRANCE PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES SCIENCES DE BORDEAUX

SECONDE SÉRIE

PARIS LIBRAIRIE SCIENTIFIQUE Libraires de 6,

S.

M.

A. le

HERMANN ET

Roi de Suède.

RUE DE LA SORBONNE, 6

^09

FILS


oFjVIEDMf^' ICHAï

i

i'fcï

glû2


AVANT-PROPOS

Cette seconde série de nos Études sur Léonard de

Vinci

se

compose de quatre pièces. De ces quatre pièces, les deux premières sont publiées ici pour la première fois les deux dernières ont déjà paru dans le Bulletin Italien, entre le mois d'avril 1907 et le mois de ;

décembre 1908. Le Directeur de cette publication, M. G. Radet, doyen de notre Faculté des Lettres, et le Secrétaire de la rédaction, notre très vigilant Bibliothécaire, M. É. Bouvy, nous ont continué

la

plus aimable hospitalité. Quil nous soit

permis de leur exprimer

notre croissante gratitude.

ici

Depuis l'impression, déjà ancienne, de ces études particulier, des

notre

deux premières, bien des

connaissance,

qui

textes sont

eussent pu être

en

et,

venus

à

employés en

la

rédaction de ces articles. Ces textes, nous les avons brièvement

analysés en des notes dont quelques-unes sont assez étendues.

Nous espérons que

les

quatre études

ici

réunies contri-

bueront à jeter quelque jour sur deux époques particulièrement intéressantes

du développement de

la

pensée moderne.

L'une de ces époques coïncide avec c'est alors

qu'à Paris, à Oxford et dans

l'influence intellectuelle de ces

pensée chrétienne renverse alors

que

le

vide, la

le

siècle;

contrées soumises

à la

en dépit du Philosophe

de

et

la Terre, la pluralité

des

infinie.

La seconde époque avoisine sienne née, au début du xiv

du xni e

deux grandes Universités,

mouvement de

grandeur

les

fin

tyrannie du Péripatétisme; c'est

l'on déclare possibles,

son Commentateur, inondes,

la

la

e

l'an i5oo. siècle,

de

La Scolastique Parila

réaction contre

le

Péripatétisme, s'alanguit et s'épuise à Paris et dans les Uni-


ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

IV

versités

Allemandes, colonies de notre Université Française;

mais au

même moment,

les

doctrines des Terminalistes pari-

mal reçues jusque-là par les triompher de l'Averroïsme de Bologne siens,

avec

la

Géométrie antique leur infuse

dont témoigne

la

de Vinci résume

Italiens, et

de Padoue;

comme une

Renaissance des sciences en et

finissent le

par

contact

vie nouvelle

Italie.

Léonard

condense, pour ainsi dire, en sa personne,

tout le conflit intellectuel par lequel la Renaissance Italienne

va devenir l'héritière de

la

Scolastique Parisienne. Bordeaux, 12 janvier 1909.


IX

LÉONARD DE VINCI ET

LES DEUX INFINIS

P.

DLHEM.

Q



LÉONARD DE VINCI ET

LES DEUX INFINIS

Bon nombre des pensées que Léonard

manuscrits sont des notes de lecture. Si on

ment, sans chercher à connaître

provoqué

le

grand peintre à

les

les

semées en

a

prend

les

ses

isolé-

circonstances qui ont

formuler, elles peuvent, bien

souvent, paraître banales et de peu d'importance; leur sens

même, si

l'on

demeure obscur. Il en est tout autrement s'enquiert des livres que Léonard a pu avoir en mains, quelquefois,

des discussions qui s'agitaient dans les écoles de son temps.

Replongées alors dans

le

milieu qui les a vues naître, ses

réflexions s'animent et reprennent vie; la phrase qui semblait

morte

et

desséchée, s'épanouit, montrant à nos yeux étonnés

une plénitude de sens que nous ne soupçonnions pas elle nous entr'ouvre, pour un instant, l'âme du penseur génial et nous révèle les problèmes dont cette âme est agitée, les ;

solutions auxquelles elle s'est arrêtée. Ainsi, çà et

gardent

là,

comme

en

ces

manuscrits que

d'inappréciables

trésors,

les

bibliothèques

nous

quelques brèves remarques sur l'infîniment grand

ment

petit.

trouvons et

l'

infini-

Recueillies avec soin et mises à part, ces remar-

ques n'éveillent en nous qu'un sentiment de pieuse curiosité.

Mais

cessons

de

abstraction des

les

considérer

en

elles-mêmes, de

circonstances où elles

faire

ont été engendrées

;

souvenons-nous que leur auteur vivait parmi des

hommes

discutaient avec passion les problèmes de l'infini

qu'avant ces

hommes,

d'autres

avaient agité les

mêmes

;

qui

questions et en


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

4

avaient proposé des solutions variées; enquérons-nous avec soin de ce que disaient les contemporains de Léonard, de ce

que

prédécesseurs avaient

ses

phrases, tout à l'heure

insignifiantes,

si

chacune

tance singulière;

que ces courtes

Voici

écrit.

prennent une impor-

nous montre

d'elles

l'esprit

de

Léonard aux prises avec une des redoutables énigmes qui se posaient à la philosophie de son siècle; et plusieurs nous apprennent quelle réponse avait

A

la vérité,

fixé

pour interpréter de

peu nombreuses,

il

son choix.

la sorte ces

nous faut reconstituer ce

notes brèves et

qu'était,

au début

du xvi' siècle, la théorie de l'infiniment grand et de l'infiniment petit; l'œuvre est immense, car elle exige une étude approfondie d'une foule de traités composés par les grands docteurs de la Scolastique; elle est passionnante aussi, par la

puissance des distinctions logiques et des intuitions méta-

physiques qui ont révélé à ces penseurs leurs doctrines, aussi bien

les

fondements de

que par l'influence féconde de ces

doctrines sur le développement de la Mathématique moderne.

Nous ne pouvons avoir les étroites limites

rable.

la

mener à bien, dans une œuvre aussi considé-

prétention de

de cette étude,

Nous nous bornerons à en tracer

le

plan à grands

traits.

Puisse cette simple esquisse inspirer à d'autres le désir d'achever ce que nous n'aurons

fait

qu'ébaucher.

L'infiniment grand et l'infiniment petit selon Aristote.

Au temps

de Léonard de Vinci, les œuvres d'Aristote four-

nissent aux Universités les

ments

;

les écrits

programmes de

leurs enseigne-

philosophiques que l'imprimerie, encore au

berceau,

commence

plupart,

des

à répandre avec profusion, sont, pour la

commentaires d'Aristote;

il

nous

serait

donc

impossible de comprendre ce qui s'enseigne sur l'infiniment

grand

et l'infiniment

petit

au voisinage de l'an i5oo,

ne recherchions ce qu'en a dit

le Stagirite.

si

nous


LÉONARD DE VINCI ET LES DEUX

5

INFINIS

Très sommairement, essayons de retracer l'enseignement du

Philosophe au sujet de

Lorsque Aristote

ment

petit,

se place à

il

.

de

et

l'infini-

un point de vue absolument

mathématicien,

le

remarque essentielle Le mathématicien

1

de l'infiniment grand

traite

de celui qu'a choisi

distinct

une première

et c'est

2 .

seulement de notions abstraites

traite

conçues par sa raison

purement

l'infini

(Itù

vqq vo^aewç);

pose

qu'il

intellectuel

c'est

dans ce domaine de surpasser

possibilité

la

toute grandeur par voie d'addition, toute petitesse par voie de

division il

se

;

Philosophe

le

laisse libre cours à cette fantaisie, car

propose de discourir des

de vue du réel

ininterrompue ser Aristote 3

terme auquel on tend par

petit,

ou

(âçatosatç

Siaipsjiç),

division

la

ne semble guère embarras-

on ne peut marquer une

«

;

questions, mais au point

xpay^atou).

(erà to3

L'infiniment

mêmes

partie

si

petite d'une

grandeur que l'on ne puisse, par division, en obtenir une plus petite

;

toute grandeur est donc, en puissance

»

sible à l'infini,

«

car

n'est pas difficile de

il

existence des lignes insécables. Aristote,

Leucippe

en

la

non-

»

Au

sixième livre des Physiques

du De Cœlo,

aussi bien qu'en divers passages

prouver

prouver

divi-

accable de ses arguments les atomes de

effet,

de Démocrite.

et

(Suvajjiet),

s'efforce

il

de

ne saurait exister de grandeur indivisible.

qu'il

Plus singulière assurément, et plus contraire à nos habitudes

que

d'esprit, est la théorie

Stagirite

le

propose au sujet de

l'infiniment grand. Et, d'abord, (ivîpYÉta)?

une grandeur

Certainement non.

actuellement infini,

infinie peut-elle exister en acte « Il

— hzpyiia

ne peut pas exister de corps èVci

ouv.

(7w;j.a

axs'.pcv

4 .

C'est

»

des axiomes fondamentaux de la philosophie d'Aristote.

i.

On

trouvera

un exposé

witz, Geschichte der Atomistik

très

vom

Aristote et 2.

les

mathématiques

Aristote, t&uffixîjç

Aristote, <ï>ucrix-?iç 4. Aristote, <êu<tix-?)ç 3.

_,

Le

documenté de cet enseignement dans Kurd LassNewton; Erster Band Die Erncurung :

Mittelalter bis

:

der Korpuskular théorie, pp. 79-1 3Zi ; Berlin et Leipzig, 1890. G. Milhaud, Études sur la pensée scientifique chez les Grecs III,

un

— et

Paris, 1906.

àxpoao-sto; xb

àxpoàaew;

F,

tô V, àxpoâdeio; 10 V,

r\

(1.

llf,

ç

(1. III,

ç

(1. III,

chap. chap. chap.

8).

6). 6).

Voir chez

également: Modernes;

les


ÉTUDES SUK LÉONARD DE VINCI

(J

Monde

n'est pas infini;

la

borne, au delà de laquelle

donné en

acte ne peut être

marque la il n'est plus de lieu; aucun volume plus grand que le volume de cette sphère des étoiles en

sphère; nulle ligne droite actuelle ne peut être plus longue (pie le Si

diamètre de cette figure.

donc

permis de parler d'un infiniment grand, ce ne que d'un infiniment grand en puissance. Et que

est

il

pourra être faudra-t-il

entendre par là

1

?

prenne une grandeur, puis Une autre, puis encore une autre; supposons que chacune de ces gran-

Supposons que

deurs soit finie

l'on

de celles qui ont déjà été prises;

et différente

somme

ajoutons chacune d'elles à la cédée; admettons que la fin

et

que, par

môme

de celles qui l'ont pré-

opération puisse se répéter sans

cette addition

indéfiniment continuée, nous

parvenions à surpasser n'importe quelle grandeur assignée d'avance; nous aurons l'infiniment grand en puissance.

Mais cet infiniment grand en puissance n'existe pas plus que l'infini en acte, et il n'existe pas précisément parce que l'infini

Monde est fini, il est des dimensions mêmes du Monde, qu'aucune

en acte ne peut pas

être.

grandeurs, savoir les

Puisque

le

on ne peut pas former une grandeur qui dépasse n'importe quelle grandeur donnée d'avance, «car il faudrait que quelque chose pût être plus 2 » lvt\ yip o Jv tt tou Oùpovsu y.eTÇsv grand que le ciel Lorsque l'on marche, par voie de division, dans le sens des grandeurs décroissantes, on peut, sans être arrêté par aucune addition ne

saurait surpasser;

:

.

impossibilité, parvenir à

une grandeur plus

petite

que n'importe

quelle limite assignée d'avance lorsqu'au contraire ;

par voie d'addition, dans atteint

le

on s'avance,

sens des grandeurs croissantes, on

forcément une limite que l'on ne saurait franchir.

Ce que nous venons de constater dans le domaine de la grandeur, nous le constatons, mais en ordre inverse, dans le domaine du nombre* et par ce mot Àristotc désigne exclusivement le nombre entier. ,

i.

3

Aristotc, 4>uffixrj;

àxpoâereco; xo

l\

tristote, «h-jai/r,;

àxpoâaswî

r, Ç

(1,

V, ç

xa\ Ç

Aristote,

$ ucrixr)

;

xo ixpoâ<reu>; xo

c

(1. III,

III,

chap. chap.

(I. III,

G). 7).

chapp. 6 et

7).


LÉONARD DE VINCI ET LES DEUX Si l'on

progresse dans

INFINIS

7

sens des nombres croissants, on

le

peut marcher indéfiniment jusqu'à rencontrer des nombres qui surpassent n'importe quelle multitude. contraire, l'ordre des

nombres

Si

l'on suit,

on aboutit

décroissants,

terme que l'on ne peut franchir, car aucun nombre n'est

à

au

un

infé-

rieur à l'unité.

Tel est, dans ses grandes lignes, l'enseignement d'Aristote

au sujet des deux

C'est le

infinis.

du Moyen-Age va broder

thème sur lequel

la

science

les

phrases

ses variations.

II

L'iNFINIMENT PETIT DANS LA ScOLASTIQUE.

De

ces variations,

tout à

nous ne ferons entendre

ne sauraient trouver place en cet

La doctrine de Démocrite

la

Géométrie; fussent en

qui

et

article.

de Leucippe, qui nie

la divisi-

assurément, en tout temps, des partisans;

ses adversaires s'efforçaient

de

que

mille nuances qui les diversifient

fait essentielles; les

bilité à l'infini, eut

ici

ils se

fréquemment de

la

ruiner au

nom

plaisaient à en tirer des conséquences

contradiction

avec

enseignements

les

des

mathématiciens.

semble

Il

qu'il faille regarder

Roger Bacon

comme

l'initia-

teur de cette méthode; en son Opus majus, qu'il adressa en

1267 au Pape Clément IV, Si les lignes sont et le

côté de cette

nombres elles

il

emploie

1

l'argument suivant

composées d'atomes,

même

figure

ont

la

:

diagonale du carré

même

rapport que

les

entiers d'atomes dont ces longueurs sont formées;

sont donc commensurables entre

elles,

contrairement à

ce qu'enseignent les mathématiciens.

L'indication

1.

en

ce

passage

a

été

grandement

Minorum, Opus majus ad Clementem quartum, Romanum, ex MS. Codice Dubliniensi, eu m aliis quibusdam collato,

Fratris Rogeri Bacon, Ordinis

Pontificem

nunc primum p. 9 3.

contenue

edidit S. Jebb, M. D.; Londini, typis Gulielmi Browyer,

MDCCXXXIII

;


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

8

développée par Jean de Duns Scot, en son commentaire aux Quatre Livres des Sentences de Maître Pierre Lombard '.

Duns Scot distingue deux formes de prétend combattre

composé rés les

:

la

doctrine

qu'il

l'une consiste à affirmer que le continu est

à'indivisibilia, c'est-à-dire

uns des autres;

à

l'autre,

d'atomes discontinus, sépaaffirmer qu'il est

composé

de minirna se soudant l'un à l'autre avec continuité. A chacune de ces deux formes, il oppose l'argument de

Roger Bacon

exemple

«

:

arguments analogues; celui-ci par

et d'autres

Des cercles concentriques sont tous rencontrés par

n'importe quel rayon issu du centre;

renfermassent tous

le

même nombre

quent, qu'ils fussent égaux entre eux.

La réfutation géométrique de

la

il

faudrait

d'atomes

et,

donc

qu'ils

par consé-

»

doctrine de

Démocrite,

proposée par Duns Scot, fut aussitôt propagée par ses disciples; elle eut

dans l'École

la

Guillaume d'Ockam lib. 1,

le

plus grande vogue. (i

280-1347), dans ses Quodlibeta (Quod-

donne en abrégé

quaest. 9)

les raisons

mathématiques que

Docteur Subtil avait imaginées à l'encontre des indivisibles.

Un

autre franciscain, disciple de Scot et contemporain

Jean Marbres, dit Jean i32o,

un

sique

d'Aristote,

brillant

le

Chanoine, donnait à Paris, vers

enseignement; dans il

d'Ockam,

ses Questions sur la

l'an

Phy-

reprend 2 sommairement l'argumentation

de son maître. Albert de Saxe en

fait

autant 3 dans ses belles et importantes ,

Questions sur les huit livres des Physiques.

Marsile d'Inghen, qui fut recteur de l'Université de Heidel

H. P. F.

1.

lib.

Duns Scoti Opéra, tomi sexti pars prima, ainsi intitulée Duns Scoti, Doctoris subtilis, Ordinis Minorum, Quœsliones in nunc denuorecognita», annotationibus marginalibus,Doctorum

Joannis

R. P. F. .loannis II Sententiarum,

:

quamlibet quaostionem citationibus exornatae, et seboliis per Gum commentariis IV' P. F. Francisci Lycbeti Brixiensis, Ordinis Minorum regularis observantiae olim ministri generalis, et supplemento R. P. F. Joannis Poncii Hibcrni,ejusdem Ordinis, in Gollegio Hibernorum tbeologia^ primarti professons. Lugduni, sumplibus Laurentii Durand, MDGXXXIX. Lib. Il ilist II, quœst. I\ Utrum angélus possit moveri de loco ad locum motu eontinuo.

(pie celcbrioruni ante

textum

insertis illustrât^.

:

Joannis Canonici Qnestiones super 17// libros physicorum irisLotelis perutiles, [Padoue, \\<>: Venise, 1/481 Viceoce, i485; Venise, 1/187 (deux éditions); Venise, \ quœst. unica. |; libri icutissime qusestiones super libros de physica auscultations ab Alberto de Saxonia m librum \ quœst. I. édita? 1.

;

I

;

l


LÉONARD DE VINCI ET LES DEUX

berg

9

qui mourut dans cette ville en i3q3, a composé, sur

et

même

INFINIS

ouvrage d'Aristote, des Questions

celles d'Albert

de Saxe.

oppose 9 aux indivisibles Grégoire de Rimini

nommé

A

souvent imitées de

l'exemple d'Albertutius, Marsile

arguments de Duns Scot.

les

était

1

un contemporain

d'Albert de Saxe

en i357 général de l'ordre des Augustins,

à Vienne en i358.

Il

admirait grandement

géométriques du Docteur Subtil contre

les

les

que nous aurons plusieurs

il

atomistes; c'est,

fois à citer

3

;

mourut

raisonnements

moins, ce que nous apprend Jean Majoris dans son l'infini,

le

traité

du Sur

.

Certains ne se contentaient pas de reproduire les arguments

du Docteur Subtil ou de les résumer; ils les étendaient par de nouveaux développements. Tel Thomas Bradwardin, qui mourut en i34g, au moment où le Souverain Pontife ratifiait son élection à l'archevêché de Ganterbury. Il avait composé un super octo libros physicorum i. Qùestiones subtilissime Johannis Marcilii Inguen secundum nominalium viam. Colophon Impresse Lugdini per honestum virum Johannem Marion, anno Domini MCCCCCXVIU. En 1617, ces Questions, jointes à un commentaire des Physiques qui pouvait avoir été composé par Duns Scot, furent données comme une œuvre de Duns Scot sous ce :

titre

:

lib. Physicorum Aristotelis Quaestiones et celeberrima et pervetusta Parisiensium Academia ab ipso Authore publiée ex cathedra perlectae, nunc primum ex antiquissimo manuscripto exemplari abstersis omnibus mendis in lucem editae et accuratis annotationibus illustratae, a R. Adm. P. F. Francisco de Pitigianis Arretino, Ord. Minorum de Observantia Provincial Tusci;e, olim Sereniss. Ferdinandi Gonzaga? Mantuœ et Montisferrati Ducis, Theologo, Suœq. Serenissimae Dominationi, ab ipsomet vivente dicata?. Venetiis, MDCXVII, apud Joannem Guerilium. L'Exposition et les Questions furent insérées au tome II des Opéra omnia de Duns Scot, dont les huit volumes parurent à Lyon, chez Laurent Durand, en 1639 elles y

Jo.

Duns

Scoti, Doctoris subtilis, In VIII

Expositio, in

;

portent ce titre R. P. F. Joannis Duns Scoti, Doctoris subtilis, Ordinis Minorum, dilucidissima expositio et quœstiones in octo Ubros Physicorum Aristotelis. Mais elles y sont précédées d'une remarquable Censura, due au savant P. Luc Wadding, où il est prouvé que ces Questions ne sont pas de Duns Scot, qu'elles se rattachent à l'École nominaliste de Paris, et où Marsile d'Inghen est cité comme un :

de leurs auteurs probables. Marsile d'Inghen, loc. cit.; in lib. VI quœst. 1. 3. Magister Johannes Majoris Scotus. Omnia opéra in artes quas libérales vocant a perspicacissimo et famatissimo uno sanctarum litterarum professoreprofondissimo Magislro Johanne Majoris majori accuratione elaborata atque castigata quam antehac in lucem prodita sint majorique precio comparanda quam quispiam persolvere Colophon Impressum Cadomi per possit si ea ab equo judice pensiculantur. Laurentium Hostingue impensis virorum industriosorum Michaelis Augier prope pontem ejusdem Cadomi commorantis et Johannis Mace e regione Sancti Salvatoris 2.

Redonis residentis. (Sans date.) L'allusion à Grégoire de Rimini infînito.

se

trouve au

:

fol.

III,

col. b,

du Propositum

de


ÉTUDES SLR LÉONARD DE VINCI

IO

Tractatus continui dont

premier livre seul nous

le

parvenu

est

en manuscrit; Maximilien Gurlze en a donné une publication

sommaire

En grand

1

.

cet écrit,

dont

publication complète offrirait

la

le

plus

profundus entreprend de réfuter par

intérêt, le Doclor

raisons mathématiques les atomistes des diverses sectes, ceux

un continu fini d'un nombre limité de corps indivisibles contigus les uns aux autres, comme ceux qui le forment d'un nombre limité de points séparés il combat aussi

qui composent

;

ceux

qui

regardent

comme

continu

le

l'ensemble d'une

de points actuellement existants.

infinité

argumenter contre l'atomisme nous

Cette persévérance à

démontrerait à

elle seule, à

défaut d'autres preuves, la persi-

stance des doctrines atomistiques au d'ailleurs,

il

nous

est

facile

de citer

cours du Moyen-Age; les

noms

de docteurs

célèbres qui ont formellement adhéré à ces doctrines.

Au premier rang de disciple

cain,

d'Odon

;

ceux-ci,

immédiat

et

il

convient de citer un francis-

originaire de Ghâteauroux,

de l'ordre des Mineurs;

il

Duns

de

illustre il

fut,

Scot,

Gérard

en i32g, élu général

fut ensuite légat

du pape, évêque

de Gatane en i342, patriarche d'Antioche en i348; en

1

3^9,

il

revint mourir à Gatane.

Ce haut dignitaire de

l'Église avait

adopté plusieurs des

thèses de la Physique épicurienne. Jean le

Chanoine nous

conservé ce qu'il enseignait soit au sujet du vide des indivisibles 3

compose tique,

il

.

2 ,

soit

a

au sujet

Gérard d'Odon soutenait que tout continu se

d'indivisibles s'efforçait

et,

avec une grande subtilité de dialec-

de dissoudre

les

preuves données par

Aristote et par Averroès en faveur de la divisibilité à l'infini.

Le dominicain Robert Holkot, mort à Northampton en professait des opinions analogues à celles de Si

nous en croyons Jean Majoris^

1

,

il

se

i3/jo,

Gérard d'Odon.

refusait à admettre

Maxirailian Curtze, Ueber die Handschrift P. 4° 2, Problematum Euclidis explicatio Gymnasialbibliothek zu Thorn (Zeitschrift fur Malhematik und Physik, XIH'" Jahrgang, i$68, Supplément, p. 85). a. Joannis Canonici Qusestiones super VIH libros physicorum; libri IV quaestio IV. i.

der

Kônigl.

S.

V

Joannes Canonicus,

loc. rit. ; libri VI qutestio unica. Proposition de injînito Magistri Joannis Majoris, fol. III, col.

</.


LEONARD DE VINCI ET LES DEUX

qu'en un espace de temps,

si

court

soit-il,

II

INFINIS

on pût concevoir une

infinité d'instants.

Nicolas d'Outricourt ou d'Àutrecourt, dont soixante propo-

condamnées, en i348, par l'Université de Paris

sitions furent

avait adopté dans sa totalité la

forme plus subtile que Leucippc

et

siècle,

dont s'étaient contentés Démocrite,

celle

disciple

éminent de saint Thomas,

bienheureux Gilles Golonna ou Gilles de base de

la

la

la

le

(i247-i3i6).

Rome

se

2 :

La grandeur peut être considérée de peut

Rome

doctrine soutenue par Gilles de

trouve une distinction essentielle

On

l'atomisme prit une

Épicure; cette forme lui fut surtout donnée par

un moine Augustin,

À

,

Physique épicurienne.

au début du xiv e

D'ailleurs,

1

trois

manières différentes.

considérer, en premier lieu, en tant que pure

grandeur, en faisant entière abstraction

de la matière

en

laquelle elle est réalisée.

On

peut, en second lieu, la considérer d'une manière plus

comme

concrète,

aucunement

spécifier

On

réalisée

peut, enfin,

comme

concrète,

la

la

en une certaine matière, mais sans

nature de cette matière.

considérer d'une manière encore plus

réalisée

en une matière dont

la

nature soit

spécifiquement déterminée.

Ces

trois points

de vue doivent être nettement distingués

lorsque Ton se propose de donner une réponse juste à cette

question

:

La grandeur

est-elle divisible à l'infini?

La grandeur pure et abstraite de toute matière, que

le

Il

géomètre

en

est

la conçoit, est

encore de

même

évidemment de

la

divisible à l'infini.

grandeur

la

grandeur telle

matière, mais en une matière dont la nature

réalisée

en

la

demeure indé-

terminée. Il

en

est

une

tout autrement de la grandeur réalisée en

matière dont la nature est déterminée; cette grandeur ne saurait être divisée indéfiniment sans

de

la

matière où

changement de nature

elle est concrétisée.

Bulaeus, Historia Univers itatis Parisîensis, t. IV, pp. 3o8 seqq. Egïdii Romani In libros de physico auditu Aristotelis commentaria. In fine Mandate) et expensis heredum Octaviani Scoti civis Modoetiensis per Bonetum Locatellum presbyterum. i5o2. Lib. III, text. Co. Go-Gi, fol. 5g, col. b. i.

2.

:


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

12

on pourra imaginer que l'on divise indéfiniment un volume d'un pied cube abstrait de toute matière; on pourra concevoir également que l'on divise à l'infini une quantité de Ainsi,

matière mesurant un pied cube

on ne pourra

l'eau,

la diviser

un

sans qu'elle cesse à

;

mais

cette matière est

si

en parties toujours plus petites

moment

certain

d'être de l'eau, sans

y a un volume encore divisible, mais dont

quelle se transforme en une autre substance;

minimum la

forme

forme de

d'eau dont la matière est

s'altère

par

de cette division

l'effet

de

il

et cesse d'être la

l'eau.

Assurément,

puissante théorie n'a pas été créée de

cette

toutes pièces par Gilles de

de ses prédécesseurs

les

Rome; on en trouve chez

certains

premiers linéaments.

Averroès semble, en divers endroits, admettre des

minima

naturels.

Robert Grosse- Teste, né vers

en

fut,

cette

1

175 dans le comté de Lincoln,

1235,

sacré

évêque de Lincoln;

en

1253;

on

ville

sait qu'il

mourut dans

il

eut pour disciple Roger

donné des huit livres de la Physique d'Aristote un commentaire très concis, puisqu'il remplit à peine quelques Bacon.

Il

a

1

pages, mais où se trouve en

germe plus d'une

idée féconde. Or,

du commentaire consacré au sixième livre, se lit une très brève indication de la théorie que nous venons d'exposer. Mais si Gilles Golonna a trouvé déjà formés les premiers germes de cette théorie, il leur a donné un grand développement; dans ses commentaires à la Physique d'Aristote, il

à la fin

expose cette doctrine à plusieurs reprises 3 ses Questions sur le

De

;

il

generatione et corruptionc*.

Divi Roberti Linconicnsis Super octo libris physicorum brevis

1.

citer incipit. Cet écrit est adjoint à l'ouvrage ainsi intitulé

Thome

Aquinatis

in

reprend dans

la

:

Emptor

Ubros physicorum Aristotelis interpretatio suni

et utilis

summa

féli-

Divi expositio... Colo-

et lector aveto.

et

phon lmpressuin in inclita Venetiarum urbe per Bonetum Locatellum BergomenBem presbyte™ m rnandato et sumptibus beredum nobilis viri Octaviani Scoti civis Modoetiensis anno a nativitate Domini quarto supra millesiinum quinquiesque centesimum. Sexto Idus Apriles. >.. Outre le passage déjà mentionné, cf. Lib. I, text. Co. 17, fol. 7, col.c/;lib. VI, :

:

te* t. Go. i5, fol. 121, col. d.

Egidius cum Marsilioet Alberto De generatione. Colopbon lnipressum Venetiis rnandato et expeosis nobilis viri Luceaotonii de Giunta Florentini, anno Domini Qaestiones super primo De generatione fundatissimi doctoris Domini Egidii ordinis fratrum Heremitarum Sancti Augustini queestio X, fol. 56, col. a. '.*>.

:

;


LEONARD DE VINCI ET LES DEUX

Les

démonstrations

géométriques,

l3

INFINIS

toutes -puissantes

en

faveur de la divisibilité à l'infini de la grandeur abstraite, ne

prouvent rien contre l'existence des minima naturels;

c'est ce

avec infiniment de raison, soutient en ses Quodlibeta Cette opinion, toutefois, n'est pas adoptée par Duns Scot, qui

que

1

Gilles,

prétend 3

,

.

par des arguments géométriques, prouver

existence des Il

minima

la

non-

naturels.

ne paraît pas, d'ailleurs, que

la distinction si

logique que

Golonna a posée ait eu grande vogue dans les écoles du Moyen-Age; parmi les docteurs qui, dans leurs commentaires Gilles

à la Physique d'Aristote,

consacrent

pements au problème des

indivisibles,

pas des

minima de

plus longs dévelop-

les il

en est qui ne parlent

nature; nous n'avons

pu trouver aucune

allusion à cette forme nouvelle de la théorie atomistique en feuilletant les écrits de

Jean

le

Chanoine.

D'autres gardent quelque chose de la théorie de Gilles

Rome, mais en

de

modifiant plus ou moins.

la

La modification paraît légère dans

les

quelques lignes que

Jean de Jandun consacre à cette doctrine en ses Questions sur la Physique

d'Aristote

lignes, elles signifient la divisibilité

3

.

Si

nous comprenons bien ces

qu'aucune limite inférieure ne borne

d'une grandeur, mais que

les

parties obtenues

par la division ne peuvent être séparées du tout et subsister isolément

ne surpassent un certain minimum.

si elles

un peu plus composées au sujet du De

Jean de Jandun qu'il a

parmi ces

est

Questions, dont la

explicite

substantiel orbis

vogue

averroïste de Padoue, et qui furent

l'imprimerie,

il

en

est

si

fut si

les Questions

d'Averroès;

grande en l'École

souvent reproduites par

où Jean de Jandun examine terminée par un certain maximum

est une-'

chaque forme naturelle

dans

si

et

par un certain minimum. Après avoir répondu affirmativement Romani Quodlibeta. Quodlib. IV, quœst. 0, et Quodlib. VI, quœst. 7. R. P. F. Duns Scoti Quxstiones in lib. II Sententiarum. Distinct. II quœst. IX. Opéra omnia, tomi sexti pars prima, p. 238. 3. Joannis de Janduno, philosophi acutissimi, Super octo libros Aristotelis de physico auditu subtilissitnx quxstiones. Venetiis, apud Junlas, MDLI. Lib. sexti i.

/Egidii

2.

quœst. I, fol. 86, col. 6. h. Joannis de Janduno, Quxstiones super Averrois sermonem de substantia orbis; quœstio VIII. An forma naturalis ad maximum et minimum determinetur.


1

à

ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

\

Jean

interrogation,

cette

que

difficultés

l'on pourrait lui objecter.

Toute forme naturelle selon

la

examine quelques

de Jandun

est

unie à une matière; cette matière,

doctrine d'Averroès dont Jean de Jandun est le plus

ferme champion, possède nécessairement cette

dimensions;

Irois

matière est donc divisible à l'infini; n'en

nécessairement de

même

de

la

est-il

pas

substance que constitue cette

matière informée?

A

objection,

cette

termes

le

Une substance

:

elle

ne

l'est

pas;

si

du

naturelle,

feu

par exemple, en

occupe un certain volume,

tant qu'elle est quantité, qu'elle est divisible à l'infini;

répond en ces

Averroïste

célèbre

en tant qu'elle

est

l'on pousse jusqu'à

substance naturelle,

un

certain degré la

division de cette substance, sa forme est détruite; le feu, par

exemple, ainsi divisé, se transforme en l'élément, air ou eau,

au contact duquel

il

se trouve.

du feu de la sorte, au moment où la division atteindra ce minimum de grandeur après lequel le feu ne peut plus subsister, ce feu tout entier va se changer instantanément en air ou en eau, ce qui ne saurait être. Ce n'est pas ainsi qu'il faut comprendre l'opération par Mais, dira-ton,

si

l'on divise

laquelle le feu, lorsqu'on en pousse la division assez loin, se

transforme en l'élément au sein duquel

ne faut pas s'imaginer que

seulement lorsqu'on veut

prennent

la

se

trouve plongé.

les parties résultant

sion se transforment tant qu'elles c'est

il

de cette divi-

demeurent unies entre

les

Il

elles;

séparer de ce tout qu'elles

forme de l'élément qui

les

enveloppe

minimum

et qu'elles

de grandeur

s'unissent à lui

:

pour

d'une substance naturelle continue, tant que

les parties

ces parties tics,

de

pas de

il

pour ces par.

n'existe,

naturel qu'autant qu'on les sépare

Burley indique très sommairement

nions de Gilles de

que

n'y a

demeurent unies au tout;

minimum

\\ aller

« Il

Home

et

de Jean de Jandun

1

:

tout.

deux

les «

du

On

»

opi-

peut dire

grandeur en tant que réalisée dans la matière sensible répugne à la division à l'infini, tandis que la grandeur simla

plement réalisée dans i.

la

matière première, non sensible, est

Burleus Super oclu librus jihysicorum. Vcnctiis, lAgi,

fol. 71, col.

I


LEONARD DE VINCI ET LES DEUX

On

divisible à l'infini.

prétation divisible

à

la division

dans

réalisée

dans

la

matière sensible est

seulement de marquer

tant qu'il s'agit

l'infini

des diverses parties; mais cette grandeur réalisée

matière sensible n'est plus divisible à

la

l'infini lorsqu'il

par des coupures actuelles, de séparer

s'agit,

10

peut aussi concevoir une autre inter-

La grandeur

:

INFINIS

unes des autres.

les parties les

Burley néglige, d'ailleurs, de nous faire

»

connaître sa propre opinion.

Pour Ockam

pour chaque substance un minimum naturel au-dessous duquel elle cesse de pouvoir 1

,

il

est vrai qu'il existe

aux agents extérieurs de corruption

résister

forme; mais Dieu pourrait écarter ces agents

et

change de

et la

substance

ne connaîtrait plus de minimum. Albert de Saxe a soumis la théorie de Gilles Colonna à l'analyse

profondément pénétrante dont

usage

cette

2 ;

conserve

il

communément

fait

analyse, inspirée par l'opinion

la théorie

de Gilles de

tement transformée;

et voici

Rome

d'Ockam, ne

qu'après l'avoir complè-

sous quelle forme elle la conserve

Considérons une matière homogène.

Il

est bien vrai

un milieu donné, en des circonstances données, une

:

qu'en

parcelle

de cette matière ne pourra subsister sans corruption, à moins

grandeur ne surpasse un certain minimum. Mais ce minimum dépend du milieu et des circonstances, en sorte que

que la

sa

portion de matière, trop petite pour subsister sans corrup-

tion en

un

certain milieu, peut fort bien

en un autre milieu. et

sans déterminer

vrai de

dire

milieu

qu'il existe

et les

circonstances,

un minimum

tel

Sur ce point,

il

n'est pas

qu'une certaine

homogène considérée ne moindre que ce minimum.

quantité de la substance subsister lorsqu'elle est

inaltérée

donc on parle d'une manière absolue

Si le

demeurer

comme

puisse

sur beaucoup d'autres, Jean Marsile

Physique secundum nominalium viam, adopte pleinement l'opinion d'Albert de Saxe 3

d'Inghen, traitant

la

.

i.

2.

Guilhclmi de Ockam Annotationes

in libros Scntentiaruin, libri II qiuest. VIII. Acutissimce quœstiones super libros de pkysica auscullatione ab Alberto de Saxoaia

editœ. In 3.

librum

I

quœstio X.

Questiones subtilissime Johannis

Marcilii

Inguen super

secundum nominalium viam. Lugduni, i5i8. In librum

1

oclo libros physicorum

quaRst. XIII.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

l()

Abrégé de Physique qu'il a rédigé, selon l'enseignement de L'Université de Paris, pour ses élèves de Heidelberg, Marsilc se borne à dire que « la forme d'une matière homo-

Dans

l'

1

gène peut exemple, matière, est

forme du feu peut

la si

en une matière infiniment

cire produite

petite soit-clle, car

encore du feu

être produite

une

petite;

par

en une portion de

quelconque d'un feu

partie

».

Malgré ces transformations essentielles que lui imposaient les maîtres de la Scolastique, la doctrine de Gilles Colonna, entièrement oubliée,

prise sous sa

forme première, ne

les partisans

des théories de Démocrite la gardèrent avec soin.

fut pas

et

Nous en avons pour garant une phrase de Jean Majoris. avait pris le baccaJean Majoris, de Hadington en Ecosse 2

,

lauréat à Paris en

i45o 3

;

il

fut licencié

et

comme

débuta

En la seconde moitié du xv siècle, il y composa il était, à Paris, régent du Collège de Montaigu de nombreux écrits, entre autres un Proposltum de infinito où maître es arts en

45i

1

4

c

.

;

nous lisons ces lignes 5 « Nous répondrons que :

cet

argument

a

une grande

faveur de l'opinion de Démocrite, selon laquelle

le

force en

continu

composé d'indivisibles, et, si l'on parle au point de vue purement naturel, c'est une opinion que l'on peut soutenir. » Parmi les maîtres de l'École, ceux-là mêmes qui s'accor daient pour admettre que la grandeur est divisible à l'infini,

est

sans restriction d'aucune sorte, se trouvaient encore séparés

au sujet d'autres questions. i. Incipiunl subtiles doctrinaque plene abbrevialiones libri phisicorum édite a prestanlissimo philosophe- Marsilio Inguen doctore Parisicnsi (sans indication d'éditeur, de date ni de lieu d'édition); ixièmc feuillet, coll. c et d. 2. Dans ses écrits, il est souvent surnommé Hadingtoniensis et Scotus. M. de :

Wulf

(Histoire de la philosophie médiévale, 2° édit., 1905, p. 532) attribue les écrits de Jean Majoris à un Johannes Major Scotus qu'il fait vivre de 1/478 à i5^o; ces dates

montrent qu'il ne peut s'agir de notre auteur, dont les ouvrages étaient vraisemblablement imprimés avant l'an i5oo; lorsqu'on i5o6, Jean Dullacrt de Gand fait imprimer ses Questions sur le De Cœlo, dont nous parlerons plus loin, il les présente comme un complément au Propositum de infinito de son maître Jean Majoris. Dcnillc et Châtelain, Auctarium chartularii Universitatis Parisiensis, tomus II, MDGCGLXXXXVII. Liber procuratorum Nationis Anglicanœ, tomus II, ab anno MCCCCV1 usque ad annum MCCGGLVI, col. 795. .'S.

Dcnillc et Châtelain, Auctarium..., tomus II, coll. 850-857. Johannis Majoris Propositum de injinito, qusest. 11, fol. 7, col. a de l'édition ciléc ci-dessus (p. 9). !\.

.').


LÉONARD DE VINCI ET LES DEUX

INFINIS

17

L'une de ces questions controversées portait sur qu'il convient

réalité

d'attribuer

au point, à

le

degré de à la

la ligne,

surface.

Une

école affirmait que dans les notions de point, de ligne,

de surface,

volume,

la

n'y a rien de

il

grandeur à

réel,

rien de positif; seul, le

dimensions, peut être réalisé en

trois

un corps; la surface est une pure négation, la négation que le volume d'un corps s'étende au delà d'un certain terme de même, la ligne est la négation que l'étendue d'une surface franchisse une certaine frontière le point, la négation qu'une ;

;

ligne se prolonge au delà d'une certaine borne.

d'Ockam soutenait

Cette doctrine est celle que Guillaume

de la manière

de

écrits

ses

plus nette et la plus formelle dans la plupart

la

Selon

1 .

lui, l'existence

ligne, de la surface est

lui-même ne pourrait

conférer à ces indivisibles.

Duns Scot 2

D'autres, avec

rente. Ils faisaient observer la couleur,

telle

qu'une certaine

,

tenaient pour une opinion

la

surface;

ils

et

au point.

davantage, venons à

une

ce débat

au

théorie

laquelle la plupart des maîtres scolastiques

commun

d'un

sans y progrès de et,

se sont efforcés

accord.

Pour bien comprendre

ment

en concluaient

réalité appartient à la surface, et ils étendaient

Contentons- nous d'avoir mentionné insister

diffé-

que certaines propriétés des corps,

dépendent de

conclusion à la ligne

cette

la

absolument contradictoire que Dieu

si

la

du point, de

réelle

le

sollicité les efforts des

sens

du problème qui

docteurs de l'École,

il

a

si

vive-

nous faut

remonter un peu haut, jusqu'aux commentaires célèbres dont Averroès a enrichi l'œuvre d'Aristote.

Nous avons vu qu'Aristote

une grandeur infinie en acte et qu'il pût y avoir une grandeur infinie en puissance; nous avons vu aussi qu'il faisait dépendre la vérité de

cette

Guillaume d'Ockam, Tractalus de Sacramento

Quodlibeta, Quodlib. 2.

la vérité

de

la

première. C'est

dépendance qu'Averroès a cherché à préciser.

cette 1.

seconde négation de

niait et qu'il y eût

I

quaest. g.

R. P. F. Joannis

quaest. 9. p.

Duns

— Logica, cap.

Altaris, capp.

de quantitate,

Scoti Quœstiones in

lib.

II

I,

II

« Si, » et

S entent iarum,

distinct. II,

Opéra omnia, tomi sexti pars prima, pp. a56-a57.

duhem.

IV.

etc.

2


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

ï8

«une grandeur avait puissance pour devenir plus grande que toute grandeur donnée, elle se trouverait en acte plus grande que toute grandeur donnée; elle serait donc une dit-il

1

,

grandeur actuellement infinie. » Sans l'énoncer formellement, supposer implicitement

principe suivant

le

puissance peut être réalisé en acte.

semble

raisonnement

ce

:

Ce qui

en

est

>

Mais alors une grave difficulté se rencontre dans l'étude de de

la divisibilité à l'infini

la

grandeur;

n'y a pas, en

il

de raison pour ne pas appliquer à cette étude

le

principe dont

a usé dans l'étude de l'addition à l'infini; or,

on

en puissance peut toujours être réalisé en acte, qui,

en puissance,

Gomme

divisée à l'infini.

Burley

a

«

,

est divisible à l'infini peut, le

remarque

supposons que ce raisonnement il

si

ce qui est

la

grandeur

en acte, être

justement Walter

fort

certaine grandeur peut croître à l'infini,

effet,

soit exact

:

est possible

si

une

qu'une

certaine grandeur soit infinie en acte; cet autre raisonnement

semble également concluant: soit

divisée à

l'infini,

actuellement divisée à

s'il

est possible

qu'une grandeur

est possible

il

qu'une grandeur soit

l'infini. »

Le principe implicitement posé par Averroès conduit donc à cette

conséquence

:

Une grandeur peut

d'une manière actuelle

;

et

être divisée à l'infini

cependant l'enseignement d'Aristote

repousse cette proposition.

Par

Scolastique fut

là, la

amenée

citement posé par Averroès plus qu'on ne l'avait

sance et de puissance.

Il

est des

actualisées; ce qui est réalisé

en

fait, in

loin la

que

l'on

auparavant,

faire, à

approfondir,

relation de la puis-

distingua deux

manières d'être en

puissances qui peuvent être pleinement

en puissance de

facto esse.

réalisation en acte

pour ce la

fait

Elle

l'acte.

et,

à réfuter le principe impli-

Il

cette

est aussi des

manière peut

être

puissances dont la

ne peut jamais être pleinement achevée;

pousse cette réalisation,

il

si

demeure toujours de

puissance non actualisée; ce qui est en puissance de

la sorte

^ristotelis Dr i>kysico auditu libri octo, cuin Avcrrois Cordubensis variis in eosdem commentante. Venetiis, apud Juntas, MDLXX1I1I; lib. III, text. Go. Go, p. n3. i. Burleus Super octo libros physicoruin. Venetiis, t4gi lib. 111, fol. 71, col. c. i

;


LÉONARD DE VINCI ET LES DEUX

ne peut jamais être conçu

comme

comme

in

INFINIS

19

facto esse, mais seulement

injieri.

Roger Bacon semble aient préoccupé

»

une remarquable

;

un des premiers que

être

en son Opus tertium, netteté

:

«

exprime 3 avec

les

il

ces idées

La puissance de division dans un

corps ne peut pas être réduite à l'acte pur et complet. C'est

une puissance que

impur

seulement réduire à un acte

l'on peut

incomplet, auquel demeure sans cesse mélangée une

et

certaine

puissance pour un acte ultérieur;

à l'acte,

mais de

telle

manière

demeure une puissance

qu'il

pour un nouvel acte de division. Telle continu

et

pas

la possibilité

elle la

est la

qui constitue la divisibilité à

puissance se trouve réduite à

pose; en

puissance qu'a

l'infini

effet, la

division actuelle, elle n'exclut

partie qui résulte de la division est est

elle

encore divisible,

la possibilité

chacune des propositions particulières d'elles est possible

en

même

autres, la proposition universelle est est possible

qu'une ligne

qu'elle le soit

A

soit

elle

cet

« Ici,

par l'argument

est

possible,

si

temps que chacune des

sûrement possible. Or,

il

actuellement divisée au point A,

au point B, au point G;

actuellement divisée à

donc

de

:

chacune

soit

et ainsi

d'une division actuelle

à l'infini repoussent cette conception, et cela

Si

lorsque cette

»

Ceux qui soutiennent suivant

;

le

d'un nouvel acte de division; bien mieux,

une grandeur; partant, suite à l'infini.

la

est réduite

elle

la fois

il

est possible qu'elle

au point A

et

au point B;

peut être actuellement divisée en tous ses points.

argument Bacon répond en ces termes 3 chaque proposition particulière est possible en :

elle est compossible

soi;

avec toute autre proposition particulière

1. On peut, cependant, regarder ce qu'il en dit comme suggéré par un passage d'Averroès commentant le De generatione et corruptione d'Aristote*. 2. Fr. Rogeri Bacon Opéra quœdam hactenus inedita. Vol. I, conlaining: 1. Opus tertium; II. Opus minus; III. Compendium philosophiœ. Edited by J. A. Brewer,

London, 1859. Opus tertium, cap. XXXIX, pp. i3a-i33. 3. Roger bacon, loc. cit., pp. i3/i-i35. a) Aristolelis De Cœlo, De generatione et corruptione, Mcteorologicorum, De plantis, cum Arislotelis Averrois Cordubensis variis in eosdem commenlariis. Veneliis, apud Juntas, 1574. De generatione et cor ruptione liber primus cum Averrois Cordubensis média expositione ; summae

primae caput

II, p.

330.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

20

actuellement donnée; mais elle est incompatible avec une proposition particulière qui n'est pas actuellement donnée,

On

qui est à donner dans l'avenir... division au point

doit

donc concéder que

la

à la division en

À ne répugne aucunement

n'importe quel autre point donné présentement et en acte; mais elle répugne à la division en quelque point qui reste à donner; tous les points de division, en effet, ne sauraient être

donnés simultanément;

ils

sont donnés successivement et

par une succession qui se prolonge à brisée cette

massue d'Hercule; non sans peine,

vulgaire entier ignore ces choses

le

l'infini...

connaissent, mais

ils

;

sont fort peu nombreux.

les

»

réponse

la

actuelle à

permis cependant de douter qu'elle

est

est vrai, car

quelques habiles

Roger Bacon marque quelque fierté de opposée aux partisans de la divisibilité il

il

Voilà donc

qu'il a l'infini;

entièrement

soit

juste.

La division d'une ligne au point A est certainement compatible avec la division en n'importe quel point actuellement

compatible avec la division en n'importe quel point à marquer dans l'avenir; l'impossibilité ne s'introduit qu'au moment où l'on donné; on ne voit pas pourquoi

elle cesserait d'être

considère la division en tous les points à la C'est ce qu'a fort bien

A un

à la fois

sible

A

parties et en

B

parties.

même A

il

divisions

même

en

;

être divisé réel-

il

est

de

même

elles

n'est pas pos-

indéterminé, ce continu

en B parties, en

nombres

possibles.

ces divisions peut être réalisée

mais

nunc.

Mais

parties,

parties..., A, B, G,... étant tous les

instant;

.

peut être divisé réellement en B parties,

réellement divisé en

Chacune de

1

un continu peut

qu'en un certain instant,

se trouve

G

en

il

Docteur Subtil

le

certain instant (nunc)

lement en A parties;

ou

vu

fois.

en un certain

d'un groupe quelconque de

ne sont pas

Les possibilités en

toutes

nombre

telles

compossibles en infini

un

qui corres-

pondent à ces divers modes de division ne peuvent pas se trouver toutes à la fois réduites à l'acte. i.

R.

P.

liarum; dist.

F. II,

Joannis Duns Sroti, Doctoris subtilis, Quœstioncs in quœst. 9. Opéra omnia, tomi sexti pars prima, p. a5i.

lib.

II Sentcn-


LEONARD DE YINCÏ ET LES DEUX

A

Duns Scot donne un ingénieux exemple de

ce propos,

possibilités

21

INFINIS

dont chacune peut être réalisée isolément, ou

simultanément avec d'autres, mais qui ne peuvent sées toutes

ensemble

être réali-

:

Socrate peut porter 9 pierres et on en donne 10. Socrate peut porter une quelconque des pierres ou un groupe quel-

conque de

de

2,

de 9 pierres; mais

3...,

il

ne saurait porter

les 10 pierres à la fois.

L'opinion de Duns Scot a été adoptée par plusieurs des

grands maîtres de lier, l'a

Scolastique; Walter Burley, en particu-

la

formulée avec netteté

1 .

Les méditations de Roger Bacon, de Duns Scot, de leurs

amené

continuateurs, ont

autrement que ne

docteurs de l'École à diviser

l'avait fait Aristote les propositions relatives

grand

à l'infiniment

les

borné à distinguer

et à l'infiniment

petit.

Aristote

propositions qui traitent de l'infini en

les

acte de celles qui traitent de l'infini en puissance. Les

nes adoptent une distinction plus raffinée. Parmi tions qui traitent de l'infini,

donnés

comme

en

est

.

En

comme

l'infini

on parle alors de

in

.

proposi-

les

termes sont

comme

susceptibles

d'autres

ces

d'une manière catégorique

propositions,

on donne

cer-

susceptibles seulement d'une réduction

à l'acte toujours incomplète, toujours

thegoreumatice)

où tous

les

Moder-

aucun mélange de puissance; en

on parle de

(cathegoreumatice) tains termes

il

actuellement réalisés ou

d'être réduits à l'acte sans

propositions,

s'était

l'infini

mélangée de puissance;

d'une manière syncatégorique (synca-

Les propositions catégoriques posent l'infini

facto esse; les propositions syncatégoriques le posent seule-

ment

infieri.

Cette distinction entre l'infini catégorique et l'infini synca-

tégorique paraît avoir été posée pour

un

dialecticien

xiv

e

dont

siècle et tout le

la

xv

e

la

première

fois

par

logique a dominé, pendant tout siècle,

le

l'enseignement de l'Université

de Paris; nous voulons parler de Petrus Hispanus, c'est-à-dire

du Portugais Pedro Juliani tiare, le 1.

nom

(1

226-1 277) qui prit, en coiffant la

de Jean XXI.

Burleus Super octo

libros

physicorum. Venetiis,

i

^9 1

;

fol.

i55, col. d.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

22

Au septième

traité

locjicales,

Petrus Ilispanus distingue

désigne

la

est

qui ne désigne pas

une marque de

la

disposition

du

temps

elle nie

que

le

seulement lorsqu'il est pris en cette

quantité

Un

:

certain

un plus grand nombre,

sujet,

un signe

infini

distributif. le

une certaine quantité, mais

prédicat appartienne au sujet quantité déterminée. Ainsi

telle

Une infinité d'hommes nombre d'hommes courent, et

syncatégorique

proposition

courent, signifie aussi

la

syncatégorique affirme que

l'infini

prédicat convient au sujet pris sous

môme

qui

prédicat

le

comporte à l'égard du prédicat; ce dernier

Toute proposition sur en

l'infini catégorique,

mais seulement de quelle manière

sujet de la proposition,

le sujet se

1

Summnlœ

de ses

quantité du sujet auquel s'applique

d'infini, et l'infini syncatégorlque

du

plus original

le

et

:

plus grand d'autant que l'on

voudra.

On comprend qu'une

proposition puisse être fausse au sens

catégorique et vraie au sens syncatégorique. Walter Burley en

Dans toute grandeur un exemple 2 Cette proposition donnée, il y a une infinité de parties égales entre elles et

cite

:

.

placées les unes hors les autres, peut être vraie ou fausse. Elle est fausse si

on

la

prend cathegoreumatice, entendant que l'on

peut, dans cette grandeur, distinguer actuellement

de parties égales entre elles d'avance. Elle est vraie

comme

si

et égales à

on

la

une

infinité

une quantité donnée

prend syncathegoreumatice,

affirmant la possibilité de

trouver en

la

grandeur

donnée un nombre toujours croissant de parties dont grandeur n'est pas assignée d'avance.

A Saxe

la

base

— l'un

même

de ses discussions sur

l'infini 3

,

la

Albert de

des plus profonds logiciens dont l'École ait

pu

i. Pétri Mispani Summulae logicales cum Versorii Parisiensis clarissima expositione. Parvorum item Logicalium eidem Petro Hispano ascriptum opus, nuper in partes ac capita distinctum. Quae omnia a Martiano Rota, viro clariss., inlinitis fere erroribus siirniiio studio, ac maxima sunt diligentia castigata. Venetiis, apud hœredes Melchioris Sessœ, MDLXXXHI. Pétri Hispani Tractatus septlmus parvorum logicalium (subdivisé lui-même en sept traités) tractatus septimus, pars G" De infiniti quinque acception ibus, et propositionihus ex ipso formatis. — L'écrit intitulé: Petro Hispano tucriptum opus parvorum logicalium, qui se trouve à la lin du livre, ne paraît pas être du même auteur.

;

i.

3.

:

Burleus Super oclo libros physicorum. Venetiis, 1^91 ; lib. 111, fol. 7®, col. c. Acutissimst qumstiones super libros de physica ausculiatione ab Alberto de Saxonia

édita-, in

libruQQ

III

quœstio \.


LÉONARD DE VINCI ET LES DEUX

— pose

s'enorgueillir au xrv e siècle

cette distinction entre les

propositions qui parlent catégoriquement de qui en parlent syncatégoriquement. ce principe

mais que

n'hésite pas à proclamer

Il

et

pour

deux propositions sont

radi-

tenu pour catégorique dans l'une

l'infini soit

syncatégorique dans

l'autre, ces

calement hétérogènes (impertinentes) entre tent pas l'une de l'autre;

l'une à l'autre.

en

La

»

elles

vérité de

ne résul

elles; elles

ne répugnent pas non plus

chacune

d'elles doit être

prouvée

souci de la vérité de l'autre. «C'est ainsi que

soi et sans

cette proposition

Le continu

:

traîne pas cette autre infinité

l'infini et celles

formule deux propositions semblables,

Si l'on

«

:

23

INFINIS

de parties

syncatégorique

et,

;

en

n'en-

Le continu peut être divisé en une

car,

l

Ces réflexions sur

:

est infiniment divisible,

la

en

la

première,

il

s'agit

d'un infini

seconde, d'un infini catégorique.

l'infini

»

syncatégorique, où une puissance

peut être réalisée toujours plus complètement sans être jamais trouvaient mainte application; l'étude

réduite à l'acte pur,

d'une grandeur variable qui tend vers une limite sans jamais l'atteindre, leur

leur utilité

raison

;

donnait occasion de prouver leur justesse

et

sommation d'une progression géométrique de

la

fractionnaire

est

l'exemple

auquel

les

scolastiques

s'adressaient ordinairement,

Le paralogisme célèbre d'Achille Zenon, paraît en

voici,

En

«

effet,

les

ce

et

de

la tortue, attribué à

avoir conduits à l'étude de cette question;

que nous lisons

clans Gilles de

ce qui concerne la division

du temps

Rome

2 :

à l'infini,

il

se

présente une difficulté. Si cette division à l'infini pouvait être réalisée

en

acte,

un cheval rapide

fourmi. Supposons, en

d'une palme

tié

effet,

n'atteindrait jamais

meuve de la moimeuve après cela de la

qu'un cheval

et qu'il s'arrête; qu'il se

une

se

moitié de la demi-palme restante et qu'il s'arrête de nouveau,

i.

que

Nous sommes obligé de rendre par des mots différents les différences de sens d'Albert de Saxe rend par une simple transposition des mêmes mots

le latin

;

Albert énonce la première proposition In infinitum continuant est divisibile, et la seconde Continuum est divisibile in infinitum; cette manière de distinguer les propositions catégoriques des propositions syncatégoriques, imaginée par Albert de Saxe, a été conservée par tous les scolastiques. 2. Egidius cum Marsilio et Alberto De generatione. Venetiis, i5i8. Questiones super primo de generatione D. Egidii; quaest. XI, fol. 67, col. a. :

:


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

3 /j

et ainsi

comme

de suite;

n'achèvera jamais divise

si

continu est divisible à

parcours de

le

la

l'infini,

il

palme. Lors donc que l'on

chaque partie a son existence propre et parties sont produites par une division en

un continu,

séparée, et

le

si

ces

de ce continu ne sera jamais achevée... Ainsi

acte, la division

tout temps est divisible à l'infini, mais ses parties sont seule-

ment en puissance. Ce que

Gilles de

»

Rome

a

indiqué au début de ce passage est

forme plus précise, par Walter Burley. « Ce que nous venons d'exposer, » dit Walter Burley «, prouve la vérité de la proposition suivante, dont la connais-

repris, sous

«

sance n'est point fort

commune

:

Étant donnée une ligne, on

peut y marquer des segments dont la longueur décroisse en progression géométrique, et l'on peut en même temps y dési-

gner un point auquel opération

finie,

il

sera impossible de parvenir par

tandis que tout point situé en deçà de celui-là

pourra être atteint par une opération l'on

comme

prend

aucune

premier segment

la

finie.

Gela aura lieu

moitié de la longueur

à l'extrémité de laquelle

ne doit conduire aucune division

comme

la

second segment

si

moitié du premier segment,

finie,

etc.

Au

contraire, tout point en deçà de l'extrémité pourra être atteint

par une division

finie.

Gela peut, sans peine, être démontré

géométriquement; mais, pour pas sur cette démonstration.

Ces considérations,

commune

»

«

dont

le

moment, nous

n'insisterons

»

la

connaissance n'était point fort

au temps de Walter Burley, se répandirent bientôt

en se reliant à un autre problème. De ce problème, nous allons Il

emprunter l'exposition à Jean de Jandun

existe,

œuvres

pour toute vertu naturelle, un

qu'elle peut accomplir; ainsi,

le

2 .

maximum

nombre de

aux

livres

Burleus Saper octo libros physicorum. Venetiis, 1491 lib. III, fol. 70, col. b. Joannis de Janduno, philosophi acutissimi, Super octo libros Aristotelis de physico anditu subtilissimœ quœstiones. Venetiis, apud Juntas, anno MDLI. Libri sexti qu.rstio I, foll. 85 (marqué par erreur 7/i) et 8G. Ce problème tire son origine des considérations sur la puissance maximum d'une force qu'Aristote a indiquées au premier livre du De Ccelo, et surtout des commentaires dont Averroès a enrichi ces considérations '. i.

;

3.

a,) Aristotelis De Cttlo, De ijeneratione et corruptione, Meteorologicorwn, De plantis, cum Arerroia Cordubensis in eosdem commentariis. Venetiis, apud Juntas, 157't. De Cœlo, liber priruus ïamma décima, eap, 11 pari 2, foll, 78-80.


LÉONARD DE VINCI ET LES DEUX

25

INFINIS

admet un certain maximum. Certains philosophes veulent qu'il y ait un minimum pour les œuvres que cette vertu ne peut accomplir, et que ce minimum soit distinct du maximum précédent. Soit, par exemple, un

homme

qu'un

peut

porter

homme qui peut porter tous maximum les poids qu'il ne ;

minimum,

certain C'est,

et ce

les

poids jusqu'à cent livres au

peut pas porter admettraient un

minimum

ne

serait pas cent livres.

en particulier, l'opinion que semble admettre saint

Thomas d'Aquin, commentant le De Cœlo propres termes

De même que

«

:

d'Aristote

l ;

voici ses

l'on détermine la puissance

que quelqu'un possède en indiquant

le

maximum

de ce qu'il

même on détermine ce qui lui est impossible minimum parmi celles qu'il ne peut accomplir;

peut accomplir, de par l'œuvre

on caractérise

maximum

ainsi sa faiblesse. Si, par exemple, le

de stades que quelqu'un peut

nombre

parcourir est 20,

nombre minimum de stades qu'il ne peut parcourir est 21, c'est par ce dernier nombre que l'on doit caractériser sa faiblesse, et non pas en disant qu'il ne peut faire 100 stades et si le

ou 1000

stades.

»

Jean de Jandun montre sans peine que

minimum

dont

il

s'agit

deur divisible que ce de

esl inférieur

au

et le

ne sauraient différer par quelque gran-

Supposons, en

soit.

minimum. L'homme peut

et le

maximum

effet, qu'ils

prenons un poids intermédiaire entre

la sorte et

mum

le

minimum

diffèrent le

maxi-

porter ce poids, puisqu'il

des poids qu'il ne saurait porter; et

cependant ce poids surpasse

le

maximum

des poids qu'il peut

porter.

La contradiction le

maximum

et le

L'impossibilité sorte

est manifeste. Elle

minimum

ne s'évanouirait que

étaient séparés par

un

si

indivisible.

des indivisibles ferme cette échappatoire, en

que Jean de Jandun

se croit autorisé à

formuler cette

une vertu naturelle donnée correspond un maximum des œuvres qu'elle peut accomplir il n'est pas vrai qu'il lui corresponde un minimum des œuvres conclusion

:

« Il

est

vrai

qu'à

;

qu'elle ne peut pas accomplir. 1.

Libri de

librum

I

Cœlo

lectio

et

XXV.

Munlo

Aristotelis

»

cum expositione Sancti Thomae de Aquino; in


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

2G

La question que nous venons d'entendre exposer par Jean de Jandun a été reprise par maître Albert de Saxe; il l'a traitée d'une manière approfondie en son commentaire au De Cœlo d'Aristote

'.

Les deux propositions qu'Albert de Saxe discute sont les suivantes

:

Étant donnée une puissance active,

maximum parmi

mum

in

quod

une résistance peut surmonter (maxi-

il

existe

il

existe

les résistances qu'elle

sic).

Étant donnée une puissance active,

une résistance

Mais avant de discuter ces deux propositions, fixer le sens

2

surmonter

qu'elle ne peut pas

minimum parmi les résistances (minimum in quod non).

a soin d'en

il

avec une minutie digne d'un mathématicien de

notre temps.

En que

disant qu'une résistance est la

maximum parmi

puissance donnée peut surmonter,

puissance peut surmonter cette résistance-là

il

toutes celles

entend que

la

et toute résistance

moindre, tandis qu'elle ne peut surmonter aucune résistance plus grande.

Pour

définir le sens de cette phrase

minimum parmi surmonter,

les

celles

que

:

Telle résistance est

puissance donnée ne peut pas

la

prédécesseurs d'Albert se contentaient de dire

La puissance donnée ne peut surmonter ni ni

un

aucune résistance plus grande, mais

:

cette résistance -là

elle

peut surmonter

toute résistance moindre. Notre logicien pointilleux exige, et

non sans donnée, ni

raison,

dit-il,

une plus grande précision;

ne peut surmonter ni

une résistance plus grande

stance existera

;

mais

quelconque moindre que

que

la

à

minimum,

l'on désigne

résistance

la

une résistance supérieure

assignée, et telle

la résistance si

puissance

la

celle

puissance donnée

la

une

rési-

minimum,

que l'on a

il

ainsi

puisse surmonter.

i. Quxstiones subtilissimse Albcrti de Saxonia in libros de Cœlo et Mundo ; in lib. I quœstt. \IV el XV. Selon J, Aschbach (Geschichte der Wiener Université, Band I, S. 365), Albert de Save aurait composé un traité De maximo et minimo qui serait conservé eo manuscrit à Venise; si ce traité existe réellement, il serait à croire qu'il B pour objet le problème qui mous occupe en ce moment. i. Mberl <!<• Saxe, h>c cit., quœst. \IY. quantum ad primum.


LÉONARD DE VINCI ET LES DEUX

INFINIS

27

Ces définitions soigneusement posées, Albert formule ses conclusions

*.

Contrairement

qu'avait prétendu Jean de Jandun,

à ce

un maximum parmi

n'est pas vrai qu'il existe

il

les résistances

qu'une puissance donnée peut surmonter (poienlia activa non terminatur per

parmi

les résistances qu'elle

per minimum

en

Soit,

«

maximum in quod sic); mais

in

il

existe

un minimum

ne peut pas surmonter (terminatur

quod non).

A

effet,

puissance active; on peut se donner

la

une résistance qui

lui soit égale et la

résistance est la

résistance

désigner par B. Or, cette

minimum parmi

puissance A ne peut surmonter. La puissance A, en

peut surmonter

Mais

la

que

la

effet,

ne

celles

car elle ne l'excède

résistance B,

point.

nous nous donnons une résistance quelconque

si

infé-

une résistance supérieure à puissance A puisse surmonter; soit, en effet,

rieure à B, nous pourrons trouver celle-là et

que

la

une résistance inférieure

à B;

on peut trouver une résistance

supérieure à celle-là et inférieure à A; et

comme

le

moindre

mouvement, une résistance inférieure à B étant donnée, on peut trouver une résistance supérieure à celle-là que la puissance active A surmonte; dès lors, d'après la définition du minimum in quod non donnée ci-dessus, B est la résistance minimum parmi celles que A ne peut surexcès suffit à déterminer

monter. «

On

le

»

peut donc dire

que nous connaissons

d'une puissance active en sachant quelle est

minimum

qu'elle

ne peut surmonter. En

effet,

la la

grandeur résistance

nous savons

quelle est la force d'une puissance active lorsque nous savons la

distinguer de toute puissance plus forte et de toute puissance

plus faible

sons

la

;

or, c'est ce

que nous savons lorsque nous connais-

plus petite résistance qu'elle ne puisse surmonter; car

pour connaître ce minimum, savoir, d'abord,

ni telle

que

résistance,

la

ni

il

faut connaître trois choses

:

puissance donnée ne peut surmonter

aucune résistance plus

forte,

et

ces

deux premiers renseignements nous permettent de distinguer

1.

Albert de Saxe,

loc. cit.,

quaest.

XIV, quantum ad secundum articulum.


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

28 la

puissance donnée de toute puissance plus grande;

— savoir,

donne une résistance quelconque inférieure à ce minimum, on peut trouver une résistance supérieure à celle-là que surmontera la puissance donnée, et ce dernier que

ensuite,

l'on se

si

renseignement

distinguer de toute puissance plus

suffit à la

faible. »

Les résistances qu'une puissance donnée peut surmonter

forment donc un ensemble de grandeurs qui admettent une limite,

mais qui ne peuvent atteindre

arrivait lité

en l'exemple

cité

cette limite,

par Walter Burley. De

comme

il

là la possibi-

de formuler des propositions qui seront vraies ou fausses

selon que nous les prendrons au sens syncatégorique ou au sens catégorique. « Il

ne

serait pas logique

1

de dire

Socrate a puissance pour

:

porter n'importe quelle partie de ce poids,

il

portera donc

n'importe quelle partie de ce poids. Considérons, en poids A, qui pèse Socrate;

supposons que 8

n'importe quelle partie du poids sible qu'il

la

A

or, cela est faux, car

puissance est égale à

Dans ce cas donc,

la

«

il

et

;

en porte toute partie, car

lui-même;

soit la

un

puissance de

que Socrate a puissance pour porter

clair

est

il

8, et

effet,

cependant

il

est

impos-

A ne peut y avoir action quand il

porterait alors le poids

la résistance. »

proposition universelle est impossible,

tandis que chacune des propositions singulières est possible et

compossible avec chacune des autres.

sens

«

On

passe ainsi d'un

un sens composé, qui en disciple de Duns Scot.

qui est exact, à

divisé,

Albert parle

Au

»

ici

donner une puissance active

lieu de se

les diverses résistances qu'elle

au contraire,

fixer

de considérer

peut surmonter, on peut, tout

une résistance

puissances qui l'emporteront

et

est faux. »

et

considérer

sur elle 2

.

toutes les

Les puissances qui

l'emportent sur elle n'admettent point de minimum sic;

mais

maximum i.

i/t

ne peuvent

la

quod

surmonter admettent un

quod non.

Aeutissimse quœstiones super libros de physico auditu ab Alberto de Saxonia editœ;

in lib. III a.

celles qui

in

quœst. XIII.

Qusestfones subtilissimœ Alberti de Saxonia

quœst. XV,

quantum

ad

secundum articulum.

in

libros de Ccelo et

Mundo ;

in lib.

I


LÉONARD DE VINCI ET LES DEUX

INFINIS

a

Cette proposition peut être éclairée par

«

Supposons que

un poids

elles,

en sorte que Socrate

et la résistance

:

»

pour

d'une livre soient égales entre

précisément autant de force pour

résister.

La force de Socrate

est le

puissances propres à soulever qui ne

les

peuvent soulever une

ait

pour

lever que la livre en a

de toutes

un exemple

puissance dont dispose Socrate

la

lever

maximum

29

livre, car

de Socrate ne peut lever une

aucune force inférieure à

supérieure la

livre, et toute force

peut lever, en sorte que Socrate possède

la

celle

plus grande puis-

sance parmi toutes celles qui ne peuvent soulever une livre; ainsi la puissance active égale à la résistance est la puissance

maximum parmi celles la

à laquelle la résistance ne cède pas

résistance égale à la puissance active est le

que

résistances

la

minimum

puissance ne puisse surmonter.

l'autre

1 .

«

résis-

deux forces ne l'emporte sur

comme deux hommes

Elles sont

des

»

D'après cet exposé, lorsque la puissance est égale à la tance, ni l'une ni l'autre de ces

et

;

également

forts

aucun de ces deux hommes n'agit sur l'autre, mais chacun d'eux empêche l'action de l'autre. » Il suffît que l'on augmente aussi peu que l'on voudra l'une de ces deux puissances en équilibre pour qu'elle l'emporte sur l'autre. Lorsque Socrate porte sur la tête dont chacun cherche à

tirer

l'autre;

une pierre dont la résistance est précisément égale à sa puissance, si l'on augmente si peu que ce soit la force de Socrate, il soulèvera la pierre si l'on augmente le poids de la pierre, ;

elle fera fléchir Socrate.

Ainsi Albert de Saxe, considérant l'antagonisme

sance

et

dune

puis-

d'une résistance, distingue en deux catégories

circonstances qui se peuvent présenter circonstances où

le

mouvement

d'une part, sont

:

se fait

dans

puissance; d'autre part, les circonstances où

produit dans

le

les

le

le

sens

de

mouvement

les

la

se

sens de la résistance. Les deux catégories sont

séparées par une limite

commune;

et ces

circonstances limites

n'appartiennent ni à l'une ni à l'autre des deux catégories

quand

elles

sont réalisées,

il

;

y a équilibre.

Ces considérations ne sont-elles pas de tout point conformes 1.

Albert de Saxe,

loc. cit., quaestt.

XIV

et

XV, passim.


ÉTUDES SUR LEONARD

3q à

notre

que développe

celles

Dl£

VINCI

Thermodynamique moderne

lorsqu'elle introduit la notion de modification

toute la théorie que nous venons d'exposer ne

réversible? Et

nous

offre-t-elle

pas de continuelles occasions de comparer la logique du e xiv siècle avec la science de notre temps, de constater entre

de saisissantes analogies?

elles

La doctrine que nous venons de résumer très répandue dans les écoles, mais elle n'y

certainement

fut

fut pas toujours

comprise. Marsile d'Inghen, lorsqu'il traite de la Physique secundurn nominaliurn viam, suit presque toujours pas à pas Tordre des relatives à la Physica

questions

auscultatio

qu'Alhert de Saxe a examinées; mais

modèle

il

ou au De Cœlo

contredit volontiers à son

presque toujours, d'une manière malencontreuse.

et,

l'étude des limites qui terminent l'effet d'une puissance

A

ou d'une

résistance,

Physique d'Aristote

consacre en son commentaire à

il

trois

1

questions visiblement inspirées des

deux questions qu'Albertutius a composées sur Mais

le

De Cœlo.

précision et la rigueur logique de celui-ci ont été

la

méconnues

par celui-là.

et négligées

Après avoir défini

comme

Albert de Saxe

Marsile se contente d'ajouter 2

sic,

la

minimum

in

quod non,

quod

»

puis,

sic;

maximum

le

abandonnant

:

«On

in

maximum

quod non

et le

il

émet

in

quod

même

le

minimum

in

définirait de

les distinctions

avait notées avec tant de précision,

évidemment erronée un maximum in quod

le

qu'Albertutius

cette affirmation

Pour toute puissance active, il existe sic parmi les résistances qu'elle peut surmonter et un minimum in quod non parmi celles qu'elle ne peut surmonter, » et ce maximum et ce minimum sont une «

:

môme

résistance.

Dans se

ses Abréviations

montre plus

i.

in

il

des Physiques, Marsile d'Inghen

de Saxe qu'il ne

emprunte 3 au maître

quod non;

il

l'étend au

Qucstiunes subtilissime Johannis

l'est

sa définition

maximum

in

du

quod non en

Marcilii In^ncn super oclo libros physicorum Lugduni, i5i8. In librum I quœslt. \1V, XV et XVI. Marsile d'Inghen, lor. cit., quœst XIV. Marsile d'Inghen, Abbreviativnes libri physicorum, fol. G (non numéroté), col. a.

secundurn nominaliurn viam. •j.

livre

fidèle disciple d'Albert

en ses Questions;

minimum

du


LÉONARD DE VINCI ET LES DEUX

INFINIS

3l

déclarant que ces deux définitions sont meilleures que celles

dont on

se contentait

auparavant; mais

conclusions auxquelles Si

certains

méconnu

il

les

dans ses Questions.

s'est arrêté

comme

scolastiques,

ne modifie pas

il

Marsile

ont

d'Inghen,

doctrine solide d'Albert de Saxe, d'autres, parmi

la

nous pouvons compter Maître Biaise de Parme, y ont fermement adhéré. De cette adhésion de Pelacani nous trou-

lesqtiels

témoignage en son Tractatus de ponderibus ; en une il n'hésite pas à invoquer cette démonstration de ce traité

vons

le

1

,

proposition

Pour une puissance active donnée,

:

maximum

de

il

n'existe pas

des œuvres qu'elle peut accomplir (Aliter enim

maximum).

potentia activa 1er minaret un affirmative per

Cette adhésion de Biaise de

Parme

à la doctrine d'Albert de

Saxe a pu avoir quelque influence sur l'attention que Léonard de Vinci a accordée à celte doctrine

son propre témoignage, que

un

le

;

nous savons, en

Si

par

De ponderibus de Pelacani

comme

des écrits qu'il avait en mains, tout

in libros

effet,

les

est

Quœstiones

de Cœlo composées par Albert de Saxe.

grande qu'ait

été,

aux universités de Padoue

et

de Parme,

l'influence de Biagio Pelacani, elle le cède, assurément, à la

vogue que trouvèrent dans toute

du Nord, durant

l'Italie

le

du xvr" siècle, les doctrines de Paul de Venise. Contemporain, ou peu s'en faut, de Biaise de Parme, xv e

siècle et

une

partie

Paul Nicoletti d'Udiue, religieux de l'ordre des ermites de Saint- Augustin,

mourut

l'un des docteurs les l'atteste le

scrites

à

Padoue

le

grand nombre des éditions

de ses œuvres.

Summa

cent ans,

le

totius

comme

plus autorisés de son temps,

Il

fut

et

»

philosophiœ de Paul de Venise

les éditions 3

.

En

pendant

fut,

plus répandu des traités de philosophie

merie naissante en multiplia

manu-

des copies

surnommé d'un commun accord

excellentissimus philosophorum monarcha.

La

i5 juin 1429. «Il fut 2

1/496,

;

l'impri-

un

décret

1. Tractatus de ponderibus, secundum Magistrum Blasium de Parnia, pars secunda, prop. IV; Bibliothèque Nationale, fonds latin, ms. n° 10252, fol. i53, verso. 2. E. Renan, Averroès et l'Averroïsme, Essai historique; Paris, 1862, p. 273. 3. Ces éditions ont été données sous des litres variés; Hain (Heperlorium bibliographicum, vol. II, i83i, n os i25i5, i25iG et 12523) nous en fait connaître trois qui sont antérieures a i5oo; ce sont les Sutnmulœ naturalium, publiées à Venise, en i4 /G, par Johannes de Colonia et Johaunes Mathen de GherreUeni; VExpositio librorum natu-


ÉTUDES SLR LEONARD DE VINCI

32

de l'Université de Padoue imposait

Summulœ

les

Or,

la

sivement

classique

loglcœ de Paul Nicoletti.

Logique qu'exposaient

condensait

comme manuel

1

la

Summa

Summulœ,

la

lolius philosophiœ, étaient

Logique

la

les

et la

Physique que

presque exclu-

Physique d'Albert de Saxe

de

et

l'École parisienne.

En

particulier, c'est la

pure tradition d'Albertutius que nous

reconnaissons au chapitre où Paul de Venise examine puissance passive a pour terme

une puissance passive

encore agir,

si

mum

ne puisse plus

elle

Et d'abord,

«

la

question.

» dit-il,

elle

si

une

puisse

pour terme un mini-

a

pâtir.

notons de quelle manière on expose

«

»

On formule

«

un maximum où

2

cette proposition

A

:

est

le

poids

maximum

que Socrate puisse porter; Socrate ne peut donc porter ni le poids A, ni un poids égal à celui-là mais si l'on se donne un ;

poids quelconque, inférieur à A, on pourra trouver plus grand que celui là que Socrate portera...

un poids

»

Ces prémisses posées, voici notre première conclusion

«

:

On

un poids maximum que Socrate puisse porter, ou un poids minimum qu'il ne puisse porter; on répondra qu'il existe un poids minimum qu'il ne peut porter;

demande

et c'est ce

s'il

existe

poids qui est

la

puissance de Socrate.

»

Les commentaires dont Paul de Venise accompagne ce pro-

blème,

la

vogue extrême dont jouissait

la

Somme aux

environs

de l'an i5oo, étaient bien propres à attirer et à retenir l'attention

du Vinci sur

les

notions de

maximum

D'ailleurs, cette attention n'a rien

temps in

même

de Léonard

le

quod non étaient, dans

que de

maximum les

et

in

écoles,

de

minimum.

fort naturel, car

quod

sic et le

thèmes à

au

minimum

fréquentes

discussions dont nous allons retrouver la trace. raliiim, publiée à Milan, en 1/176, par Christoforus Valdarfer Ratisponensis; la Summa philosophiœ publiée en 1^77, sans indication de l'éditeur ni du lieu d'édition; M. Barthélémy Haureau (art. Paul de Venise du Dictionnaire des Sciences philosophiques d'Ad. Franck) cite cinq autres éditions; deux de ces éditions ont été données à Venise (ii i'|i)i et en 1002, les trois autres ont été données à Paris en i5ia par Grandjon, en i5i3 par Regnault, enfin en i5a 1 par Jossc Bade. 1.

De

a.

Pauli de

\\ ulf, Histoire de la \

enetiis

philosophie médiévale,

Summa

tolius

2' éd.,

Paris, iqo5, p. ^72.

philosophie ; secundo? partis cap. XIII.


LÉONARD DE VINCI ET LES DEUX

A fait

la suite

de son Propositam de

33

INFINIS

auquel nous avons

infinito,

une courte pièce

divers emprunts, Jean Majoris a inséré

qui nous fournit plus d'un renseignement intéressant sur la

du xv e

vie universitaire

siècle.

Cette pièce est intitulée

:

Trilogus inter duos logicos et magis-

trum.

Deux jeunes et

Forman

logiciens de la Faculté des Arts, Jean

Jean Dullaert de Gand

*,

échangent leurs doléances

indignés de l'avidité des maîtres es régent qui réclame

le droit

pour

l'étude des arts

celle

de cappa;

du

droit.

A

arts, ils

de

;

ils

sont

la cupidité

du

sont tentés de quitter

ce sujet,

ils

vont deman-

der conseil à maître Jean Annand, compatriote et ami de Jean Dullaert.

Maître Jean

Annand chante d'abord aux deux jeunes

logi-

ciens les louanges de l'Université de Paris; la Sorbonne, jointe

au quartier des philosophes, peut rivaliser avec Athènes. Mais Jean Forman presse

le

maître;

juste de payer la

est-il

cappa? La réponse de maître Annand s'inspire d'un genre ne

d'esprit qui

aux abords de

serait point renié aujourd'hui

la

Sorbonne. Que veut dire C. A. P. P. A.? Capias a polentibus pecuniam

Les étudiants en arts sont riches

artlstis.

;

extorque-

leur de l'argent.

A

la

calembredaine du maître, Jean Dullaert répond en

style; lui aussi,

il

interprète à sa façon le

Caveas accipere pecuniam pro

artistis.

mot

G. A. P.

même P. A :

Garde -toi de recevoir de

l'argent de la part des artistes.

Puis

la

conversation prend une forme plus sérieuse; les

logiciens se plaignent de l'aridité des sujets qu'ils discutent; il

leur faut traiter de l'infini, examiner

pose de points, juristes

et

etc.

Maître Jean

canonistes, en

continu se com-

si le

Annand

riposte en dénigrant

exaltant l'étude des arts et de la

Théologie.

Son éloquence

était

sans doute persuasive; elle convainquit

Jean Dullaert de Gand; nous voyons, en continua

les

dlhem.

que

études qu'il avait tout d'abord entreprises

i. M. de Wulf (Histoire de la philosophie médiévale, Jean Dullaert, de Gand, de 1^71 (?) à i5i3.

p.

effet,

a° édit.,

;

celui-ci

comme

1905, p. 53a) fait vivre

3


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

34

lavait été son maître Jean Majoris,

de Montaigu; à

il

devint régent du Collège

composer, sur

les

Physiques

et

sur le

De

Cœlo, de remarqua-

imprimées à Paris en iôoô

bles Questions qui furent

l'amena

fonction

l'accomplissement de cette

1 .

Or, la seconde question examinée par Jean Dullaert au sujet

comment une puissance peut terminée par un maximum in quod sic ou par un minimum à chercher

du De Cœlo consiste être

quod non. Parmi

in

les arguties, les instances, les répliques

surchargent l'exposition de maître Jean Dullaert, difficile

de reconnaître

d'Albert de Saxe.

la

pensée

Gomme

et parfois les

il

qui

n'est pas

mêmes

phrases

Albertutius, Jean Dullaert soutient

qu'une puissance active n'est pas limitée par un maximum

quod

sic,

mais qu'elle

est limitée

par un minimum

in

in

quod

non.

La discussion de ces problèmes, dont Albert de Saxe avait

donné une solution e écoles à la fin du xv

si

nette, élait encore

siècle et

en faveur dans

au début du xvi

e

siècle

voyons par l'exemple de Jean Dullaert. D'ailleurs,

;

les

nous

le

elle n'avait

aucun moment d'occuper les logiciens de la Scolascar nous entendons Jean Dullaert de Gand mentionner

cessé à tique, les

opinions émises en cette discussion par Hentisberus

et

Paulus Venetus. Or, Guillaume de Heytesbury (Hentisberus)

par était

chanoine d'Oxford en 1871, tandis que Paul Nicoletti de Venise,

nous l'avons

dit, est

mort à Padoue en 1429.

Ainsi, de siècle en siècle, les maîtres de l'école poursuivent l'analyse logique

du concept de

aux mathématiciens qui devaient

limite; ils si

préparent la voie

prodigieusement enrichir

ce concept. Toutefois, les disciples des logiciens qui ont illustré l'École

de Paris au

xiv

e

siècle

ne gardent pas toujours

de dialectique de leurs maîtres; en leurs

écrits,

vigueur

la

plus d'une

distinction nécessaire s'efface, plus d'une conclusion perd de i. Joannis Dullaert Questiones in libros phisicorum Aristotelis. L'ouvrage se termine par deux importantes questions sur le De Cœlo et par le colophon suivant Hic linem accipiunt questiones phisicales Magistri Johannis Dullaert de Gandavo quas edidit in cursu artium regentando Parisius in Gollegio Montisacuti, impensis honesti viri Oli:

verii

Senant, solertia vero ac caracteribus Nicolai Depratis,

SOlertissimi prout caractères indicant, vigesiuui tertia Marlii.

viri hujus artis impresorie anno Domini millesimo quiugentcsimo sexto


LÉONARD DE VINCt ET LES DEUX

A Padoue, Gaétan de Tiène enseigne

sa netteté.

xv

e

qu'une puissance

siècle,

maximum

35

INFINIS

in

quod

par un minimum

sic et

l'on considère le

terminée à la

est

premier terme ou

in

,

fois

quod non ; selon que

second, on la

le

du par un

à la fin

1

nomme

puissance ou impuissance. Cette conclusion peu logique n'était

même

pas originale; en ce cas,

de

Abbreviationes

comme

Marsile d'Inghen

en bien d'autres,

avaient inspiré

les

Gaétan

de Tiène.

du

D'ailleurs, à la fin

xvi

e

siècle,

questions,

c'est-à-dire le

goût de

nait; le bel esprit de

xv* siècle, et plus encore au début

au

la

moment où Léonard

méditait ces

plupart des philosophes s'en détour-

l'humanisme

les subtiles distinctions

du

faisait fort

sans lesquelles

il

au sens logique

;

n'est point de véri-

table rigueur, le style technique sans lequel la confusion rend la

discussion impossible,

lettrés

semblaient insupportables

qui faisaient profession de priser

dessus toutes choses;

un Louis Vives

sa diatribe In pseudodialecticos,

il

le

à

des

beau langage par-

(i/jg2-i54o) composait

déclarait

que

les

leçons

données par Jean Dullaert au Collège de Montaigu l'avaient dégoûté de style

la

Scolastique, et

de Paris, c'est-à-dire

il

condamnait l'emploi du

du langage technique 2

.

Ceux mêmes qui, comme Agostino Nifo, tenaient pour l'antique méthode de l'École et revendiquaient 3 le droit, pour le philosophe, de parler un langage spécial, ne pouvaient se défendre pleinement de l'affaiblissement du sens logique qui régnait alors, semblable à une épidémie; le scepticisme était la suprême ressource de leur raison énervée, en tous les problèmes où une argumentation rigoureuse eût seule pu saisir et fixer la vérité.

En son exposition sur

le

De Cœlo,

qu'il date

du

i5 octobre

in libro de Celo et Mundo. Cum questione Domini Egidii nuperrime impressa et quam diligentissime emendata. Colophon Venetiis, mandate- impensisque heredum nobilis viri Octaviani Scoti Modoetiensis. Per Bonetum Locatellum presbyterum Bergomcnsem. Anne- Domini i5oa. Tertio i.

Gaietani Expositio

de materia Celi

:

Idus Julias. 2.

Cf.

:

De Wulf,

Histoire de la philosophie

médiévale,

2'

édit.,

igo5, p. 696.

Ernest Renan, A verroès et l'Averroïsme, Essai historique ; Paris, i85a, pp. 3i2 sqq. 3. Augustini Niphi philosophi Suessani In XII Metaphysicorum libros expositio

proœmium.

;


ÉTUDES SUR LEONARD DE VI>CI

36

emprunte

i5i4, Nifo

1

au «savant péripatéticien Albertilla

»,

c'est-à-dire à Albert de Saxe, la distinction des propositions

sur l'infini en propositions catégoriques et propositions syncatégoriques; sert à

il

marquer

primer

emprunte également

lui

mais, lorsqu'il s'agit

cette distinction;

propres opinions,

ses

les fait

il

forme de phrase qui

la

d'ex-

précéder de cette for-

mule dubitative « Pour moi, en une si grave question, sauf jugement meilleur auquel je suis toujours prêt à m'en :

remettre, je dirais... Ailleurs

»

lorsqu'il s'agit de traiter cette question

2 ,

puissance active est -elle terminée par un veut pas que

dans

le

physicien imite

l'abstrait et

le

:

maximum?

Toute

Nifo ne

mathématicien, qui raisonne

considère des grandeurs

si

petites soient-elles

;

veut qu'on ne tienne compte, en philosophie naturelle, que

il

quantités

des

«juniores

»,

Toutefois,

sensibles.

les

considérations

des

c'est-à-dire des disciples d'Albert de Saxe, qui pro-

cèdent à la manière des mathématiciens, ne lui déplaisent pas. «

Voilà,

conclut-il,

»

«

ce qui

me

semble vrai pour

moment, propos du

le

bien que j'aie écrit des choses toutes différentes à livre

De

generatione ; car je tiens qu'en philosophie naturelle,

rien n'est certain; j'écris

viennent à

comme

la

bouche;

Empédocle.

dit

comme

donc mes pensées

les

opinions changent avec

elles le

me

temps,

»

En son commentaire au De generatione, dont la dernière rédaction porte la date du 3 avril 52 1 Nifo ne marque pas 1

moins

d'incertitude.

déclarant qu'il s'agit relatifs à

bilité

Il «

discute 3 la théorie de Gilles de

d'un doute très caché

au

à l'infini,

provoquent

cette déclaration de la

3.

et

Padoue

du

apud Hieronymum Scrotum, MDXLIX,

corruptione interpretationes et commentaria... I, fol.

5, col. a.

;

toujours,

quatuor, c grxco in latinum nb ab eodem etiain... aucti expositione...

libri et

lih. I, foll. 3i cl 3a.

Augustinus Niphus, toc. cit., lih. I, fol. 6'4, coll. a et b. Augustini Niphi medices philosophi Suessani in libros

i55o, lib.

part

:

des Physiques et en divers autres endroits

i. Aristotelis Stagiritœ De Cœlo et Mtindo Augustino Nipho philosophe) Suessano conversi,

a.

Les problèmes

sont là des difficultés très grandes; je les ai touchées

3° livre

Venetiis,

».

Rome en

l'augmentation indéfinie d'une grandeur, à sa divisi-

célèbre professeur de l'Université de

aCe

,

Venetiis,

Aristotelis de generatione

apud Hieronymum Scotum,


LÉONARD DE VINCI ET LES DEUX à ce sujet, je

dans ce que ce qui

me

me

montré hésitant; sans

suis

probables.

En

concerne.

A

propositions;

autrement

si

mais les

et l'opinion contraire

moment

présentent en ce

cesse, j'ai varié

philosophie, je tiens que rien n'est

donc de solution des

titre

S*]

C'est ce qui m'arrive, d'ailleurs, en tout

j'ai écrit.

qu'une opinion

certain,

INFINIS

je

sont également

que

je

m'exprimerais

circonstances venaient à changer...

Ainsi, au début

du xvi

se

à nous, je vais formuler certaines

proteste

e

qui

difficultés

siècle,

tout

»

un scepticisme déconcertant

ruine tout ce que la logique terminaliste de l'École de Paris e avait précisé au xiv siècle, tout ce qu'elle avait dit de net et

de rigoureux sur l'infîniment

petit.

Les problèmes qu'elle avait abordés vont être repris par les

géomètres

mais

il

vont en

faire sortir le calcul infinitésimal

;

faudra aux mathématiciens des efforts séculaires pour

renouer il

et ceux-ci

la tradition

rompue par

le bel esprit e

leur faudra attendre jusqu'au xix siècle

de raisonner, en de

telles questions,

des humanistes;

pour retrouver

avec la rigueur et

l'art

la pré-

cision qu'un Albert de Saxe s'efforçait déjà d'atteindre.

III

L'infîniment grand dans la Scolastique.

Tout problème sur l'infîniment l'infîniment grand;

l'étude de

petit est

des

l'un

un problème sur

deux

infinis

ne

se

sépare pas de l'étude de l'autre; en parcourant rapidement les doctrines que l'École a introduites dans l'étude de l'infîniment

grand, nous reconnaîtrons sans cesse l'analogie de ces doctrines avec celles

que

les scolastiques

ont professées lorsqu'ils

analysaient l'infîniment petit.

Pour

Aristote,

aucune grandeur

infinie n'existe

l'Univers est limité. Elle ne saurait

non plus

en

acte, car

exister en puis-

sance; on a beau réaliser une quantité de plus en plus grande, il

sûrement une limite qu'elle ne saurait franchir, car ne peut excéder les bornes du Monde. Aucune puissance

existe

elle


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

38

ne saurait donc réaliser une grandeur qui surpasse n'importe quelle grandeur donnée d'avance.

Ce raisonnement vaut pour une puissance qui est tenue de prendre le Monde tel qu'il est, qui ne peut ajouter aucun corps aux corps qui existent qui

il

n'est pas

déjà,

donné de

sance créatrice à qui

créer;

est

il

en un mot pour une puissance à ne vaut point pour une puis-

il

permis de produire sans cesse des

corps nouveaux, de reculer indéfiniment les bornes de l'Univers.

aucune puissance

Aristote n'admettait

créatrice;

pouvait

il

donc, sans restriction aucune, soutenir qu'il n'y a pas

d'infi-

niment grand en puissance. La Scolastique chrétienne ne pouvait admettre l'absolutisme de cette proposition

;

l'infini

potentiel ne saurait être, à l'égard des puissances de ce

monde,

privées du pouvoir créateur; mais

il

est possible à Dieu.

L'autorité ecclésiastique, précédant la raison, avait affirmé

que

monde

le

d'Aristote,

éternel mais

d'étendue

saurait épuiser la toute-puissance créatrice de Dieu.

finie,

ne

Parmi

les

erreurs qu'Etienne Tempier, évêque de Paris, condamnait en l'an

1277, après avoir pris conseil des maîtres en théologie,

nous trouvons celle-ci duratione,

corpore

non

1 :

in actione

«

Quod Deus

;

talis

enim

est infinitae virtutis in

infinitas

non

est, nisi in

finito, si esset. »

La philosophie scolastique ne tarda pas à mettre, sur ce point, ses enseignements d'accord avec ceux de l'Église.

Déjà saint tielle

Thomas d'Aquin

que réclame

la

a aperçu la modification essen-

pensée d'Aristote;

alors

que

celui-ci

déclare qu'il n'existe aucune puissance capable de produire

par addition successive une grandeur qui surpasse toute quantité, le

Docteur Angélique a soin d'ajouter

n'existe

aucune puissance dans

garde par

là le

cette précision

2 :

Il

il

sauve-

Walter Burley montre

l'anti-

la

nature

(in

natura);

pouvoir créateur de Dieu.

D'une manière plus

explicite,

1. Collectio errorum Parisiis condemnatorum. Cette collection se trouve à la fin de presque toutes les éditions des Pétri Lombardi, Episcopi Parisiensis, Sententiarum libri IV. Le texte de la condamnation portée par Etienne Tempier se trouve dans Denifle et Châtelain, Chartularium Universitatis Parisiensis, t. I, p. 545 sqq.; l'erreur en question y est citée sous le n° 29. 2. Sancti Thomas Aquinatis Expositio in libros physicorum. Aristotelis; in libruni III :

lectio IX, in fine.


LÉONARD DE

nomie qui

VTNCI ET LES

entre

existe

DEUX

INFINIS

3g

d'une puissance créatrice et

l'idée

l'opinion qu'Aristote et Averroès ont soutenue en niant

niment grand en puissance. Ce mérite d'être cité Si l'on

«

qu'il dit de

l'infi-

antinomie

cette

1 :

admet que

l'addition se fait

non par

la

génération

de nouvelles parties, mais par l'addition indéfinie de parties

du Philosophe

préexistantes, la conclusion c'est

bien de la sorte que

le

est logique.

Philosophe entend que

Et

cette

addition doit être faite; car, selon lui, la matière première est

ingénérable

et

mière ne saurait donc être le

aucune portion de matière preproduite à nouveau. De même, pour

incorruptible

;

Commentateur, toute portion de matière

toute quantité de matière est ou bien

selon lui;

éternelle

céleste,

première

et

ou bien

inséparable de celle-ci.

est éternelle, car

une portion de matière elle est

en

la

matière

Une quantité nouvelle

de matière ne saurait donc être produite. Lors donc qu'on veut

un corps

ajouter

à

un

une autre

autre corps ou une grandeur à

grandeur, cette addition ne peut se faire par génération d'une nouvelle portion

et

d'une nouvelle grandeur;

elle

que par addition d'une grandeur préexistante;

faire

que l'addition

se

poursuive indéfiniment,

il

ne peut si

se

l'on veut

faudra qu'on enlève

une autre grandeur préexistante la partie que l'on veut ajouter à la grandeur en formation. Telle est la véritable intention du Commentateur... » à

«

De

quence

ce qui vient d'être dit résulte clairement cette consé:

Les théologiens qui soutiennent que Dieu peut créer

une nouvelle quantité de matière, fini, et ainsi

en

effet,

et ce

il

un

autre corps

de suite indéfiniment, ne sauraient faire usage de

du Philosophe Si une grandeur existe en en acte une grandeur égale. Cette proposition,

cette proposition

puissance,

et l'ajouter à

est

:

doit être entendue au sens

sens est celui-ci

:

Si

où l'entend

une grandeur

est

le

Philosophe,

en puissance par

la

seule addition de parties préexistantes et sans génération de

une grandeur égale à celle-là est en acte... » Guillaume d'Ockam s'était constitué, en quelque sorte, l'avocat de la puissance créatrice de Dieu; avec une impiparties nouvelles,

i.

Burleus Super octo

libros

physicorum ; Venetiis, 1691;

lib. III, fol. 75, coll. 6 et c.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

ZJO

toyablc logique,

s'appliquait à briser les chaînes dont cer-

il

taines philosophies prétendaient entraver le libre exercice de cette puissance.

Il

manqué de

n'a pas

repousser

objections

les

d'Aristote et d'Averroès contre l'infini en puissance.

Dieu,

dit-il

espèce;

il

,

peut créer chacun d'eux sans

il

existent déjà.

d'eau,

peut créer indéfiniment des individus de

1

pourra, sans

en créer une autre, puis

détruire,

la

unir chacune d'elles à celles qui ont été

et

auparavant. Le

faites

détruire ceux qui

après avoir créé une certaine quantité

Ainsi,

encore une autre,

même

croîtra indéfiniment.

volume de «

ainsi

l'eau

Quelle que soit

la

créé par Dieu

forme susceptible

d'augmentation que l'on donne, Dieu pourra toujours en

une plus grande... Quelle que d'eau finie qui soit déjà

soit,

par exemple,

a

à

il

lui

la possibilité

imposerait

un

de ce développement

terme...

On ne

doit

»

Mais cette doctrine se heurte à une grave objection

admet

donc

du Com-

accepter, en cette question, ni son autorité, ni celle

mentateur.

de l'unir

et

»

Le Philosophe nierait

l'infini;

quantité

la

ne vois pas ce qui pourrait

faite, je

empêcher Dieu de créer une nouvelle goutte d'eau à l'eau préexistante.

faire

l'infini potentiel,

au moins à l'égard de

la

:

Si l'on

puissance

créatrice de Dieu, n'est-on pas tenu d'admettre l'existence de l'infini

de

la

actuel? Certains philosophes le prétendent.

première proposition à

la

seconde,

ils

Pour passer

raisonnent

comme

du continu, concluent à la possibilité de diviser actuellement ce continu en une infinité de parties; ils invoquent de nouveau l'axiome d'Aristote et d'Averceux qui delà

divisibilité à l'infini

roès, selon lequel ce qui est

en puissance peut être en

acte.

Nous avons entendu Walter Burley analyser cet axiome et marquer avec précision les conditions hors desquelles il est interdit d'en faire usage.

immédiatement

Le passage que nous avons

suivi de celui-ci:

«

cité est

Certains théologiens accor-

i. Magistri Guilhelmi de Ockam Super quatuor libros sententiarum annotationes... Colophon: (mpressum est hoc opus Lugduni perM. JohannemTrechsel Alemannum, virum hujus artis solertissimum. Anno Domini nostri MCCCCXCV, du- vero décima mensis Novembris. Laus omnipotenti Deo. Libri primi distinctio XVII, quœstio VIII.


LÉONARD DE VINCI ET LES DEUX

4l

INFINIS

volume du Ciel, qu'il pourrait, par exemple, rendre le Ciel deux fois plus grand, et ainsi de suite indéfiniment; de telle sorte qu'étant donnée n'importe quelle grandeur finie, Dieu pourrait créer une dent que Dieu pourrait accroître

grandeur double de

Ces théologiens, cependant, nie-

celle-là

raient que Dieu pût créer

le

une grandeur actuellement

infinie,

car cette dernière proposition entraîne peut-être contradiction; d'ailleurs,

et,

est vrai

il

que

cette proposition

:

Étant donnée

une grandeur, Dieu peut faire une grandeur double de celle-là, et une double de la seconde, n'entraîne pas formellement Dieu peut faire une grandeur actuellement infinie. » celle-ci « On dira peut-être que toute grandeur qui peut être conçue :

en puissance peut aussi exister en acte; qu'elle pourrait être formée par l'addition simultanée de toutes ces parties qui ont été créées; je dis

ainsi

que doit

bien

comme

suivante

Si

:

que

être

il

cette proposition est fausse.

comprise

Ce

n'est pas

cette proposition fameuse,

a été dit plus haut, c'est-à-dire de la

une grandeur peut

être

mais

manière

conçue en puissance par

simple addition de parties préexistantes

et

sans aucune création

de parties nouvelles, une grandeur égale peut exister en acte.

remarque permet, on le voit sans peine, de répondre toutes les difficultés que l'on peut opposer à l'accroissement

Cette à

des formes à

l'infini. »

Ockam admet que Dieu

peut toujours, étant donnée une

grandeur, en produire une qui

la

surpasse,

en sorte qu'à

l'égard de son pouvoir créateur, l'infiniment grand existe en

puissance infini

1 ;

;

mais

il

nie formellement l'existence actuelle de cet

ceux qui de

la

première proposition veulent conclure

seconde commettent une erreur semblable à celle qui a été commise à propos de la divisibilité à l'infini les raisons par

la

;

lesquelles

Roger Bacon a réfuté

oppose textuellement à

cette

erreur-ci,

Ockam

les

celle-là.

loc. cit. Les jésuites de l'Université de Coïmbre, se référant Ockam au nombre de ceux qui ont soutenu cette promettent* passage, à ce position Potest infinitum actu divinx virtutis produci. L'attribution de cette opinion au chef de l'École nominaliste est une erreur formelle. i.

Guillaume d'Ockam,

même :

aj Commenta/ni Collegii Conimbricensis, Societatis Jesu, in octo libros physicorum Aristotelis,

lib. III,

cap. VIII, quaest. 2.


Il

ÉTUDES SLR LÉONARD DE VINCI

2 « Il

est faux,

»

dit -il,

pas de plus grande.

comme

choses permanentes

les

il

n'en soit pas de plus petite ou telle qu'il n'en soit

telle qu'il

Dans

:

que dans

de réaliser par une opération unique la grandeur

soit possible

vérité

«

Il

choses permanentes divisibles à

les

sont tous les continus

minimum,

car

si

que j'énonce

et voici ce

y a plus,

petite

que

comme l'infini,

on ne peut donner de

,

donnée,

soit la partie

puissance

la

divine en pourrait réaliser une qui soit plus petite;

même, on ne grande que

donner un maximum,

saurait

soit

une quantité donnée,

peut produire une plus grande.

la

car,

de

et,

quelque

puissance divine en

»

Dira-ton que, quelque grande que soit une quantité, elle peut être produite par une opération unique? Je l'accorde. De même, si l'on se donne une division quelconque d'un continu, on peut la réduire en acte par une seule action. » « Dira-ton que cette possibilité n'est pas seulement une «

mais à l'existence

possibilité à l'existence in fieri,

esse? Si par possibilité à l'existence possibilité d'être réduit qu'il

ne

«

pas

jamais, en

ici d'Line

soit,

en

effet, cette

la

sorte

telle

à l'existence in facto

possibilité

telle

infini, ni à

acte, tout ce qu'elle est

une

en puissance;

puissance ne peut être épuisée de

telle

»

La théorie dont Walter Burley

et

Guillaume d'Ockam ont

principes se trouve complètement développée dans

les

les écrits

de maître Albert de Saxe. imitant ce que

Celui-ci,

niment

un

ne reste plus aucune possibilité d'une opération

qu'il

nouvelle.

petit,

Duns Scot

montre d'abord

doxales on serait conduit

si

1

étranges,

nous

trouvons

la

avait fait

à quelles

l'on

l'existence actuelle de l'infiniment

i.

de

l'acte,

parvient donc jamais par là à

grandeur qui

posé

à

on entend

))

On ne

sorte

simplement

facto esse

facto

ne demeure plus aucune puissance ultérieure, je dis qu'il

s'agit

esse.

in

in

pour

l'infi-

conséquences para-

admettait,

en Géométrie,

grand; parmi ces corollaires

proposition célèbre d'Hermès

Acutissimm qiurstiones super Ubros de physica auscultatione ab Alberto de Saxonia

editœ ; in lib.

III

quaost. XIII.


LÉONARD DE VINCI ET LES DEUX

Trismégiste

«

:

Un

43

INFINIS

cercle infini se comporterait

comme

centre était partout et sa circonférence nulle part. L'esprit

éminemment

son

si

»

logique d'Albert de Saxe ne confond

point l'étonnement que de telles propositions engendrent en

répugnance qu'y produit une véritable Ces raisons, » dit-il, « ne m'inspirent pas

l'intelligence avec la

contradiction.

grande plus

:

foi

Si

en

«

conclusion qu'elles prétendent établir.

la

Il

y a

quelqu'un voulait admettre qu'une grandeur infinie

peut exister,

il

accorderait, je pense, toutes ces propositions.

Mais je vais maintenant exposer un raisonnement qui entraîne

ma

conviction.

Examinons

On

»

ce raisonnement.

peut partager une heure en laps de temps dont

décroissent en progression géométrique

;

telles les

les

durées

durées d'une

demi-heure, d'un quart d'heure, d'un huitième d'heure, c'est

ce

en parties

qu'Albert appelle diviser l'heure

etc.

;

conti-

nuellement proportionnelles ou, simplement, en parties proportionnelles.

Imaginons alors qu'en

la

première partie proportionnelle

d'une heure, Dieu crée une pierre d'un pied cube

seconde partie proportionnelle de cette heure, seconde pierre de ainsi de suite. infinie. « Si

A

qu'en

;

il

crée

la

une

même

grandeur

la fin

de l'heure, Dieu aura créé une pierre

une grandeur

ce serait par ce procédé.

et l'ajoute à la

première, et

infinie pouvait être réalisée

en acte,

»

Mais ce procédé implique contradiction pierres que Dieu a créées,

il

en

est

;

une qui

en

effet,

de ces

a été créée après

toutes les autres, partant en la dernière partie proportionnelle

de l'heure

;

or, le

temps

est

un continu

;

et

dans

la

d'un continu quelconque en parties proportionnelles

pas de dernière partie; de

la division.

il

est

commune

même «

la

que Walter Burley

connaissance n'en

a

était

».

Albert de Saxe ne

même

n'y a

Cette proposition qu'Albert prend pour majeure

exposée en nous avertissant que

qu'une

il

impossible de parvenir au terme

de son argument, c'est celle-là

point fort

division

manque pas

de remarquer à ce sujet

proposition peut être vraie ou fausse, selon qu'on


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

44 la

prend au sens syncatégorique ou au sens catégorique; proposition

cette

En

:

toute

partie

proportionnelle

telle

d'une

heure, Dieu peut créer une pierre d'un pied cube. Albertutius Si la puissance rapproche cette proposition de cette autre qu'a Socrate pour lever un poids est mesurée par 8, Socrate :

peut lever toute partie d'un poids dont la pesanteur est

En chacun

on

des deux cas,

doit bien se garder de conclure

sens divisé, qui est vrai, au sens composé, qui est faux.

des

propositions

singulières

chacune des autres, mais en sorte que

elles

est

vraie

et

8.

du

Chacune

compatible

avec

ne sont pas toutes compossibles,

proposition universelle n'est pas vraie.

la

L'argument que nous venons d'entendre développer à Albert de Saxe lui sert à plusieurs reprises. Sans affirmer l'existence actuelle d'un corps infini, plusieurs croyaient à la possibilité

de réaliser une ligne de longueur infinie ou une surface courbe

ne peut-on, par exemple, en un corps

d'aire infinie;

une spirale de longueur infinie? Albert n'admet pas plus ces propositions

fini,

tracer

1

du corps

l'actualité

Comment

s'y

qu'il

n'admet

infini.

prendrait-on, par exemple, pour tracer en

un un

une ligne de longueur infinie? On prendrait cylindre fini dont on diviserait la hauteur en parties proportionnelles; à la surface de ce cylindre on tracerait une spire corps

fini

pour pas

d'hélice ayant la

la

première partie proportionnelle de

hauteur; on la ferait suivre d'une seconde spire d'hélice

ayant pour pas et ainsi

la

seconde partie proportionnelle de

On

de suite.

la

hauteur,

formerait de la sorte une espèce de spirale

de longueur infinie. Albert de Saxe accorde bien que cette courbe, tracée,

serait de

longueur

pas être tracée en entier;

il

infinie;

mais

cette

faudrait, en effet,

si elle était

courbe ne peut

pour qu'elle

fût

terminée, que ses spires embrassassent toutes les parties pro-

du cylindre;

portionnelles

on puisse dire

du cylindre, columnse. i.

or, «il n'existe pas de parties

dont

qu'elles sont toutes les parties proportionnelles

nullse

partes sunt omnes partes proportionnâtes

»

Albert do Saxe,

loc. cit., in lib. III

quœst. XII.


LÉONARD DE VINCI ET LES DEUX

Par

cette

argumentation,

grand en acte

45

INFINIS

l'impossibilité

de l'infiniment

se trouvait rattachée à l'impossibilité

la division à l'infini

du continu

entre

;

la

de réaliser

théorie de l'infini-

ment grand et la théorie de l'infiniment petit sait une correspondance très exacte qu'Àristote

elle

établis-

Averroès

et

n'avaient point entièrement reconnue. Cette argumentation ravit assurément les suffrages de plusieurs des grands logiciens nominalistes qui enseignaient à

Paris au milieu

du xiv e

nous avons plusieurs qu'elle n'avait pas

fois

Proposition de infinito que

Jean Majoris nous

cité,

seulement entraîné

mais qu'elle

de Saxe,

En son

siècle.

la

apprend

conviction d'Albert

également employée par Jean

était

Buridan.

Entre ces deux propositions

— L'infiniment grand peut être

sance n'est pas contradictoire,

en

réalisé

d'Ockam,

acte,

les

logiciens

Walter Burley,

les

L'infiniment grand en puis-

:

du

xiv e siècle,

les

Albert

les

Guillaume

de Saxe,

les

Jean

Buridan, avaient élevé une barrière qu'ils croyaient solide et infranchissable. Cette barrière, nous allons la voir s'effondrer;

non pas, cependant, qu'elle s'abatte tout d'un coup; sourdement ruinée et minée, elle croule peu à peu, tandis que le temps s'écoule de l'année i35o à l'année i5oo. Déjà, Marsile d'Inghen, tout en suivant de très près Alber-

en ce

tutius

abandonne,

qu'il a dit

en

ses

Questions

conclusion formulée par qu'il

consacre

1

à

du problème de le

sur

la

l'infiniment grand,

Physique,

plus

d'une

maître saxon. Les deux questions

examiner Si une grandeur

infinie

peut être

actuellement réalisée, et Si, de fait, un corps infini existe actuel-

un ordre

lement dans la nature, procèdent suivant

fort défec-

tueux. Le recteur de Heidelberg y reproduit ces arguments

mathématiques contre confiance à Albert plupart n'avait il

des

raisons

l'infini actuel

de Saxe;

en

qui n'inspiraient aucune

y reproduit également la faveur de l'infini actuel qu'Albert

énumérées que pour

il

les

réfuter

;

de ces réfutations,

ne parle pas, non plus que du raisonnement qui avait

i. Questiones subtilissime Johannis Marcilii Inguen super octo libros physicorum secundum nominaliuin viam; Lugduni, MCCCCCXVIIi. In librum 111 quaestt. IX et X.


ÉTLDES SUR LÉONARD DE VINCI

46

convaincu Albertutius et Jean Buridan il ajoute qu'Aristote a nié la possibilité d'un corps infini parce qu'il ne concevait pas l'existence d'une puissance active infinie mais à nous, à ;

;

qui

a révélé qu'il existe une telle puissance, l'existence

la foi

du corps

infini n'apparaît plus

cette impossibilité

comme

impossible; du moins

ne peut plus être démontrée.

donne tant complètement disparu;

toute cette discussion, la rigueur logique, qui

De

de netteté à l'exposé d'Albert de Saxe, a

on ne distingue plus entre

propositions syncatégoriques et indécise,

et les

Ces conclusions

Une

l'argumentation devient vague

;

conclusions paraissent hésitantes. les voici

:

une surface

ligne de longueur infinie,

peuvent

Au

propositions catégoriques et les

les

d'aire infinie

être réalisées actuellement.

contraire,

« il

n'existe en

fait, et

d'une manière actuelle,

aucun corps de volume

infini; toutefois, cette proposition

saurait être démontrée;

on peut seulement dire en

qu'elle s'accorde

tous les corps

mieux que

ne

sa faveur

toute autre avec notre expérience

que nous percevons sont

finis,

en

effet,

;

et

aucune raison ne nous contraint de poser l'existence d'un corps

infini... »

Comme

il

arrive presque toujours, les Abréviations de Mar-

d'Inghen portent plus nettement, en ce problème,

sile

la

marque de l'enseignement d'Albert de Saxe que ne la portent les Questions sur la Physique. Nous lisons, en ces Abréviations 1

,

propositions que voici

les

:

«

Il

est

impossible qu'une puis-

sance quelconque produise une pierre d'un pied cube en toute partie proportionnelle de l'heure qui va venir; cela est évident,

car cela n'est pas plus possible que de diviser

un continu en

deux

partie propor-

parties

proportionnelles pendant toute

tionnelle de l'heure...

La proposition

qui a été démontré précédemment...

de grandeur infinie actuelle... elle

Si

est Il

donc contraire

à ce

ne peut donc exister

elle était possible,

pourrait surtout être produite de la sorte

:

en

effet,

Dieu créerait

une pierre d'un pied cube en toute partie proportionnelle i.

Marsilc dlnghen, Abbreviationes

coll. a cl h.

libri

physicorum,

fol.

26

(non numérote),


LÉONARD DE VINCI ET LES DEUX

d'une heure; or, cela ne d'être dit.

Que

INFINIS

l\~]

d'après

peut être,

qui vient

ce

»

l'on n'aille pas, d'ailleurs, faire cette objection

partie proportionnelle

quelconque de l'heure, Dieu peut

une pierre d'un pied cube; en toutes

il

peut donc créer une

proportionnelles de l'heure;

les parties

En une

:

pas exact de prétendre

ici

que

la vérité

faire

telle pierre

ne serait

il

de chacune des propo-

sitions singulières entraîne la vérité de la proposition univer-

«cela est exact dans

selle;

le

cas

où ces propositions singu-

lières sont toutes les propositions singulières

qui correspondent

à la proposition universelle; c'est ce qui n'a pas lieu

Un

«

corps infini ne peut donc être produit par

divine que

si

Ce retour

l'on

prend

le

mot

infini

ici. »

puissance

la

au sens syncatégorique.

»

n'empêche cependant

à la logique d'Albertutius

pas Marsile d'Inghen de maintenir en ses Abréviations, au sujet

de

la

ligne infinie et de la surface infinie, les conclusions qu'il

avait formulées dans ses Questions.

Paul de Venise

plus que Marsile d'Inghen,

est,

l'enseignement d'Albert de Saxe; seurs,

il

comme

ses

admet que Dieu ne peut produire une ligne

infinie

créant, en toute partie proportionnelle d'une heure, la vérité

de

la

à

deux prédéces-

1

longue d'un pied;

fidèle

en

une ligne

proposition syncatégorique

n'entraîne pas la vérité de la proposition catégorique. Avec

Albert de Saxe, et contre Marsile d'Inghen,

il

nie que l'on

puisse tracer actuellement une spirale de longueur infinie à la surface

d'un cylindre

fini. Il

pense % toutefois, que

de grandeur infinie n'implique pas de contradiction l'avait fait Albertutius,

il

détaille

raffinée

que

celle

et,

notion

comme

quelques-unes des propriétés

mathématiques étranges que posséderait

La dialectique de Jean Majoris

la

cette

est plus

de Marsile d'Inghen

;

grandeur

minutieuse

les

infinie. et

plus

conclusions aux-

quelles elle aboutit sont aussi plus radicales et plus formelle-

ment opposées à celles d'Albert de Saxe. Dans son exposé 3 nous voyons reparaître ,

i. 2.

3.

la

Pauli Vencti Suinma totius philosophiœ, parlis secimdae cap. VI. Paulus Venetus, ibid,, cap. VII. Johannis Majoris Proposition de infinito.

distinction


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

48

entre les jugements syncatégoriques et les jugements catégo-

mais ce n'est pas pour opposer

riques,

uns à

la vérité des

l'erreur des autres.

Ainsi Jean Majoris n'hésite pas à déclarer que

«

contient catégoriquement une infinité de parties

De même, il

à la question

:

Linfiniment grand

répond par quelques propositions

vérités «

»

;

et ces vérités, les voici

Première vérité

Deuxième

vérité

».

est

il

possible?

qui sont, je pense, des

«

:

Dieu peut produire un corps de grandeur

:

indéfiniment croissante. «

tout continu

»

Dieu peut produire un corps infiniment

:

grand au sens catégorique. » Dieu peut produire une multitude « Troisième vérité :

nie,

au sens catégorique, d'objets séparés

uns avec

et

infi-

sans continuité les

les autres. »

Voici la raison

que

le

régent du Collège

invoque à l'appui de ces deux dernières Le Monde aurait pu exister de toute

de

« vérités »

éternité,

Montaigu

:

comme

le

veut

Aristote; rien dans la raison ne s'y oppose; la révélation seule

nous enseigne saint

qu'il a été créé

Thomas d'Aquin,

et

dans

le

Duns Scot y

temps

;

c'est l'opinion

Dès

souscrit.

lors, la

de

mul-

titude actuelle des jours écoulés pourrait, sans contradiction, être infinie;

Dieu aurait pu chaque jour créer une pierre d'un

pied cube et l'ajouter aux pierres créées les jours précédents;

un corps actuellement

toutes ces pierres formeraient

Les partisans de l'opinion adverse,

quence,

»

s'efforcent de ruiner

Jean Majoris,

ils

«

terrifiés

l'argument qui

ne sauraient en dénouer

infini.

par cette consé-

la justifie;

le lien

selon

logique. Jean

Majoris n'ignore pas les considérations par lesquelles Albert

Saxe

de

et

Buridan repoussent

de l'infiniment

contradiction qu'on prétend lui

grand; mais

«il

opposer

ne se rend pas davantage aux raisons d'Aristote

». Il

ne voit pas

l'actualité

la

contre l'infinie grandeur du ciel; avec Grégoire de Rimini,

il

déclare qu'elles ne lui semblent pas concluantes.

Plus encore que son maître,

Jean Dullacrt de Gand, montre i.

1

le

disciple de Jean Majoris,

qu'il

Johannis Dullaert de Gamlavo Qmcstiones

connaît

in libres

les

méthodes de

de Cœlo; qu.pst.

I.


LÉONARD DE VINCI ET LES DEUX

INFINIS

^9

raisonnement d'Albert de Saxe; mais non moins formellement

du logicien du

ses conclusions s'opposent à celles

Jean Dullaert n'hésite pas à admettre

xiv e siècle.

la possibilité

de

l'infini

actuel. «

Le Monde,

infinité

d'hommes

Monde; d'âmes.

ment

dit-il,

»

»

De

infini.

là,

de

la

L'exemple de

rement à l'opinion

même

infinie.

il

en

qui

constamment possibilité

décroissent

aussi,

Walter Burley

Dieu étant

infini, contrai-

une

en intensité. Pour

fait

telle

justi-

constamment appel

en

à

géométrique

progression

;

en dépit des profondes remarques de

et d'Albert

de Saxe,

il

admet implicitement

de terminer une semblable division.

qu'au début du xvi siècle on cesse de comprendre e

si

considéré

d'un continu en parties proportionnelles, c'est-à-dire

parties

vérités

actuelle-

à admettre la possibilité

et

conclusion, Jean Dullaert

la division

infinie

peut créer toute espèce d'infini

en nombre, en grandeur, en durée fier cette

nombre

d'Aristote, peut fort bien créer

comme

une

commencement du

la ligne hélicoïdale, déjà

conduit de

le

infinie,

le

donc aujourd'hui une multitude

grandeur actuellement

longueur

exister de toute éternité;

conclut à la possibilité du

il

par Albertutius,

pu

aurait

auraient vécu depuis

existerait

il

«

bien établies par

les logiciens

du

la

C'est ainsi les

grandes

xiv e siècle.

IV L'iNFINIMENT GRAND ET l'ïNFINIMENT PETIT DANS LES NOTES

de Léonard de Vinci. Les débats petit

relatifs

à l'infiniment

dont nous venons,

très

grand

et

à l'infiniment

sommairement, de retracer

les

phases, ont vivement sollicité l'attention de Léonard de Vinci;

de l'intérêt qu'il portait à ces problèmes, nous trouvons

témoignage dans

ses

notes;

et,

bien

souvent,

phrases qu'il a jetées sur ses cahiers montrent

la

les

le

courtes

plénitude du

sens qu'elles renferment lorsqu'on les rapproche des ensei-

gnements de P.

DUHEM.

l'École. k


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

5o Aristote

admet

la possibilité

nombre

tandis qu'il n'est point de

infiniment

deur

du nombre

au

petite,

plus petit que

contraire,

pour

gran-

la

;

en

Ockam

pas.

l'est

successeurs modifient en ce dernier point la doc-

trine d'Àristote;

sont,

i

concevable

est

puissance, tandis que l'infinie grandeur ne et tous ses

en puissance,

infini

la

ils

admettent que

les

deux

en puissance

infinis

grandeur, également concevables.

L'opposition que manifeste alors la comparaison entre

nombre «

et la

grandeur, Léonard

La Géométrie

la

est infinie parce

marque en

ces termes

1 :

que toute quantité continue dans

est divisible à l'infini

l'un et l'autre sens

/

le

(fig. 1).

Mais la quantité discontinue

commence

à l'unité et croit

à l'infini, et dit, FlG

comme

continue

quantité

la

croît à l'infini et

t

à l'infini. Et licence de dire que tu

me

si

a été

il

diminue

tu prends

donneras une lance de 20 brasses,

une de 21. » La nature du point a vivement préoccupé

je te dirai d'en faire

parle souvent a

comme

le

ferait

Les termes de la ligne,

dit-

»

un il

Vinci;

le

quelque part

,

en

d'Ockam.

fidèle disciple 2

il

«

sont des

points, les termes de la surface sont des lignes, et les termes

du corps sont des partie de ligne.

Une netle,

surfaces.

quelles étaient

il

les

Ce problème,

a.

fol. 7, 3.

:

«

Le point

n'est pas

opinions de Léonard de Vinci sur

mais, pour comprendre exactement

est nécessaire

blème au sujet duquel

1.

3

autre note va nous montrer, de la manière la plus

cette note,

la

Et ailleurs

»

la divisibilité à l'infini;

de

»

c'est le

que nous disions un mot du pro-

elle a été écrite.

problème de

la

composition des forces

Les manuscrits de Léonard de Vinci, publiés par Ch. Ravaisson-Mollien ms. M Bibliothèque de l'Institut, fol. 18, recto. Les manuscrits de Léonard de Vinci; ms. M de la Bibliothèque de l'Institut, ;

recto. fl

Leonardo da Vinci nella biblioteca del Principe Trivuhio annotato da Luca Beltrami, Milano, 1891, fol. 34, recto (68).

radier di

trascrillo ed

in

Milano,


LÉONARD DE VINCI ET LES DEUX

concourantes posé

et résolu

5l

INFINIS

par Léonard de

manière

la

la plus

élégante.

Bornons-nous au cas particulier qui page que nous allons

Deux

se trouve visé

dans

la

citer.

poulies p, p' sont sur une

même

horizontale

(fîg.

2)

;

une corde qui passe sur ces deux poulies porte en son milieu

un

poids P; deux poids égaux Q, Q' tendent les brins qui pendent au delà des poulies.

Léonard a découvert

dépend

dont pareil

la règle

l'équilibre

système.

d'un

Par rapport à

FlG

un point de la corde Pp', le poids P doit avoir même moment que la tension de l'autre corde, tension qui est égale àQ si donc de ce point A on abaisse une perpendiculaire AB sur la direction de la corde pP, et une ;

autre perpendiculaire

A G sur

de gravité du poids P,

comme

à la seconde

la

le

que Léonard formule

menée par

la verticale

centre

le

première de ces perpendiculaires sera

poids P est au poids Q. Telle est

et

la loi

prouve en divers passages du cahier E.

Dans son langage, AB est le levier potentiel de la tension et AG le levier potentiel du poids tenseur. Si grand que soit le poids tenseur Q, tant que le poids P n'est pas nul,

il

impossible que

est

le levier potentiel

tension soit nul; impossible, par conséquent, que soit horizontale.

quelconque

',

«

Jamais

posée dans

la

la

la

AB

de

la

corde pp'

corde de grosseur ou puissance situation

de l'égalité

avec

ses

extrémités opposées, ne se pourra redresser ayant quelque

poids au milieu de sa longueur. C'est à ce propos

Jamais

«

sance; on

le levier

le

que Léonard

i.

écrit ces lignes

potentiel n'est

prouve par

continue est divisible à

fol.

»

la

2 :

consumé par aucune

première qui

dit

:

puis-

Toute quantité

l'infini, etc.

Les manuscrits de Léonard de Vinci; ms. E de la Bibliothèque de l'Institut,

60, verso. 3.

Les manuscrits

fol. 60, recto.

de Léonard de Vinci; ms. E de

la

Bibliothèque de

l'Institut,


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

5a

Mais ce qui

>)

ce n'est pas à dire

en

Et

acte.

en acte

est divisible

que ce qui

encore en puissance

l'est

est divisible

en puissance

;

le soit

divisions faites potentiellement vers l'infini

si les

varient la substance de la matière divisée, ces divisions retour-

neront à

la

mêmes

parles

les parties se

composition de leur tout,

rejoignant

degrés par lesquels elles furent divisées. Par

exemple, nous prendrons

changera en eau,

l'infini; elle se

revient à s'épaissir,

il

nous

la glace et

se fera

et

en eau

la diviserons vers

d'eau en air; et

et

l'air

si

d'eau en grêle, etc.

»

Ces quelques lignes nous montrent à quel point Léonard était informé des théories que les scolastiques avaient agitées touchant

la division à l'infini.

en puissance, divisible à le soit

en acte

la vérité

;

l'infini

admet que tout continu

Il

mais

;

est,

n'en conclut pas qu'il

il

du jugement syncatégorique n'entraîne

pas celle du jugement catégorique.

Le Vinci,

d'ailleurs,

semble

se

prononcer en faveur de

doctrine de Gilles le Romain. Lorsqu'on divise parties assez petites,

forme

sa

a

la

»

admet un minimum naturel; si réduire en parties moindres que

est altérée; la glace

minimum,

elle se

change en eau.

D'autres doctrines, chères aux maîtres de

dans

laissent deviner citer; si

un corps en

substance de cette matière est variée,

l'on veut la briser jusqu'à la

ce

la

les

comment

disciple fidèle de

pour

la divisibilité à l'infini, c'est

peut tendre vers

le levier potentiel

sans l'atteindre jamais,

est sa limite,

Scolastique, se

quelques lignes que nous venons de

Léonard y invoque

expliquer

la

Walter Burley

et

et,

par

là,

il

se

0,

qui

montre

d'Albert de Saxe.

Mais l'influence d'Albert de Saxe apparaît bien plus profonde

en ce passage

:

Pierre a puissance pour 12, et

«

poids,

ne

T

il

ne

le

meut

si

on

dire

que

1.

fol.

si

mouvoir ce

12

Les manuscrits de

6a [i4], verso.

12 de

bien 11, parce que des puis-

sances inégales, la plus grande surpasse 12 fera

donné

pas, parce que les choses égales entre elles

se surpassent pas. Il portera

que

lui a

11. Et ici

il

arrive

peut mouvoir 11,

il

Léonard de Vinci; ms. K de

la

moindre, en sorle

un beau cas, arrive que ce la

Bibliothèque de

c'est-à-

12

fera

L'Institut,


LÉONARD DE VINCI ET LES DEUX

53

INFINIS

mouvoir infiniment plus de poids que n, parce que toute quantité continue est divisible à ii à 12 12

L'unité qui est

l'infini.

peut se diviser infiniment, car on peut dire que

peut mouvoir it,

il

peut mouvoir

n

sous-divisant

le reste;

ne peut pas porter,

est celui qu'il

De

en sorte que

sorte qu'ici

le

le

ordre, en

c'est-à-dire celui qui

que l'homme

:

même

dernier des minimes poids

deux choses paraissent

impossible de proposer, savoir

si

et 1/2, et puis 2/3, et

puis 11 et 3/4, pouvant croître ainsi dans

plit 12.

de

qu'il est soit

accompresque

en puissance

de porter sur soi infiniment plus de poids que celui qu'il peut porter, et que le

minime poids

soit celui qu'il

ne peut porter.

Exemple 4 en balance résistent à 4, mais ne les peuvent pas mouvoir; mais ils pourront mouvoir 3 et infiniment plus »

:

de poids que 3; jamais, cependant, autant que 4, parce que de 3 à 4 il y a une unité qui est quantité continue, et toute quantité continue est divisible à

l'infini. »

Assurément, Léonard avait profondément médité

gnements de

l'École touchant le

minimum

in

les ensei-

quod non qui borne

toute puissance active. Déjà, les théories logiques établies, au

xiv e siècle, par les nominalistes être oubliées et

méconnues de

de

Paris,

commençaient

à

leurs successeurs, des Marsile

d'Inghen, des Gaëtan de Tiène, des Jean Majoris

et

des Jean

Dullaert de Gand; mais le génie du Vinci savait reconnaître

en ces doctrines une source abondante de

vérités.



X

LÉONARD DE VINCI ET

LA PLURALITÉ DES MONDES



LÉONARD DE VINCI ET

LA PLURALITÉ DES MONDES

Un texte de Léonard de Il

des

est

Vinci.

problèmes qui ont longuement

sollicité l'attention

de Léonard;

les allusions à

question reviennent souvent alors en

ses

fortement

et

une semblable

manuscrits;

ces

multiples notes nous permettent de suivre les démarches de l'esprit

en quête de

la solution,

d'en reconnaître les tentatives

variées, les hésitations et les repentirs; elles apparaissent de

prime abord à

comme

nous enseigner Il

des documents très précieux, très propres

l'histoire

est aussi des sujets

d'une invention.

que

le

Vinci semble avoir à peine

un de ses cahiers, on rencontre une courte phrase qui a trait à un certain problème; mais on chercherait en vain ailleurs une autre note qui puisse être rapprochée de celle-là la pensée qui s'était présentée une fois au génie du grand peintre ne s'est plus jamais offerte comme

effleurés.

En

feuilletant

;

objet à ses méditations.

Volontiers, le lecteur jugerait qu'une pensée,

détachée,

n'intéresse

que médiocrement

du grand inventeur; l'isolement de

à ce point

l'histoire

des idées

cette pensée, d'ailleurs,

permet pas toujours d'en déterminer

le

ne

sens exact et d'en

évaluer la pleine portée.

Le jugement que nous porterons sur sera tout autre

si

dans lesquelles

il

la

valeur de ce texte

nous parvenons à deviner a été écrit, le livre

les

que Léonard

conditions lisait lors-


ÉTUDES SUR LÉONARD DE \INCI

58

quelques lignes sur

qu'il a jeté ces

dont son esprit

papier, la dispute d'école

préoccupé en ce moment. Nous verrons

était

se dilater, s'épanouir,

menue phrase

alors la

le

nous

sa plénitude le sens qu'elle tenait condensé. Elle le

livrer

dans

nous montrera

Vinci jeté dans la mêlée des esprits de son temps; bien

souvent

nous

elle

quel parti

s'était

il

en une querelle qui

dira,

rangé.

des quelques fragments où

L'étude

linfiniment grand

de

fut célèbre,

Léonard a parlé de

de l'infiniment petit nous a déjà permis

et

de mettre en lumière quelques-unes de ses doctrines

les

1

plus

profondes; nous allons appliquer une méthode semblable à l'analyse d'un

Ce

nouveau

texte se trouve

lettre

F

occupe

et

au cahier que Venturi a marqué de

que conserve verso du

le

texte.

la

Bibliothèque de l'Institut;

feuillet 83; le voici,

de M. Charles Ravaisson-Mollien «

Donné que

la

il

y

selon la traduclion

:

de deux corps terrestres avec

serait le contact

leurs éléments, quelle figure prendraient les éléments à leur

contact? «

»

Donné un grave sphérique au contact de l'élément du

feu

avec l'autre élément du feu, qui pèse autant vers l'un des centres de tels éléments que vers le

centre des autres éléments, ce grave

descendra obliquement sur

^\f

f

Jl

l

\ \

très,

\

e*

J

le

posera

contact des deux corps terres-

comme

son

I

est la figure (fig.

m o uvem ent

Donnés

«

et se

1),

sera oblique.

les centres

»

de deux mon-

des sans éléments, très éloignés l'un

de l'autre, dont

Fig.

le

et

donné un grave uniforme

centre de gravité soit égale-

ment éloigné des deux puis un « Il

tel

ira

longtemps

se

la

précédente étude

:

»

mouvant avec un mouvement ayant

des centres, et finalement Voir

centres,

grave étant laissé tomber, quel sera son mouvement ?

toute partie de sa longueur également distante

i

dits

il

s'arrêtera à

Léonard de Vinci

et les

deux

de chacun

une égale distance infinis.


LÉONARD DE VINCI ET LA PLURALITÉ DES MONDES

5g

de chacun des deux centres, au plus prochain lieu qu'ait

mouvement;

ligne de son

grave ne s'approchera

et ainsi ce

d'aucun centre des deux mondes.

la

»

Quelle signification précise, quelle exacte portée convient-il

mouvement que prend

d'attribuer à ce curieux fragment? Le

un

point,

attiré

par deux centres fixes suivant

Newton, sera un jour déterminé par

Léonhardt Euler; se

propose

Vinci, et convient-il de ranger

le

de

loi

puissante analyse de

la

un problème analogue

est ce

la

à celui-là

fondateur de

le

l'Académie de Milan auprès de Kepler, parmi

que

précurseurs

les

de Newton?

La connaissance des

livres

que Léonard dans

qui, de son temps, se débattaient

permettre de répondre à cette question

de quelle manière

problème de

le texte

des querelles

lisait,

les écoles, ;

vont nous

nous allons montrer

que nous avons

cité avait trait

au

des mondes.

la pluralité

II

Aristote et la pluralité des mondes.

composés

C'est par des maîtres de l'École qu'avaient été livres

où Léonard

de

s'instruisait

sein de l'Ecole

que s'agitaient

contemporains

et lui

même

les

pluralité des

données

donc

comme

les

pensées,

c'est

ce

issues de la pensée

les dires d'Aristote

mondes, quels furent à ce

Scolastique,

d'abord

au

plus originales, qui étaient émises et débattues dans

d'Aristote. Quels furent

la

c'est

controverses auxquelles ses

les

prenaient part ou intérêt; or,

l'Ecole, étaient toujours

de

du passé;

la science

les

qu'il

touchant

commentaires

sujet les

nous faut examiner tout

nous voulons rendre son sens plein au

si

la

texte de

Léonard. «

Nous entendons en général

Aristote

1

Dans son i.

«

,

mot

au sens de Tout, d'Univers,

traité

Aristote,

le

llep\

Du

Ciel,

il

OùpavoO,

Ciel

(Oupavéç),

oXov xai xo

»

dit

rcav. »

démontre tout d'abord que l'Univers A,

6

(De Cœlo

et

Mundo,

lib.

I,

cap. ix).


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

60

a

Y

tout

puis,

limité;

est

plusieurs

a-t-il

Cette question, sa solution,

il

aborde

il

résout par la négative

appel à deux principes

fait

1

cette

question

c'est-à-dire plusieurs Univers?

Ciels,

la

il

aussitôt,

pour

et,

le

mouvement

naturel

»

justifier

:

Le premier de ces deux principes consiste à distinguer repos naturel et

:

du repos

violent et

le

du

mouvement violent. A ce sujet, Aristote pose deux axiomes i° Si un corps peut, sans aucune violence, demeurer immobile en un certain lieu, qui est alors son lieu naturel, lorsqu'on :

le

placera hors de ce lieu,

réciproquement,

un

vers

si

certain

il

se portera vers lui par nature; et,

un corps

lieu,

que

c'est

demeurerait immobile

se porte

sans

c'est

mouvement

de

naturel

son lieu naturel, où

qu'aucune

violence

ait

à

il

l'y

contraindre. Ainsi,

le

du feu

naturel

lieu

est l'espace

qui se trouve

immédiatement au-dessous de l'orbe de la Lune; si l'on place du feu hors de ce lieu, par exemple sur la Terre, il montera naturellement vers l'orbe de la Lune. De même, une masse de terre se porte naturellement vers le centre du Monde; c'est donc là que se trouve le lieu de son repos naturel. 2°

S'il

une violence sur un corps pour

faut exercer

immobile en un certain

hors de ce lieu,

lieu, placé

le tenir il

ne se

portera pas vers lui sans violence.

Un fragment

de

par exemple, ne demeurerait pas

terre,

immobile au voisinage de l'orbe de la Lune, à moins d'y être détenu par une certaine violence; si donc on le place à la surface du globe, il ne montera pas, à moins d'y être poussé violemment. Le second des principes auxquels Aristote appuie sa démonstration est le suivant S'il

sons,

existe

ce

:

un monde en dehors de

monde

éléments que

doit

le nôtre.

être Il

celui

que nous connais-

formé identiquement des mêmes

ne saurait

être

formé d'éléments que

nommerait terre, eau, air, feu, mais qui, sous cette similitude purement verbale, seraient essentiellement différents de

l'on

i.

Aristote, llso\

OupavoO,

A,

yj

(De Cœlo

et

Mundo,

lib. I,

cap. vin).


LÉONARD DE VINCI ET LA PLURALITÉ DES MONDES notre terre, de notre eau, de notre

en

était ainsi,

monde

ce

effet,

air,

6l

de notre feu.

S'il

en

n'aurait, lui aussi, avec le nôtre

qu'une analogie toute verbale

ce ne serait pas, en réalité,

;

un

donc que la terre de ce monde-là ait même forme substantielle (îâéa) que la terre de ce monde-ci et l'on en peut dire autant du feu, de l'air et de l'eau. Chacun des éléments du second monde, ayant même forme second monde.

Il

faut

;

substantielle

aussi

même

que l'élément correspondant du premier, aura puissance (SJva^tç) par exemple, puisque la terre, ;

en notre monde, cherche naturellement à en gagner son mouvement naturel, dans

au centre de ce monde

;

le

second monde, tendra aussi

même,

de

la

toujours à s'éloigner du centre du il

le centre,

nature du feu

monde au

le

sein

portera

duquel

se trouve.

Fort de ses deux hypothèses, dont

la

seconde au moins ne

semblait pas découler nécessairement de sa Physique, Aristote

entreprend de prouver que l'existence simultanée de deux

mondes

est

une absurdité.

même forme substantielle que même puissance, partant aussi

La terre du second monde a

du premier, partant même lieu naturel; si on la plaçait au centre du premier monde, elle y demeurerait immobile sans aucune contrainte; dès lors, placée sans contrainte hors de ce lieu, au sein du

la

terre

second monde, par exemple,

mouvement centre

naturel; or,

il

du second monde;

nous avons vu que

le

elle doit se porter vers ce lieu

faut

par

pour cela qu'elle s'éloigne du

et cela

implique contradiction, car

mouvement

naturel de la terre au sein

du second monde consistait à s'approcher du centre de ce monde. Au sujet du mouvement du feu, on peut répéter des considérations analogues la

;

elles

coexistence de deux

A

cette

conduisent à

mondes

est

même

conclusion

:

une absurdité.

argumentation d'Aristote

trine qui paraîtrait

la

se peut

opposer une doc-

beaucoup plus plausible à nos modernes

habitudes d'esprit.

Une le

portion de terre a tendance à se mouvoir à

centre

du premier monde

et vers le centre

la fois

vers

du second; en


ÉTUDES SUH LÉONARD DE VINCI

62

l'un

comme

lieu

naturel;

en

de ces deux centres,

l'autre

mais

tendance qui

la

la

occuperait son

elle

un

porte vers

centre

varie avec sa distance à ce centre; lorsque cette distance croît, l'intensité

de celte tendance

s'affaiblit;

portent celte masse de terre vers la plus forte est celle c'est elle

qui entraîne

qui a

les

des deux tendances qui

centres des deux mondes,

au centre

trait

plus voisin, et

le

corps.

le

Cette doctrine était courante, sans doute, au temps d'Aristote,

en peine de l'exposer,

car, sans se mettre

Arrêtons -nous un

réfuter.

instant à

prend soin de

il

réfutation;

cette

la

elle

touche au point essentiel du sujet qui nous occupe. Il

déraisonnable de prétendre qu'un corps grave se porte

est

au centre du monde d'autant plus fortement

qu'il est plus

voisin de ce centre; ce qui le fait tendre vers ce point, c'est sa

nature

même

(?*j<nç)

donc admettre que

faudrait

il

;

d'un grave varie selon

distance qui

la

le

nature

la

sépare de son lieu

naturel; mais en quoi celte distance peut-elle importer à la

nature du corps? Deux graves inégalement distants du centre

du monde sont bien quant

différents

To

3' ilzzz

peu sensé de prétendre qu'un

même

peut admettre deux

lieux

forme substantielle,

à la

pour notre intelligence; mais,

ils

sont identiques

:

«

lo oÙto. »

D'ailleurs,

élément,

il

est aussi

la

terre,

naturels, de

même

par exemple, espèce, mais

numériquement

monde-ci

ce grave peut tendre et vers le centre de ce le

centre de l'autre

monde

;

à la

distincts

;

que

et vers

forme substantielle unique qui

un monde et dans l'autre doit corresnaturel unique, non seulement d'une unité

caractérise la terre dans

pondre un

lieu

spécifique, mais aussi d'une unité

il

le

numérique.

En dehors de la sphère éloil'ée qui borne notre monde, peutse trouver une portion quelconque de matière? Non, répond Stagiritc

1

à cette question;

hors de

la

dernière sphère,

un

corps ne peut demeurer ni naturellement ni par violence.

Un élément

ne peut avoir son lieu naturel hors de

huitième sphère; car la

huitième sphère, i.

il

et,

a déjà

son lieu naturel à l'intérieur de

nous l'avons vu, un

Arislotc, Llep'i O'JpocvoO, A,

la

{De C.œlo

et

Muiulo,

lib.

même I,

élément ne

cap. ix).


LÉONARD DE VINCI ET LA PLURALITE DES MONDES

peut admettre deux lieux naturels. D'ailleurs,

où aucun élément Un corps ne peut, non

monde

notre

est

effet,

par

mixtes étant

être naturellement

composés d'éléments, aucun mixte ne peut situé là

les

63

n'a son lieu naturel.

plus, se trouver hors des bornes de

de quelque violence; un corps, en

l'effet

en un lieu par violence lorsque ce lieu convient

naturellement à un autre corps; mais on vient de prouver

qu'aucun corps n'avait son

lieu

naturel à l'extérieur de la

dernière sphère céleste.

du monde,

Ainsi, hors des limites

de matière. Qu'y

n'y a

il

aucune portion

donc? Le vide? Pas davantage;

a-t-il

le

nom

de vide désigne un lieu qui ne contient pas de corps, mais qui

un mais aucun corps ne peut

pourrait en contenir

hors de a pas de Il

la

;

se trouver

dernière sphère. Par delà cette sphère, donc,

il

n'y

lieu.

n'y a pas davantage de durée, car

n'y a rien de corpo-

il

partant rien qui ne soit susceptible d'altération ni de

rel,

changement. Or,

où aucun changement

a jamais passage de la puissance à l'acte,

vement. Avec être

le

mouvement

mesuré que par

dehors de

la

il

changement, en sorte

actuellement existante

Par

»

existé

comme

mou-

être qui se trouve

ignore

la

en

génération, la corruption

qu'il est éternel.

Le monde comprend ainsi en son sein toute

-a6<j[j.zç.

n'y

dernière sphère céleste n'occupe aucun lieu, en

sorte qu'il est immatériel; et le

n'y a jamais

il

il

disparaît le temps, qui ne peut

mouvement. Tout

le

n'est possible,

susceptible de

même,

« :

il

'E;

àiua-rj;

comprend

yip

la

matière

i—*. zf q otxeixç uXyjç b t

-a;

toute la matière qui a jamais

toute celle qui est possible; car la matière est

transformations^ mais elle ne saurait être ni

créée, ni détruite.

En

unique actuellement;

sorte il

que

est

le

monde

n'est pas

encore unique dans

seulement le

temps;

aucun autre monde ne l'a précédé, aucun autre monde ne le suivra; le Ciel est un, permanent et parfait « AW' eTç y.at ^ovoç :

%m

xlXtioq ûjtsç Otipavoç exuiv.

»

Telle est, en ses grands traits, la doctrine d'Aristote;

nous

allons esquisser rapidement les modifications qu'y ont apportées les

commentateurs du Philosophe.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

64

III

Le poids d'un grave varie-t-il avec la distance simpliclus, averroes, albert au centre du monde? le Grand, Saint Thomas d'Aquin. Les arguments opposés par Arislote à l'hypothèse de la pluralité des

mondes ont donné

mentaires; nous ne saurions

les

seulement notre

nous fixerons

lieu à

d'innombrables com-

analyser

ici

attention

en leur entier;

sur les

passages

capables de donner tout son sens au texte de Léonard de Vinci.

au centre

même, a dit Aristote, qu'un grave tend du monde; cette nature ne change pas lorsque

change

distance du grave à son lieu naturel; donc cette

C'est par sa nature

la

distance n'influe pas sur

pesant vers son lieu.

En

la

tendance

qui pousse

le

corps

d'autres termes, le poids d'un corps

ne varie ni en grandeur, ni en direction lorsque l'on place ce corps plus ou moins près du centre ainsi, semble-t-il, et

c'est

que doit

être

commun

comprise

la

des graves. C'est

pensée d'Aristote;

bien de la sorte qu'elle a été interprétée par divers

commentateurs. Simplicius paraît lui avoir attribué un autre sens. Voici, en effet,

ce qu'il écrit, dans ses Commentaires au

du passage qui nous occupe «

De Cœlo,

à

propos

:

L'auteur expose et réfute une instance que l'on pourrait

objecter à ce qu'il a dit; elle consiste à prétendre que la terre

d'un autre

monde ne

de celui-ci, par

tomberaient

les

se porterait pas

l'effet

naturellement au centre

de la trop grande distance; dès lors,

contradictions qui ont été opposées aux tenants

mondes; la terre de cet autre monde n'aurait plus à se mouvoir en haut ni le feu à se mouvoir en bas. 11 est déraisonnable, répond Aristote, de regarder la distance comme capable de supprimer les vertus propres des corps. Que les corps simples soient plus ou moins éloignés de de

la

pluralité

des

leurs lieux naturels, leur nature n'en devient point autre ni,


LÉONARD DE VINCI ET LA PLURALITÉ DES MONDES

mouvement

partant, leur

en

effet,

telle

plus

de son lieu naturel par

autre? Celle-ci seulement:

il

telle

distance ou par

commence

à se

faiblement vers son lieu naturel lorsqu'il

position plus éloignée, et faiblesse

que

En ce monde -ci, possède un corps, selon

naturel différent.

quelle propriété différente

qu'il est séparé

du mouvement

la distance soit

65

il

et

mouvoir d'une

part

y a un rapport constant entre la la grandeur de la distance; mais

plus grande ou plus petite,

le

mouvement

demeure de même espèce. Si donc il existait des corps simples dans un autre monde, ils se mettraient en mouvement plus lentement que les corps situés en celui-ci, en proportion de leur plus grande distance; mais l'espèce du mouvement qui leur est naturel n'en serait pas changée, car cette espèce résulte de leur substance

prendre tion

la

grandeur de

ou de corruption

Comme centre

même,

et

la distance

substantielle.

serait

déraisonnable de

comme

cause de généra-

il

»

Aristote, Simplicius pense qu'à toute distance

du monde, un corps grave

du

centre,

se dirige vers ce

tandis qu'un corps léger s'en éloigne; ni l'existence de cette

tendance, ni sa direction ne varient avec

tendance

l'intensité de cette

est

la

distance

mais

;

inversement proportionnelle

un monde en dehors du nôtre, une masse de terre, placée au sein de ce monde, continuera à être portée vers le centre du nôtre, bien qu'avec une très faible gravité. Ne peut-on, dès lors, raisonner ainsi? Deux tendances sollicitent cette masse l'une, faible, vers le centre de notre monde; l'autre, forte, vers le centre de l'autre monde; cette dernière l'emporte. C'est bien là, sembleà la distance

;

s'il

existe

:

t-il,

l'objection qu'Aristote prétendait réfuter et

cius, infidèle à la

que Simpli-

pensée du Stagirite, ne réfute nullement;

le

philosophe athénien ne paraît pas avoir conçu que deux tendances différentes pussent coexister en un

composer entre Simplicius nous

s'y

le

paraît donc, en ce point, avoir

méconnu

Averroès semble, au contraire, en avoir

sens exact.

Le philosophe de Cordoue expose P.

corps et

elles.

la doctrine d'Aristote;

pénétré

même

DLHEM.

très

longuement, en 5

ses


;

ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

06

commentaires au De Cœlo l'argumentation d'Aristote contre la pluralité des mondes. Lorsqu'il parvient au passage qui nous occupe en ce moment, il s'exprime en ces termes 1

,

2

:

«

en

examine ensuite une objection... On pourrait dire, que la terre de l'autre monde ne se meut pas vers le

Aristote effet,

centre de ce monde-ci, ni inversement, bien que la terre soit de

même

nature dans les deux mondes;

et qu'il

des autres éléments. Si l'on prend, en l'un de ces éléments,

il

effet,

ne se trouve pas

en

même

de

est

un corps formé de

à égale distance des

deux

lieux naturels semblables qui lui conviennent en ces

mondes;

et

bien qu'il demeure toujours

deux lieux naturels dont

vers celui de ces

Par exemple,

meut-elle vers elle se

si

de notre

La terre

même monde que du

de ce

le

monde

il

même,

se

il

trouvait dans l'autre

monde- là. demeure toujours la même,

est le plus voisin.

est plus voisine

du centre

non monde, et

vers le second; mais elle se dirigerait vers

Ainsi donc, bien que sa nature cette

terre

serait susceptible

deux mouvements contraires selon sa proximité ou son

gnement de deux différemment;

meut

centre de l'autre univers; aussi se

premier centre

centre de ce

le

le

de

éloi-

lieux spécifiquement semblables, mais situés

elle

pourrait se mouvoir soit du premier centre

vers le second, soit

du second centre vers

le

premier, bien

que ces deux mouvements fussent opposés l'un à

l'autre.

Sans

doute, l'élément, en tant qu'il est simple, ne peut se mouvoir

de deux mouvements contraires; par

l'effet

de

la

mais cela devient possible

proximité ou de l'éloignement; car

mité ou l'éloignement surajoutent quelque chose à cité

proxi-

la simpli-

de sa nature; en vertu de la composition qui en résulte,

ce corps peut, à deux époques différentes, se

mouvements opposés. «

la

Aristote répond

mouvoir de deux

»

que ce discours

n'est

pas raisonnable.

Les mouvements naturels des corps ne diffèrent les uns des

que par

autres

suite

des différences qui existent entre les

Cœlo liber primus eum Averrois Cordubensis Commentariis t. Aristotelis De Suimna octava Quod mundus est unus numéro tautum. Summa noua Quod est extra mundum neque vacuurn, neque plénum. a. A\erroès, loc. cit. Summa octava: Quod mundus est unus numéro tantum. Cap. ni Dubitaliones solvit, quibus existimari potest plures esse mundos. :

:

:


LÉONARD DE VINCI ET LA PLURALITÉ DES MONDES

formes substantielles;

dans

la relation,

différences qui peuvent subvenir

les

dans

67

quantité ou dans tout autre prédi-

la

cament ne sauraient rien changer à ces mouvements; or, un changement de proximité ou d'éloignement n'atteint pas la substance.

»

Sachez, à ce sujet, que

((

aucune influence,

proximité

la

et

mouvements

ce n'est dans les

si

l'éloignement n'ont des corps

qui se meuvent sous l'action d'une cause extérieure, car alors

corps peuvent être proches ou éloignés de leur moteur.

ces

Aussi

opportun de prouver

est-il

que

ici

mouvements des

les

éléments n'ont point leur cause hors de ces éléments. Cette peut sembler

proposition

d'elle-même;

évidente

Aristote,

toutefois, l'appuie de considérations destinées à contredire ce

que

les

anciens philosophes disaient du repos

ment des éléments, de

son

et

masse de

la

lieu

naturel.

Or,

meut pas vers

terre ne se

il

au

philosophes assi-

ces

terre,

effet,

une attraction mutuelle entre

gnaient pour cause entière

en particulier; en

la terre

mouvement de

repos et au

du mouve-

et

la

terre

manifeste qu'une

est

la terre entière, quelle

que

terre

du globe terrestre; en effet, si c'était vers la entière que se meut une portion de la terre, il en serait

de ce

mouvement comme du mouvement du

soit

position

la

dès lors,

et,

ment vers Dès

u

point

il

le

haut.

que

l'effet

le

terre se

la

mût

naturelle-

»

mouvement de

soit

par

la

centre n'est

la terre vers le

d'une attraction produite

lui-même,

lieu

pourrait arriver que

fer vers l'aimant;

soit

par la nature du

nature du corps qui occupe ce lieu,

non plus l'effet d'une expulsion provenant du mouvement du ciel, il est clair que le raisonnement

qu'il

n'est

point

d'Aristote est concluant.

»

Les développements par lesquels Averroès paroles trine

du

que

Stagirite sont très celui-ci

même presque s'exprime « 1.

le

exactement conformes à

expose en d'autres passages

éléments se meuvent vers

Aristote, llepi

OOpavo-j, A, y (De Cœlo

et

le

Mundo,

ils

;

textuellement empruntés. Voici, en

Philosophe au quatrième livre du

Si certains

commente

les

la

doc-

lui

sont

comme Du Ciel

effet,

traité

haut,

1

si

lib. IV, cap.

:

d'autres

m).


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

68

éléments se meuvent vers

meut

vers le lieu où

vient le mieux...

Il

que chacun d'eux

bas, c'est

le

aura pour borne

il

faut

donc que

élément vers son lieu naturel

le

soit

le

se

corps qui lui con-

mouvement de chaque un mouvement vers la

perfection de sa forme. C'est dans ce sens qu'il faut interpréter cette doctrine des anciens philosophes

meut vers son semblable.

se

Ils

ne faut pas l'interpréter à

manière de certains philosophes qui croient que vers la terre. Cela, en

effet,

l'on prenait la Terre et

qu'on

Lune, ce n'est pas vers de cette

même

auparavant.

terre,

la terre se

mît à

la place

la

meut

certainement impossible.

est la

Le semblable

:

Si

se trouve la

Terre que se porterait une portion

la

mais vers

le lieu

la

Terre se trouvait

»

La pesanteur

est- elle,

comme

le

voulaient

les

pythagori-

ciens, l'effet d'une attraction élective, d'une sympathie, qui

cherche à réunir

les

divers fragments d'un

même

élément?

Est-elle,

selon la doctrine péripatéticienne, une tendance par

laquelle

la

atteindra

forme du grave

sa

perfection?

vers

s'efforce

Telle

est

discussion

la

lieu

le

que

elle

nous

trouvons impliquée en cette autre question: Peut -il exister

deux Univers? Averroès nous

a clairement

montré

la

mutuelle

dépendance de ces deux problèmes. Albert

le

Grand

roès; citons «

commentaire

suit ici de très près le

un passage de 1

Peut-être quelque

sa longue exposition

contradicteur

d' Aver-

:

prétendra -t- il

que

la

nature des corps élémentaires, lorsque ces corps sont situés

en des mondes différents, distance plus ou

se

trouve modifiée par suite de la

moins grande qui

les

sépare de leurs lieux

monde, rapprochée du centre

naturels; par exemple, de la terre, placée hors de notre

du centre de ce monde et de l'autre; elle est donc influencée par la nature de ce dernier centre et non par la nature du premier, en sorte qu'elle se meut vers le dernier centre et non vers le premier; ainsi voyons-nous que l'aimant attire un morceau de fer voisin, est éloignée

i. Liber primus De Cœlo et Mundo Alberti Magni traclatus primus, iu quo subtilissime habctur ulriim mundus sit unus velplures; capitulum secuudum, de conlradictione eorum qui dicuut elementa divcrsorum mundorum moveri ad euudeni imtndum. ;


LÉONARD DE VINCI ET LA PLURALITE DES MONDES

69

car celui-ci acquiert une certaine propriété provenant de la pierre attirante; mais l'aimant n'attire pas

un morceau de

fer

éloigné, car la vertu de la pierre ne parvient pas jusqu'à ce

morceau de fer. » u Nous répondrons que

ce discours n'est pas

conforme aux

règles de la raison et qu'il est, par conséquent,

mouvement si

des éléments n'est pas

éléments

les

serait

attiré

se

l'effet

mouvaient par

d'une attraction; car

chacun d'eux

attraction,

par son semblable; en sorte que

une plus grande

erroné. Le

si

l'on plaçait

terre au-dessus d'une terre plus petite, celle-ci

monterait nécessairement vers celle-là. Ainsi donc, un

mou-

vement qui dépend de la proximité ou de l'éloignement est un mouvement produit par un moteur extrinsèque mais le mouvement des éléments est dû à un moteur intrinsèque. » ;

«

Nous avons

dit,

en

au huitième livre des Physiques

effet,

:

Quand un élément est engendré, ce qui l'engendre lui donne non seulement sa forme, mais tout ce qui résulte de cette forme il lui donne, en particulier, le mouvement naturel et ;

le lieu

naturel, qui sont des conséquences de la forme intrin-

sèque. Si donc la proximité ou l'éloignement

il

faudrait que cet

lieu naturel

forme substantielle de l'éléélément fût composé de deux formes

avait quelque influence sur

ment,

du

la

ayant des propriétés opposées; l'une de ces formes

tirerait le

une forme émanée du corps attirant, semblable à la forme que l'aimant produit dans le fer; l'autre serait la forme naturelle donnée corps vers ce qui est

par elle

le

le

plus voisin

;

ce

serait

générateur; sans qu'aucune attraction

déterminerait

naturel

;

elle serait

que l'aimant

attire.

le

mouvement du

comparable

à la

ait

à intervenir,

corps vers son lieu

forme pesante dans

le fer

Les éléments seraient donc composés; et

mouvement d'un tel élément serait composé de deux mouvements distincts, tout comme le mouvement d'une terre qui s'approcherait du centre d'un monde en s'éloignant du tout

centre d'un autre monde... «

La coexistence de deux

»

telles

formes

donc conclure qu'un corps peut éloigné de son lieu naturel sans que

faut

est impossible. Il

être sa

plus ou

en

moins

forme en éprouve


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

-O

aucun changement; ...qu'il soit proche ou éloigné de son lieu naturel, il se meut toujours d'un mouvement simple. » La forme substantielle d'un élément grave, forme par laquelle

tend

il

son lieu naturel, n'éprouve donc aucune

à

que

diversité de ce fait

centre

du monde

ment

d'Aristote

;

le

corps est plus ou moins éloigné du doctrine, conforme à l'enseigne-

telle est la

qu'Albert

d'Averroès,

et

Grand soutient

le

d'une manière formelle; on peut, croyons-nous,

langage moderne, sans trop

en

la trahir,

la

la

traduire en

formulant ainsi

:

Le poids d'un grave ne change pas de grandeur lorsque ce corps s'approche ou s'éloigne du centre du monde. Cette doctrine n'est assurément pas celle de saint

d'Aquin

;

Docteur Angélique semble

le

Thomas

suivre l'opinion

de

Simplicius selon laquelle la distance au centre du monde, sans

changer aucunement l'espèce de grave, en

fait

selon lui,

le

par suite de

varier l'intensité;

changement

la

Voici

d'intensité

que

la

cette opinion;

pesanteur éprouve

proximité plus ou moins grande du terme auquel

comment s'exprime

Pour

«

même

précise

mouvement du corps

tend explique l'accélération du

elle

Aristote,

on

différente selon

la

tel

lieu naturel lorsqu'il

En

Docteur Angélique

comme

grave.

1 :

déraisonnable l'opi-

nature d'un corps élémentaire serait

que ce corps

son lieu propre, à

est éloigné.

le

doit regarder

nion d'après laquelle

en

il

forme substantielle du

la

serait plus

ou moins distant de

point que ce corps se mouvrait vers son

en est rapproché, mais non pas lorsqu'il

effet,

il

ne paraît pas que

la

distance plus

ou moins grande qui sépare un corps de son lieu puisse déter-

miner un changement dans

mathématique des différence de nature.

la

nature de ce corps

intermédiaires Il

est

ne

peut

;

la différence

entraîner

raisonnable qu'un corps se

une

meuve

d'autant plus rapidement qu'il approche davantage de son lieu

que l'espèce du mouvement

du mobile demeurent invariables; car la différence de vitesse est un changement de quantité, et non un changement spécifique, naturel, bien

tout i.

liber

comme Sancti I,

la

différence de distance.

Thom;p Aquinatis Commentaria

lcctio \\i.

et l'espèce

»

in libros

Aristotelis de Ccelo et

Mundo

;


LÉONARD DE VTNCI ET LA PLURALITE DES MONDES

en

D'ailleurs,

Thomas pouvait du

une

émettant se

Stagirite, bien

semblable

opinion,

prétendre fidèle interprète de

qu'Averroès

et

Albert

71

pensée

la

Grand

le

saint

l'eussent

comprise autrement.

pour

C'était

la

Physique péripatéticienne, en

incontesté que cette proposition

*

effet,

un axiome

:

meut un certain corps avec une certaine vitesse, il faudra une force ou puissance double pour mouvoir le même corps avec une u

une certaine force

Si

vitesse double.

(bx'J ?)

ou puissance

($ùvx\uq)

»

axiome on tirait naturellement ce corollaire Si un corps tombe de plus en plus vite au fur et à mesure qu'il s'approche du centre de la terre, c'est qu'en même temps son

De

cet

:

poids va croissant.

reconnu ce corollaire de

Aristote paraît bien avoir

mique

même

qu'il professait,

2

et

en avoir

se trouve le passage qui

Au

usage.

fait

nous occupe,

la

Dyna-

chapitre

entreprend

il

de prouver qu'un corps ne peut se mouvoir indéfiniment «

La

terre,

»

dit-il, «

nous

plus rapidement qu'elle

même

meut d'autant s'approche davantage du centre; de prouve, car

le

elle se

meut d'autant plus rapidement qu'il s'élève donc le mouvement d'un de ces corps se pour-

feu se

le

davantage.

Si

suivait jusqu'à l'infini, la vitesse croîtrait à l'infini. Or,

de

était ainsi

ou de

la vitesse,

«

en serait de

il

la

commente

suit

Simplicius, lorsqu'il écrit 3 vite qu'elle

2.

liber

la

«

et à

mesure

»

encore en ce point l'opinion de

La

terre se

cause suivante

meut d'autant plus

:

Plus

le

il

faut attri-

corps grave

<Pu<xtxY]ç àxpodcaswç xo Z, s (Physicœ auscultationis lib. VI, Uepi Oùpavod, I\ p (De Cœlo et Mundo, lib. III, cap. 11). (De Cœlo et Mundo, lib. 1, cap. vin). Aristote, Iïep\ Oùpavou, A, Sancti Thomae Aquinatis Commentaria in libros Aristotelis de Cœlo et Mundo, Aristote,

cap. v)

3.

:

»

lieu et que, par conséquent,

descend davantage... Avec Aristote,

buer à cet accident 1.

de la gravité

pesanteur d'un corps se renforce au fur

Thomas d'Aquin

en

aussi à l'infini.

forme acquiert une perfection plus grande. Saint

s'il

ce passage, y voit l'affirmation

que ce corps s'approche de son sa

même

la légèreté, c'est-à-dire qu'elle croîtrait

Simplicius, qui

que

:

y)

I,

lectio

xvn.


ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

-2

descend, plus sa pesanteur se trouve accrue par suite de plus grande proximité de son lieu naturel; de

conclure que

là,

on peut

vitesse croissait à l'infini, la gravité croî-

si la

Et

trait aussi à l'infini.

il

en

est

de

même

de

la légèreté.

La pesanteur résulte- 1- elle d'une attraction que grave éprouve de

la

la

»

le

corps

part des corps semblables? Est-elle

l'effet

d'une tendance, intrinsèque au corps, par laquelle sa forme substantielle cherche le lieu

elle atteindra sa perfection?

Le poids d'un corps demeure-t-il indépendant de la distance de ce corps au centre du monde? Est-il, au contraire, d'autant plus grand que

le

grave est plus près de son lieu naturel?

Ces graves questions sont, en

indissolublement

liées à ce

mondes? Nous allons voir que

Physique

la

problème

Existe-t-il

:

scolastique,

un ou

plu-

sieurs

ce

problème soulevait encore des

diffi-

cultés d'une tout autre nature.

IV La pluralité des mondes et la toute-puissance de Dieu. Michel Scot; Saint Thomas d'Aquin;

Guillaume

Etienne Tempier; La doctrine avec

le

dogme

d'Aristote,

en

effet,

d'Ocram.

trouve en contradiction

se

chrétien.

Aristote ne se borne pas à nier, en

de plusieurs mondes;

il

prétend

fait,

avoir

l'existence actuelle

démontré

que

coexistence de deux univers serait une absurdité. Cette

mation concorde

fort bien

la

affir-

avec la Métaphysique du Philo-

sophe, qui n'attribue à Dieu aucun pouvoir créateur. Mais n'est-elle

pas en contradiction avec la notion chrétienne de

Dieu?

Dieu

Si

le Ciel et la

est le Tout-Puissant,

Terre, osera-t-on prétendre que sa puissance créa-

trice est épuisée

mera-t-on

capable de faire de rien

qu'il

par

ne

la

formation d'un

saurait,

monde unique?

Affir-

en dehors de ce monde, en

produire un ou plusieurs autres?


LÉONARD DE VINCI ET LA PLURALITÉ DES MONDES

Dès

xm

le

e

objections étaient formulées contre

siècle, ces

nous

Aristote;

trouvons, en

les

Une

II,

dans un commentaire

effet,

à la Sphère de Sacro Bosco, qu'à la

Frédéric

"fi

1

demande de l'empereur

Michel Scot composa vers 12 25 ou i23o.

des premières questions examinées par Michel Scot est

mondes? Pour prouver l'impossibilité de plusieurs mondes, l'astronome de Frédéric II reproduit sommairement le raisonnement d'Aristote; mais il le fait précéder d'un argument nouveau et celle-ci

Existe-t-il

:

fort étrange «

Entre

il

existerait nécessairement

ou bien

serait

mondes.

dans

la nature,

livre

des

mondes.

A

aucun

donc vide;

comme

Physiques;

cet espace,

ne

il

l'a

peut

monde,

bornent tous

qui

remplisse

cet

ne peut y avoir de vide démontré au quatrième

il

donc y avoir

plusieurs

»

la suite

:

certain espace.

à tout

corps qui

or,

Aristote

de l'argumentation d'Aristote contre

des mondes, Michel Scot ajoute ceci

sphères

des

n'existe

espace, cet espace est

serait étranger

effet,

en dehors

S'il

les

ne peut exister de corps qui remplisse

en

ce corps,

puisqu'il les

il

un

un corps occupant

existerait

il

ou bien non. Mais ce lieu;

convexes des sphères qui limitent

les surfaces

lors,

plusieurs

:

divers mondes,

Dès

un ou

:

« Il

en

est

la pluralité

qui prétendent

Dieu, qui est tout-puissant, a pu et peut encore créer,

outre ce

monde-ci,

un

autre

monde, ou plusieurs autres de mondes, en composant ces

inondes, ou

même une

mondes

d'éléments semblables à ceux qui forment celui-ci,

soit «

Il

soit

infinité

d'éléments différents.

»

A

cette proposition, Scot

répond

Cela, Dieu peut le faire, mais la nature ne le peut résulte de la nature

chaines

et

essentielles,

même du monde, que

la

pluralité

:

subir.

de ses causes prodes

une impossibilité; Dieu cependant pourrait

mondes

faire

est

plusieurs

Eximii atque excellentissimi physicorum motuum cursusque siderei indagaMichaelis Scoti super Auctore Spherœ, cum qusestionibus diligenter emendatis, expositio confecta illustrissimi Imperatoris Domini D. Frederici prœcibus. Cet écrit se trouve dans les collections de traités astronomiques imprimées à Venise, par Octaviauo Scoto de Modène, en i5i8, et par Luca Antonio Giunta de Florence, 1.

toris

en i5i8

et

en i53i.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

-y4

mondes,

s'il le

voulait,

en

faut,

II

n

puissance de Dieu prise absolument,

ment au

sujet de son

opération.

distinguer entre la

effet,

sa puissance relative-

et

des choses dont

est

Il

puissance de Dieu, considérée absolument, ces choses ne

que

tant

la

capable; mais

est

peuvent être réalisées par sa puissance, prise en

relative,

parce que

la

nature n'est pas susceptible de

recevoir ces actions de la puissance divine; c'est ainsi que la

nature ne saurait recevoir plusieurs mondes. Ernest Renan

appelé

a

Michel

1

Scot

:

fondateur

le

de

l'Averroïsme. Le passage que nous venons d'analyser n'est

pas de nature à

Michel Scot, dont

réformer ce jugement.

faire

Le

puissance créatrice trouve devant

la

Dieu de elle

une

nature déjà déterminée; ce Dieu qui ne peut agir, sinon dans

la limite

bien plutôt

fois, et

du

le

Dieu d'Averroès que

Thomas d'Aquin

Saint

son opération,

cette nature est apte à subir

Dieu des Chrétiens.

le

mieux que Michel Scot ne

de sauvegarder

2

efforcé

s'est

c'est

à la

l'avait su faire, la doctrine

Stagirite et la toute-puissance de Dieu. «

Sachez,

»

dit le

Docteur Angélique,

«

que plusieurs

s'effor-

cent de démontrer par d'autres voies la possibilité de plusieurs

mondes. «

»

un premier argument

Voici

puissance de Dieu est infinie;

la

monde; mais la production de ce monde unique :

Dieu

n'en atteint donc pas les bornes;

tendre que

—A

cet

le

argument

faut

il

il

sagesse.

d'entre

il

S'il

ferait

les

répondre ainsi

déraisonnable de pré-

S'il

œuvre

faisait

:

Si

Dieu

faisait d'autres

semblables à celui-ci, ou bien

les ferait

les ferait différents.

à celui-ci,

est

Créateur ne puisse produire aucun autre monde.

mondes, ou bien il

il

a fait le

les faisait

entièrement semblables

vaine, ce qui ne convient pas à sa

dissemblables,

c'est

eux ne comprendrait en lui-même

qu'alors la

totalité

nature du corps sensible; aucun d'eux ne serait parfait,

aucun de

la

et c'est

un monde unique et parfait. » Plus une chose est le suivant

leur ensemble qui constituerait «

i.

a.

liber

Un second argument

est

:

Ernest Renan. Averroès et l'Averroïsme, essai historique; Paris, i85i>. p. i65. Saucti Thomae Aquinatis Commentaria in libros Aristotelis de Cœlo et Muncio; I,

lertio xi\.


LÉONARD DE VINCI ET LA PLURALITE DES MONDES

75

noble, plus son espèce a de puissance pour se réaliser; or,

monde

est

de plus noble espèce qu'aucun des objets naturels

renferme;

qu'il

le

si

donc

exemple

l'espèce d'un tel objet, par

du cheval ou du bœuf,

capable

est

plusieurs

de parfaire

individus, a fortiori l'espèce de l'univers peut- elle parfaire

— A cela nous répondrons

plusieurs individus.

qu'il faut plus

grande puissance pour produire un seul individu parfait que

pour produire un grand nombre d'individus imparfaits;

or,

individus appartenant aux choses naturelles qui se trou-

les

monde

vent en ce

sont

comprend en lui-même mais, au contraire,

le

tout ce qui convient à son espèce;

monde

possède cette sorte de perfection;

cela suffît

pour manifester que son espèce

que toutes

les autres.

On

«

aucun d'eux ne

imparfaits;

tous

est plus puissante

»

peut, en troisième lieu, faire cette objection

:

Il

vaut

mieux multiplier les meilleures choses que les choses moins bonnes; il vaut donc mieux créer plusieurs mondes que plusieurs animaux ou plusieurs plantes. À quoi nous réponIl importe à la bonté même du monde qu'il soit drons unique; l'unité est la raison même de sa bonté; nous voyons, :

en

effet,

de

la

que

division suffît à faire déchoir certaines choses

la

bonté qui leur

est propre.

»

argumentation de saint Thomas ne parvint pas à convaincre les théologiens chrétiens qu'il fût possible de

La

subtile

concilier

deux

ces

de Dieu est illimitée.

affirmations Il

est

La

:

puissance

créatrice

impossible qu'il existe plus d'un

Univers limité. Suivant pier,

les

évêque de Paris,

erreurs

du pape Jean XXI, Etienne Temune enquête sur les principales

instructions fit

péripatéticiennes

et

averroïstes

qui

contaminaient

mars 1277, après avoir pris conseil des maîtres en théologie et autres prud'hommes, il porta condamnation contre deux cent dix-neuf propositions l'enseignement de l'Université. Le

7

l

.

Parmi

ces propositions regardées

vaient toutes celles que le 1.

anno

Denifle

MCG

ad

et

Châtelain,

Philosophe

Chartularium

annum MCCLXXXVI.

comme

Art.

^3,

et le

Universitatis p. 543.

erronées, se trou-

Commentateur

Parisiensis,

tomus

I,

ab


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

-jG

toute -puissance

avaient affirmées et qui contredisaient à la

créatrice de Dieu; on y lisait en particulier celle-ci, qui était

trente-quatrième

la

mundos Ce

facere.

n'était

l'opinion

:

Quod prima causa non

posset plures

»

évidemment pas

d'Aristote

Philosophe

«

s'était

;

trompé

réfuter

et

laume d'Ockam, toujours ardent puissance divine et a briser

montrer en quoi

encore

fallait

il

que de déclarer erronée

assez faire

ses

le

arguments. Guil-

à défendre la liberté de la

barrières

les

par lesquelles

la

raison péripatéticienne prétendait borner son domaine, Guil-

laume d'Ockam, disons- nous, assuma cette tâche; en son commentaire aux Livres des sentences de Pierre Lombard, il consacra une question entière

à ruiner les arguments par

1

lesquels le Stagirite avait cru prouver l'impossibilité de

deux

mondes. Le Stagirite affirmait que élément tendent toutes

et

diverses parties d'un

les

même

nécessairement vers un lieu naturel

unique; qu'il ne peut donc exister deux mondes dont

les

centres seraient, pour la terre, deux lieux naturels distincts.

Voici ce que Guillaume «

Tous

les

d'Ockam

répond

lui

un élément de même naturel si on les place

individus appartenant à

espèce se mouvront vers

un même

successivement dans une

même

:

lieu

position hors de ce lieu;

n'en résulte pas qu'ils se meuvent toujours vers naturel;

il

voici

»

un exemple patent

:

«

l'on

Si

régions différentes de la Terre deux feux de s'élèveront tous le

même

fois,

à la

deux vers

le ciel,

mais

ils

place

même

en deux espèce,

ils

ne tendront pas vers

mouvront vers deux lieux distincts; toutesi l'on prenait le premier de ces deux feux et qu'on le mit place où se trouvait d'abord le second, ce premier feu lieu; ils se

tendrait vers le lieu où le second tendait «

lieu

peut se faire qu'ils se meuvent simultanément vers

des lieux différents.

En

un même

il

11

en serait de

même

dans

la

précédemment.

»

question qui nous occupe.

i. Mayistri Guilhelmi de Ockam Super quatuor libros sententiarum unnotationes; Lugduni, MCCÇCXCV. Libri primi sententiarum distinctio XLIV; quœstio unica Utruin Deus possel facere mundum meliorem isto nmndo. :


LÉONARD DE VINCI ET LA PLURALITE DES MONDES Si l'on prenait

qu'on

appartenant à l'autre univers

la terre

mît en cet univers-ci,

la

la terre

de

77

même

au

elle tendrait

lieu

et

que

de notre univers. Mais, lorsqu'elle se trouve hors de

cet univers-ci, lorsqu'elle est à l'intérieur de l'autre ciel, elle

ne se meut plus vers

du

le

centre de notre

monde

pas plus que

;

meut vers le lieu auquel il tendrait s'il était placé à Paris. Ce n'est donc pas simplement parce que ces deux terres sont numériquement distinctes qu'elles se meuvent vers deux lieux distincts, comme le prétendait l'objection que réfute Aristote; elles se meuvent vers des lieux feu placé à Oxford ne se

distincts parce qu'elles

occupent des positions différentes à

comme deux

l'intérieur de cieux différents; tout

feux, par l'effet

de leurs situations différentes, se meuvent vers des parties différentes

du

ciel. »

Les péripatéticiens seront-ils convaincus par cette argumen-

Non mouvement

tation

répondront avec leur maître

certes, car ils

?

naturel de la terre au sein du second

portera au centre de ce second

monde; par

là,

:

monde

Le la

arrivera qu'il

il

du centre du premier; la terre s'éloigne donc par mouvement naturel du centre de notre monde partant, lors-

l'éloigné

;

tombe vers ce centre, c'est par mouvement violent, en vertu de cet axiome Si un corps s'éloigne d'un lieu par mouvement naturel, il ne peut s'approcher de ce lieu que par qu'elle

:

mouvement

violent.

Guillaume d'Ockam n'hésite pas à le corriger

:

« Si, » dit-il,

d'un lieu quelle que vers ce lieu que par

soil

«

un corps

sa position

mouvement

axiome ou, mieux,

à nier cet

s'éloigne naturellement

initiale, il

ne pourra tendre

violent. Mais

ne s'éloigne

s'il

naturellement de ce lieu qu'à partir de certaines positions il

n'est pas nécessaire qu'il s'en

vement «

du la

Du ciel

violent.

approche toujours par mou-

»

feu placé entre le centre

du monde

nous en donne un exemple;

si 7

toutefois,

on

le

et la

circonférence

lorsqu'il tend vers la partie

plus voisine de cette circonférence,

opposée;

initiales,

il

s'écarte de la partie

plaçait entre le centre et cette

dernière partie, c'est vers celle-ci qu'il tendrait naturellement.

Le Philosophe a encore donné un autre argument contre

»

la


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

n8

pluralité des

mondes.

formé de toute

ciel est

Que répondra Ockam

ne peut exister plusieurs cieux, car

Il

matière qui convient à sa nature.

la

à cet

argument?

«

Que

de toute

la

toute

matière qui peut exister. Dieu, en

la

nouveau de

à

comme

matière céleste,

la

composé mais non de

le ciel est

convenable déjà existante;

matière

le

peut créer

effet, il

peut créer une

nouvelle quantité de matière de n'importe quel corps.

»

V La pluralité des mondes selon Albert de Saxe. L'argumentation de Guillaume d'Ockam ne put, de prime abord, convaincre les philosophes de l'École que la coexis-

mondes

tence de plusieurs

n'était point

une absurdité

et

que

démonstrations d'Aristote n'étaient nullement concluantes.

les

Jean de Jandun, par exemple, qui n'a pu ignorer

la discus-

sion exposée par le chef des nominalistes, ne paraît en avoir retenu.

rien

que

Il

emprunte

à

«

frère

en faveur de

l'on fait valoir

aussi

preuves qu'ont données Aristote et

cette

les

raisons

mondes

conclusion

:

«

Mundos

et

y joint un résumé des Commentateur, et, sans

il

le

condamnation portée par Etienne Tempier,

souci de la

mule

»

pluralité des

la

réfutation de ces raisons;

la

Thomas

il

for-

plures esse est impossibile.

»

Albert de Saxe, lui aussi, conclut contre la pluralité des

mondes, mais son opinion ne paraît pas aussi fermement arrêtée

que

de Jean de Jandun. Cette opinion appelle

celle

tout particulièrement notre avait en

mains

les

examen

Subtilissimse

attentif;

Léonard, en

quœsllones

effet,

composées par

De Cœlo d'Aristote; il les étudiait précisément à l'époque où il écrivait le texte que nous avons cité et la comparaison du texte de Léonard avec l'exposition Âlbertutius sur

le

;

d'Albert de Saxe nous montrera bien aisément que cette exposition a suggéré la i.

in

pensée du Vinci.

Joannis de Janduno/n libros Aristotelis de Cœlo et Mundo quxstiones subtilissimx quiestio XXIV An sit possibile esse plures mundos?

librum

I

:

;


DES MONDES

79

arguments favorables

à la plu-

LÉONARD DE VINCI ET LA

Albert de Saxe connaît

les

mondes qui ont

des

ralité

l

PLUll ALITÉ

été

exposés par

Thomas

saint

bon et parfait que de ne le pas multiplier; mais le monde est bon et parfait; il vaut donc mieux qu'il existe plusieurs mondes qu'un seul et comme Dieu peut faire qu'il en soit ainsi, et que, parmi tous d'Aquin

mieux multiplier ce qui

«Il vaut

:

est

;

Dieu

possibles,

les

toujours

réalise

nécessairement plusieurs mondes. Cet argument, Albertutius vrai que la

Jandun

;

car

s'il

en

était ainsi, ;

mais

il

:

« Il

n'est pas toujours

il

mieux

serait

et cela est faux,

Cette riposte avait été

qu'il y

parce qu'im-

donnée déjà par Jean de

2 .

Albert de Saxe connaît également

Ockam

existe

il

»

le réfute

eût plusieurs dieux qu'un seul »

meilleur,

mutiplication d'une bonne chose soit meilleure

que son unité possible.

le

a prétendu

les

objections par lesquelles

ruiner les raisonnements du Slagirite

s'en faut bien qu'il leur accorde la valeur

que

le

3 ;

grand

nominaliste leur attribue. Selon Guillaume d'Ockam,

les

même

diverses parties d'un

élément ne tendent pas forcément vers un lieu naturel unique:

Nous voyons, en effet, qu'un feu peut tendre vers son lieu naturel en montant vers le pôle nord et un autre en montant vers le pôle sud, en sorte qu'ils tendent vers deux lieux numé«

a Ces A quoi Albert de Saxe répond deux feux se meuvent vers un lieu qui, pris dans son ensemble, est numériquement unique; c'est la concavité de l'orbite lunaire; bien que les diverses parties du feu élémentaire tendent vers des lieux partiels qui sont numériquement distincts. » C'est encore à Ockam qu'est empruntée cette objection

riquement

distincts.

»

:

:

semble que

« 11

la

distance

En

ait

quelque influence sur

la gravité

une certaine masse de feu se trouvait au centre du monde, elle se mouvrait vers le ciel, qui

et

sur la légèreté.

1.

effet,

si

Qusestiones subtilissimae Alberti de Saxonia in libros de Utrum sint vel possint esse plures mundi.

quaestio XIII 2.

Jean de Jandun,

3.

Qusestiones subtilissimœ Alberti de Saxonia in libros de

XH

Cœlo

Mundo;

libri

I

et

Mundo;

libri

I

loc. cit.

Cœlo

Utrum, supposito quod essent plures mundi, moveretur ad médium alterius mundi?

quœstio

et

:

:

terra

unius mundi


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

80 est le lieu

du

de

feu,

qu'une partie se dirigerait vers

telle sorte

pôle nord et une autre vers

le

pôle sud; tandis que

le

du monde

plaçait cette niasse de feu entre le centre

l'on

si

et le ciel,

mouvrait tout entière vers une même partie du ciel, » savoir, vers celle qui est la plus proche de ce feu. Mais Alber« La distance tulius n'est point embarrassé par cette objection

elle se

:

peut bien faire que

les diverses parties

d'un

tendent vers leur lieu par des voies diverses

;

même

mais

élément

elle

ne peut

qu'un corps cesse de tendre vers son lieu naturel. » Une autre considération pourrait faire supposer que le poids

faire

«

Lorsque

la terre se

rel. » «

trouve en ce centre, elle ne pèse plus

Bien au contraire,

en son

lieu, sa

est

»

répond Albert de Saxe;

tendance

qu'elle se trouve hors de Il

du monde

:

;

semble avoir perdu toute inclination vers son lieu natu-

elle

est

au centre

corps dépend de sa distance

d'un

donc faux que

est d'y

son

ne

lorsqu'elle

demeurer, tandis que tendance à

lieu, elle a

la terre

«

lors-

s'y rendre...

grave lorsqu'elle se

soit plus

trouve en son lieu naturel; puisqu'elle est douée de gravité lorsqu'elle se trouve hors de ce lieu, elle cette gravité

y parvient, perdre lieu naturel

comme

;

elle

hors de ce lieu

;

ne saurait, lorsqu'elle

donc grave en son

est

mais

cette gravité a

un

certain office lorsque la terre est hors de son lieu et

dans

lorsqu'elle se trouve en son lieu;

incline la terre au le

second cas,

mouvement

elle l'incline

vers son lieu naturel

au repos.

Les considérations qu'Albert

premier

le

elle

dans

»

valoir

fait

autre

cas, et,

un

ici

se rattachent à

une de ses doctrines favorites, dont nous avons touché quelLa gravité d'un corps est ques mots en une précédente étude l

:

invariable, mais elle peut exister soit à l'état actuel, soit à l'état potentiel.

Une

autre doctrine d'Albert de Saxe

importantes qui

dues

et l'une

— consiste à affirmer

des plus 2

qu'une

demeure en repos lorsque son centre de gravité trouve au centre du monde. Si donc de la terre formait une

masse de se

lui soient

i.

ilbert de

série, p. 3.

terre

Saxe

et

Léonard de

Vinci, II (Études sur

Léonard de

Vinci,

première

16).

Albert de Saxe

pp. 8 seqq.).

et

Léonard de

Vinci, II (Études sur

Léonard de

Vinci,

première

série,


«

LÉONARD DE VINCI ET LA PLURALITE DES MONDES

8l

couche limitée par deux sphères concentriques ayant pour centre

centre de

le

naturel, bien que

l'Univers,

chacune de

cette terre serait

ses parties pût être fort éloignée

du centre commun des graves. De d'Albertutius

là cette

curieuse conclusion

:

mondes concentriques,

existait plusieurs

« S'il

en son lieu

la terre

de l'un

de ces mondes ne tendrait pas vers la terre de l'autre; toutes ces

en

terres,

effet,

auraient

qu'une terre qui aurait

la

même

centre; et l'on doit concevoir

forme d'une couche sphérique dont

centre coïnciderait avec le centre

en repos tout

comme

fondé sur ce que

du monde

la terre

d'un

monde

mondes concentriques;

des

naturellement

notre terre. Le raisonnement d'Aristote, se

il

mouvrait naturellement

donc pas contre

vers le centre de l'autre, ne conclut lité

serait

le

ne

laisse pas

la plura-

de prouver cette

proposition que nous pouvons prendre pour seconde conclusion

:

Il

ne peut exister plusieurs mondes excentriques l'un

du moins naturellement.

à l'autre,

Que

signifient ces derniers

Albert de

mots

» :

«

du moins naturellement»?

Saxe admet pleinement, avec Aristote, que

mondes

la

une impossibilité mais, sans doute dans l'intention de se mettre à couvert de la condamnation portée par Etienne Tempier, il admet que cette impossibilité d'ordre naturel peut être surmontée d'une manière coexistence de plusieurs

est

;

surnaturelle par la toute-puissance divine; toutefois, la coexis-

mondes ainsi créés par Dieu constituerait un miracle permanent, une contradiction continuelle aux lois naturelles.

tence des

«

Suivant

la doctrine d'Aristote,

stence de plusieurs

ment impossible.

Il

nous concluons 2 que

mondes non concentriques est naturellen'en est pas moins vrai que Dieu pourrait,

par sa toute-puissance, en créer plusieurs. «

l'exi-

Dernière conclusion 3

,

»

qui s'accorde avec

les

précédentes

:

Par voie surnaturelle,

il

tanés ou

concentriques ou excentriques, au gré

de Dieu.

successifs,

peut exister plusieurs mondes, simul-

»

i.

Alberti de Saxonia Quaestiones in libros de Cœlo; libri

a.

Alberti de Saxonia Quœstiones in libros de Cœlo; libri Alberti de Saxonia Quœstiones in Uhros de Cœlo: libri

3.

P.

DUHBM.

I

quaestio XIII.

I

quaestio XII. quaestio XIII.

I


ETUDES SUR LEONARD DE VlNCt

82 «

Si

donci, par miracle,

triques

les

existait plusieurs

il

uns aux autres,

qu'adviendrait-il des éléments

»

contenus en ces divers mondes libre cours à

que

son imagination

l'on voudra,

«

mondes excen-

?

On

peut, à cet égard,

émettre toutes

et

en vertu de cette règle

:

suppositions

les

De

donner

l'impossible,

on peut conclure n'importe quoi. » On peut, par exemple, admettre que Dieu n'a donné à la terre de chaque monde qu'une inclination vers le centre de ce même monde. Parmi les conclusions qu'il devient loisible de formuler, dès que l'on admet

mondes excentriques celle-ci

:

coexistence miraculeuse de

la

à l'autre, Albert de

l'un

« S'il existait

deux mondes,

deux mondes ne tendrait pas vers le

centre

du monde auquel

la terre

la terre

de

Saxe range

de l'un de ces

l'autre,

elle appartient, car elle

des deux centres qui est le plus rapproché. Mais qu'elle fût équidistante des

repos entre eux,

deux centres,

comme un morceau

de

elle

fer entre

s'il

arrivait

elles. »

cette conclu-

Albert de Saxe n'y voit qu'une conséquence impossible

d'une hypothèse également impossible: sequi

tend à celui

deux aimants

Guillaume d'Ockam eût sans doute souscrit à ;

mais vers

demeurerait en

qui l'attireraient avec des puissances égales entre

sion

plusieurs

quodlibet.

»

C'est

«

Ad

impossibile potest

précisément cette conclusion que

Léonard de Vinci recueillera

et

développera.

VI Le poids résulte-t-il d'une attraction exercée a distance ? Jean de Jandun, Guillaume d'Ockam, Albert de Saxe. L'argumentation qu'Aristote a construite pour prouver qu'il

ne peut exister plusieurs mondes suppose acquise Le poids d'un grave ne change pas de grandeur vient à s'éloigner

Pour démontrer

i.

ou à

se

si

:

ce grave

rapprocher du centre du monde.

cette proposition, les

Albcrti de Saxonia Qurrstionrs

cette vérité

in librot

deux commentateurs qui

de Ovlo

;

libri

1

qu;vstio XIF.


LEONARD DE VlNCl Et LA PLURALITE DES MONDES

nous semblent avoir interprété circonstance, la pensée

dérations suivantes

avec

la distance

du

plus fidèlement, en cette

le

Le poids d'un corps pourrait changer

:

qui sépare ce corps de la Terre ou du centre

si

grave,

résultait d'une attraction

masse de

fer

un grave

ce poids avait son principe en dehors

éprouve de

la part

n'est pas attiré

exercée par

eu recours aux consi-

Stagirite ont

du Monde, s'il

par

la

analogue à

non plus par son

lieu naturel

;

celle

;

il

n'est pas attiré

se porte vers ce lieu, c'est

en vertu d'un principe intrinsèque de mouvement, pas atteinte tant que

le

qu'une

Terre en vertu d'une action

s'il

propre perfection

du corps

d'une pierre d'aimant. Mais

un corps sur un corps semblable

qu'il tend à sa

83

que

et

parce

c'est

cette perfection n'est

grave n'est pas en son lieu naturel. Ce

principe de mouvement, cette tendance à la perfection ne devient ni moins intense parce que

grave est éloigné de

le

son lieu naturel, ni plus intense parce qu'il en

est

rapproché.

Telle est la doctrine soutenue par Averroès et par Albert le

Grand. Sans nier

d'Aquin en cius

que

le

les

Thomas

principes de cette doctrine, saint

conséquence

rejetait la

;

il

admettait avec Simpli-

poids d'un grave croissait au fur et à mesure que

ce grave était plus voisin

du centre du monde comme preuve

de cet accroissement,

citait l'accélération

chute d'un grave vers

il

;

qui précipite la

le sol.

La Scolastique du xiv e importance à ce débat;

siècle paraît avoir et

cette

accordé une grande

importance ne saurait être

contestée; la ruine de la doctrine soutenue par Averroès et

par Albert

le

Grand pouvait

seule rendre possibles d'abord la

théorie de la gravité qu'adopteront Copernic et ses partisans,

puis la théorie de l'attraction universelle qui se perfectionnera

de Kepler à Newton. Mais, au xiv e siècle, cette ruine ne semble nullement pro-

chaine

;

les

n'est pas

docteurs les plus en

une

renom soutiennent que

le

poids

attraction exercée sur le corps grave par le lieu

qui lui est naturel

dépend pas de

;

ils

en concluent que

le

poids du grave ne

sa distance à ce lieu.

Jean de Janduu termine ses questions sur

le

De Cœlo

et

Mundo


Études sur léonard de vincï

84

d'Aristote par l'examen

qui produit

le

du problème suivant

mouvement d'un grave

certaine vertu propre au lieu naturel

Parmi

grave tombe par naturel, c'est la pluralité

Une

l'effet

«

Le principe

une

vers le sol est-il

? »

place celle-ci au premier rang

il

:

invoque à l'appui de sa conclusion

les raisons qu'il

négative,

l

:

Admettre qu'un

d'une vertu qui appartient à son lieu

compromettre l'argumentation d'Aristote contre

des mondes.

autre raison lui paraît également propre à étayer cette

Selon l'un

conclusion.

Dynamique pagner

péripatéticienne, le

l'objet

mû;

fondamentaux de

principes

des

moteur doit toujours accom-

naturel ne peut donc être

le lieu

le

moteur

tomber un grave, car ce grave tombe lorsqu'il séparé de son lieu naturel et, au moment précis où il lui uni, il demeure en repos. qui

la

fait

Jean de Jandun pose incidemment

ici

est est

l'un des problèmes

constamment débattus de la PhiloUn corps peut-il mouvoir sans intermédiaire

plus graves et les plus

les

sophie naturelle

un

:

autre corps qu'il ne touche pas?

En d'autres

termes, l'action

à distance est-elle possible?

Pour un

péripatéticien, la réponse n'est pas douteuse

corps ne se

meut que par

l'effet

moteur doit l'accompagner,

le

d'un moteur étranger,

toucher

;

il

:

Un

et ce

ne saurait donc y

avoir action à distance. Il

semble cependant que

la

nature nous offre des exemples

non douteux d'actions à distance une pierre d'aimant n'attiret-elle pas un morceau de fer qui ne la touche pas? De ces attractions magnétiques, la Scolastique donne une explication conforme aux principes d'où découle sa Dynamique, et cette explication présente avec nos théories modernes de bien remar;

quables analogies

:

Entre la pierre d'aimant

et le fer s'étend

un milieu susceptible d'éprouver, par l'effet de la pierre d'aimant, une certaine modification, une certaine altération; les parties du milieu qui touchent la pierre sont modifiées les premières

;

elles

transmettent cette altération aux parties voisines

Joannis de Janduno In libros super librum IV quaest. XIX. i

.

Aristotelis de

Cœlo

et

Mundo quœstiones

subtilissimrr

{


LÉONARD DE VINCI ET LA PLURALITÉ DES MONDES

85

de proche en proche, cette species magnetica se propage

et,

les parties

du milieu qui touchent

le

morceau de

;

fer sont, à

leur tour, modifiées par cette espèce; au contact de ce milieu

modifié,

le fer

subit

un changement, une

altération

;

cette alté-

ration consiste en la production d'une certaine vertu qui le fer et le l'effet

porte vers l'aimant, en sorte que

le fer se

meut

déplace par

d'une vertu motrice qui lui est conjointe, qui est en

lui.

Contre cet enseignement presque unanime une seule voix s'élève, celle

De Il

vrai

la théorie

d'Averroès,

que nous venons d'exposer, Ockam nie

tout,

principe, et les conséquences. nie d'abord le principe

que

le

*

:

Je dis qu'il n'est pas toujours

«

moteur accompagne

l'objet

contact mathématiquement exact. Il

et

de Guillaume d'Ockam.

celle

et le

du grand contradicteur d'Aristote

nie,

en second lieu

2 ,

mû,

qu'il le

touche d'un

»

l'interprétation des actions

magné-

tiques que suggérait ce principe.

Je dis que l'aimant tire le fer immédiatement, et

«

non par

l'intermédiaire d'une vertu qui existerait soit dans le milieu,

dans

soit

le fer;

en conséquence,

cette pierre agit sur le fer à

distance d'une manière immédiate, sans agir sur

le

milieu.

Cette conséquence est évidente. Supposera-t-on, en

»

effet,

une certaine vertu engendrée dans le fer par l'aimant qui meut réellement le fer? Dans ce cas, je raisonnerai ainsi » Si l'agent demeure le même, si le patient demeure le

que

c'est

:

même, on jours le fer

se

devra, toutes choses égales d'ailleurs, observer tou-

même

qui meut

effet. Si

le fer, et

donc

non point

mouvoir, en vertu de

lors

même que

c'est la

la

vertu produite au sein du

l'aimant, le fer continuerait à

puissance qui lui a été imprimée,

Dieu anéantirait

la pierre

d'aimant. Et alors, je

demande, vers quel point du monde ce fer se dirigerait-il? Se mouvrait-il vers le haut, ou bien horizontalement, ou bien encore autrement? Ni d'une façon, ni de l'autre, et je le prouve

le

:

Cette vertu, en

i.

ne meut en haut que

si la

pierre est en

Magistri Guilhelmi de Ockam Super quatuor libros Sententiarum annotationes ; XVIII. Guillaume d'Ockam, Op. cit., lib. II, quaest. XVIII.

lib. II, quaest. 2.

effet,


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

86

haut, et

il

en

est

même

de

des autres directions de l'espace.

Mais, tandis que le fer a conservé sa vertu, la pierre a été détruite par la toute -puissance divine; elle n'est plus ni en

une vertu résidant au

haut, ni ailleurs. Ce n'est donc pas

du

fer

»

qui meut ce

fer,

même on

Et de

mais

la pierre

prouvera que

d'aimant. fer n'est

le

certaine vertu produite par la pierre au sein

en

mouvoir

milieu, celle-ci ne pourrait plus direction, car elle ne le

pas

du milieu

en conservant

détruisait la pierre tout

effet,

sein

si

;

Dieu,

vertu du

la

dans aucune

le fer

meut jamais que vers

par une

lieu

le

se

trouve la pierre. »

Je dis donc

1

qu'il est

parfaitement inutile de supposer

dans

l'existence d'une telle vertu soit

On peut

fort

le fer, soit

bien admettre que l'aimant

médiaire, la cause totale de cet

effet,

est,

dans

dans

le

milieu.

sans aucun inter-

la

mesure où une

une cause seconde, peut être cause totale. » La théorie d'Ockam au sujet des actions magnétiques s'écarte, bien plus que l'enseignement commun de la Scolastique, des opinions que l'influence de Faraday et de Maxwell a accréditées

créature, c'est à-dire

auprès des physiciens de notre temps; en revanche, en pro-

clamant

la possibilité

moderne doctrine de

de l'action à distance,

prépare

elle

la

la gravitation.

Négateur audacieux d'Aristote,

Ockam

apparaît tantôt

tantôt

comme un

un avant-coureur de Descartes,

de Newton. Les propositions qu'il formulait

comme

précurseur

qui parfois,

et

aujourd'hui, nous semblent étrangement prophétiques, furent le

plus souvent rejetées par ses successeurs immédiats, en

du xiv e

particulier, par les maîtres parisiens

avaient raison. sait

pas

;

jonchait

Ockam

ravagée par sa critique, le sol

de ses débris

qui pût la remplacer. peut-être liste,

détruisait, en effet,

;

la

siècle; et ceux-ci

mais

il

ne construi-

Physique péripatéticienne

mais aucun

édifice

Doué d'un sens logique

ne

aussi aiguisé

que celui du Venerabilis inceptor de l'École termina-

Albert de Saxe n'éprouvait pas

le

même

besoin de ren-

verser de fond en comble la science traditionnelle;

i.

s'élevait

Guillaume d'Ockam, Op.

cit., Iib. ïf,

queest.

XX VJ,

il

aimait


LÉONARD DE VINCI ET LA PLURALITE DES MONDES

87

mieux consolider et agrandir cette antique demeure où les connaissances du Moyen-Age trouvaient encore à se loger sans contrainte,

comme

sans confusion.

Albert de Saxe soutient donc

comme

'

reprend certains arguments, que

il

pas activement

accompagner lieu «

le

«

Jean de Jandun, dont

grave qui tombe..., car

le

mobile,

en est fort éloigné.

et,

le

moteur

doit

bien loin d'être joint au grave, ce

»

Le lieu d'un corps grave ou d'un corps léger

non plus ce corps à Dans ce cas, en effet,

meut

naturel ne

le lieu

la

n'attire point

façon de l'aimant qui attire

le fer...

naturel d'un grave attirerait plus

le lieu

fortement ce grave lorsqu'il en est proche que lorsqu'il en est éloigné, et le grave voisin de son lieu se mouvrait plus rapi-

dement que est

grave éloigné

;

c'est ce

qui a lieu dans

par l'aimant; mais cela n'a pas lieu dans

fer attiré Il

le

bien vrai, en

mouvement

effet,

tandis qu'il

que

du

le cas actuel.

grave accélère sans cesse son

le

tombe

le cas

mais sa vitesse

;

initiale n'est

pas plus grande lorsqu'il est rapproché du lieu naturel que

en

lorsqu'il

est

éloigné.

En

outre,

un corps

devrait

un lourd

d'autant plus lentement qu'il est plus lourd, car

morceau de

fer se

meut plus lentement

fragment plus léger.

vers

tomber

un aimant qu'un

»

L'accélération de la chute des graves était le

fait

constam-

ment invoqué par ceux qui prétendaient

faire varier le

d'un corps avec sa distance au centre de

la

tiraient

ils s'il

un argument que

Terre; de ce

fait,

leurs adversaires avaient à briser

ne s'attarde guère à réfuter cet argument dans

que nous venons de

poids

citer, c'est

qu'Albert de Saxe

ment discuté dans une précédente question En cette question, Albertutius examine les

;

le

passage

l'a

longue-

2

.

diverses explica-

tions qui ont été données de l'accélération dans la chute des

graves;

parmi ces explications,

dépendre poids

et,

cette accélération

en premier

il

signale

celles

qui

font

d'un continuel accroissement du

lieu, celle

qui semble avoir séduit la raison

Alberti de Saxonia Qusestiones in libros de Cœlo et Mundo ; lib. III, quaîst. VII. Alberti de Saxonia, Op. cit., lib. II, qua?st. XIV (apud edd. Venetiis 1/192 et yoîo. Cette question est omise dans les éditions données à Paris en 1016 et en i5i8). 1.

2.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

88 d'Aristote

:

«

est la fin à laquelle

Le lieu

meut naturellement; plus

lequel le corps se

tend l'appétit par le

mobile

de son lieu naturel, plus cet appétit est intense

par lequel

est l'effort

rien, car l'appétit a est éloigné

qui

de son

il

meut

le corps... Cette

pour raison

est voisin

plus grand

et

opinion ne vaut

donc

la disette; plus

lieu, plus intense devrait être la

le

corps

tendance

l'y porte... »

Une

«

autre opinion prétend qu'il y a dans le lieu naturel

une certaine vertu capable de produire une certaine altération au sein du corps qui s'y doit loger, et de l'y attirer cette vertu attire plus fortement de près que de loin, en sorte que le corps se meut plus rapidement à la fin de sa chute qu'au commen;

cement, car, à la naturel qu'il ne

Parmi lui

fin

de

la chute,

au début.

l'était

les objections qu'il

il

est plus

proche de son lieu

»

oppose à

cette théorie et

que nous

avons déjà entendu formuler, Albert de Saxe en apporte une

emprunte à son illustre homonyme Albert le L'attraction du fer sur l'aimant ne se fait sentir que

nouvelle, qu'il

Grand

:

jusqu'à une certaine distance, au delà de laquelle

elle

s'annule

;

du lieu; un grave que l'on éloignerait suffisamment du centre du monde perdrait tout poids. De l'une comme de l'autre de ces hypothèses, « on tirerait cette conséquence; toutes choses égales d'ailleurs, un grave ne

ainsi en serait-il de l'attraction

commencerait pas à

se

mouvoir avec

la

même

vitesse lorsqu'il

partirait de points situés à des distances différentes de

naturel;

cette

cependant

elle

serait plus forte

conséquence est

est

contraire

logiquement déduite

de près que de loin

;

si

;

à la

son lieu

l'expérience

et

vertu attractive

donc un corps com-

mouvoir près de son lieu naturel, le début de son mouvement serait plus rapide que s'il avait commencé à se mouvoir loin de ce même lieu. »

mençait à

Il

se

résulterait aussi de ces hypothèses

«

qu'une

serait plus difficile à lever lorsqu'elle est près

du

même sol

pierre

que

lors-

qu'elle est très éloignée ».

L'importance qu'Albert de Saxe attribuait à ce débat nous est attestée

par ce

fait

qu'avant de

ses Quœstiones in libros de Cœlo,

il

les

développer en détail dans

avait donné, dans ses Qiuvs-


LÉONARD DE VINCI ET LA PLURALITE DES MONDES tiones in libros

physicorum

un résumé

1 ,

89

succinct, mais précis,

de ses arguments. Ces arguments ont

la

été, d'ailleurs,

Physique parisienne

fidèlement repris partout

faisait sentir sa

en Allemagne aussi bien qu'en

puissante influence,

Italie.

Albertutius a formulé sur cette proposition attiré le

par son lieu naturel,

sol

que

lorsqu'il en

l'hypothèse qui identifie fait

il

est

serait plus

:

si le

grave

lourd lorsqu'il touche

poids à une attraction est celle que

le

valoir Marsile d'Inghen dans Y Abrégé de Physique

vers le bas, ce n'est pas par

2

qu'il a

un grave est mû d'une attraction émanée de

rédigé pour ses élèves de Heidelberg

son lieu naturel. Une

contre

Cette objection

éloigné.

était

l'effet

:

«

Si

plus forte auprès

telle attraction serait

un plus fort changement d'état en un corps voisin qu'en un corps éloigné. Le même grave aurait donc un poids numériquement plus grand près de terre qu'au sommet des tours de Notre-Dame. » de ce lieu qu'au loin, car l'agent produit

Les doctrines que Marsile d'Inghen transplantait de Paris

un

moins favorable à l'Université de Padoue; elles y florissaient au xv e siècle; Gaétan de Tiène nous en est garant. En son commentaire à la Physique d'Aristote, il reprend 3 sommairement toute l'argumentation d'Albertutius contre l'hypothèse qui identifierait le poids à une attraction exercée par le lieu naturel. Comme à Heidelberg n'avaient pas trouvé

lui,

il

terrain

pense que, selon cette hypothèse,

mouvrait vers son

lieu

que

s'il

en

était

peu

«

un corps ne

se

distant, car le lieu

ne pourrait propager sa vertu à grande distance... Elle

du lieu naturel de la terre, si une masse de terre qui toucherait

serait

étrange, cette vertu

elle était

capable d'attirer

la conca-

vité

de l'orbite lunaire.

l'argument,

tiré

Comme

cette

Alberti de Saxonia Quœstiones

quaest. VI,

quamtum

Albert de Saxe,

il

dissipe

de la chute accélérée des graves, par lequel

on pensait confirmer

1.

»

hypothèse.

in

libros

de physica auscultatione,

lib.

VIII,

ad secundum.

2. Abbreviationes libri phisicorum édite a prestantissimo philosopho Marsilio Inguen doctore Parisiensi fol. 73 (non numéroté), col. a. 3. Recollecte Gaietani super octo libros physicorum cum annotationibus textuum, Venetiis, per Bonetum Locatellum et Octavianum Scotum, 1^96; lib. VIII, fol. /j6, verso. ;


ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

gO

e L'École parisienne du xiv siècle rejette donc résolument

l'hypothèse qui assimilerait

poids à une attraction exercée

le

à distance sur le corps grave par le centre de la Terre. Mais

pour réfuter cette hypothèse, elle a été contrainte d'en développer les conséquences; elle a reconnu que, d'après cette supposition, le poids d'un corps varierait avec la distance de ce corps au centre d'attraction, cette distance

augmenterait;

elle

en tombant, aurait une vitesse

même

diminuant en

temps que

en a conclu que ce corps,

initiale d'autant plus faible

que

son point de départ serait plus éloigné du centre.

Un par

la

jour, les physiciens et les astronomes seront contraints

révolution copernicaine d'abandonner la théorie de la

gravité qu'Aristote avait élevée; avec Copernic,

ils

mettront

en chaque astre un centre d'attraction capable de ramener ou de retenir s'offrira

les parties

de cet astre; mais cette supposition ne

pas à eux imprévue

et

non dégrossie

;

ils la

trouveront

déjà préparée, éclaircie, analysée par les discussions des Averroès, des Albert le

leur théorie,

il

Grand, des Albert de Saxe; pour formuler

leur suffira de reprendre, en les changeant en

affirmations, les négations de la Scolastique. Bien souvent,

pour constituer

la

Science moderne, les

sance n'ont pas eu besoin d'autre

hommes

de

la Renais-

effort.

VII Les discussions sur la pluralité des mondes au xv e siècle.

Paul de Venise et Johannes Majoris. Parmi à la fin

les

physiciens qui discutent de la pluralité des

du Moyen-Age

est qui se

et

au début de

la

mondes

Renaissance,

rangent au parti d'Albert de Saxe;

ils

il

en

admettent,

selon l'enseignement d'Aristote, que la coexistence de plusieurs

mondes

une impossibilité naturelle; ils accordent que la toute -puissance de Dieu peut bien créer plusieurs mondes, est

mais ces mondes multiples ne peuvent exister que par un miracle permanent, mettant en suspens

les lois

de

la

nature.


LÉONARD DE VINCI ET LA PLURALITE DES MONDES

en

Il

au contraire, qui suivent l'exemple de

d'autres,

est

d'Ockam;

Guillaume d'Aristote

ils

font

n'hésitent pas à

et

91

bon marché des arguments déclarer que la pluralité des

mondes n'a rien d'impossible. Au nombre des premiers nous devons ranger Paul Nicoletti de Venise, au nombre des seconds l'Écossais Johannes Majoris. En sa Summa totias philosophiœ Paul de Venise consacre un ,

chapitre

ne

fait

au problème de

1

même

question.

Comme

Albert de Saxe, Paul Nico-

conclut qu'il ne peut y avoir qu'un monde.

letti

toutefois qu'il y ait

même

deux mondes; bien que

«

Supposons

cette terre ci fût

de

espèce que la terre de l'autre monde, elle ne pourrait

mouvoir vers

se

des mondes. Ce chapitre

que résumer assez fidèlement ce qu'Albert de Saxe avait

de la

dit

la pluralité

obstacle à son

monde

dernière terre; les cieux

cette

mouvement

l'empêcheraient de passer d'un

et

à l'autre. Toutefois,

mettraient

si

l'on imaginait

qu'on prît une

parcelle de notre terre et qu'on la plaçât à l'intérieur de l'autre

monde,

elle se

mouvrait vers

même, en notre hémisphère, le mouvrait vers

mais

il

de

même

la

se

inclination,

Par conséquent,

premier

et

monde de ;

meut vers le pôle

arctique,

le plaçait

en l'autre hémisphère.

plusieurs mondes,

le

concavité de l'orbe de la lune et l'air

ces considérations,

où l'influence d'Ockam semble tem-

rigueur des conclusions d'Albert de Saxe, Paul de

Venise substitue des arguments plus personnels vers de son ouvrage Sur Pauli de Venetiis

la

Summa

la

fin

composition du monde?. tolius philosophiœ,

Pars secunda, cap. IV.

Summa philosophie naturalis clarisDe compositione Mundi philosophi Pauli Veneti, una cum libro de compositions Mundi qui astronomie janua

2.

simi

du

»

pérer la

1.

feu

du premier se mouvrait sphère ignée du second, et réciproque-

inversement;

vers la concavité de la

A

on

existait

s'il

feu se

de cet autre

pôle antarctique, et cela en vertu

se dirigerait vers la

du second, ment.

si

le

la terre

Primus

liber incipit

nuncupari potest; novissimerecognita sine aliquo errore in luce emissa. Venumdantur Parisius a Ponceto le Preux ejusdem civitatis bibliopola sab signo Lupi in vico divi Jacobi sedente. Golophon Hic finem accipit aureum opus de compositione Mundi

:

omnium hominum doctorum sui temporis facile principe. Impressum Parisius a Thoma Rees calcographo expertissimo in platea carmelitarum commorante, in domo rubea sic vocata. Anno Domini MCCCCCX.III, Xllf die mensis a

Paulo Veneto

Novembris

— Cap.

X\(N.


ETUDES SUR LEONARD DE VINGT

q2 ((

n'y

Il

a, »

dit- il,

allons le prouver. « S'il

non

et

mondes, ou bien

se contiendraient

ils

ou bien chacun d'eux toucherait

point indivisible.

plusieurs; nous

»

existait plusieurs

l'un l'autre,

«

«qu'un monde

le

suivant en

un

»

La première supposition

est inadmissible; car

s'il

y avait

un monde qui enveloppât celui-ci, par la même raison il faudrait qu'il y eût un troisième monde contenant le second à son intérieur, car et

de suite à

et ainsi

on aurait de

la

sorte

une

de mobiles; l'existence d'une

l'infini

et cela

être,

moteurs

a été démontrée

telle suite

impossible au VII livre des Physiques.

ne peut

indéfinie de

suite

e

« Il

;

»

ne peut pas exister davantage un second monde qui

un point indivisible; car pour la même un troisième monde touchant le second,

toucherait celui-ci en existerait

raison,

il

et ainsi

de suite à

«

l'infini... »

un

Cette supposition est encore fausse pour

autre motif

:

y eût hors du monde un vide infini, et l'on a prouvé, au IV livre des Physiques, que cela ne saurait être. » elle exigerait qu'il e

Ces raisonnements sont peu propres, assurément, à justifier la réputation

de grand logicien que Paul de Venise

acquise en son temps; le dernier n'est

pas original;

il

qu'une réminiscence de Michel Scot.

n'est

A

même

s'était

ces arguments, l'auteur a soin, d'ailleurs, de joindre

correctif qui

marque

sa déférence à l'égard de la

portée par Etienne Tempier

:

«

un

condamnation

Toutefois, Dieu qui est tout-

puissant et infini pourrait, à l'encontre des tendances de la

du vide et créer des mondes, en touchassent deux à deux en un point. »

nature, faire qu'il existât

nombre

infini,

qui se

Magister Johannes Majoris, qui régentait à Paris au Collège

de Montaigu, n'était convaincu ni par ni, à plus forte raison,

arguments d'Aristote

par ceux de Paul de Venise; en

mière question de sa dissertation De

ment

les

inflnito

1 ,

il

la pre-

affirme nette-

non seulement à la pluralité des mondes, l'existence de mondes en nombre infini.

sa croyance

mais encore à

i. Nous avons décrit, en notre précédente étude (voir page oxivrage que nous avons eue entre les mains.

$),

l'édition

de

cet


LÉONARD DE VINCI ET a

A

PLURALITE DES MONDES

LA.

parler au point de vue naturel,

y a une on ne peut donner

dit- il,

»

de mondes; à l'encontre de cet avis,

infinité

aucune raison convaincante.

Il

est facile

la terre

vers le centre de l'autre

est facile

il

autre objection. Cet avis

premier

livre

également de réfuter toute

insigne dont Aristote

ce philosophe

du De

generatione.

Jean Majoris ne nous

il

;

fait

de Démocrite,

grand éloge au

si

»

par quelle voie

dit pas

réfuter l'objection d'Aristote

de réfuter l'objection,

d'ailleurs, celui

était,

« il

de l'un des mondes tendrait

formulée par Aristote, que ;

q3

il

de

était facile

entend sans doute

faire allusion

Ockam. l'encontre du raisonnement du Philosophe,

à la voie tracée par D'ailleurs, à

a

il

soin de citer le cas d'exception signalé par Albert de Saxe «

Les raisons d'Aristote ne concluent pas contre

de mondes concentriques

Ce

n'est plus

Aristote,

l

A

parler au sens

pluralité

»

.

mais saint Thomas d'Aquin, qui

semble visé dans ce passage u

la

:

:

purement naturel,

il

ne

me

semble pas

que l'on puisse prouver d'une manière convaincante l'opinion opposée à

la nôtre, à savoir qu'il n'existe

formément

monde

par

à l'usage, j'entends

qu'un monde; con-

sphères célestes et de ce qu'elles renferment. «

Si tu dis

:

l'ensemble des »

Tous ces mondes ne font qu'un monde,

que tu n'entends pas toi-même était ainsi, Aristote n'aurait

tes

propres paroles;

Michel Scot

et à

s'il

pas pris la peine de discuter.

Voici maintenant une riposte qui s'adresse sans

Paul de Venise

:

«

Si tu dis

:

Il

c'est

en

»

doute à

y aura

le

vide

entre ces mondes, je te répondrai que ton argument serait

également valable contre Aristote, car le

vide hors du

il

y aurait actuellement

ciel. »

Et Jean Majoris termine son argumentation par cette sorte

de défi

:

«

conclus à

la

me demandes

arguments par lesquels je pluralité des mondes, je te demande ceux par

Si tu

les

lesquels tu soutiens l'opinion contraire; et ce que je dis le dis

en

me

plaçant au point de vue purement naturel.

Ainsi, à la fin i.

Le

du xv e

siècle, le

texte» très fautif d'ailleurs, dit

:

problème de

eccentricorum t

là,

je

»

la pluralité des


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINOI

g4

mondes donnait il

n'est

lieu,

dans

des débats passionnés;

les écoles, à

donc pas étonnant que Léonard de Vinci y

ait pris

intérêt.

Vlll

Commentaire aux réflexions sur la pluralité des mondes données par léonard de vlnci.

Nous sommes en mesure, désormais, de donner la plénitude de leur sens aux notes que Léonard de Vinci a jetées sur le papier et que nous avons citées au début de cet article. Et d'abord, où ces notes se trouvent-elles? Nous les lisons au verso du

feuillet

lettre F. Or, le

83 du cahier que Venturi a marqué de la

du

verso

feuillet 82, le recto

du

feuillet

83 sont

couverts des réflexions sur la sphéricité de la terre et des mers, sur la convergence des verticales, qui ont conduit Léonard

de Vinci à découvrir gravité et

du centre de

propriétés statiques

les

du polygone de sustentation

1 .

Ces réflexions sont

inspirées de celles qu'Albert de Saxe a exposées dans

Quœstiones

in libros

de Cœlo

trouve cette phrase latine

perpetuo potest

sic

«

:

sursum

esset facta sphserica;

»

Mundo.

et

cette

Omne

Au

recto

du

ses

feuillet 84, se

grave tendit deorsum nec

sustineri, quare

jam

totalis terra

phrase est extraite textuellement

de Tune des Questions 2 d'Albertutius.

Ces constatations nous fournissent une première conclusion

Au moment où Léonard occupe,

il

avait

a composé

sûrement entre

le

les

fragment qui nous

mains,

comme nous

l'avions déjà avancé, les Subtilissimde quœstiones

Cœlo

et

Elles

traitent se sont offerts à l'esprit 1.

libros de

XXVIH

in

problèmes dont

les

;

elles

elles

du Vinci.

Voir notre étude sur Léonardde Vinci

de Vinci, première série, pp. 08 seqq.). 2. Albcrti de Saxonia Quœstiones qu.Tstio

in

Mundo de Maître Albert de Saxe. nous fournissent encore un autre renseignement

nous montrent de quelle manière

:

et

Villalpand, IV et

libros

(edd. VenotiiSj 1^92 et i5ao) vel

de Cœlo

XXVI

et

V

(Études sur Léonard

Mundo;

in

libruni

(cdd. Parisiis, i5i6 et i5i8).

II


LEONARD DE VINCI ET LA PLURALITE DES MONDES

q5

Celui-ci vient de méditer au sujet de la corrélation qu'Aris-

Adraste et leur comentateur Albert de Saxe ont établie

tote,

entre ces deux propositions

un même

leur chute, vers

:

Tous

point;

les

graves tendent, dans

— Les divers éléments sont

limités par des surfaces sphériques ayant ce point

de généralisation, qui

L'esprit

se

confond

si

pour centre.

souvent avec

génie d'invention, lui pose tout aussitôt cette question

non plus un

existait

deux

tels centres,

seul centre

comment

commun

:

le

S'il

des graves, mais

conviendrait-il de transformer les

deux propositions qui viennent d'être énoncées ? La figure que trace Léonard de Vinci, les deux premières phrases qu'il rédige, n'ont d'autre objet

Léonard

la

cette question.

transforme de nouveau, cette question, afin de

la simplifier et

se poser ce

que de répondre à

de

rendre plus claire

la

problème

Un

:

;

il

amené

est ainsi

grave se meut sur une perpendi-

menée par de son mouvement ?

culaire à la ligne de jonction des deux centres,

milieu de cette ligne

quelle sera la loi

;

à

le

Les Questions d'Albert de Saxe fournissaient déjà une partie de la

réponse

:

Le point de

des deux centres

Léonard la ligne

libre se « Il

ira

partie

voit,

est,

la ligne

pour

le

de jonction qui

est équidistant

grave, une position d'équilibre.

en outre, que, pour

le

corps pesant mobile sur

équidistante des deux centres, cette position d'équi-

comme

comportera

longtemps

se

la position stable

d'un pendule

mouvant avec un mouvement ayant

de sa longueur également

centres, et finalement

il

distante

:

toute

de chacun des

s'arrêtera à égale distance de

chacun

des deux centres, au plus proche lieu qu'ait la ligne de son

mouvement.

»

Ce passage veut évidemment parler

tions de part et d'autre de la

position

d'oscilla-

d'équilibre;

on ne

saurait l'interpréter autrement.

Léonard, d'ailleurs,

se

trouvait

naturellement conduit à

considérer de telles oscillations par la lecture d'un passage d'Albert de Saxe i «

:

Supposons que

la terre soit perforée

de part en part et que,

Alberti de Saxonia Quœstiones in libros de Cœlo et Mundo; in librum II apud edd. Venetiis 1&92 et i52o. Cette question ne se trouve pas dans les éditions données à Paris, par Georges Lokert, en i5i6 et i5i8* i.

qua&stio XIV,


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

f)6

par vers

canal ainsi creusé,

le

centre

le

sera

devenu

;

moment où

au

le

centre

mouvoir au delà

un grave descende le

très

centre de gravité de ce corps

du monde,

ce corps continuera à se

et à se diriger vers la partie

grâce à Yimpetus qu'il a acquis

rapidement

et

opposée du

ciel

qui ne sera pas encore

corrompu; lorsque, dans son ascension, cet impetus viendra à manquer, le grave se remettra à descendre; il ira ainsi, oscillant autour du centre, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus en lui

aucun impelas; alors il s'arrêtera. » Les moindres détails de la note de Léonard ont donc été suggérés par les Questions d'Albert de Saxe; et cependant de cette note est en opposition formelle avec la doctrine

l'esprit

que développent ces Questions; Léonard semble y des propositions

séquences

qu'Albertutius

arbitraires

d'une

considérait

hypothèse

impossibile potest sequi quodlibet. Cette pluralité des sible,

ce

si

comme

n'est

comme

?

des con-

impossible

:

«

Ad

»

mondes qu'Albert de Saxe répute impos-

par miracle,

Léonard paraît

la

possible par voie naturelle. Quelle influence

surmonte en son Saxonia

faire siennes

regarder

combat

et

esprit l'influence de Magister Albertus de

Cette influence prépondérante, c'est,

voir, celle de Nicolas de Cues.

nous Talions


XI

NICOLAS DE CUES ET

LÉONARD DE VINCI

P.

duheM.



NICOLAS DE CUES ET

LÉONARD DE VINCI Un

des auteurs qui ont

le

plus profondément médité la

pensée de Nicolas de Gués, Richard Falckenberg, a écrit «

Nicolas veut être

plus de liberté

;

il

« le

:

un philosophe du Moyen-Age, bien qu'avec est, sans le vouloir, un philosophe moderne,

mais plus réservé. Vinci

1

Félix Ravaisson a

»

grand initiateur de

l'esprit

nommé

moderne

Léonard de

».

Ces jugements rapprochent l'un de l'autre Nicolas de Cues et

Léonard de Vinci

en

et,

;

effet,

par sa souplesse qui

le

rend

apte aux études les plus diverses, par son audace qui lui

produire

les

hommes

ces

pensées

plus originales,

les

ressemble à celui de

L'époque de leur naissance

comme deux jalons à l'Age

avec

Moderne;

les

la vie

que

né pour recueillir

Allemand

l'autre.

les

a placés,

dans

le

temps,

de Nicolas de Cues (i4oi-i464) s'écoule

du Moyen- Age;

de Vinci (1452-1619) occupe alors

génie de l'un de

plantés sur la route qui relie le Moyen- Age

dernières années

commence

le

fait

le

le

la vie

de Léonard

début de l'Age Moderne; Tune

l'autre finit; le

flambeau de

grand

la tradition

avait reçu de la Scolastique et

semble être

artiste

que

que ses

le

Cardinal

mains mou-

rantes laissaient échapper.

Ce précieux dépôt de été

la tradition intellectuelle a

transmis de Nicolas de Cues à Léonard de Vinci

lu les ouvrages de celui-là, 1.

Richard Falckenberg,

il

en a médité

les

réellement ;

celui-ci a

enseignements,

Grundzùge der Philosophie des Nicolaus Cusanus mit vom Ërkennen; Breslau, 1880 p. 3.

besonderer Berùcksichtigung der Lehre

;


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

I0

en a

il

sées les

premiers germes de quelques-unes de ses pen plus originales. C'est la vérité que nous nous propo-

tiré les

sons d'établir en ces pages.

Quelques mots sur la vie de Nicolas de Gués. Très sommairement, afin de courir plus vite à notre but,

rappelons quelle a été la vie de Nicolas de Gués

Cues

est

un gros

de Trêves;

il

village de la Prusse

*.

Rhénane

se trouve sur la rive droite

de

et

du diocèse

la Moselle, à

peu

de distance en amont de la petite ville de Bernkastel. C'est là que Nicolas Chrypfs naquit en i4oi, d'un simple pêcheur. Chrypfs Krebs,

est,

en patois mosellan, l'équivalent de l'Allemand d'où,

écrevisse;

la

traduction Nicolaus

Nicolas de Cues donnait de son

nom;

c'est ainsi

Cancer

que

que

le registre

d'immatriculation de l'Université de Heidelberg mentionne,

en i4i6, Nicolaus Cancer de Cœsze

clericus

Trever. dyoc.

Heidelberg, Nicolas Chrypfs passa en Italie; en i424, à Padoue le doctorat en droit.

Revenu en Allemagne,

il

il

De prit

plaida

à Mayence son premier procès, le perdit, et se consacra exclu-

sivement dès lors à

En

i43i,

il

assista

Théologie

comme

et

aux sciences.

archidiacre de Liège au concile

un

projet de réforme

calendrier. Lorsque le concile se sépara

du Pape, Nicolas

de Baie; en i436,

du

la

il

présenta à ce concile

de Cues fut de ceux qui demeurèrent fidèlement attachés au pontife romain.

Eugène IV, Nicolas

V, Pie II l'employèrent en d'importantes

Vita D. Nicolai de Cusa a Joan. i. Au sujet de cette vie, on peut consulter Trittenhemio, courte notice introduite, à la suite de l'Index, dans les Opéra de Nicolas Prantl, art. ISikolaus Cusanus de VAllgemeine de Cues publiées à Bàle en 1675. deutsche Biographie, Bd. IV, pp. 655-6Ga Moritz Cantor, Vorlesungen iïber die Geschichte der Mathematik, 2" Aull., Ll Kap. Bd. II, SS. i86-ao3 on trouvera dans ce dernier ouvrage une étude très complète des travaux mathématiques de Nicolas de Cues, dont nous ne pouvions traiter ici. Qu'il nous suffise de remarquer à ce sujet que les problèmes de quadrature, qui ont longuement occupé le Cusan, ont été également l'objet de profondes méditations du Ainci entre les méthodes qu'ils ont sui\ies, nous n'avons pu saisir aucun rapprochement qui vaille d'être noté. :

,

;

;


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

décembre i448, Nicolas V

légations; en

du

prêtre

de Saint-Pierre-ès-liens

titre

;

le

IOI

nomma

cardinal-

un cardinal allemand

époque, au dire d'un historien, aussi rare qu'un

était, à cette

corbeau blanc; aussi Nicolas de Cues

était-il

souvent désigné

surnom de Cardlnalis Teutonicus. En mars i45o, Nicolas V promut le nouveau cardinal à l'évêché de Brixen en Tyrol. Nicolas de Cues, connu pour sa piété et la rigidité de ses mœurs, voulut ramener le respect de la

par

le

morale les

de

et

la règle

en certains couvents qui l'avaient oublié;

moines, en révolte contre leur évêque, intéressèrent à leur

cause l'archiduc Sigismond

Allemand. Rendu à

la liberté

III

qui

fit

incarcérer

Cardinal

le

après plusieurs années de prison,

Nicolas de Cues vint passer la fin de sa vie en Ombrie, à Todi,

il

mourut

le

n

août

i/|64.

Son corps

mais son cœur, envoyé à Cues, y la chapelle

fut

Rome, chœur de

fut enseveli à

déposé dans

le

de l'Hôpital Saint-Nicolas. Le Cardinal avait fondé

cet hôpital, l'avait doté de

dons

de revenus

y avait créé cette bibliothèque qui subsiste encore et

et

une riche bibliothèque en partie, malgré de nombreuses dilapidations, témoigne des connaissances que possédait le Cusan dans les trois langues ;

latine,

grecque

et

hébraïque.

II

Les diverses éditions des œuvres de Nicolas de Cues. Tel fut

l'homme dont Léonard de Vinci

écrits, laissant

que

ces écrits,

aurait pu,

les

pensées du Cardinal Allemand.

comment

le

Vinci

a-t-il

eu connaissance?

sans aucun doute, les lire en

aisément encore,

Du

presque tous

sur ses cahiers de notes la trace des réflexions

lui inspiraient les

De

a lu

il

a

pu

les lire

manuscrits;

Il

plus

en des ouvrages imprimés.

vivant de Léonard, la collection des œuvres de Nicolas

de Cues a

été, à

notre connaissance, imprimée à trois

diffé-

rentes reprises.

Une première

édition ne porte aucune date, aucune indica-


ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

102

tion typographique; Hain, qui la regarde à l'an i5oo, la

comme

figurer dans son Repertorium

fait

Cet ouvrage est divisé en deux parties parties porte le titre suivant

;

antérieure

1 .

chacune des deux

:

altissime

In hoc volumine continentur certi tractatus et libri

contemplationis et doctrine

:

a preclare memorie prestantissimo

doctlssimoque viro Nicolao de Cusa Sacrosancte Ro. Ecclesie

tit.

Sancti Pétri ad vincala presbytero cardinali.

Le

de

titre est suivi

de l'ouvrage dont

La Pars I

se

rantia libri très.

— De

libri

dao.

libri

quatuor.

La Pars

la liste

annonce

il

compose des

des traités qui forment la partie

le

début.

traités suivants

— Apologia docte filiatione Dei.

II contient

:

De

ignorantie.

:

De docta ignoDe conjectaris

Dyalogus de Genesi.

visione Dei.

— De pace

fidei.

Ydiote

— Repa-

— Cribratio — De venatione — De ludo Alchoran duo. — Compendium. — Trialogus de Possest. — Contra Bohemos. — De mathematica perfectione. — De — De dato Patris luminum. — De querendo Deum. — Dyalogus

ratio Kalendarii. libri

globi

De mathematicis complementis. sapientie.

très.

libri

berillo.

de apice théorie.

La seconde édition des œuvres de Nicolas de Gués a

été

composée en i5o2; de cet ouvrage, aujourd'hui fort rare, M. Domenico Berti a donné 2 une description d'après l'exemplaire

que

la Biblioteca

Corsiniana de

Rome

conserve sous

le

n° 65, E, 23.

En le

cet exemplaire, la feuille de titre

début se trouve

l'épître

semble manquer; dès

dédicatoire adressée par Roland,

marquis de Pallavicini, au Cardinal Georges d'Amboise épître est ainsi datée

:

Ex

Castro Lauro,

;

cette

MCCCCCII.

compose de deux volumes que précède un même prohemium. La composition des deux volumes est presque identique à celle des deux parties de la première L'édition se

édition. Toutefois,

deux

traités qui figuraient

en

celle-ci sont

Hain, Repertorium bibliographicum, n° §893. Berti, Copernico e le vicende dei sistema copernicano seconda meta dei Secolo wi e nella prima dei XVli ; Roma, 1876, p. 201, i.

a.

Domenico

in

Italia

nella


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

omis en

celle-là

;

ce sont les

deux

De

livres

103

ludo globi et le

Compendium theologicum. La troisième édition des œuvres de Nicolas de Gués date de i5i4; elle fut donnée à Paris par les soins de Jacques Lefèvre d'Étaples; elle est ainsi intitulée

Hœc

:

accurata recognitio trium voluminurn operum clarissimi

P. Nlcolai Cusae, card., ex officina Ascensiana recenter emissa

est,

cujus universalem indicem proxime sequens pagina monstrat. L'épître dédicatoire, adressée par Lefèvre d'Etaples à

Briconet, évêque de Toulon, est ainsi datée

:

Ex

Denys

Parisiensi Aca-

demia, anno ejusdem Christi Dei Salvatoris nostri, MDXIIII.

Au

sujet de cette édition,

on peut

propre à montrer l'influence que

Cues exerçaient sur

faire

une remarque bien

doctrines de Nicolas de

les

les meilleurs esprits

au début du xvi e

siècle.

Peu d'années avant de la donner, Lefèvre d'Etaples (i4551537) avait composé Quatre dialogues pour servir à l'intelligence de

Métaphysique

la

1 ;

or, ces dialogues

ne sont, bien souvent,

qu'une paraphrase de certains enseignements de Nicolas de Cues, en particulier de sa théorie de la trinité.

Les œuvres de Nicolas de Cues furent une quatrième fois éditées à Baie, chez Henri Pétri, en

complète

Des Vinci

ait été

;

la

donné de consulter.

éditions plus anciennes,

trois

en i5i4,

cette édition, plus

;

plus répandue que les précédentes, est la seule

et

nous

qu'il

1575

est

imprimée Léonard de

la dernière,

venue bien tardivement pour servir à

plupart des réflexions que les pensées du Cardinal

Allemand ont suggérées au grand peintre sont sûrement antérieures à la publication de cette édition. 1.

In hoc opère continentur totius phylosophiœ naturalis paraphrases: hoc ordine Introductio in libros Physicorum. Octo Physicorum Aristotelis : paraphrasis.

digestœ.

Mundo completorum : paraphrasis. Duorum de Generatione et corrupQuatuor Meteororum completorum: paraphrasis. Introductio in libros de Anima. Trium de Anima completorum : paraphrasis. Libri de Sensu et Sensato: paraphrasis. Quatuor de Cœlo

et

tione: paraphrasis.

Libri de

Somno

et Vigilia

:

paraphrasis. Libri de Longitudine

et

Brevitate vitœ

:

paraphrasis.

tumfacilium tum difficilium intelligentiam introductorii : duo. Introductio Metaphysica. Dialogi quatuor ad Metaphysicorum intelligentiam introductorii. Au verso de la première page Jacobi Fabri Stapulensis philosophie paraphrases ad dignissimum patrem Ambrosium Camberacum Parisiensis studii Cancellarium. Colophon Impressum in aima Parrhisiorum achademia per Henricum Stephanum in vico clausi brunelli et regione schole decretorum Anno Christi piissimi Salvatoris summique boni. i5i2, Pridie kalendas Februarii. entis enthim Dialogi insuper ad Physicorum

|

\

:

:

:

|

|


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

104

Le Vinci, au contraire,

a

pu

faire

usage de l'une ou de l'autre

des deux premières éditions.

une remarque

Toutefois,

est ici nécessaire.

Ni l'une ni l'autre de ces deux éditions ne donne la collection complète des écrits de Nicolas de Gués. Si les indices qui

en

se trouvent

tête des

volumes sont

exacts,

s'ils

n'omettent

ce dont aucune des pièces renfermées en ces volumes, la seconde ne contient pas nous n'avons pu nous assurer, les deux livres De ludo globi. Or, ce traité de Nicolas de Cues est

parmi ceux que Léonard a le plus sûrement et le plus profondément médités. Des deux premières éditions des œuvres de l'Évêque de Brixen, la seconde n'est pas la seule que Léonard ait

lue

;

elle

ne contient pas tous

les

documents

qu'il a eus

en

mains. Il

en a pu avoir d'autres. Les divers opuscules de Nicolas de

Cues ont

été très

anciennement imprimés,

soit isolément, soit

par groupes. Le prohemium de l'édition de i5o2 disait

:

«

Con-

tinentur in hoc volumine certi tractatus inter alios plures editi. »

V index

de l'édition de i5i4 mentionne que plusieurs

des opuscules cités ont déjà été imprimés en Allemagne. Ainsi le

De

staticis

experimentis

,

qui forme

le

quatrième livre des

dialogues intitulés Idiota, a été souvent publié à part; la pre-

mière édition

de 1476.

est

III

Esquisse du système philosophique de Nicolas de Cues.

Léonard

était

assurément intéressé d'une manière beaucoup

plus intense par les divers problèmes de l'Astronomie, de la

Mécanique la

et

de

Métaphysique

la ;

Physique que par

est-il

redoutables énigmes de

un ordre de pensées auquel

toutefois

génie soit demeuré indifférent?

les

Il

a

longuement médité

ce

ce

que

Nicolas de Cues avait dit touchant la Mécanique, et ses méditations ont produit de

plus rapidement

nombreux

les écrits

corollaires;

il

a sans doute lu

philosophiques du Cardinal Aile-


Io5

NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

mand;

il

cependant, et plusieurs de ses notes

est arrêté

s'y

nous rappellent l'impression qu'il en a reçue. Pour comprendre exactement la portée de certaines de ces notes, il n'est pas inutile de connaître en son ensemble le système philosophique au sujet duquel

monument

Pourrait-on, d'ailleurs, passer à côté de ce diose sans s'arrêter

nous

Qu'il

soit

un

ont été écrites.

elles

gran-

instant pour le contempler?

donc permis de retracer

ici,

en une esquisse

rapide, les principaux traits de la doctrine de Nicolas de Gués

A. L'ignorance savante.

que le

qu'ait

2

composé Nicolas de Cues

voyons exposer

écrits

que

le

— Le plus ancien

est aussi celui

la

où nous

plan d'ensemble de toute sa doctrine. Les

le

Cardinal Allemand a produits par

au premier

.

philosophi-

traité

bien souvent, que développer une idée dont vait

1

on ne peut

traité;

les

la suite

le

germe

ne

font,

se trou-

parcourir sans admirer

puissance logique avec laquelle ce génie a su grouper en

une vue d'une

parfaite unité ses pensées sur les sujets les plus

divers.

Au

livre qui

renferme

donné pour titre choisi, car on ne a

:

la clé

De docta ignorantia;

saurait accepter

postule l'Évêque de Brixen

conscience de

de tout son système, Gusanus

l'incapacité

si

l'on

radicale

et ce titre est

bien

aucun des axiomes que ne prenait, tout d'abord,

où l'homme

se

trouve

de connaître la vérité absolue. Il

est

aucune

impossible 3 qu'une intelligence finie puisse s'assimiler vérité précise.

Le vrai n'est pas, en

qui soit susceptible de plus et de moins;

il

effet,

une chose

consiste essentielle-

ment en quelque chose d'indivisible; et ce quelque chose ne saurait être saisi par un être, si cet être n'est la vérité même. De même, l'essence du cercle est quelque chose d'indivisible, i.

Les lecteurs désireux de pénétrer plus avant dans

pourront Cues,

les

parmi les nombreux deux ouvrages suivants

lire,

écrits

que

les

le détail

de cette doctrine à Nicolas de

Allemands ont consacrés

:

Richard Falckenberg, Grundzùge der Philosophie des Nicolaus Cusanus mit besonderer Beriieksichtigung der Lehre vom Erkennen. Breslau, 1880. A. Glossner, Nicolaus von Cusa und Marias nizolius als Vorlaâfer der neuerer Philosophie. Munster, 1891. 2. Selon M. Scharpff, les trois livres De docta ignorantia ont été composés en i/»4o. 3. Nicolai de Cusa De docta ignorantia lib. I, cap. III.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

IOÔ

ne peut s'assimiler ce quelque chose;

et ce qui n'est pas cercle

polygone régulier que l'on inscrit dans un cercle n'est pas semblable au cercle il lui ressemble d'autant plus que le

;

multiplie davantage le

l'on

nombre de

a beau multiplier indéfiniment ce

mais on

ses côtés;

nombre, jamais

polygone

le

ne devient égal au cercle; aucune figure ne peut être égale à ce cercle, si ce n'est ce cercle lui-même. Ainsi en est-il, à l'égard de la vérité, de notre intelligence

qui n'est pas la vérité

d'une manière

même; jamais

elle

précise qu'elle ne la

si

manière plus précise encore,

ne saisira

puisse

la vérité

saisir

d'une

et cela indéfiniment.

Le vrai s'oppose donc, en quelque sorte, à notre raison; il est une nécessité qui n'admet ni diminution ni accroisse-

ment;

elle est

une

possibilité, toujours susceptible

d'un nou-

veau développement. En sorte que du vrai nous ne savons

pouvons comprendre. Quelle conclusion devons -nous tirer de là? «Que que nous ne

rien, sinon

même

le

des choses, qui est la véritable nature des êtres, ne

saurait être, par nous, atteinte en sa pureté.

phes l'ont cherchée; aucun ne

nous serons rons de

l'a

Tous

trouvée. Plus profondément

instruits de cette ignorance, plus

la vérité

même.

les philoso-

nous approche-

»

Quelle est donc la perfection que doit rechercher d'études

1

?

C'est d'être le plus savant possible

rance, qui est son état propre.

« Il

qu'il se connaîtra plus ignorant.

»

Le postulat fondamental

B.

minimum pour soi;

absolus.

— Une

:

humaine

du maximum

surcroît

d'audace;

Nicolaj de

;

ils

et

et

du

être,

de défiance de

ses prises,

il

ne

ne fera pas de Métaphysique. relatif et

borné de

n'inspire pas à tous les philosophes,

prudente réserve

cette igno-

semblable conclusion semble

La constatation du caractère

i.

L'identité

humain, une leçon de modestie puisque l'essence des choses échappe à il

en

l'homme

sera d'autant plus savant

l'esprit

tentera pas de la saisir,

cette

l'essence

il

la science

s'en faut bien,

plusieurs, au contraire, y puisent s'en

Gusa De docta ignorantia

autorisent lib. I,

cap

I.

pour construire

un les


NICOLAS DE CURS ET LEONARD DE VINCI

systèmes

les

plus hardis.

n'est plus nécessaire

Il

quences d'une doctrine s'accordent toutes entre

mie n'a plus rien qui

IO7

que

les

consé-

elles; l'antino-

qui se confie en

soit à redouter; l'esprit

rigueur absolue de notre logique croit reconnaître en cette

la

antinomie une contradiction qui ruine

mais celui qui

entière;

seulement une thèse

et

construction tout

la

nous échappe y voit une antithèse dont la science exacte, sait

que

le vrai

qui nous est inaccessible, comprendrait la synthèse. Ainsi

Hegel s'autorisera un jour du criticisme de Kant pour affirmer de Gués, fort de sa

l'identité des contradictoires. Ainsi Nicolas

docte ignorance, n'hésite point à dire

«

:

La

secte d'Aristote

répute hérésie la coïncidence des contraires;...

loupe

2

nous donne une vue plus pénétrante;

du principe qui

contraires au sein

elle

1

mais notre

nous montre

les

unit, avant leur

dualité, c'est-à-dire avant qu'ils ne soient

deux choses qui

les

s'opposent l'une à l'autre. C'est,

en

effet,

»

une antinomie que l'Évêque de Brixen met

au point de départ de tout son système 3 choses, le

maximum

absolu, dont

:

En

tout ordre de

compréhension nous

la

minimum absolu, qui ne nous est — « Maximum absolutum incompreecum quo minimum coincidit. »

échappe, est identique au pas moins inaccessible. hensibiliter intelligitur,

L'affirmation est audacieuse; bien étranges les courtes considérations qui prétendent la justifier

semblera

maximum est est

vous concrétisez en

clair si

«

:

la

Ce principe vous

quantité les idées de

minimum. La quantité maximum est celle qui grande au maximum; la quantité minimum est celle qui petite au maximum. Et maintenant, séparez les idées de

maximum

et

de

et

de

minimum

par

la

pensée

que

le

maximum

les

de

mots grand et le

celle

et petit;

minimum

C. L'existence et l'unité

de quantité, en supprimant

coïncident.

du maximum

obtenu par une numération

vous voyez clairement

absolu.

— Tout nombre

actuelle est fini; en puissance, le

2.

De docta ignorantia lib. I, cap XXII. Nicolai de Cusa Liber qui inscribitur De beryllo, cap.

3.

Nicolai de Gusa

1.

»

Nicolai de Gusa

De docta ignorantia

lib.

I,

cap.

III,

XXV.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

Io8

nombre

peut toujours,

On

un nombre, on par voie d'addition, en former un plus grand. par soustraction, former un nombre plus petit

infiniment grand; étant donné

est

peut aussi,

qu'un nombre donné, qui n'est plus

unanimement

un nombre. Tel Cues

s'empare

applique son postulat, le

absolu;

il

donc

de

et,

en

nombre

ceptible de multiplication;

minimum

nombre, mais en

est aussi

enseignement en

tire

l'unité

est

il

;

lui

2 :

un minimum

plus petit que un.

Il

existe

maximum absolu, identique au minimum effet, ce maximum absolu est tel qu'il n'existe

aucun nombre plus grand que L'unité,

.

et voici ce qu'il

n'y a pas de

un

1

cet

domaine des nombres,

aussi

absolu;

l'enseignement d'Aristote,

est

répété parla Scolastique

Nicolas de

Dans

jusqu'à ce qu'on arrive à l'unité,

et cela

absolu

elle est

la

fin,

il

le

lui

est

;

partant,

il

n'est pas sus-

nécessairement unique.

des

nombres,

n'est

pas

un

principe de tous les nombres; elle est identique

puisqu'elle

au

maximum

absolu.

Ce que nous venons de reconnaître dans le domaine des nombres demeure vrai dans tout autre domaine 3 .

même

Par cela

que des choses sont

finies, la série selon

laquelle elles se rangent doit être comprise entre

un terme

initial et

un terme

maximum absolu. Ce maximum absolu la série, car

un minimum absolu

final,

n'est pas

un des

en parcourant cette

deux termes,

série,

objets dont il

il

et

un

termine

pourrait être actuel-

lement atteint; tandis que, dans l'énumération d'objets finis, on ne peut jamais, d'une manière actuelle, atteindre un objet tel qu'il

n'en existe pas de plus grand.

Sans être aucun de ces objets, fin à tous;

identique, d'ailleurs,

commun Ce maximum est

aussi leur

multiplié,

il

maximum absolu est leur au minimum absolu, il est

le

principe. tout ce qu'il peut être

ne peut devenir nombre;

i.

Léonard de Vinci

2.

Nicolai

il

;

est

il

ne peut donc être

nécessairement un.

deux infinis (Études sur Léonard de Vinci, docta ignorantia lib. I, cap. V. 3. Nicolai de Cusa De docta ignorantia lib. 1, cap. VI. et les

deCusa De

a* série,

IX).


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

De En

cette affirmation,

il

tout ordre de choses,

identique au

minimum

comprendre toute

faut

portée 1

la

un maximum

un maximum de

existe

il

;

existe

il

109 .

absolu, quantité,

un de substance, un de qualité, et ainsi de suite. Mais ce ne sont pas des maxima distincts; dans son incompréhensible, mais parfaite unité,

même

le

tout ordre de choses, en

en qualité; la fin

Le

il

est aussi,

maximum

absolu en

nombre, en substance, en quantité,

en tout ordre de choses,

principe et

le

de tout.

nom

de cet être est Dieu 2

D. L'éternité de Dieu. La

Dieu

être est

est établie;

fort

.

trinité divine^.

— L'existence

de

de sa docte ignorance, Nicolas de Gués

essaye d'en pénétrer la mystérieuse nature.

Ce qui est immuable est nécessairement éternel; l'éternité est donc l'apanage de ce qui précède tout changement. L'altération (alteritas)

changement;

est

partant,

ce

qui

précède toute altération est éternel. Or, qui dit altération dit l'altération

implique

la dualité, et la dualité,

est postérieure à l'unité;

ration, en sorte

La

que

première des inégalités il

autre;

qui est nombre,

dès lors, l'unité précède toute alté-

l'unité est éternelle.

dualité, qui est la

sont simultanées;

une chose, puis une

:

;

première des altérations, par nature, l'inégalité

en résulte que

est aussi la

et l'altération

l'égalité, qui,

par nature,

précède toute inégalité, précède aussi toute altération

;

l'égalité

est éternelle. Si,

de deux causes, l'une

est,

par nature, antérieure à l'autre,

tout effet de la première de ces causes précède naturellement

tout effet de la seconde. Or, l'unité est connexion

connexion; des objets sont

dits

connexes quand

ensemble. La dualité, au contraire, de division, car l'unité,

la dualité est la

est division

ou cause de ils

ou principe

première des divisions. Mais

cause de connexion, précède naturellement Cusa De docta ignorantia

i.

Nicolai de

2.

Nicolai de Cusa

docla ignorantia lib.

I,

cap. V.

3.

Nicolai

docta ignorantia lib.

I,

cap. Vil.

De de Cusa De

sont unis

lib. II, cap. III.

la dualité,


ETUDES SUR LEONARD DE \1NCI

HO cause de division

la

;

connexion

rieure à toute division.

est

donc, par nature, anté-

D'autre part, altération et division

en sorte que

sont, par nature, simultanées,

naturellement antérieure à toute division

la

connexion

que

et

est

connexion

la

est éternelle.

L'unité est éternelle, l'égalité est éternelle, la connexion est

ne peut être pluralité,

éternelle. Mais rien de ce qui est éternel

car l'unité qui, par nature, est antérieure à la pluralité, précé-

même,

derait l'éternité éternel.

donc

Si

que

nelles, c'est

même

et

être.

ce qui est

impossible. L'un seul est

l'unité, l'égalité et la

l'unité, l'égalité et la «

connexion sont

connexion sont un seul

Telle est cette trinité dans l'unité qui a été

proposée à notre adoration par Pythagore, les

philosophes, l'honneur de

En

éter-

l'Italie et

ses divers traités, Nicolas

premier de tous

le

de la Grèce.

»

de Gués creuse la notion de

cette divine trinité.

L'analyse de toute chose finie nous y

découvrir

fait

la puis-

sance, l'acte, et l'union de la puissance et de l'acte; tous ces

éléments, nous devons les retrouver en l'unité de Dieu, mais portés au

Dieu

maximum

est

donc

absolu.

l'acte infini

l'actualité infinie n'est autre la

toute-puissance 3

maximum

ne

pur

diffère pas

et l'union

coéternels 5

,

l'acte

absolument pur 2

maximum

de

l'acte

4

en Dieu,

;

.

Mais

chose que l'existence actuelle de

en sorte que, dans l'absolu,

;

aussi l'absolue puissance l'acte

1

la

de cette puissance

la

puissance

que Dieu

et

est

puissance absolue, et

de cet acte sont

.

L'acte présuppose

6

logiquement

qui en est

la puissance,

le

principe; la puissance, au contraire, ne présuppose rien. Le

Père est cette puissance qui, logiquement, est l'acte; le

Père;

Fils est l'éternelle

de l'un et de l'autre procède

Nicolai de

Nicolai de Nicolai de

3.

5.

6.

le

la

principe de

puissance du qui est

Saint-Esprit

Cusa De docta ignorantia lib. II, cap. VIII. Cusa Apologia doctse ignorantise. Cusa De docta ignorantia lib. I, cap. XVI, et Nicolai de Cusa De docta ignorantia lib. II, cap. VIII. Nicolai de Cusa Trialogus de Possest. Nicolai de Cusa Trialogus de Possest.

i.

2.

h.

mise en acte de

le

lib. Il, cap.

I.


NICOLAS DE GUES ET LEONARD DE VINCI

chacun d'eux, de

l'union, coéternelle à

de

l'acte pur.

de

est le lien

le

Père peut,

Toute-puissance

et

du Tout-puissant.

Fils est ce

L'Univers contracté

E.

qui est

maximum

le

puissance absolue et

la

que

Le la

I I I

et le Saint-Esprit

— En dehors de Dieu,

et la création.

absolu et l'unité parfaite, sont des êtres

dont l'ensemble compose ce que Nicolas de Gués

finis

ou concret

l'Univers contracté

Que nous enseigne

(contractas).

la docte

l

nomme

ignorance touchant

la

manière

d'être de cet Univers?

Seul, le

maximum

absolu, qui est aussi l'absolue nécessité,

existe par soi; l'Univers contracté tient

de lui-même, mais du L'être absolu est

par conséquent,

absolu

il

;

exempt de toute envie

il

est créature et

de Dieu.

de toute avarice

;

ne peut rien communiquer de négatif, de

de diminué par essence.

privatif,

En

maximum

donc son existence non

la créature

donc, qui tient son existence du

maximum,

rien de ce qui est diminution, tel que la corruptibilité, la divil'imperfection, la diversité, la pluralité, ne provient

sibilité,

de

maximum

l'être

qui est éternel, indivisible, absolument

absolument un, De Dieu,

parfait, sans distinction,

tient son unité, son caractère distinctif et sa

la créature

connexion avec

l'Univers; et plus elle est une, plus elle est semblable à Dieu.

Mais l'unité de

par la pluralité, son

la créature est altérée

caractère distinctif par la confusion,

sa

connexion avec

le

ne vient ni de

reste de l'Univers par le désaccord; tout cela

Dieu, ni d'aucune cause positive; cela vient de la contingence.

donc

Qui

pourrait

comprendre

comment

de

l'être

la

créature résulte de la nécessité absolue, dont cet être provient,

en

même

temps que de

exempt? La créature ainsi dire, entre

la

contingence, dont

il

ne saurait être

n'est ni Dieu, ni le néant; elle est

Dieu

et le néant, après

Dieu

et

avant

Et cependant, on ne peut prétendre qu'un être est A' être et

de non

être.

descend de Fêtre néant i.

La créature

— ni

n'est

le non-être

— ni un composé de l'être et

Nicolai de

Cusa De docta ignorantia

lib. II»

elle est

du non-être. cap. IL

néant.

un composé

donc ni Y être

— car

le

pour

— car

elle

supérieure au


études suk Léonard dé vinci

tia

Notre intelligence ne peut, ni sous forme divisée, ni sous

forme composée, résoudre les contradictoires; elle ne peut donc atteindre l'essence de la créature elle sait seulement que ;

son existence de

la créature tient

ou

F. L'Univers est-il fini

sonder

infini?

Notre esprit ne pourra

il

rencontrera celle qui épou-

Scolastique péripatéticienne et qui rend impossible

la

toute réponse à cette question

ou

de la créature sans se heurter sans cesse à

l'être

des antinomies. Et tout d'abord,

vante

l'être absolu.

L'Univers contracté

:

est-il fini

infini?

Seul, le

maximum

absolu est infini

1 ,

car seul

il

est tout ce

qui peut être. L'Univers contracté réunit tout ce qui existe hors

Dieu

;

il

n'est pas Dieu,

D'autre part,

donc

n'existe

il

que l'on peut dire

n'est pas positivement infini.

il

aucun terme qui

qu'il est infini

le

borne, en sorte

en prenant ces mots dans un

sens négatif, qui signifie l'absence de limite. Plus exactement,

on peut

dire

que l'Univers

n'est ni fini ni infini.

Dire qu'il n'y a pas de bornes actuellement existantes qui

terminent

une

Monde,

le

c'est dire qu'il n'y a pas,

pour l'Univers,

possibilité d'être qui outrepasse son actuelle existence;

c'est dire

que l'Univers ne peut

être plus qu'il n'est.

Mais alors se dresse devant nous une nouvelle antinomie

La

du Monde ne

possibilité

se laisse pas étendre

existence actuelle, en sorte que le

grand

qu'il n'est;

sance de Dieu,

le

Monde ne

et d'autre part,

Monde

:

au delà de son

pourrait être plus

eu égard à

la

toute-puis-

pourrait être plus grand qu'il n'est

actuellement.

G. Dieu est

la

synthèse de

développement de Dieu.

la

création et la création est

le

Sans s'effrayer de ces continuelles

antinomies, qu'elle a prévues, la docte ignorance poursuit ses pénétrantes

investigations

sur les rapports

de Dieu

et

de

l'Univers créé.

Deux notions i.

Nicolai de

j.

Nicolai de

se présentent à elle

Cusa De docta ignoranlia Cusa De docta ignorantia

3 ,

qui s'opposent l'une à

lib. II,

cap.

I.

lib. Il,

cap,

111.


NICOLAS DE CUËS ET LEONARD DE VINCI l'autre

la

:

notion de synthèse ou d'implication (complicatio) et la

notion de développement (explicatiù)

Tout nombre d'autre

l'unité;

nombre, en

nombre

n'est

qu'une répétition, un développement de

part,

qui est

l'unité,

maximum

est aussi le

Tout nombre développe donc qui est

le

enveloppe tous

les

.

principe de

le

tout

absolu, en sorte que tout

compris, impliqué dans l'unité.

est

et l'unité,

Il3

;

maximum

elle

en

son principe;

l'unité, qui est

de tous

et la fin

les

nombres,

est la synthèse.

Ce que nous venons de dire du nombre peut

se répéter de

compose l'Univers concret. En une ligne, on ne trouve rien que le point partout où l'on veut diviser la ligne, il y a un point, en sorte que le point

tout ce qui

;

concentre

donc

le

et

condense, pour ainsi dire, la ligne. Le point est

principe et

terme, la perfection

le

et la totalité

La longueur

toute longueur, de toute surface, de tout volume. est le

premier développement du point,

volume en mouvement? Une

second développement, Qu'est-ce

que

le

le

mouvement trouve

sa synthèse, et

en

la surface

est le

est le troisième.

série d'états

succédant avec continuité, en sorte que le

de

le

que

de repos se

repos est l'unité où

le

mouvement

est le

développement du repos. Le présent implique

temps tout entier;

le

le

passé

fut

on ne trouve dans le temps que des instants se succédant en une série continue et dont chacun est présent à son tour. Le présent est donc la synthèse du temps, comme le temps est le développement du présent;

présent, le futur sera présent;

et le présent, c'est l'unité.

De même, diversité le est la

l'identité est la synthèse

développement de

l'identité;

même

de

même,

le

l'égalité

développement

encore, la simplicité est la synthèse

la division, et celle-ci

ne

fait

que développer

Ainsi Dieu, qui est l'unité parfaite et est la

diversité, et la

la

synthèse de l'inégalité, et l'inégalité

de l'égalité; de de

de

synthèse de toutes

les

le

la simplicité.

maximum

choses concrètes

;

et ces

absolu,

choses

concrètes, en leur pluralité, sont le développement de l'être

unique de Dieu. P.

DU HEM.

8


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VlNCÏ

11^ «

Cette synthèse

ce

et

développement, comment

se

pro-

une question qui excède les bornes de notre Nous est-il possible de comprendre que la plura-

duisent-ils? Voilà intelligence.

des choses concrètes découle de l'intelligence divine, en

lité

même

temps que

l'unité parfaite?

de ces choses provient de Dieu, qui est

l'être

»

H. De quelle manière Dieu créées, et inversement.

la synthèse

de

V Univers sont en toutes choses

et

— Toutes

la création, et

choses sont en Dieu

Dieu

est

affirmation dont la docte ignorance va

profond 3

,

qui est

en toutes choses, car

la

Voilà une double

développement de Dieu.

création est le

1

commenter

le

sens

.

Les choses contractées, c'est-à-dire la création, tiennent tout leur être de Dieu; aussi cet être imite-t-il l'être de Dieu autant

que sa nature Dieu

est le

comporte.

le

maximum

absolu

et l'unité parfaite,

en laquelle

toutes les distances, toutes les divisions, toutes les

contra-

dictions deviennent union.

L'Univers est l'image contractée de cette unité absolue ce

maximum absolu. Il est maximum non

comprend non les

pas

et

de

pas absolu, mais contracté, en ce qu'il

toutes

choses,

mais seulement toutes

choses créées.

Le

maximum

absolu est l'unité parfaite, exempte de toute

pluralité; toutes choses sont impliquées en lui,

mais en une

union complète qui exclut toute division, toute distinction. L'Univers est un, lui aussi, mais d'une unité contractée qui n'exclut

pas la pluralité,

pluralité. Et de

sa simplicité

même

se

qui se résout,

que son unité

contracte en

au contraire, en

se contracte

en pluralité,

composition, son éternité en

succession, et ainsi de suite.

Examinons de plus près encore de quelle manière l'Univers un se résout en la pluralité des choses contractées. L'essence (quidditas) de Dieu est d'être absolu i.

Nicolai de Cusa

a.

Nicolai de

De

docta ignorantia lib.

Cusa De docta ignorantia

II,

cap. III.

lib. II, cap. IV.

;

partant,

il


NICOLAS DE GUES ET LEONARD DE VINCI

en

existe

une unité

exempte de

parfaite,

Il5

toute division.

L'essence de l'Univers est d'être contracté, c'est-à dire qu'il ne

peut être réalisé, à moins de se condenser, pour ainsi dire, en objets particuliers.

L'Univers est en chacune des choses contractées

comme une

abstraction est en chacun des objets concrets qui servent à la

L'humanité n'est ni Socrate, ni Platon; mais, en

former.

Socrate, l'humanité abstraite est réalisée d'une manière concrète par Socrate, en Platon, elle l'est par Platon.

l'Univers n'est ni est ce

que

le Soleil

le Soleil,

ni la

Lune; mais, dans

De même, le Soleil, il

a d'universel, dans la Lune, ce que la

Lune

a d'universel.

L'Univers est ainsi en chaque chose contractée particulière;

y

il

ce

est

que

cette

chose

contient d'universel,

qui

ce

demeure lorsqu'on supprime toute diversité et toute pluralité. Tout de même donc que chaque objet créé est dans l'Univers, on peut dire que l'Univers est en chaque objet créé. Mais l'Univers, qui qui est

Dieu

le

est

maximum

absolu

en l'Univers qui

de l'Univers

maximum

est le

émane de

le

et la

contracté, est en Dieu,

synthèse de toutes choses

;

et

développe car l'essence contractée ;

Comme

Dieu

être particulier,

Dieu

l'essence absolue de Dieu.

est

en l'Univers,

est

en chaque être particulier. C'est par l'intermédiaire de

et l'Univers

en chaque

l'unité contractée de l'Univers

que

en chacune des choses créées

et

l'unité absolue de

que

Dieu

la pluralité des

est

choses

créées est en l'unité de Dieu.

On

peut aller plus loin encore. Puisque Dieu est en toutes

choses par l'intermédiaire de l'Univers; puisque, par l'intermédiaire

du

répéter

1

même

Univers, toutes choses sont en Dieu, on peut

les paroles

d'Anaxagore, en leur prêtant un sens pro-

fond qu'il ne leur donnait peut-être pas

:

Tout

est

dans tout*

Quodlibet in quolibet.

I.

La

trinité contractée

maximum i.

de l'Univers.

L'Univers, qui est

le

contracté et l'unité contractée, imite, autant que sa

Nicolai de Gusa

De

doeta ignorantia lib»

II,

cap. V.


ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

n6 nature

permet, Dieu, qui est

le

Nous n'avons pas épuisé

absolue.

maximum

le

absolu

et l'unité

conséquences de ce prin-

les

cipe fécond. est trinité; l'Univers est

Dieu

A

donc aussi

trinité

la vérité, entre la trinité divine et la trinité

1 .

de l'Univers

subsistent des différences profondes et essentielles 2

Dieu étant unité absolue, sa

du Monde, au

L'unité

pour elle

subsister,

il

trinité est identique à l'unité.

contraire, est

lui faut se

une unité contractée

effet,

pour

qu'il

y

ait

contraction,

objet contractible qui la subit, duit, et

un

;

condenser en choses multiples;

ne pourra subsister qu'au sein d'une

En

.

un

trinité.

faut trois choses

il

:

un

sujet contractant qui la pro-

lien par lequel le sujet contractant est uni à l'objet

contractible en vue de produire l'acte de contraction.

image de

Telle sera la trinité de l'Univers,

descendue de

Qui

cette trinité.

dit contractibilité

désigne une certaine possibilité; cette

donc de

contractibilité descend

engendre

la trinité divine,

puissance suprême, qui

la

la divine trinité.

L'agent contractant détermine la possibilité de contraction; il

la force à

tel être

devenir ceci ou cela

On

particulier.

égalité qui,

au sein de

;

il

la

rend adéquate à

tel

ou

peut donc dire qu'il descend de cette

la trinité divine, est le

La possibilité contractible

est

souvent

Verbe.

nommée

la matière

de

on donne fréquemment le nom déforme de l'Univers ou d'âme du Monde. Pour que l'acte de la contraction s'achève, il faut que le sujet contractant soit appliqué à l'objet contractible, que la matière

l'Univers

soit

à l'agent contractant,

unie à

bilité à

on

;

le

la

forme, qu'il y

déterminer

nomme et la

est clair

compénétration de

de la nécessité qui

la

qui produit

le

Nicolai de

Nicolai de

c'est

mouvement par

lien

une

sorte

lequel la

descend du Saint-Esprit qui, au sein de

divine trinité, est le lien infini. i.

;

matière de l'Univers s'unissent l'une à l'autre.

que ce

a.

la possi-

détermine. Ce lien,

parfois la possibilité déterminée

d'esprit d'amour,

forme

et

ait

Cusa De docta ignorantia Cusa De docta ignorantia

lib. Il, cap. VI. lib. II, cap. VII.

Il

la


I

NICOLAS DE GUES ET LÉONARD DE VINCI

que

matière universelle.

la

Parmi tous

les possibles,

pure est

fondamental de

maximum. La

n'en est aucun qui existe moins

il

pure, exempte de toute détermination

la possibilité

possibilité

7

union de Pâme du

Étudions de plus près encore cette

Monde avec

I

l'être

minimum;

docte ignorance,

la

la

1 ;

partant, selon le postulat elle est

identique à

l'être

qu'aucun acte ne détermine,

possibilité pure,

ne subsiste donc qu'en Dieu, où

identique

elle est d'ailleurs

à l'acte pur. Hors de Dieu, la possibilité ne peut exister qu'à

ou moins déterminée

la condition d'être contractée, d'être plus

par

l'acte.

La

pure

possibilité

Dieu; quant à

le

Monde;

elle

ne

lui est

pas antérieure,

pas avant lui; elle est contemporaine du Monde, et

elle n'était

Tous

seulement par

possibilité contractée, c'est

la

nature qu'elle précède

non pas

à Dieu, puisqu'elle est

est coéternelle

éternelle.

philosophes s'accordent en ce point s que, pour

les

déterminer

la

puissance à

l'acte,

il

faut

quelque chose qui

en acte; aucune puissance ne peut d'elle-même passer à

La puissance de l'Univers, qui ne peut subsister à

soit

l'acte.

l'état

de

pureté, qui doit nécessairement être déterminée par quelque acte, requiert lui puisse

donc une chose douée d'existence

imposer

acte, c'est la

forme

De même que Dieu, de

cette

même

et

la

actuelle qui

détermination; cette chose, qui est en

l'âme du Monde.

puissance pure ne peut exister hors de

pur ne

l'acte

se trouve qu'en Dieu; hors

de

Dieu, l'acte ne se trouve jamais que sous forme contractée, par suite de son

Monde ne lité

union avec une certaine puissance;

saurait

qu'elle réduit

liers;

donc en

exister

la

indépendamment de

acte, qu'elle contracte

en d'autres termes, l'âme du Monde

forme du

la possibi-

en objets particu-

est inséparable

de la

matière universelle.

La

possibilité de l'Univers 3

une forme déterminée

;

il

ne peut exister

en résulte en

De docta ignorantia Cusa De docta ignorantia Nicolai de Cusa De docta ignorantia

elle

i.

Nicolai de Cusa

lib. II, cap. VIII.

2.

Nicolai de

lib. II, cap.

3.

lib. II,

IX.

cap. X.

si elle

un

ne reçoit

désir de rece-


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

n8

voir cette forme à laquelle elle est prédisposée, désir semblable

mauvais souhaite

à celui par lequel ce qui est

lequel la privation souhaite ce qui lui

bien, par

le

manque.

D'autre part, la forme ne peut être, d'une existence actuelle, elle

si

ne vient contracter la possibilité et comme elle désire elle tend à venir déterminer et achever la puissance. ;

d'être,

Ainsi se produit une double aspiration

matière qui veut s'élever vers

peut être

;

:

aspiration de la

forme sans laquelle

la

ne

elle

aspiration de la forme qui tend à descendre en la

matière où elle trouvera la possibilité d'exister actuellement.

De cette double tendance, ici ascendante, là descendante, naît un mouvement par l'intermédiaire duquel se fait l'union de la puissance et de l'acte; et ce mouvement, intermédiaire entre la matière

forme, procède à la

et la

mobile, et de la forme, qui est

Ce mouvement puissance

de

et

est l'effet

l'acte,

le

fois

de

la matière,

qui est

le

moteur.

d'une aspiration mutuelle de

la

d'une sorte de tendance amoureuse,

d'un esprit.

De même que de

la possibilité

même

que

la

la possibilité

absolue de Dieu, possibilité qui est

du

Fils

Père; de

du

l'acte

ou du Verbe de Dieu; de même,

connexion qui unit l'âme du Monde

universelle descend

Saint-Esprit;

qu'engendre cet esprit de connexion,

ment

le

forme contractée du Monde descend de

absolu, c'est-à-dire esprit de

contractée de l'Univers descend

et la

cet

matière

quant au mouvement il

descend du mouve-

absolu, qui est identique au repos absolu.

Ce mouvement d'amoureuse union a un double effet. C'est par lui, en premier lieu, que la puissance de chaque chose est en acte

et

que

l'acte

de cette chose en détermine

la

puissance; c'est donc par lui que chaque chose subsiste dans

son unité, distincte de toutes qu'elle soit aussi parfaite C'est par lui,

en second

que

les autres choses, et le

lieu,

comporte

de

telle sorte

sa nature.

que chacune des choses créées

immédiatement ou médiatement, que leur ensemble constitue un monde dont

participe de toutes les autres,

de

telle

sorte

toutes les parties sont solidaires les unes les autres, aussi

un que

possible,

un Univers


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

d'union diaire,

est

l'émanation du Saint-Esprit qui, par son intermé-

meut

toutes choses.

Les cléments

J.

détermine ce double mouvement

qui

contracté

L'esprit

II9

et les mixtes.

— Dans

philosophique

l'édifice

élevé par Nicolas de Gués, toutes les parties se tiennent avec

une remarquable gent

mêmes

unité. Les

principes généraux diri-

solution des questions les plus diverses et les plus

la

spéciales.

En

particulier, la doctrine

que l'Évêque de Brixen

professe au sujet des quatre éléments et des mixtes formés par

— sa doctrine chimique —

leur combinaison

immédiat de

très

La nature

est

est

un.

On

un

corollaire

métaphysique.

sa théorie

douée d'unité;

sensibles, et c'est par elle

est

elle existe

en toutes choses

que l'ensemble des choses sensibles

peut donc dire

très

1

justement que

la

nature est

Vêlement universel.

Mais

la

Nature ne subsiste pas dans l'unité absolue, car

n'est pas Dieu;

pour

subsister,

il

faut qu'elle se contracte

elle

dans

choses sensibles, que son unité se résolve en pluralité

les

(alteritas).-

Cette contraction se

fait d'ailleurs

par degrés; au premier

degré, l'unité de l'élément universel se résout en

une

pluralité

de quatre éléments principaux.

Chacun de

ces quatre éléments principaux est affecté à l'une

des quatre régions que l'on peut tracer autour du centre de la

Terre; c'est parce que chacune de ces régions est occupée par

un élément c'est

qu'elle a,

parce qu'elle

est

dans

le

Monde, une existence

occupée par un

même

actuelle;

élément qu'elle

est

une région unique. Chacun des quatre éléments principaux est donc l'actualité et l'unité de la région à laquelle il est affecté. Mais dans la nature créée,

il

n'existe ni acte pur, ni unité

absolue. Tout acte est mêlé de puissance, toute unité se résout

en pluralité. L'élément pur, l'élément un, ne jamais dans

le

Monde;

il

se

trouve donc

n'y peut exister que des mixtes, et

jamais aucun de ces mixtes ne peut être réduit en éléments simples. 1.

Nicolai de Cusa

De

conjecturis lib. II, cap. IV.


ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

120

Bien qu'il contracte en lui-même la pluralité des quatre éléments, un mixte peut s'approcher plus ou moins de la simde l'un d'entr'eux qui

plicité

dominant

et

en sa composition, l'élément

est,

qui lui donne son

nom;

ainsi,

un

mixte, tout en

du feu, de l'eau et de la terre, peut s'approcher plus ou moins de l'air élémentaire; on donne contenant en

lui

de

l'air,

nom

alors à ce mixte le

d'air.

Les quatre corps auxquels nous donnons d'air,

les

noms de

feu,

d'eau et de terre sont constitués de la sorte; en chacun

d'eux se trouvent les quatre corps élémentaires; chacun d'eux

prend

le

nom

de l'élément qui prédomine en sa composition

;

quatre corps dont nous venons de parler ne sont donc

les

plus des éléments premiers, mais des mixtes principaux ou

généraux.

Dieu,

minutieusement

une

par

d'ailleurs,

les

fixé

mathématique

proportions

des

admirable

quatre

1 ,

a

éléments

premiers qui concourent à former chacun des mixtes généraux;

les a fixées

il

de

telle sorte

qu'aucun d'eux ne puisse

intégralement se convertir en quelqu'un de ses congénères.

Ces mixtes généraux peuvent 2

,

à leur tour,

se

combiner

entre eux pour former des mixtes spéciaux qui sont les corps individuels.

Le mixte spécial est issue

est le dernier

de l'élément universel

l'élément principal et

elle reçoit

et qui,

l'acte

s'est élevée

jusqu'à

élémentaire s'élève vers l'individu

l'existence actuelle, et l'individu descend

vers l'élément universel sans lequel

non plus que

par l'intermédiaire de

du mixte général,

l'individu. L'universalité

en qui

degré de cette contraction qui

il

ne pourrait subsister,

sans la puissance.

Cette théorie chimique porte,

profondément gravée, l'em-

preinte de la Métaphysique de Nicolas de Cues;

il

ne faudrait

pas croire, cependant, que le Cardinal Allemand l'eût inventée

de toutes pièces; ce qu'elle contient de proprement physique était,

avant

lui,

notamment, que i.

2.

Nicolai de Cusa Nicolai de

d'usage courant;

toute

l'École

le feu, l'air, l'eau et la terre, tels

De docta ignorantia lib. II, cap. XIV. Cusa De conjecturis lib. II, cap. V.

enseignait,

que nous

les


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

131

connaissons, ne sont pas des éléments; que ce sont des mixtes et

qu'en chacun d'eux,

prend

le

nom,

un élément prédominant, dont

de

mixte

trouve uni aux trois autres; l'originalité

se

de Nicolas de Gués est de et

le

ces enseignements

emparé de

s'être

incorporés à son système philosophique.

les avoir

K. L'homme; l'union de l'âme

comme

et

— Le microcosme

du corps.

macrocosme; ce qu'on a dit de l'union de l'Ame du Monde avec la Matière, on peut le répéter presque textuellement de l'union de l'âme humaine avec le corps est constitué

le

humain. C'est encore

1

l'amour qui forme

entre l'âme et le

le lien

corps, et qui maintient la vie.

L'âme, qui a puissance de donner

mettre cette puissance en acte, être dans vivifier;

en sorte qu'elle aime

le

au corps, désire

la vie

le

corps pour

le

Le corps, qui ne

corps.

âme et désire lui être uni. Cette mutuelle aspiration, cet amour qui cherche la connexion de l'âme et du corps, est un esprit qui leur est pourrait demeurer en vie sans l'âme, aime cette

commun

à tous deux; ce

commun

esprit participe de la nature

de l'âme, en ce que l'âme descend pour vivifier participe de la nature

du corps, en ce que

le

le

corps;

il

corps monte pour

se préparer à recevoir la vie.

Lorsque

vigueur de cet esprit vient à manquer,

la

le

corps

cesse de vivre.

L. Les facultés de l'âme humaine. offre

en

effet 2 ,

de la raison

le sens, et

qui

de l'intellect

(ratio)

.

Nicolai de

la Trinité. Elle se

(intellectus) ,

du sens

3

du sens

n'est ni

dans

au-dessus de

la

temps, ni dans l'espace;

il

et l'intellect le

Cusa Excitationum ex sermonibus

lib.

III

;

ex sermone

filia; fides...

Cusa De docta ignorantia De docta ignorantia

2.

Nicolai de

3.

Nicolai de Cusa

(sensus)

unit l'un à l'autre. L'ordre de prééminence

les

raison. L'intellect

de

qui est intermédiaire entre l'intellect et

place la raison au-dessus

i

L'âme humaine nous

ses facultés, elle aussi, l'image

compose, en et

lib. III, cap. VI.

liber III, cap. VI et cap. VII.

:

Confide,


ETUDES SUR LEOXARD DE VINCI

Ï32

en

est

indépendant;

le sens,

au contraire, dépend du temps

et

soumis au mouvement, tandis que l'intellect plane dans une région plus élevée où s'exerce son intuition. Approfondissons davantage cette union de l'intellect et du

de l'espace

il

;

est

sens par l'intermédiaire de la raison

1 .

Nous devons, pour concevoir l'âme humaine, imaginer

comme

l'intellect

La lumière

tas).

comme

l'unité et le sens

descend en l'ombre sensuelle,

intellectuelle

monte

tandis que le sens

le

est produit, la raison,

un mouvement

descente et par

compose d'une

un mouvement de

d'ascension, est double; elle se

partie supérieure, qui est la plus voisine de

nommer

qu'on peut

l'intellect et

qui est

sens et l'intellect.

raison elle-même, produite par

Cette

double

vers l'intellect; et par ce

mouvement, un troisième degré intermédiaire entre

la diversité (alteri-

la faculté

appréhensive,

et

d'une partie inférieure, plus rapprochée du sens, à laquelle

on peut avons

attribuer le

de fantaisie ou d'imagination

;

nous

en l'âme humaine, quatre facultés qui en sont

ainsi,

comme

nom

De

en

est

deux, la sensibilité et l'imagination, qui s'exercent dans

le

les

quatre éléments.

ces quatre facultés

2

« il

corps, tandis que les deux autres, la raison et l'intelligence s'exercent hors

du corps».

Ainsi l'unité de l'intellect descend en la diversité

de

appréhensive

la raison

l'unité

;

de

et,

;

en

produit un

même

en la diversité

la raison

diversité

du

temps que ce mouvement de descente,

se

de l'imagination; l'unité de l'imagination en sens

(alieritas)

mouvement

la

d'ascension de chaque faculté vers la

faculté supérieure.

Pourquoi

de

cette descente

l'intellect vers le

de l'intellect est-elle de devenir sens?

tion

sens? L'inten-

Non

pas,

mais

d'acquérir sa perfection en devenant intellect en acte. L'intellect

est

la

puissance

de

connaître;

il

ne peut devenir

connaissance actuelle qu'en s'unissant au sens, qu'en devenant sens

;

il

se fait sens afin

de pouvoir passer de

à l'acte. L'intellect ne sort i.

Nicolai de Gusa

2.

Nicolai de Cusa De ludo globi lib,

De

la

puissance

donc de lui-même en descendant

conjecturis lib. III, cap. I.

XVI.


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

vers le sens que pour revenir à lui-même par

qui ferme

le

cycle de ce

de

passe à

augmente

perfection

se fait intelligible,

pour objet

dit, a

perfection

la

lorsque l'intellect comprend, sa puissance

l'intellect;

l'acte, sa

une ascension

mouvement.

Ce mouvement, nous l'avons

même

123

il

lors

;

donc que

progresse dans l'ordre de

l'intellect

l'intellect,

il

se

féconde lui-même. Plus

lumière de

la

pénètre profondément au sein

l'intellect

des espèces multiples du sens, plus à leur tour ces espèces

sont absorbées et unifiées dans la lumière intellectuelle; la diversité (alteritas) de l'intelligible tend de plus en plus à se

fondre dans l'unité de

de

l'intellect

que

la

l'intellect

;

en sorte que cette unité

devient de plus en plus parfaite au fur et à mesure

puissance intellectuelle tend à

intellectuel tend

l'acte; le

au repos.

vue de sa propre perfection que

C'est en

mouvement descend

l'intellect

vers le sens pour remonter vers lui-même; c'est aussi en vue

de

de la vie sensitive que

la perfection

Ainsi l'intellect ne descend point vers

l'intellect.

n'est

sens

le

pour que

le

sens

monte point vers

le sens.

Par

la

là,

le sens, si

même,

lui; et de

ce

sens ne

le

pour que

l'intelli-

descente de

l'intelli-

l'intelligence, si ce n'est

gence descende vers gence vers

monte vers

monte vers

du sens vers l'intelligence mouvement; les contraires sont

sens et l'ascension

le

ne sont qu'un seul

et

même

identiques, selon les principes de la Métaphysique de Nicolas

de Cues.

Ce double mouvement par lequel sens monte pour se rencontrer en explique tout

ne peut

le

mécanisme de

se trouver

la raison; rien la raison

;

patéticien

M. La

dans

l'intellect

charité, anion de

Diea

qui ne descende aussitôt en le

monte en

sens qui ne

le

fameux axiome

quod non prias fueril

et

de l'âme hamaine.

Nicolai de Cusa Jdiotœ lib. JII

;

De Mente;

cap.

III.

péri-

in sensu.

— Nicolas

de Cues nous a décrit de quelle manière l'intellect et I.

et le

raison intermédiaire

la

comprendre

Nihil est in intellectu

descend

connaissance humaine. Rien 1

ne peut tomber sous

et ainsi se doit :

la

l'intellect

le

sens se


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

124

trouvaient unis en l'esprit de l'homme. C'est d'une manière toute semblable qu'il conçoit, en la vie chrétienne, l'union

du

souverain bien, qui est Dieu, avec l'âme de l'homme. Nous ressentons en nous-mêmes une tendance qui déter1

mine un bien.

C'est le

c'est lui aussi

attire

mouvement,

certain

bien qui est

le

but de cette aspiration, mais

notre esprit. Notre esprit ne tient son désir du bien que

il

en

Notre

le

bien qui crée notre aspiration vers

vers Dieu

2

parce qu'elle désire s'unir à

la vie surnaturelle.

même, en

tendance

repos qu'en son principe.

âme tend donc

pour vivre de

de Dieu

c'est le

est à la fois le principe et la fin; et notre

ne peut trouver

lui

le

de cette tendance est

qui la détermine, lui qui, par sa propre force,

du bien lui-même; lui;

et l'objet

que

sorte

le

Mais ce désir,

mouvement de

aller à la vie, c'est-à-dire à Dieu, n'est autre

de Dieu vers nous.

Ici

elle le tient

notre

âme pour

chose que

venue

la

encore nous constatons l'identité des

contraires, principe de la Théologie de Nicolas de Cues.

Comme

tout

amour, l'amour entre Dieu

l'âme humaine

et

tend à transformer l'un en l'autre chacun des deux objets qui s'aiment, à mettre Dieu en nous et nous en Dieu

Amor

:

trans-

formatorim amantium. Cette formule est,

pour

la pierre

ainsi dire,

angulaire de

tout l'édifice métaphysique élevé par Nicolas de Cues. être, le

Cardinal Allemand découvre cette trilogie

:

En

tout

le sujet

qui

aime, l'objet aimé, l'amour qui les unit.

Le sujet qui aime sent en lui des puissances qu'il désire mettre en acte, afin d'accroître sa perfection; or,

il

ne peut

les

mettre en acte qu'en s'unissant à l'objet aimé, et c'est pourquoi il

l'aime.

L'objet aimé, de son côté, désire sortir de la puissance

demeurerait

si

le sujet

aimant ne

l'en tirait;

tence actuelle qui est sa perfection, et

il

il

aime

il

désire l'exis-

le sujet

en acte

qui, seul, peut la lui conférer.

Entre

le

sujet

aimant

et

l'objet

aimé naît

Cusa Cribrationis Alchoran prologus. Cusa Excitntionum ex sermonibus liber quoadusquc induamini. i.

Nicolai de

2.

Nicolai de

III;

ainsi l'amour,

Ex sermonc

:

Sedete


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

double aspiration qui qu'il

cherche

les unit,

l'objet, et

125

qui procède du sujet en tant

de l'objet en tant qu'il désire

le sujet;

chacune de ces deux tendances présente le même caractère; ce qui aime veut s'unir à ce qui est aimé et se transformer en Amor transformât amantem in amatum. lui

et

1

:

Mais lorsque

le

sujet

s'identifier à l'objet

aimant tend de tout son pouvoir

aimé 2

,

il

le fait

non pour devenir

à

autre,

mais pour être plus parfaitement lui-même; car sa propre vie et

son propre bonheur ne peuvent acquérir leur perfection

Ton peut vraiment dire en ce sens qu'un ami est un autre soi-même; ainsi le mouvement par lequel le sujet aimant se tourne vers l'objet aimé est identique au mouvement par lequel il tourne l'objet aimé vers lui-même. La descente du sujet aimant vers l'objet aimé, qu'autant qu'il est en l'objet aimé;

et

l'ascension de l'objet aimé vers le sujet aimant sont les deux

termes d'une opposition que

la docte

ignorance résout en un

harmonieux accord. Tel

est,

tracé à très grandes lignes,

le

plan du système

métaphysique que Nicolas de Gués a construit. Dans

les

cadres

dont nous avons donné une esquisse sommaire, une foule de

Nous ne saurions ici ni les exposer, ni les énumérer. Du moins, lorsque nous aurons à faire allusion à quelqu'un de ces détails, nous sera-t-il possible, par ce que nous avons dit, de déterminer les rapports qui l'unissent à

détails trouvent place.

l'ensemble de

la

doctrine.

IV Les sources ou Nicolas de Cues a puisé.

La Scolastique, la Philosophie néo-platonicienne, la Théologie d'Aristote.

Nous verrons que Léonard de Vinci Mais

les

a médité cette doctrine.

pensées qu'elle lui a suggérées tiraient-elles uniquement

i. Nicolai de Cusa Excitationum ex sermonibus liber V; Ex sermone Hic est verus propheta qui venturus est. 2. Nicolai de Cusa Excitationum ex sermonibus liber VIII Ex sermone Venite post me. :

;

:


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

126

leur origine de la raison de Nicolas de Gués? Celle-ci, à son tour,

pas débitrice de philosophes plus anciens?

n'était-elle

Nous n'aurions pas une exacte connaissance des liens qui unissent les réflexions de Léonard à la science des siècles précédents

nous ne disions quelques mots des sources aux-

si

quelles Nicolas de Cues a puisé.

Ces sources, détail et de

ne saurait

il

rechercher ce que la

Brixen doit à chacune d'elles

Le Cardinalis Teulonicus thèque

était

énumérer en philosophie de PÉvêque de

être question de les

;

en

était

effet, elles

sont innombrables.

éminemment

érudit

;

sa biblio-

remarquablement riche pour son temps; aussi

œuvres sont -elles nourries de

ses

la lecture des auteurs païens,

grecs ou latins, aussi bien que des rabbins juifs, des penseurs

arabes et des théologiens chrétiens

immense

si

.

nous prétendions relever

Notre tâche serait donc

de tant d'in-

les traces

Nous ne tenterons pas un

fluences diverses. et

1

nous nous contenterons de dire quelle

pareil travail,

est

l'origine de

prédominer en l'œuvre de

certaines tendances qui paraissent

Nicolas de Cues.

Ce profond métaphysicien semble avoir été préoccupé, en premier lieu, des antinomies auxquelles se heurte la raison

humaine pour

toutes les fois qu'elle veut sortir de l'analyse

contemplation de

s'élever à la

Une

telle

du

fini

l'infini.

préoccupation n'avait rien, chez un penseur de

son temps, qui ne fût parfaitement naturel. Les recherches des logiciens

du xiv e

siècle,

des Guillaume

d'Ockam

et des

Albert

de Saxe, avaient contribué plutôt à formuler nettement ces

antinomies qu'à

les

résoudre

;

et certains

des plus brillants

disciples de ces maîtres, tel Marsile d'Inghen, n'hésitaient pas

à déclarer que ces antinomies étaient insolubles.

Ces

antinomies

qui

semblent

raison

notre

à

d'insur-

montables contradictions, Nicolas de Cues admet qu'elles se concilient

encore,

il

dans

l'intelligence

n'innove guère

;

dès

transcendante le

xm

e

de

Dieu.

Ici

siècle, certains théolo-

giens cherchaient à concilier de la sorte l'enseignement de la i.

On

auteurs

aura une idée de l'érudition de Nicolas de Cues dans VApologia doclœ ignoranliœ.

cités

si

l'on relève la liste des


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

monde est éternel, monde a été créé dans le

philosophie péripatéticienne, selon lequel et le

dogme

chrétien, selon lequel le

I27

le

temps; de leurs tentatives, nous avons pour témoin

le

décret

« Il est de 1277, où Etienne Tempier condamne cet article impossible de résoudre les raisons d'Aristote en faveur de :

l'éternité

du monde,

moins de prétendre que des choses non

à

coinpossibles peuvent être impliquées en la volonté de Dieu.

En beaucoup de

doctrines philosophiques, les antinomies

se dressent lorsque le

apparaissent

comme

objections à écarter.

système entier

est

le

:

Au

pose un

tel

si

comme

y

des

distingue de toutes celles qui

la

la plus formelle

du minimum qui surpasse tout nombre.

Toutefois,

elles

postulat fondamental sur lequel elle repose

lui-même une antinomie,

de ce

construit;

contraire, la doctrine de Nicolas de

concevoir, l'identité et

est

des difficultés à surmonter,

Cues présente ce caractère, qui l'ont précédée

»

et

originale que soit la

on

principe,

du maximum, de

méthode

tromperait,

se

qui se puisse l'unité

qui, à ses débuts,

croyons-nous,

en

prétendant que l'Fvêque de Brixen a imaginé de toutes pièces cette

hypothèse, sans qu'aucun écrit plus ancien pût

suggérer. Ne transparaît -elle pas, en selon laquelle l'unité est identique au ce passage des Ennéades

1

effet,

cette

maximum

où Plotin cherche à

la lui

hypothèse

absolu, dans

définir l'unité de

Dieu?

«Dans quel

sens

disons -nous qu'il

manière comprendrons -nous

est

un? De quelle

mieux possible cette affirmation? Evidemment nous devons donner au mot un une signification plus complète que celle où nous le prenons ordinairement lorsque nous parlons de l'unité. Dans ce dernier cas, en effet, l'esprit fait subir une suite de soustractions à la grandeur ou au nombre; il parvient enfin à un minimum; il s'arrête à une certaine chose qui est, il est vrai, un individu, mais qui faisait partie

qui

était

le

d'une certaine multitude susceptible de division

comprise en un autre

pas impliqué en

un

objet.

autre objet;

1. Plotini Ennéades; Enneadis sextae Didot, Paris, i855; p. 534).

lib.

il

Mais l'Un lui-même n'est

ne réside pas en une multi-

IX, art. 6 (Édition

Ambroise Firmin-


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

128

tude; son individualité n'est pas celle d'un

en

effet, le

maximum

en puissance.

de toutes choses, non en grandeur, mais

Un, que Plotin place au sommet

de tous

les êtres, concilie

comme

les concilie le

L'Un de Plotin

est la

est tout acte

il

Il est,

»

D'ailleurs, cet

temps,

minimum.

en sa substance

maximum

les contradictoires,

absolu de Nicolas de Cues.

puissance de toutes choses

De même

2 .

et à l'origine

le

1

maximum

et,

même

en

absolu, selon

Nicolas de Cues, est, à la fois, la puissance suprême et l'acte

pur.

Ces rapprochements ne sont pas faire entre

la

les seuls

philosophie de Plotin

que

celle

et

l'on puisse

de Nicolas de

Cues. Nous avons entendu, par exemple, l'Évêque de Brixen

comment

nous exposer comment Dieu

est

toutes choses sont en Dieu.

Ne doit-on pas croire que

en toutes choses

et

cette

doctrine s'inspire des passages où Plotin décrit l'existence de

l'âme universelle au sein des âmes particulières et des âmes particulières

au sein de l'âme universelle? Ces passages des

Ennéades sont trop nombreux pour que nous songions à reproduire

ici;

les

contentons -nous de citer l'admirable résumé

qu'en a donné Félix Ravaisson 3

«...L'âme universelle

:

est tout entière

dans chacune des

demeure aussi, par conséquent, tout entière en elle-même. Elle se donne ainsi à la multitude des âmes particulières, et en même temps ne se donne pas. Elle s'abandonne à toutes et n'en demeure pas moins une. L'âme universelle n'empêche pas les âmes particulières, ni celles-ci n'empêchent l'universelle. Quelque peine qu'ait notre esprit à se persuader une chose si étrange, âmes. Et partout présente sans aucune division,

l'unité, ici,

à l'unité. «

fait

pas obstacle à la multitude, ni la multitude

»

L'âme universelle

même i.

ne

temps

;

et

est

une,

et elle est toutes les autres

en

cela ne veut pas dire qu'elles viennent se

Plotini Ennéades; Enneadis

lib. IV, art. 2

quintœ

lib.

1,

art.

7

(édition Didot,

p.

3o3) et

(édition Didot, p. 3a8).

2.

Plotini Ennéades;

3.

Félix

pp. 391-392.

elle

Havaisson,

Enneadis

sexta? lib. VIII, art. 20 (édition Didot, p. 5aG).

Essai sur la Métaphysique d'Aristote, Paris,

i8'iiî.

tome

11,


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

perdre en

Seulement

elle.

d'où

elles restent là

en partent,

elles

elles partent. Tels

et

I29

en

même

temps

sont les rayons consi-

dérés dans leur point de départ et leur

commune

origine, le

qui se multiplie en eux, et qui n'en demeure pas

centre,

moins un

et indivisible. »

Ces rapprochements,

que l'on pourrait multiplier, nous

permettent d'affirmer que

la

pensée de Plotin a profondément

influé sur la pensée de Nicolas de Gués. Mais les Ennéades

paraissent

pas

être

l'Évêque de Brixen

la

source

seule

ait puisé.

néo-platonicienne

semble bien que

Il

aient recueilli la doctrine de l'auteur

tions

composé

la Théologie d'Aristote

ne

ses médita-

inconnu qui a

1 .

L'ouvrage intitulé Théologie d'Aristote ou Philosophie mystique selon les Égyptiens est

un

écrit néo-platonicien, l'une des

dernières œuvres notables de la philosophie grecque. «

son

Le texte en

est

«ce texte

2 ;

malheureusement perdu,

existait

encore du temps de saint

d'Aquin, qui atteste l'avoir vu. paroles de

saint

dit F. Ravais-

»

Thomas 3

:

«

Voici, en effet, les propres

»

Hujusmodi autem quaestiones

certissime colligi potest Aristotelem scripsisse

quos patet

eum

in his libris

scripsisse de substantiis separatis, ex his quae

dicit in principio

duodecimi Metaphysicae, quos etiam libros

vidimus numéro decimoquarto, lingua nostra.

Thomas

licet

nondum

translates in

»

Thomas, en ce passage, dit bien que l'écrit en quatorze qu'il a vu n'était pas encore traduit « in lingua nostra »,

Saint livres

c'est-à-dire en latin;

il

ne nous

dit pas

s'il

était

rédigé en grec

ou en arabe. Le témoignage du Docteur Angélique ne vaudrait donc pas contre ceux qui veulent voir dans la Théologie d'Aristote

un apocryphe islamique,

au préambule de l'édition latine

et

qu'il a

non pas

hellénique. Or,

donnée en 1572,

et

dont

1. Sur ce curieux ouvrage apocryphe, on peut consulter Félix Ravaisson, Essai sur la Métaphysique d'Aristote, Paris, i846; tome II, pp. 54a555. (Cet écrit renferme un excellent résumé des doctrines de la Théologie.) Ernest Renan, Averroes et l'Averroïsme, essai historique, Paris, i852 p. 70 et p. 100. Carra de Vaux, Avicenne, Paris, 1905; p. 73. 2. Cf. Félix Ravaisson, loc. cit. } p. 542. 3. Sancti Thomce Aquinatis Opuscula; opusc. XVI: De unitate intellectus :

;

advenus

Averroistas. P.

DUHEM. y


.

ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

l3o

nous parlerons dans un instant, Jacques Charpentier nous apprend que cette opinion avait été soutenue, au xvi e siècle, par Thessalus Methodicus en

de ses Scholse meta-

la préface

physicœ; d'autre part, sans nier l'origine hellénique de la

Renan reconnaît composée par un Arabe »

Théologie d'Aristote, croire

La version arabe

.

fils

Il

fils

le

préambule de

de Naïmah, originaire de

a été ensuite amélioré

pour Ahmed,

Abou Youssouf Yacoub,

Billah, par

La soi-disant Théologie grande influence sur causes, autre

les

fils

fils

d'Ahmed Motassem

musulmane

parut, à

fit

nous en font connaître

la

le livre

.

plus

Des

elle fit

les doctrines

néo-

d'El-Kindi, d'Alfaet

d'Avicébron des

ne connaissaient pas 4

Rome, une traduction

d'Aristote*. Les épîtres dédicatoires qui

.

latine de la Théologie

précèdent cette traduc-

l'histoire.

un humaniste, Francesco Roseo, voyageant en découvrit à la bibliothèque de Damas un exemplaire

i5i6,

Syrie,

de la traduction arabe de se

en

d'Émesse.

certainement

d'Avempace, d'Avicenne, d'Averroès

En i5iq

la ville

apocryphe également attribué à Aristote,

disciples de Plotin et de Proclus, qu'ils

il

pourrait

cet exemplaire,

penseurs arabes. Avec

platoniciennes de l'École d'Alexandrie et

En

«

de Ishac Alkendy 3

d'Aristote eut

pénétrer dans la philosophie

rabi,

la

grec aurait été traduit en arabe par Abd-Almessyh,

d'Abd-Allah,

tion

qu'on

existe encore; la Bibliothèque nationale

possède un exemplaire 2 Selon le texte

1

la Théologie d'Aristote; à prix d'or,

procura clandestinement cet ouvrage important dont on

connaissait l'existence, mais que l'on croyait perdu. Francesco

1.

2.

E. Renaû, Averroes et VAverroïsme, p. 70. Gf; Félix Ravaisson, loc. cit., pp. 54a-5i3.

3. Selon M. Carra de Vaux (loc. cit., p. 73), la première traduction serait l'œuvre d'ibn Nâimah d'Émesse* qui l'aurait donnée aux environs de l'an 226 de l'hégire (84o de noire ère); la revision de cette traduction aurait pour auteur le célèbre El-Kindi lui-même. Le même érudit nous apprend que le juif Moïse ben Ezra parle de cet écrit apocryphe en le nommant Dedolach. Voir à ce sujet Ernest Renan, Averroes et VAverroïsme, pp. 70-71 et p. 100, et tout /j. l'ouvrage de M. Carra de Vaux sur Avicenne. 5. Sapientissimi philosophi Aristotelis Stagiritae Theologia sive mistica Phylosophia secundum Aegyptios noviter reperta et in latinum castigatissime redacta. Cum privilegio.

Colophon

Excussum in aima urbium principe Ronia apud Iacobum Mazochium Academia> bibliopolam. Anno lncarnatiouis Dominions MDX1X. kl. Iunii. Pont. Sanct. D. N. D. Lconis X. Pont. Max. Anno eius Septimo.

Romanœ

:


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

l3l

Roseo rapporta son acquisition à Chypre où un Rova, en

une traduction

fit

littérale

philosophe

Un peu

et

médecin de Faenza.

plus tard, en

Charpentier donna

à Aristote,

savant humaniste Jacques

le

1572,

une paraphrase plus élégante de

1

première traduction

latine.

platoniciennes

les

.

Il

On y

reproduits presque

du sixième

Ravaisson

dit 3

Il

ne faudrait pas,

emprunts

qu'il a faits à

au sujet de

,

Théologie

la

rencontre souvent des passages de Plotin,

mot pour mot;

livre, le chapitre III

et

»

il

cite les chapitres II à

du huitième

de Vaux va plus loin encore, car d'Aristote est

parti-

la Philosophie mystique selon

toutefois, exagérer l'importance des

cet ouvrage. Félix

en

est certain,

Égyptiens a lu les Ennéades de Plotin.

«

avait

2

que l'auteur inconnu de

:

il

;

nombreuses des influences

traces

Ces influences ne sont pas niables.

cf Aristote

attribué

livre

imprégné d'idées Alexandrines

tout

pris soin d'y relever

culier,

en ce

D'ailleurs,

cette

Jacques Charpentier avait fort justement soupçonné

un apocryphe,

écrit h

il

livre.

que

«

nous semble-t-il;

c'est

la Théologie

Porphyre a réuni

les

Des passages

cités

»

dénaturer, en les exagé-

apocryphe

rant, les rapports très réels de notre

V

M. Carra

formée d'extraits des Ennéades IV à VI de Plotin.

C'est trop dire,

î.

cette traduction

en italien;

son tour, mise en latin par Pietro Nicolo de Gastellani,

fut, à

les

Moïse

juif,

et

de

l'écrit

enseignements de Plotin. par M.

Ravaisson

comme empruntés

Libri quatuordecim qui Aristotelis essè dicuntur, de secretiorê parte divinœ sapientiaî

secundum /Egyptios. Qui, si illius sunt, ejusdem metaphysica vere continent, cum Platonicis magna ex parte convenientia. Opus nunquam Lutetiae editum, ante arlnos quinquaginta ex lingua Arabica in Latinam maie conversum, nunc vero de integro recognitum et illustratum scholiis, quibus hujus capita singula, cum Platonica doctrina sedulo conferentur. Per Jacobum Carpentarium, Claromontanum Bellovacum. Parisiis, ex officina Iacobi du Puys, è regione collegii Cameracensis, sub insigne Samaritanae. 1572. Ex privilégie- Régis. La paraphrase de Jacques Charpentier a été reproduite dans les trois éditions des œuvres complètes d'Aristote données au xvii' siècle par Du Val Aristotelis Opéra omnia quse extant, grae.ee et latine, veterutn

:

ac recentiorum

interpretum studiis emendatissima.

perpetuus commentarius authore Guillelmo Regiis,

MDCX1X

MDCLIV(tomus

(tomus

II).

Ibid.,

MDCXXIX

.

.

Du

Huic editioni

accessit breVis

Val.

Parisiorum, typis

(tomus

II).

Lutetiae

Parisiis,

apud

J.

ac

Billaine,

IV).

2. La Théologie d'Aristote a été traduite en allemand par Dieterici sous le titre: Die sogenannte Théologie des Aristoteles, 2 vol., Leipzig, 1882-1883» 3. Félix Ravaisson, loc. cit., p. 5/»4. Carra de Vaux, loc. cit., p. 78. 'a.


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCÎ

l32

presque mot pour mot à Plotin, choisissons celui qui ressemble le plus au texte des Ennéades et mettons-le en présence de ce texte.

s'agit

Il

Monde

le

d'exposer la théorie platonicienne selon laquelle

modèle du Monde

intelligible est le

comment

tout d'abord,

parle Plotin

*

sensible. Voici,

:

Ce Monde-ci est fabriqué comme à l'exemple de celui-là faut donc que là, plus encore qu'ici, l'Univers soit un être «...

il

animé

;

;

choses.

et

comme

Il

faut

son essence est parfaite,

donc que

même du

vivante que notre terre

elle doit

les

animé.

puisqu'on constate qu'il y a de notre Monde et qu'en ces étoiles, ciel.

ne peut non plus être vide renfermer tous

soit

d'étoiles,

des étoiles dans le ciel réside l'essence

faut qu'il soit toutes

du Monde supérieur

le ciel

ne saurait être vide

Il

il

;

;

La

terre de ce

elle est

Monde supérieur

certainement bien plus

de vie

elle doit être pleine

animaux

terrestres qui

;

marchent

elle doit ici

-bas;

porter les plantes qui sont enracinées en notre sol.

aussi,

y a une mer; et dans cette eau, bien qu'elle forme

il

des fleuves dénués de cours, on trouve toute la vie qu'on

trouve en nos eaux, tous nos animaux aquatiques. La nature

de

l'air

qui se trouve en ce

cet Univers

en cet

;

à sa nature.

monde -là

air sont des

fait

animaux

également partie de aériens appropriés

»

Écoutons maintenant l'auteur de

la Théologie d'Aristote trai-

du même sujet 3 « Nous affirmons que ce Monde sensible l'image de l'autre Monde; partant, comme tant

:

vivant,

notre

il

faut à plus forte raison

Monde

est parfait, l'autre

que

le

Monde

en entier,

est, le

second

premier

est

soit vivant. Si

est plus parfait encore,

car c'est ce dernier qui envoie au premier la vie, la puissance, la perpétuité.

Puisque

degré de l'absolu,

il

cet

Univers supérieur est au plus haut

douteux que

n'est pas

les

êtres qu'il

contient participent de l'absolu plus que les êtres de notre

Monde. En de vertus •i.

cet autre stellaires,

Monde, donc,

comme

les

y a d'autres cieux, pourvus cieux de notre Univers; mais il

Plotini Ennéades; Enneadis sextœ lib. VI, art.

ia (Éd.

Firmin-Didot,

p. 484.)

qua3 species sunt in Mundo infcriori sunt ctiam in superiori, et qualcs ibi sint. Éd. i5uj, fol. 35* verso; éd. 1072, a.

Aristotelis

Theologiœ

lib. VIII,

loi, 05, verso, et fol. 6G, recto.

cap. III

:

Quod


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

l33

ceux-là sont d'une espèce plus élevée, plus lucide, plus puissante que

aucune distance ne

une

existe

vivante

comme

ceux-ci; en outre,

dont

terre

les

sépare les uns des autres. Là aussi

la

substance n'est point inanimée, mais

sur cette terre se trouvent des

;

sont incorporels,

ils

à ceux qui peuplent la nôtre, mais

ils

animaux semblables

sont d'une espèce autre

y a des plantes odorantes et des fleurs comme celles qui ornent nos jardins; il y a des eaux qu'une force animée fait couler; il y a des animaux aquatiques plus nobles et

plus parfaite;

il

que

les

dans

cet air, des

nôtres

en ce

;

Monde

animaux qui

y a de l'air, et sont propres et dont la vie

supérieur,

lui

il

animaux du Monde supérieur aient une commune nature avec ceux du Monde simple

est

inférieur,

douée d'immortalité. Quoique

ils

sont cependant

ceux-ci; étant intelligibles,

ils

les

d'une plus haute dignité que

sont perpétuels et inaltérables.

La ressemblance de ces deux pièces

n'est pas douteuse

teur de la seconde a sûrement imité la première, mais

mot pour mot;

pas copiée

il

il

;

»

l'au-

ne

l'a

a accentué certaines nuances que

Plotin s'était contenté d'indiquer; beaucoup plus que celui-ci, il

a insisté sur les différences qui distinguent le

gible

du Monde

intelli-

sensible.

La comparaison des chapitres que crent à la magie

Monde

donne

1

lieu à des

les

deux ouvrages consa-

remarques analogues;

l'au-

teur de la Théologie d'Aristote s'y est assurément inspiré des

Ennéades ; mais, moins encore qu'en l'exemple précédent, n'est possible de constater

une reproduction

il

textuelle.

du Pseudo-Aristote ne saurait faire doctrine s'accorde fréquemment avec

D'ailleurs, l'originalité le

moindre doute

la

philosophie de Plotin,

;

si

sa

elle s'en écarte

souvent, et les diver-

gences portent sur des questions essentielles.

Tout

monde

le

connaît en ses lignes principales

des émanations, telle que Plotin

i

.

livre

Les chapitres

IV de

la

II

à

V du

2.

III et

On en

formulée 2

doctrine

.

sixième livre de la Théologie d'Aristote sont imités du L'article 4o de ce livre IV a inspiré le chapitre II de

quatrième Ennéade.

la Théologie; l'article 43 a inspiré le

chapitres

l'a

la

chapitre III; l'article 44, enfin, a inspiré les

IV.

trouve

un

exposé, aussi clair que profond, dans

sur la Métaphysique d'Aristote,

tome

II,

pp. 382-467.

:

Félix Ravaisson, Essai


1

LÉONARD DE VINCI

ÉTl DES SUR

34

Au sommet pur

l'acte

et

des êtres se trouve l'Un absolu, synthèse de

de

puissance suprême

la

par voie d'émanation,

;

l'Un crée l'Intelligence, et l'Intelligence crée l'Ame du Monde.

L'Un, l'Intelligence, l'Ame du Monde, hypostases de

telles

Trinité divine selon Plotin

la

sont

les

trois

chacune de ces

;

hypostases, créée par celle qui la précède, lui demeure infé-

L'Ame du Monde

rieure en perfection.

Monde;

le

Monde

le

modèle du Monde

d'abord,

intelligible

son tour crée

à

sensible, et dont celui-ci tire son être.

En

Théologie d'Aristote, cette doctrine subit des modifi-

la

cations profondes. L'Intelligence active (Intellectus agens) n'est plus la première

des créatures de l'Un suprême. La première créature de Dieu

Verbe ou

est le tellect

agent

3

la

et,

Pensée divine

1 .

Verbe qui crée

C'est ce

par l'intermédiaire de

l'In-

l'Intellect agent, toutes

les autres créatures.

F.

Ravaisson a fort justement attribué

du Verbe entre l'Un

cette introduction

3

et l'Intelligence active à

une influence des

philosophies juives et chrétiennes, à une imitation des théories

du Aàyoç données par Philon nous entendons l'auteur de que en

Verbe créateur

« le

est le

est

produit premier

le

la

Juif et par saint Jean.

En

effet,

Théologie d'Aristote déclarer

un avec

4

substance de Dieu, qu'il

la

absolu, qu'il en est la bonté et la

et

volonté. C'est le Verbe qui a produit tous les êtres grossiers

du Monde sensible

Monde

intelligible;

gence active

est aussi

lignes sans songer gile

de saint Jean

cord avec le

aussi bien

la

car tout ce qui est

formé par

le

Verbe.

et qu'il a

êtres

les

subtils

formé par »

que l'auteur connaissait

On ne le

du

l'Intelli-

peut

lire ces

début de l'Évan-

cherché à mettre sa doctrine d'ac-

doctrine de cet Évangile, autant du moins qu'il

pouvait faire sans nier L'auteur de la i.

que tous

du Verbe.

la création

Théologie d'Aristote unit

Aristotelis Theologiœ lib.

X, cap. XIII. Éd. i5ig,

fol. 5a,

si

intimement

le

recto; éd. 1572, fol. 89,

recto. 2.

Aristotelis Theologiœ lib. X, cap.

XV. Éd.

1

5iq, fol. 54, recto; éd. 1672, fol. 92,

recto. 3. t\.

recto,

F. Ravaisson, Essai sur

la

Métaphysique d'Aristote, tome

Aristotelis Theologiœ lib. X, cap. XIII. Éd.

1

5

1

»

)

,

fol. 5a,

p. 5^8. recto; éd. 1572,

II,

fol. 89,


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

Verbe

à l'Unité absolue qu'il

lorsqu'il

énumère

nomme

il

ne

successivement Dieu,

parfois

l'être;

1

Verbe, créature de Dieu

le

plus voisine de l'Intelligence, l'Intelligence active, l'Ame

la

universelle et la Nature; parfois l'Intelligence,

l'Ame

2

désigne seulement Dieu,

il

Nature.

et la

L'Intelligence qui, dans l'ordre des créatures, vient

diatement après

Verbe, préside au

le

Monde

immé-

intelligible; toutes

autres substances intelligibles subsistent en cette Intelli-

les

gence, qui est la source de leur force 3

De

l'Intelligence, idée

forment

Monde

le

du monde

est

forme pure

première, incréée

et

,

le

exempte de toute matière, récep-

Bien que l'Ame du

Monde

sensible,

que corporels

matière

et

;

elle

la

ensemble de tous

tous ceux-ci sont formés

de la forme.

Monde doive

Monde

être

comptée au nombre

simultanément de deux manières d'être inférieur 5

Par

la

Monde

:

;

elle est

douée

l'une, plus noble,

supérieur; l'autre, plus humble, au

Monde

.

puissance de l'Intelligence, dont

l'Ame universelle informe opération, crée la Nature 6

La Nature

i.

Monde

sensible; elle est la fin des essences

intelligibles et le principe des essences sensibles

convient au

Matière

engendre

des substances divines, elle est intermédiaire entre le intelligible et le

qui

l'Ame du monde. L'Ame

dépourvue de toute forme,

les êtres tant spirituels la

4

les idées

formes séparées. En informant

Nature, qui contient

par l'union de

.

pure en qui sont toutes

intelligible, naît

tacle de toutes les

la

35

l'en distingue pas toujours

processions de

les diverses

1

est,

dans

le

la

elle est la créature,

Matière première

et,

par cette

.

Monde

sensible, ce

que l'Intelligence

Aristotelis Theologiœ lib. VII, cap. III. Éd. i5iq, fol. 3a, verso; éd. 1572, fol. 57,

recto. 2.

Aristotelis Theologiœ lib. VII, cap.JII. Éd. i5i9, fol. 32, recto; éd. 1572, fol. 56,

recto et verso. 3.

Aristotelis Theologiœ lib. VII, cap. IV. Éd. i5ig, fol. 3a, verso; éd. 1572, fol. 58,

recto. 4.

Aristotelis Theologiœ lib. XIII, cap. VI. Éd. i5ig, fol. 80, recto; éd. 1572, fol. i32,

verso. 5.

Aristotelis Theologiœ lib. VII, cap. V. Éd. i5ig, fol. 33, recto; éd. 1572, fol. 58,

verso. 6.

Aristotelis Theologiœ lib.

I,

cap. VI. Éd. i5iç), fol. 4, verso; éd. 1572, fol. 7, recto.


1

ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

36

est

dans

Monde

le

précède

intelligible; elle

les diverses

sub-

stances sensibles qui sont susceptibles de génération et de

corruption

en

elle

1 ;

est le principe

2 .

C'est par la puissance de l'Intelligence

Nature; en sorte que l'Intelligence créatrice de la Nature.

De même,

en

est,

les

que l'Ame produit

définitive, la cause

substances intelligibles

sont les principes qui engendrent les substances sensibles 3

Monde tire

sensible est ainsi l'image

son existence

la

du Monde

intelligible

.

dont

Le il

et sa beauté.

Cette procession, qui va de l'Intelligence à l'Ame et de l'Ame à la Nature, n'a rien qui ne s'accorde fort bien avec les ensei-

gnements de Plotin la doctrine

;

tout au plus, entre ces enseignements et

qu'expose la Théologie

d' Aristote,

peut-on signaler

des distinctions de nuances. Le Pseudo-Aristote, par exemple, insiste,

beaucoup plus fortement que ne

l'avait fait Plotin, sur

intermédiaire qui est dévolu à l'Ame universelle;

le rôle

tence de cette

Ame

partage entre

se

le

Monde

l'exis-

intelligible et le

Monde

sensible; elle est à la fois la dernière des substances

divines

et la

première des substances sensibles.

Mais voici une théorie en laquelle l'auteur de d'Aristote

marque une plus grande

Non pas

qu'elle se présente à

sans aucun lien avec

le

Théologie

la

originalité.

nous absolument imprévue

passé; bien au contraire,

et

serait aisé

il

de relever certaines pensées, émises par d'anciens auteurs,

et

qui l'ont pu suggérer.

De

nombre

ce

Il

ajoute

manque

5

que

les

(uXiq),

la

la

forme

forme ne

i.

trois principes, qui

(vèoc) et la privation

pas d'elle-même; elle ne désire pas

comme

par lesquelles

(<rcépKj<nç).

se désire pas elle-même, car elle

tion, qui serait sa destruction; «

considérations

que toute chose résulte de

Aristote établit 4

sont la matière

seraient

mais

l'épouse désire l'époux et

la

non plus

matière désire

comme

ne

la privala

forme

le laid désire le

Aristotelis Theologiœ lib. III, cap. IV. Éd. i5ic), fol. 16, recto; éd. 1572, fol. 25,

verso. 2.

3.

Aristotelis Theologiœ lib.

I, cap. VI, Éd. i5ig, fol. 4, verso; éd. 1572, fol. 7, verso. Aristotelis Theologiœ lib. VII, cap. III. Éd. i5ic), fol. 3a, verso; éd. 1672, fol. 57,

verso. U. 5.

Arislote, <I>jatxr,ç àxpoàaeo); xb A, Ç (Physicx auscultationis lib. <f>u<riXY); àxpoâasto; xb A, r\ (Physicœ auscultationis lib.

Aristote,

I, I,

cap. VII). cap. VIII).


beau

Par

)>.

que

trine

à peine

NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

l37

en quelque

sorte, la doc-

là, le

Stagirite prépare,

la Théologie

s'il

indique

nom; mais

développera sous son

c'est

point de départ de la théorie que va lui

le

prêter l'auteur apocryphe. laquelle la Philosophie mystique selon les

Cette théorie, à

Égyptiens créatrice

de continuelles allusions, concerne l'opération

fait

elle est

;

une

très

heureuse

thèse d'une Métaphysique très

et très

remarquable syn-

purement péripatéticienne

et

d'une Théologie d'origine juive ou chrétienne.

Deux

principes, empruntés de toutes pièces à la Métaphy-

sique d'Aristote, dominent toute la doctrine.

En premier

qui est en puissance ne peut passer à

lieu, ce

que par l'œuvre d'un être qui, déjà, se trouve en acte; toute mise en acte est donc logiquement postérieure à l'acte

l'existence de l'agent

En second l'existence

1 .

l'existence

lieu,

en acte

en puissance 2 en sorte que

le

,

sance à l'acte perfectionne

l'être

qui

plus noble que

est

passage de

le subit.

Toute substance existe actuellement par l'union de et

de

la

forme 3

;

elle

la puis-

la

matière

devient plus parfaite lorsqu'en elle la

met

matière, c'est-à-dire la puissance, reçoit la forme qui la

en acte; toute matière a donc appétit de matière, cette forme est imprimée par plaire et le

donc ce le

modèle de

cet être

en qui

la

un

forme. Or, en la

la

être qui est l'exem-

substance à produire la matière désire

est sa

;

forme

;

elle se

meut

vers lui

et,

par

mouvement, acquiert l'existence actuelle. L'exemplaire est moteur de ce mouvement. De moteur en moteur, on remonte

ainsi jusqu'à Dieu,

que toutes

se

en sorte que toutes choses désirent Dieu,

meuvent vers Dieu, que

lement par Dieu. Seul, Dieu, étant à

toutes existent actuel-

la fois toute -puissance et

tout acte, ne désire rien en dehors de lui-même, en sorte que ce premier

i.

moteur de toutes choses

est

absolument immobile.

Aristotelis Theologias lib. III, cap. III. Éd. i5ig, fol. 4, verso; éd. 1572, fol. 24,

recto. 2.

Aristotelis Theologiœ lib. III, cap. III. Éd. i5ic), fol. 5, recto; éd. 1572, fol. 24,

verso. 3.

Aristotelis Theologiœ lib. IV, cap.

éd. 1572,

fol. 3i,

recto et verso,

I.

Éd. 1519,

fol. 18, verso, et fol. 19,

recto;


r

ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

38

Appliquons

doctrine à

cette

substance lorsqu'on

première

la

ce

dépouille de toute forme, à la Matière

1 .

La Matière première proprement

ment qu'à

la

une forme pour en recevoir une

mouvement;

Matière première est susceptible de

la

consiste à recevoir

comme

une forme

un

produit par

celui-ci est

forme

elle n'existe actuelle-

;

condition d'être informée, et ses transformations

consistent à perdre

ment,

vide de toute forme,

dite,

ne peut avoir aucune existence

n'a et

ment

quoi se résout toute

à

et,

;

comme

autre.

mouvemouve-

ce

tout

désir; la Matière a appétit de

l'imparfait a appétit de la perfection,

comme

l'œil désire la vue,

La

femme

comme

un mari. C'est ce Matière première le mouvement par

désir qui produit en la

la

désire

lequel elle reçoit la forme; et cette réception de la forme est l'opération qui lui

donne

ment, actas

in potenlia,

engendre

la

entis

s'il

selon

en sorte que ce mouvela définition

2 ,

Dieu ne

ne produisait un

serait pas principe et souverain

être, l'Intelligence active,

recevoir l'illumination de sa splendeur;

produise cet

d'Aristote,

perfection de l'être qui va à l'acte.

Mais, d'autre part

bien

l'existence,

être. Et,

de

même,

il

capable de

convient donc qu'il

convient que l'Intellect pro-

il

œuvre capable d'être éclairée par lui. Et l'Ame, à descend du Monde supérieur dans le Monde inférieur,

duise l'Ame,

son tour, afin

de pouvoir manifester

Nature, enfin,

son impression

et

dessous de lui et

imposer sa forme, qui puisse recevoir

qui

l'être

l'attire

chacun de ces

qu'il contient

i.

a besoin d'un objet inférieur

par

soit,

elle, attiré

en haut. Ainsi,

êtres qui s'échelonnent entre l'Un et la Matière

première agit sur

Si

puissances que sa vie recèle. La

œuvre de l'Ame,

à elle auquel elle puisse

chacun des

les

qui se trouve immédiatement

au-

vers lui.

êtres agit ainsi sur l'être inférieur

en lui des forces

Aristotclis Theologiœ lib. IV, cap.

IT.

et

des puissances;

Éd. i5ig,

fol.

19, recto;

éd.

il

1

3 ,

c'est

désire

572, fol. 3a,

recto et verso. 3.

Àristolelis Theologiœ lib. VII, cap.

éd. 1573, 3.

fol. 56,

II.

Éd. i5

19,

fol.

3i, verso, et 3a, recto;

recto et verso.

Aristolelis Theologiœ lib. Vil, cap. III. Éd. i5ig, fol. 33, recto; éd. 1673, fol. 56,

Yerso, fol. 57, recto et verso,


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

1

3g

mettre ces forces en œuvre, transformer ces puissances en actes;

pour cela

faut

il

une matière capable de

qu'il trouve

subir ces opérations, capable de recevoir la forme qu'il veut

imposer.

lui

En

bas, donc,

une puissance qui veut passer

matière qui désire

développer

la

puissance vers l'acte;

la

qui produit l'objet

et

mouvement d'asen haut, mouvement par

En

capable de recevoir ses opérations.

cension de

une

forme; en haut, un agent qui aspire à

pouvoirs contenus en lui

les

à l'acte,

bas,

lequel l'agent descend vers son objet afin de l'attirer vers lui voilà ce

que nous trouvons en toute création.

C'est le créateur

1

qui envoie à la créature ce désir du bien,

cet appétit qui la

meut vers

est le réceptacle

au sein duquel

pourront produire leur

au créateur

lui, et

effet.

envoie parce qu'elle

le lui

forces qui sont en lui

les

Lors donc que

de l'imiter,

afin

il

par

c'est

lui

la

créature aspire

qu'elle est

Comme

le

ment

produit par un moteur extérieur qui en est à

est

et la

cause finale, a quo

et

le

créateur désire

développeront leurs

ses forces

effets

la Théologie d'Aristote l'a déjà,

avant le

;

lui,

second,

comparé il

;

la

comme

à l'amour de la

lui

donnera

créature en laquelle

premier

le

la fois la

ad quem.

La créature en puissance désire l'agent qui l'existence actuelle

mue.

mouve-

veut la Philosophie péripatéticienne, son

cause efficiente

de

;

désir, l'auteur

Aristote l'avait fait

femme pour son époux;

va l'assimiler à l'amour du mari pour son épouse.

Le double mouvement de créateur vers

la

complète dans

le

la

créature vers

le

créateur et du

créature trouvera ainsi son image la plus

double courant de l'amour conjugal.

Appliquons, par exemple, cette comparaison aux émanations successives qui forment l'âme de l'homme.

Monde

intelligible,

inférieur, ce

que l'auteur

L'Intelligence active, qui réside dans le

produit à son image 2 dans

le

,

de

la

Théologie d'Aristote

matériel i.

Monde

nomme

ou encore Y Ame

Aristotelis Theologix lib. X, cap. verso, et fol. 99, recto.

Y Intellect possible, Y Intellect

rationnelle. XIX. Éd. i5ig,

L'Intelligence

fol. 59,

active

recto et verso; éd. 1672,

fol. 98, 2.

Aristotelis Theologiœ lib. X, cap. VII,

verso, et fol. 84, recto,

Éd

1619, fol. 4g, recto; éd. i5y2, fol. 83,


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

I^O

engendre l'Ame rationnelle en il

la

père engendre

le

produisant, en la faisant passer de la puissance à

en accroît

L'Ame

le fils

;

l'acte,

la perfection.

rationnelle, à son tour, produit Y Ame sensitive et, en

donnant

lui

comme

l'existence actuelle, elle la perfectionne.

Mais, d'autre part, l'Ame rationnelle

1

n'atteindrait pas sa

perfection sans le concours de l'Ame sensitive. Sans elle, elle

aucune connaissance des choses qui tombent sous

n'aurait

sens, des choses qui se voient, et cette

les

s'entendent ou se touchent;

connaissance des choses sensibles développe, en l'Ame

rationnelle, la science des choses intelligibles, c'est-à-dire son

union avec l'Intelligence

active.

Ainsi 2 l'Ame sensitive désire son union avec l'Ame rationnelle dont elle tient son existence actuelle et sa perfection

;

et,

inversement, l'Ame rationnelle désire être unie à l'âme sensitive sans laquelle elle et les

réduire à

l'état

ne saurait épurer

elles

peuvent

formes naturelles

les

être

comprises par son

Chacune des deux âmes a besoin de l'autre. Ce mutuel besoin engendre entre elles un mutuel amour. L'Ame rationessence.

nelle et

l'Ame sensitive

se désirent l'une l'autre, et ce désir

unit au point qu'elles forment, pour ainsi dire, une sub-

les

stance unique qui est l'Ame de l'homme.

Le mutuel amour que nous venons de contempler entre

l'Ame rationnelle

et

l'Ame

sensitive,

nous

ment entre l'Intelligence active et l'Ame L'Ame rationnelle 3 doit son existence elle

ne subsiste que par son union avec

le

rationnelle. à l'Intelligence active; cette Intelligence; l'en

séparer, ce serait déterminer sa corruption

un amour

et

une

joie

retrouvons égale-

;

aussi est-ce avec

incomparables que l'Ame rationnelle se

conjoint à Y Intellectus agens au point de ne plus faire qu'un

avec

lui.

En i.

retour^»,

Y Intellectus agens désire exercer, en ce

Monde

Aristotelis Theologiœ loc. cit. et lib. X, cap. X. Éd. i5ig, fol. 5o, verso; éd. 1672, verso.

fol. 86, 2.

3.

Aristotelis Theologiœ lib.X, cap. IX. Éd. 1619, fol. 5o, recto; éd. 1572, fol. 85, verso. Aristotelis Theologiœ lib. X, cap. XV. Éd. i5i9, fol. 54, recto; éd. 1672, fol. 92,

recto. 4.

Aristotelis Theologiœ lib. X, cap. V11I. Éd. 1519, fol. 49, verso; éd. 1572, fol. 84,

verso, et fol, 85, recto.


l4l

NICOLAS DE CUËS Et LÉONARD DE VINCI

matériel, l'influence dont

est capable. Or, cette influence

il

degré que l'Ame rationnelle, capable de l'intermédiaire de

YIntellectus

monde

s'exerce dans le

matériel.

recevoir; c'est par

que

possibilis

influence

cette

Aussi l'Intelligence active

comme

chérit -elle

l'Ame rationnelle

comme

maître aime son disciple,

le

la

même

au

active, nulle créature ici -bas n'est,

l'Intelligence

de

le

père aime son enfant,

comme

et aussi

l'époux

aime son épouse.

Ce

rôle de l'amour,

si

moindre dans

le

n'est pas

Pour comprendre d'elle-même

1 ;

c'est

Monde

Monde

le

matériel,

intelligible.

essences

les

active n'a nul besoin

important dans

intelligibles,

qu'un mouvement

en elle-même, en

l'Intelligence

la transporte

effet,

hors

que résident

les

espèces intelligibles, objets de sa connaissance; elles lui sont

substantiellement identiques. Dans

le

Monde

intelligible,

donc,

on peut dire qu'il n'y a point de différence entre ce qui comprend et ce qui est compris.

On

peut dire également qu'il n'y a pas de différence entre ce effet,

ne peut

comprendre en l'absence de l'amour; sans l'amour,

l'Intelli-

qui aime et ce qui est aimé

gence demeurerait isolée

;

l'Intelligence,

solitaire;

et

elle

en

ne comprendrait

plus rien; seul, l'amour est capable d'adapter à l'Intelligence l'objet

que

celle-ci

trois choses

:

veut

saisir.

Sans cesse, donc, coexistent ces

Ce qui comprend, ce qui

est

compris,

et

l'amour

qui procède de l'un et de l'autre.

A

ces trois choses, ajoutons le

mouvement

et le repos. C'est

un mouvement, en effet, que l'Intelligence comprend l'Intelligible; mais ce mouvement n'est point un passage, un changement; c'est une perfection, une adaptation, qui par

n'arrache pas l'Intelligence à son premier état, en sorte que ce

mouvement

est

un

repos.

Ainsi, en toute création, le créateur

qu'en lui donnant et,

par

là,

met en

développe sa perfection

car lui seul la t.

l'être, il

fait

verso et

la créature

parce

acte ses propres puissances la créature

aime

le créateur,

passer de l'existence potentielle à l'exis-

Aristotelis Theologise lib. X, cap.

fol. 89,

;

aime

fol. 90, recto.

XIV. Éd.

1

5ig, fol, 53, recto et verso; éd. 1672,


l li

ETUDES SUR LEONARD DE VDïCl

2

tence

qui

actuelle,

est

meilleure; l'amour du créateur, en

y produit l'amour de la créature, créateur ce double courant d'amour par

la créature,

descendant vers qui remonte vers

le

;

lequel tendent à s'unir

le

créateur, qui s'abaisse vers la créa-

ture, et la créature, qui s'élève vers le créateur,

mouvement

détermine ce

qui est la création. Telle est la théorie

qui relie

entre elles et qui vivifie les doctrines exposées en la Théologie d'Aristote.

Mais cette théorie n'est-elle pas aussi celle qui domine

le

système de Nicolas de Gués, qui s'impose sans cesse à ses méditations, qui rapproche les unes des autres ses pensées les plus diverses?

Nous venons d'exposer

à

grands

traits,

d'une

part, la Philosophie mystique selon les Égyptiens et, d'autre part, la

Métaphysique de

exposés ne cette

la

suffit-elle

Docte ignorance; la lecture de ces deux

pas à prouver,

surabondamment, que

et

Métaphysique procède, pour une grande

Philosophie elles pas,

?

en maintes circonstances, conformes aux pensées de

ce néo-platonicien inconnu qui a pris le

expressions elles

de Brixen ne sont-

de l'Évêque

Les pensées

part, de cette

mêmes dont

nom

celui-ci s'est servi

d'Aristote

ne

?

Et les

se retrouvent-

pas bien souvent, à peine modifiées, dans les écrits de

celui-là

?

A

plusieurs reprises, au cours de ce travail,

il

arrivera de constater que Nicolas de Gués, pour exprimer idée déjà formulée par l'auteur de la repris

une comparaison dont

nous

une

Théologie d'Aristote, a

cet auteur s'était servi;

mais sans

attendre ce supplément de preuves, nous pouvons, semble-t-it,

Métaphysique de

affirmer que la

profondément gravée,

la trace

tote.

paraît

donc que Nicolas de Gués

Comment

et

Docte ignorance porte,

de l'influence que

d'Aristote a exercée sur le Cardinal Il

la

la Théologie

Allemand. avait lu la Théologie d'Aris-

dans quel texte? L'Occident en possédait

vraisemblablement des

textes

arabes

avant que Francesco

Roseo en eût rapporté un de son voyage en Syrie; aujourd'hui encore on en trouve, à la Bibliothèque nationale, un exemplaire

1

qui n'est

point l'original de

en i5iq. Nicolas de Gués, i.

il

est

la

vrai,

Bibliothèque Nationale, Supplément arabe, n°

yy'».

traduction publiée

ne

connaissait pas


Nicolas de CtJËs et Léonard de Vuncî

l'arabe; mais, à l'occasion, écrits

en

cette

permis de supposer

qu'il a

d'Aquin, un texte grec de

savait se faire traduire les livres

il

langue dont

i43

avait besoin

il

1

comme

eu en mains,

est d'ailleurs

Il

.

saint

la Théologie d' Aristote,

Thomas

bien que ce

texte soit aujourd'hui perdu.

Nicolas de Gués ne cite nulle part la Théologie d'Aristole.

A

qu'

la vérité, il écrit 2

même

lui

«

en sa Métaphysique,

Théologie, Aristote a

coup de choses conformes à premier Principe.

On

démontré par la

vérité

qu'il

nommait

la raison

beau-

sur la nature du

»

serait tenté de voir,

en ce passage, une

allusion à la Théologie d'Aristole; ce serait une erreur que la

Nous y reconnaîtrions, en

suite de la lecture rectifierait.

que

les théories attribuées

bien celles de cet auteur

effet,

par Nicolas de Gués à Aristote sont

non point

et

de l'apocryphe

celles

Alexandrin; nous y verrions, en particulier 3 que, selon ces théories, toute chose est engendrée non pas par la matière, la ,

forme

l'amour, mais par la matière, la forme

et

or, c'est bien la doctrine

de

la Il

que

et la

privation;

expose au XII e livre

le Stagirite

Métaphysique.

n'en reste pas moins que, selon Nicolas de Gués, Aristote

donnait à sa Métaphysique

le

nom

de

Théologie.

C'est

une

car le titre qu' Aristote réservait à son ouvrage était

erreur, celui-ci

:

Sur

la

philosophie première

ïlepl

-pwrr^ fXoizyiz^.

Cette erreur n'a-t-elle point pour origine la connaissance d'un

ouvrage qui a précisément pris ce

On

le croirait

Il

est très

Théologie d' Aristote?

vraisemblable que Nicolas de Gués a connu la

connue,

lui a fait

:

aisément.

'Philosophia mystica s'il l'a

titre

il

secundum JEgyplios;

ne

découvrir

l'a

le

il

est très certain

que,

pas attribuée à Aristote; son érudition

caractère apocryphe de cet ouvrage, que

Jacques Charpentier devait soupçonner de nouveau un siècle plus tard; en la prétendue Théologie

a" Aristote, il

a

vu l'œuvre

d'un philosophe platonicien.

Nous avons reconnu

l'influence

que Nicolas de Cues avait

2.

Nicolai de Cusa Cribrationis Alchoi'ani prologus. Nicolai de Cusa Liber qui inscribitur De bcryllo , cap.

3i

Nicolas de Cues,

t.

loc. cit.,

cap.

XXV.

XXIV.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VlNCt

l44

éprouvée de ment, de

philosophie néo-platonicienne

exposée en

celle qui est

enseignements de

cette philosophie;

quel vigoureux effort

il

particulière-

il

dogmes de

est

il

interprété les

a

il

temps de dire par

est

de

les a transfigurés

devinssent conformes aux

et,

la Théologie d'Aristote;

montrer maintenant comment

de

juste

la

telle sorte qu'ils

l'orthodoxie chrétienne.

La philosophie néo-platonicienne échelonne, au-dessous du Dieu un, une série de créatures de perfection décroissante :

le

Verbe, puis l'Intelligence, en laquelle réside

le

Monde

des

exemplaire de notre Monde, puis l'Ame du monde,

idées,

enfin la Nature, que développe la multitude des individus

monde suite

de processions.

unique le

Dogme

Le

sensible.

et incréée,

en

Il

catholique ne connaît pas cette

pose,

trois

du

d'une

personnes égales

Père, le Verbe et l'Esprit -Saint;

substance

Dieu,

part,

et

coéternelles,

d'autre part,

Monde

le

créé.

Pour passer de

la

première théologie à

briser la descente graduelle

personnes divines

coupure

infinie. C'est ce

du Dieu un, le

en

Verbe

et le

il

remonte,

seconde,

Monde que s'il

personnes de

créé,

fait

il

pratiquer une

faut

Nicolas de Gués.

Monde

niveau ainsi,

de la Théologie d'Aristote;

la Trinité chrétienne;

intermédiaire entre Dieu et la Nature, et

Dans

Au

permis de s'exprimer

est

l'Ame du Monde, dont l'apocryphe Alexandrin

Monde

faut

il

des processions; entre les trois

et l'Intelligence active

fait les trois

la

il

faisait

abaisse

un

être

l'incorpore

il

il

au

sensible.

l'Intelligence active, la Théologie d'Aristote plaçait le

des idées, exemplaires parfaits dont les individus d'ici-

bas ne sont que les imparfaites imitations. Dans l'Ame du

Monde,

elle

plaçait

formes,

les

qui

procèdent

des

idées

du Monde intelligible et qui, s'imprimant en la Matière première, engendrent la Nature sensible. Pour Nicolas de Gués plus de Monde intelligible. En chaque ordre de choses, l'idée exemplaire, c'est le parfait, 1

,

c'est l'absolu; il

or,

il

n'y a pas plusieurs absolus

n'y a qu'un seul absolu, i.

Nicolai de

Cusa De docta ignorantia

qui est Dieu; lib. II,

cap. IX,

il

distincts,

y a donc un


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

seul exemplaire, synthèse de toutes les idées,

1

exem-

cet

et

4^

plaire est Dieu lui-même.

De même,

il

d'Ame du monde

n'existe pas

ment, forme universelle qui formes créées.

serait la

synthèse de toutes

:

Ou

elle est contractée,

Monde

sensible.

Au

sens

Dieu

elle est

;

créature

du

l'Ame du monde ne

se

elle est telle

absolu,

l'existence

elle a

en Dieu,

parfaite et absolue, et alors elle est

ou bien

bien

les

Une forme

n'y a pas de formes séparées.

Il

que de deux manières

n'existe

existant isolé-

ou

telle

distingue pas de l'Intelligence divine; au sens contracté, elle

que l'universalité des créatures.

n'est

Plus d'intermédiaire donc entre les créatures et Dieu.

Dieu séparé du Monde,

personnes de

s'agit

il

Tantôt sous

la Trinité divine.

de Verbe, tantôt sous

les

de reconstituer

noms d'Un

les

trois

les

noms d'Un

et d'Intelligence, la

et

phi-

losophie du néo-platonisme ne conçoit qu'une dualité divine

que

l'on peut aisément, avec saint Augustin,

la dualité

du Père

et

du

1 ,

rapprocher de

Mais cette dualité ne se trans-

Fils.

forme pas en Trinité; nulle hypostase néo-platonicienne ne tient la place de l'Esprit-Saint.

Seule, la Théologie dArlslole

l'Un,

le

Verbe

Nicolas de

et

admet

l'Intelligence

Gués en corrige

et

trois principes divins

active;

:

principes,

ces trois

en perfectionne

la

notion

jusqu'à ce qu'il puisse les identifier aux trois personnes de la

Trinité chrétienne. Il

n'est pas besoin,

pour l'amener au point où

tout à fait orthodoxe, de modifier bien

de Verbe tote;

telle

que

semble, en

il

la

elle

profondément

la

devient

notion

présente l'auteur de la Théologie d'Aris-

effet,

nous l'avons

dit,

conçu à l'image du Acyoç de saint Jean,

que le

cet auteur ait

Verbe

qu'il unit

à Dieu.

VI niellée lus agens de l'apocryphe Alexandrin s'écarte bien davantage de l'Esprit-Saint du Christianisme. Il est une créature du Verbe, seule créature directe du Dieu Un, tandis que

le Saint-Esprit,

égal au Père et au Fils, et coéternel à tous

deux, procède de tous deux. Tout en lui gardant i.

Nicolai de P.

DUHEM.

Cusa Liber qui

inscribitur

De

beryllo, cap.

le

nom

XXV.

m

et


I

/

4

ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

6

une

que

partie des caractères

Cues confère à

Nicolas de

tote,

lui attribue la Théologie d'Aris-

double procession qui émane à

l'Intelligence

de l'Un

la fois

active

cette

du Verbe;

et

y parvient en transportant aux processions des personnes divines, telles que le Christianisme les adore, la théorie que et

il

toute émanation, à toute

la Théologie dArislote appliquait à

création;

qui unit

identifie l'Intelligence, le Saint-Esprit à

il

le

Père, toute-puissance, au Fils, tout acte.

Nous pouvons maintenant logies qui rapprochent la

de

caractériser d'un

les différences

qui

les

mot

et les ana-

Métaphysique de Nicolas de Cues

Métaphysique exposée dans

la

l'amour

séparent

:

la

Théologie dAristote,

première

la

et

est la christiani

sation de la seconde.

Les réflexions de Léonard de Vinci

touchant la philosophie de nlcolas de cues. Synthèse et développement.

Un manuscrit

de Léonard de Vinci, dérobé autrefois par

Libri à la Bibliothèque de l'Institut,

dans

la

bibliothèque du prince Trivulzio

se lisent des

réflexions

courtes, qui ont trait

Parmi

sophie.

trouve aujourd'hui

se

manière

la

nombreuses,

aux problèmes

ces réflexions,

il

en

et

En

1 .

pour

ce manuscrit

plupart fort

la

les plus divers

est

de

la

Philo

qui se rapportent, de

la

plus certaine et la plus nette, aux théories méta-

physiques de Nicolas de Cues.

Il

n'en est aucune où l'on ne

une allusion à quelque partie de l'œuvre de TÉvcque de Brixen; et par leur rapprochement avec les écrits du Cardinal Allemand, certaines pensées de puisse, sans effort, reconnaître

Léonard, que leur isolement

ou

faisait paraître

obscures, étranges

insignifiantes, s'éclairent et s'expliquent en

prenant leur

véritable sens. i.

Il

codice di Leonardo da Vinci nel biblioteca del principe

trascritto

r<l

annotato

<la

Luca Beltrami. Milano. RIDGCCXCT.

Trivulzio

in

Milano,


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

I

^47

Signalons quelques-unes des doctrines de Nicolas de Cues qui ont attiré l'attention du Vinci, et voyons quelles remarques

ont suggérées.

elles lui

Dieu

synthèse de

est la

développement de Dieu

création et la création

la

Dieu

;

donc à

est

1

est le

contracté en

l'état

toutes choses, tandis que toutes choses, à Létat abstrait, sont

en Dieu.

Dieu étant

dans

ainsi,

l'abstrait, l'essence

chose, nous découvrons sans peine vérité

énoncée par Anaxagore

d'Anaxagore»

Cette formule

mentaux de être,

il

n'y

éléments

Chimie 3

fondement de

« le

cette

— quodlibet

dans tout

est

de chaque

nous en avons peut-être une vue plus haute que

in quolibet; et

celle

Tout

:

même

2 .

Tout

:

la doctrine

un

fait

dans

est

tout, est

un

des axiomes fonda-

de Nicolas de Cues

;

plus constant appel que dans sa théorie des

mixtes, dans ce que nous

et des

nulle part, peut-

avons appelé sa

.

Nous avons vu comment l'élément

primitif, qui est la Nature,

en quatre éléments secondaires, de

se diversifiait

que l'élément primitif

fût

en chacun de ceux-ci

telle sorte

que chacun

et

d'eux fût en l'élément primitif. Nous avons vu que les éléments secondaires se mélangeaient de

telle sorte

que chacun d'eux

fût

en chacun des trois autres. Nous avons vu comment ces éléments se combinaient pour former des mixtes de plus en plus spécialisés, des individus où sont réunis tous les éléments secondaires, en lesquels donc est l'élément

en cet élément le flux

«

L'individu ^ est ainsi

des éléments, en

ment de est le

:

même

temps

suprême

la fin

qui sont

à laquelle aboutit

qu'il est le

commence-

leur reflux; l'élément le plus général, au contraire,

commencement de

leur flux et la fin de

La vertu de spécialisation extrême conctracte éléments

et

et les fait

leur reflux.

la généralité

des

descendre au-dessous de leur propre région,

puis, après les avoir ainsi contractés, elle les fait écouler hors

du mixte 1.

afin

Vide supra

2.

Nicolai de

3.

Vide supra

h.

:

III,

qu'ils retournent à leur généralité G.

Cusa De docta ignorantia liber :

II,

cap. V,

III, J.

Mcolai de Cusa De conjecturis liber

II,

cap. Y.

première.


1

KTUDES SLR LEONARD DE VINCI

48

De même, on

que l'Océan

dit

est le père universel des fleuves

;

par des canaux très généraux, l'Océan vient se contracter en une fontaine très spécialisée, mais la rivière finit par retourner Ainsi peut-on comparer les éléments

à l'Océan.

universels

à l'Océan et les mixtes les plus spécialisés à la fontaine.

Nous avons

dit

que

cette théorie

»

de Nicolas de Gués n'était

qu'on y pouvait reconnaître le de doctrines chères aux chimistes du Moyen -Age. En

pas nouvelle de tout point; reflet

particulier, cette théorie

semble inspirée d'un auteur qui a

exercé sur la pensée de l'Évêque de Brixen une influence non

Raymond Lulle. « comment on Raymond Lulle

douteuse; nous voulons parler de Voici en

effet,

comprendre Voici,

«

les

mon

selon

,

éléments fils,

doit

1

»

:

comment

tu dois les

éléments sont tous composés;

la

comprendre

Nature, en

effet,

Les

:

ne peut

composé simple, et celui-ci leur tour, sont composés au

subsister qu'en la matière d'un

formé d'éléments qui, à

est

moyen d'une matière

fine et

claire,

composition des éléments

cette

est

vraiment élémentaire

;

produite par la vertu

élémentative, en laquelle subsiste une puissance de végétaC'est pourquoi,

tion.

mon

fils,

tous

nos éléments sont en

chacun d'eux, et chacun d'eux est en forme de cercle, et ces cercles composent le cercle du mixte simple... A chacun des éléments minéraux, nous donnons le nom de l'élément qui

domine en

lui...

Comprends donc, mon

nos éléments sont composés

fils,

de quelle manière

formés des éléments purs. lumineux; le feu prend part Dans notre terre, il y a du feu à sa composition dans un rapport approprié; de même, elle contient de Fair et de l'eau; ces divers éléments participent et

en plus ou moins grande proportion à la formation de notre terre... Il en est de même de nos autres éléments; dans notre eau,

il

y a du

feu, de l'air et

de

la terre. »

Haymondi Lullii Maioricani philosophi sui temporis doctissimi Libri abquot nunc primum, excepte Vade mecum, in lucem opéra Doctoris Toxita? editi. Quorum omnium nomina versa pagina dabit. Cum privilegio Caes. Maiestat. ad decennium. Basileœ, apud Petrum Pernam, MDLX.YII. Testamenti novissimi Raimondi Lullii De practica liber secundus: Quomodo debes intelligerc clementa, capp. el 11 i.

chemici;

I

|>|>-

89-91;

:


NICOLAS DE GUES ET LÉONARD DR VINCI

Au

nommera

matière fine et claire

«

l'élément primitif.

Cette

»

!\ij

Raymond

degré suprême de simplicité, nous voyons

Lulle placer cette

Cues

I

que Nicolas de

matière première

engendre quatre éléments qui, pour l'Évêque de Brixen, sont éléments principaux. Ces quatre éléments se mélangent à

les

nomme

pour former ce que Raymond Lulle

leur tour

des

composés simples, des éléments minéraux ou encore nos éléments, tandis que Nicolas de Cues

généraux; ceux-là sont

commune

la

même

que

plus simples qui puissent

les

est

chimie du Doctor llluminatus ; leur

la

dominée par

théorie est

appelle des mixtes

La Chimie du Cardinal Allemand

subsister dans la Nature.

exactement

corps

les

les

aphorisme

cet

:

Quodlibet

in quolibet.

Comment

ne pas reconnaître un résumé de

cette courte note u

du Vinci

1

cette théorie

:

Anaxagore. Toute chose vient de toute chose,

chose se

fait

et

mêmes

En

éléments.

absolu

;

maximum

absolu est identique

l'un et l'autre sont en Dieu et sont Dieu.

Dans l'univers contracté,

maximum

de

fait

»

tout ordre de choses, le

minimum

au

toute

toute chose, et toute chose retourne en toute

chose, parce que ce qui existe parmi les éléments est ces

en

est

il

minimum;

impossible d'atteindre ni

le

donne un objet, on peut s'en donner un plus grand, puis encore un plus grand, et ainsi de suite, sans fin; et l'on peut aussi s'en donner un plus petit, puis encore un plus petit, à l'infini. De ces vérités, la considération des angles nous peut fournir des exemples ni le

si

l'on se

:

u

en

Dieu peut être considéré effet,

3

comme

semblable à l'angle

l'angle infini...

maximum,

Dieu

qui est en

est,

même

temps l'angle minimum. Considérons une demi-circonférence et le rayon qui est perpendiculaire au diamètre ce rayon fait ;

avec

le

diamètre deux angles droits, Faisons tourner ce rayon

autour du centre avec

le

comme

diamètre;

il

est

nous voulions l'amener à coïncider clair qu'un des angles augmentera

si

i. Léonard de Vinci, Qodice Atlantico, (376, recto) 1168, recto. J. P. Richter. The Uterary Works of Leonardo da Vinci, Londres, i883 t. II, § i! -jS. 2. Nicolai de Cusa Complément um theologicum figurât um in complementis mathematicis, cap IX ;

t


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

l50

continuellement, tandis que l'autre diminuera d'autant. Tant

que

rayon ne coïncidera pas avec

le

maximum

angle ne sera pas davantage, et il

pourra encore décroître. Mais

maximum

minimum

diamètre,

absolu, car

second ne sera pas

le

angles devienne

le

si

absolu,

il

premier

pourra croître

il

minimum

l'on

le

absolu, car

suppose qu'un de ces

même

deviendra en

temps

absolu, et cela n'aura lieu que par la coïncidence

de ses deux côtés. Vous voyez qu'alors ces résolvent en une

même

deux côtés

nom

ligne droite et que le

d'angle ne

convient plus à la figure ainsi formée. Vous comprenez par

comment, lorsqu'on

tente de s'élever vers l'infinité divine,

semble que l'on n'atteigne rien quelque chose, selon ce que Cette

même

pensée

est,

grand

distincts, le plus

minimum

petit

cesse, fois

on ne

et

minimum

angle

si

les angles,

exemple, déve-

;

donc

le

Tant que

principe est à la

ce qui découle il

du principe en

ne peut

être ni plus

»

par exemple, on ne saurait trouver un

ne saurait non plus trouver un angle

ne

en vertu de son principe. Dès

soit tel

que

«

:

aigu que son acuité ne provienne de son principe

;

faut

1

absolu, ni le plus

même on ne peut

l'on saisisse

Et d'autre part, lorsque la dualité

grand, ni plus petit que son principe.

Parmi

même

maximum

porte seulement la ressemblance, car

a

il

plus petit sont deux angles

voit plus d'angle... Seul

maximum

»

Nicolas de Cues

n'est pas

absolu...

Denys.

au moyen du

et l'angle le

grand

non point que

dit saint

loppée en un autre écrit de l'angle le plus

et

se

lors,

être si aigu qu'il n'en puisse exister le

aigu; et de

principe

même

ait le

si

obtus qu'il

puisqu'un angle

un plus

aigu,

il

pouvoir de créer cet angle plus

pour l'angle obtus.» Et Nicolas de Cues

conclut encore^ ce développement par la réflexion de Denys l'Aréopagite.

Nous songeons à cette pensée de Nicolas de Cues lorsque nous lisons celle-ci, qui est de Léonard de Vinci 3 :

«

i.

j. .'{.

L'angle droit est dit être

le

premier parfait entre

les autres

Cusa Liber qui inscribitur De beryllo, cap. I\. Nicolas de Cues, loc. cit., cap. X. Les manuscrits de Léonard de Vinci, ms. M. de la Bibliothèque do l'Institut, Nicolai de

verso de

la

couverture.


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

angles, parce qu'il

10

L

trouve entre deux infinies extrémités

se

d'autres natures d'angles qui en diffèrent, c'est-à-dire d'infinis

angles obtus et d'infinis angles aigus; tous

égaux entre eux, être milieu.

Mais

la

»

ressemblance de ces deux pensées prouve-t-elle que

première a suggéré

la

simple coïncidence à sa réflexion

Ta

sophe.» Or,

seconde? N'est-elle pas

la

semble que Léonard

comme une marque effet,

est enchâssé,

pour

Dieu peut recevoir ne

nom

le

deux

De

d'autre,

et

plus,

allusions au Trismégiste est ainsi conçue

nom

laisser il

;

Hermès, philo-

«

:

ainsi dire, entre

de part

;

lignes seulement l'en séparent.

aucun

voulu

d'une

qui en indiquât l'origine

de ces deux mots

d'Hermès Trismégiste

\

ait

l'effet

passage de Nicolas de Cues que nous avons cité

le

en dernier lieu tions

Il

?

précéder, en

fait

chacun d'eux,

se trouve être équidistant à

il

infinis étant

les

la

quelques

seconde de ces

On

«

:

cita-

voit

donc que

de toutes choses et que cependant

comme

lui convient,

le disait

Hermès Mercure.

»

Elle est la conclusion naturelle de la réflexion sur l'angle qui est à la fois

nom Le

maximum

absolu

et

minimum

absolu, auquel

le

d'angle ne convient plus.

nom du

Trismégiste évoque de prime abord l'idée d'une

comparaison célèbre

:

Dieu

une sphère

est

infinie

centre est partout et la circonférence nulle part.

dont

le

Semblables

comparaisons ont trouvé grande faveur auprès des néo-platoniciens de tous les âges. Il en est une, en particulier, dont ils ont

fait

un

exempt de toute cependant, il est en chacune

Dieu

très fréquent usage.

division, de toute distinction; et

est l'Un,

des créatures, qui sont multitude, et toutes les créatures sont

Ce mystère, Plotin en cherche 2 l'image dans

en

lui.

du

cercle, qui

demeure un

et indivisible,

le

centre

d'où partent cepen-

où reviennent les rayons, en nombre infini, qui aboutissent aux divers points de la circonférence « Autant il y a de rayons qui parviennent au centre du cercle, autant il semble y dant

et

avoir de points réunis en ce centre.

»

L'auteur de la Théologie d'Aristote reprend la Cusa Liber

i.

Nicolai de

2.

Plotini Enneadis VI liber V, art, V.

qui inscribitur

De

beryllo, cap.

VI

même compa-

et cap. XII.

Kd. Didot, p. 45o.


études sub léonard de vinci

i5a

raison

1 ;

elle lui

montrer comment

sert à

la

multitude des

formes peut coexister en l'unité de l'Intellect « L'Intellect est comme le centre du cercle qui contient en lui-même tout ce :

y a d'angles, de côtés, de lignes, de surfaces et d'autres choses imaginables en ce cercle et dans les autres figures.

qu'il

Il

est indivisible et sans

sont issues de ce point le

nomme

centre.

dimension. Toutes reviennent à

et

les lignes

lui.

C'est

du

cercle

pourquoi on

»

Nicolas de Cues, à son tour, a accueilli cette métaphore;

Fa modifiée légèrement, de l'Unité; les rayons lité;

Je

«

la

me

le

circonférence

centre unique

moyen

et la fin

plicité est indivisible et éternelle; très stricte,

il

est la

mencement de

les

et

rayons

égaux

centre très simple, et j'y

le

de tous

les cercles.

en

Sa sim-

en son unité indivisible

synthèse de toutes choses.

l'égalité;

l'Éga-

:

tourne maintenant 2 vers

vois le principe, le

centre est l'image de

le

égaux qui en sont issus représentent

du Lien entre

procède

quelle exprime sa con-

telle sorte

ception particulière de la Trinité;

il

effet, si les

Il

est le

et

com-

lignes qui joignent le

centre à la circonférence n'étaient pas toutes égales entre elles, ce point ne serait pas centre d'un cercle.

du centre

est

le

Ainsi l'indivisibilité

commencement simple de

l'égalité;

sans

l'union de sa simplicité ponctuelle avec l'égalité des rayons,

il

ne saurait y avoir de centre de cercle, car l'essence de ce centre consiste dans son équidistance à la circonférence. Ainsi, en ce point central, je vois à la fois l'Unité, l'Égalité, et

le

Lien qui

les conjoint... »

Vous comprendrez encore mieux tout cela si vous considérez que l'unité absolument simple est la synthèse de toute multitude et que, par là même, elle est exempte de toute mul«

tiplicité,

parce qu'elle complique en

toute multitude.

On

multiplicité,

reconnaît cette unité en toute multitude,

car la multitude n'est que

le

développement de

peut en dire autant du point, qui est i.

elle toute

la

l'unité.

On

synthèse de toute gran-

Aristotelis Thcologiœ liber quartus, cap. IV. Éd. i5 9, fol. 20; éd. 1572, fol. 34, 1

recto. 2.

ratum

Nicolai de Gusa De ludo globi liber II. in complementis mathematicis, cap. VI.

— Cf.

:

Complementum theologicum

figu-


10O

NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

Ouvrez donc votre

deur...

en toute multitude, parce

esprit, et

vous verrez que Dieu

dans

qu'il est

l'unité, et qu'il est

toute grandeur, parce qu'il est dans le point... «

Ainsi se tient profondément caché

cercles; en sa simplicité réside

choses...

est

en

»

centre de tous les

le

une force qui synthétise toutes

»

cherchons maintenant l'écho parmi les réflexions de Léonard de Vinci; nous le trouverons en une courte note écrite au cahier 1 où nous avons déjà lu le nom du

De

pensées,

ces

Trismégiste. «

Si l'angle (Jîg.

en

terminées

étant

1) est le

point,

contact de deux lignes, les lignes lignes

d'infinies

peuvent commencer à ce point

en sens

et,

inverse, d'infinies lignes peuvent se terminer

ensemble en ce point

commun

au

donc

;

point peut être

commencement

d'innombrables figures. « Ici

le

ce semble

à

et

la

fin

»

une étrange

affaire

que,

le

fig.

i.

triangle étant, avec l'angle opposé à la base,

terminé en point, on puisse des extrémités de le

triangle en parties infinies; et

étant terme

commun

il

paraît

la

ici

base partager que,

les divisions dites,

de toutes

aussi bien que le triangle, soit divisible à l'infini.

Une remarque nous ser.

la

point,

vient à l'esprit, qui nous paraît s'impo-

Nous venons de voir Léonard

de Nicolas de Cues, dans le

le

point

»

s'inspirer de pensées sur

Géométrie développées par Nicolas de Gués. Dans

que

le

les livres

les écrits

des philosophes platoniciens

Cardinal Allemand a imités, ces pensées ont un objet

essentiellement théologique; elles ont pour but d'éveiller en

notre intelligence au moins ses mytérieuses

ces pensées,

Léonard

garde ce qu'elles ont de géométrique par quoi soin i.

le

elles se rattachent à la

nom

verso.

les

la

nature

transforme;

il

supprime tout ce

et

Théologie;

il

en efface avec

de Dieu. Quelle explication doit-on donner de cette

Les manuscrits de Léonard de Vinci

fol. 87,

l'essence divine, de

processions, de ses relations avec

En reprenant

créée.

un soupçon de

;

ms. M. de

la

Bibliothèque de

l'Institut,


[

ETUDES SUK LEONARD DE V1XC1

£)4

façon de procéder? Faut-il y reconnaître la manière d'un sceptique qui ne se soucie point d'élever son esprit jusqu'à ce qui

surpasse

la

science

humaine?

y voir

Faut-il

les

scrupules d'un

croyant qui redoute de livrer au libre jeu de son imagination des

dogmes

du

Vinci, ces

posées;

pour intangibles

qu'il tient

deux interprétations peuvent

est malaisé de

il

et sacrés?

être

De

réserve

la

également pro-

trouver des motifs suffisants pour

choisir entre elles.

même

Lorsque nous lisons, en un

feuillet,

deux réflexions

qui sont sans relation apparente l'une avec l'autre, et que lecture des écrits de Nicolas de Cues

la

nous explique ce rappro-

chement, nous sommes autorisés à penser que Léonard a conçu ces pensées sous l'influence de l'Évêque de Brixen;

elles

si

pu deviner

eussent été isolées, nous n'en eussions peut-être l'origine.

une semblable incertitude

C'est en

au sujet de fois «

1 ,

qu'il

que

la réflexion suivante,

Bien que

le

temps

nues, cependant,

soit

comme

comme

elle fait

pour

le

:

mis au nombre des quantités contiil

est invisible et sans corps,

tombe pas entièrement sous celle-ci [ne] le divise [pas]

Vinci répète par deux

le

en des termes presque identiques

nous faut demeurer

puissance de

la

en figures

et

Géométrie

la

ses visibles et corporelles.

Mais

ils

;

corps d'infinie variété,

continu qui se rencontre dans 2

ne

il

les

cho-

ne conviennent ensemble

que par leurs premiers principes, savoir

[l'instant et la

durée

avec] le point et la ligne; le point est à comparer, dans le temps,

avec l'instant,

et la

ligne a ressemblance avec

d'une certaine quantité de temps;

et

de

sont principe et fin de la susdite ligne,

la

même que les points de même les instants

sont terme et principe de n'importe quel espace

donné. Et

si la

longueur

de temps

ligne est divisible à l'infini, l'espace de temps

une

n'est pas étranger à

telle

division;

en

et si les parties

lesquelles la ligne est divisée sont proportionnelles entre elles, les parties i.

du temps seront aussi proportionnelles entre

Léonard de Vinci, ms. Arundel 263 de

verso, et fol. 190, verso. S

J. P.

Le temps et

le

Bibliothèque du British Muséum, fol. 17S,

Richter, The literary

916. 3.

la

continu géométrique.

elles. »

Works of Leonardo da

Vinci,

t.

11.


NICOLAS DE GUES ET LEONARD DE VINCI Il

que ces pensées ont

serait téméraire d'affirmer

au Vinci par

rées

telle

en substance dans

la

ou

IDO

telle lecture

été

suggé-

elles se trouvaient déjà

;

Physique d'Àristote

1 ,

à

propos de laquelle

tous les commentateurs de l'École les avaient développées à l'envi.

semble, d'ailleurs, que Léonard

Il

temps en dit-il

a

«

,

de son image géométrique

l'isolant

du temps séparé de

la qualité

ignorons quel fut

le résultat

du

tenté de parler

ait

«

:

Décris,

Géométrie.

la

»

Nous

de cette tentative.

D'autres pensées émises par Léonard touchant l'espace et

temps portent plus nettement par

les

En

maximum minimum gueur;

que

minimum

la

de

vement.

absolu, identique au

le

développement du minimum. Le point,

absolu de longueur, complique en lui toute lon-

longueur de

De même, ;

de l'influence exercée

la trace

absolu, est la synthèse de toute existence concrète;

celle-ci n'est

durée

le

doctrines de Nicolas de Cues.

tout ordre de choses, le

point.

»

même De

la ligne n'est

le

repos est

doctrine, nous

De docta

d'après le traité

le

l'instant présent est la

encore

cette

que

développement du synthèse de toute

synthèse de tout mou-

la

avons donné 3

ignorantia.

résumé

le

Empruntons maintenant

un autre ouvrage, à l'écrit dont l'auteur prend cet étrange pseudonyme l'Idiot, deux passages 4 qui ont trait à la même à

:

doctrine. «

Penses-tu,

dit le

»

Philosophe,

sible?» Et l'Idiot de répondre

mine une ligne ne il

que

point soit divi-

le

Je pense que le point qui

saurait être divisible; ce qui est

ne saurait avoir de terme terme;

«

:

«

;

or,

s'il

était divisible,

ne serait donc point terme de

la ligne.

il

ter-

un terme aurait un

Le point n'est

on ne saurait avec des points composer une car une quantité ne peut être formée d'éléments non

pas quantité; quantité,

quantitatifs.

»

«

Ton

avis,

reprend

»

le

Philosophe,

corde avec celui de Boëce; celui-ci disait: i.

i.

«En

Vide supra,

4.

Nicolaide Cusa Idiotœ liber tertius

III,

G. :

De mente;

cap. IX.

s'ac-

ajoutant

Aristote, fajmwrfe àxpoassto; to A, ay; Physicse auscultationis liber Léonard de Vinci, ms. cit., fol. 176, recto.— J. P. Richter, Op.

S.

«

II,

cap.

cit.,

t

un III. II,


F

ÉTUDES SLB LÉONARD DE VINCI

56

»

point à

un

))

à rien.

»

Un peu ment

ne

autre, tu

fais

rien de plus qu'en ajoutant rien

plus loin, l'Idiot émet cette assertion

Le mouve-

«

:

développement du repos; dans le mouvement, on ne trouve rien qu'une série d'états de repos. De même, le préest le

sent se développe dans le temps; dans le

temps on ne trouve

que des instants présents. Et ainsi du reste.

rien

peux-tu dire, interroge

dans

mouvement,

le

répond

l'Idiot, c'est

Il

Comment

a

Philosophe, qu'on ne trouve rien

le

ce n'est le repos?»

— «Se

mouvoir,

passer d'un état à l'autre; tant que l'objet

un même

persévère dans repose.

si

»

est clair, alors,

état, il

ne

se

meut

qu'on ne trouve dans

point, mais se le

mouvement

que des repos. Le mouvement consiste à sortir d'un état; se mouvoir, c'est cesser d'être dans un état pour se trouver dans

un

autre état; en d'autres termes, c'est passer d'un repos à

mouvement,

autre repos. Le

ce n'est

de repos développée en série.

De

un

donc qu'une succession

»

deux passages, rapprochés l'un de l'autre par Nicolas de Gués, comparons ces phrases que Léonard écrit l'une ces

«

au-dessous de l'autre

de

«

Le point

«

L'eau que tu touches dans

la

n'est pas

masse d'eau qui

d'eau qui vient. Il

le

:

Il

est possible

en

une

partie de ligne.

le fleuve est la

s'en va et la est

de

»

dernière partie

première partie de

même du

temps présent.

que ces courtes réflexions aient

la »

été jetées sur

papier à propos des théories de l'Évêque de Brixen

nous

le fait

supposer, toutefois, c'est bien plus

elles se trouvent, ce Codice Trivulzio où,

l'inspiration de Nicolas de Gués,

si

masse

;

ce qui

où marque

le recueil

souvent, se

que leur contenu même; ce

contenu ne porte pas, d'une manière particulièrement nette, l'empreinte des doctrines du Cardinal Allemand; on tout aussi bien

comparer

pourrait

aphorismes purement

certains

à

le

scolastiques.

Ouvrons, par exemple, un

vogue

à la fin

soupçonner i.

la

du xv e

écrit qui

siècle, et

semble avoir eu grande

dont certains indices nous font

présence aux propres mains de Léonard

Léonard de Vinci, Codice

Trivulzio, fol. 3i, recto

:

les


MCOLAS DE CUES ET LÉONAkjD DE

du

Abréviations

d'Inghen

nous y lisons

;

10";

Physiques composées

des

livre

VINCI

la

*

par

formule suivante, donnée

expression de la pensée d'Aristote

«

:

Tout présent

du passé aussi bien que le commencement du futur. Les réflexions de Léonard que nous venons de immédiatement

suivies de cette simple phrase

remplie est courte.

:

à plusieurs reprises, celui-ci

instrument au

moyen duquel

ne saurait mesurer sition

l'esprit

de ce

l'activité

est la fin »

citer sont

La vie bien

du Cardinal

énonce 2 que

mesure

même

le

temps,

mouvement,

Mais

esprit.

le

la

propo-

formulée par Léonard peut bien avoir d'autres origines

Marsile d'Inghen n'écrit-il pas à l'heure le fait

«

comme

Cette pensée peut fort bien, elle aussi,

»

avoir été suggérée au grand peintre par les écrits

Allemand;

Marsile

«

:

Le

3 ,

au

que nous citions tout temps court et la tristesse

livre

plaisir fait paraître le

paraître long

;

» ?

Les pensées dont nous venons de parler peuvent donc avoir par Léonard de Vinci alors qu'il

été notées

de l'Évêque de Brixen

en

;

lisait les

œuvres

mais nous ne saurions affirmer

soit ainsi; l'empreinte

de Nicolas de Cues n'y

qu'il

est pas assez

nettement gravée. Cette empreinte va se montrer, autrement reconnaissable,

en d'autres réflexions du Vinci. Le point complique en n'est

que

le

continu géométrique

lui le

développement du point, qui

;

ce continu

est le principe

de

toute grandeur; et cependant ce point, dont l'étendue de l'Uni-

vers créé est issue par voie de développement, est aussi près

qu'on peut

l'être

qui est presque

du néant

le

:

Le Créateur

a

néant, car entre

a pas d'intermédiaire. Le point est

ajoutant

un point

à

un

point,

le si

on ne

4

néant

...

et le point,

voisin fait

a fait le point, il

n'y

du néant qu'en

rien de plus qu'en

ajoutant rien à rien... Et cependant, en ce point unique est la

synthèse de l'Univers entier. i.

»

Subtiles doctrinaque plene abbreviationes libri physicorurn édite a prestantissimo

philosopho Marsilio lnguen doctore Parisiensi (sans aucune indication typographique antérieur à i5oo); trente -neuvième feuillet, non numéroté, verso. 2. Nicolai de Cusa Idiotœ liber tertius De mente; cap. XV. De ludo globi, lib. 11. 3. Marsile d'Inghen, loc. cit., quarante et unième feuillet, verso. '4. Nicolai de Gusa Complementurn theologicum figuration in complementis mathe-

:

maticis, cap.

IV


ÉTUDES SUH LÉONARD DE VINCI

l58

De même,

le

temps

dans l'instant présent;

dans

repos, dont

le

il

impliqué dans

est tout entier le

mouvement

est le

est tout entier

développement;

nunc,

le

impliqué

l'instant, le

et

immédiatement voisins du néant.

repos, sont

Le point,

minimum

absolu de durée,

le

minimum

absolu d'étendue, l'instant,

repos,

minimum

absolu de mouvement,

ne peuvent avoir d'existence actuelle en en cet Univers créé, tout

minimum

la

Nature contractée;

absolu se présente

comme

une impossibilité. Le

minimum

absolu n'a d'existence actuelle qu'en Dieu

mieux, identique au L'instant présent, en

du néant,

même;

maximum absolu, il est Dieu lui-même. même temps qu'il est infiniment voisin Dieu

est identique à l'éternité, c'est-à-dire à

étant Dieu,

il

ne peut être absolument

réalisé

«

lui

en aucune

des choses créées. Écoutons Nicolas de Cues développer

propositions

ou

;

ces

:

Le lieu naturel du temps

même

est l'éternité,

autrement

dit le

du mouvement est le repos, que le lieu du nombre est l'unité. De quoi constatonsncus l'existence au sein du temps, si ce n'est du présent? Le nunc, le présent, de

temps coule,

et

que

le lieu

être est le nunc, le présent; aussi disons

nous ne possédons que multiple, car

il

ne saurait dire et le

:

même,

son flux a pour origine son être

le présent.

-nous que du temps

Le présent

ne passe point dans

le

et cet

est

passé, et

maintenant. Ce nunc qui est

le

non du futur on

unique

et

point de départ

point d'arrivée de l'écoulement du temps, est l'essence

du temps; nous le nommons Y aujourd'hui, ou Y éternité, ou le nunc qui demeure dans une perpétuelle immobilité. Le nunc de l'éternité est donc l'éternité elle-même; c'est proprement l'être qui est l'essence du temps c'est Dieu éternel, identique à son éternité... Or Dieu est en toutes choses, et il n'est dans aucune; il est en chaque chose, en tant qu'être absolu; il n'est en aucune chose, en tant qu'elle est tel être particulier... Dieu n'est donc point, sinon en l'être absolu; ou

l'être

;

dès lors,

comme

le dit

Maître Eckehart,

il

n'est point

i. \icolai de Cusa Excitationum ex sermonibus liber Vil; ex sermone nalus est rex .Imbrorum.

:

dans

le

Ubi est qui


NICOLAS DE GUES ET LEONARD DE VINCI

temps, ni dans ce qui le

de division, ni dans

est susceptible

nomme

continu, qu'on

l5f)

aucune

aussi la grandeur, ni dans

chose capable de plus ou de moins, ni dans ce qui présente des distinctions, ni dans aucune créature.

Le présent n'a donc d'existence il

est susceptible

tuelle,

en

l'esprit

»

qu'en Dieu; mais

actuelle

d'une autre existence

purement

l ,

intellec-

qui conçoit les formes des choses, détachées

de toute union avec la nature contractée.

En

les

effet,

grandeurs

actuellement dans

Nature créée,

la

l'intermédiaire de ce

continues qui,

minimum

l'intellect les

en lequel

thèse et dont elles sont le développement.

elles Il

du continu géométrique, mais du point; durée, mais de l'instant présent

;

il

ne

l'a

existent

seules,

saisit

par

ont leur syn-

n'a pas l'intujtion

il

ne

l'a

pas de la

pas du mouvement,

mais du repos.

«L'âme loppe en

rationnelle elle

2

est

une force synthétique qui enve-

tous les concepts déjà synthétiques. Elle enve-

loppe la synthèse du

nombre

et la

synthèse de la grandeur,

du point, elle ne pourrait faire aucune distinction au sein du nombre et de la grandeur. Elle enveloppe en elle la synthèse des mouvements, et cette synthèse se nomme le repos; dans le mouvement, le savoir l'unité et le point. Faute de l'unité et

repos seul lui apparaît, car

repos à

un

mouvement va d'un

état

de

autre état de repos. Elle enveloppe la synthèse du

temps, qui se temps,

le

elle

nomme

maintenant ou

ne trouve rien que

le

présent; car dans le

le présent.

On en peut

dire

autant de toutes les synthèses; l'âme rationnelle est la simplicité

se réunissent toutes les notions synthétiques.

L'intellect, le

donc,

«

ne voit pas 3

les

»

choses temporelles dans

temps, c'est-à-dire dans une succession instable;

l'intuition

dans un indivisible présent. Le présent, en

il

en a

effet, le

même, synthèse de toute durée, n'appartient pas au monde sensible, car le sens ne saurait l'atteindre; il. appartient au monde intelligible. De même, l'intellect n'a pas l'intuition niinc

Cusa De docta ignorantia liber Cusa De ludo globi liber II. Nicolai de Cu<a De Jiliatione Dei libellus.

i.

Nicolai de

2.

Nicolai de

.H.

II,

cap. VII.


.

lÔO

ÉTUDES SUR LÉONARD DE VUVCI

des grandeurs en

une étendue corporelle

un point

indivisible, qui est la synthèse intelligible de toute

quantité continue.

»

En résumé, dans l'étendue,

tinus,

mais en

et divisible,

la

Nature créée,

temps,

le

les

développements con-

mouvement possèdent

le

unes

l'existence actuelle; les synthèses

seuls

et indivisibles, le point,

présent, le repos, y sont de pures impossibilités. D'autre

le

part, ces

synthèses, immédiatement contiguës au néant, ont

seules accès dans l'intellect

c'est

;

par

elles seules

que

celui-ci

Nature concrète.

saisit la

Telle est la doctrine de Nicolas de Cues, doctrine très audacieuse, très originale, fort différente de la théorie péripatéti-

cienne

doctrine dont

;

de relever

serait aisé

il

analogies

les

avec certaines opinions de la moderne École Bergsonienne.

Léonard

Or, cette doctrine,

croyons «

passage suivant

le

'

l'avait

sienne,

faite

nous en

si

:

Toute quantité continue

est,

par

pensée, divisible à

Ja

l'infini. » «

En

toutes les grandeurs qui sont en

nous-mêmes,

l'exis-

tence de la grandeur nulle tient la place principale; son office s'étend à toutes

En

[actuelle].

choses qui

les

sont

privées de l'existence

ce qui concerne le temps, son essence réside

entre le passé et le futur, et la grandeur nulle est en possession

du

En

présent.

grandeur nulle,

cette

la partie est

égale au

tout et le tout à la partie; elle est à la fois divisible et indivisible; elle

donne

division, le

même

le

même

comme

démontrent de leur dixième

chiffre,

le

qui représente cette s'étend pas «

dans

rencontre ce que l'on trouve entre le

le

présent; dans

dont on

la nature. » le

temps

nomme

et

dit qu'elles

discours,

il

dans

néant;

passé et le futur, et le

Mais sa puissance ne

grandeur nulle.

aux choses de

C'est seulement

que par

par addition que par soustraction,

mathématiciens

les

résultat par multiplication

la

le

dans

discours que se le

temps,

il

se

grandeur nulle retient

est représenté

par

les

choses

ne sont pas ou qu'elles sont impossibles.

i. Léonard de \ inci, ins. Arundel 203 de ta bibliothèque du Brtiish Muséum, recto.— J, P. Uichtcr, The literary Works of f.fonardo du Vinci, t. II, $ tai6.

»

fol. 101


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

En

«

ce qui concerne

temps,

le

l6l

grandeur nulle réside

la

entre le passé et le futur, et le néant est en possession

du

présent; en ce qui concerne la nature, la grandeur nulle est

compagne des choses impossibles, comme nous l'avons dit, et le néant n'y a pas d'existence. En effet, si le néant était donné dans la nature, le vide y serait donné. »

la

VI Les réflexions de Léonard de Vinci LA PHILOSOPHIE

TOUCHANT

DE NlCOLAS DE CuES

(SUltej.

La CRÉATION ET l'aMOUR CRÉATEUR.

uL'Ame d'Aristote

universelle,»

1 ,

corporelle;

«est

le

avait

dit

est

Théologie

la

spirituelle

ou

une forme privée de toute matière;

reçu de l'Intelligence

l'influx qu'elle a

forme

principe de toute

elle-même

de

l'auteur

en elle-même toute forme.

donne de

lui

Son œuvre, qui

refléter

est la Nature,

apparaît par l'imposition de la forme à la Matière première.

Les procédés de

«

emploient

l'art

les

»

corps qui existent,

formés, dans la Nature; aussi en imitent-ils la génération. Si

un

une certaine œuvre et s'il ne pos fabriquer, une matière déjà pourvue d'une

artisan voulait produire

sédait pas,

pour

la

certaine forme, lui serait- il possible de suspendre la figure artificielle qu'il

conçoit dans une matière jusqu'alors dépourvue

de forme? ou de la réduire à une forme exempte de toute matière? Cela ne se peut « Si,

faire. »

par exemple, un potier veut réaliser une marmite ou

tout autre vase dont pétrir de l'argile; telle qu'il

il

il

lui

a

conçu

donne

veut l'obtenir; puis

de

la «

i.

marmite.

il

commence par

alors la figure de la

il

point douteux que l'argile, que

le projet,

la cuit

l'air,

pour

que

le

marmite

la durcir. Il n'est

feu sont la matière

»

Ainsi procède

l'art.

L'Ame

Aristotelis Theologiœ liber tertius

universelle procède autrement; decimus, cap. VI. Éd. i5ig,

fol.

80, recto;

éd. 1572, fol. 182, verso, et i33, recto. p.

DUHEM.

1

1


I

ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

^3

douée du pouvoir d'imposer une forme à ïa Matière simple et jusqu'alors non informée; et c'est seulement en cette Matière simple et incréée qu'elle produit des formes. » Il n'est guère douteux que Nicolas de Gués ait lu ce passage est

elle

dans celui-ci

et qu'il s'en soit inspiré

ment

le

Créateur informe

la

1 ,

il

explique com-

matière première, pure possibilité

qui n'a encore reçu aucune forme, mais qui est apte à les recevoir toutes

Conrad.

«

complète de Nicolas.

«

:

Donne-moi,

— Très volontiers.

«

Conrad.

«

Nicolas.

— Voilà

Je

l'ai

puis,

en

verrier,

adhère,

effet,

ensuite, avec le verrier,

vase que cet air

le

une explication plus

...Tu as vu, sans doute, fabri-

»

un exemple

propre à

très

à l'aide

du

feu,

une canne de

par son

souffle,

il

la

rend propre à son

fer à laquelle la

va

lui

donner il

la

forme du

insuffle de l'air;

par l'action du maître, un vase de verre se trouve

vase. «

matière

matière selon l'intention du maître, et ainsi,

la

moyen d'une

com-

réunit une certaine quantité de matière;

maître a conçu; dans ce but,

meut

te faire

»

dans un fourneau,

travail;

prie,

»

vu.

prendre cette doctrine.

Le

te

cette doctrine. »

quer des vases de verre?

«

je

fait

au

matière qui n'avait aucunement la forme d'un

»

Cette figure

du vase informe

la

qu'elle soit tel vase de telle espèce;

demeure sous

cette figure, elle

matière de et tant

que

telle la

sorte

matière

perd son universelle capacité à

recevoir n'importe quelle forme de vase; sa possibilité universelle est alors spécifiée et particularisée «

par

l'acte.

Imaginons maintenant que de ce vase de

»

cette espèce, le

maître se propose d'en faire un autre d'une autre espèce.

M

ce vase ni ses fragments ne sont capables de ce qu'il désire

car ce vase est

un

que

de ce tout. Alors

les parties

tout

un

et parfait, et ses

fragments de ce vase à

les

i

Nicolai

<l<>

la

Cusa Dialogua de Genrsi.

le verrier

;

fragments ne sont

ramène

matière première;

ce vase il

ou

leur ôte


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE

forme

la

en laquelle

actuelle,

ils

l63

VlISCl

étaient figés; et lorsque la

matière est redevenue fluide, qu'elle a repris la possibilité universelle, est très

Il

il

emploie cette matière à

faire

un nouveau

— Un

Comparaison.

forme

Tout auprès 2 de

«

Souvent une

s'il

est cuit. »

cette pensée,

conçue en ces termes

est

:

vase brisé peut être restauré en sa

mais non

est cru,

s'il

»

vraisemblable que ce passage de Nicolas de Gués a

suggéré à Léonard de Vinci la pensée suivante «

vase.

nous en lisons une autre qui

:

même

chose

par deux violences,

est tirée

savoir la nécessité et la puissance. L'eau de la pluie, la terre

pompe non par

l'absorbe par nécessité et le soleil la

mais par puissance.

nécessité,

»

Prise isolément, cette pensée semble passablement obscure;

son véritable sens transparaît

si

on

la

rapproche de

la philoso-

phie de Nicolas de Gués.

L'Évêque de Brixen distingue, en toute substance, bilité

indéterminée

cet acte,

il

mouvement de

comme une

qui détermine cette possibilité; à

et l'acte

donne souvent

le

de

la nécessité,

descente;

il

dirigée de haut en bas.

la possi-

nom

de nécessité.

11

regarde

qui informe

la

puissance,

l'acte

compare

le

Au

à

il

trahit

d'une force

l'effet

mouvement de

la

une aspiration vers

le

contraire, le

puissance est une ascension;

le

haut.

Ne

que l'intention de Léonard ait été de trouver une comparaison propre à éclairer cette doctrine? semble-t-il pas

Le mouvement qui qu'il doit

fait

descendre

le

mouvement

déterminer,

sance vers

l'acte

dont

elle

l'acte vers la

qui

fait

puissance

monter

la puis-

attend sa forme sont dus à

un

mutuel amour, semblable à celui qui abaisse l'époux vers l'épouse et qui élève l'épouse vers l'époux; et c'est l'acte

qui engendre en la puissance

conséquent, vers la

lui.

le

mouvement par

L'union de

l'acte et

le

désir de la forme

i.

Léonard de Vinci, Codice Léonard de Vinci, Codice

et,

lequel la puissance se

de la puissance, de

matière, en engendrant une substance,

i.

même

Trivulzio, fol. 38, recto. Trivulzio, fol. 3g, recto.

donne

la

forme

par

meut et

de

satisfaction à


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

ifi/j

atnour mutuel

cet

le

;

double mouvement

engendrait

qu'il

aboutit au repos.

Ce

intermédiaire entre

de l'amour,

rôle

l'acte, est essentiel

en

Théologie d'Aristole;

la

puissance

la

et

Métaphysique qu'expose l'auteur de caractérise

il

Métaphysique

cette

la

et

la

distingue des autres philosophies néo-platoniciennes. Nicolas

de Gués a emprunté à cet auteur l'idée de cetle trilogie partout présente, la puissance, l'acte et leur mutuel

comme la clé

de voûte de

son tour, paraît

s'être

amour;

Aucune

vivement intéressé à

ut perficiantur.

»

:

mouvement.

»

presque textuelle de cette

phrase écrite par l'Évêque de Brixen

motum

fait

cette doctrine.

action ne peut s'exercer que par le

Elle est d'ailleurs la traduction

runt

en a

doctrine qu'il a édifiée. Léonard, à

la

C'est à elle, sans doute, qu'a trait cette réflexion «

il

3

«

:

Naturae opéra requi-

»

C'est à cette théorie de la Théologie d'Arislote et de "Nicolas

de Cues que se rapporte assurément cette suite de formules 5

la

doctrine dont

saisissante

Le

«

il

s'agit est parfois

sujet, à l'aide

moyen

de

la

forme, meut celle qu'il aime, qui

de l'objet sensible

forme plus avec «

L'œuvre

Quand

à elle, «

le

il

la

elle

est la

chose aimée est «

même

;

i.

pane 3. '4.

que

qu'une seule chose.

avec

l'amant se

» ;

si

la

fait vil 4. »

en résulte délectation, plaisir est joint à l'objet il

et satisfaction. »

aimé,

il

se repose;

se repose.

homo.

Léonard de Vinci, Codice Trivulzio, fol. 6, recto. transformatorius amantium, eût dit Nicolas de Cues.

quand

»

Léonard de Vinci, Codice Trivulzio, loi. 30, verso. Nicolai de Cusa Excitai ionu m ex sermonibus liber V: ex sermone

Amor

ne

chose qui est unie convient à celui qui s'unit

Quand l'amant

vivit

elle et

première chose qui naît de l'union

vile,

meut

sens nous

le

et le sujet s'unit

poids est placé sur un support,

2.

exprimée d'une manière

:

aspire vers la chose aimée, de

au

,

:

Non

in ^olo


NICOLAS DE GUES ET LÉONARD DE VINCI

1

65

VIT

Les réflexions de Léonard de Vinci touchant LA PHILOSOPHIE DE NlCOLAS DE GUES (suite). Les FACULTÉS

de l'Ame. Le Codice Trivalzio renferme diverses réflexions relatives aux facultés de l'âme

humaine; moins nettement,

peut-être,

que

les

précédentes, elles portent le sceau de la philosophie de Nicolas

de Cues;

en

il

est

qui s'adapteraient sans peine à des doc-

trines plus générales;

n'en est toutefois aucune qui ne se

il

puisse fort exactement appliquer à celle-là; nous Talions voir tout à l'heure.

Pour Nicolas de Cues l'intelligence humaine est formée par l'union de deux éléments, l'un d'essence supérieure et 1

,

spirituelle, qu'il et participant

nomme

du corps,

Y intellect, l'autre d'essence inférieure

nomme

qu'il

le

sens; de leur union

naît la raison, qui participe à la fois de l'intellect et

Le sens dépend du temps

et

de l'espace;

du

sens.

l'intellect

au

du temps et de l'espace; il plane dans une région plus élevée, où il voit. N'est-ce pas ce fondement essentiel de la doctrine de

contraire est indépendant

l'Evêque de Brixen que Léonard de Vinci entend exprimer lorsqu'il écrit 2 «

:

Les sens sont terrestres

sens lorsqu'elle contemple

;

la

raison se tient en dehors des

» ?

Cette connaissance contemplative n'est pas la connaissance naturelle à

l'homme

;

la

raison

humaine

participe à la fois

du

sens et de l'intellect; aussi point de connaissance qui ne soit

venue à

la

raison à partir du sens

non prius Juerit

l'intellect

in

(nihil est in intellectu

sensu); point de connaissance,

non

quod plus,

ne prenne part. Cette doctrine de Nicolas de

i.

Vide supra,

3.

Léonard de Vinci. Codice

III, L.

Trivalzio. fol. 33, recto


ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

l6G

Cues, nous en trouvons Vinci

le

résumé en

:

«Toute notre connaissance ments.

son principe des senti-

tire

1

»

La chose est connue au

«

deux phases du

ces

Notons

la

remarque

moyen de

a son prix

notre intellect 2

— que

.

»

seconde de ces

la

aux réflexions sur l'amour que nous avons

pensées

fait

citées et

où nous avons signalé

suite

la

marque bien reconnaissable

de Nicolas de Cues.

Deux pages plus tiques

,

nous lisons ces lignes assez énigma-

:

U sono

«

loin 3

le

memoria.

potenfie.

e intelletto lascibili. e choncupis-

cibili. » « le

2 prime, son ragionevoli ellaltre sensuali.

est classique,

Il

guer

dans l'enseignement de l'École, de distin

quatre puissances en

volonté et

les

»

l'âme

humaine

deux passions principales,

la

:

raison,

l'irascible et la

cupiscible. Nicolas de Cues reproduit cette division en

sermons 4 A

ses

faut écrire,

il

la place

.

croyons-nous

réflexion précédente «

du mot dénué de tout sens

Quatre sont

les

:

irascibili,

et

:

la

con-

un de

lascibili,

traduire ainsi

la

mémoire

et

:

puissances

l'intellect, l'irascible et la

[de l'âme]

:

la

concupiscible. Les deux premières

sont raisonnables et les autres sensuelles.

»

Mais ce passage présente encore quelques points qui méritent

examen. Selon

la division classique, les

sont la raison et

la

quatre puissances de l'âme

volonté, la passion irascible et la passion

concupiscible. k la raison et à la volonté, Léonard substitue la

mémoire

et l'intellect; cette substitution n'est-elle

que

d'une inadvertance? N'a-t-elle pas une raison

tat

le résul-

5

et cette

Léonard de Vinci, Codice Trivulzio, fol. ao, verso. Léonard de Vinci, Codice Trivuhio, fol. G, recto. .H. Léonard de Vinci, Codice Trivulzio, fol. 7, verso. 4. Nicolai de Cnsa Excitationum ex sermonilms liber VIII; ex sermone Domiuabuntur populis. 5. En son écril De sentu et sensato, Aristote indiquant ce qui, chez les animaux. dépend à la lois <lo l'âme el du corps, commence son énumératîon par ces mots « le sens el la mémoire, la colère el le désir;» il y ajoute: « toute espèce d'appétit, ta joie i.

2.

:

:


MCOLAS DE CUES ET LEONARD DE raison ne se laisserait-elle pas deviner par

VINCI

lf>7

de Nicolas

la lecture

de Gués? Il

un remarquable sermon

existe

i

où l'Évêque de Brixen

propose de développer cette pensée de saint Augustin de

la Trinité

deux.

«

L'image

trouve en l'âme humaine; l'intelligence est

se

engendrée par

:

se

la

mémoire

et

volonté procède

la

de toutes

»

Le Cardinal Allemand commence par distinguer deux modes d'action de l'âme; unie aux organes corruptibles, son activité

soumise à

est

elle se

la succession

souvient dans

la

du temps;

imagine,

elle sent, elle

durée; mais son activité peut aussi

une forme plus haute, où succession du temps; elle vit

s'exercer sous

elle se

trouve sous-

traite à la

alors dans le temps

intemporel.

L'âme donc, agissant en ce temps intemporel, voit à

«

fois,

dans sa propre essence,

passé, elle

ou

volonté

nomme

le

désir.

mémoire,

le

présent

le

intellect,

le

;

futur

»

La mémoire dont tive. « C'est la

passé, le présent et le futur

le

la

il

s'agit ici n'est

mémoire purement

pas la mémoire imagina-

intellectuelle, séparée

de

la

matière. Elle est capable, grâce à cette séparation, de saisir les

espèces du

monde

intelligible, et

de

les

comprendre, donnant

ainsi naissance à l'intellect. Or, ce qu'elle

convenance avec

voit la

la volonté.

Ainsi

«

se

la

propriété par

tourne vers

nomme

qui comprend, et de

l'être

les

laquelle

nomme

la

l'âme peut

en

effet, n'est

la

retenir

les

espèces intelligibles pour les connaître

l'intelligence. Celle

L'intellect

sont en

là résulte

mémoire. Celle par laquelle

par laquelle

espèces après qu'elles lui sont connues se «

en

elle

»

espèces intelligibles se elle se

comprend,

suppose donc

la

mémoire

elle s'attache à ces

nomme abstraite

volonté. ;

»

l'intellect,

rien autre chose que l'intelligence des idées qui

mémoire...

On ne

peut comprendre

le

mot

intellect

en effet, qui sont communes à presque tous les aniquatre premiers termes de cette énumération ne sont assurément pas donnés comme représentant les quatre puissances de l'âme. 1. Nicolai de Cusa Excitationum ex sermonibus liber l; De eo quod scriptum est Vita erat lux hominum.

et la tristesse; ce sont choses,

maux;»

les

:


l68

ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

*

comme

que

signifiant l'intelligence de quelque chose, et

ce

mémoire; tout comme on ne peut être fils sans être le fils de quelqu'un, savoir du père. » Ainsi l'intellect est le fils, le verbe, le Xovoç de la mémoire intellectuelle.

quelque chose

«

Quant

mémoire à la fois

est la

dans

la

mémoire

trouver en la volonté

Enfin

de

et

la

la

volonté de

la

de l'intelligence réunies; ce qui ne se trouve pas

et

mémoire,

que

elle n'est rien

à la volonté,

»

;

la

l'intellect

mémoire,

et

dans l'intelligence ne saurait

volonté procède donc à

qui en est

l'intellect, la

le

la fois

se

de la

verbe.

volonté, forment

une

trinité

qui se résout en unité dans l'essence indivisible de l'âme.

De

telles

pensées méritaient assurément d'arrêter l'attention;

n'est pas surprenant qu'elles aient

il

pu

solliciter

Léonard; leur influence expliquerait alors comment à

rénumération classique,

à la volonté, termes de

et

celle la il

de

raison a

pu

mémoire et l'intellect; elle expliquerait surtout comment, dans une gradation qui descend des plus nobles puissances aux plus humbles, il adopte un ordre tout d'abord substituer la

surprenant

et

place l'intellect après la mémoire.

Mais tout n'est pas clair encore dans

nous avons la

mémoire

citée; et

la

courte réflexion que

de ces deux puissances purement cognitives,

l'intellect,

n'est-il

pas singulier de voir rap-

deux puissances passionnelles, l'irascible et la concupiscible? La lecture de Nicolas de Cues a pu, cependant, procher

inciter

les

Léonard à

établir

un

tel

rapprochement.

En un passage des dialogues Brixen donne l'esprit,

le

nom

intitulé

:

VIdiot

de passion au début du

tandis qu'il réserve le

nom

l

,

l'Évêque de

mouvement de

d'intellect à l'état de perfec

mouvement « L'Idiot... On dit que l'esprit comprend dès là qu'il se meut; le commencement de ce mouvement est plus particu-

tion auquel conduit l'accomplissement de ce

lièrement désigné sous ce

mouvement sous

le

nom de passion, et nom d'intellect. Mais,

le

disposition et l'habitude sont

disposition

i.

tandis qu'elle

Nicolai de Cusa Idiotœ liber

111

une seule chose,

:

la perfection

même que la que l'on nomme

de

tend à sa perfection

:

De mente:

cap. Vil).

de

et

habitude


NICOLAS DE GUES ET LEONAUD DE VINCI

lorsqu'elle y est parvenue, de l'intellect

passion de l'esprit

la

mouvement de mouvement est passion. »

sont une seule chose... Le

intellect et le Si

même

l6çj

début de ce

Léonard a

étonner de

lu ce passage,

la classification

l'âme, classification qui

met

nous n'avons plus

qu'il

et

l'esprit est

lieu

de nous

impose aux puissances de

immédiatement au-dessus

l'intellect

des deux passions sensuelles, l'irascible et la concupiscible.

Or d'autres considérations vont fortifier en nous l'hypothèse que Léonard avait lu ce passage de Nicolas de Gués. L'énumération des quatre puissances de l'âme, que nous avons relevée au Codice Trivulzio, y des lignes que voici

est

immédiatement

et

l'odorat

suivie

l

:

«

Des cinq sens,

la

vue,

d'empêchement (di pocha du tact et du goût. » «

L'odorat

mène avec

l'ouïe

proibitione);

soi le

il

sont de peu

n'en est pas de

goût chez

le

même

chien et autres

animaux pourvus de gueule. » Au premier moment, il est difficile de n'être pas surpris de la démarche singulière selon laquelle procède la pensée de Léonard nous voyons cette pensée sauter brusquement d'une énumération des facultés de l'âme à un partage des cinq sens en deux catégories, puis s'achever en une remarque sur le flair du chien. Par quelle transition insoupçonnée l'intelligence du ;

grand peintre

reliait elle

entre eux ces sujets

Cette transition va nous apparaître

si

si

disparates?

nous poursuivons

la

du chapitre 2 où Nicolas de Gués a donné le nom de passion au début du mouvement intellectuel. Dans ce chapitre, en effet, l'Évêque de Brixen classe, suivant une gradation descendante, d'abord les quatre formes de l'esprit, puis les cinq sens du corps. lecture

Les quatre degrés qu'il distingue dans l'esprit ne sont pas

ceux qu'y marque Léonard; ce sont, en allant du plus parfait

au moins parfait 3 gination et

i.

2.

i.

,

le sens.

l'intellect,

la faculté

Quant aux sens

appréhensive, l'ima-

particuliers, leur ordre

Léonard de Vinci, Codice Trivulzio, fol. 7, verso. Nicolai de Gusa Idiotse liber 111 De mente; cap. VI 11. :

Vide supra, III. L.


LTUDES SUR LEONARD DE VINCI

I7O

hiérarchique décroissant est le

goût

suivant

le

:

vue, l'ouïe, Fodoral,

la

toucher.

et le

L'idée de former

une échelle unique au moyen des cinq

évidemment Nicolas de Cues il l'expose également en un il y voit la preuve que tout dans l'homme

sens surmontés des quatre facultés de l'âme était

une idée chère autre ouvrage

à 1

procède suivant

;

;

le

nombre

Voilà qui déjà nous

mère

fait

neuf, carré de la trinité.

comprendre pourquoi Léonard énu-

quatre puissances de l'âme selon l'ordre d'excellence

les

décroissante, puis, tout aussitôt après, les cinq sens, dans le

même

ordre.

Mais allons plus loin,

comparons

et

deux passages où

les

l'Évêque de Brixen a donné semblable énumération.

Au De

conjecturis, l'ordre hiérarchique selon lequel les sens

sont disposés est ainsi justifié toucher,

ne s'exercent

Les sens inférieurs, goût et

:

qu'au contact;

sens

les

supérieurs

s'exercent à distance, et d'autant plus qu'ils sont plus parfaits «

Toute sensation

est

:

causée par l'approche de quelque chose

que

par

l'approche jusqu'au contact; d'autres sont déterminées

par

(obviatio).

Certaines

l'approche

ne

sensations

sont

causées

de l'objet jusqu'à une distance

plus

un organe

grande. L'odorat, qui se produit en

ou moins

particulier, et

qui est d'une nature plus noble que les premiers sens, est affecté

par des objets

même

éloignés, au point que la sensation

en résulte. L'ouïe est affectée par des objets

plus éloignés

encore. La vue, enfin, surpasse en excellence tous les autres sens; aussi la sensation y est-elle déterminée par des objets

beaucoup plus distants que ceux dont être affectés.

autres sens peuvent

les

»

Le passage que nous venons de traduire ne nous donne-t-il pas la clé de cette ligne uldir odorato sono di

faut

il

si

pocha

pas l'interpréter ainsi

énigmatique

:

proibitione. latlo :

« Il

est

«

de 5 sensi vedere e guslo no. »?

Ne

peu d'obstacles qui puis-

empêcher la vue, l'ouïe et l'odorat; il n'en est pas de même du tact et du goût qui cessent par simple suppression du contact » ? sent

1.

Nicolai de

Cusa De

conjecturis liber

II,

cap.

\IY


7

NICOLAS DE GUES ET LÉONARD DE VINCI

Au

livre III des dialogues de l'Idiot

procédé par lequel

le

proche

et

De même que

,

admet que

peut se produire à distance

;

il

y rap-

comme

celui-là,

:

au sein d'un

l'ouïe se produit

1

Nicolas de Cues décrit

1

sensation se produit en nous

goût de l'odorat

le

celui-ci, «

la

1

air très subtil,

l'odorat se produit au sein d'un air épais,

ou mieux d'un

chargé de fumées; cet

narines; sa nature

air pénètre

dans

fumeuse retarde

l'esprit, afin d'exciter

ses fumées.

le

humides

et

Si

même

l'âme à goûter...

l'âme à saisir l'odeur de

au contact des parois

air pénètre

spongieuses du palais,

les

air

retarde l'esprit et excite

il

»

N'est-ce pas chez

les

animaux qui suivent leur proie

piste et la dégustent d'avance

à la

par l'odorat que cette assimila-

tion se trouve surtout justifiée? Et ce passage de Nicolas de

Cues n'appelle-t-il pas tout aussitôt «

L'odorat

mène

avec soi

le

animaux pourvus de gueule

la

remarque de Léonard

goût chez

le

chien et

autres

» ?

Ajoutons que Léonard partage en toutes choses

les

opinions,

plupart du temps fort justes, que Nicolas de Cues a émises

la

mécanisme de la perception; témoin ce fragment 2 pensée du grand peintre s'exprime à peu près comme

touchant

la

s'est

le

((

,

exprimé l'Évêque de Brixen dans

venons de

citer

:

certaine vertu qu'ils projetteraient hors d'eux-

mêmes, mais bien par trouve entre l'objet

par

les

choses

et,

les objets

l'intermédiaire de l'air; celui-ci, qui se sens, incorpore les espèces émises

et le

par

apporte ces espèces.

que

passage que nous

le

Les sens ne reçoivent pas la ressemblance des choses au

moyen d'une

le

contact qu'il a avec

pour

S'il faut,

qu'il

y

ait

le sens,

il

lui

odeur ou son,

envoient leurs puissances spirituelles à

ou au nez, comment ne de

les

:

l'oreille

serait-ce pas nécessaire lorsqu'il s'agit

la lumière?... »

Nous voyons par

cet

exemple que

la

lecture des

œuvres de

Nicolas de Cues permet d'interpréter telle pensée obscure de

De mente; cap. VIII. Léonard de Vinci, Codice Atlantico, fol. 89 a. — Cf.: .T. H orks of Leonardo da Vinci, Londres, 883 t. II, 5 834. 1.

Nicolai de Cusa Idiotœ liber III

:

>..

1

;

P.

Richter, The literary


ÉTUDES SUH F.ÉONARD DE VINCI

I

-J-2

Léonard, de elle

rapprochement d'aspect incohérent;

justifier tel

permet aussi de

restituer leur sens véritable et

complet à

des passages qui, pris en eux-mêmes, sembleraient réflexions

même

sans importance, voire

plaisanteries de goût douteux.

De ce nombre est le passage suivant, que nous reproduisons tel que Léonard l'a écrit 1

:

«

Demetrio solea dire, non essere diferentia. dalle parole

dellinperiti ignioranti chessia

ripieno di superfluo vento. «

da soni e

e voce

strepidi. causati dal ventre

»

Ecquesto non senza cagion dicea imper ochellui non reputava.

esser diferentia da quai parte costoro mandassino. dalle parte inferiori o dalla

valimento. e substantia.

Qu'est-ce là?

Une

bocha chelluna

fuora

la

voce o

era di pari

ellaltra

»

grossière boutade, singulièrement déplacée

en ce cahier dont toutes sujets les plus relevés?

hors

les notes,

Nous

le

ont

celle-là,

pourrions croire

trait

si

aux

nous ne

recourions à Nicolas de Cues.

En son

Dialogue sur

quels sont les

humaine

:

la

trois degrés qu'il

La parole que

ordres distincts.

par

Tout d'abord le

le

le

;

la

en

connaissance ration-

voici l'ingénieuse

maître prononce implique

elle

même

trois

par des gens qui ignorent abso-

l'ouïe,

sens des mots dont elle se compose. la recevoir.

Toutes

les bêtes, le

entendent seulement des sons articulés.

Après cela vient

hommes

compa-

cette parole est sensible. Elle peut être recueillie

en cela semblables à l'homme qui ignore

u

connaissance

»

manière bestiale de elles

la

:

simple organe de

lument

établit

La connaissance sensible,

raison qu'il développe

«

,

connaissance intellectuelle

nelle, la

a

Genèse 2 Nicolas de Cues veut expliquer

la

C'est

en

effet,

la

sont

sens des mots; »

parole rationnelle, celle qu'entendent les

du sens des mots. La raison seule comprend le sens des mots, en sorte que la parole rationnelle du maître est entendue par les hommes, et non par les bêtes. » « Mais il peut arriver qu'un grammairien entende le disi.

a,

instruits

Léonard de Vinci, Codice Trivulzio, \ieolai de Cusa Dialogus de Genesi

folio 16. verso,


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

cours du maître maître,

si

ne

et

celui-ci,

saisisse pas

la

pensée

1

même

7^

de ce

par son discours, s'efforce d'expliquer une

mathématique ou théologique. Vous voyez donc que la parole du maître est encore rationnelle, mais d'un ordre

idée

supérieur.

C'est Tordre intellectuel.

»

Comprend-on maintenant Léonard?

IN

'est-elle

le

sens profond de la pensée de

pas une comparaison, brutale assurément,

mais bien capable de mettre en lumière ce par la parole purement sensible ?

entendre

qu'il faut

VI11

Les réflexions de Léonard de Vinci

TOUCHANT LA PHILOSOPHIE DE NlCOLAS DE CUES

(SUlte).

L'immortalité de l'ame.

De

quelle manière l'âme

Comment

la

humaine

au corps?

est-elle unie

mort du corps n'entraîne -t-elle pas

la

mort de

l'âme? Ce sont questions qui ont, à plusieurs reprises, préoc-

cupé Léonard de Vinci. Les essais répondre étaient guidés,

qu'il a tentés

en général, par

en vue d'y

pensées que

les

Nicolas de Cues avait émises au sujet de ces problèmes parfois, les idées

;

de Nicolas de Cues avaient pour origine

et,

les

doctrines exposées en la Théologie d'Aristote. L'influence du

philosophe antique qui a composé ce livre parvenait

ainsi,

par

l'intermédiaire de l'Évêque de Brixen, jusqu'à Léonard. «

Tout mouvement d'union

est

un mouvement amoureux

qui tend au plus grand bien des objets qu'il unit

vement d'une C'est par est la

un

partie a

tel esprit

pour objet

.

Tout

mou

du tout 3 » d'union que l'âme du monde, qui en

forme, s'unit à la matière 3

qu'elle est apte à recevoir et

1

;

« la

;

la

la

perfection

.

matière désire la forme

forme qui désire

être

en acte

qui ne peut subsister isolément... descend afin d'exister, Cusa De docta ignorant ia liber secundus, cap. X.

1.

Nicolai de

2.

Nicolas de Cues, Nicolas de Cues,

3.

ibid.,

cap. XII.

ibid.,

cap. X.


,

ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

l-y/l

d'une manière contractée, en

la possibilité »

qui est

la

matière.

En l'homme, ce microcosme, l'union de l'âme et du corps est produite par un semblable esprit de connexion amoureuse dont la fin est la perfection plus grande de l'âme et du corps 1

,

qu'il

vivre ensemble. Telle

fait

est,

en ces grands

traits, la

doctrine que Nicolas de Gués professe sur la nature du com-

posé humain. N'est-ce pas cette

phrases du Vinci

même

doctrine que résument ces courtes

:

Toute partie a tendance 2 à

«

sa propre imperfection.

L'âme 3 désire

«

se réunir à

son tout pour fuir

»

que sans

rester unie à son corps, parce

instruments organiques de ce corps,

elle

les

ne peut ni opérer ni

sentir. »

Au

l'âme et du corps, l'auteur de

sujet de l'union de

Théologie dTArislote expose

la réfuter et la rejeter,

soutenue par certains pythagoriciens

doctrine

philosophes de sition de

pour

*,

la secte

l'homme

la cithare

«

:

de Pythagore ont comparé

la

une

Quelques

la

compo-

à celle de la cithare. Lorsque les cordes de

ont été tendues selon

les

règles et

conformément

une certaine proportion, il suffit que le musicien frappe ces cordes pour que la cithare rende une harmonie. De même, lorsque les humeurs se tempèrent exactement les unes les à

autres, le corps se trouve

complexion que

cette

me semble

en sa véritable complexion,

l'on désigne par le

nom

d'âme. Mais

impossible d'admettre cette opinion...

Pas plus que l'auteur de

la

et c'est il

»

Théologie d'Arislote, Nicolas de

Gués n'entend réduire l'âme humaine à n'être que l'harmonieux équilibre

d'un

corps

sainement

constitué.

Mais

la

du moins trouve en un passage que nous

théorie pythagoricienne qu'il repousse lui suggère

une comparaison;

celle-ci se

allons étudier.

Le microcosme est analogue au macrocosme;

3.

De docta ignorantia liber secundus, cap. XII. Léonard de Vinci, Codice Atlantico , fol. 58 a. Léonard de Vinci, ibid., fol. 180 a.

\.

Aristotelis Theologise liber tcrtius, cap. V.

i. }..

fol

la création

.

de

Nicolas de Gusa

at),

verso.

-Éd. iôig,

fol.

10,

recto; éd.

1

07^


NICOLAS DE GUES ET LEONAHD DE VINCt

l'Ame du monde entre elles,

parler,

de

dans

de l'âme humaine ont donc,

et la création

guère de l'une sans

traite-t-il

que

c'est ainsi

7>5

plus grande ressemblance; aussi le Cardinal

la

Allemand ne

1

passage que nous allons citer

le

monde l'amène

considération de l'Ame du

la

de l'autre;

traiter

1 ,

de

à

formation

la

Tâme de l'homme. uL'Orateur.

répandue dans

telle «

— Mais,

— Tu

L'Idiot.

le

comment

dis -moi,

l'âme se trouvé-

corps par l'acte créateur?

m'en

as déjà

»

entendu parler en d'autres

circonstances. Aide-toi maintenant, pour le comprendre, de ce

nouvel exemple. «

L'Auteur.

»

— L'Idiot

au moyen d'un

petit

verre

rendit

aussitôt

quelque temps,

pendule tenu entre

verre; puis

pouce

le

et,

— Ma

L'Idiot.

verre en

mouvement,

détruite

fut

mouvement mouvement prit fin

ne dépendait pas du verre,

que

le

et,

elle

par conséquent,

le

son

;

mouvement cessant, le productrice du mouvement

et, le

ne serait pas supprimée par

le

rompu; elle persisterait en l'absence du alors un excellent exemple de cette force qui

verre est

verre; tu aurais est créée

»

du verre en

proportion

cette

son cessa également. Si cette vertu

fait

son cessa

Au bout de

ce qui a produit le son.

laquelle résidait le aussitôt, le

:

le

verre une certaine force; cette force a mis le

dans

quelque temps

le

puissance, par l'intermédiaire du pendule,

a produit

le

frappa

et l'index;

sur-le-champ,

de se faire entendre. L'Idiot prit alors la parole u

le

il

un son. Ce son ayant duré pendant

verre se fendit

le

un

prit alors

en nous; qui y produit

la

mouvement

et

l'harmonie;

qui cesse de les y produire lorsque l'exacte proportion de notre corps est détruite; et qui, cependant, ne cesse pas pour cela d'exister. C'est ce qui aurait lieu, par

exemple,

si,

sur une

cithare donnée, je t'enseignais l'art de jouer de la cithare; bien

que

cet art te soit enseigné

au moyen d'une certaine cithare,

ne dépendrait pas de cette cithare; aussi

que ton

brisée sans lors

même

que tu ne trouverais dans

Nicolai de

pourrait être

talent de harpiste en fût dissipé;

dont tu pusses jouer. i.

la cithare

Cusa Idiotœ

le

monde aucune

»

liber lertius

:

De mente; cap.

XIII.

il

et cela,

cithare


,

ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

176

La première des deux comparaisons données par Nicolas de

Gués

malpropre à représenter

était

de l'âme

l'union

et

du

mouvement

corps; la rupture de la cloche de verre met fin au

sonore qui résidait en cette cloche; à suivre cette comparaison,

nous serions conduits à penser que l'âme

l'intégrité

du corps

est détruite. Nicolas

défaut de son premier exemple et

qui fût apte à figurer une

que

le

choix auquel

de jouer de

il

il

de Cues a reconnu ce

en a cherché un second

âme immortelle;

s'est arrêté fût très

la cithare survit à la

périt lorsque

ne semble pas

il

heureux, car

si l'art

destruction de cette cithare,

ne résidait point en cet instrument durant que celui-ci

il

demeurait

entier.

Léonard paraît avoir voulu remédier aux

défauts de ces deux exemples en écrivant ce qui suit

L'âme ne peut

«

se

corrompre par

l :

suite de la corruption

du

corps; elle agit dans le corps à la ressemblance du vent qui

produit

le

son dans un orgue;

produira plus bon

effet

si

l'on gâte

un

tuyau,

en passant par ce tuyau 2

La comparaison que nous venons de

citer

.

le

vent ne

»

ne constitue pas

une théorie de l'union de l'âme et du corps. Or, Léonard semble avoir conçu une telle théorie, et cela sous l'influence de Nicolas de Cues qui s'inspirait lui-même de d'Aristote; c'est ce

la

Théologie

que nous allons nous efforcer de mettre en

évidence. Voici d'abord la doctrine qu'exposes l'auteur de la Théologie d'Aristote et qui se trouve

Les êtres du

Monde

au principe de

.

Léonard de Vinci, Codice

Non

:

intellectuel, directement produits par

l'Intelligence active, sont sans

a.

cette évolution

aucun défaut;

il

n'en est pas de

Trivulzio, loi. ko, verso.

resultava per que'la del vento buono ejfetto.

M. Beltrami a lu

:

del vote

buono

aucun sens; mais cette lecture est inadmissible; il y a, dans le texte de Léonard, vôto ou veto; la forme de la lettre qui suit le v est indécise entre Ye et l'o; mais le trait qui la surmonte et qui, dans l'orthographe de Léonard et de ses contemporains, remplace la lettre n est très bien marqué; on a donc à choisir entre la lecture vonto qui n'a aucun sens, et la lecture vento qui convient admirablement au contexte; si une hésitation était permise, elle serait levée par la comparaison du effetto,

ce qui n'a

mot douteux avec le mot vento (veto), de lecture certaine, qui se trouve à la ligne précédente. D'ailleurs, M. Jean Paul Richter et M. Eugène Miintz ont adopté cette lecture: vento (Jean Paul Richter, The Uterary Works of Leonardo da Vinci; Londres,

t. II, § ii4i. Eugène Miintz, Léonard de Vinci, l'artiste, le penseur, le savant: Paris, 1899, p. 3oa). 3. Aristotclis Theologiie liber tertius decimus, cap. VI 11. Ed. i5iq, fol. 81 vrrso. cl 8a. recto; éd. 1.^72, fol. i35, recto et verso, fol. i36, recto.

i883,


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

même

des individus qui composent

le

Monde

en laquelle on peut

d'ordre inférieur.

y a

Il

même

La forme

rieure de l'Ame.

considérer

77

sensible; ceux-ci,

l'Intelligence les produit par l'intermédiaire de selle,

1

l'Ame univer-

manière

une

d'être

des degrés en cette partie infé-

plus infime de l'Ame est la forme

la

végétative, car elle est celle dont le pouvoir de connaître est le

humble

plus

et le plus réduit; elle s'unit

vils

pour produire

qui

fait

aux corps

plus

les

Au-dessus, est l'âme sensitive

les plantes.

vivre les animaux. Au-dessus encore, se place l'âme

humaine, capable de réflexion

de raison.

et

L'âme d'une plante réside en

sa racine;

racine, la plante meurt. Mais alors

«

si

l'âme de

Ton coupe

la plante,

la

qui se

trouve séparée du corps qu'elle informait, subit-elle la corrup-

A

tion?

cette question,

nous répondons qu'elle retourne

à la

du Monde intellectuel; elle y retourne pour ne plus la quitter. De même, lorsqu'une âme sensitive semble se corrompre en un animal, elle région qui lui est propre, et qui

retourne en réalité au est le

effet,

Monde

fait partie

intellectuel. L'Intelligence,

réceptacle de l'Ame;

lorsque

lame y

est

en

enfin

rentrée, elle ne le quitte plus. Si elle le quittait, elle ne serait

plus en aucun lieu

;

car

il

faudrait que, sans subir

aucune

division, elle se trouvât à la fois en haut, en bas et partout; or, elle n'est

car,

en ce

pas répandue partout

cas, elle occuperait

comme

l'Etre universel,

simultanément tous

lieux. »

Dans son ascension, l'Ame ne monte pas jusqu'à l'orbite suprême du Monde intellectuel; elle reste aux confins des deux mondes, comme il convient à une substance qui est une sorte «

d'intermédiaire entre les substances intellectuelles et les substances sensibles

;

supérieur à notre s'est

monde

désire, elle descendra de cet orbite

inférieur plus aisément qu'elle ne

élevée de celui-ci à celui-là...

» Il

dent

si elle le

importe de savoir que tous

les

Quand

uns des autres

et

les êtres

sont subordonnés les uns aux autres.

l'un d'entre eux se corrompt,

se trouve

de la nature dépen-

il

immédiatement au-dessus de

fait

retour à celui qui

lui, et cela

de proche

en proche jusqu'à ce qu'il parvienne aux cieux; de

remonte à l'Ame universelle, puis à l'Intelligence P.

DLHEM.

là,

active, 11

il

en


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

I78

laquelle coexistent toutes les créatures

;

l'Intelligence active, à

son tour, existe au sein de l'Auteur premier, qui

est le

Verbe

créateur, auquel toutes choses font retour, car toutes choses lui et subsistent

ont été créées par

Que

en

lui. »

ce passage de la Théologie d'Aristote ait vivement attiré

l'attention de Nicolas

de Gués, nous n'en saurions douter.

Sans donner de l'immortalité de l'âme une théorie qui l'Évêque de Brixen se borne à rappeler

soit personnelle,

lui

1 ,

en

donnant la forme conjecturale d'interrogations, diverses doctrines, empruntées pour la plupart aux philosophies néoleur

platoniciennes. «

Il

termine cet exposé par ces paroles

:

Les formes qui appartiennent à une certaine région ne

trouveraient-elles pas leur repos dans

une forme supérieure,

par exemple dans une forme intellectuelle? N'est-ce pas par l'intermédiaire de cette forme qu'elles parviennent à leur fin,

même du Monde?

qui est la fin effet,

Les formes inférieures, en

n'atteindraient-elles pas leur fin en cette

forme

intellec-

par celle-ci, en Dieu? Cette forme supérieure ne

tuelle et,

monterait-elle pas vers la circonférence, qui est Dieu, tandis

que

le

corps descendrait vers

centre, qui

le

Dieu? Le mouvement de toutes choses

De même, en

même

effet,

le

chose en Dieu, de tout en

vers le centre,

monte

que

même

rieure qui

paraissant

serait enfin réuni à

soucié

du

l'âme en

»

la partie intellectuelle

monte elle-même

complète. Le

s'éloigner de l'âme qui

des âmes terrestres

mort, vers une forme intellectuelle supé-

la

qu'a formulée

serait ainsi vers Dieu.

corps, tout en descendant

le

Dieu, où cessera tout mouvement.

s'élève, après

également

centre et la circonférence sont une

vers la circonférence,

L'hypothèse que

est

la

Théologie

philosophe

se

reposer en

Dieu

Nicolas de

d'Aristote.

ne

néo-platonicien

sort qui attend le corps après la

est

celle

Cues

s'était

la

point

mort; l'Évêque

de Brixen veut qu'il descende tandis que l'âme monte, qu'il tende vers un but absolument opposé à celui qui l'âme;

1.

et,

Nicolai

par

conséquent,

dcCusa De

puisque

docta ignorantia lib.

II,

les

cap. XII.

sollicite

extrêmes opposés


.

Nicolas de gués et lèonard de s'identifient

en Dieu,

179

au sein de

qu'il tende à rejoindre l'âme

Dieu. Le postulat de l'identité du

permet de souder à

viingi

la théorie

maximum

de l'Aristote

du minimum apocryphe le dogme et

chrétien de la résurrection de la chair. Ici encore, la philoso-

phie de Nicolas de Gués nous apparaît

de

comme une

adaptation

la Théologie d'Aristote à la doctrine chrétienne.

Lorsque Nicolas de Gués, en ce passage, de l'âme, de

l'ascension

la

nous parle de

descente du corps,

doute entendre ces mots au sens métaphorique;

faut sans

il

d'un

s'agit

il

perfectionnement de plus en plus grand, d'un avilissement

non pas d'un changement de

croissant, et

de Gués pou-

Mais, bien aisément, les lecteurs de Nicolas

même comme une

comparaison pour l'expression

vaient prendre

cette

de la réalité;

pouvaient regarder

ils

dans l'espace.

lieu

mélange d'un corps lourd analogue à ce mélange d'eau lourde sorte de

l'être

vivant

âme

et

d'une

et

de feu léger qui, pour

légère, fort

physiciens de ce temps, constituait la vapeur d'eau;

les

mort

dissociait ce

mélange;

le

corps, devenu plus grave, ten-

dait plus fortement vers le centre

son lieu naturel, que

s'élevait vers et des

la

du Monde; l'âme,

légère,

la plupart des physiciens

théologiens s'accordaient à placer au delà de la dernière

sphère mobile des cieux. D'ailleurs, bien des passages de l'œuvre

Gués incitaient

le lecteur à

prendre

la théorie

de l'âme en ce sens quelque peu matériel l'Évêque de Brixen semblait assimiler

mélange d'éléments parce que

1

«

«La mort, la résolution

de l'immortalité

et grossier. Parfois,

corps vivant à

en proportions convenables;

pris

»

que

la

«

des simples conjectures, les

le

de Nicolas de

nulle science ne peut connaître l'exacte

sition des mixtes

fondée sur

même

mesures

médecine ne peut dépasser

non plus que

autre

toute

un

c'est

compole

degré

science

»

d'ailleurs

2 ,

ne semble pas être autre chose que

d'un composé en ses composants.

»

Les principes vitaux mélangés au corps durant

la vie

sont

légers; leur départ laisse le cadavre plus pesant; l'expérience 1.

Nicolai de

2.

Nicolai de

Cusa De conjecturis liber secundus, cap. V. Cusa De docta ignorantia liber secundus, cap XII.


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

l8o

même

pourrait légèreté «

nous conduire à

la

détermination de leur

:

'

Le poids de l'homme

est différent selon qu'il retient sa res-

piration après avoir aspiré de l'air ou qu'il n'est pas le

mort;

en

il

même

lorsque

est ainsi

l'homme

pour tous

émet son

Il

serait très inté-

ressant de noter ces variations de poids pour divers et

pour des

hommes

il

est vivant et lorsqu'il est

animaux.

les

souffle;

animaux

de différents âges; nous pourrions alors,

par voie de conjecture, nous élever jusqu'à la connaissance

du poids des La lecture

esprits vitaux.

même

»

de Nicolas de Gués incitait donc bien

souvent à prendre au pied de nique, les passages où

il

la lettre, et

dans leur sens méca-

parlait de l'ascension de l'âme et de

descente du corps après la mort. C'est ainsi, très certaine-

la

ment, que Léonard a compris ces passages. Il

assimile

humain

corps

le

à

un mélange d'éléments dont

l'exacte proportion constitue la santé

La maladie 2

«

ensemble dans

le

que

éléments.

le

désaccord des éléments fondus

corps vivant.

La médecine répare

<(

les

n'est

:

»

l'inégalité qui s'est introduite entre

»

Pour Léonard donc, cine rationnelle

comme pour

reposerait

Nicolas de Cues, la méde-

sur l'exacte connaissance de la

composition de ce mixte qu'est

le

corps vivant;

elle

ne

serait

qu'une sorte de Chimie particulièrement délicate.

nombre

Or, au

poser «

des éléments qui se mêlent ainsi pour com-

corps vivant d'un

le

homme, Léonard compte

une puissance mêlée au corps 3 » Donc, parmi les éléments, graves ou légers, dont

L'esprit est

constitue

le

l'esprit

:

.

corps vivant,

doute que tous

les autres,

il

la « fusion

»

s'en trouve un, plus léger sans

qui est

l'esprit.

Au moment

de

la

mort, cet élément-là se sépare des autres. Qu'advient-il alors? C'est à la Physique de

nous l'apprendre;

et

justement, dans ses

Cusa Jdiotœ dialogus quartus De slaticis experimentis. Léonard de Vinci, Codice Trivulzio, fol. h, recto. 3. Léonard de Vinci, Second manuscrit sur l'anatomie de la Bibliothèque du Château de Windsor, fol. a^a, a. J.-P. Richter, The literary Works of Leonardo da \inci, i.

Nicolai de

:

2.

t.

Il, art.

!

:

i

',.


NICOLAS DK CUES ET LEONARD DE VINCI

Questions sur

le

De Cœlo qui 1

l8l

mains de Léonard,

sont, entre les

d'un continuel usage, Albert de Saxe discute des problèmes de ce genre; c'est donc à sa méthode que Léonard fera appel

pour

sollicitent

en

même

une

comme

résoudre; et

les

même

temps

le

page du Codlce

Saxe s'opposer 2 à

les

questions les plus diverses

génie du Vinci, nous verrons, en

Trivulzio, les doctrines d'Albert

de

que l'entend

le

notion de pression

la

Précurseur de Léonard

préparer

et

telle

la théorie

de l'immortalité

de l'âme. Voici cette page du Codice Trivulzio^:

Aucun élément ne pèse dans son propre élément

«

lui est uni

les parties

;

supérieures de

sur les parties inférieures.

Un

«

corps dont

l'air

la qualité diffère

de

de

la qualité

l'air,

même

l'air

est libre

s'il

;

ne en

qualité

que

l'air, il

nécessairement plus lourd ou plus léger que

lui;

s'il

effet,

puisque ce corps n'est pas de

plus lourd, il

ne pèsent donc pas

»

peut demeurer immobile au sein de

est

lorsqu'il

il

tombera à

pénétrera en haut.

la partie inférieure;

est

est plus léger,

s'il

»

Plus une chose a de conformité avec l'élément qui l'en-

«

toure, plus est lent le

mouvement par

lequel cette chose sort

sein de cet élément; plus au contraire cette chose diffère

du

de l'élément, plus est impétueux s'en échappe.

Au

le

mouvement par

»

chacun des trois éléments les plus chose ne peut demeurer en équilibre stable si «

lequel elle

sein de

hors de sa nature,

»

légers,

aucune

elle se

trouve

c'est-à-dire hors de son lieu naturel.

Cette règle souffre exception lorsqu'il s'agit de la terre;

cohésion de cet élément

lui

élément moins lourd, de

Léonard

a-t-il

i.

l'air

ou de

l'eau par

ses cavités

n'est question

aux

trois

éléments

les

que de Physique dans

un

exemple; aussi

eu soin de préciser, en formulant cette

l'appliquait seulement Il

permet de retenir en

la

loi, qu'il

plus légers. les

passages que

Alberti de Saxonia Subtilissimœ quœstiones in libros de Cœlo

et

Mundo ;

libri

tertii quaestt. II et III. 2.

Cf.

:

i" série, p. 3.

P.

Duhem,

Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a

37/1-

Léonard de Vinci, Codice

Trivulzio, fol. 6. verso (ia).

lus et

ceux qui

l'ont lu,


.

ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

182

nous venons de citer; mais, n'en doutons point, cette discussion de Physique prépare l'explication du mouvement par lequel l'âme se sépare du corps après la mort; les considérations précédentes, en effet, forment une introduction toute naturelle à celles que

Léonard

se

nous allons rapporter

propose de réduire à néant

nécromanciens; dans ce but, esprit

les

prétentions des

ne peut ni demeurer immobile, ni se mouvoir selon sa dans

existait isolé

le

monde

des corps,

formerait un mixte plus léger que

dans l'atmosphère. Voici

Parmi

le

sauraient exister; car là où

il

s'il

s'unissait à l'air,

il

il

qui s'élèverait de suite

développement de ces pensées

autres éléments,

les

l'air,

un corps; y constituerait un

n'est uni à

s'il

vide que les corps rempliraient aussitôt;

«

.

cherche à démontrer qu'un

il

volonté dans la région des éléments, s'il

1

:

choses incorporelles ne

des

n'y a pas corps,

y a vide,

il

et le

vide ne peut se trouver au sein des éléments, parce qu'il serait aussitôt rempli par l'élément voisin.

»

Nous venons de voir que l'esprit est, par définition, une puissance conjointe à un corps; car, de lui-même et isolé, il ne pourrait nullement se diriger ni se mouvoir d'aucun mou«

vement cela

en

local

;

si

ne saurait

tu

dénué de corps], vide, et

il

qu'il se dirige de

lui-même,

du moins parmi les autres éléments; si, était une quantité incorporelle [un volume une telle quantité serait ce qu'on nomme

être,

l'esprit

effet,

veux prétendre

n'y a pas de vide dans la nature;

si

l'on admettait

immédiatement rempli par la ruine de l'élément au sein duquel il aurait été engendré. Or donc, la définition du poids est la suivante la pesanteur est une puisque

le

vide fût,

il

serait

:

sance accidentelle créée par ce

fait

autres ou tenu en suspens dans

un

qu'un élément autre; elle est

est tiré des

une relation

entre deux éléments, dont l'un contient l'autre ou cesse de contenir.

Il

lorsqu'il est qu'il pèse

i.

\

qu'un élément ne pèse pas

plongé dans un élément de

dans l'élément supérieur qui

même

inci,

t.

foll.

2A2 b,

2/12 a et

201 b.

Il, artt. 121 3, 121/» et

1

a 1

5

— J.

P. Richter,

nature, mais

est plus léger

Léonard de Vinci, Second* manuscrit sur l'anatomie de

de Windsor,

du

suit de cette définition

le

que

lui;

la Bibliothèque du Château The literary Works of Leonardo


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

comme nous voyons que

l'eau,

teur ni légèreté; mais

vous

eau deviendra lourde;

si

dans d'autre eau, n'a ni pesanplacez dans

la

vous mettez de

et si

l83

l'air,

alors cette

dans

l'eau, alors

l'air

qui se trouverait au-dessus de cet air acquerrait de la

l'eau

pesanteur, laquelle pesanteur ne pourrait continuer à demeurer

en place d'elle-même, en sorte que sa chute

même

De

que

tombe en bas dans

l'eau

serait nécessaire.

le lieu

d'eau, ainsi arriverait-il de l'esprit qui

qui serait vide

façon continue au sein de l'élément quelconque où verait, et cette cause

vers

il

se trou-

déterminerait nécessairement à fuir

le

Ciel jusqu'à ce qu'il fût sorti de ces éléments.

le

d'une

se produirait

»

Nous avons prouvé qu'un esprit privé de tout corps ne pourrait de lui-même ni demeurer immobile au sein des éléments, ni s'y mouvoir de mouvement volontaire; il ne pourrait que monter. Nous dirons maintenant comment cet «

esprit, flottant

à l'air;

s'il

au sein de

cessait,

un

se produirait

qu'il veut rester

en

l'air,

effet,

de

doit nécessairement se mêler

lui être uni, s'il s'en séparait,

dans

l'air, il est

nécessaire qu'il se

une certaine quantité d'air. Mais résulte deux inconvénients; il allège

s'il

la

se

mêle à

demeure point au sein de

l'air

et

;

altère sa nature,

un

rend plus légère

tel air

air; et cet air se la

volonté de

La la

fuite

montera donc

mouvra

de

telle

sorte

»

la ;

il

masse

d'air à laquelle

il

se

s'élèvera au-dessus de l'autre

ainsi en vertu de sa légèreté,

non par

l'esprit... »

de l'esprit vers

combinaison qui

le

simple corollaire de

le Ciel,

après que la mort a dissocié

tenait uni la

aux éléments,

est

donc un

Science hydrostatique qu'Albert de

Saxe avait empruntée à un antique

ment

ne

cet air; cela est manifeste par ce qui vient d'être

l'esprit

mêle

et

impossible que l'esprit infus à une certaine quantité

meuve

d'air dit;

est

haut

répandue dans une masse

qu'elle devient inférieure à la vertu primitive... « Il

en

plus grossier que lui-même; en

outre, cette vertu spirituelle, ainsi

perd sa simplicité

l'air, il

quantité d'air à laquelle

est uni, et cet air, ainsi allégé, s'envole vers le

d'air,

donc mélange

vide, ainsi qu'il a été dit plus haut. Puis

à

il

il

attribué à Archimède,

traité

De ponderibus

fausse-


.

ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

l84

Délivré de son union avec les éléments, l'esprit s'enfuit

terme de

le

Léonard répond de

mais

le

Heu naturel de

manière

la

plus

naturel de notre corps est au-dessous

du

Ciel,

« //

corpo

cette question,

précise

évidemment,

cette fuite? C'est,

est

Mais quel est ce lieu?

l'esprit.

A

Quel

se dirigeant vers le Ciel.

donc hors de ces éléments,

1 ;

le lieu

le lieu

la

naturel de l'esprit est au-dessus du Ciel

:

nostro essotto posto al cielo ello cielo essotto posto allô spirito.

Notre corps a sa place au-dessous du Ciel au-dessous de

et le Ciel a sa

place

l'esprit. »

seulement, sa forme

atteint sa perfection; ce désir est, selon la

pensée unanime de

Tout élément désire son

lieu naturel

;

l'École péripatéticienne, l'explication de tous les

non

que l'on observe dans

violents

le

monde

L'esprit désirera parvenir à son lieu naturel,

se

meuvent

le

vers la mort, par laquelle l'esprit de spirituel, qui est

cette pensée,

éloquence

au delà du Ciel

et

que l'on trouve au fond des souhaits humains,

monde

des corps.

pour y parvenir, il désirera sa corps; en dépit donc des apparences, ce

les astres;

séparation d'avec

mouvements

sa véritable

Léonard trouve

2

c'est l'aspiration

l'homme retourne au patrie. Pour exprimer

des accents d'une incomparable

:

Vois, l'espérance et le désir de se rapatrier et de revenir à

«

son premier état est

l'homme

comme

vol

du papillon

qui, dans de continuels désirs, avec

joyeuse, toujours attend

nouvel

le

été,

le

à la lumière

;

et

une impatience

printemps nouveau, toujours

toujours et de nouveaux mois et de

le

nouvelles

années, trouvant que les choses désirées sont trop lentes à venir, (la

il

ne s'aperçoit pas

qu'il désire sa

propre dissociation

sua disfazione) ; mais ce désir est [celui de]

la

cinquième

essence, esprit des éléments qui, se trouvant enfermée dans

l'âme humaine, toujours désire retourner du corps humain vers Celui qui

l'a

envoyée

(il

suo Mandatario); et sachez que ce

Léonard de Vinci, Codice Trivulzio, fol. 36, verso (70). Léonard de Vinci, ms. Arundel 263 de la Bibliothèque du British Muséum, fol. i5G, verso; — cité par Jean Paul Richter, The Uterary Works of Leonardo da Vinci, Londres, i883 t. Il, § ilij — et par Gabriel Séailles, Léonard de Vinci, l'artiste et le savant ; i.

1.

;

a*

1

édition, Paris, 190O, p. 3a

1


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

même

85

comNature, et que l'homme est le modèle du Monde. » les diverses réflexions que Léonard nous a laissées

désir est [aussi celui de] la cinquième essence,

pagne de

En

1

la

lisant

sur l'union de l'âme et du corps durant

sur leur sépa-

la vie,

Eugène Muntz ne peut s'empêcher de n'est pas aisé de dégager un système du

ration après la mort,

remarquer

1

qu'«

il

milieu de tant d'assertions flottantes

en

quelques minuscules fragments sont épars sous nos

effet,

yeux;

il

poser

et

est

malaisé de dire quelle mosaïque

comment chacun

de l'ensemble. le

contradictoires». Et,

et

d'eux devait concourir à la formation

n'en est plus de

Il

devaient com-

ils

même

si

nous connaissons

dessin que cette mosaïque devait reproduire; alors, nous

trouvons sans peine

devinons par

la

comment

pensée

les

la place ils

de chacun de ces fragments; nous

s'agençaient entre eux; nous comblons

lacunes qui les séparent. Le plan qui permet

de réunir en un tout harmonieux

Léonard sur l'immortalité de l'âme,

diverses réflexions de

les

c'est le

système à

platonicien et chrétien dont Nicolas de Gués nous

la fois

a

tracé

l'esquisse.

IX La Dynamique de Nicolas de Cues et les sources dont elle decoule. «

L'homme

minant

est le

modèle du Monde,

»

disait

fragment que nous venons de

le

Léonard en

citer;

ter-

partout donc,

Monde, on doit retrouver des âmes semblables à l'âme de l'homme, des âmes qui souhaitent ardemment le retour à dans

le

leur principe intellectuel, c'est-à-dire la mort; ces âmes, Léo-

nard va

les

inertes;

il

découvrir par l'analyse du va

les

mouvement

des choses

découvrir, d'ailleurs, en se laissant guider

par certains passages où Nicolas de Cues a indiqué quelles idées

il

professait en

Aucun i.

écrit

Dynamique.

de Nicolas de Cues n'a pour objet spécial

Eugène Mûntz, Léonard de

p. 3oa.

Vinci, l'artiste, le penseur,

le

la

savant; Paris, 189g,


ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

i86

théorie

du mouvement des

à l'exposition de certaines doctrines

en particulier, que

titre,

dans le

dialogues Sur

les

le

est fait allusion à

s'il

fournit des exemples

c'est qu'elle

cette théorie,

projectiles;

métaphysiques;

jeu de globe

1

c'est à ce

mouvement

Science du

la

appropriés

apparaît

qui s'établissent entre

Duc de Bavière. le jeu de globe? Une gravure qui

Cardinal Allemand et Jean,

En quoi en

tête

consistait

des Dialogues nous l'apprend.

main un

tient à la

sphère dont

Un

trouve

seigneur allemand

projectile qu'il va lancer; c'est

primitivement plane a

la partie

se

été

un hémi-

légèrement

creusée. Devant lui, sur le sol, des quilles sont disposées sui-

vant

les

contours d'une spirale;

le

globe qu'il va lancer doit

rouler en tournoyant de telle sorte qu'il abatte ces quilles.

Pourquoi décrit-il

globe que

le

cette

joueur a lancé tout droit devant

le

lui

contournée? Nicolas de Cues n'en

trajectoire

donne pas d'autre explication que la forme même du projectile. Réduit à un disque plan, à un anneau sans épaisseur ou à une sphère, et roulant sur

un plan

un

Il

mobile se mouvrait

Comment, en

indéfiniment en ligne droite. s'arrêter?

parfait, le

effet,

pourrait-il

faudrait qu'il demeurât en équilibre en reposant

un atome, ce qui est impossible. Puis, un corps en mouvement ne saurait s'arrêter si ce mouvement n'est accompagné de quelque changement, si le mobile ne se comporte à un instant autrement qu'à un autre instant; or, lorsqu'une sphère roule sur un plan, ce mouvement n'entraîne aucune variation dans l'état relatif de la sphère et du plan; il sur

seul point, sur

donc durer indéfiniment.

doit

Si le

globe lancé par

le

joueur,

au lieu de se mouvoir indéfiniment en ligne droite, tournoie, puis

s'arrête,

partie la plus

vement Si,

le

volumineuse

et le tire vers le

au contraire,

maximum, cette

qu'il n'est

c'est

«

la

et la

centre

i.

plus lourde ralentit son

sa

mou-

».

tellement qu'il n'en pût exister de plus parfaite,

sphère serait mobile par elle-même; en

Le forme ronde Nicolai de

«

rotondité du globe était la rotondité

mobile ne feraient qu'un. «

pas sphérique, c'est que

est

elle, le

moteur

et

»

donc, de toutes

Gusa Dialogorum de ludo

globi liber

les

primus.

figures, la

plus


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

mouvement.

apte au

donné,

mouvement

Si le

n'aura jamais de

il

fin.

lui

187

naturellement

est

C'est ce qui arrive lorsque la

sphère tourne sur elle-même, de manière que son centre soit

mouvement; dans ce cas, son mouvement est perpétuel. Tel est le mouvement naturel dont, sans violence comme sans fatigue, se meut la dernière sphère céleste, au mouvement de laquelle participent tous les corps doués de mouvement naturel. » Cette explication provoque, de la part du Duc de Bavière la question suivante « Comment Dieu a-t-il créé le mouvement le

centre de son

:

de

la

dernière sphère?

Allemand,

comme

»

Exactement, répond

«

tu crées le

mouvement de

lances. Cette sphère, en effet, n'est pas

Dieu créateur ou par

l'esprit

de Dieu

;

mue

meus immédiatement

courir devant

C'est toi, cependant, qui

ment; car l'impulsion de y a produit un impetus continue à se mouvoir.

et,

ta

Cardinal

boule que tu

la

directement par

pas plus que ce n'est

ni ton esprit qui toi.

le

le

toi

globe que tu vois l'a

mis en mouve-

main, qui suivait

ta

volonté,

tant que dure cet impetus, le globe

»

Ne peut- on en dire autant de l'âme? Tant qu'elle existe dans le corps humain, celui-ci se meut. » « Le Cardinal Il n'est peut-être pas d'exemple mieux approprié à faire comprendre la création de l'âme, d'où résulte le mouvement du corps humain. Car Dieu n'est pas l'âme, et ce n'est pas l'esprit de Dieu qui meut l'homme... Observe que le mouvement du globe prend fin au bout d'un certain temps, bien que le globe demeure sain et entier; il en est ainsi parce «

Jean

:

:

que

le

mouvement

mais accidentel

qui affecte ce globe ne lui est pas naturel,

et violent.

Le mouvement cesse donc lorsque

vient à faire défaut Yimpetus qui a été

Mais,

comme nous

communiqué au

l'avons dit plus haut,

si

globe.

ce globe était

mouvement lui serait naturel et non point violent; alors ce mouvement ne cesserait point. C'est ainsi que le mouvement vital d'un animal ne cesse point d'en parfaitement rond,

le

vivifier le corps, tant

que ce corps demeure sain

de vie; ce mouvement, en

La

fin

effet, est

naturel.

et susceptible

»

de ce passage développe une idée que nous retrou-


1

ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

88

vons dans un autre

du toton qui lignes

écrit de Nicolas de

lui sert

d'exemple

et

Gués 1 C'est .

au sujet duquel

ici

le

jeu

écrit ces

il

:

L'enfant prend ce toton qui est mort, c'est-à-dire dénué

«

de mouvement,

et

veut

il

procédé qu'il a inventé,

le

et

rendre vivant; pour cela, par

qui est l'instrument de son

le

intelli-

imprime en ce toton la rassemblance de l'idée qu'il a conçue par un mouvement de ses mains qui est à la fois droit et oblique, qui consiste simultanément en une pression et en une traction, il imprime un mouvement qui, pour le toton, est gence,

il

;

surnaturel; par nature, ce jouet n'a d'autre

commun

mouvement que

mouvement

vers le bas,

donne de

mouvoir circulairement comme

se

le

à tout grave; l'enfant lui le Ciel.

Cet esprit

moteur, conféré par l'enfant, se trouve invisiblement présent en

la

matière du toton

temps, selon

;

il

y demeure plus ou moins long-

de l'impression qui a

la force

communiqué

cette

vertu; lorsque cet esprit cesse de vivifier le toton, celui-ci

reprend son mouvement vers

le centre,

comme

au préalable.

une image de ce qui se produit lorsque le Créateur veut donner l'esprit de vie à un corps non vivant? » Ce que ces divers passages ont suggéré à Léonard de Vinci, nous le verrons tout à l'heure fidèles à notre méthode, avant N'avons-nous pas

;

de dire quelles influences Nicolas de Cues a exercées, nous allons rechercher quelles influences

avait subies.

il

L'idée que la figure circulaire est plus apte au

mouvement

une des plus anciennes opinions qui aient eu cours en Dynamique; elle est aussi une de celles qui sont demeurées en vogue le plus longtemps. Parmi les Quesque toute autre figure

tions

est

mécaniques attribuées à Aristote,

il

en

est une, la hui-

tième, qui a pour principal objet de justifier cette idée; on y

rapporte l'opinion de certains philosophes selon lesquels

mouvement du

cercle sur

lui-même

le

est perpétuel; c'est bien

l'opinion que devait soutenir Nicolas de Cues.

Le Cardinal Allemand admet que tion sur

soi-même

Nicolai de

mouvement de

révolu

est naturel à toute sphère, partant à la

dernière sphère céleste, du i.

le

Cusa Dialogus

fait

de sa figure sphérique

trilocutorius de Posaest.

;

l'auteur


NICOLAS DE GUES ET LEONARD DE VINCI

1

89

des Questions mécaniques eût peut-être admis cette manière de voir, car

ne critique nullement l'opinion qu'il rapporte

il

mais, au De Cœlo

Mundo, Aristote ne

et

attribue aux sphères célestes, à titre de le

mouvement de

mouvement

de

la

s'il

naturel,

révolution uniforme, ce n'est point en vertu

de leur figure sphérique, mais en vertu de lière

range point;

s'y

;

substance qui

la

nature particu-

les constitue.

Arrivons à cet impetus impressus auquel Nicolas de Gués attribue la conservation

Plusieurs

fois,

déjà

1 ,

du mouvement des projectiles. nous avons fait allusion à cette théorie

nous y faut revenir encore pour mettre en évidence certains points que nous avions laissés dans l'ombre de V impetus;

et

il

qui sont, maintenant, d'importance.

Selon la Dynamique d'Aristote,

la

production

mouvement suppose

conservation de tout

d'un moteur distinct de

la

comme

la

la continuelle action

chose mue. Pour que

la

flèche

demeure en mouvement après qu'elle a quitté l'arc, il faut qu'un moteur continue à la pousser; ce moteur, Aristote et ses premiers commentateurs le trouvent dans l'air ébranlé au

moment de la projection. A quelle époque eut- on capable de maintenir

l'idée

le projectile

de

prendre pour moteur

en mouvement une certaine

vertu imprimée au projectile par l'instrument qui

Nous l'ignorons. Tout

ce

l'a

que nous pouvons affirmer,

lancé?

c'est

que

une grande netteté, dans l'écrit 2 où Jean Philopon combat la Physique d'Aristote plus encore qu'il ne la commente. Un projectile ne pourrait se mouvoir dans le vide, au dire

cette doctrine est déjà exposée, avec

d'Aristote, le

puisque

Grammairien

l'air

s'élève contre cette

Après avoir exposé i.

Vinci, (Ibid.,

P.

Duhem, Léonard

première

mouvement. Jean assertion du philosophe.

seul entretient son

et réfuté,

de

la

manière

la

plus convain-

de Vinci et Bernardino Baldi, art. IV (Études sur Léonard de Bernardino Baldi, Roberval et Descartes, art. I 4).

série, pp. 108-

n

pp. 128-139).

3. Joannis Grammatici cognomento Philopon i Eruditissima commentaria in primis quatuor A ristotelis de naturali auscuil atione libros, nunc primum e Greco in Latinum

Guilelmo Dorotheo Veneto theologo interprète. Cautum est prihune librum inlra decennium imprimat vendatne. Venetiis, MDXXXX1I. In fine Impressum Venetiis per Brandinum et Octavianum Scotum, MDXXX1X. Lib. IV, fol. 24, coll. c. et d.

fideliter translata,

vilegio Senati Veneti, ne quis

:


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

I()0

cante, la théorie qui prend l'air

s'exprime en ces termes «

pour moteur du

projectile,

il

:

Les considérations que nous venons de développer, et

bien d'autres considérations analogues, permettent de recon-

meuvent de mouvement violent ne sont point mus de la sorte. Celui qui lance un tel projectile donne et confère au corps qu'il projette une certaine puissance propre à le mouvoir. Lors même que l'air aurait reçu une impulsion, il ne concourrait aucunement à ce mouvement ou, s'il y concourait, ce serait pour une part insignifiante. Puis donc que les corps mus violemment se meuvent de la sorte, il est clair que si on lançait, violemment et contre nature, une pierre ou une flèche dans le vide, ce corps s'y mouvrait naître que les corps qui se

encore mieux;

il

n'aurait

nul besoin de l'impulsion d'un

milieu ambiant. Or cette explication ne saurait être révoquée

en doute alors que l'on peut appeler l'évidence

même

témoigner en sa faveur. Supposons que l'on accorde supposition jectile

:

cette

un projectile infuse en ce proune certaine puissance de mouvoir,

celui qui lance

une certaine action,

qui est incorporelle;

meut

à

le projectile

il

ne sera plus nécessaire que ce qui

continue sans cesse à

certain, et c'est l'avis d'Aristote,

le

toucher

1 .

Il

est

que certaines actions éma-

nées des corps visibles parviennent jusqu'à notre œil. Nous

voyons que, de certaines couleurs, émanent certaines actions, certaines forces incorporelles, et que ces forces incorporelles

peuvent colorer d'autres corps; rayon de

soleil traverse

de

qui arrive lorsqu'un

c'est ce

telles

couleurs, lorsqu'il passe au

travers d'une vitre colorée, par exemple; le corps sur lequel

vient tomber

le

rayon de

que ce rayon de

soleil se colore

soleil a traversé. Il est

certaines actions incorporelles,

comme

l'était le

verre

donc bien certain que

émanées d'un corps, peuvent

un autre corps. De même, rien n'empêche un homme de lancer une pierre ou une flèche lors même qu'il n'y aurait

affecter

d'autre milieu

que

projectiles qui ne i.

le vide.

Le milieu gêne

peuvent avancer sans

Le texte, par une erreur évidente, dit

projectum.

le

le

mouvement

le diviser;

des

ceux-ci,

contraire: Oportet projicientern tangere


NICOLAS DE GUES ET LEONARD DE VINCI

191

meuvent au sein de ce milieu; rien donc n'empêchera qu'une flèche, une pierre ou tout autre corps puisse toutefois, se

dans

être lancé

mobile

le

vide; sont présents, en

et l'espace

qui doit recevoir

La Physique de Jean Philopon

le projectile.

était

moteur,

effet, le

le

»

bien connue des pen-

seurs arabes qui, maintes fois, la combattirent; les Arabes ne

pouvaient donc ignorer l'explication du mouvement des projectiles qu'avait soutenue le Grammairien. Et, en effet, nous

voyons

cette théorie fournir,

au xn e

une comparaison

sièle,

i

à l'astronome Al Bitrogi (Alpetragius).

Selon Al Bitrogi, l'action que l'orbite suprême exerce sur sphères inférieures

s'affaiblit

distance entre

la

l'influence

:

«

ce

au fur

premier

ciel

et à

et

mesure que

aux orbes

célestes tout

s'accroît

qui en ressent

l'orbe

Le corps suprême se trouve séparé de

qu'il a conférée

les

comme

la vertu

celui qui a

lancé une pierre ou une flèche se trouve séparé de cette pierre

ou de

cette flèche; celui-ci

a conféré à la pierre

continue à

la

l'a

ou à

à

la

de

la flèche afin

mouvoir, mais au

demeure appliquée projecteur

ne demeure pas uni à

pierre

la

vertu qu'il

mouvoir;

la

moyen d'une

ou à

vertu qui

après que

la flèche

il

le

lancée; plus la flèche se trouve éloignée de son

moteur, plus cette vertu

s'affaiblit.

De même que

cette vertu

consumée lorsque la flèche tombe, de même la vertu mobile suprême confère aux orbes inférieurs va conti-

se trouve

que

le

nuellement en s'affaiblissant jusqu'à ce qu'elle parvienne à Terre, qui demeure naturellement immobile. » Traduit au

e

par Michel Scot,

siècle

connu d'Albert

était fort

de saint

xm

le

l'écrit

d'Al Bitrogi

Grand, de Vincent de Beauvais,

Thomas d'Aquin. Nous ne savons

s'il

contribua seul

à propager dans l'École la théorie de Jean Philopon,

nous pouvons assurer que

xm

au

e

siècle, car saint

repousser

:

« Il

la

cette

opinion

était déjà

Thomas d'Aquin prend

ne faut point supposer,

»

dit

3

mais

répandue

soin de la le

Docteur

Alpetragii Arabi Ptanetarum theorica phisicis rationibus probata, nuperrime latinis mandata a Calo Calonymos Hebreo Neapolitano. In fine Venetiis in aedibus Luceantonii lunte Florentini anno Domini MDX.XXI, Mense lanuario. Fol. 9, recto. 2. Sancti Thoma? Aquinatis, Doctoris Angelici, Opéra omnia jussu impensaque Leonis XIII, P. M., édita. Tomus tertius Cornmentaria in libros Aristotelis de Caelo et 1.

litteris

:

:

Mundo,

lib. III, lect. VII, p. 262.

Romae, 1886.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

[Q2

Angélique,

que

«

moteur par lequel

le

imprime dans la vertu qui meuve cette

pierre

engendre produit dans

la

duite

résulte le

en

effet,

violence est pro-

la

mue violemment une

même

de

pierre,

que

mouvement naturel de le mouvement violent

mouvement

pierre, par le fait est altérée

En

violent.

même

chose qui

la

chose engendrée une forme d'où

en

celle-ci. S'il

était ainsi,

proviendrait d'un principe

intrinsèque au mobile, ce qui est contraire à

de

certaine

outre,

il

même

notion

la

en résulterait que

meut de mouvement

qu'elle se

dans sa forme substantielle, ce qui

la

local,

au

est contraire

bon sens. » D'ailleurs, saint Thomas d'Aquin, Albert le Grand, Roger Bacon, Pierre d'Auvergne, Gilles de Rome, Walter Burley, Jean de Jandun s'accordent tous à prôner l'opinion d'Aristote et de ses commentateurs grecs et arabes. C'est le

mouvement de de

la flèche,

mouvement

Pair ébranlé qui entretient seul le

après que celle-ci

séparée de

s'est

l'arc.

La première voix discordante que l'on entende dans l'École est celle de Guillaume d'Ockam. Celle-ci éclate, opposant une négation brutale aux affirmations les plus autorisées du Péripatétisme.

La Dynamique d'Aristote veut que tout mobile

pagné d'un moteur qui Or, ce moteur,

dans

la pierre

que

touche sans

le

est-il

1 ,

dans

ma main

la

se

après que

le projectile

accom-

confondre avec

lui.

flèche qui a quitté l'arc,

a lancée?

Est-ce l'appareil ou l'organe qui a mis en projectile? Mais cet appareil

soit

ou

cet

mouvement

le

organe pourrait être détruit n'en conti-

et le projectile

l'a quitté,

nuerait pas moins sa course.

Est-ce

l'air

ébranlé? Mais deux archers peuvent tirer l'un

contre l'autre, leurs flèches peuvent se heurter;

ment de faudrait

l'air était la

donc que

le

cause du

même

mouvement de

air se

mût, en

si le

mouve-

ces flèches,

même

il

temps, de

deux mouvements contraires. Dira-ton que

une vertu qui i.

le

mouvement du

se trouve

dans ce corps? Où

est la

cause qui a

Ockam Aaglici Saper quatuor libros Sentcntiarum earumque decisiones; libri socuadi quœstioucs X.VII1 et XXVI.

Magistri Guilhelmi de

lissiinx qu;e$tiones

projectile est entretenu par

subti-


NICOLAS DE CLES ET LEONARD DE VINCI

même

f)3

moteur qui a lancé le agent naturel, approché également d'un

produit cette vertu? Dira-ton que c'est

mobile? Mais un

I

le

même objet, produit toujours le même effet; or, je puis approcher ma main de cette pierre de telle sorte qu'elle ne l'ébranlé pas

;

je puis aussi l'approcher de telle sorte

vivement lancée;

il

que

engendrée par

que

la pierre soit

que je l'approche lentement dans le premier cas et rapidement dans le second; ce n'est donc pas ma main qui crée en la pierre la vertu motrice. Dira t- on cette vertu est

jetant? Mais le

suffit

mouvement

que d'approcher

local

mouvement du corps

pro-

ne saurait avoir d'autre

effet

le

corps agissant du corps qui subit l'action.

le

donc renoncer purement et simplement à l'axiome d'Aristote; pour qu'un corps se meuve, il n'est nullement nécessaire qu'il soit accompagné par un moteur qui le touche sans se confondre avec lui. Après que le projectile s'est séparé Il

faut

de l'instrument qui

moteur; en qui

meut

l'a

lancé,

on ne peut qui est mû.

Et que l'on n'aille pas dire

cause; or, le il

donc

exige

Ni d'une

le

la

à

nouveau suppose une un effet sans cesse nouveau;

tout effet

local est

constante présence d'une

manière absolue, ni d'une manière

cause

motrice.

relative, le

mou-

un effet sans cesse nouveau; il est bien vrai corps en mouvement traverse à une certaine époque

vement que

mouvement

:

lui-même son propre aucune distinction entre ce

est

établir

lui,

et ce

il

local n'est

une région de l'espace qu'il ne traversait pas à une autre époque mais on ne peut pas dire qu'à tel moment, telle :

région soit quelque chose de nouveau;

elle

n'est nouvelle

que par rapport au mobile. Cette affirmation

que

la

continuation du

n'exige aucune cause motrice, c'est la loi telle

que Descartes

la

mouvement

même

local

de

l'inertie,

formulera; au temps d'Ockam,

elle était

trop nouvelle pour être admise; les plus fidèles disciples

maître anglais,

les

du

Terminalistes de l'Université de Paris, ne

suivirent pas sur ce point la doctrine

du

Venerabilis inceptor

1 .

i. Cette doctrine ne fut, cependant, jamais oubliée. Marsile d'Inghen, nous le verrons bientôt, la rejette, mais la mentionne. Au début du xvi' siècle, Jean Dullaert de Gand, l'expose au Collège de Montaigu, à Paris, concurremment avec la théorie

P.

DLHEM.

j3


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

If)4

Du moins ne Pour eux,

la

revinrent-ils pas

à

la

doctrine d'Aristote.

cause motrice qui entretient

projectile ne fut plus l'air ébranlé,

le

mouvement du

mais une certaine vertu,

Yimpetus, créée dans le mobile par l'instrument qui

La doctrine de Yimpetus

fut

l'a

lancé.

magistralement exposée par

Albert de Saxe qui y revint à plusieurs reprises, dans son Traité des proportions, dans ses Questions sur ta Physique*, dans

De Cœlo 2 Nous ne saurions analyser ici développements qu'Albertutius donne à cette impor-

Questions sur

ses

tous les

te

.

tante théorie; ceux-là seuls

nous doivent retenir

qu'il

y a lieu

de comparer aux opinions de Nicolas de Cues. Saint

Thomas d'Aquin

petus cette objection

:

avait élevé contre la doctrine de Yim-

cette théorie attribue le

mouvement du

un principe intrinsèque; elle n'en fait donc pas un mouvement violent, mais un mouvement naturel. Non pas, projectile à

répond Albert de Saxe 3 Yimpetus fût un

pour que

mouvement

qu'il n'y eût point

contraire.

;

dans

le

le

naturel,

mouvement « il

créé par

faudrait, en outre,

mobile de tendance au mouvement

»

Or, c'est ce qui n'a pas lieu en général; lorsqu'on jette pierre vers le haut, cette pierre reçoit

vers

le

un impetus qui

une

la porte

haut; mais elle garde sa gravité naturelle qui tend à la

mouvoir vers le bas. L' impetus est donc, en ce cas, une qualité imprimée au mobile par violence et à l'encontre de sa propre nature; aussi va-t-il s'affaiblissant avec le temps jusqu'à s'évanouir. Tant que Yimpetus est assez puissant pour surpasser la gravité et la résistance du milieu 4, le projectile monte; il tombe à partir du moment où la gravité est plus forte que Yimpetus uni à

la résistance

de

l'air.

qui regarde Yimpetus comme une qualité, et il laisse ses auditeurs libres d'opter eutre les deux hypothèses (Joannis Dullaert de Gandavo Qusestiones in libros Physicorum Aristotelis: Parisius, per Oliverium Senant et Nicolaum Depratis, i5o6; libri octavi quaestio

II).

Alberti de Saxonia Acutissimœ quœstiones in libros de physica auscultatione ; octavi libri quœst. XIII. 2. Alberti de Saxonia Subtilissimse quasstiones in libros de Cœlo; secuudi libri quaest. XIV (ap. edd. Venetiis 1/492 et i52o; cette question fait défaut dans les éditions données à Paris en i5i6 et i5i8) tertii libri qurest. XII. 3. Alberti de Saxonia Qusestiones in libros de Cœlo; libri 111 quœst. XII. physica auscultatione , libri octavi U- Alberti de Saxonia Qusestiones in libros de i

.

;

quœst. Xll.


LEONARD DE VINCI

-NICOLAS DE GUES ET

196

Celte doctrine d'Albert de Saxe était appelée à exercer

Dynamique du Moyen-Age

influence considérable sur la la

Renaissance;

les

et

de

portée en tous lieux par les maîtres

elle était

qui avaient recueilli

une

enseignements de l'Université de Paris;

lorsque Marsile d'Inghen, docteur parisien, écrit pour l'Univer-

de Heidelberg, dont

sité

il

est le recteur,

de Physique que l'on a l'habitude de

termine en

reproduisant

un

abrégé des livres

«

à Paris»

lire

1 ,

il

le

presque exactement ce qu'Albert

de Saxe avait dit de ïimpetus.

Gomme

Albertutius,

ïimpetus qui maintient en après que

l'homme

d'Inghen

Marsile

mouvement

chevaux de halage

les

certain qu'ils

fait

extérieure ne le conserve.

un

c'est

meule du forgeron

remonte

le

cours d'eau après

«Au

sont arrêtés.

s'arrêtent, parce

bout d'un

que ïimpetus

violence, en sorte qu'ils l'affaiblissent

sans cesse et finalement

Mais

se

temps tous ces mobiles

ont reçu leur

que

a cessé de tourner, le sabot que l'enfant

a cessé de fouetter, le navire qui

que

la

déclare

le détruisent,

à

moins qu'une cause

»

impetus peut être naturel;

il l'est, si

le

mobile ne tend

un mouvement contraire à celui que produit ïimpetus; il l'est surtout si le mouvement naturel du mobile est conforme à ce dernier mouvement. « Lorsqu'on lance un corps pesant vers le haut, on lui imprime un impetus violent; lorsque la même main lance ce corps vers le bas, elle lui communique un impetus naturel; alors, bien loin d'affaiblir cet point par nature à

impetus, le mobile le renforce, attendu qu'il a

naturelle à se

mouvoir de

la sorte lorsqu'il

une inclination est

hors de son

lieu. »

Des idées professées au xiv e le

reflet

dans

essentielle mérite

ment de pousse

le

écrits

les

nous retrouvons aisément

de Nicolas de Gués. Une différence

cependant d'être signalée. Selon l'enseigne-

un impetus est un mouvement contraire à

l'Université de Paris,

mobile à

tend sa nature; hors ce cas

1.

siècle,

il

est naturel;

il

violent lorsqu'il celui vers lequel

ne paraît pas que

Incipiunt subtiles doctrinaque plene abbreviationes libri phisicorum édite a prestan-

Inguen doctore parisiensi. (Ce livre, certainement imprimé avant l'an i5oo, ne porte ni date ni indication typographique.) tissimo philosopho Marsilio


ÉTUDES SUH LEONARD DE VINCI

îg6

du mobile puisse faire qu'uu impetus déterminé soit violent ou naturel; de même, Yimpetus d'un mobile peut être affaibli et détruit par la tendance intrinsèque du mobile à un mouvement contraire ou par des causes extrinsèques telles que la résistance de l'air; il ne paraît pas que la figure du mobile puisse être par elle-même une cause de diminution ni de suppression de Yimpetus. Nous avons vu au contraire que Nicolas de Cues attribuait, en ces circonstances, un rôle essentiel à la figure du corps mobile. la figure

communiqué par

Quelle est la nature de cet impetus

moteur au

projectile?

«

C'est,

dit

»

Albert de

Saxe

1

une

«

,

le

mouvoir dans la direction même vers laquelle se fait la projection du moteur, cela à moins qu'elle ne soit empêchée par quelque autre cause. » Cette définition une fois posée, Albertutius ne paraît certaine qualité qui est, par nature, apte à

guère disposé à approfondir davantage

la

nature

«Est-ce une substance ou un accident

vertu;

2

?

accident, de quelle catégorie est-il? Est-il quantité Si cette vertu est qualité, est- elle qualité

de cette

un

Si c'est

ou qualité?

de première espèce,

ou de seconde, ou de quelque autre? Ces considérations dépendent d'une science plus élevée; elles sont objets de Métaphysique le

et

non de Physique.

De Cœlo qui

sont,

Toutefois, en ses questions sur

»

croyons -nous, postérieures à ses ques-

tions sur la Physique, Albert est

un peu moins

réservé

il

;

une qualité de seconde espèce, consistant en une certaine aptitude et facilité au mouvement. » déclare

3

que Yimpetus

«

est

Ces questions métaphysiques, posées seulement par Albert de Saxe, Marsile d'Inghen n'hésite pas à y répondre;

en

même

avec

le

temps

et l'opinion

d'Ockam, qui

mouvement même,

et

d'Aquin, qui ne voulait pas que

l'opinion le fait

pût altérer sa forme substantielle.

une qualité imprimée au mobile i.

Alberti de Saxon i a

Qusestiones

in

libros

«

identifiait

de

rejette

Yimpetus

saint

Thomas

de projeter un mobile

Cet impetus, et

il

»

dit-il

qui produit en

de physica auscultatione ;

A

«

est

lui

le

,

libri VII,

quaest. XIII. 2.

3. U.

Albert de Saxe, ibid. Alberti de Saxonia Qusestiones in libros de Cœlo ; libri II quœst. XIII. Marsilii Ingucn Abbreviationes libri Physicorum ; avant-dernier feuillet, col.

c.


.

NICOLAS DE GUES ET LÉONARD DE VINCI

mouvement. diffère

de

du mouvement

Elle diffère

mais, au

l'effet;

moment où

197

comme

local

cause

la

imprimée dans

elle est

un mouvement d'altération, de même que la science est mouvement d'altération au moment où elle est introduite dans l'esprit. » En outre, Marsile d'Inghen trouve le

mobile,

elle constitue

que Yimpetus doit

être

rangé à

première espèce (habitas par le

la

production

mieux ou vers

le pire

parmi

dispositio) qui

vel

même du

la fois

sujet, soit et

parmi

les

qualités de

s'acquièrent soit

par sa disposition vers

de troisième

les qualités

espèce (actio vel passio) Marsile d'Inghen s'est contenté de comparer l'impression

de Yimpetas en un mobile à l'action qui

dans

mais, par

l'esprit;

là,

il

fait

pénétrer

a préparé la

\7 oie

la

à la

science

compa-

raison de Nicolas de Gués qui assimile cette impression à la création d'une

domine tout

âme au

sein d'un corps;

comparaison

cette

ce que le Cardinal allemand a écrit au sujet de

Yimpetas.

En

la théorie

du mouvement des

l'Évêque de Brixen,

projectiles qu'a esquissée

un passage mérite

d'arrêter tout particu-

lièrement notre attention. Aristote et tous ceux de ses disciples qui sont

mouvement des comme un mouvement entretenu par

fidèles à sa doctrine

sphères célestes

vement de

la

demeurés

ont regardé

diverses

le

le

mou-

dernière sphère, de celle qui contient toutes les

Quant à celle-ci, son mouvement doit être aussi entretenu d'une manière continuelle par un moteur qui lui soit extérieur en un corps non vivant, pas de mouveautres à son intérieur.

;

ment dont la continuation ne soit liée à la présence actuelle d'un moteur extérieur à ce corps; c'est le principe fondamental de la Dynamique péripatéticienne. Le moteur qui, directement, actuellement, continuellement, meut la dernière sphère, c'est le Moteur premier, celui auquel l'on

parvienne puisque

poursuivie à

la

série

l'infini, celui qui,

il

des moteurs

faut bien

ne peut être

ne subissant lui-même l'action

d'aucun moteur, demeure éternellement immobile mot,

c'est

que

;

en un

Dieu.

Cette théorie occupait la place

d'honneur en

la

philosophie


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

198

péripatéticienne; celle-ci ne donnait point d'autre preuve de l'existence de

Dieu que

changement que

du premier moteur. Or,

la nécessité

enseignements des Terminalistes amenè-

les

rent dans l'explication

du mouvement des

projectiles devait

bouleverser cette théorie. Après qu'il a été lancé,

un impetus

garde

le

un

projectile

en sorte qu'il continue

acquisitus,

mouvoir un certain temps hors de

à

se

du moteur. La continuation d'un mouvement ne requiert donc pas la prél'influence

mû,

sence et l'influence actuelle d'un moteur étranger au corps

majeure de l'argumentation d'Aristote

et la

Quelle transformation résulte de

premier, nous

le

voyons en

en

la

se

trouve ruinée.

du Moteur

théorie

lisant Nicolas de

Gués.

n'est

Il

plus nécessaire que l'influence actuelle et permanente de ce

mouvement de la dernière de celle-ci, le mouvement des

Moteur entretienne directement sphère

par l'intermédiaire

et,

autres sphères célestes;

il

suffit

le

que

le

Créateur, en produisant

imprimé un impetus qui suffira à maintenir indéfiniment leur mouvement. L'impulsion persistante qui représente, selon l'École péripatéticienne, l'action du preces sphères, leur ait

mier Moteur, devient inutile;

quenaude lats

»

initiale

cette action se réduit à la

dont Descartes devait

faire

chi-

«

un des postu-

de son système.

Or, cette profonde transformation apportée à la théorie

premier Moteur, Nicolas de Cues l'adopte, mais l'auteur.

Il

semble bien que celui qui a osé

du

il

n'en est pas

le

premier, en

acceptant la doctrine de Y impetus, en tirer cette grave consé-

quence

moins

A

soit Maître Albert l'a-t-il

formulée de

En faveur de

la

l'a

pas imaginée, du

plus nette

1 .

voici

:

d' impetus

nous pouvons

citer l'expérience

Supposons qu'une meule de forgeron,

XIV

grande

très

tournée jusqu'à ce qu'elle se meuve

Alberti do Saxonia Sublissimae quœstiones in libros de Cœlo et

Mundo

ap. edd. Venetiia t'»<) 2 et i5ao. (Cette importante question est les éditions données à Paris en [5i6el i5i8.)

queest,

acquisifi,

:

cette opinion,

et très lourde, ait été

i.

manière

ne

une accumulation

à

Albertutius écrit ceci

que

la

s'il

l'appui de l'opinion qui attribue l'accélération de la chute

d'un corps pesant

u

de Saxe;

;

in

très

lib. Il

omise dans


NICOLAS DE GUES ET LEONARD DE VINCI

rapidement,

qu'on cesse alors de

et

la

1

99

tourner; elle demeurera

longtemps en mouvement. Gela ne peut provenir que d'un impetus acquisitus qui vient du dehors et qui lui a été

par l'homme chargé de cette

par s'arrêter;

finit

substantielle de cette

de

tourner. Lorsqu'on cesse de tourner

meule, cet impetus diminue continuellement,

meule

la

la

Yimpetus...

Si

cela est

bien que

si

que

à ce

forme

la

meule a une tendance opposée

à celle

meule pouvait durer indéfiniment

cette

sans diminution ni altération,

corrompre

imprimé

aucune résistance ne venait

si

engendré en

cet impetus qui a été

la

meule, peut-

communiquerait un mouvement perpétuel. Si l'on admettait cette manière de voir, il serait inutile d'imaginer des intelligences propres à mouvoir les orbites que

être

cet impetus lui

On

célestes.

en

pourrait,

Lorsque Dieu créa en mouvement

les

comme

tenir

effet,

sphères célestes, il

langage suivant

le il

mit chacune

lui plut; et elles se

n'a

ne subit ni corruption ni diminution, car

aucune inclination qui

lui soit contraire,

aucune cause de corruption.

a ici

d'elles

meuvent, mainte-

nant encore, par Yimpetus qu'il leur a communiqué de cet impetus

:

la sorte;

le

mobile

en sorte qu'il n'y

»

Albert de Saxe avait assurément conscience de l'extrême

importance d'une

solliciter ses

De

tions sur le

telle

opinion; à diverses reprises,

elle avait

méditations; avant de l'exposer en ses ques-

Cœlo,

ses questions sur la

il

en avait donné

Physique

1 :

«

la

formule à

la fin

de

Selon cette opinion, on peut

dire qu'il n'est pas nécessaire de supposer autant d'intelligences

y a d'orbites célestes; on peut prétendre que la Cause première a créé les orbites célestes et qu'elle a imprimé à qu'il

chacune

d'elles

orbite d'une

une certaine qualité motrice, qui meuve

manière déterminée;

et cette

cette

vertu ne se détruit

pas parce que cette orbite n'a rien qui la dispose au mouve-

ment en sens Entre

la

contraire.

»

doctrine d'Albert de Saxe

Cues, l'analogie est profonde;

si

et

celle

profonde qu'on ne saurait

mettre en doute l'influence de la première sur i.

Alberti de Saxonia

quaest. XIII.

Quœstiones

in

de Nicolas de

libros de physica

la

seconde.

auscultatione

;

libri

octavi


ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

200

L'analogie,

ne doit pas nous

toutefois,

Pour Albertutius

différences.

comme pour

oublier les

faire

Nicolas de Cues, le

mouvement de révolution de la dernière sphère céleste est entretenu par un impelus qui agit, sans perdre son intensité, depuis le moment de la création, et cet impetus est permanent parce qu'il est naturel. Mais ce n'est pas pour

que

les

deux auteurs

que Yimpetus par lequel que

connaît pas

peu

parce qu'en outre

analogue

meut une

naturel

;

raison

Albert veut

orbite soit naturel parce

causes externes d'altération qui usent peu à

les

meule de forgeron

la

celui

se

même

formée d'une substance incorruptible, ne

orbite,

cette

comme

regardent

le

la

elle

à la gravité,

et

qui constituent

le

frottement;

ne renferme aucune forme intrinsèque, qui

l'incite

au mouvement contraire

que produit Yimpetus; selon l'Évêque de Brixen,

à

cet

si

impetus est naturel, c'est parce qu'il tend à faire tourner sur

elle-même une figure sphérique Puis,

pour Albert de Saxe, Yimpetus

qualité corporelle

nature

la

parfaite.

;

mais

un

il

;

le

n'est

sûrement qu'une

Cardinal Allemand n'en détermine pas

aime à rapprocher l'opération qui imprime

immobile jusque-là, de la création de l'âme au sein d'un corps inanimé bien aisément, celui qui lit Yimpetus à

corps,

;

dialogues Sur

les

cette

ne

jeu de globe ou Sur

le

Possest peut serrer

comparaison d'un peu plus près, peut-être, que l'auteur

le souhaitait;

âme;

le

alors,

il

il

peut assimiler pleinement Yimpetus à une

se trouve

amené

à interpréter la doctrine de

Nicolas de Cues en admettant que chaque orbite est

une âme qui y il

fut créée

mue

par

au commencement des temps; par

là,

revient précisément à la théorie averroïste contre laquelle

Albert de Saxe s'inscrivait en faux.

Qu'on

ait

pu

interpréter de la sorte la doctrine de Nicolas

de Cues touchant Yimpetus, l'exemple de Kepler nous servira à le prouver.


NICOLAS DE GUES ET LEONARD DE VINGT

ÏÎOI

X La Dynamique de Nicolas de Cues et la Dynamique de Kepler. Nicolas de Cues n'a écrit que de courtes réflexions sur le

mouvement sur

développement de

le

mais ces réflexions ont exercé

des projectiles;

Dynamique une

la

influence pro-

fonde et prolongée; mainte trace de cette influence se peut découvrir dans

xvn

e

les

écrits des

grands mécaniciens des xvi e

et

siècles.

Ouvrons, par exemple, célestes; voici

le traité

en quels termes

1

Des révolutions des

Copernic

orbites

que «chacun

établit

meut d'un mouvement circulaire, uniforme perpétuel ou d'un mouvement composé de mouvements

des corps célestes se et

circulaires «

»

:

La mobilité propre de

en cercle, de

telle

la

sphère consiste en

manière que

exprime sa propre forme dans

le

effet à

par son acte corps

le

tourner

même

elle

plus simple, dans

ne peut discerner une partie d'une autre, puisque

celui

cette

sphère se meut sur elle-même en traversant toujours

mêmes

l'on

régions de l'espace.

les

»

Ne semble-t-il pas entendre, en ces paroles du Chanoine de Thorn, un écho de la voix de l'Évêque de Brixen? Cette voix, mêlée

aux accents d'Albert de Saxe,

retentit

avec une netteté et une force particulières dans l'œuvre de Kepler. Les théories mécaniques du grand astronome semblent parfois bien obscures

et

en s'expliquant lorsqu'on

dont

elles

bien étranges; elles s'éclaircissent les

sont issues, d'une

rattache aux

deux traditions

part à la tradition de l'École

terminaliste de Paris, d'autre part à la tradition de Nicolas

de Cues.

Sans rechercher dans

i.

Nicolai Copernici

les divers écrits

de Kepler

De revolutionibus orbinm cœlestium

libri

sex;

les

marques

lib. I, cap.

IV.


ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

202

multiples

se

peuvent reconnaître ces deux traditions

contentons-nous de

1

,

celui de ces écrits qui les résume,

lire

YEpitome astronomie Copernicanœ 2

dans ce

et

;

livre

même,

empruntons seulement quelques passages au chapitre qui du mouvement diurne de la Terre 3

traite

.

Kepler a rejeté

de

la théorie

pesanteur imaginée par

la

Aristote; après Fracastor et Copernic, avec Guillaume Gilbert et Galilée,

il

a repris la doctrine Pythagoricienne que Nicolas

de Gués lui-même semble parfois adopter

ne tend pas au centre du Monde; tout, à la Terre entière

;

en

il

Un

grave terrestre

tend à se réunir à son

il

même

de

est

:

en chaque

astre,

qui tend à conserver son intégrité. «

et

Si

donc on considère

par rapport à

la

Terre entière ^, dans son intégrité

la

matière qui

forme,

la

douée d'aucun mouvement naturel matière qui forme l'inertie;

le

;

absolument

caractère propre de la

plus grande partie de la Terre,

la

répugne au mouvement,

elle

elle n'est

c'est

et cela d'autant plus

fortement qu'une plus grande quantité de matière se trouve resserrée dans «

un plus

petit espace.

du corps

Cette inertie matérielle

mouvement 5 précisément

densité

cette

,

le

mouvement de

sujet

il

terrestre à l'égard

même

de ce

du

corps constituent

imprimé Yimpetus du imprimé exactement comme

dans lequel

rotation;

»

y est

est

Kepler connaissait assurément les divers traités de Nicolas de Cues; au chade son Mysterium Cosmographicum a qui est un de ses premiers écrits, il nomme le Cardinal Allemand «divinus mihi Cusanus»; il le cite également en sa Dissertatio cum Sidereo nuncio h en sa Narratio de observatis a se quatuor Jovis satellitibus erronibus c en son écrit De Stella nova in pede Serpentarii d ces citations ont trait tantôt aux hypothèses astronomiques de Nicolas de Cues, tantôt à ses théories géométriques, tantôt enfin à ses considérations mathématiques sur l'infini. 2. Efâtome astronomiœ Copernicanœ, usitaïa forma quaîstionum et responsionum circumscripta,inque VII libros digesta, quorum très hi priores sunt de Doctrina sph.rrira... auctore Joanne Kepplero; Lentiis ad Danubium, exxudebat Joannes Plancus, anno MDCXVIII. Joannis Kepleri astronomi Opéra omnia edidit Ch. Frisch Frankfort sur le Mein etErlangen, i858; t. III (Toutes nos citations se rapportent à i.

pitre

II

,

,

,

;

;

cette édition). 3. 4. 5.

Principiorum doctrinœ physicae pars quinta J. Kepleri Opéra omnia, t. III, p. 17/1. J. Kepleri Opéra omnia, t. 111, p. 175.

a) Joannis Kepleri astronomi tomiiB

I,

p. 122.

b) Ibid., c)

tomus

Ibid., tomus

ih Ibid.,

tomus

II, p. II,

490.

p. 509.

II, p.

595.

Opéra omnia

De motu diurno.

:

edidit Ch. Frisch

;

Frankfort sur

le

Mein

et

Krlangen, 1858

:


NICOLAS DE GUES ET LEONARD DE VINCI

dans

toupie qui tourne par violence; plus est pesante

la

matière de cette toupie, mieux

en

elle reçoit

ment imprimé par la force externe, et plus mouvement; au contraire, les plumes et les semblable légèreté,

qui

reçoivent pas aisément

aux frondes

et

mouvement;

le

d'Albert de Saxe

prime

ils

aux machines de guerre. lire n'est «

:

elle le

a

mouve-

autres corps de

ne

résistance,

ne sauraient servir

»

qu'un écho de l'enseigne-

Celui qui lance

un

projectile im-

une certaine vertu motrice ... plus de matière qu'une plume et qu'elle

à ce projectile

une pierre

la

durable ce

est

aucune

n'opposent

Ce que nous venons de

ment

2o3

1

Comme est plus

dense, elle reçoit davantage de cette vertu motrice; elle la

garde plus longtemps que

la

meut plus longtemps après la projette. C'est aussi

plume,

pourquoi

et voilà

elle se

qu'elle a quitté l'instrument qui

parce qu'elle possède davantage de cette

vertu motrice imprimée qu'elle produit une percussion plus violente.

La théorie de Yimpetus

»

phénomènes que présente

le

«

explique aisément tous les

mouvement

explique, en premier lieu, pourquoi le pierre plus loin qu'une la pierre

plume;

et

des projectiles 2

même

en voici

elle

;

moteur lance une

la raison

il

:

y a dans

plume et elle y est plus pierre une vertu motrice

plus de matière que dans la

compacte; aussi imprime-t-on à

la

plus puissante et plus intense qu'à la plume, et cette vertu est

retenue plus longtemps dans

second; de

une plus fer est

même voyons-nous

forte

le

premier corps que dans

que l'on peut imprimer au

chaleur qu'au bois parce que

perfore

mieux que

le fer

détaché de

la

une lance lance;

plus d'impetus dans la lance entière que dans

il

même longue

très

y

a,

en

effet,

le fer seul. »

Cette théorie d'Albert de Saxe, origine des notions de et

fer

matière du

la

plus dense et plus compacte que celle du bois. La

théorie explique également pourquoi

le

masse

de force vive, se propagea d'université en université avec

l'enseignement de l'Université de Paris.

A i.

la fin

du xiv

e

siècle,

Alberti de Saxonia Quœstiones

Marsile in

libros

d'Inghen 3 professe

de physica

auscultatione ;

libri

quapst. XIII. 2.

3.

Alberti de Saxonia Quœstiones in libros de Cœlo; libri tertii quaest. XII. Marsilii Inguen Abbreviationes ; avant-dernier feuillet, col. d.

celte octavi


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

204

du défaut d'impetas que le même homme ne peut pas lancer une fève aussi loin qu'une demi-livre de plomb; Yimpetas fait défaut dans l'objet qui le reçoit par suite de la petitesse du mobile, d'où résulte doctrine à Heidelberg.

la petitesse

C'est par suite

«

de sa propre quantité; en

grand pour projeter au loin ne saurait corps.

effet,

un

être reçu

impelas assez

en un

si

petit

»

Vers

expose

la 1

la

moitié du xv e siècle, à Padoue, Gaétan de Tiène doctrine qui attribue

la

conservation du

des projectiles à une vertu que l'on

nomme

doctrine

la

résoudre maint problème;

des

cette théorie,

Parisiens,

explique

elle

«

permet de

pourquoi un poids

de juste proportion peut être projeté plus fortement loin qu'une

plume;

cela tient à ce qu'il renferme

grande quantité de matière;

ou

parfois gravité

souvent, impetas;

légèreté accidentelle et, plus

que Gaétan

nomme

mouvement

plus

et

une plus

acquiert donc de cet impetas

il

une quantité plus grande qui suffît à le mouvoir plus rapidement et à une plus grande distance; de même, comme le fer contient plus de matière que le bois, il peut recevoir plus de chaleur.

Aux

»

Universités de Padoue et de Bologne, pendant tout le

cours du xv e siècle, cette doctrine n'était pas moins familière

aux adversaires des Terminalistes qu'à leurs partisans.

En

seconde moitié du xv e

la

siècle,

Nicolô Vernias

est,

Padoue, l'un des plus fermes champions de l'Averroïsme «

Albertutius,

»

dit-il

2 ,

d'Aristote et de

écartés

projectiles sont

«

et les autres

l'air

:

Terminalistes, se sont

toute vérité en

mus non par

à

ou par

prétendant que

les

l'eau qui les envi-

ronne, mais par un impetas qui leur est communiqué... Nous allons répondre aux raisons qu'ils invoquent. « Ils

par

disent, en

l'air,

premier

un homme

lieu,

jetterait

que

si

»

le projectile était

une plume plus loin

qu'il

mû ne

super octo libros Physicorum cum annotationibus textuum. Impressum est hoc opus Venetiis per Bonetum Locatellum impensis... Octaviani Scoti, anno Salutis 1/196, nonis sextilibus; fol. 5i, col. a. i.

Recollecte Gaietani

Colophon

:

ordinariam philosophie legentis question est imprimée à la fin dos Quœstiones de Physica auscultatione, d'Albert de Saxe, publiées à Venise, en iôiô, par les héritiers d'Octaviano Scoto. 2.

Nicoleti Theatini in celeberrino studio Patavino

Questio de gravibus

et

levibus. Cette


NICOLAS DE GUES ET LÉONARD DE VINCI jette

un

petit

main, ce qui

morceau de

de grandeur appropriée à sa

fer,

est contraire à

l'expérience.

expérience s'explique fort bien,

comme

le fer a

«

une

A

leur avis, cette

le dit

Maître Gaëtan;

reçoit plus d' impetus,

il

en

une plus grande distance.»

Je m'étonne que les Terminalistes aient prétendu soutenir

erreur;

telle

rait cette

si

l'on

conséquence

donnés, tous deux de priée à la

main de

jeté plus loin «

comme

plus de matière,

sorte qu'il est projeté à

2O0

Pour moi,

:

en croyait leur réponse, on en dédui-

Une

même

pierre et

un morceau de

grandeur,

que

morceau de

que

fer serait

qui est faux, je pense.

la pierre; ce

je dis

de grandeur appro-

et

celui qui les jette, le

fer étant

le fait

»

considéré provient de ce que

puissance motrice est moins bien appliquée à la plume

la

qu'au morceau de fer...»

Une considération semblable rend compte du second fait invoqué par les Terminalistes, à savoir du mouvement circulaire que garde le toton après qu'il a quitté la main de celui qui le lance. Ils ne peuvent comprendre, en effet, comment «

ce toton se mouverait, sinon par été

communiqué.

Yernias mort, à

Bologne, de

la

l'effet

d'un impetus qui

lui a

»

le

plus brillant représentant, à Padoue, puis

Physique averroïste,

fut

Alexandre Achillini,

du célèbre Pomponat. Au sujet de Yimpetus, Achillini ne s'exprime pas autrement que Vernias « L'opinion des Parisiens, » dit-il, «est que Yimpetus consiste en une certaine qualité attachée au projectile et le mouvant;

l'adversaire

1

.

d'ailleurs,

comme

qualité est engendrée par violence,

cette

elle

va toujours en s'affaiblissant...

que

les

«

»

Puis

il

énumère

les

Parisiens font valoir contre la théorie d'Aristote

Premier doute

:

Gomment

se fait-il

que

la

doutes :

roue qui tourne

autour d'un axe se meut plus violemment après que celui qui la tourne l'a abandonnée à elle-même qu'elle ne se mouvait

auparavant? Gela ne peut

être, semble-t-il,

que par un certain

impetus qui n'est plus réglé, tandis qu'auparavant

il

était réglé

i. Alexandri Achillini Bononiensis De démentis lib. III, in: Alexandri Achillini Bononiensis philosophi celeberrimi Opéra omnia in unum collecta; Venetiis apud

Hieronymum Scotum, MDXLV,

foll. i35,

verso, et i36, recto.


ÉTUDES SUK LÉONARD DE VlNOt

206

par

De même

moteur...

le

longueur

se

longue? De

cette

recevoir

Pourquoi une lance d'une certaine

meut-elle plus rapidement qu'une lance moins

même

encore

être lancée aussi loin à

:

:

Pourquoi une plume ne peut-elle

qu'une pierre?

Il

raison qu'ayant trop peu de

un

aussi

grand impetus de

semble que cela

tient

ne peut

matière, elle

celui qui la lance.

»

Nous

Taisons grâce au lecteur des raisons par lesquelles Achillini s'efforce

Ce

d'accommoder

n'est pas

ces observations à la théorie d'Aristote.

seulement dans

les

Universités italiennes que

ces doctrines parisiennes sont familières à la fin et

au commencement du xvi

e

siècle;

on

les

du xv

e

siècle

enseigne aussi

à l'Université de Paris, qui les a produites.

Dans ses Questions de Physique, imprimées en i5o6, et que nous avons déjà citées, Jean Dullaert de Gand en donne un exposé très complet où nous lisons ces lignes « L'hypothèse [d'Aristote] ne peut expliquer comment un l

homme

:

ne saurait projeter une fève plus loin qu'une flèche.

on en pourrait tirer la conclusion opposée; si c'est l'air, en effet, qui meut le projectile, comme l'air porte plus aisément un petit poids qu'un grand poids, il devra porter la fève qu'on a lancée

Il

y a plus;

si cette

hypothèse

était vraie,

plus loin qu'il ne porte la flèche. cette

Il

de

hypothèse qu'une machine de guerre devrait lancer un

boulet de bois plus loin qu'un boulet de fer; faux.

même

suivrait de

et

cela est

»

Jean Dullaert invoque également contre l'hypothèse d'Aristote

giratoire, être

du toton « qui se meut d'un mouvement en demeurant à la même place, et qui ne peut donc

l'expérience

par l'impulsion de

l'air. »

Les théories parisiennes avaient également cours dans les Universités allemandes où l'influence de Marsile d'Inghen les avait apportées;

vers l'an

Frédéric Sunczel

donne un exposé

i5oo,

à l'Université d'Ingolstadt, très

complet 3 de

la théorie

Johannis Dullaert de Gandavo Qusestiones physicales ; lib. VIII, quaest. 11. Collecta et exercitata Friderici Sunczel Mosellani libcralium studiorum magistri in octo libros Phisicorum Arestotelis : il almo studio Ingolstadiensi. Colophon lmpcnsis Leouardi Alautse bibliopole Viennensis, arte vero et iugenio Pétri Lichlcnstciu Coloniensis anno MDVI die X.XV1II mensis Madii... Liber VI11, quœst. M. i.

a.

:


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

de ïimpetus;

d'Inghen

A que

et

la

marque d'Albert de Saxe

se reconnaît à

chaque ligne de

vivement

et

être lancée plus

L'expérience nous enseigne

l'air.

que

contraire, et la raison en est

plume ne

la

autant à'impetus qu'un corps solide et pesant. Il

cite

d'objecter

plus loin qu'une pierre, car elle opposerait moins

de résistance à l'impulsion de le

cet exposé.

une plume pourrait

selon cette opinion,

«

de Matsile

et

manque pas

théorie d'Aristote, Sunczel ne

la

207

également

«

la

meule de

ensuite; ce n'est pas

en l'abandonnant

et

qui la meut;

l'air

il

»

que Ton meut en

l'artisan

exerçant sur elle une certaine action

reçoit pas

ne saurait mouvoir

une masse aussi considérable, d'autant que la meule continue de se mouvoir longtemps après qu'elle a été abandonnée par Par analogie avec cette expérience, cer-

celui qui la tournait.

tains des plus anciens philosophes prétendaient

Moteur

que

le

premier

au commencement, communiqué au Ciel un

avait,

tel

un toton et l'animer demeure en place, comme

impetus... Les jeunes gens savent lancer

mouvement

d'un

immobile; ce

giratoire tel qu'il

puisque

le

Kepler ne pouvait guère manquer de connaître soit par

la

toton

n'est pas l'air qui produit cet effet,

demeure comme immobile.

même

lecture

»

des œuvres du maître, soit par l'enseignement

des Universités, la relation qu'Albert de Saxe avait établie entre la

masse d'un corps

capacité à recevoir Yimpetas. C'est

et sa

encore l'influence d'Albert de Saxe

immédiate, perçue par et

sur

le

la lecture

De Cœlo, que nous

«Les enfants savent

manière

mouvement de

fois

il

faire

du passage suivant tourner un toton de 1

:

d'autant

plus régulier et plus

qu'il a reçue a été

par

les inégalités

son propre poids triomphe de

vement

s'alanguit-il

le

donnée avec plus qu'il a reçu,

lui-même un grand nombre de révolu

est heurté

l'air;

J.

une influence

mis en mouvement parYimpetus

choc de

1.

révèle l'étude

ce toton est

ce toton effectue sur

mais

t-il,

des Questions sur la Physique

fort bien

uniforme que l'impulsion

tions;

semble

demeure dans une position bien déterminée;

qu'il

de soin; une

et,

peu

Kepleri Opéra omnia,

de

la table,

lui; aussi

a peu, et le toton finit

tomus

III, p.

176.

par

le

son mou-

par tomber.

»


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

208

Dieu n'a-t-il pas pu,

«

temps, produire en

comme

Terre,

la

aussi,

lui

au commencement des de l'extérieur, une

telle

impression? C'est cette impression qui aurait produit toutes ultérieures de la Terre;

les rotations

deux millions;

vigueur parce que le

les entre-

que leur nombre surpasse

tiendrait encore aujourd'hui, bien

déjà

qui

c'est elle

cette impression,

en

effet,

garde toute sa

rotation de la terre n'est gênée ni par

la

choc d'aucune aspérité extérieure, ni par

qui est dépourvu de densité;

elle n'est

fluide éthéré

le

gênée non plus par

aucun poids, par aucune gravité interne; quant la

matière, elle est le sujet

le

conserve afin que

même

la rotation se

à l'inertie de

qui reçoit Yirnpetus et qui

continue.

»

C'est bien la pure doctrine d'Albert de Saxe, transposée par la

substitution de

Terre

la

aux orbites

célestes,

que nous

reconnaissons en ce passage. L'influence de Nicolas de Cues ne s'y perçoit

Kepler y attribue la perpétuité à Yirnpetus entretenu le mouvement diurne de la Terre, c'est

guère;

par lequel est

si

parce qu'aucun frottement externe, aucune tendance interne

un mouvement différent ne tend à affaiblir cet impelas; ce n'est pas parce que la Terre est parfaitement sphérique. Mais Nicolas de Cues a comparé l'impression de Yirnpetus en un mobile à la création de l'âme en un corps c'est cette vers

;

comparaison, semble- 1 -il, qui suggère à Kepler

les considé-

rations nouvelles qu'il va maintenant développer.

Dans le toton la species motus, Yirnpetus produit par l'action des mains de l'enfant a pu se détacher de la cause motrice, s'imprimer dans le corps du mobile et y demeurer un certain temps, bien qu'il n'y fût qu'un hôte. Mais cette species motus 1

,

par laquelle

le

Dieu créateur

globe terrestre, cet impetus

a,

tout d'abord, mis en branle le

initial

a fort bien

pu s'insinuer

plus profondément et d'une manière plus durable dans

corps de

la

spéciale;

cette

terrestre

terre,

s'y

transformer en une forme corporelle

forme corporelle a pu organiser

en vue du mouvement qu'elle produit,

libres annulaires

le

dont tous

les

centres

se

la

la

matière

disposer en

trouvent sur l'axe

de rotation du globe; à cette information en fibres annulaires i.

.1.

Keplcri Opéra omnia,

lomus

111, p.

17G.


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

correspond une faculté motrice;

20Q

la disposition

de ces fibres

mouvement

confère à la terre une raison de se mouvoir d'un

de révolution; Yimpetus, devenu forme corporelle particulière, n'est plus

pour

le

simplement un hôte pour

toton

;

il

se

trouve chez elle

la Terre,

comme

comme un

il

l'était

fermier;

il

en

comprend qu'une telle cause motrice garde une constante vigueur beaucoup mieux que ne l'aurait fait un simple impetas. Que la distribution en fibres annulaires de la matière qui compose un corps puisse prédisposer un corps au mouvement

a vaincu et

dompté

la

matière

et l'on

;

de révolution sur lui-même,

une opinion où Kepler se complaît, ainsi qu'en d'autres suppositions analogues; mais cette opinion ne se rencontre- t-elle pas déjà dans les écrits de c'est

Nicolas de Gués, et ce dernier n'admet-

ment de

rotation sur

lui-même

il

pas que

le

mouve-

naturel à tout corps de

est

révolution? Cette organisation fibreuse qu'il imagine en la Terre, Kepler

compare à la disposition des fibres musculaires dans le cœur; et voilà que cette comparaison le conduit naturellement à une opinion nouvelle où, plus encore qu'en la précédente,

la

nous reconnaissons l'influence de Nicolas de Gués «

Sans doute

laires la

',

en

cette organisation de la Terre

prédispose au

mouvement

:

fibres circu-

qu'elle doit recevoir;

semble toutefois que ces fibres soient plutôt

les

il

instruments

d'une cause motrice que cette cause motrice elle-même. De

même, dans

notre corps, les nerfs, les muscles, les ligaments,

les articulations, les os

ment, mais

ils

sont parfaitement adaptés au

ne sont point

la

cause première du

mouve-

mouvement

;

sont seulement les instruments dont l'âme se sert pour

ils

mouvoir

le

corps.

L'impetus

»

communiqué par

le

Créateur à

donc pas seulement transformé en une devenu une âme. particulière; elle

«

C'est,

d'ailleurs

ne confère à

la

3 ,

i.

J. J.

p.

Keplcri Opéra omnia, tomus Keplcri Opéra omnia, tomus

duhem.

III, p. III, p.

Terre ne

faculté corporelle;

s'est il

est

une âme d'une espèce

Terre ni la croissance, ni la

sensibilité, ni la raison discursive; elle la

2.

la

meut simplement.

178.

179. i4

»


ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

2IO

Mais, bien

mieux que

simple impetus, bien mieux

le

qu'une faculté corporelle, cette âme motrice assure

même perpé-

la

du mouvement diurne. Ce mouvement, en effet, n'est plus aucunement pour la Terre un mouvement « On nomme proprement mouvement violent un violent mouvement, venu du dehors, qui meut un corps à rencontre de sa propre nature; mais nous ne pouvons regarder comme contre nature un mouvement que la forme communique à la tuelle régularité

l

:

donne au corps auquel elle est jointe? Qu'y a-t-il, en effet, qui soit plus naturel à une matière que sa forme, à un corps que sa faculté ou son âme? » matière, que la faculté ou l'âme

En

ses jeunes années,

Jean Kepler avait été conduit, par

la

œuvres de Jules César Scaliger, à admettre la docaverroïste et à attribuer le mouvement de chaque astre

lecture des trine à

une intelligence

particulière;

résolut ensuite de renoncer

il

demander aux seules des mouvements célestes; la

à toute hypothèse de cette sorte et de

causes physiques l'explication

théorie de Yimpetus, telle qu'Albert de Saxe l'avait exposée, était

bien propre à

le servir

dans l'accomplissement d'un

tel

dessein; mais l'analogie entre Yimpetus et l'âme, indiquée par

Nicolas de Gués, contribua sans doute à l'en détourner et à

ramener vers

les explications

animistes dont

s'était

il

le

d'abord

détaché. Il

semble

même

que Kepler

ait

emprunté

à l'Évêque

de

Brixen cette hiérarchie des puissances de plus en plus indestructibles qui s'engendrent l'une l'autre afin d'assurer le

vement perpétuel de faculté

la

corporelle qui

Terre

donne

à

:

Yimpetus, d'abord, la

Terre

son

mou-

puis la

organisation

interne, enfin l'âme motrice immortelle.

De même, Nicolas de

Gués avait considéré d'abord Yimpetus

qui peut faire défaut

et cesser lors

même

que

le

«

globe demeure sain

et entier,

parce

mouvement communiqué au globe est un mouvement accidentel et violent, et non point un mouvement naturel»; ce mouvement engendré par Yimpetus, il l'avait assimilé ensuite au « mouvement vital qui ne cesse de vivifier le corps de que

le

l'animal, auquel i.

J.

il

est naturel, tant

Kcpleri Opéra omnia, totnus

III,

p. 175.

que ce corps demeure sain


NICOLAS DE GUES ET LEONARD DE VINCI et

capable de vie

est détruit

»,

mais qui,

lié

2

du corps,

à l'organisation

lorsque cette organisation s'altère; enfin,

comparé au mouvement de l'âme qui ne peut prendre

intellectuelle,

il

l'avait

mouvement

indépendante du corps, l'âme

fin, car,

1 t

se

meut elle-même. nous avons esquissé

Si

ici l'histoire

qu'ont exercée en l'esprit de Kepler

de la double influence de Yimpetus

la théorie

selon Albert de Saxe et la théorie de Yimpetus selon Nicolas de

Gués, ce n'est point sans intention; nous allons voir, en

que ces deux théories ont sur la constitution de la

influé, et

effet,

d'une manière analogue,

Dynamique de Léonard de

Vinci.

XI La Dynamique de Nicolas de Gués et la Dynamique de Léonard de Vinci. Théorie de l'impeto composé.

En analysant brièvement avons vu deux traditions Saxe

s'y

mêmes

Dynamique de Léonard de Vinci

influent sur la

en un sens ou en

l'autre selon

que l'une ou

problèmes de Mécanique pure; presse de faire

celle

tendance;

prédomine;

se poser des

de Nicolas de Gués

œuvre de philosophe. Voyons, en

ce qu'a produit la première

traditions

et l'orientent

l'autre

porte Léonard à

d'Albert de Saxe

Kepler, nous

mêler, l'une issue d'Albert de

de Nicolas de Gués; ces deux

et l'autre

l'influence

Dynamique de

la

l'article

le

cet article,

suivant nous

dira ce que l'on peut attribuer à la seconde.

Nous savons que Léonard

Questions qu'Albert de Saxe avait d'Arislote

;

il

avait

donc étudié

profondément médité les composées sur le De Cœlo

avait

la théorie

de Yimpetus qui est

développée en cet ouvrage; de cette étude, d'ailleurs, ses notes portent mainte trace; on n'eu pourrait souhaiter aucune qui lut plus nette ce

i.

Si

que

celle-ci

une roue dont

le

*

:

mouvement

est

devenu de plus en

Les manuscrits de Léonard de Vinci; ms. B de la Bibliothèque de l'Institut, verso.

fol. a 6,


ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

2 12

plus violent donne d'elle-même, après que son moteur l'aban-

donne, beaucoup de tours, il paraît clair que persévère à la faire tourner en sus de la dite

si

ce

moteur

vitesse, cette

persévérance peut avoir lieu avec peu de force. Et je conclus

que pour vouloir maintenir ce mouvement, le moteur n'aura toujours que peu de fatigue, et d'autant plus que, par nature, il

se fixera.

»

Pénétré des doctrines qu'Albert de Saxe a développées tou-

chant Yimpeius, Léonard va s'en servir pour commenter ce qu'a dit Nicolas de Cues au sujet de cette

De

lecture des dialogues

Possest ou

De

même

ludo globi va ainsi lui

suggérer des problèmes de Mécanique auxquels sa théorie de Yimpeto

notion; la

il

appliquera

composé.

Voyons d'abord en quoi consiste cette théorie. Léonard semble avoir conçu sa théorie de Yimpeto composé sous l'influence d'une doctrine d'Albert de Saxe. Albertutius examine cette opinion, émise par Aristote en sa

Physique

vement

un mouvement

:

réfléchi est toujours séparé

un repos intermédiaire;

direct qui l'a précédé par

à ce propos qu'il écrit ces lignes

i

c'est

:

Lorsqu'une pierre ou une flèche

«

du mou-

est lancée vers le haut,

mouvement de descente, qui est naturel, sont séparés l'un de l'autre par un repos intermédiaire, à moins que le choc contre un obstacle ne mette empêchement à ce repos... En effet, considérons un

le

mouvement

d'ascension, qui est violent, et le

grave qui est projeté vers

monter,

faut

il

le

que Yimpetus qui

de surpasser l'ensemble de stance

du milieu mais ;

à descendre cette vertu

ce

que

;

en

haut; pour que ce grave cesse de

effet,

impulsive

la gravité

dant lequel

s'affaiblisse

la

de la rési-

il

faut

que

non pas seulement jusqu'à cette vertu impulsive,

somme

de Yimpetus et de

la

demande un certain temps penne monte ni ne descend. »

or, cela

le projectile

Aculissiinx quœstiones in libros de physica auscultatione ab Alberto de Saxonia

i.

edit.r

;

et

ne commence point aussitôt

du mobile surpasse

du milieu

du mobile

qu'il puisse descendre,

mais jusqu'à ce qu'elle surpasse résistance

porte vers le haut cesse

la gravité

le projectile

pour

le

;

octavi libri quœst. XII.


2l3

NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

Cette curieuse théorie suppose, contrairement à nos opi-

nions modernes, que projectile

la résistance

de

même

ne s'annule pas en

au mouvement d'un

l'air

temps que

du

la vitesse

une certaine valeur projectile est immobile; elle

projectile; elle attribue à cette résistance

même

finie,

l'assimile

dans

cas

le

le

donc à ce que nous nommerions aujourd'hui un façon de traiter la résistance de

frottement. Cette

se

l'air

retrouve constamment dans les écrits d'Albert de Saxe et de

que Marsile d'Inghen ou Biaise de Parme.

ses disciples, tels

La théorie contenue dans

vivement

citer paraît avoir

passage que nous venons de

le

des successeurs

sollicité l'attention

d'Albert de Saxe. Marsile d'Inghen la reproduit dans ses divers écrits «

l

sur la Physique d'Aristote.

Supposons,

lancée vers

dit -il

»

haut pèse

le

doit traverser soit le

haut sera

i

ses

Abréviations,

3 et

que

la résistance

monte, que ïimpetus qui

la pierre

surpasse

Or,

4-

il

temps,

la pierre

est plus

milieu,

il

il

surpasse

4,

mouvement

2,

pousse vers

il

est

précisément égal à

3,

il

;

comme

ne

suffît

le

pour haut

i

;

pendant ce ;

en

effet,

inférieur à la

vers le haut; d'autre

en s'unissant à

3

la puis-

faut donc,

la résistance

donne, à l'encontre du mouvement vers

une résistance qui surpasse est

que

qu'elle

temps pendant lequel

certain

petit

résistance qui s'oppose au

comme

un

s'écoulera

la

il

si

ne pourra ni monter, ni descendre

puisque Y impetus

part,

du milieu

inférieur à 4 et supérieur à

cet impetus sera

qu'une pierre

action ne peut être effectuée

sance est égale ou inférieure à la résistance;

que

«

au mouvement vers

la résistance totale

;

Aucune

4.

en

le

le

du

bas,

poids de la pierre

pas à faire descendre

la pierre. »

Léonard de Vinci

a-t-il

connu

les

Questions sur

la

Physique

d'Albert de Saxe? Nous n'en avons pas d'indice certain. Plusieurs de ses notes

nous feraient volontiers supposer

avait lu les Abréviations de Marsile d'Inghen.

ne paraît pas

qu'il ait

pu ignorer

la théorie

En

qu'il

tout cas,

il

dont nous venons

75" fol. libri phisicorum édite a Marsilio Inguendoctore Parisiensi Quœstiones subtilissimœ Johannis Marcilii Inguen super octo libros physicorum secundum nominalium viam; libri octavi qunestio VIII. 1.

Abbreviationes

imprimé,

col. d.

;


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

<2\[x

de parler;

elle était,

de son temps, tout à

fait

classique dans

les écoles.

En

du xv e

seconde moitié

la

siècle,

l'Averroïste

TNicolô

Vernias de Chieti enseigne à l'Université de Padoue; avec

Philosophe

ment du regarde

Commentateur,

et le

enseigne

1

que

projectile est entretenu par l'agitation

comme

contraire

soutenue par Albertutius réfuter,

la

il

et

phénomène de il

la balle

par

les autres

il

Terminalistes; pour est contredite

par

le

qui rebondit après avoir touché terre;

citer et qu'il attribue à Marsile

L'un des philosophes dont Vernias critique touchant Yimpetus

est

Padoue;

mentaires à

du milieu;

développe un calcul tout semblable à celui que

nous venons de

versité de

mouve-

toute vérité la théorie de Yimpetus

cherche à prouver qu'elle

il

dans ce but,

ii

le

le

d'Inghen.

opinions

les

Gaétan de Tiène, son collègue à l'Uni-

celui-ci venait, en effet, de

donner

ses

com-

Physique d'Àristote; or en ces commentaires,

la

de Yimpetus est très exactement présentée selon

la théorie

la

tradition des Terminalistes de Paris,

calcul que nous avions lu

dans

les

nous retrouvons 2

Abréviations de

le

Marsile

d'Inghen.

La théorie Paris; vers

si

bien connue à Padoue n'était pas oubliée à

l'an

Jean Dullaert de Gand,

i5oo,

régent

du

Collège de Montaigu, enseignait en ce collège la doctrine de

Yimpetus; son exposition n'était guère autre chose que

le

déve-

donnée Marsile d'Inghen dans ses Abréviations aussi y trouvait-on 3 le raisonnement par lequel Marsile démontrait l'existence d'un temps de repos entre la montée et la descente d'un projectile. loppement de

celle qu'avait

;

du repos intermédiaire entre l'ascension et la descente d'un projectile n'était pas moins connue en Allemagne qu'à Paris et en Italie; Frédéric Sunczel, qui, vers Enfin, la théorie

l'an i5oo, enseignait à l'Université d'Ingolstadt, et qui citait i.

Nicoleti Theatini Quœstio de gravibus et levibus. Cette question est

imprimée

à

des Quœsliones in libros de physica auscultations d'Albert de Saxe, publiées à Venise, en i5i6, par les héritiers d'Octaviano Scoto. 2. Ttecollete Gaietani super octo libros Physicornm ; Venetiis, per Bonetum Locatellum et Octavianum Scotum, i4g6 fol. 4q, col. d. Johannis Dullaert de Gandavo Qusestiones in libros physicorum Aristotelis ; in la

lin

;

,'i.

octavum librum quœstio

II

;

Parisius,

perOlivierum SenantetNicolaum Depratis,i5o6.


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

volontiers Marsile d'Inghen

commentaires à

la

dans

expose

ses leçons,

Physique d'Aristote

2l5 *~

en ses

raisonnement ima-

le

giné par Albert de Saxe.

Léonard de Vinci,

curieux de tout ce qui concerne

si

du mouvement,

la

pu ignorer une doctrine si généralement enseignée de son temps il l'a sûrement connue et science

n'a

;

méditée,

il

mais

s'en est visiblement inspirée,

l'a

il

profon-

dément modifiée. Selon

la

projectile

doctrine d'Albert de Saxe,

en

partage

se

mouvement de

le

mêmes

périodes, le mobile est soumis aux trois

sont Yimpetus,

que

telles

le

durant ces

périodes;

trois

tout trois

actions qui

la gravité naturelle et les résistances extérieures,

frottement ou la résistance du milieu; mais les

proportions de ces trois forces varient selon la période que

durant

l'on considère;

rieur à la

durant

la

somme

de

première période, Yimpetus

la

la gravité et

de

seconde période

la gravité

sur

de quies média)

est celle

supé

la résistance extérieure;

seconde période, Yimpetus est inférieur

mais supérieur à l'excès de

est

;

la

à cette

somme,

résistance (cette

durant

la

troisième

période, enfin, Yimpetus est moindre que l'excès de la gravité

sur la résistance extérieure.

Léonard de Vinci décompose aussi en

vement d'un

projectile

pour y parvenir,

et,

mêmes actions que comment il caractérise ces la

naturelle; violent

En

trois périodes

première, Yimpetus ou,

assez puissant

est

le

comme

était

se

s'est

comme

:

dit

Léonard, Yimpeto la

gravité

meut d'un mouvement purement

dénué de poids.

la dernière période,

au mobile

considère les

pour annihiler complètement

projectile s'il

il

mou-

maître Albert de Saxe; mais voici

trois

En

trois périodes le

Yimpeto qui avait été

totalement évanoui;

soumis qu'à sa gravité,

se

le

communiqué

mobile, qui n'est plus

meut d'un mouvement purement

naturel.

i.

Collecta et exercitata Friderici Sunczel Mosellani liberalium

studiorum magistri

Physicorum Arestotelis, in almo studio Tngolstadiensi, Colophon Laus Deo finiunt... impressa sub hemisperio Veneto impensis Leonardi Alantse, bibliopole Viennensis, arte A'ero et ingenio Pétri Lichfenstein Coloniensis. Knno MDVI... In librum octavum quaestio VIII. in octo libros :

:


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

2l6

Entre

deux périodes extrêmes

ces

une période

s'écoule

intermédiaire durant laquelle la gravité et Yimpeto coexistent contre l'autre; c'est

et luttent l'un le

la

période d'impeto composé;

mobile se meut d'un mouvement mélangé de naturel

et

de

violent.

S'agit- il, par

exemple, d'un projectile qu'une pièce

lancé? Durant la première période du mouvement, ce

lerie a

meut en

projectile se

ligne droite dans la direction où la pièce

a été pointée; durant la troisième période,

lement;

c'est

seulement durant

la

tombe

il

vertica-

période d'impeto mixte que

boulet suit une trajectoire curviligne

le

d'artil-

par laquelle sont

raccordés ces deux segments de ligne droite. Telle est la théorie de Yimpeto composé, créée par

en transformant

la doctrine

de Saxe. Plagiée par

d'Albert

Tartaglia, par Cardan, par Bernardino Baldi

plus grande influence sur

le

1 ,

elle a

développement de

la

qui se rencontrent,

épars,

dans

notes

les

exercé la

Dynamique.

Nous allons réunir quelques-uns des fragments de trine

Léonard

cette doc-

du grand

peintre.

Ces fragments, nous

les recueillerons

nous

savons

postérieurs

cahier

A

Bibliothèque de l'Institut

le

de

la

Codice Trivulzio,

il

en

cahier E, conservé en la

ment

cahier l'ordre

de celles que

A nous aurons ;

il

Codice

même

;

de

même

Bibliothèque;

2

le

Codice

est

le

format que

l'autre est le

;

les

sont, bien souvent,

renferment

l'un

Trivulzio;

est la suite naturelle

l'on y trouve consignées 3

au

en deux cahiers que

pensées que

le

développe-

Trivulzio

et

le

soin d'ailleurs de lire ce cahier E dans

a été écrit, c'est-à-dire

en ordre inverse de

la

pagination. Voici d'abord, au cahier

A 4 un fragment où Léonard ,

Duhem, De

établit

l'accélération produite par une force constante, notes pour servir à Dynamique; §§ IV et V {Congres international de Philosophie tenu à Genève du h au 8 septembre 1904; pp. 875-880). Léonard de Vinci et Bernardino Baldi, IV (Études sur Léonard de Vinci, première série, pp. 16- 118). 2. P. Duhem, La Scientia de ponde ribus et Léonard de Vinci, IV (Études sur Léonard de Vinci, première série, p. 272). 3. P. Duhem, La Scientia de ponderibus et Léonard de Vinci, passim (Études sur Léonard de Vinci, première série). 4. Les manuscrits de Léonard do Vinci; ms. A do la Bibliothèque do l'Institut, i

.

P.

l'histoire de la

1

fol. 4, recto.


NICOLAS DE CLES ET LÉONARD DE VINCI

317

du mouvement, de celle où, entièrement évanoui, le mobile se meut exclu-

l'existence de la troisième période

Yimpeto s'étant

sivement par nature

:

La pierre ou autre chose pesante, jetée avec furie, changera la ligne de sa course à moitié chemin. Et si tu connais «

une tienne arbalète qui

tire

200 brasses, place -toi à une

à

distance de 100 brasses d'un clocher, mets

au-dessus

de ce clocher

et

ta

tire

le

point de mire qu'à

tu verras

flèche;

100 brasses au delà de ce clocher la flèche se fichera en ligne perpendiculaire; et

tu la trouves ainsi, c'est signe qu'elle

mouvement

avait fini le

vement

si

violent et qu'elle entrait dans le

mou-

naturel, c'est-à-dire qu'étant pesante, elle tombait,

libre, vers le centre. »

nomme

Vimpelo, que Léonard dentelle

ou

la gravité

la forza,

extrinsèque,

considérer en cette

l'énumération «

»

naturelle

et,

enfin, la résistance

y a lieu de théorie du mouvement mixte; en voici

sont

telles

souvent aussi la gravité acci-

les

trois

actions

qu'il

:

— Trois

Répartition du poids.

sont les natures du grave

;

l'une est sa gravité simple naturelle; la seconde est sa gravité accidentelle;

Mais

le

la

troisième est

poids naturel

est,

en

le

soi,

frottement produit par

immuable;

lui.

l'accidentel, qui se

joint à lui, est infini avec la forza; et le frottement est variable

selon que les lieux où

il

se fait sont âpres

ou

délicats.

»

du frottement et non point de la résistance de l'air; au cahier E, en effet, où l'étude du frottement tient d'ailleurs une grande place, la théorie de Yimpeto composé n'est pas appliquée à des projectiles jetés en l'air, mais à des Léonard parle

ici

mobiles qui roulent sur C'est ainsi

que

le sol.

les trois

périodes en lesquelles se décompose

mouvement mixte sont mises en évidence par l'analyse du mouvement de la toupie. Nicolas de Gués nous avait tout

dépeint, en son dialogue

imprimé en

la

Possest, Yimpetus

la

:

« 11

Les manuscrits de Léonard de Vinci; Ms.

fol. 54,

verso.

que l'enfant a

y demeure plus ou moins force d'impression qui a communiqué

matière du toton

longtemps, selon 1.

De

E de

la

Bibliothèque de

l'Institut,


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

2ï8 cette vertu

lorsque cet esprit cesse de vivifier

;

reprend son mouvement vers

le centre,

le

comme

toton, celui-ci

au préalable.

»

Léonard, inspiré sans doute par ce passage, va nous décrire,

en

qui meurt, la lutte de Yimpeto de circonvolution

la toupie

contre

la gravité naturelle;

contrariée par celui-là, car

pas sur l'axe de se

coucher

et

toupie

la

là,

ce jouet désire naturellement

non pas demeurer debout

Du mouvement

u

voit sa tendance

effet,

centre de gravité ne se trouve

le

par

;

en

celle-ci,

de circonvolution

1 .

:

— La

toupie qui, par

la

rapidité de sa circonvolution, perd la puissance qu'a l'inégalité

de sa pesanteur autour du centre de sa circonvolution, par cause de Yimpeto qui domine ce corps, est un corps qui n'aura

jamais

la

tendance à l'abaissement que désire l'inégalité de sa

pesanteur tant que

ne

se fait «

la

puisance de Yimpeto moteur de ce corps

pas moindre que

Mais quand

la

de Yimpeto, alors

la

puissance de l'inégalité.

puissance de l'inégalité surpasse elle se fait

volution, et ainsi ce corps,

centre du

amené

centre le reste du susdit impeto. «

Et

quand

la

la

»

puissance

mouvement de

circon-

à rester gisant, finit sur ce

»

puissance de l'inégalité se

fait

égale à la puis-

sance de Yimpeto, alors la toupie s'infléchit obliquement et

deux puissances combattent avec mouvement composé, se

meuvent

l'une l'autre avec

s'établisse le centre de la

un grand

En

ce passage,

et elles

circuit, jusqu'à ce

que

seconde espèce de circonvolution;

en celui-ci Yimpeto termine sa puissance.

les

et

»

Léonard caractérise avec netteté

la

première

période du mouvement, celle où Yimpeto, plus puissant que la gravité, et

supprime complètement l'influence de

détermine seul

le

mouvement du mobile en ;

cette dernière cette

première

période, la toupie, délivrée de sa pesanteur, est animée d'un

mouvement de

rotation parce

veut ainsi;

s'agissait

ment de

s'il

que Yimpeto qui

Léonard do Vinci,

le

communiqué un mouvement de

translation, durant cette première période,

i.

possède

d'un mobile auquel quelque instru-

projection aurait

droite dans la direction

la

il

irait

que Yimpeto, triomphant de

loc. cit., fol. 5o,

verso.

en ligne la

pesnn-


NICOLAS DE GUES ET LEONARD DE VINCI

Léonard

leur, lui imposerait;

aussitôt après le passage «

et

Le mouvement

fait

a soin de

nous en avertir» tout

que nous venons de

par

mobile qui

le

est

:

de figure longue

aussi lontemps que subsistera celui qui vit en lui,

l'air

c'est-à-dire Yimpeto fourni par

note porte

Cette

titre

le

donc appliquer

voulait

la

son moteur.

»

Théorie des volatiles; Léonard

:

proposition qui en est l'objet à

tbéorie du vol des oiseaux; cette théorie, en

méditations, ne cesse de

de ses rédige

Des

— Pourquoi

et

feuillets après

mouvements

leurs

— Tous

la

droits,

et

surtout

même tels

Mais

si les

mouvement

demi-naturel, la

corps ne se variant

il

se

mouvement de

le

meut,

et

cette

la ligne centrale

ladite ligne centrale.

Un

courbure aura

le sol

a,

fait,

de

l'air

ou qu'on

fait

généralement, une trajectoire courbe, par

ou du frottement; Léonard, qui semble l'attribuer à une influence directe de de

l'air

forme du corps sur Yimpeto qui se

galité de cette

concave

»

suite de la résistance

constate le

la partie

dit est plus éloignée

corps dissymétrique qu'on lance en

rouler sur

de leur

ce corps se courbera dans

du côté où l'extrémité du corps déjà

forme;

si telle

varierait par suite de l'iné-

est sa pensée, elle rappelle celle

que Nicolas de Gués émet dans son De ludo rait croire qu'elle a

i.

le

le

extrémités latérales des corps qui ont une lon-

grosseur, alors

2.

laté-

))

gueur sont inégalement distantes de

l'air

corps qui ont

les

ligne centrale de leur grosseur,

puissance de Yimpeto conducteur de

«

que nous

celui

un mouvement de

Voiseau fait

naturel, mais aussi le violent et de

pas.

qu'il

qui se meuvent en ayant les extrémités

également distantes de

feront

préoccuper tandis

le

circonvolution en ployant la queue.

rales

constant

:

oiseaux.

une longueur

effet, sujet

la

nous trouvons une nouvelle note 3 qui développe

lire,

précédente «

Quelques

cahier E.

le

venons de

la

citer

de côtés uniformes autour de sa ligne centrale sera droit

dans

la

319

Léonard de Vinci, Léonard de Vinci,

globi et

Ton

subi l'influence de cette dernière.

loc. cit., fol. 5o,

recto.

Inc. cit., fol. 35,

verso.

pour-


ETUDES SUR LEONARD DE VTNCI

220

nous doutions que ces pensées de Léonard aient subi

Si

du dialogue De ludo

l'influence

acquérir

globi,

de tourner

la certitude,

aussitôt

raient

une

,

nous

effet,

un dessin

pour en

du cahier E tout nos yeux rencontre-

(fig.

;

2) qui

représente

un hémisphère touche

spirale;

en un point de

sol

suffirait,

le feuillet

en

1

il

la

le

circonférence qui

circonscrit sa base et roule le long de cette spirale; c'est la figure

même du jeu

de globe que Léonard a tracée et c'est à ce jeu, décrit par Nicolas de Cues, qu'il

va appliquer ses théories dynamiques.

Tout à côté de ce dessin s'en trouve

un

autre

mier;

3) qui diffère

(fig.

mobile n'a plus

le

peu du pre-

la

forme d'un

hémisphère, mais d'un tronc de cône; ce

FlG.

meut d'abord en ligne droite suivant une trajectoire AGF le Léonard a écrit « mouvement simple » cette tronc de cône se

long de laquelle

:

prend ensuite

trajectoire

;

la figure

d'une spirale F B G qui porte ces

mots enfin,

mouvement composé;

«

:

tronc de cône

le

telle sorte

dont

il

que

fait

le

sa

la

demeure

une

fixe; le

circonférence de

grande base touche

alors

roule de

sommet du cône

partie

point par lequel

»

décrit

le sol

GDE mouve-

trajectoire circulaire

que désignent

ment simple.

les

mots

:

«

»

Cette figure est accompagnée d'explications

que voici

:

«De /'impeto composé. nomme mouvement composé

Fig. 3

On

celui

qui participe de Yimpeto du moteur et de Y impeto du mobile,

comme i.

est le

mouvement FBG,

Léonard do Vinci,

lac. cit., fol. 35,

recto.

qui est au milieu de deux


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

22

1

mouvements simples. L'un de ceux-ci est auprès du principe du mouvement et l'autre auprès de la fin; A G est le premier,

CDE

celui qui est près de la fin. Mais le

lement au moteur mobile. «

De

dernier est seulement de la figure du

et le

»

/'impeto décomposé

mobile avec

le

premier obéit seu-

.

— L'impelo décomposé accompagne

trois natures à'impeto.

du moteur

Deux

d'entre elles nais-

du mobile; mais les deux du moteur, c'est le mouvement droit du moteur mêlé avec le mouvement courbe du mobile, et la troisième est le mouvement simple du mobile, qui tend seul à se tourner avec le sent

et la

troisième

milieu de sa convexité au contact du plan où

il

tourne

se

et pose. »

Léonard avait sûrement l'intention Yimpeto composé globe; aussi

le

d'écrire

un

un chapitre sur

et d'y introduire

le

jeu du

fragment que nous venons de reproduire

immédiatement

notes

suivi de

1

de brouillon du chapitre projeté

l'on reconnaît

Léonard y donne

;

tion de l'hélice et de l'hémisphère;

il

de

traité

est-il

une

sorte

la défini-

y trace un dessin

(fig.

U)

où l'on voit un hémisphère qui roule en touchant

le

sol

par un point de sa tranche, tandis

qu'un

hémi-

autre

sphère, reposant par son pôle,

demeure en équilibre; de ce dessin, «

il

écrit

à côté Fig.

:

4.

Le mouvement de l'hémi-

sphère,

commencé

sur

un point de

la

circonférence de son

plus grand cercle, finit sur

le

point milieu de cet hémisphère;

On

le

prouve par

décrit la ligne hélice.

il

la

seconde de Yimpeto

»

composé qui

»

lente

«

Celle-là sera d'autant plus courte qu'elle est plus distante

»

de

le

que

dit

:

l'autre

la rectitude

«

De Yimpeto composé une d'autant qu'elle

du mouvement

mouvement de l'hémisphère 1.

Léonard de Vinci,

loc. cit., fol.

34, verso.

sera plus courte.

par son moteur.

»

Et

:

Donc composé d'un mouvement

fait

est

partie sera plus

»


ETUDES SUK LEONARD DE VINCI

222

de beaucoup de révolutions entières

et

d'un

mouvement d'une

demi -révolution. » La théorie de Vimpeto composé, empruntée à Léonard par e divers mécaniciens du xvi siècle, a joué un rôle important dans le développement de la Dynamique; une doctrine d'Albert de Saxe, profondément transformée, lui a donné nais-

aucunement contribué à la suggérer; mais les diverses questions de Dynamique auxquelles le Cardinal Allemand avait fait allusion dans sance sans que l'influence de Nicolas de Cues

ses écrits ont fourni

au Vinci des problèmes auxquels

appliquer cette théorie.

comme exemple tiles,

les

ait

En

il

put

choisissant le curieux jeu de globe

de sa doctrine sur

mouvement

le

Léonard nous a formellement témoigné

œuvres de l'Évêque de Brixen;

jusqu'ici pouvaient laisser place au cette connaissance, cette dernière

les

si

des projec-

qu'il connaissait

indices recueillis

moindre doute touchant

preuve

suffirait, et

au delà,

à le dissiper.

Nous venons de voir Léonard de Vinci appliquer à des problèmes de Dynamique posés par Nicolas de Cues une théorie que l'influence d'Albert de Saxe lui avait suggérée; c'est

maintenant l'influence

même

nous allons voir s'insinuer dans elle

de l'Évêque de Brixen que

l'esprit

du grand peintre où

engendrera toute une Philosophie de

la

Mécanique.

XII

La Dynamique de Nicolas de Cues et la Dynamique de Léonard de Vinci (Suite). La théorie métaphysique du mouvement. A deux

reprises, Nicolas de Cues, voulant expliquer l'acte

qui crée une

àme dans un corps jusque-là

sans vie,

le

compare

une masse jusqu'alors sans mouvement; de là à assimiler Yimpelus à une âme, il n'y a qu'un pas, et ce pas, les lecteurs de Nicolas de Cues devaient à l'acte qui infuse Yitnpetas dans

être

grandement

tentés de le franchir.


NICOLAS DE CLES ET LEONARD DE VLNC1

Kepler Fa franchi; dès

commencement

le

par

se transformât d'abord

âme

Créateur à chacune des planètes

le

en une faculté corporelle, puis en une

immortelle. Bien avant Kepler, Léonard de Vinci avait,

sous l'influence des

semblable doctrine; spirituel tout Il

voulu que Yirnpetus communiqué

a

il

22Ô

ne

lation;

il

de Nicolas de Cues, conçu une

comme un

avait regardé Yirnpetus

être

semblable à une âme.

s'était il

écrits

pas borné, d'ailleurs, à indiquer cette assimi-

en avait

fait la

proposition fondamentale d'une vaste

doctrine métaphysique qui

du mouvement. Les notes nombreuses

embrassait tous

les

effets

de la

force et

philosophie de

la

étendues où Léonard expose sa

et

Mécanique ont,

de ceux qu'intéresse son génie

l

parfois, ils

;

attiré

l'attention

y ont trouvé bien des

énigmes qui ont exercé leur sagacité sans qu'ils en pussent donner une solution pleinement satisfaisante. C'est que les pensées que le grand artiste a émises à ce sujet sont un véritable labyrinthe;

n'en possède

par

la

le fil

on ne peut

conducteur,

et ce

seule lecture de ces pensées

quer par

les doctrines

qui

les

les suivre

;

il

fil

ne

avec ordre se

l'on

peut découvrir

les faut éclairer et expli-

ont suggérées, par

la

de l'École terminaliste qui en a bien souvent fourni et

si

Mécanique la

matière,

surtout par la Métaphysique de Nicolas de Cues qui leur a

imposé

sa propre forme.

Aidé par puisé,

la

connaissance des sources auxquelles Léonard a

nous allons nous efforcer de

se peut, le cours qu'a suivi sa

retracer, autant

faire

Métaphysique du mouvement.

Et d'abord, voyons cette Métaphysique naître de

même

que la

lecture

des écrits de Nicolas de Cues.

Dans

ses curieux dialogues

paré la vie de l'âme dans

le

de VIdiot, Nicolas de Cues a com-

corps à la persistance du mouve-

ment sonore dans la cloche; en son De ludo globi, en son dialogue De Possest, il l'a assimilée à l'existence de Yirnpetus dans le mobile entre la cause qui maintient un corps sonore en vibration et la cause qui maintient un projectile en mouve;

i. Voir, en particulier, Gabriel Séailles. Léonard de Vinci, l'artiste et le savant (i4ôa-i5ig); essai de biographie psychologique ; 2* édition, Paris, 190G, pp. 3i8-3ao.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE. VINCI

22Z|

une assimilation qui n'a point échappé au Vinci, témoin cette page du Codice Trivulzlo Je dis que tout corps mû ou frappé retient « De la violence.

ment,

y a

il

1

:

en lui-même, pendant un certain temps, la nature de ce mouvement ou de cette percussion il la retiendra plus ou moins ;

mouvement ou de

selon que la puissance ou la force de ce ce coup sera plus

ou moins grande.

»

— Vois

combien de temps une cloche qui a été frappée retient en soi la rumeur de la percussion. » « Vois combien de temps une pierre projetée par une bombarde conserve la nature du mouvement. » a Un coup donné dans un corps dense produit un son qui dure plus longtemps que s'il était donné dans un corps plus «

Exemple.

dans ce dernier corps,

rare, et

un corps suspendu a

et subtil.

il

durera davantage que dans

»

L'œil garde quelque temps en soi les images des corps

lumineux.

»

Aux deux exemples donnés par Nicolas de Cues, Léonard en a joint ici un troisième la persistance des impressions lumineuses; il enjoint un quatrième dans cette pensée que nous :

1

lisons «

au cahier A,

Le coup donné dans

blance imprimée l'air;

mais

dans

la

il

la

comme

faut voir

cloche ou

du Codice

suite naturelle

la

dans

:

cloche laisse après lui sa ressem-

le Soleil

si

Trivulzlo

dans

l'œil et l'odeur

dans

ressemblance du coup demeure

l'air;

et

cela,

tu l'apprendras en

posant, après ce coup, ton oreille à la surface de la cloche.

»

La préoccupation qui dicte cette pensée est évidente. Tous les physiciens sont d'accord pour attribuer le mouvement du

une certaine ressemblance persistante du mouvement du moteur; mais pour les Péripatéticiens et pour les

projectile à

Averroïstes, cette ressemblance est empreinte dans

avoisine

impelas

le

mobile, tandis que

imprimé dans

ment d'un

le

les

qui

un du mouve-

Terminalisles en font

mobile même; l'analogie

projectile avec la trépidation sonore d'une cloche

suggère à Léonard un

moyen de résoudre

i.

Léonard do Vinci, Codice

2.

Les manuscrits de Léonard de Vinci; ms.

fol. as, verso.

l'air

la

question.

Trivulzio, fol. 43, recto (81).

A de

la

Bibliothèque de

l'Institut,


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

résout assurément dans le sens voulu par les Termina-

Il la

dans

c'est

listes;

lement

le projectile

nommera

vertu qu'il

même

1

à impeto

qu'il fait résider cette

plus tard impeto, en traduisant littéra-

mot impetus employé par

le

nom

Ce

220

est,

l'École.

notamment,

trons au cahier que Venturi a

celui

marqué de

que nous renconla lettre

G

et

que

conserve la Bibliothèque de l'Institut; disons quelques mots de ce manuscrit.

Le recto du dernier

Au

i5io.

il

a à ne pas

même

de la couverture porte ces mots

jour 26 de septembre, Antoine se cassa

«

la

feuillet

bouger

[\o

jours.

»

Au

couverture, nous lisons

:

jambe;

la

verso du premier feuillet de :

Le magnifique Julien de

«

Medicis s'en alla au jour 9 de janvier i5i5, à l'aurore, de

Rome, pour

aller

nous arriva

la

Le cahier

G

épouser sa

nouvelle de

donc

a

la

femme en mort du

roi de France.

de Léonard; d'autres cahiers

mêmes années;

couvraient également de notes durant ces

tel le

»

servi à plusieurs reprises, entre i5io

et i5i5, à recueillir les réflexions

se

Savoie; et en ce jour

cahier E, où se lisent plusieurs dates relatives à l'an-

née i5i4-

du cahier G ait été rempli à peu près en même temps que Léonard couvrait de ses pensées les pages du cahier E, on le devinerait à la similitude des sujets traités

Que maint

comme prouver

feuillet

des expressions qui servent à les traiter. ici

cette similitude

ments; un seul

pourrait

par une infinité de rapproche-

suffira.

Nous lisons au cahier E «

On

Définition de V impeto.

l :

U impeto

une vertu créée par

est

mouvement et transmise par le moteur au mobile, mobile qui a de mouvement ce que Y impeto a de vie. » Au cahier G, nous trouvons ces réflexions « U impeto est impression de mouvement transmise par le

le

2

:

moteur au mobile.

1.

Les manuscrits de

»

Léonard de Vinci, ms. E de

la

Bibliothèque de

l'Institut,

fol. 22, recto. 2.

Les

fol. 73,

manuscrits de Léonard de Vinci, ms.

G de

la

Bibliothèque de

l'Institut,

recto. p.

duhem.

i5


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

22Ô «

L'impeto est une puissance imprimée par

mobile.

le

«

»

Toute impression tend à

manence. On dans le

la

le

du spectateur

l'œil

permanence ou

la

prouve dans l'impression

marteau qui frappe «

moteur dans

le

et

désire la per-

par

faite

dans l'impression du son

la cloche.

le

soleil

par

fait

»

Toute impression désire permanence,

comme nous montre

ressemblance du mouvement imprimée dans

le

Ces deux citations ne nous marquent pas

mobile.

»

seulement

la

grande analogie que l'on peut souvent reconnaître entre

les

du cahier E

réflexions

du cahier G;

et celles

mettent encore de rapprocher

Léonard consignait au Codice qu'il écrivait sous

ces

elles

de celles que

dernières

Trivulzio

nous per-

ou au cahier A,

alors

l'influence manifeste d'Albert de Saxe et

remarque a son importance; nous aurons bientôt occasion de nous en souvenir, en notre de

Nicolas

de

Gués.

Cette

article XIII.

que Léonard a appelé impeto

C'est assez tard, semble- t-il,

vertu que les scolas tiques et B,

il

la

nomme

nommaient

forza,

nom

impetus; aux cahiers

la

A

auquel, pour prévenir toute

confusion avec notre moderne notion de force, nous garderons sa forme italienne.

Léonard va donc chercher à préciser, en de nombreuses notes du cahier A, la nature métaphysique de cette forza;

il

y reviendra au cahier B c'est à ce cahier que nous emprunterons une première définition ;

I

:

«

Quelle chose esl la forza.

— Je dis que

la

forza est une puis-

sance spirituelle, incorporelle, invisible, qui, avec une courte vie, se

cause dans ces corps qui, par une accidentelle violence,

se trouvent tuelle,

hors de leur être

et

repos naturels.

parce que dans cette forza

porelle, et croît ni

J'ai dit spiri-

y a une vie active, incorje dis invisible, parce que le corps où elle naît ne il

en poids ni en forme; de peu de

toujours elle désire vaincre sa cause

et,

vie,

parce que

celle-là vaincue, se

tue. » i.

Les manuscrits de Léonard de Vinci

fol. 63, recto.

;

ma. B de

la

Bibliothèque de l'Institut,


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

Cette définition se trouvait déjà, sous

au cahier A «

Ce que

i

227

une forme plus

détaillée,

:

que

c'est

la

forza.

— Je

que

dis

la

forza est une

vertu spirituelle, une puissance invisible qui, au

moyen d'une

violence accidentelle extérieure, est causée par

mouvement,

introduite et infuse dans les

le

corps, qui se trouvent tirés et

détournés de leur habitude naturelle;

elle leur

donne une

vie

active d'une merveilleuse puissance, elle contraint toutes les

choses créées à changer de forme

mort désirée

à sa

lenteur la

va

et

grande

fait

de place, court avec furie

et

se diversifiant suivant les causes.

et la vitesse la fait faible; elle naît

La par

violence et meurt par liberté. Et plus elle est grande, plus vite

consume.

elle se

Elle chasse avec furie ce qui s'oppose à sa

destruction, désire vaincre et tuer la cause de ce qui lui obstacle

et,

fait

vainquant, se tue elle-même. Elle devient plus

puissante en trouvant de plus grands obstacles. Toute chose fuit volontiers sa mort. Toute chose qui est contrainte contraint

elle-même. Rien ne

meut sans

se

Le corps où

elle.

elle naît

ne croît ni en poids ni en forme. Aucun mouvement

Le corps auquel

La forza l'âme

l'est

mobile la

par

durable. Elle croît dans les fatigues et disparaît par

elle n'est le repos.

fait

est

donc un

elle est

imposée n'a plus de

être spirituel, associé

au corps dans un être vivant;

comme

la

forme

l'est

à la matière,

liberté.

au mobile elle est

comme

»

comme

unie à ce

l'acte l'est à

puissance. L'acte détermine et contraint la possibilité indé-

terminée; ainsi, était,

la

forza supprime la liberté du corps qui

jusque-là, en puissance de n'importe quel

elle le dirige; elle lui

mouvement;

impose un mouvement déterminé.

Cette assimilation de Yimpeto à l'âme est-elle,

comme nous

l'avons dit, suggérée à Léonard par la lecture des écrits de

Nicolas de Cues? Si l'on en doutait, ce doute, de rapprocher les

«Le Cardinal.

pour dissiper

deux notes que nous venons de

— ...Cette

vertu

Les manuscrits de Léonard de Vinci; ms.

fol. 34, 2.

suffirait,

de ces quelques lignes empruntées à Févêque de Brixen

citer

î.

il

verso.

Nicolai de Cusa

De

ludo globi liber primus.

qu'on A

de

la

nomme

2 :

l'âme est

Bibliothèque de l'Institut


2

ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

28

circonscrite en

un

certain lieu, de telle sorte qu'elle n'est nulle

part ailleurs qu'en ce lieu; mais elle n'occupe aucun lieu, car

présence n'a pas pour

elle est esprit; sa

entoure sorte

corps; elle ne prend pas

le

que

le

même volume

moindre que par Jean.

«

passé.

le

— Cette

le

fabrique le globe;

il

qui

certain espace, de telle

contienne, du corps, une

part

»

comparaison

globe au corps et

un

effet d'écarter l'air

me

plaît fort, qui assimile le

mouvement du globe à crée aussi le mouvement

l'âme.

L'homme imprime

qu'il lui

mouvement, comme notre âme même, est invisible, indivisible; il n'occupe aucun lieu... » La forza diffère de l'âme en un point essentiel; l'âme est

au moyen de Y impelas;

et ce

immortelle parce que naturelle

spontanément

périssable; elle tend

s'épuise par cette

mort de « Si la

forza

la

forza

accompagne

chose

la

mue

par

donc contre

second par

nom

sont caractérisés 4

ils «

i.

a.

3. h.

,

c'est

cette

meut de

»

c'est

que son rôle consiste

même mouvement

naturel; elle

désire vaincre sa

»

la

cause de la forza;

«

de peu

cause

et,

De de

comment

Cette forza peut naître de

«

ces

premier par

le

le

.

elle la

2

»

engendrée?

mouvements

;

elle

Wous venons de parler de 3

et

la forza

cause; elle est donc

sa propre

celle-là vaincue, se tue.

désigne souvent

naît de

naturel alors que, nous Talions

engendrée par ce

de vie, parce que toujours

et le

forza

corrompt par son acte même,

mouvement

à lutter contre le

elle,

consume elle-même.

qu'elle est contraire à la nature

différents

la

»

.

Si la forza s'épuise et se

la forza est-elle

effet,

le

chose qui meut une autre chose est

voir, elle est

en

:

l

telle sorte qu'elle se

lutte

à sa destruction;

mouvement violent et production même « Le mouvement

son action consiste à produire

la

forza est essentiellement

la

;

deux

deux mouvements, Léonard le

nom

d'opulence (divizia)

disetle (careslla). Voici

comment

:

Et d'abord la forza peut venir par l'accroissement subit Léonard Léonard Léonard Léonard

de Vinci, de Vinci, de Vinci, de Vinci,

loc. cit., fol. 3/j,

verso,

loc. cit., fol. ai, verso. loc. cit., fol. 34,

ibid.

verso.


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

229

d'un corps rare dans un corps dense,

comme

du feu dans

se trouvant pas

bombarde. Ce

la

vide qui reçoive son

un

lieu plus

désir...

»

lieu, vient ce

qui se crée dans

machines semblables, qui ne

quand

qui,

et

comme

donnée,

A

ces

la

les

corps plies

l'arbalète

ou autres

se laissent pas volontiers ployer

sont chargées, désirent

elles

expulsent avec fureur, aussitôt que est

la liberté

se

redresser et

de

le faire

chose qui s'opposait à leur course.

deux manières d'engendrer

d'en joindre une troisième

même, moyennant

:

«

la forza,

Souvent

la

forza

dans

le

choc, par exemple

frappée est semblable à celle qui frappe

engendre

2 ,

elle

:

privée en tout de toute sa puissance.

La forza peut donc naître

«

la

Si la

chose

mouvement;

ainsi

»

dans un choc, qui n'est

lui-

du mouvement violent produit par Le coup 3 est le terme du mouvement causé

la destruction

une autre forza par

»

sa place en y laissant celle qui l'a frappée

s'enfuit de

que

«

elle-

en reçoit coup,

poids [c'est-à-dire gravité accidentelle, forza] et

même

conviendrait

il 1

leur

»

mouvement, une nouvelle forza.

le

C'est ce qui arrive

elle

dans

court avec furie

accroissement,

tordus contre leur nature,

et

dans un

ample, en expulsant tout ce qui s'oppose à son

En second

«

ne

feu,

la multiplication

:

«

forza et opéré par des corps sur des objets résistants.

Le coup

h

naît dans la

mort du mouvement

et le

»

mouvement

mort de la forza. » De quelque manière que naisse la forza, elle est engendrée par un mouvement « La forza** est causée par le mouvement et infuse dans le corps pesant; et pareillement le coup est

naît de la

:

ha forza mouvement infus dans le corps pesant. est cause du mouvement et le mouvement est cause de la forza. Le mouvement infuse la forza et le coup dans le poids, moyennant l'objet. » Parmi ces mouvements qui engendrent la forza, considérons causé par

1.

2.

3. 4. 5.

le

Léonard Léonard Léonard Léonard Léonard

de de de de de

verso.

Vinci,

loc. cit., fol. 34,

Vinci,

loc. cit., fol. 27, recto.

Vinci,

ibid.

Vinci,

loc. cit., fol. 34,

Vinci, ibid.

verso.


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

23o

particulièrement

nomme

second, celui que Léonard

le

mou-

le

vement de disette. Ce mouvement est celui d'un corps qui, placé par contrainte dans un état opposé à sa nature, et redevenu libre, retourne à cette nature; c'est le mouvement que les Péripatéticiens nomment naturel; pour Nicolas de Gués, répétant l'enseigne-

ment la

mouvement

d'Aristote et de toute l'École, ce

matière de la forme imparfaite qui lui avait été

ment imposée aune forme plus Nicolas de Cues

une

1

«

,

même

que ce qui

accoutumé souhaite

est

ment naturel

est

disait

»

étant apte à recevoir cette forme, éprouve

vais désire ce qui est bon, il

artificielle-

parfaite; «la matière,

sorte d'appétit à l'acquérir, de

laquelle

passer

fait

bien

que ce qui

est privé

d'une chose à

cette chose.

mouvement de

le

mau-

est

Le mouve-

»

disette

dont parle

le Vinci.

Le type de ces mouvements naturels Selon Aristote,

le poids, tiré

atteint sa perfection,

hors du

chute d'un poids.

est la

lieu naturel

tend à retourner à ce

où sa forme

lieu.

Selon les

Pythagoriciens, auxquels Aristote oppose sa doctrine, terrestre,

détaché de

auquel

l'astre

il

le

grave

appartient, tend à revenir

à son tout et à en reconstituer l'intégrité. C'est à cette dernière

doctrine que Léonard semble parfois donner la préférence «

Toute partie,

»

dit-il 2

,

«

a

une tendance

:

à se réunir à son

En

moupoids s'oppose au mouvement

tout pour échapper à son imperfection.

»

tout cas, le

vement naturel causé par le violent engendré par l&forza. Cette opposition, Léonard la marque avec fragment 3

,

dont toutes

les

propositions trouvent leur expli-

cation dans les remarques précédentes «

désir, et la vite...

i.

3.

:

Tout poids désire descendre au centre par

courte; et où

2.

netteté dans ce

il

y a plus de pesanteur,

chose qui pèse

Mais

le

il

tombe

le

plus

par nature dans tout son sup-

Nicolai de Cusa De docta ignorantia liber II, cap. X. Léonard de Vinci, Codice Atlantico, fol. 69, recto. Les manuscrits de Léonard de Vinci, ms. A de la Bibliothèque de

fol. 35, recto.

plus

y a un plus grand

le plus, laissée libre,

poids passe

la voie la

l'Institut,


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

23

port; et ainsi, pénétrant de support en support,

1

pèse et

il

alourdit en passant de corps en corps jusqu'à ce qu'il satisfasse Il

son désir. La nécessité

dans chacun de

la

forza

semblable à

est

il

comme

Dans son

ses degrés...

par

la forza

Le poids

la forza.

poids.

le

On

poids n'a pas de voisin,

la

chasse avec furie. Si

il

forza la fuit volontiers. Si

poids tombe,

la

plus

et

vaincu par

peut voir

poids

le

le poids.

en cherche un avec furie;

la

poids désire la stabilité

le

forza est toujours en désir de fuite,

le

est

Si le

forza

poids désire une position immuable,

le

sans fatigue, tandis que

et tout

de presser et

office

sans la forza, mais on ne voit pas la forza sans

le

chasse.

le

dans toute son opposition perpendiculaire

est tout

alourdir,

l'opulence

et

l'attire

il

le

et si la

poids est par lui-même

forza n'en est jamais exempte. Plus

augmente,

et

plus la forza tombe,

plus elle diminue. Si l'un est éternel, l'autre est mortelle. Le

poids est naturel et et

lité,

la

forza accidentelle. Le poids désire stabi-

puis immobilité; la forza désire fuite et mort d'elle-

même. Le dans

la

poids, la forza et le coup se ressemblent entre eux

pression qu'ils exercent.

Au peu l'éternité

de durée de

du poids

;

»

Léonard

la forza,

au premier abord,

de son lieu naturel

et

abandonné

chute s'arrête bientôt, car

à

rencontre

il

demeure

moment où

indestructible,

mouvement, supportent

et

poids,

le

ou un support;

poids de ce grave a s'est arrêté; le

poids

mais ne pouvant plus produire de

produit une pression sur les obstacles qui

il

le

s'opposent à ce mouvement. Tel est l'enseigne-

ment formel d'Albert de Saxe

1 .

médite sans cesse, en ce cahier résistance

le

grave, tiré hors

le

le sol

mouvement

le

opposer

lui-même, tombe; mais sa

que l'on ne croie pas, cependant, que au

semble que

qu'une existence éphémère;

lui aussi, n'ait

été détruit

il

se plaît à

des matériaux;

l'idée essentielle

et,

Cet enseignement, Léonard

A où en

il

fonde

même

la théorie

temps,

il

de

le

la

en mêle

avec d'autres idées empruntées à Nicolas de

Gués, afin d'en composer sa Métaphysique du mouvement.

i.

Alberti de Saxonia Quœstiones

libri III quaestio III. Cf.

Vinci,

première

:

in

Albert de Saxe

série, p. 16).

libros de et

Cœlo

Léonard de

et

Mundo;

libri I quaestio

Vinci, II (Études sur

X

et

Léonard de


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

233

Nous

retrouvons, cette idée, dans

la

passage suivant

le

Le poids presse toujours son soutien

g

par nature, des supports à leurs bases;

il

pénètre

il

;

est tout

1 :

et passe,

dans tout

le

support, tout dans toute la base de ce support, et tout dans tout le soutien de la base;

jusqu'au centre du Monde.

pénètre de support en support

»

Le poids presse toujours son soutien;

«

quer dans

corps

le

même

consume dans

se

et

il

elle naît; le

sa course;

le

forza vient à man-

la

mouvement

s'affaiblit

coup meurt aussitôt

qu'il

naît. »

A

l'éternité

mais

la

ment

du poids s'oppose

la

durée éphémère de

forza n'est pas la seule puissance mortelle;

mouvement

violent.

En revanche,

si

le

choc, que produit

le

chacune de ces puissances

de plus courte vie que celle dont

est

mouve-

violent qu'elle engendre est, lui aussi, de courte durée;

de durée plus courte encore est

et

le

la forza;

elle dérive, elle est aussi

de plus énergique violence.

une des pensées

Cette gradation des diverses puissances est

auxquelles Léonard revient «

La violence,

»

dit-il

2 ,

c'est-à-dire de poids, forza,

uns disent que

la

le «

se

forza est composée et

:

compose de quatre choses,

mouvement

mouvement

c'est-à-dire forza,

plus volontiers

et

coup. Et quelques-

de trois puissances,

coup. Et celle qui est la plus

puissante est celle qui a le moins de vie, c'est-à-dire la

seconde

est la forza; la troisième

le

mouvement 3

il

est plus

dites.

;

et si l'on acceptait le

faible

et

pour

le

coup;

la faiblesse serait

poids dans ce compte,

plus éternel qu'aucune des autres sus-

»

uLe coup 4

est le

terme du mouvement rapide, causé par

la

forza et engendré par les corps sur les objets résistants; de lui dérivent les sons, de lui les ruptures, et aucune chose n'est

de plus prompte action ni de plus grande puissance

i.

;

ses

Les manuscrits de Léonard de Vinci, ms. A. de la Bibliothèque de l'Institut,

fol. 35, verso.

Léonard de vinci, loc. cit., fol. 35, recto. Léonard intervertit ici, sans doute par lapsus, Tordre qu'en toutes notes il attribue à la forza et au mouvement. 4. Léonard de Vinci, loc. cit., fol. 27, verso. 2.

3.

ses autres


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI résultats sont d'extrême rapidité et pénétration

d'objets résistants.

en toutes sortes

»

En même temps

du poids en forza en mouvement, puis en coup, Léonard est

forza, de la

qu'il suit cette transformation

continuellement hanté par

au

persiste

233

travers

de

pensée de quelque chose qui

la

changements

ces

d'une

successifs,

équivalence qui s'établit entre ces puissances nées

unes

les

des autres; une puissance dont l'action est faible, mais de

longue durée, peut en engendrer une autre qui opère énergiquement, pendant un temps

très

très court.

Cette pensée, aperception confuse de la grande loi qui sera

marque nettefragments que nous venons de citer. Nous la

principe de la conservation de l'énergie, se

le

ment dans

les

retrouvons dans les notes que nous allons reproduire;

mécaniques dWristote,

qui

développe dans

se

les

Mécanique de Galilée

la

:

Ce que

sance à l'aide d'une machine, on

l'on

un jour

gagne en puis-

perd en temps,

le

de

écrits

Gharistion et de Héron d'Alexandrie, pour s'affirmer

dans

y

qui germe déjà dans les Questions

reliée à ce principe

est

elle

et inver-

sement. «

Forza

et

mouvement

par une quantité d'eau

1 .

et

une roue

Si

que

est

mue

à

un moment

eau ne puisse augmenter

cette

ni par courant, ni par quantité, ni par

une plus grande chute,

une roue meut une machine, il est impossible que sans y employer une fois plus de temps, elle en meuve deux; donc qu'elle fasse autant de besogne en une heure que deux autres machines l'office

de cette eau est terminé. C'est à dire que

avec une

tourner

seconde heure;

un nombre

long temps,

elles

infini

ainsi

Mouvement

même

roue peut

de machines, mais avec

ne feront pas plus de besogne que

mière machine en une heure. «

la

si

et forza.

— Une

un

faire

très

la pre-

»

cause [puissante

et]

lente pro-

un mouvement rapide et faible une cause rapide et faible produit un mouvement lent et fort. » De la disposition de la force pour bien tirer et pousser 2 duit

;

((

i.

2.

.

Léonard de Vinci, Léonard de Vinci,

loc. cit., fol. 3o, recto. loc. cit., fol. 35,

verso.


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

234

Plus la force s'étend de roue en roue, de levier en levier, de vis «

et

en

vis,

Si

deux forces sont produites par un

par une

plus elle est puissante et lente.

même forza,

celle qui

»

même mouvement

consommera

plus de temps

le

aura plus de puissance qu'aucune autre. Et une force sera plus faible

qu'une autre d'autant que

celui de l'autre.

On

«

on ne

le

temps de l'une entre dans

»

peut voir

le

poids sans la forza,

voit pas la forza sans le poids.

ainsi cette pensée

masse pesante;

:

la

La forza ne peut

»

»

a dit le Vinci

On

1 ,

«

mais

pourrait entendre

exister qu'infuse

masse pesante subsiste

lors

dans une

même

qu'elle

dénuée de forza. On n'en tiendrait pas, croyons -nous,

est

véritable sens. naît d'un

Ce sens nous paraît

mouvement

Tout d'abord,

être celui-ci

naturel engendré par

cette affirmation

le

surprend

:

le

Toute forza

:

poids.

Le mouvement

naturel de l'arc de l'arbalète qui revient à sa tension normale

et,

ce faisant, infuse la forza dans la flèche, n'est pas identique à la

chute d'un poids. Mais à y regarder d'un peu plus près,

encore

la

chute d'un poids que nous trouvons à l'origine de la

forza qui anime la flèche; pour mettre l'arc dans nature, infuser

il

une forza, antérieure

mère de

le

mouvement

celle-ci; et cette

hors

violent, lui

à celle qui entraînera le projectile,

première forza a

Autant 2 tu emploieras de forza à

liberté, et autant

il

été

engendrée par

la

préparation de ton

s'en suivra :

dans

la

chose

mue

par

Autant de poids naturel

tu

mouvement

sance, ton arbalète,

elle...

Avec autant de forza tu auras préparé ton

avec autant s'élancera la flèche lancée par

charger, avec son

:

en fuira lorsque l'arbalète reviendra à sa

il

d'autres termes

arbalète,

état

naturel du poids qui a servi à bander l'arbalète

arbalète, autant

En

un

communiquer un mouvement

a fallu lui

et

«

c'est

auras

elle...

simplement employé

à

naturel, à toute sa libre puis-

autant de poids

accidentel

clans la flèche qui s'enfuit de cette arbalète.

3

s'infusera

»

Léonard de Vinci, loc. cit., fol. 35, recto. Léonard de Vinci, loc. cit., fol. 3o, recto. 3. Rappelons que Léonard, comme tous ses contemporains, désigne par poids accidentel la même chose que ce qu'il nomme impeto ou forza. — Cf. Léonard de Vinci cl Bernardino Baldi, IV (Éludes sur Léonard de Vinci, première série, p. n4). i.

2.


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

1 35

La forza donc, et le mouvement violent qu'elle engendre, et le coup en lequel s'épuise ce mouvement violent ne sont, en dernière analyse, que les transformations successives du mouvement naturel du poids :

«Le poids

»,

qui éternellement opère dans

moindre puissance que

exerce, est de

qui sont encore lui fche sono

vement

et le

lui),

pression qu'il

mou-

c'est-à-dire la forza, le

plus puissante que

poids, et son office dure

le

moins. La troisième permanence est plus grande puissance que la forza tion (degieneralo) de cette

moindre permanence, de

et petit-fils

mouvement, qui

le

et est dérivé

même forza.

du mouve-

forza; et tous naissent du poids.»

la

l'artiste revêt

du langage mathématique, n'entrevoit- on remarque déjà faite, la première ébauche de principe de la conservation de l'énergie si

de

par généra-

est le coup, lequel est fils

forme poétique, mais qui n'ont pu atteindre encore

grandioses et

est

La quatrième chose, de

Sous ces énoncés que l'imagination de

Si

passions

les trois autres

coup. La seconde chose, de seconde permanence,

est la forza,

ment

la

la

pas, ce

d'une

précision

une

selon

qui sera

le

?

féconds qu'ils nous paraissent, ces énoncés

n'épuisent pas encore la richesse des pensées de Léonard. a

La gravité

2

la forza,

,

mouvement

le

et

le

coup sont

les

quatre puissances en lesquelles toutes les œuvres visibles des

mortels trouvent leur existence puissances, le poids, par son

de chercher

Un

comment

le

mort.

»

De

ces quatre

mouvement naturel, engendre

trois autres. N'y a-t-il pas lieu et

et leur

les

de remonter plus haut encore

poids lui

même

est

engendré?

grave, selon l'enseignement d'Albert de Saxe 3

,

n'a pas

de pesanteur actuelle lorsqu'il se trouve en son lieu naturel

pour

qu'il

acquière une

manifester par sa chute, exerce sur son support,

i.

2.

Léonard de Vinci, Léonard de Vinci,

dres, fol. 43, recto. p. 3i 9 3.

p.

J.

pesanteur actuelle, capable de se

s'il s'il

;

est libre,

est

ou par

empêché,

il

la pression qu'il

faut qu'il ait été tiré

verso. de la Forster Library, South Kensington Muséum, LonG. Séailles, Op. cit., P. Richter, Op. cit., t. il, § 1137.

loc. cit., fol. 35,

vas.

IP

.

Albert de Saxe

16).

et

Léonard de

Vinci, II (Études sur

Léonard de

Vinci,

première

série,


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

236

hors de son lieu naturel,

mouvement naturel mouvement violent.

le

Léonard fait sienne dit-il

i,

«a d'abord

faut qu'il ait subi

il

donc pour antécédent nécessaire

a

cette doctrine

été accidentel;

ainsi la pierre qui

ou jetée en haut; on

quand

naturel

montait

et

quand

il

le

Le mouvement naturel,

«

:

a d'abord été portée il

une violence;

l'a

»

tombe

appelé accidentel

descendait.

»

donc toute forza provient d'un mouvement naturel déterminé par une pesanteur actuelle, toute pesanteur actuelle, à son Si

tour, présuppose

un mouvement

violent produit par

une forza.

placerons-nous, dès lors, l'origine de toute puissance méca-

nique?

Où prendrons -nous un

point de départ en cette chaîne

où toute forza dérive d'une pesanteur actuelle

et

où toute

pesanteur actuelle dérive d'une forza? La série des actions motrices ne peut sans absurdité être prolongée à

un premier mouvement

de toute nécessité, que nous posions naturel, engendré

l'infini. Il faut,

par une première pesanteur actuelle,

et

à l'origine de cette première pesanteur actuelle,

un premier

mouvement

Cette forza

violent,

à

une première

elle-même n'a pu naître que d'un

forza.

mouvement

matériel;

mais ce mouvement premier, d'où provient-il lui-même? n'est pas spontané, car se

«

mouvoir par elle-même

Il

aucune chose insensible ne pourra »

2

Il

.

ne peut provenir ni de pesan-

teur ni de forza; et cependant la pesanteur et la forza sont les

deux seuls moteurs qui «

Aucune chose sans

pagner

la

vivant;

il

3

ait été

»

Il

faut

donc que

3.

tirer sans

ce premier

m forza,

un mouvement purement

en haut,

la

est celle

:

accom-

mouvement en un corps

Les manuscrits de Léonard de Vinci, ms.

Léonard de Vinci, Léonard de Vinci,

intellectuel.

d'une pierre qui avait

première forza celle qui a enlevé celte

fol. 3i, recto. 2.

matière inanimée

faut qu'il ait été produit par la détermination d'une

La première pesanteur actuelle

i.

la

ne peut pousser ou

produit, sans pesanteur

volonté, c'est-à-dire par

été jetée

en

chose poussée; ces moteurs ne peuvent être que

forza ou pesanteur.

physique

vie

se trouvent

loc. cit., fol. 22;

verso.

loc. cit., fol. 21,

verso.

A de

la

Bibliothèque de

l'Institut,


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

pierre hors de sa nature

dans

la pierre

main

était

mue

engendrée par

est

mouvement mère

mouvement physique qui a infusé était le mouvement d'une main, et

le

;

cette forza cette

la disette

du poids.

De même que

ou par l'opulence;

la forza,

même,

La forza

elle est fille

du mouvement

être

l

du

spirituel et

engendrée par une autre forza,

mouvement

première forza

la

«

puissance spirituelle de peu de durée,

grâce à l'intermédiaire du produit; de

:

»

d'âme mortelle, peut

sorte

homme

par la volonté d'un

matériel, petite -fille

et origine

2$*]

violent que celle-ci a

qu'il

nous faut mettre

mouvement physique naît d'une âme immortelle par l'intermédiaire du mouvement volontaire d'un de tout

à l'origine

corps vivant. Cette doctrine inspire la pensée suivante

2 ;

la

première partie

de cette pensée reproduit presque textuellement un passage

que Léonard a déjà a

un

instant

« La.

écrit ailleurs et

que nous avons

cité

il

y

:

mouvement

forza, le

matériel, le poids et la percussion

sont les quatre puissances accidentelles par lesquelles toutes

œuvres des mortels ont leur existence

les

mort.

et leur

»

son origine du mouvement spirituel ce mouvement spirituel, coulant par les membres des animaux «

La forza

tire

;

sensibles, gonfle leurs muscles; ces muscles,

tendons auxquels

se raccourcissent et tirent les et

de ces tendons,

humains.

la

en

se gonflant,

ils

sont joints,

forza est causée au sein des

membres

»

Par cette conclusion, l'analyse philosophique du mouvement, si profondément poussée par Léonard de Vinci, retrouve l'un

des

principes

Nicolas de Gués

même

:

fondamentaux

Métaphysique de tout mouvement procède de l'esprit. La voie

par laquelle

i.

recto. 2.

J. 3.

Un grand nombre

d'objets,

Léonard de Vinci, ms.Arundel 260 de

J. P.

Richter, Op.

cit., t. II, S

Léonard de Vinci, ms.Arundel P. Richter, Op.

Nicolai de

cit., t. II, §

Cusa De

la

ramenée à ce principe

elle est

tracée par l'Évêque de Brixen «

de

:

»

disait celui-ci

3 ,

«

participent

Bibliothèque du British Muséum, fol. i5i , Séailles, Op. cit., p. 320. de la Bibliothèque du British Muséum, fol. i5i,a.

85g.

2<}3

lui a été

la

— G.

85g.

ludo globi liber primus.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

238

meuvent ensuite par l'effet de leur particimouvement; il faut donc, en remontant, parvenir

au mouvement pation à ce

et se

à une chose qui se se

meuve non par

meuve d'elle-même;

donnons

nom

le

faut

que

accident et par participation au

mais par son essence car l'intellect se

il

même

;

cette

chose

cette

mouvement,

chose est l'âme intellectuelle,

meut lui-même... Le mouvement auquel nous d'âme

est créé

en

même

temps que

corps

le

;

il n'est pas imprimé dans le corps par un autre mouvement, comme celui qui anime le globe il se meut lui-même et il est ;

adjoint au corps de telle sorte qu'il en puisse être séparé;

donc substance.

il

est

»

La philosophie de la Mécanique ébauchée par Léonard est donc une émanation de la Métaphysique de Nicolas de Cues.

XIII

La Méganique de Nicolas de Cues et la Mécanique de Léonard de Vinci. L'hygromètre, le sulcomètre et le mouvement de la Terre. L'un des plus curieux ouvrages de Nicolas de Cues par l'ensemble des quatre dialogues de

l'Idiot;

est

formé

les trois pre-

miers de ces dialogues sont consacrés à une exposition de philosophie

et

de

la

théologie du Cardinal Allemand;

le

la

der-

purement scientifique intitulé De staticis experimentis, il a pour principal objet de décrire les multiples applications de la balance d'une lecture aisée même pour nier,

au contraire,

est

;

;

ceux qu'épouvantent

les

profondeurs de

la

Métaphysique, ce

dialogue a joui, semble-t-il, d'une grande vogue; maintes il

a été

imprimé séparément

et sa

fois,

plus ancienne édition remonte

à 1/176.

Léonard de Vinci, Mécanique, Statique, a

si

curieux de tout ce qui touche à la

constamment préoccupé des théories de la dû prêter à la lecture de cet écrit une attention toute

particulière;

si

nous allons rechercher

cette lecture lui a suggérées.

et

analyser

les idées

que


2^

NICOLAS DE GUES ET LEONARD DE VINCI

L'une des pensées

au dialogue De

hygromètre hygromètre

les

plus ingénieuses qui se rencontrent

experimentis concerne la fabrication d'un

slaticis

à poids; voici

en quels termes

l'Idiot décrit cet

:

En un plateau d'une grande balance, que l'on mette un monceau de laine bien sèche en l'autre plateau, que l'on «

;

mette des pierres, jusqu'à ce que l'équilibre se trouve établi

au sein d'un air tempéré observera que contraire,

;

l'air

si

poids de la laine

le

que ce poids diminue

devient plus humide, on

augmente; on verra, au

si l'air

tend à la sécheresse.

Ces différences de poids permettraient de peser

l'air

et

de

former des conjectures vraisemblables au sujet des changements de temps. »

Léonard de Vinci a proposé l'emploi d'un hygromètre analogue à celui que Nicolas de Gués a imaginé. Un fléau de balance se meut sur un cercle divisé qui permet d'en apprécier l'inclinaison

éponge dont

le

;

à l'une des extrémités de ce fléau pend une

poids varie avec l'humidité de

extrémité est attaché

De

un

peu près semblables

1 .

à l'autre

contrepoids.

Léonard nous a

cet instrument,

l'air;

laissé

L'un de ces croquis

deux croquis à

(fig.

5) se trouve

parmi des dessins conservés au Musée du Louvre; le mot «

éponge

»

écrit au-

y est

dessous du corps hygrométrique;

il

est

accompagné

de cette légende, qui

est la

traduction presque textuelle

de la dernière phrase l'Idiot l'air et

:

«

Moyen de

peser

de savoir quand

temps changera.

de

le Fig. 5.

»

Le second de ces croquis

au Codlce Atlantico 2 la légende qui l'accompagne « Pour connaître la qualité et le à peu près la même

se trouve est

i.

2.

;

:

Mario Baratta, Leonardo da Vincied i problcmi délia terra, ïorino, 1903, pp. Léonard de Vinci, Codice Atlantico, fol. 2^9, verso, a.

92-95.


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

2/,0

degré de grossièreté (grossezze) de pleuvra.

l'air,

quand

et savoir

il

»

Léonard a-t-il emprunté l'idée de cet hygromètre à Nicolas de Gués ou à Léon- Baptiste Alberti? On peut se poser cette car Alberti écrit, dans son Architettura

question,

1 :

«

Nous

avons prouvé qu'une éponge devient humide par l'effet de l'humidité de l'air et nous en avons tiré une règle de pesée qui nous permet de déterminer sécheresse des vents et de

Mais

Alberti en

rait les

et

de

l'air. »

question ne nous paraît pas comporter de réponse

la

catégorique, car Léonard lisait

degré de pesanteur

le

même

— nous

le

verrons tout à l'heure

temps que Nicolas de Gués;

enseignements de l'un aux enseignements de

L'invention de l'hygromètre n'est pas d'ailleurs,

marque que la lecture du De dans les notes du Vinci.

bien, la seule ait laissée

statlcis

il

compa-

l'autre.

s'en faut

il

experimentis

Les usages que Nicolas de Gués prétendait faire de la balance

par une exacte connaissance

n'étaient pas toujours justifiés

Mécanique. Voici, par exemple, un fragment de dialogue 3

de

la

l'erreur est flagrante «

L'Orateur.

homme? a

:

Gomment

peut- on connaître la force d'un

»

L'Idiot.

— L'homme

tirera le plateau vide

d'une balance

tu verras quel poids, placé dans l'autre plateau, cet

peut soulever jusqu'à ce que

le fléau soit

soulevé, tu retrancheras le poids de

mesurera

la force

de l'homme.

Léonard a lu ce passage;

l'homme,

le

homme

du poids

poids restant

»

a discerné avec sagacité l'erreur

renfermait; au procédé fautif proposé par Nicolas de

qu'il

Gués, a

il

horizontal;

et

il

De

a cherché à substituer

la

force de Vhomme^.

une méthode correcte

— L'homme qui

tire

:

un poids en

équilibre avec lui ne peut tirer qu'autant qu'il a de poids lui-

même;

i.

2.

3.

et s'il a à

soulever des poids, mais

non pas en pesant

Mario Baratla, Op. cit., p. 9/1. Cusa Idiotœ liber IV De staticis experimentis. Les manuscrits de Léonard de Vinci, ms. A de la Bibliothèque de Cf.

Nicolai de

fol. 3o, verso.

:

l'Institut,


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

de son propre

poids,

il

en

2^1

soulèvera d'autant plus qu'il

moyenne des aulres hommes. La plus grande force que l'homme puisse déployer, à vitesse égale et mouvement égal, est celle qu'il obtiendra en

dépasse davantage

la force

mettant ses pieds sur une des têtes [extrémités du fléau] de la balance, puis appuyant ses épaules contre quelque chose de solide

;

il

soulèvera ainsi à l'autre tête de la balance autant

de poids qu'il pèse lui

même

en plus, autant de poids qu'il

et,

aurait la force d'en porter sur les épaules.

»

Arrivons maintenant à un passage du De

staticls experi-

mentls qui paraît avoir vivement sollicité l'attention de Léonard.

Voici ce passage

«L'Orateur.

ment « «

1 :

— Mais, dis-moi, ne

peut-on connaître égale-

avec laquelle se meut un navire

la vitesse

— Comment cela? L'Orateur. — de laisser tomber un L'Idiot.

»

Il suffît

du haut de

proue du navire

la

poupe;

la

et

de noter, au

fruit

de

Il suffît

moyen de

les

vitesses

du

»

— Assurément on peut se

d'un autre encore.

le

comparaison des poids d'eau écoulés en

navire en ces deux circonstances. L'Idiot.

dans l'eau

moment où

deux circonstances permettra de comparer «

fruit

de noter la quantité d'eau

et

qui s'écoule de la clepsydre jusqu'au arrive à la

? »

tirer

servir de ce procédé et

un

trait

avec une balliste

l'eau de la clepsydre, la vitesse plus

ou moins grande avec laquelle

le

navire s'approche de ce

trait. »

Ce dernier moyen

n'est pas

théoriquement faux. La flèche trouve sur

le

seulement impraticable, tirée

il

est

par un archer qui se

pont du navire garde, au cours de son mouve-

communiquée au moment du départ; cette vitesse se compose à chaque instant avec celle que lui aurait communiquée un archer immobile, en sorte qu'une même flèche, tirée par un même arc, a toujours le même mouvement relatif par rapport au ment,

la vitesse

que

le

mouvement du

navire, quelle que soit la vitesse qui

t.

Nicolai de Gusa Idiotœ liber IV p.

DUHEM.

:

De

staticis

navire lui a

anime

le navire.

expcrimentis. jt)


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VlNCt

242

Ces principes nous sont aujourd'hui familiers; mais leur introduction dans la science est de date récente; soupçonnés,

mais non découverts, par Galilée, aperçus qu'en

1

sur

du navire;

mouvement

le

indépendant de

être

relatif

les anciens, le

mou-

par un archer qui se trouve

la flèche tirée

pont d'un navire devait

le

Pour

6^2, par Gassendi.

vement absolu de

n'ont été clairement

ils

marche

la

de cette flèche par rapport au

navire dépendait donc de la grandeur

de

et

la direction

de

la

vitesse qui animait celui-ci.

La théorie du mouvement

occupé Léonard de Vinci

relatif a

à plusieurs reprises; ainsi, au Codice Trivulzio,

brève remarque

cette

De

qu'a fort bien

1

experimentis

stalicis

immobile

objet

la

chose qui se meut paraît

La chose qui

immobile

Que

le

de Gués,

se

le flotteur

meut

fixe et

cet

la

dialogue

objet

immobile

chose mobile, tandis

immobile.

point

n'est-elle

le

»

navire et l'objet

qu'on a jeté à l'eau?

passage précédent il

le

trouve voisine d'un

se

bien souvent que

fait

semble être animé du mouvement de

que

pu suggérer

:

Le mouvement d'une chose qui

«

nous trouvons

ait été

ou non suggéré par Nicolas

importe peu; nous allons, en

de réflexions, écrites par Léonard,

et

effet, lire

une

suite

l'influence de l'Évêque

de Brixen se marque, indéniable.

Ces réflexions se trouvent au cahier Bibliothèque de

que

le

conserve

la

l'Institut.

Nous avons signalé déjà rées au cahier

G que

G avec

2

la

parenté de certaines notes insé-

d'autres notes inscrites au cahier A, alors

Vinci subissait de la manière la plus nette l'influence de

Ne nous étonnons donc pas de trouver au pages où la pensée de Léonard est visiblement passage du De stalicis experimentis que nous

Nicolas de Cues.

cahier

G

trois

guidée par

avons

le

cité tout à l'heure.

Le moyen par lequel

l'Idiot a

proposé d'évaluer

d'un navire est indiqué dans la réflexion i

.

2.

3. fol.

Léonard de Vinci, Codice Vide suprà

Trivulzio, fol. 38, verso

pp. 225 et 22G. Les manuscrits de Léonard de Vinci, Ms.

">'i,

verso.

la vitesse

suivante

3 ;

celte

(7/1).

:

G de

la

Bibliothèque de

l'Institut,


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

réflexion procède de la

Dynamique erronée dont

l'invention de Nicolas de Gués «

Du

mouvement du

navire contre

le lieu

mobile.

a

si

la flèche

réclame

— La flèche

tirée

de la proue du

meut ne quittera mouvement du navire

vers lequel le navire se

au mouvement de

Mais

se

:

pas l'endroit d'où elle est chassée, est égal

2^3

d'un

si le

ladite flèche. tel

»

navire est tirée vers

d'où

le lieu

navire s'en va avec la susdite vitesse, alors cette flèche se

le

séparera du navire avec deux fois son mouvement.

Les procédés de l'Orateur

et

vitesse avec laquelle se déplace

de Léonard proposés

les

soit

divers

soit

critique de ces procédés suit

a

citer

l'Idiot

pour mesurer

un navire rappellent

la

à l'esprit

systèmes de sulcomètres qui ont été

par Yitruve,

nous venons de

de

»

par Léon-Baptiste Alberti

immédiatement

le

1 .

La

passage que

:

Pour connaître combien

le

navire se meut par heure.

— Nos

anciens ont usé de divers procédés pour voir quel voyage

un navire fait durant chaque heure. Parmi eux, Yitruve en expose un dans son œuvre d'architecture; mais, ainsi que les autres c'est un moyen trompeur. Il consiste en une roue de 2

,

moulin touchée par les

les

ondes marines à ses extrémités

révolutions entières de cette roue,

il

se décrit

;

par

une ligne

droite qui représente la ligne circonférentielle de cette roue

réduite en rectitude. Mais cette invention- là n'a de valeur que

pour

les surfaces

planes et immobiles des lacs;

meut en même temps que cette

roue reste immobile,

ou moins rapide que n'a pas telle

le

un mouvement

avec

un

et si l'eau est

de

le navire,

mouvement du égal à celui

égal

l'eau se

mouvement,

mouvement

plus

navire, la roue encore

du navire, en

invention est de peu de valeur.

si

sorte

qu'une

»

y a un autre procédé qui suppose que l'on fasse une première expérience à l'aide de la distance connue d'une île à « Il

une autre; ce procédé emploie une planche légère, frappée par le vent, qui se fait d'autant plus ou moins oblique que le t. On en trouvera la description, extraite des écrits l'ouvrage cité de M. Mario Baratta, pp. 285-289. 2. Sans doute ceux que Nicolas de Cues a proposés.

mêmes

de ces auteurs, dans


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCt

244

vent qui

la

frappe est plus ou moins rapide; et ceci est dans

Baptiste Alberti.

»

Quant à ce procédé de Baptiste Alberti, qui suppose qu'on fasse une première expérience à l'aide de la distance connue d'une île à une autre, c'est une méthode qui ne réussit qu'avec «

un

vaisseau semblable à celui qui a servi à faire cette expé-

rience; et

il

même

et la

même

grandeur. Tandis que

rames qu'à

au large, haut ou bas, Quel si

est ce

Baratta

,

mon

procédé

sert à tout navire,

ou grand,

voile; qu'il soit Ipetit

il

sert toujours.

procédé que Léonard

grand cas? Au Codice 1

même

charge, et la

position de voile, et que les lames aient

voile,

aussi bien à

même

faut qu'il soit avec la

étroit

»

nomme

sien et dont

il

fait

on peut, avec M. Mario que celle-ci « Pour mesurer

Atlantico,

relever des phrases telles

:

combien de chemin on fait par heure avec le cours d'un cer« Pour connaître les milles de tain vent, » ou bien celle-ci mer. » Mais la première de ces phrases accompagne le croquis :

d'une sorte

d'horloge

solaire,

seconde

la

est jointe à

esquisses de clepsydres à palettes. Auprès d'elles,

on ne

des voit

aucun projet de sulcomètre, comme si le problème se réduisait pour Léonard à une question de chronométrie précise.

On

serait alors

amené

à penser

Léonard pour déterminer

même

auquel

il

que

la vitesse

le

procédé préconisé par

d'un navire est celui-là

a fait allusion avant de critiquer les systèmes

de Vitruve et d'Alberti, celui qui consiste à observer la vitesse relative d'une flèche par rapport

au vaisseau;

le

sulcomètre

revendiqué par Léonard ne différerait pas de celui que Nicolas de Gués a proposé sous

le

nom

de

l'Idiot.

Nous allons être conduits à une autre hypothèse; mètre de Léonard ne serait pas celui de l'Idiot, mais drait du même faux principe.

En

effet,

la

Dynamique erronée qui peut

le il

sulco-

dépen-

seule justifier

l'emploi du sulcomètre proposé par Nicolas de Gués, est aussi celle

dont se réclament

les

considérations que Léonard expose

ensuite.

t.

Mario Baratta, Op.

cit.,

pp.

/17-48.


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

2^5

Ces considérations ont pour objet de déterminer la forme

du

jet d'eau qui s'écoule

par un trou percé dans

le

fond d'un

vase mobile.

Ce problème a préoccupé Léonard à plusieurs reprises; au cahier E, nous lisons la remarque suivante 1

:

Le mouvement circulaire du vase qui, par un trou, verse l'eau, fait dans l'air une vis d'eau. » «

remarque

une réflexion sur Yimpelo qu'un moteur animé d'un mouvement de révolution imprime à un mobile. Il semble donc que Léonard, pour déterminer la trajectoire de chacune des particules liquides, eût l'intention Cette

fait suite à

de considérer l'impulsion initiale que

le

mouvement du

vase

communique. Au cahier G, cet impeto engendré par le mouvement même du vase est entièrement oublié; Léonard

lui

raisonne il

sur

2

le

a raisonné sur

mouvement de chaque goutte d'eau comme lé mouvement de la flèche tirée du pont d'un

navire en marche.

En

outre,

affecte la la

il

ne

tient

aucun compte de

chute de cette goutte

;

l'accélération qui

tout ce qu'il dit suppose que

goutte tombe avec une vitesse constante. «

Du mouvement du

mobile qui, avec continuité, s'écoule sur un

endroit mobile, ou bien qui s'écoule tandis que se verse.

le

vase qui

le

Le mouvement du liquide

qui s'écoule par

mobile

meut

(Jig. 6) se

fond du vase

le

fera par

une ligne

droite située obliquement, obliquité

qui sera d'inclinaison plus ou moins

grande selon que

le

mouvement du

vase qui la produit sera de plus ou

moins grande «

Du mouvement

qui reçoit

la

recevoir sur

i.

vitesse.

»

que fait

Fig. 6.

l'endroit

chose écoulée du vase.

un endroit mobile

la

Il

revient au

même

de

chose qui s'écoule d'un vase

Les manuscrits de Léonard de Vinci, ms.

E de

Bibliothèque de

l'Institut,

de la Bibliothèque de

l'Institut,

la

fol. 29, recto. 2.

Les manuscrits de Léonard de Vinci, ms.

fol. 54,

verso.

G


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

2/j6

immobile ou de mouvoir au-dessus d'un endroit immobile vase qui a

Mais

fait

le

si

écouler la chose.

mouvement du

le

»

moumouve-

vase qui verse est égal au

vement de l'endroit qui reçoit la chose versée, alors le ment de la chose qui descend est rectiligne et oblique, comme on le montre ci-dessus. » Léonard a grand soin de nous avertir qu'il s'agit d'un écoulement continu, tel que l'écoulement de l'eau ou du sable il ne traite pas de la chute d'une masse isolée; nous devons ;

donc entendre, malgré l'ambiguïté de certaines expressions, que la ligne oblique dessinée en la figure 5 représente non pas

d'une particule isolée, mais

la trajectoire

Dès

lors,

il

permis de penser que

est

chose versée;

le

»

le

«

d'eau, dont le fond

mouvement du

mouvement de

au

égal

verse est

le

jet.

percé d'un trou, laisse écouler l'eau qu'il renferme sur

pont d'un navire en marche;

la

forme du

cette figure est celle

du sulcomètre de Léonard; un vase plein est

la

l'endroit

le

vase qui

qui reçoit la

d'après ce qui vient d'être dit, le jet liquide a

forme d'une ligne oblique qui

dans leur mouvement

suit

vase et le navire, et cette ligne est d'autant plus oblique que

navire marche plus vite; en mesurant, sur

stance entre le point qui reçoit l'eau et à l'aplomb vitesse

du trou percé dans

vaisseau qui

grand

si

deux problèmes ont

n'est pas étonnant

en une

été

même

afin

vitesse

du

la vitesse

les

l'autre;

rapproche

il

et les

page. d'ailleurs,

force particulière par les auteurs

principe

comparés l'un à

que Léonard de Vinci

Ce rapprochement, lière; le

la

l'homme désire depuis de longs siècles mouvement de la Terre qu'il habite; de tout

temps,

les

la

le porte,

le

miner

on pourra apprécier

cas.

connaître

traite

point qui se trouve

navigateur a grand intérêt à connaître

Si le

pont, la di-

Telle est, croyons-nous, l'invention dont le

du navire.

Vinci paraît faire

le vase,

le

le

même

lui

dont

imposé avec une

la lecture lui était

fami-

dont Nicolas de Gués usait pour déter-

d'un navire, tous

de démontrer que

était

la

les

physiciens l'invoquaient

Terre ne tourne pas sur elle-même

en vingt -quatre heures selon l'hypothèse des Pythagoriciens.


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

Aristote mentionnait déjà

l

de l'immobilité du globe terrestre lement, retombe au lieu d'où fois

suivant

le fait

il

:

Un

2^7

comme une preuve

projectile, jeté vertica-

a été lancé, et cela plusieurs

de suite.

« Il

y

a, » disait

Ptolémée

2 ,

des gens qui... prétendent que

«

n'empêche de supposer, par exemple, que le Ciel étant immobile, la Terre tourne autour de son axe, d'occident en rien

orient, en faisant cette révolution

peu

près...

Il

par jour à

fois

quant aux astres eux-mêmes,

est vrai que,

ne considérant que

une

très et

en

phénomènes, rien n'empêche peut-être que, pour plus de simplicité, cela ne soit ainsi; mais ces gens-là ne sentent pas combien, sous le rapport de ce qui se passe autour de nous et dans l'air, leur opinion est ridicule... les

Les corps qui ne seraient pas appuyés sur toujours avoir

un mouvement

la

Terre paraîtraient

contraire au

sien;

et

ni les

nuées ni aucun des corps lancés, ou des animaux qui volent

ne paraîtraient

aller vers l'orient, car la Terre les précéderait

toujours dans cette direction et anticiperait sur eux par son

mouvement

vers

en sorte qu'ils paraîtraient tous,

l'orient,

elle seule exceptée, reculer

commentant

Averroès, ces termes Si

a

signifie

il

De Cœlo

d'Aristote, s'exprime

lieu élevé, à plusieurs reprises,

tombera sur

que

le

»

en

:

même

d'un

corps,

il

3

en arrière vers l'occident.

la

le

sol

toujours au

Terre ne se meut point, car

même si elle

on lance un point; cela se

mouvait,

arriverait ce qui arrive à celui qui lance des pierres à parlir

du

même

lieu d'un navire

en mouvement; ces pierres tombent

à l'eau en des endroits différents, en sorte qu'il arrive souvent,

lorsque

le

navire se meut rapidement, que la pierre vient

retomber sur celui qui

l'a

lancée ou auprès de

lui. »

Ces propos d'Averroès sont reproduits presque textuellement par Albert 1.

le

Grande

Aristote, llep\ OùpocvoO to B, 18;

De Cœlo

et

Mundo

lib. II, cap.

XIV.

Composition mathématique de Claude Ptolémée, traduite pour la première fois de grec en français par M. Halma; Paris, i8i3. Livre I, chap. IV, t. I, pp. 19-21. 3. Aristotelis De Cœlo libri IV cum Averrois Cordubensis variis in eosdem commen2.

summa IV, cap. VI, comm. 101. Beati Alberti Magni Ratisponensis Episcopi De Cœlo tract. IV, cap. VIII.

tariis; lib. II, k.

et

Mundo

liber secundus;


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

2^8

Saint

Thomas d'Aquin,

commentant

à son tour,

le

passage

nous faisions allusion naguère, écrit ceci Supposons qu'une pierre se trouve sur une table plane

d'Aristote auquel «

»

redescend suivant

qu'on

la jette

en

même

qu'elle a

parcouru en montant;

demeure immobile, si,

au contraire,

autre lieu;

retombe au

elle

meut,

la table se

ce

et

elle

l'air;

la verticale

la table

horizontale

retombera en un

la pierre

plus distant du point

de départ que la pierre aura été jetée plus haut; en

un plus long temps

sera écoulé

a été jetée et celui

Le Traité de

la

sphère de

entre

le

effet, il se

moment où

revenue frapper

elle est

et

lieu d'où elle est partie;

sera d'autant

lieu

si

:

la table. »

Campanus de Novare

l'œuvre astronomique la plus importante qui

la pierre

est peut-être

ait été

composée

du xiu siècle; l'auteur marque nettement 2 l'analogie entre le problème du mouvement de la Terre et les questions relatives au mouA^ement d'un navire « Il est des gens, » dit Campanus, « qui ont une fâcheuse e

à la fin

:

disposition d'esprit;

ils

comprendre

sible qu'à

sont plus aptes à imaginer l'impos-

le nécessaire.

Ils

disent donc que les

sphères célestes ne se meuvent pas; que la Terre, au contraire,

avec tout ce qu'elle renferme se meut et décrit chaque jour

une révolution

entière;

en nous-mêmes ni en

nons

qu'il se

la

nous ne percevons ce mouvement ni Terre qui se meut, mais nous imagi-

produit dans

le

Ciel;

il

nous semble que

les

du Ciel se meuvent vers l'occident, alors que c'est nous qui nous mouvons vers l'orient. De même, si un navire quitte parties

un port qui

se trouve à l'occident

semble aux navigateurs que

que

pour cingler vers

du mouvement d'une chose que par rapport prise

comme

terme

fixe.

il

navire demeure immobile et

le

port fuit vers l'occident; les sens, en

le

l'orient,

à

effet,

ne jugent

une autre chose

Aussi, lorsque des navigateurs se

trouvent au large, loin de tout repère immobile, lorsqu'ils ne voient rien que la mer,

meut. i.

leur semble que c'est l'eau qui se

)>

Libri de

lib. II, lectio 2.

il

Cœlo

et

Mundo

Aristotelis

cum

expoèitione Sancti

Thomao de Aquino;

XXVI.

Traclatus de sphxra editus a Magistro

Quod Terra non movclur.

Campano

Euclidis interprète; cap. XVII

:


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI «... L'erreur

l'observation

ceux qui

de

du mouvement

mouvement de corps qui se meut

pensent ainsi est réfutée par des corps terrestres

local

tel

;

de l'oiseau ou de n'importe quel

la flèche,

le

2^9

à travers l'air;

si la

Terre se mouvait, nous

verrions ce corps se mouvoir plus rapidement vers l'occident

que vers

en rapportant son mouvement à un point

l'orient,

de repère fixé au sol; cela n'est pas; à partir d'un terme fixé

au

sol,

nous voyons

même

avec une

l'air

corps dont

les

vitesse,

il

qu'ils

soit

mouvoir dans

s'agit se

se

l'orient, soient qu'ils se dirigent vers l'occident.

Albert de Saxe, dont les Questions sur

profondément l'encontre

niques d'Aristote

a

Un effet,

et

la

il

formule, entre autres,

:

corps projeté verticalement vers

même

d'où son

le

haut ne retom-

mouvement

a pris naissance;

tandis que ce grave s'élèverait, la Terre poursuivrait le

tomberait pas sur

la partie

ment au-dessous de d'écrits

grave donc, retombant verticalement, ne

lui

de

Terre qui se trouvait directe-

la

moment

au

astronomiques ont

Moyen -Age que

les

de son départ.

ouvrage s'inspire constamment,

et

de très près, des Questions d'Albert de Saxe sur

;

cet

les objections

mouvement diurne de objections

un

le

elles

se

résument 2 simplement terminent ainsi:

du mouvement de

arrière; cela se voit en

navire.

i.

les

«Si

la

projectile lancé verticalement vers le

haut ne pourrait revenir à son point de départ; en

un

De Cœlo;

de Pierre d'Ailly à l'encontre du

Terre

la

d'Albertutius;

Terre se mouvait,

du

Quatorze questions de Pierre d'Ailly sur

Sphère de Sacro Bosco

en particulier,

»

été plus étudiés à la fin

la

suite

si

du Vinci, reproduit, à Terre, les objections méca-

de Ptolémée;

son mouvement;

Peu

De Cœlo ont

le

l

berait pas au lieu

en

»

influé sur la science

du mouvement de

cette difficulté

dirigent vers

la Terre, le projectile

effet,

par

demeurerait en

une flèche mise en mouvement sur

»

Alberti do Saxonia

Quxstiones

in

Ubros De Cœlo

el

Mando ;

libri

II

quaes-

tio XIII. 2.

Pétri de Aliaco, Cardinalis et Episcopi Cameracensis

Joannis de Sacro Bosco; quaestio

III.

XIV

Quœstioncs in

Sphœram


2

ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

50

L'analogie entre le problème du

mouvement de

problème du mouvement du navire Nicolas de Gués « Il est

est

Terre

la

et le

également signalée par

1 :

certain,

pour nous, que

la

Terre se meut, bien que

mouvement ne nous soit pas sensible; en effet, nous ne percevons le mouvement que par comparaison avec un terme fixe. Imaginons qu'un homme se trouve sur un navire au ce

milieu de l'eau, et qu'il n'aperçoive pas

que

reconnaître que cette eau se meut?

de

la

jetées

pourrait- il

»

où Léonard méditait

en son commentaire à

problèmes

les

la

écri-

Sphère de Jean de Sacro

:

Si la Terre

«

ignore

s'il

Mécanique, Jean-Baptiste Gapuano de Manfredonia

vait 2 ,

Bosco

même

rivage;

un courant, comment

l'eau est entraînée par

Enfin, à l'époque

le

éprouvait une révolution diurne,

en haut ne retomberaient pas au lieu

pierres

les

même

d'où elles

ont été jetées, ce qui est faux, contraire au témoignage des sens et à l'expérience. Gela est évident;

si

un homme,

se

trouvant dans un navire, jetait une pierre en haut alors que

meut rapidement, cette pierre tomberait souvent hors du navire, en un lieu très éloigné de son point de départ;

le

navire se

or la Terre se mouvrait beaucoup plus vite que

navire

le

plus rapide; à plus forte raison, donc, on devrait, sur faire la

même

observation.

le jet

liquide qu'un vase

pont d'un navire en marche;

forme de

la

ce jet lui a permis, croit-il, de résoudre cette question est la vitesse

Par tous le

presse

Terre,

»

Léonard de Yinci vient d'étudier laisse écouler sur le

la

le

:

Quelle

d'un navire qui se trouve au large de tout repère?

les écrits qu'il a lus

d'aborder

ou

maintenant

Terre est- elle immobile, ou

qu'il a

cet

pu

autre

lire,

la tradition

problème

bien, au contraire,

:

La

décrit- elle

De docta ignorantia liber secundus, cap. XII. Spherae Tractatus Joannis de Sacro Busto Anglici viri clarissimi... Joannis Baptiste Gapuani Sipontini Expositio in Sphœra et Theoricis... Colophon Impressum fuit volumen istud in urbe Vencta... et calcographica Luce Antonii Iuntne Florentini... Anno Virginei partus MDXXXI. Labentc merise Martio. fol. 79, verso. Cet écrit a été remanié au plus tôt en i5o5, car l'auteur y cite (fol. 73, verso) l'éclipsé de lune du i5 août iao5. Les éditions plus anciennes du même ouvrage, dont la première fut imprimée en 1^99, ne contiennent pas le texte que nous citons. i.

Nicolai de Gusa

2.

:


NICOLAS DE GUES ET LÉONARD DE VINCI

chaque jour, de l'occident vers elle

25 1

une révolution sur

l'orient,

même?

En

effet,

va aborder ce problème; pour

il

le

résoudre,

mouvement relatif que prendrait, par rapport animée du mouvement diurne, une flèche lancée

il

va

une

étudier le

à

Terre

verti-

calement vers

le

haut;

et ce

mouvement,

il

va naturellement

déduire des principes erronés qui l'ont conduit à imaginer

le

son sulcomètre, de

Dynamique admise par

la

toute la tradition,

par Aristote, par Ptolémée, par Averroès, par Albert

par

Thomas d'Aquin, par Campanus, par

le

Grand,

Albert de Saxe, par

Pierre d'Ailly, par Nicolas de Gués.

Aussitôt

nous avons «

après

phrases relatives au

les

citées,

Du mouvement

nous lisons de

la

s'élèvera et descendra par

que

:

flèche expulsée de Varc.

du centre du Monde

tirée

celles-ci

sulcomètre,

1

— La flèche

à la plus haute partie des éléments

une

même

ligne droite, encore que

éléments soient en mouvement de circonvolution autour

les

du centre des éléments. «

»

La gravité qui descend au travers des éléments en circon-

volution a toujours son ligne qui se dirige dès le

centre du Monde.

le

mouvement selon la rectitude de la commencement du mouvement vers

»

Le second de ces énoncés exprime une vérité est

abandonnée sans

vitesse initiale;

il

si la

en est de

gravité

même du

du centre de la Terre, car, dans ce cas, sa vitesse initiale est purement verticale; il devient faux, au contraire, si on l'applique, comme Léonard le fera tout à l'heure, à une flèche tirée de la surface du sol

premier

si

la flèche est

vraiment

et

dont

il

demeurerait vrai selon

du mouvement de la Terre Dynamique erronée qui inspire

la vitesse initiale participe

Léonard en

Une

tirée

la

;

cet endroit.

autre erreur

mécanique

est

sous- entendue dans les

considérations que Léonard va développer,

comme

sous entendue dans ce qu'il a dit du sulcomètre;

grave y est traitée i.

Les manuscrits de

fol. 5 k,

verso.

comme un mouvement

Léonard de Vinci, ms. G de

la

la

elle

est

chute d'un

uniforme, alors

Bibliothèque de l'Institut,


ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

252

qu'en d'autres passages, Léonard de Vinci définit

ment

la loi

exacte-

si

selon laquelle la vitesse de cette chute s'accélère.

Ces préliminaires posés, cette figure (fig. 7) et la

il

devient possible de comprendre

phrase qui l'accompagne a

1 :

Les huit lignes, avec

en lesquelles

divisions

ont

partagées,

les

huit

elles

sont

démontrer une

à

seule ligne, et celle-ci est droite,

car en chacune des huit divisions

de cette ligne passent

descendent vers

centre des élé-

le

ments en circonvolution; revient à la fin à la Fig.

d'où

cette ligne

même

position

séparée; et le

elle s'était

mou-

7.

vement dénomination,

Au

poids qui

les

c'est-à-dire

grave a une double

du

courbure hélice rectiligne.

»

travers d'un langage embarrassé, la pensée de

se laisse, semble-t-il, deviner; la

courbe tracée

Léonard

est la trajectoire

un observateur qui tourne avec les éléments, d'un grave qui tombe en ligne droite vers le centre du Monde apparente, pour

et

dont

la

chute dure vingt-quatre heures.

Auprès de autre figure

du

issues

que nous avons reproduite

la figure

où sont dessinées deux

même

une

se trouve

spirales de sens contraire,

centre et aboutissant au

même

point de la

circonférence. Cette figure se trouve à la suite de la phrase où

Léonard affirme que

«

la flèche tirée

du centre du Monde

à la

plus haute partie des éléments s'élèvera et descendra par une

même

ligne droite.

»

La double

apparente de cette flèche

si

spirale représente la trajectoire

l'on suppose

que l'ascension

et la

descente du projectile ont une égale durée de vingt- quatre heures.

Léonard reprend à de l'occuper; «

1.

Du

il

la

page suivante 2

en expose

la solution

grave descendant dans

l'air, les

Les manuscrits de Léonard de Vinci, ms.

le

problème qui vient

avec plus de détails

:

éléments étant animés d'un

G de

la

Bibliothèque de L'Institut,

G de

la

Bibliothèque de

fol. 5/i, verso. 2.

Les manuscrits de Léonard de Vinci,

fol. 55, recto.

ms.

L'Institut,


Nicolas de cuès Et Léonard de vrNcl

mouvement de circonvolution dont vingt-quatre heures.

— Le

l'entière révolution

mobile descendant de

plus élevée de la sphère du feu fera

jusqu'à la Terre, encore que

les

a53

la

a

lieu

en

partie

la

un mouvement

droit

éléments soient en continuel

mouvement de circonvolution autour du centre du Monde. On le prouve soit B (fig. 8) le grave qui descend, à partir de A, :

Fig. 8.

pour descendre au centre du Monde M;

je dis

qu'un

tel

grave,

encore qu'il fasse une descente courbe en manière de ligne

ne déviera jamais de sa descente rectiligne qui avance continuellement entre le lieu d'où elle s'est séparée et le centre hélice,

du Monde; parce que,

si

descendu au point B, dans elle a été

ce grave est parti le

le

mobile

et est

temps où

elle est

descendue en B,

A

s'élant

changée en

portée en D, la position de

de G; ainsi

du point A

se trouve

dans

la rectitude

celle

qui s'étend

du Monde M. Si le mobile descend de D a F, C, principe du mouvement, se meut dans le même temps de G à E, et si F descend en H, ce principe du mouvement se entre

G

et le centre

tourne en G. Ainsi, en vingt quatre heures,

le

mobile descend


2

ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

54

à terre dans le lieu d'où

vement

Si le

«

composé.

est

il

s'est

un

et

la partie la

plus élevée des éléments

en vingt-quatre heures, son mouvement

est

droit et de courbe. Je dis droit, parce qu'il

ne

à la plus basse

déviera jamais de la ligne la plus courte qui s'étend

d'où

il

s'est

mou-

tel

»

mobile descend de

composé de

d'abord séparé,

séparé jusqu'au centre des éléments, et

il

du

lieu

s'arrêtera

à l'extrémité la plus basse d'une telle rectitude, qui se trouve

toujours selon le zénith sous

Et ce

mouvement

la ligne,

De

est

d'où ce mobile

le lieu

courbe en soi avec toutes

par conséquent est courbe à

que

là naît

la pierre jetée

de

la

côté de la tour plutôt que par terre.

la fin

s'est séparé.

les parties

avec toute

de

la ligne.

tour ne frappe pas sur

le

»

Quelle conclusion Léonard pensait -il donner à ce curieux

problème? Youlait-il prouver que

le

mouvement diurne

est

une rotation de la Terre sur elle-même? Certains auteurs l'ont cru, mais nous ne saurions partager leur opinion. Ce problème a été posé à Léonard par les écrits de ses prédéces1

à

seurs

tout particulièrement, par une objection qu'Albert

et,

de Saxe formule contre l'hypothèse de la rotation terrestre; pour le résoudre, Léonard se sert de la même Dynamique erronée

qu'Albertutius

ne

fait

la

solution

qu'il

obtient

s'accorde

du maître de l'Université de guère que donner à ces dires, dans un cas les dires

exactement avec elle

;

Paris; parti-

une forme précise; comment Léonard aurait -il pu prendre pour arguments en faveur de la révolution terrestre culier,

conclusions

des

qu'Àristote,

qu'Albert

le

Grand,

qu'Albert

de

Saxe,

regardées

comme

que que

que

des preuves certaines

meut point? Nous croyons, au ciple

soumis de

d'Ailly

la tradition

dont

contraire, il

qu'Averroès,

Campanus, ont unanimement que la Terre ne se

Thomas,

saint

Pierre

Ptolémée,

que

que Léonard,

s'inspire, s'est servi,

dis-

pour

démontrer l'immobilité de la Terre, des principes au moyen desquels il pensait déterminer la vitesse d'un navire en marche. Cette interprétation explique seule tous i.

Voir

notamment: tomo IV,

Kircnze, i8q5;

Ilaïïacllo Gaverai, p. 78.

les

termes de

Storia del Melodo sperimcntalc

in

Italia.


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

255

ses notes manuscrites; les passages impossibles à

comprendre

y abonderaient si l'on abandonnait cette explication en faveur de l'interprétation contraire.

XIV La nature des astres selon Nicolas de Gués et Léonard de Vinci. Selon

la

Physique péripatéticienne,

formé de quatre éléments

:

le

monde

sublunaire est

le feu, l'air, l'eau et la terre.

de ces éléments sont graves, c'est-à-dire que leur

un mouvement en

naturel est

ligne droite vers

Trois

mouvement le

du

centre

Monde; un seul, le feu, est léger; son mouvement naturel est un mouvement rectiligne qui l'éloigné du centre du Monde. Ces quatre éléments sont susceptibles de génération

et

de

corruption; une certaine quantité d'un élément peut se cor-

rompre,

c'est-à-dire

détruire,

se

tandis que s'engendre

une

quantité égale de l'un des éléments immédiatement contigus

au premier. Les corps célestes sont formés d'une cinquième essence qui n'a rien de

commun

avec les quatre éléments sublunaires.

Cette cinquième essence n'est ni grave ni légère; elle n'a

pour

mouvement naturel ni un mouvement rectiligne centripète, ni un mouvement rectiligne centrifuge, mais bien un mouvement circulaire uniforme autour du centre du Monde. En outre, l'essence dont sont formés les corps célestes n'est passible ni de génération ni de corruption.

De

quelle

substance du

nature Ciel?

cette

est-elle,

cinquième essence,

cette

Ce problème soulève, au Moyen-Age,

d'ardents débats entre les doctes.

A

la solution

spécial

il

de cette question, Averroès consacre un écrit

enseigne

matière et de forme,

i.

1

que

« le

comme

le

Ciel n'est

pas composé de

sont les corps passibles de

Averrois Cordubensis Sermo de substantiel orbis.


Î2

ÉTUDES SUR LÉONARD DE VlNCi

06

génération

de corruption

et

»

;

est

il

forme pure

;

«

sa nature

du même genre que la nature de l'âme » il n'y a en elle aucun mélange d'acte et de puissance ou, du moins, la seule puissance qui soit en lui, c'est la puissance d'être en un lieu; c'est grâce à cette puissance qu'il se meut de mouvement est

;

;

son mouvement, d'ailleurs,

local; laire,

mouvement

circu-

qui est parfait.

Thomas d'Àquin

Saint

admet, en aussi

est le

la

sépare d'Àverroès en

se

ce

qu'il

substance céleste, non seulement une forme, mais

une matière

Une

1 .

principe posé, cependant,

fois ce

développe au sujet de cette matière

et

il

de cette forme des

considérations qui ont une grande affinité avec la pensée d'Averroès.

La forme du potentiel en la

comble, tout ce qu'il y a de matière céleste; il ne subsiste donc plus en cette Ciel satisfait,

matière aucune capacité à recevoir une forme nouvelle et

diffé-

rente de celle qu'elle possède, en sorte qu'il ne saurait s'y

produire aucune génération, aucune corruption.

Une

seule

puissance subsiste en cette matière; c'est la possibilité de se trouver logée, d'être en certain lieu, qui la rend apte au

mou-

vement local. La matière du corps céleste n'a donc aucunement la même nature que la matière des éléments susceptibles de génération et

de corruption;

donne

le

c'est

seulement par analogie qu'on leur

même nom.

Saint Bonaventure diminue 2 quelque peu la profondeur de

l'abîme creusé par saint et la

une

Thomas

entre la matière des éléments

matière de la cinquième essence; dans ce but, distinction.

Pendant

la

il

établit

période chaotique, avant que

le

Ciel ait été créé, la matière qui devait être la matière céleste était la

même

i.

Libri de

la

matière des éléments

forme imparfaite. Mais une

alors d'une

Cœlo

lib. I, lect. VI.

que

et

;

elle était

revêtue

fois le Ciel produit, la

Mundo Aristotelis cum expositionc Sancti Thomœ de Aquino; Thomre Aquinatis Summa Iheologica; pars I, qinest. LXVI,

— Sancti

art. a. !.

libriun

Cclcbralissimi Patris

S entent iarum

terrestrium una

sit

Domini Bonavcnturœ, Doctoris Seraphici, In sccundum dist. XII, pars 11, quœst. I: Utrum cœlcstium et

disputata;

maleria

quantum ad

esse.


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

matière dont

il

2^^

est constitué s'est trouvée revêtue

d'une forme

incorruptible, tandis que la matière des éléments recevait

forme susceptible de disparaître pour

une remplacée par une

être

autre forme.

Rome

Gilles de

soutient

1

l'identité essentielle

céleste et de la matière élémentaire

;

de la matière

mais, en dépit de cette

identité, la substance céleste

demeure incorruptible il n'existe pas, en effet, de forme contraire à la forme dont la matière céleste est revêtue, et la substance du Ciel est exempte de ;

toute privation.

L'opposition entre la matière céleste et la matière des quatre

éléments est encore moins accentuée selon

Duns Scot 3

A

la

doctrine de Jean

.

parler simplement, le corps céleste est corruptible;

forme qui revêt

matière dont

la

il

est constitué

pas, en cette matière, toute puissance à

contraire

;

mais bien que

forme contraire à celle-ci

pour

cette

;

ne supprime

une forme nouvelle

et

matière soit en puissance d'une

celle qu'elle possède, elle

revêtir celle là

la

ne quitte jamais

pour que cela pût

se faire,

il

faudrait qu'un agent revêtu de cette forme contraire fût plus

puissant que le Ciel, qu'il pût imposer sa propre forme à la

matière

en

céleste

imprimée; or un être

corrompu;

il

dépouillant

la

tel

de celle qui s'y trouve

agent n'existe pas;

ne peut

être transformé,

le

Ciel ne peut

donc

par exemple, en

feu,

en eau ou en quelque élément; mais, plus puissant que éléments,

il

peut, peut-être, les vaincre et les corrompre;

les il

peut, peut-être, imposer au feu sa propre forme et le changer

en substance

céleste.

Les indications de Duns Scot sont développées et précisées

par Guillaume d'Ockam 3 Selon Ockam,

les

.

corps célestes et les corps inférieurs sont

formés d'une matière qui a absolument

même

nature dans

les

Jïgidii Romani Heremitœ Quœstio de materia Cœli (Cette question est impriGaietani Expositio in libro de Cœlo et Mundo; à la fin de l'ouvrage suivant Venetiis, per haeredes Octaviani Scoti et Bonctum Locatellum, i5o2). i.

mée

2.

rum; 3.

libri

:

Johannis Duns Scoti, Doctoris Subtilis, Quœstiones in quatuor libros SententiaXIV, quaest. I Utrum corpus cœleste sit essentia simplex. Magistri Guilhelmi de Ockam Super quatuor libros Sententiarum annotationes ; secundi quœstio XXII.

lib. II, dist.

p.

duhem.

:

17


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

258

uns

et

ajoute

dans

les autres.

démontrer

la

peut démontrer cette proposition,

mais on ne saurait davantage

inceptor,

Venerabills

le

On ne

proposition contraire; d'ailleurs, tout ce qu'on

peut expliquer en admettant que est essentiellement distincte

de

matière des éléments sub-

la

peut aussi s'expliquer en admettant que ces deux

lunaires

matières sont de

même

ment invoqué par pas mettre

nature

;

chef de l'École terminaliste, on ne doit

le

la pluralité là

elle

ne s'impose point

sine necessitate) ;

seconde opinion à

la

Toutefois,

une différence

La matière

on doit donc préférer

la

subsiste, touchant leur aptitude à être

corps célestes et

les

comme

céleste, tout

naire, est en puissance de recevoir elle est

(pluralitas

première.

corrompus ou engendrés, entre inférieurs.

constam-

or, selon le principe

nunquam ponenda

dont

matière des corps célestes

la

la

corps

les

matière sublu-

une forme autre que

actuellement revêtue

;

tout

comme

la

celle

matière

sublunaire, elle désire cette nouvelle forme; on peut donc dire

que ces deux matières sont également susceptibles

d'alté-

ration, de génération et de corruption. Seulement, tandis qu'il existe des agents naturels capables d'opérer

un changement

de forme en la matière des éléments sublunaires, des corps célestes ne

saurait être

d'aucune substance créée;

A

Dieu.

l'égard de tous les

la

matière

transformée par l'action

y faudrait l'action directe de agents naturels actuellement exisil

tants, la matière céleste est incorruptible.

L'opinion d'Ockam ne semble pas avoir recueilli d'adhérents

parmi

les

maîtres de la Scolastique.

Les Averroïstes, bien entendu, tenaient pour

la distinction

absolue entre la nature des éléments sublunaires et la nature

de

la

cinquième essence, distinction qu'Aristote avait posée

qu'Averroès avait accentuée dans son discours De

et

substantiel

orbis.

Contemporain de Guillaume d'Ockam, Jean de Jandun déclare que « le Ciel n'est formé ni de la même matière que 1

corps inférieurs, ni d'une matière de

les

i.

Joannis de Janduno Quœstioncs

quaestt. XII, XIII et

XIV.

in libros Aristotelis

même

de Ccelo

espèce, ni

etMundo;

in libruni

I


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

même

d'une matière de

matière de l'un et

la

même De

genre

la

;

il

2^g

y a seulement analogie entre

matière des autres». C'est la doctrine

de Saint Thomas d'Aquin. Dans ses Questions sur

Jandun allait plus loin il admetl'opinion du Commentateur et niait

substantia orbis, Jean de

tait

dans son intégrité

1

que

;

composé de matière

le Ciel fût

et

de forme.

Ockam

Les Terminalistes de l'École de Paris, qui saluaient

du

de Vénérable

titre

le

initiateur,

n'admettaient pas plus que les

Averroïstes l'identité de la matière céleste et de la matière

sublunaire; Albert de Saxe s'exprime

dans

mêmes

les

le

,

à ce sujet, à peu près

termes que Jean de Jandun

nom

:

Le Ciel n'est

une substance de forme convient mieux que celui de

pas composé de matière

simple auquel

2

de forme;

et

c'est

matière.

Le Péripatétisme médiéval donc, d'un accord presque unanime, pose une distinction essentielle entre et les

quatre éléments sublunaires

;

la

substance céleste

l'originalité

de

la

doctrine

de Nicolas de Cues touchant la nature des astres s'affirme

un

alors avec

éclat particulier; cette doctrine,

la distinction entre la

en

effet, efface

substance des corps célestes et la sub-

stance des corps inférieurs, et cela bien plus complètement

que ne

Pour

le faisaient les

lui

propositions de Guillaume d'Ockam.

trouver des précurseurs, à cette doctrine,

remonter bien en

arrière, jusqu'au

il

faut

temps où l'École ne subis-

pas encore l'emprise de la Physique péripatéticienne.

sait

Alors, en

effet,

les

docteurs enseignaient volontiers que les

corps célestes étaient formés d'une substance que l'on pouvait

beaucoup souscrivaient au sentiment exprimé par Saint Augustin et pensaient que les astres également rencontrer

ici-bas

;

étaient de nature ignée.

Saint Anselme, par exemple, insiste sur cette proposition 3

Le

soleil, les étoiles, la

:

plupart des planètes sont des globes

i. Joannis de Janduno Expositio super Ubro de substantia orbis cum quœstionibus ejusdem; quaestio I An cœlum componatur ex materia et forma. 2. Alberti de Saxonia Quœstiones in libros de Cœlo et Mundo; libri I quaestt. I :

et II. 3. Opuscula Beati Anselmi, archiepiscopi Cantuariensis, ordinis Sancti Benedicti. Liber de imagine Mundi; lib. I, capp. XXIV et XXV.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

260

de feu;

lune est aussi

la

un globe de nature

ignée, mais

mélangé d'eau; quant au firmament, auquel sont attachées les étoiles fixes, c'est une voûte formée d'eau congelée, devenue solide

comme du

Aux

cristal.

Lombard rappelle l'avis qui imaginent un ciel aqueux ou qui

Livres des Sentences, Pierre

des anciens auteurs

I

veulent que les corps supérieurs soient de nature ignée.

aux maîtres de l'ancienne Scolastique,

C'est

Anselme, bien plutôt qu'aux docteurs de

tels

que saint

la Scolastique péri-

patéticienne qu'il faudrait rattacher Nicolas de Gués.

Résumons brièvement pas de

n'existe

Allemand

qui

surface

Monde

termine

actuellement

y aurait encore un absurde. Le Monde n'est donc pas infini, mais

Monde est

car,

2

;

non plus

a dit de

des corps célestes.

la constitution Il

ce que le Cardinal

hors du

fini,

car

il

il

lieu, ce il

le

qui

n'est pas

n'existe point de bornes actuelles qui

l'enferment.

Puisque aucune surface ne

le limite,

il

ne saurait avoir de

centre.

Dès

lors, la

centre du

Terre ni aucun astre ne peut se trouver au

Monde.

n'a de centre; tous les astres, en

de

la figure

aucun corps céleste ont une figure voisine

D'ailleurs, ni la Terre ni

sphérique

;

effet,

mais aucun d'eux

n'est

une sphère

Monde concret, le maximum de rotondité ne saurait être atteint, non plus qu'aucun maximum absolu; il ne saurait exister un corps tellement sphérique qu'on n'en pût concevoir un autre qui le serait plus exactement, et ainsi

parfaite, car,

de suite à

dans

le

l'infini.

De même que

la

Terre ne peut être au centre du Monde,

centre qui n'existe pas, de

contenu en une sphère

mer

cette

Monde, en «

effet,

la

céleste,

Pétri i

le

Monde ne la

Lombardi Episcopi

2.

Nicolai de

Nicolai de

dixième;

le

n'admet aucune limite concrète. se

comporte donc

comme

Parisiensis Sententiarum libri IV; lib.

et 2.

3.

saurait être

qu'on veuille d'ailleurs nom-

huitième, la neuvième ou

La machine du Monde 3

i.

artt.

sphère

même

Casa De docla ignorantia liber secundus, cap. XI. Cusa De docta ignorantia liber secundus, cap. XII.

II,

si

elle

dist.

XI V,


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

26 1

avait son centre partout et sa circonférence nulle part, car

Dieu

est à la fois

son centre

circonférence.

et sa

»

Ni la Terre ni aucun corps céleste ne peut être absolument

immobile 1,

dans l'Univers contracté,

car,

mouvement ne

de

le

minimum

absolu

saurait être réalisé.

Tous ces corps donc

se

meuvent,

les

uns plus,

les autres

moins.

meut d'orient en occident; Vénus se meut de même, mais son mouvement est moindre; suivant la même progression descendante, nous voyons Mercure se mouvoir moins que Vénus, la Lune moins que Mercure, et la Terre encore moins que la Lune La Terre 3 a donc une figure voisine de la sphère, mais elle elle se meut suivant une n'est pas exactement sphérique trajectoire qui est à peu près circulaire, mais qui n'est pas un Le Soleil

se

2

.

;

cercle parfait, car le cercle parfait ne saurait se rencontrer

dans

le

Monde

La Terre que

créé.

n'est point essentiellement différente

le Soleil. S'il

était

sorte de terre centrale,

d'un air plus pur que ficielle

ces quatre

;

comme

les

tel

donné de pénétrer à l'intérieur de que nous voyons, nous y trouverions une

nous

cette clarté solaire

d'un astre

entourée d'une nuée aqueuse, puis

le nôtre, enfin

couches

d'une zone ignée super-

successives

se

comporteraient

quatre éléments terrestres.

De même,

si

un homme

feu, la Terre lui apparaîtrait

se trouvait

hors de la région du

semblable à une étoile lumineuse

ou à un soleil splendide. La Lune est constituée comme la Terre et comme le Soleil; elle aussi a une lumière propre; mais cette lumière, nous ne

pouvons pas la voir comme nous voyons la lumière du Soleil, parce que la Terre ne se trouve pas en dehors de la zone ignée de la Lune; elle se trouve plus près du centre de cet astre, dans une région comparable à notre région aqueuse. Nicolai de Gusa De docta ignorantia liber secundus, cap. XI. Nous résumons ici ce que Nicolas de Cues enseigne, touchant les mouvements des corps célestes, dans son écrit De docta ignorantia. Il a émis des opinions toutes différentes dans une note manuscrite qui a été découverte par Clemens et publiée par lui en 1847. Comme cette note n'a pu être connue de Léonard de Vinci, nous n'en 1.

2.

parlerons pas 3.

ici.

Nicolai de

Cusa De docta ignorantia liber secundus, cap. XII.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

262

La Terre

est

donc une noble

étoile, et les étoiles

ont une

constitution élémentaire semblable à celle de la Terre.

comme

à penser d'ailleurs que,

la Terre,

chaque

Il

est

astre a ses

habitants, différents d'un astre à l'autre et marquant, par leurs caractères particuliers, la ciales

de

l'astre

ils

prédominance des influences

spé-

vivent.

Le Monde n'ayant pas de centre, on ne peut plus dire que les corps graves ont pour mouvement naturel un mouvement

du Monde, que

rectiligne dirigé vers le centre

un mouvement

naturel des corps légers est

même

ce

centre;

de

la théorie

mouvement

le

rectiligne qui fuit

pesanteur construite par

la

Aristote n'a plus de sens.

Par quoi Nicolas de Gués

va-t-il

remplacer

cette théorie?

Par

une doctrine pythagoricienne, plus ancienne que la doctrine d' Aristote, et que celle-ci avait supplantée. Le mouvement naturel d'une partie d'un élément tend à la réunir au reste de cet élément; le

semblable marche vers son semblable pour en

sauvegarder l'intégrité.

Tout mouvement d'une partie a pour objet

«

du

tout 1

;

c'est

pourquoi

corps légers vers

les

le

les

graves se portent vers la Terre et

haut; c'est pourquoi la terre se porte

vers la terre, l'eau vers l'eau, l'air vers feu

;

la perfection

autant que faire se peut,

le circulaire et toute figure

mouvement du

le

feu vers le

l'air et le

tout tend vers

vers la figure sphérique.

»

Ce passage renferme en germe, semble-t-il, la théorie de la gravité que Copernic substituera à la théorie péripatéticienne. Selon cette nouvelle théorie, la Terre, prise dans son ensemble, n'est ni grave ni légère, et

en

il

vérité de ce corollaire n'exige C'est ce

indique

2

est

de

même

de tout astre. La

aucune hypothèse nouvelle.

que Nicolas de Cues semble n'avoir pas aperçu. Il certaines considérations que leur brièveté rend

quelque peu obscures, mais qui ne paraissent pas susceptibles d'une interprétation autre que celle-ci

:

Les divers éléments qui composent une étoile, Terre, sont les uns lourds 1.

Nicolai de

2.

Nicolai de

Gusa De docta ignorantia Cusa De docta ignorantia

et ils

liber

telle

que

la

tendent vers un certain

secundus, cap. XII.

liber secund-us, cap. XIV.


NICOLAS DE GUES ET LÉONARD DE VINCI

point

les autres légers

entier ne s'approche ni

et ils fuient ce

263

même

point; l'astre

ne s'éloigne de ce point,

n'est ni

il

lourd ni léger, parce que la pesanteur de certains de ses

éléments

exactement compensée par

est

la légèreté

des autres;

grâce à cette exacte compensation, l'astre demeure supendu

dans l'espace. Pour créer

Monde, Dieu a

le

fait

appel aux

quatre sciences mathématiques, l'Arithmétique, la Géométrie, la

Musique

est

et

l'Astronomie; l'exacte balance dont nous parlons

l'œuvre de

la

divine Géométrie.

N'est-ce pas le sens qu'il faut attribuer

Par

«

de

la

Géométrie, Dieu a figuré

telle sorte

que de

proportion des éléments,

selon les conditions qu'il a voulues...

Les éléments ont donc été constitués par Dieu en il

mesure

nombre

;

le

a

La gravité, en

un ordre poids

ressortit à l'Arithmétique, le poids

Géométrie, la mesure à la Musique. «

avec nombre,

créé toutes choses

admirable;

effet, se

et

à la

»

soutient dans l'espace parce que la

légèreté l'y contraint; la terre, qui est grave, se trouve

suspendue dans l'espace par contre la pesanteur

:

proportion découle la fermeté, la

cette

stabilité et la mobilité

la

aux passages suivants

le

moyen du

comme

feu; la légèreté lutte

comme, par exemple,

le

feu contre la

terre... » «

Qui pourrait

d'un art

si

se défendre

d'admirer cet Ouvrier qui a usé

parfait lorsqu'il a constitué les sphères célestes, les

Par sa précision,

la

variété est partout et cependant toutes choses concordent...

Il

étoiles et les diverses régions des astres?

a réglé les

rapports des diverses parties des astres de

sorte qu'en

chacun d'eux,

que

les

les parties se

corps graves se dirigent en bas

meuvent vers

A^ers le centre,

corps légers montent en s'éloignant du centre, ble éprouve le

mouvement

nous constatons dans

Cherchons dans

orbiculaire autour

et

telle

le tout,

que

les

que l'ensem-

du centre que

les étoiles. »

les

notes de Léonard de Vinci la trace de

ces pensées de Nicolas de Gués.

En une précédente i.

Albert de Saxe

série, pp. 39-49).

et

étude

1 ,

nous avons réuni

Léonard de Vinci,

V

et

analysé bon

(Études sur Léonard de Vinci, première


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

2 64

nombre de fragments contenus au

cahier F

nous y avons vu

de la tache lunaire

les diverses explications

Léonard étudier

;

qui se trouvent rapportées par Albert de Saxe dans ses Questions sur le De Cœlo, puis proposer à son tour une explication nouvelle; cette explication attribue la splendeur lunaire à la

lumière solaire réfléchie par

vagues

les

la

Lune Par

;

les

et la

Terre sont donc des astres analogues.

Gomment

«

d'un Océan que rident

taches obscures sont des continents ou des îles;

Léonard

là,

la surface

conduit à formuler cette proposition

est

1 :

Terre n'est pas au milieu du cercle du Soleil,

la

du Monde, mais bien au milieu de ses éléments, qui l'accompagnent et lui sont unis. Et pour qui serait sur la Lune, autant elle est au-dessus de nous avec le Soleil, autant ni au milieu

paraîtrait notre Terre avec l'élément de l'eau, faisant le

même

Lune pour nous. » Léonard est-il parvenu à une telle conclusion par la force de ses méditations, ou bien a-t-il été guidé vers office

que

fait la

Il

de ne pas pencher vers celte seconde opinion

si

compare

l'on

a à conclure

Lune,

la

la lecture

du grand peintre 2 « Tout ton discours Terre est une étoile presque semblable à

cette note

que

la

et ainsi tu

:

prouveras

la

noblesse de notre

phrase 3 écrite par l'Évêque de Brixen

cette

cette

de Nicolas de Cues?

audacieuse conséquence par est difficile

seule

donc une noble

:

«

Monde

»

à

Notre Terre est

étoile. »

D'ailleurs, les cahiers

réflexions inspirées à

se trouvent

Léonard par

la

en grand nombre lecture

les

des écrits de

Nicolas de Cues, nous offrent mainte note qui a trait à l'analogie de la Lune, de la Terre et des étoiles. C'est ainsi qu'au cahier

A nous

Léonard résume sa théorie de Ce que

«

c'est

que

par elle-même, mais i.

la

Lune.

elle est

la

trouvons un passage^ où

lumière lunaire

— La

Lune

:

n'est pas

lumineuse

bien apte à recevoir la nature de

Les manuscrits de Léonard de Vinci, ms. F de la Bibliothèque de l'Institut, verso. Les manuscrits de Léonard de Vinci, ms.

fol. fn, i.

F de

la

Bibliothèque de

l'Institut,

fol. 5G, recto. 3. 6.

fol.

Cusa De docta ignorantia liber secundus, cap. XII. Les manuscrits de Léonard de Vinci, ms. A. de la Bibliothèque de l'Institut,

Nicolai de

64, recto.


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI la

265

lumière, à la ressemblance du miroir ou de l'eau ou d'un

autre corps luisant... Si tu vois se mirer le Soleil

ou

grandeur

te

dans une eau qui dans

cette

eau être

soit voisine, leur

te

la

même

Lune

la

paraîtra

qu'elle te paraît dans le Ciel. Et

si

tu t'éloignes d'un mille, elle te paraîtra cent fois plus grande; si

tu vois le Soleil se mirer dans la mer, au

couche,

il

te paraîtra

moment où

se

il

grand de plus de dix milles, parce que

son image dans l'eau occupera plus de dix milles marins. Si tu étais où est la Lune, le Soleil te semblerait se mirer dans

autant de mers qu'il en éclaire à la journée, et la terre ferme te paraîtrait

dans

cette

comme

eau

te

paraissent les taches obs-

cures qui sont dans la Lune, taches qui font aux

sont sur

la

Terre juste

même

le

hommes qui habiteraient la Au cahier G, nous retrouvons

des

que termine

Lune

cette

cette

:

que

Lune.

ferait notre

qui

monde

à

»

des raisonnements analogues

l

«

Donc

il

est nécessaire

que

soit eau. »

Ces pensées sur l'esprit

conclusion

effet

hommes

du globe lunaire hantaient

la constitution

de Léonard dans

temps

le

même

que

la

Métaphy-

sique de Nicolas de Cues lui inspirait une philosophie de la

temps que

forza, dans le

la lecture

du De

des procédés propres à étudier

lui suggérait

d'un navire au large ou de

donc permis de penser que

les

la

experimentis

statlcis

mouvement

le

Terre dans l'espace.

Il

est

hypothèses astronomiques de

l'Évêque de Brixen n'ont pas été sans influence sur celles du

grand peintre.

Comme

Nicolas de Cues l'avait supposé avant

Lune ne

lui,

le

Vinci

compose pas seulement d'un corps solide en partie recouvert d'eau, mais qu'elle comprend encore, comme notre Terre, une couche d'air et une couche de feu

admet que

la

se

:

«

Si la

vent

;

le

Lune

a des ondes

l'air. Il est i.

fol.

ces ondes ne peuvent exister sans

la

chaleur

donc nécessaire que

le

Les manuscrits de Léonard de Vinci, ms.

G

et

demeurent au-dessous

corps de la Lune de

la

Léonard de Vinci, Codice

cit.,

p. 20.

Atlantico, fol.

112,

ait terre,

Bibliothèque de

20, recto. 2.

Op.

,

vent ne peut exister sans vapeurs terrestres qui sortent

de l'humidité, attirées par de

2

verso, a.

— Cf.

l'Institut,

Mario Baratta,


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

2Ô6

eau, air et feu, avec les

nos éléments.

mêmes

mouvements que

conditions de

»

Ces conditions auxquelles

éléments lunaires sont soumis

les

en leurs mouvements semblent avoir grandement préoccupé Léonard. Le corps de

la

Lune

entendant certainement par pesant; dès

lors,

est dense,

grand

dit le

là qu'il est solide;

doit

il

pourquoi ne descend-il pas vers

Monde comme nos graves

terrestres

artiste,

donc

être

centre du

le

?

Nous trouvons déjà comme un rapide énoncé de ce problème dans cette note au crayon par laquelle débute

La Lune dense

u

Lune...

a II

léger.

léger ne peut

si

elle n'a

et si

est plus légère

cependant

que

elle

l'autre

Lune

élément 3

pourquoi

;

donc

c'est

et si elle est

solide et

est -elle

qu'elle

plus légère

non

trans-

Lune.

*

se précise

dans

le

remarquable

:

— Aucun corps dense

(solide) n'est plus léger

l'air. »

Nous avons prouvé que

«

est

n'est pas au milieu de ses

»

passage que voici la

»

demeurer sous un corps

ne descend pas,

La solution du problème posé

que

:

pourquoi ne tombe-t-elle pas au

la Terre,

l'autre élément,

parente?

est

pas une situation particulière en ses

centre de nos éléments? Si la

éléments

en

2

oui ou non, située au milieu de ses

est -elle,

comme

éléments,

De

:

»

éléments? Et

«

l

est la

et la solution

esquissée dans le fragment suivant

La Lune

que

K

comme

n'y a pas de corps très léger qui soit opaque.

moins «

nettement posé

est plus

Aucun corps plus

«

grave

et

cahier

»

Ce problème

comme

grave; dense

et

le

de l'eau, qui réfléchit

le

la partie

de

Lune qui resplendit

corps du Soleil

deur qu'elle en a reçue. Nous avons vu i.

la

Les manuscrits de Léonard de Vinci, ms.

K de

et reflète la

comment la

si

splen-

une

Bibliothèque de

telle

l'Institut,

fol. i, recto.

Léonard de Vinci, ms. Arundel 263 de la Bibliothèque du Cf. Mario Baratta, Op. cit., p. iG. que tout élément terrestre. 3. C'est-à-dire k. Léonard de Vinci, ms. de la Bibliothèque du comte de Cf. Mario Baratta, Op. cit., p. 275. 2.

recto.

British

Muséum,

fol. g4,

:

Leicester.

fol. 2.

recto.


NICOLAS DE GUES ET LÉONARD DE VINCI

eau

sans onde, elle se montrerait toute petite, avec une

était

splendeur presque égale à celle du «

A

présent,

il

grave ou léger.

s'acquiert

Soleil.

nous faut prouver

»

la

si

Lune

un degré de

la Terre, à tout

degré de hauteur

en sorte que l'eau

légèreté,

légère que la terre, l'air que l'eau, le feu que

de suite. « Il

Lune, ayant densité

la

doit avoir gravité; et

si

descendre vers

joindre à la Terre;

si elle

moins devront tomber; tomberont vers le centre, sans lumière. La

c'est

l'air, et

un

comme elle

ainsi

le

;

et,

centre de l'Univers et se con-

Lune en

Lune dépouillée

comportant pas de

se

eaux du

ses

sera dépouillée et elles

et elles laisseront la

Lune ne

effet,

par conséquent,

ne descend elle-même, la

en

a

que l'espace au sein

elle a gravité,

trouve ne la peut soutenir

elle se

qu'il lui faut

et

est plus

»

semble que

duquel

un corps

est

»

Nous confessons que sur

«

267

la sorte,

signe manifeste qu'une telle lune est revêtue de ses

éléments, à savoir d'eau, d'air et de feu et qu'ainsi elle se soutient

dans l'espace en

soi et

par

soi,

comme

fait

notre Terre

avec ses éléments en cet autre espace [où elle se trouve] les

graves de la Lune font

même

office

;

et

que

en ses éléments que

font les autres graves [les graves terrestres] en nos éléments.

Quel sens exact

venons de Faut-il

faut-il

attribuer aux fragments que

»

nous

citer?

y voir

cette affirmation

:

les

éléments lunaires sont

unis à la Lune et tendent vers elle lorsqu'ils en sont séparés

comme

les

éléments terrestres sont unis à

la

Terre

et

tendent

vers la Terre lorsqu'ils en sont détachés? Assurément, cette

proposition est dans l'esprit de Léonard. «

N'a-t-il

pas écrit

1

Toute partie a une tendance à se réunir à son tout pour

échapper à son imperfection »? Et

cette

comme

qui est de Nicolas de Gués

«

:

la

traduction de celle-ci

Omnis motus

2 ,

phrase n'était-elle pas

partis est propter perfectionem ad

Cette proposition suffirait à expliquer que la

tendance à tomber sur 1.

2.

Lune

la Terre; elle a suffi à

Léonard de Vinci, Codice Atlantico, Nicolai de Gusa De docta ignorantia

totum

:

» ?

n'a aucune

Copernic pour

fol. 5g, recto.

liber secundus, cap. XII.


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

268

admettre que chaque astre gravite seulement vers lui-même

nullement vers

et

du Monde,

centre

le

et

Guillaume Gilbert

sont contentés après Copernic. Représente-t-elle

et Galilée s'en

Nous ne le croyons pas; il nous semble qu'elle laisse inexpliquée une partie de cette pensée. Pourquoi Léonard, toutes les fois qu'il veut rendre compte de l'équilibre de la Lune dans l'espace, insiste-t-il sur cette supposition qu'elle n'est pas seulement un noyau solide recouvert d'eau, mais qu'elle a aussi air et feu, que cet air et ce feu toute la pensée de Léonard?

comme

l'enveloppent

enveloppent

ils

la

Terre? Si sa pensée

était

simplement

celle

faire

de cet air

de ce feu pour prouver que

et

que développera Copernic, la

il

n'aurait que

Lune

n'est ni

grave ni légère. Tout ce que dit Léonard s'entend au contraire fort

bien

l'on

si

imagine que sa pensée

même

soit celle

de

Nicolas de Cues; la présence du feu dans la sable, car c'est la légèreté de ce feu

Lune est indispenqui compense exactement

poids des autres éléments lunaires

le

;

c'est cette légèreté

au centre du Monde,

retient la Lune, qui l'empêche de choir

comme

la

vent dans

lourdeur de

Lune l'empêchent de

la

terrestres assurent de la

de la Terre passage

du

l :

«

Soleil, ni

de l'eau

la terre,

même

dans l'espace

Comment

;

qui

et

de

l'air

qui se trou-

fuir ce centre. Les

éléments

manière l'équilibre indifférent

tel

sens véritable

est le

de ce

Terre n'est pas au milieu du cercle

la

au milieu du Monde, mais bien au milieu de

éléments qui l'accompagnent

et lui

sont unis.

ses

»

compte de tout ce que Léonard a suspension de la Lune dans l'espace peut-être,

Cette interprétation rend

touchant

dit

la

;

cependant, hésiterait-on à lui attribuer cette théorie trop naïve si

Ton ne songeait

qu'elle

lui

a

été

suggérée par Nicolas

de Cues.

Parmi en

est

les influences si

nombreuses que Léonard

deux qui ont prédominé

et celle

de Nicolas de Cues

;

elles

à l'encontre l'une de l'autre, esprit, elles s'y sont i.

;

a subies,

il

ce sont celle d'Albert de Saxe

n'ont point agi séparément ni

mais

elles

intimement mêlées,

ont conflué dans son

et leur

union aengen-

Les manuscrits de Léonard de Vinci, ms. F de la Bibliothèque de l'Institut,

fol. Zn, verso.


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

269

dré plusieurs de ses pensées les plus originales; en cette étude,

nous en avons vu maint exemple de rencontrer n'est pas

Léonard

la fois

celui

moins digne

de

la lecture

Léonard

était

de son siècle

étaient aussi ceux

lisait

d'attention;

lorsque

que

et

ses

était

des Subtilissimae quœstiones

de Cœlo et des De docta ignorantia

libros

que nous venons

système géocentrique, sa méditation

rejetait le

nourrie à

le

;

in

libri très.

de son pays;

les livres

qu'il

contemporains, que ses com-

Son exemple nous montre qu'en l'Italie du Nord, à l'aurore du xvi siècle, on méditait les enseignements de maître Albert de Saxe et du Cardinal Nicolas de patriotes étudiaient.

e

Cues. Or, en ces années-là,

le

jeune Nicolas Copernic parcourait

Universités de Bologne, de Padoue, de Ferrare, de

les

Rome,

recueillant avidement les enseignements des maîtres italiens; à

ces

xiv

xv si

e

e

enseignements se mêlaient

siècle, Albertutius siècle, le

avait

échos de ceux qu'au

les

donnés à

Paris, de

ceux qu'au

^Cardinal Allemand exposait en des traités d'une

audacieuse originalité. Ces deux génies, que Léonard a

si

profondément médités, ont contribué pour une grande part à la révolution copernicaine.

APPENDICE Denys l'Aréopagite, la Théologie d'Aristote et Nicolas de Cues. Les rares pensées métaphysiques que nous gardent les notes

de Léonard de Vinci semblent, presque toutes, inspirées par la

Métaphysique de Nicolas de Cues.

A

son tour,

la

philo-

sophie de Nicolas de Cues est constamment guidée par les philosophies néo-platoniciennes. Parmi les sources néo-platoniciennes auxquelles Nicolas de Cues a puisé, nous avons

cru

pouvoir ranger l'apocryphe

Théologie

d'Aristote.

une hypothèse dont la démonstration n'est pas Nicolas de Cues ne cite nulle part cet ouvrage.

C'est

fort aisée, car


ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

27O

A

donné

l'appui de cette supposition, nous avions

ment suivant

le

nom

de Théologie; cette indication erronée

n'aurait-elle pas été suggérée à

l'Évêque de Brixen par la

connaissance d'un écrit intitulé Théologie Victor Delbos nous

M.

a

erreur.

Il

paraît bien qu'en

Stagirite désignait

la

a" Aristote?

que l'indication

observer

fait

donnée par Nicolas de Cues ne pouvait

une

l'argu-

Selon Nicolas de Gués, Aristote donnait à la

:

Métaphysique

1

être regardée

certaines

comme

circonstances, le

Philosophie première par

le

nom

de

Théologie. Nous en avons pour témoin ce texte de la Métaphysique

2 :

«

En

sorte qu'il y aurait trois philosophies théoriques,

savoir la Mathématique, la Physique et la Théologie. Tpeïç àv £t£V çtXojoçiai OstopYjTtxai, jxaSyj^aTix^,

(puer/*-/],

— "ùz-i

OeoXoYtwrç. »

remarque de M. Delbos ôte toute portée à l'argument que nous avions invoqué; nous n'attribuions, d'ailleurs, à cet Cette

argument qu'une fort minime importance. Il ne nous reste donc qu'une seule raison pour prouver l'influence de la Théologie a" Aristote sur Nicolas de Cues; cette

raison peut se formuler ainsi

:

On

trouve dans les écrits de

Nicolas de Cues des doctrines qui y jouent ces doctrines jouent d'Arlstole; elles

un

rôle essentiel

également un rôle essentiel en

;

la Théologie

ne se rencontrent en aucun autre

traité

néo-

platonicien. Il

de montrer que les

est aisé

la Théologie d'Aristote et

dans

de Cues,

et qu'elles

ont,

mêmes

dans

en l'une

la et

importance; cette démonstration a été suffisante,

pensées se retrouvent

philosophie de Nicolas

une égale donnée, d'une manière

croyons-nous, en nos articles

en

l'autre,

III et IV.

Ces pensées, l'Évêque de Brixen a pu

les

emprunter à

l'apocryphe Théologie. Les lui a-t-il sûrement empruntées? N'a-t-il

Cette

pu

les tirer

de quelque autre écrit néo- platonicien?

seconde partie de notre raisonnement

est,

beaucoup

plus que la première, malaisée à parfaire. Pour la conduire à bien,

il

toutes les

faudrait posséder

une connaissance approfondie de

œuvres néo-platoniciennes, tant païennes que chré-

1.

Vide suprà

2.

Aristote, Métaphysique, livre V, cap.

:

p.

i43. 1.


NICOLAS DE CUES ET LEONARD DE VINCI

tiennes,

que

le

Cardinal Allemand a pu consulter;

œuvres sont nombreuses, Brixen

était,

serait

Il

27 1

nous l'avons

car

dit,

de

l'érudition

et

ces

l'Évêque

de

d'une extrême étendue.

donc singulièrement

de passer en revue

difficile

toutes les philosophies néo- platoniciennes et de reconnaître

que, a

seule

parmi

ces

philosophies, la

Théologie tVAristote

pu fournir à Nicolas de Gués certaines de

ses

doctrines

essentielles.

Toutefois, cette preuve que nous ne saurions sa

donner dans plénitude, nous pouvons, du moins, en ébaucher quel-

ques parties; nous pouvons

lire

ceux des

écrits néo-platoni-

ciens qui paraissent avoir le plus influé sur Nicolas de Gués et

rechercher

s'ils

ont pu

lui

fournir toutes les pensées qu'il

pouvait également recevoir de la Théologie d'Arislote. Ainsi

avons-nous déjà montré que certains principes

communs au

pseudo-Aristote et au Cardinal Allemand n'avaient pu être

empruntés à Plotin, bien que l'auteur des Ennéades

rément suggéré plus d'une pensée

à

ait assu-

Fauteur de la Docte

ignorance. Il

est

une œuvre,

à la fois néo-platonicienne et chrétienne,

que Nicolas de Cues

maintes reprises, à laquelle

cite à

beaucoup emprunté; c'est l'œuvre qu'il Moyen-Age, à Denys l'Aréopagite. Ne pseudo-Aréopagïte qu'il tient

il

a

attribue, avec tout le

serait-ce

du

point

où nous avons cru

les théories

reconnaître l'empreinte de la Théologie d'Arislote? La question

mérite d'être examinée,

et

avec

un

soin d'autant plus minu-

tieux qu'entre les doctrines attribuées à et celles

que

la Théologie prête à Aristote,

Denys l'Aréopagite une grande ressem-

blance apparaît tout d'abord. Efforçons-nous donc de tracer la

Métaphysique professée

par

jamais inconnu, que nous voile

ici

le le

une esquisse philosophe

nom du

de

fidèle

chrétien,

à

disciple de saint

Paul. Cette Métaphysique découle plus

ou moins immédiatement

du grand courant philosophique issu de Plotin et de Proclus mais Denys s'attribue à lui-même un précurseur plus immé;

diat

en

la

personne de saint Hiérothée,

qu'il

nomme

son


ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

272

maître

dont

et

il

nous conserve

hymnes

trois

«

;

hymnes

ces

de saint Hiérothée, insérés par Denys au quatrième chapitre

de son

traité

Des noms

plan d'après lequel

divins,

en quelque sorte,

tracent,

le

pseudo-Aréopagite construit tout son

le

système philosophique.

De

suivantes «

hymnes,

ces

Du

le

troisième

formule

2

les

propositions

:

Bien suprême émane une vertu simple qui est capable

par elle-même de déterminer un

mouvement

amou-

vers une

reuse union; cette vertu se propage jusqu'aux extrêmes limites

de l'ensemble des choses qui existent; de ces limites, cette vertu revient en arrière, à travers toutes choses, et retourne vers

Bien suprême.

le

»

Ce double mouvement par lequel

Bien absolu descend en

le

pour y produire tout ce qu'elles ont de bon, et déterminer en ces mêmes choses une tendance ascendante toutes choses

vers le Bien suprême, c'est l'objet que

samment Dès

le

inces-

à ses méditations.

début du

la description «

Denys propose

lumières.

De

la

est

mouvement 3 donné à un être, toute :

viennent d'en haut;

Toute émanation

a produit vient

nous trouvons

hiérarchie céleste,

de ce double

Tout bien qui

est accordée,

traité

de

perfection qui lui

descendent du Père des

ils

que

l'éclairement

s'épancher en nous;

là,

elle

le

Père

devient une

puissance d'union, qui nous simplifie en nous rappelant en haut, qui nous tourne vers l'unité

du Père en qui

tout se

rassemble, vers la simplicité qui constitue la Divinité.

Denys applique à ce double mouvement Paul^

Par plicité

:

«

le

Toutes choses viennent de lui

et

la

Et

»

parole de saint

vont à

lui. »

premier de ces deux mouvements, l'unité

et la

sim-

de Dieu répandent leur bienfaisante émanation en

la

1. Opéra S. Dionysii Areopagitae cum scholiis S. Maximi et paraphrasi Pachymeran a Balthasare Cordicro Soc. Jcsu doct. theol. latine interpretata et notis theologicis illustrata. Antverpiae, ex ofïicina Plantiniana Balthasaris Moreli, MDCXWIIII.

De

divinis nominibus, cap. IV, artt. i5, 16 et 17; 2.

tomus

Dionysi Areopagita? De divinis nominibus, cap.

I,

pp. 5G8-570. IV, art. 17; édit.

cit.,

pp. 569-570. 3. !\.

Dionysi Arcopagilaî De ccelesti hicrarchia, Gap. Pauli Epistolœ ad Romanos, II, 3G.

I; édit. cit.,

t.

I,

pp.

1-2.

t.

I,


NICOLAS DE GUES ET LÉONARD DL VINCI

des

multiplicité

par

créatures;

2^3

second, la diversité des

le

Denys

créatures tend à se fondre en l'unité divine; écoutons

comme un et

écho des enseignements de Plotin

en

réside en elle;

il

mode

leur

d'existence; elles

ne peut comprendre

en

elle

même

la

:

Bonté suprême

sont les principes des choses

y sont quel que soit \ sont d'une manière que l'on

choses qui existent,

et toutes les

et

lui-même procède de

L'Être qui est par

«

où nous reconnaîtrons

ces pensées en des termes

développer

et elles

y sont réunies toutes ensemble temps chacune d'elles y subsiste en sa singulaelles

;

rité. » «

En

effet,

en

en sorte que particuliers

;

l'unité, tout

même

en

rassemblé dans l'un

«De même, tous

temps, tout

est

il

;

s'éloigne de l'unité dont

devient muîtiple.

préexiste uniformément,

dans

nombre

le

Plus

l'unité.

provient, plus

il

au principe unique dont ils

le centre.

Le point contient centre, et joints

sont issus. Tant qu'ils s'éloignent

ils

au fur

divergent davantage

et à

mesure qu'augmente

rayons partent du centre

les

même

au centre, de

et

«

Ce qui préexiste

toutes choses 2 est le principe et la fin de toutes choses.

il

est la fin

il

une absolue unité; partout présent à

il

;

Dionysi Areopagitae De

que toutes choses

fait

il

choses;

nominibus,

Il

Denys l'Arcopagitc, p.

duhem.

loc. cit., art.

10; éd.

Cap.

cit.,

est

y est présent en tant

il

y est présent en

divinis

existent.

V,

même art.

6;

temps parce édit.

cit.,

pp. 692-693. 2.

tant

possède d'avance toutes choses dans

toutes

qu'unité et identité

i.

Il

En

à

de tout; en tant que cause finale,

est le principe

de tout...

abou-

l'Etre divin est le point de départ

point d'arrivée de toutes choses.

que cause,

la

»

De même que tous le

le

aux autres;

sont faiblement séparés les uns des autres;

distance au centre.

et

il

rayons du cercle, rassemblés par une même

les

tous ces rayons se trouvent conjoints dans

tissent

nombre

le

se divise, plus

il

tous ces rayons uniformément réunis les uns

ils

trouve

se

»

union, existent simultanémentdans

peu du centre,

nombres

contient en elle chacun des

l'unité et,

nombre

t.

I,

p. 697. 18

t.

f,


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

274

qui est tout;

qu'il est l'un

pénètre toutes choses en

il

demeure en lui-même. » On ne peut donc pas dire de l'Etre suprême

temps

qu'il

point de cette autre. Bien plutôt, l'auteur de toutes choses

principes;

les

même temps

est

il

comprend d'avance en

il

;

est toutes choses, car

il

au-dessus de toutes choses

d'une existence transcendante

Aussi peut-on dire de

et toute figure,

figure...

est

lui tous

cependant,

et

avant

est

supra-essen-

et

possède toute

il

forme

est sans

il

il

;

simultanément toutes

lui qu'il est

choses et qu'il n'est aucune de ces choses;

forme

il

contient les fins de tout ce qui est; et en

il

toutes choses tielle.

«qu'il est cecii

point cela; qu'il est de cette manière et qu'il n'est

et qu'il n'est

.

même

sans

et

»

Ainsi de l'Etre en soi on peut affirmer des propositions qui

semblent contradictoires 3 qu'il se

meut,

vement.

»

est

Il

toutefois,

et

cependant

descend vers

il

toutes

est

choses,

et,

n'est

il

»

l'étude de ce double les

temps

en repos ni en mou-

n'est ni il

même

en aucune des choses qui existent,

ces choses.

Revenons à

immobile, en

est

en toutes choses,

«il n'est

aucune de

« Il

:

mouvement par

choses afin que

lequel Dieu

choses remontent vers

les

lui.

Dieu

est à la fois

Beauté

et

Bonté 3 Cette Bonté divine .

est la

raison d'être de l'amour de Dieu pour toutes choses; par

Dieu

«

bonté,

est il

conserve toutes choses,

L'Amour objet. Cet

par l'excellence de sa

cause de toutes choses 4;

aime toutes choses, divin est bon,

Amour

il il

produit,

il

tourne

toutes

procède du Bien,

divin, qui

elle,

engendre

la

perfectionne

choses il

vers

a le Bien

et lui.

pour

bonté en tout ce qui

suprême mais il ne saurait demeurer en lui-même, infécond; il se met donc en mouvement afin

est,

préexiste en la Bonté

;

d'agir en conformité avec l'excellence de sa vertu, qui crée

toutes choses. i. 2.

»

Denys l'Aréopagite, loc. cit., art. 7; éd. cit., t. I, p. G95. Dionysi Arcopagitœ De divinis nominibus, Cap. Y, art. 10;

— De mystica

Theologia, Cap. IV; éd.

3.

Dionysi AreopagiUn De

'1.

Denys l'Aréopagite,

éd. cit.,

t.

I.

p. 697.

cit., t. II, p. 45.

divinis nominibus,

loc. cit., art.

Cap. IV,

10; éd. cit., p.

art. 8; éd. cit.,

5(i3.

pp. 55g-56o.


MCOI.AS DE GUES

Mais d'autre part, le

LÉONARD DE VINCI

1.1

Beau,

« le

Bien

le

2~]5

sont dignes d'exciter

1

désir et l'amour de toutes choses; toutes choses les chérissent.

du Bien et en vue du Bien que les choses inféaiment les objets qui sont au-dessus d'elles et se

C'est à cause

rieures

tournent vers ces objets.

La Bonté descend cause efficiente;

»

ainsi vers les choses, car elle en

choses montent vers

les

cause finale; ce double

mouvement

est la

Bonté, qui est leur

la

une double aspiration

est

amoureuse. «

que veulent nous donnent à Dieu tantôt

C'est là ce

lorsqu'ils

tendresse, tantôt les « Il est,

produit et chéri.

en

effet,

est

le

il

nomment

noms d'amour

et,

d'autre part,

par l'amour

les oriente

ils le

puissance motrice;

et

vers

meut lui.

choses;

les

attire les

il

les

lui-même aimé

il

en tant

se dirige vers

Voilà pourquoi les théologiens

nomment amour il

est

il

de

»

et la tendresse; et c'est

objet aimable et chéri, car

D'autre part,

théologiens 2

d'objet aimé, d'objet chéri.

qu'objet aimé et chéri qu'il les choses,

les

les

l'auteur de l'amour et de la tendresse;

engendre;

et les Il

noms

signifier

et

est

il

beau

dilection,

et

car

bon. il

est

choses en haut, vers lui-même

bon et beau par soi; ils désignent par là cette manifestation du Bien même par lui-même, cette bienveillante procession vers une éminente union, cette mise en mouvement amoureuse absolument simple, se mouvant elle-même, qui, seul, est

opérant par elle-même, qui préexiste dans

le

Bien, qui,

du

Bien, se répand en toutes les choses qui existent, et qui se réfléchit

pour revenir au Bien. En

divin manifeste qu'il n'a ni blable à Bien,

il

un

cercle éternel;

cette procession,

commencement

il

est

ni fin;

en vue du Bien,

subsiste dans le Bien, et

il

il

il

centre,

ils

sem-

du

revient au Bien; rien ne »

rayons du cercle se rapprochent du se rapprochent les uns des autres; « plus ils les

s'unissent au centre", plus

2.

Denys l'Aréopagite, Denys l'Aréopagite,

3.

Dionysi Arcopagitaî De

i.

est

est issu

saurait le faire dévier de cette perpétuelle circulation.

En même temps que

l'Amour

loc. cit., art.

ils

se

10; éd.

conjoignent entre eux; plus cit.,

t.

loc. cit., art. i/j; éd. cit.,

t.

I,

p. 563.

pp. 5O7-5G8. divinis nominibus, Cap. V, art. 6; éd. cit., p. Gq3. I,


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

2^6

du

s'éloignent

ils

centre, plus

ils

divergent.

Née de l'amour

»

du Bien suprême pour les choses, l'aspiration des choses vers le Bien suprême doit s'accompagner d'une tendance des choses unes vers

les

avons

les

autres.

Au double mouvement que nous

mouvement de descente des choses d'en haut" choses d'en bas, mouvement d'ascension de celles-ci

décrit,

vers les

vers les objets supérieurs, nous devons joindre l'étude d'un

mouvement amoureux

troisième

même

êtres de

niveau.

que saint Hiérothée exprime en

C'est ce «

qui a pour but l'union entre

Qu'est-ce que l'amour? Qu'il soit divin

soit spirituel,

animal ou

en

qu'il siège

hymne

cet

la

1 :

ou angélique,

qu'il

matière inanimée,

nous dirons que c'est une force ou une puissance qui a pour effet l'union et

le

afin qu'elles

sont de

mélange. Cette force meut

ordre, elle les

les objets

tiennent au-dessus d'elles.

elles

tourne vers

les

»

Denys répète presque textuellement

ces paroles 2

.

Il

à plusieurs reprises sur la pensée qu'elle renferment

en vue du Beau

du Bien que

du Bien,

et

écrit-il

3

tournent vers eux. C'est pour la

et se

choses de elles;

même

que

les objets

même

«

C'est

aiment

et

supérieurs

raison que les

ordre aiment leurs semblables

objets les plus élevés

les

:

insiste

cause du Beau

c'est à

,

choses inférieures aiment

les

qui

meut vers une mutuelle com-

enfin les choses inférieures,

celles qui se

choses supérieures

pourvoient aux choses inférieures;

même

munion;

les

et s'unissent à

les

moindres

et

exercent envers eux une providence; que chaque être s'aime

lui-même

et

tend à se conserver; c'est par désir du Beau

Bien que tous

les êtres

voyons vouloir

et faire. »

veulent

et

font

et

du

que nous leur

ce

Le Bien suprême, en donnant naissance au mutuel amour des objets inférieurs, y est un principe de paix. «Donnons 4 nos louanges pacifiques à cette paix divine, princesse de la conciliation.

i.

C'est

elle

Dionysi Arcopagitao

De

qui

divinis

conjoint

nominibus,

toutes

Cap. IV,

art.

qui

choses, i5;

éd.

cit.,

t.

1,

p. 5G8-50.,.

3.

Denys l'Aréopagite, Dcnys l'Arcopagite,

4.

Dionysi Arconagita; De

2.

loc. cit., art. loc. cit., art,

12; éd. cit., 10; éd. cit.,

divinis nominibus,

t.

I,

t.

I,

p. 566.

p. 563.

Cap. XI,

art.

1

;

éd. cit.,

t.

I,

p. 8&1.


.NICOLAS DE GUES ET

engendre et c'est

seule

produit

et

concorde

la

et l'union

pourquoi toutes choses désirent

ramener leur multitude qui,

l'intégrité,

seule,

concorde durable à «

LÉONARD DE VINCI

C'est

Dieu qui

de toutes choses; qui peut

cette paix

et leur division à l'unité

et à

succéder

une

capable de

est

277

faire

guerre intestine de l'Univers...

la

par lui-même, l'auteur de

est,

la

»

paix

1 ,

de

paix universelle aussi bien que des trêves particulières; c'est

la

lui

qui rapproche toutes choses en une mutuelle union

cette union, tous les êtres sont soudés les

aucune distance ni divergence; garde son individualité;

par

uns aux autres, sans

cependant chacun d'eux

et

conserve la pureté qui convient à

il

son espèce, sans être aucunement souillé par êtres qui lui sont contraires; rien cette parfaite pureté.

;

le

mélange des

ne trouble cette exacte union,

»

Cette paix n'exclut nullement la variété de l'Univers.

«

La

une propriété de chaque chose 2

diversité, la distinction est

.

Or, chaque chose persévère en l'état qui lui est propre, car

Nous regarderons donc cette tendance comme un désir de paix. Chaque être, en effet, aime à avoir la paix avec lui-même, à demeurer uni à lui-même, à garder elle

ne veut point

périr...

toutes ses parties dans l'intégrité et l'immobilité.

La paix de l'Univers la perpétuité

»

non plus incompatible avec mouvements « Si les choses qui se

n'est point

de certains

:

meuvent 3 n'aspirent point au repos, si leur volonté, au contraire, est de se mouvoir d'un mouvement perpétuel, ce désir de

mouvement dépend,

paix divine

cette

chose

et

et

lui aussi,

universelle;

cette

de

la

tendance vers

chaque

paix garde

l'empêche d'échapper à sa nature; à tous

les objets

qui se meuvent, elle conserve la vie motrice qui leur est

propre;

empêche que

elle

elle-même;

elle veille afin

avec lui-même

et

1.

2.

3.

est,

ne se dissipe

et ne se détruise

que chacun des mobiles

ait la

qu'en conservant cet état de paix,

accomplir l'œuvre qui Telle

cette vie

esquissée

Denys PAréopagitc, Denys l'Aréopagite, Denys l'Aréopagite,

paix

il

puisse

doctrine

méta-

est sienne. »

à

grands

loc. cit., art. 2

traits,

cd. cit.,

la

t.

I,

p. 84a.

cit.,

t.

I,

p. 844-

loc. cit., art. 4; éd. cit.,

t.

I,

p. 844-

loc. cit., art.

;

3; éd.


ÉTUDES SUR LEONARD DE V1>CI

'i'jS

physique de ce philosophe inconnu que Ion a

si

nommé Denys

que retrouve-

De

l'Aréopagite.

cette doctrine,

t-on dans l'œuvre de cet autre inconnu qui a

On

Théologie d'Arislote?

peut

longtemps

composé

la

déclarer sans crainte d'erreur;

le

toutes les pensées philosophiques qui constituent la première

doctrine, toutes celles que nous venons de résumer, s'insèrent,

bien reconnaissantes, en la seconde doctrine. Mais

si la

Méta-

du pseudo-Aristote comprend en elle tous principes purement philosophiques du pseudo-Aréopagite,

physique

ne se

approprie que pour

les

Gomme aime

point invoqués

les a

;

ils

sont

purement péripatéticienne.

d'origine

connaît

elle

unir à d'autres principes;

les

ne

ceux-ci, le philosophe chrétien

les

le traité

Des noms

Théologie d'Arislote

la

divins,

double courant de l'amour. Par bonté,

le

l'inférieur;

l'inférieur

et cette

supérieur

le

bonté du supérieur détermine en

un mouvement vers

haut,

le

un amoureux

désir

du

bien dont l'inférieur est animé. Mais cette théorie de l'amour,

qui dérive le

si

visiblement de

pseudo-Aristote

emprunte

à

l'être

l'être

en

l'inférieur,

double courant descendant

du

authentique

acte, la

en puissance, avec

du supérieur vers le

transfigure à l'aide de principes qu'il

l'enseignement

supérieur devient

avec

la

doctrine chrétienne delà grâce,

la

la

forme; l'inférieur

matière;

le

s'identifie

double mouvement

de l'inférieur vers et

Le

Stagirite.

le

supérieur,

ascendant de l'amour, trouve

sa raison d'être dans le troisième élément de la trinité péripatéticienne,

dans

la privation;

en acte aime

l'être

la

matière,

car les possibilités de cette matière lui permettent seules de

développer son de produire; réaliser les

activité,

la

d'engendrer

matière aime

l'être

les

formes

qu'il souhaite

en acte qui,

seul,

peut

formes auxquelles aspirent ses puissances.

Cette théorie péripatéticienne de l'amour ne se rencontre pas

dans

les écrits attribués autrefois à

plus,

un

esprit

prévenu pourrait-il

peine ébauché dans ces paroles»

:

Denys l'Aréopagite; tout au en soupçonner le germe à «

C'est la

une forme

à toute chose privée de

eî$01C0l0V

aV£lSé(i)V. »

I,

TO)V

forme

Dionysi \rcopa,uit;r De divinis nominibus, Cap. IV,

#

Bonté qui confère

— Kat

art. 18;

(''dit.

son

ixuto

cit.,

I.

1,

-z

p. ,'ro.


NICOLAS DE CUES ET LÉONARD DE VINCI

La théorie de l'amour en

nous

la

279

Théologie d'Aristo/c est, avions-

une très heureuse et très remarquable synthèse d'une Métaphysique très purement péripatéticienne et d'une dit 1 ,

«

Théologie

d'origine juive

ou chrétienne.

»

De

deux

ces

éléments qui se combinent pour engendrer l'œuvre du pseudoAristote, le

second seul se trouve développé en l'œuvre du

pseudo-Aréopagite. Et maintenant

il

semble possible de répondre à

la

question

posée.

Toute

la

Métaphysique de Denys l'Aréopagite a passé en

Philosophie de .Nicolas de Gués.

En

celle-ci,

la

nous retrouvons

sans peine tout ce que nous avons lu au traité Des noms divins.

Nous ne saurions nous en étonner, car l'Évêque de Brixen à maintes reprises cet ouvrage et

lorsque il

ne

la

le

de son auteur. Mais

Cardinal Allemand explique la théorie de l'amour,

présente pas purement et

pseudo-Aréopagite

l'avait

transformation qu'il lui lui a

nom

le

cite

imposée l'auteur de

simplement

développée; fait

il

la

telle

que

le

transforme, et la

subir est indentique à celle que

la Théologie d'Aristoie. Il paraît

donc

bien qu'il emprunte à cet auteur les principes péripatéticiens

par lesquels parfois, les

il

Denys et même, exprimer ces principes.

transfigure le néoplatonisme de

métaphores qui servent à

Reprises ainsi par Nicolas de Gués, certaines pensées formulées

en

la Théologie d'Aristote, certaines

ces pensées saisissables

Léonard de Vinci. 1.

Vide supra

:

p. 137.

ont

attiré

images destinées à rendre et

retenu l'attention de



XII

LÉONARD DE VINCI ET LES

ORIGINES DE LA GÉOLOGIE



LÉONARD DE VINCI ET LES

ORIGINES DE LA GÉOLOGIE

A

de notre première étude sur Léonard de Vinci,

fin

la

nous écrivions «

En

1 :

i5o8, Léonard avait formulé les principes les plus nets

touchant l'origine des lysait

si

fossiles,

et les

il

fossiles.

exactement avait

les

pour objet

mouvements du

sol,

...Mais lorsque

modes de formation des de prouver une thèse sur l'érosion divers

thèse formulée par Albert de Saxe.

Alors que nous écrivions ces lignes, nous

Léonard avait invoqué

Léonard ana-

la véritable

savions

»

que

origine des fossiles afin de

une doctrine soutenue, au xiv e siècle, par l'Université de Paris; mais nous pensions qu'en la découverte de cette origine, le grand peintre n'avait point eu de maître et que l'observation avait été son seul guide. De nouvelles lectures nous ont appris qu'il n'en était pas ainsi. Sans doute Léonard

justifier

a

recueillir

des roches

;

il

maintes a

fois

des coquilles conservées au sein

réfléchir sur les causes qui expliquaient

leur présence loin de la

mer

et leur

transformation en pierre.

Mais sa curiosité avait dû être éveillée et sa sagacité conseillée par l'enseignement des maîtres de la Scolastique, par les écrits d'Albert le

Grand

et

de Vincent de Beauvais.

nous a semblé particulièrement intéressant de rechercher très minutieusement l'origine des opinions professées par le Vinci touchant la nature des fossiles. Nous nous sommes Il

Albert de Saxe et Léonard de Vinci (Bulletin Études sur Léonard de Vinci, première série, 1). i.

italien,

t.

V, p.

i

et p.

n3;

1905.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

284 efforcé

d'établir

1 ,

en

effet,

que

les

opinions de

Léonard

avaient vraisemblablement inspiré celles de Cardan, et que les idées

de Cardan avaient été sûrement plagiées par Bernard

Palissy. Retracer, donc, la genèse des pensées

que Léonard de

Vinci a émises au sujet des coquilles pétrifiées, c'est vraiment

conter

la

naissance de

la

Géologie moderne.

Aristote.

Au

point de départ de la tradition que nous nous proposons

de suivre,

c'est

Stagirite étudie,

un

écrit d'Aristote qu'il

en un chapitre de

nous faut placer;

ses Météores 2

le

une hypo-

,

thèse qui paraît s'être présentée maintes fois à l'esprit des

hommes, lieux

et cela,

dès une époque extrêmement reculée

se trouve

autrefois, fait partie

maintenant

du fond de

la terre

la

mer?

N'ont-ils pas

émergé

que des continents s'abîmaient au sein des

est la

question qu'ont débattue des sages de tous temps

«

et,

flots? Telle et

de

qu'à son tour, examine Aristote.

Ce ne sont pas toujours

dit-il,

Les

ferme n'ont- ils pas,

alors

tous pays

:

les

mêmes

parties de la terre,

qui se trouvent sous les eaux ni les

mêmes

qui sont à

y a échange entre les lieux submergés et les lieux émergés, grâce à la formation de fleuves nouveaux ou à la sec;

il

disparition de fleuves anciens. tation entre le continent et la

Il

une permune demeurent

se produit aussi

mer; ces

lieux-ci

mer ni ceux-là terre ferme; là où se trouvait la une mer s'est maintenant formée; là où la mer s'étend

pas toujours terre,

aujourd'hui, la terre reparaîtra de nouveau. »

Nous devons penser,

d'ailleurs,

produisent dans un certain ordre certain cycle.

que ces transformations et qu'elles

parcourent un

»

i. Léonard de Vinci, Cardan et Bernard Palissy (Bulletin Études sur Léonard de Vinci, première série, VI).

2.

se

Aristote, MsTEwpoXoy.xcov xh A,

'.0

(Météores, livre

1,

italien,

t.

VI, p. 289; 1906.

chapitre \IV).


LEONARD DE VINCI ET LES OIUGLNES DE LA GÉOLOGIE

285

Aristotc étudie quelques exemples de ces déplacements de la terre les

ferme

faits

des mers;

et

que présente

insiste tout particulièrement sur

il

delta

le

depuis les temps historiques,

de plus en plus «

du

le

Nil;

montre comment,

il

delta n'a cessé de s'assécher

:

Ce qui arrive en

cela se produit aussi

cet endroit restreint,

il

en des lieux plus étendus

que

est à croire et

même

en des

pays entiers.

Ceux donc qui ne savent regarder que les petites choses assignent comme cause à ces changements la transforma»

tion de l'Univers et,

pour ainsi

aussi prétendent -ils

que

seul

mer diminue

la

que certains terrains

naissance du Ciel;

dire, la

se

aujourd'hui plus de terres

sans cesse, par cela

sont asséchés et que l'on voit

émergées que

n'en

l'on

voyait

autrefois. »

Mais

leur affirmation est en partie vraie, elle est aussi

si

en partie fausse; sans doute, bien des lieux qui étaient autrefois

submergés sont maintenant

terre ferme;

mais

trans-

la

formation contraire se produit également; ceux qui voudront bien tourner leur attention de ce côté verront qu'en bien des endroits, la »

mer

est

venue recouvrir

la terre.

N'allons pas prétendre, cependant, que ces

sont dus à ce

fait

que

le

Monde

a

commencé.

changements Il

est ridicule

d'invoquer un changement de tout l'Univers pour expliquer de petites choses qui ne pèsent pas plus qu'une plume. Aristote restreint

donc autant que

de ces échanges entre

faire se

la terre et l'eau;

peut l'importance

l'abondance des pluies

hivernales qui, à certaines époques, diminue en croître en

un

autre, suffît en

Aristote s'est élevé à

grande partie à

deux

reprises,

»

un

lieu

pour

les expliquer.

au cours du chapitre

que nous venons de citer, contre ceux qui invoquent l'émersion de nouveaux continents pour prouver que le Monde a commencé. Les deux allusions fort

brèves

s'éclaircir le

partant,

et,

par

la lecture

disciple favori

du

qu'il a faites à cette doctrine sont

quelque peu

obscures.

Elles

vont

d'un passage écrit par Théophraste,

Stagirite.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE

i86

VI>iCl

II

Théophraste et le Traité du Monde faussement attribué a Philon d'Alexandrie.

nombreux trouve un petit

Parmi Juif se

les

écrits

que

l'on a attribués à

traité intitulé:

De

V éternité

qui, en i526, traduisit cet

ouvrage

ou

le

IIspi àçOapcria;

Kôa^ou,

regardait déjà

comme

quel qu'il

celui,

Ihpl

Philon

le

Ki^u, Du Monde,

du Monde. Guillaume Budé et le

fit

imprimera

apocryphe: «Philon,

Paris,

disait-il

«,

ou

qui a écrit ce livre; car je ne suis

soit,

nullement persuadé que celui qui

l'a

écrit soit ce

passe pour avoir égalé Platon en éloquence.

»

En

Philon qui fait, il

eût

une bien grande naïveté pour regarder ce traité Du Monde comme l'œuvre authentique et non remaniée d'un auteur né

fallu

trente ans avant Jésus-Christ; Boëce y était cité 2

!

Personne,

Kéqwo au juif Philon. Quel qu'en soit l'auteur, ce livre Du Monde offre, à bien des égards, un très grand intérêt; c'est ainsi qu'il nous donne aujourd'hui, n'attribue

le Ilepî

un résumé de doctrines que Théophraste soutenait en des ouvrages qui sont aujourd'hui perdus. Théophraste, son maître Aristote, voulait que éternité

;

le

Monde

comme

eût existé de toute

d'autres philosophes prétendaient qu'il avait eu

commencement dans

le

temps;

le

Pseudo-Philon nous

connaître3 les arguments par lesquels

ils

un fait

soutenaient cette

prétention. «

Théophraste regarde

admettent

le

commencement

quatre raisons qui sont i.

De Mundo

Aristotelis liber

Lucani, veteris philosophi, telis

de Mundo,

insigni

Budams

comme

:

étant dans l'erreur ceux qui

et la fin

du Monde,

et cela

l'inégalité de la surface terrestre, les

Philonis liber /, Gulielmo Bud<ro interprète. Ocelli de universa natura. Annolatiunculœ in libellant Aristo-

I.

libellus

Simone Gryna^o

authore. Parisiis,

apud Iacobum Bogardum, sub

Christophori, e regione gymnasii Cameracensis, i5&i-i5&a. Gulielmus Jacobo Tusano, fol. 2, recto. (Cette préface est celle de la traduction publiée

I).

en i526.)

Cette citation, Philonis Liber de Mundo, éd. cit., fol. 36, recto. pourrait être mise sur le compte d'une glose. 3. Philonis lÀber de Mundo, éd. cit., foll. 3g, verso- /ii, verso. •}..

pour

il

esl vrai,


LEONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GEOLOGIE

de

retraits

mer,

la

la

graduelle de chacune des

dissolution

parties de l'Univers, enfin, la

287

mort qui

chacune des

détruit

espèces d'êtres animés. n

Le premier argument

« Si

se construit

la

manière suivante

parties ne se montrerait aujourd'hui plus haute

ses

:

eu de commencement, aucune de

terre n'avait pas

la

de

que

les

monts eussent été déjà aplanis, toutes les collines eussent été ramenées au même niveau que les plaines. Que l'on songe, en effet, aux innombrables pluies annuelles qui seraient tombées de toute éternité; on comprendra que, autres; tous les

parmi

qui s'élevaient, les uns eussent été, selon toute

les lieux

vraisemblance, rongés

par

et entraînés

les autres

les torrents,

propre poids, en sorte que

se fussent écroulés par leur

la terre

qui les formait se trouverait uniformément répandue partout et

parfaitement aplanie. Les aspérités que nous rencontrons

aujourd'hui en foule,

sommets que

les

s'élèvent à de grandes hauteurs, sont autant d'indices

la terre n'a

pas existé de toute éternité. Sinon,

nous l'avons déjà

temps

innombrables montagnes dont

les

dit,

la

force des pluies

infini eût aplani la terre,

aux pieds

pour ainsi

force de cette eau qui

Telle est la

tombant depuis un de

dire,

la

tête

rendue aussi égale qu'une grand'route.

l'eût

et

comme

cesse, qu'elle arrache

tombe

retombe sans

et

violemment certaines roches tandis que,

goutte à goutte, elle finit par en creuser d'autres, et qu'elle

semblable à un terrassier,

affouille,

le sol le

plus dur et

le

plus

a diminué.

Les

pierreux. »

D'ailleurs,

deux célèbres Autrefois,

on ne ont

les

disent-ils, îles

elles

nous

même

fait

de Délos en sont

mer

les

les

marques.

recouvrait,

à émerger peu à peu et à se montrer, tandis la

a été conservé

étendue

et

étaient submergées, la

temps

au sujet de ces ont

de Rhodes

mer elle-même

voyait pas; puis, au bout d'un certain temps, elles

commencé

qu'en

la

et

corps avec

s'abaissait

graduellement; ce

en d'antiques histoires qui ont

On

îles

la

mer

mer le

fait

été écrites

que des golfes de grande profonde se sont desséchés et

dit aussi

était très

continent; des terres qui étaient submer-

gées se sont montrées à découvert; ces terres présentaient des


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

2 88

comme on

régions riches et nullement stériles,

l'a

reconnu

lorsqu'on a entrepris de les ensemencer et d'y planter des arbres. Ces terres, d'ailleurs, portent des

qui

les

marques de

en

marines délaissées à

sec,

par des graviers, des coquilles

effet,

<n)*{i.sia

tyjç

du genre de

et divers autres objets

ceux que la mer rejette habituellement en

ses tempêtes.

TraAataç èvaTïoXsXsTtpO;.'. 9aXaTT«<7c<*)ç ùr oïozq te t

osa ô'J-otoTpc-a Kpbq aiyt^Xpuç eftoBev à-sêpàTiscrOa'.

•/.al

mer

recouvrait autrefois et qui s'est maintenant retirée;

celle-ci se reconnaît,

Oïç

la

1 .

/.i^yy.z

ylx\

»

Laissons de côté les deux derniers arguments discutés par

Théophraste

et,

avant d'aborder la réfutation donnée par ce

un moment

philosophe, arrêtons-nous

passages que nous venons de Il

est à

à l'examen des

deux

citer.

peine besoin de signaler l'importance des renseigne-

ments que

le

second argument nous apporte; avant

le

temps de

Théophraste, on avait compris l'origine marine des coquilles

que renferment certaines pierres et certaines roches on y avait trouvé la preuve que les lieux où ces coquilles se ren;

contrent avaient autrefois formé

le

fond de

la

mer.

Le premier argument mérite également d'être remarqué. En premier lieu, il met nettement en évidence l'importance

phénomènes d'érosion dus aux eaux pluviales. En second lieu, il insiste sur le fait que ces érosions tendent

des

sans cesse à ramener la surface de la terre à sa forme d'équilibre,

c'est-à-dire,

comme

l'a

enseigné Aristote, à la figure

d'une sphère concentrique au Monde. Si existé, cette tendance, agissant

temps

infini, aurait atteint

forme d'une sphère

dans

le

son but;

parfaite;

les

la terre avait

même la

toujours

sens depuis

un

terre aurait pris la

irrégularités

que présente

encore sa surface attestent donc qu'elle n'a duré que pendant

un temps

limité.

Cette preuve de la durée limitée de la terre, fondée sur le

sens invariable de certaines actions qui s'exercent à sa surface,

analogue de tout point à un argument qui a eu grande vogue de nos jours, et qui prouve que le Monde a du n'est-ellc pas

i.

Paris,

Le texte grec est extrait de

Ambroise Firniin-Didot,

1

Theophrasti Eresii Opéra, quœ sapersunt, omnui

:

85G

;

pp. &ai-4aa.

;


LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE

commencer

et

devra

parce que chacun des phénomènes

finir

qui s'y produisent en

l'entropie?

fait croître

Des deux arguments en faveur de

nous venons de

citer,

289

du Monde que

la création

d'après Théophraste,

en

il

est

un, celui

qui invoque la continuelle formation de nouveaux continents,

où nous reconnaissons déclarait ridicule.

ou

Nous

serait-il

possible de connaître l'auteur

alors quels sages, dès avant le

temps d'Aristote, attribuaient

fossiles leur origine véritable. Or, ces auteurs,

babilité.

Lorsque Alexandre d'Aphrodisie commente

chapitre du second livre des Météores,

il

Quelques physiciens prétendent que

de l'eau primordiale.

entoure

En

effet,

écrit la

mer

à l'époque

partie de l'eau

les

demeura aux

c'est cette partie

la

qui reste

région qui

en vapeurs par

vents naquirent de

là...

Mais une

lieux les plus creux de la terre

qui est aujourd'hui la mer. Aussi la

mer

sorte

qu'un temps viendra enfin où

sec.

Théophraste rapporte qu'Anaximandre

C'est

premier

l'eau, les parties

la

mer

;

con-

peu à peu, en

tinue-t-elle à décroître, car le Soleil la dessèche

soutenu

le

est ce

occupée par

la terre était tout entière

puissance du Soleil, et

est

:

superficielles de cette eau furent transformées la

nous

il

noms, au moins avec quelque pro-

possible d'en indiquer les

«

ses Météores,

auteurs qui soutenaient cette théorie? Nous saurions

les

aux

en

la théorie qu'Aristote,

sera entièrement à

Diogène ont

et

cette opinion, »

donc à Anaximandre

moins, à l'un d'entre eux,

le

Diogène d'Apollonie ou, du

qu'il faudrait attribuer cette

Les fossiles témoignent que

formé autrefois

et à

fond de

la

les terres

où on

les

pensée

:

trouve ont

mer.

Aux deux arguments que nous venons de

rapporter, le livre

du pseudo-Philon oppose des répliques qu'il emprunte, sans doute, comme les arguments eux-mêmes, à Théophraste.

A

la

par

les

raison tirée de la continuelle érosion des lieux élevés

eaux pluviales, l'auteur objecte une théorie de

mation des montagnes «

1.

:

L'élément igné que

même,

la

terre

renferme

et

cache en

elle-

entraîné par la force naturelle du feu qui cherche son

Philonis Liber de Mundo, éd. P.

la for-

x

DUHEM.

cit., foll.

4i-4a. 1()


ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

2(jO

meut

lieu propre, se

vers le haut...;

emporte avec

il

une

lui

grande quantité de l'élément terrestre il se fraye la voie la plus courte possible, tandis qu'en même temps la terre semble ;

de suivre

faire éruption. Ainsi l'élément terrestre, contraint

l'élément igné qui teur,

même

en

éruption, s'élève à une très grande hau-

fait

temps

en une pointe acérée, à l'imitation de

finir

en plus, pour

qu'il se resserre de plus la

nature ignée.

»

montagnes d'origine ignée, deux tendances contraires combattent sans cesse la légèreté du feu qui demeure mêlé

En se

ces

;

à la terre tend à soulever sans cesse le

déjà produite

au contraire,

;

sommet de l'éminence

lourdeur des matières terrestres

la

tend à ramener cette éminence au niveau général du sol

deux forces opposées,

l'équilibre de ces

demeure toujours

à la

même

hauteur.

la «

cime de

ne saurait s'en étonner, puisque

montagne

la

Les torrents que

montagnes

pluies engendrent ne détruisent donc pas les l'on

par

;

la force

les ;

et

qui les maintient,

qui est aussi la force qui les soulève, se trouve impliquée en

elles-mêmes de

la

manière

la plus

constante et

la

plus puis-

sante. Si le lien qui en resserre les parties venait à se il

rompre,

est certain qu'elles se désagrégeraient et se dissémineraient

au sein des eaux sance du feu,

mais actuellement, cimentées par

;

la puis-

opposent une opiniâtre résistance aux

elles

chutes continuelles des eaux. »

La nature des montagnes

arbres.

A

est toute

reverdissent; de

ils

certaines parties des

montagnes

montagnes

tour à tour,

s'écroulent, d'autres prennent

du Monde avaient montré que soumises à une action, Gelle de l'érosion,

la création

étaient

toujours orientée dans toute

même,

»

Les partisans de les

des

celle

certaines époques, les arbres perdent leurs feuilles;

à d'autres époques,

naissance.

semblable à

éminence

;

le

même

sens, tendant toujours à aplanir

à l'action incessante d'une force de tendance

invariable, ïhéophraste

reproduit l'opinion

1

ou

les

auteurs dont

le

pseudo-Philon

substituent la lutte et le triomphe alter-

i. Le pseudo-Philon dit, en effet, à propos de cette théorie plutonienne de la formation des montagnes « Ce que nous allons dire n'est ni nôtre, ni nouveau c'est :

l'invention des anciens,

tout ce qu'ils regardaient

;

d'hommes

comme

fort sages qui ont discuté

nécessaire à la Science. »

eux-mêmes avec

soin


LÉONARD DE natif de

ET LES ORIGINES DE LA GEOLOGIE

VINCI

deux forces opposées, l'éruption ignée

29

1

et l'érosion

aqueuse. C'est d'une

manière analogue que Théophraste, développant

ce qu'avait dit Aristote, réfute le second tisans de la création.

autrefois

argument des par-

ne nie point l'émersion de terres

Il

immergées, mais

refuse d'y voir la preuve d'un

il

incessant décaissement de la mer. Tandis que certaines terres surgissent au sein des

d'autres s'enfoncent en la

flots,

disparaissent; la Sicile, autrefois, était unie à

Péloponèse, trois

abîmées dans

villes, /Egire,

les flots

;

Bure

l'Italie;

le Timée,

l'Atlantide fut engloutie en

une

diminution continuelle de

mer ne peut donc

la fin

du Monde

;

s'il

nuit.

de certains parages,

il

sont les discussions

cours avant

le

temps d'Aristote

du

près

«

L'argument

effet,

comment tiré

de

la

servir à prouver

que

la

mer

se retire

qu'en d'autres lieux

est certain

s'avance et submerge les terres. Telles

en

est véritable,

et

et Hélice, se sont, dit-on,

Platon a conté, dans

la

mer

elle

»

géologiques qui avaient déjà et

de Théophraste.

III

Hérodote et Strabon. Le témoignage de Théophraste, conservé par le pseudoPhilon, nous a prouvé que, bien avant Aristote, on avait

remarqué

l'existence de coquilles

dans

les

roches terrestres

une antique présence de la mer aux lieux maintenant asséchés. Anaximandre et Diogène d'Apollonie nous sont apparus comme ayant émis semblable

et

que l'on en avait conclu

à

opinion.

Hérodote se place, dans et Aristote. Or,

en

Egypte,

Hérodote

observé

témoignage que

la

temps, entre Diogène d'Apollonie

a, lui aussi,

des

mer

le

coquilles

au cours de ses voyages fossiles;

il

y a vu

le

recouvrait autrefois les terrains où

ces coquilles se rencontrent aujourd'hui.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

292

«Au-dessus de Memphis, deux chaînes de montagnes

((l'intervalle entre les

dit-il 1 ,

est

visiblement à mes yeux un

comme les terres

ancien golfe de la mer,

Éphèse, ou

»

qui entourent Ilion et

comme la plaine du Méandre; aucun

des fleuves qui

ont déposé ces dernières alluvions n'est comparable au

Nil...

y a encore des fleuves beaucoup moins considérables que le Nil dont le travail est apparent; je ne citerai que l'Achéloùs qui, Il

se jetant

dans

mer

la

réuni au continent l'origine, l'Egypte a

des Échinades (golfe de Patras), a déjà

moitié de ces

la

pu être un golfe de

îles...

Je pense que, dans

ce genre, portant jusqu'en

Ethiopie les eaux de la Méditerranée... J'en

ai

pour preuve

les

coquillages qui se trouvent dans les montagnes, la saumure

partout efflorescente, ...

comme du

limon,

le sol

de l'Egypte qui est noir

comme une

alluvion entraînée de l'Ethiopie

par ce fleuve, tandis qu'à notre connaissance,

Lybie

est plus

et friable

le

sol de la

rouge, plus sablonneux, et celui de l'Arabie et

de la Syrie plus argileux, plus caillouteux.

»

Hérodote ne suppose pas, avec Anaximandre d'Apollonie que

le

niveau de

la

mer

s'abaisse

et

Diogène

constamment;

admet seulement que certains rivages s'avancent sans cesse, grâce aux alluvions des cours d'eau, et les exemples qu'il en donne mettent hors de doute son talent d'observateur; il est, toutefois, un fait qu'il a lui-même observé et dont ses explicail

tions

ne rendent pas compte; ce

coquilles

fossiles

hauteur dans

les

fait,

c'est la

présence de

au sein de roches situées à une grande

montagnes.

L'explication de ce

fait

continua, après Aristote, de

solli-

vivement l'attention des physiologues hellènes; nous avons vu ïhéophraste, successeur immédiat du Stagirite,

citer

discuter les opinions géologiques des anciens. Le témoignage

de Strabon va nous montrer Slraton de Lampsaque

et

Érato-

sthène occupés de semblables discussions; ce témoignage nous

apprendra également qu'un historien plus ancien qu'Hérodote,

Xanthus à celles i.

La

le

que

Lydien, avait déjà le

fait

des observations analogues

Père de l'Histoire a rapportées.

Hérodote, Histoire,

11,

10.

Nous empruntons

Science géologique, Paris, 1905, p. 45.

la

traduction à M.

L.

De Launay,


LÉONARD DE MNC1 ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE Voici «

comment s'exprime Strabon

2g3

1 :

Ératosthène déclare qu'il est surtout une observation qui

pose une grave question

Gomment

:

qui se trouvent au milieu des terres

qu'en des lieux

se peut-il

que deux ou

et

trois mille

on rencontre en maint endroit une d'huîtres et de chéramydes, de même que

stades séparent de la mer, foule de coquilles,

des lacs stagnants dont l'eau est salée. Ainsi,

du temple d'Ammon,

autour

dit-il,

qui y conduit, laquelle est longue de trois mille stades, on rencontre

au voisinage de

et

on y trouve des exhalaisons marines montent du

une grande quantité d'huîtres éparses sur aussi

beaucoup de

sel;

route

la

le sol;

on y montre des épaves de navires qui ont été brisés en mer; on raconte que ces épaves ont été apportées et rejetées sol;

par »

le

mouvement de

Cela

Straton »

la mer...

Ératosthène approuve l'opinion du physicien

dit,

et, aussi, l'avis

de Xanthus de Lydie.

Xanthus avait rapporté qu'une grande sécheresse

produite au temps d'A^rtaxerxès

été desséchés, les puits avaient tari et là,

avaient

les lacs et les fleuves

;

il

;

avait observé alors çà

de la mer, des pierres qui reproduisaient

fort loin

forme de coquillages, de peignes ou de chéramydes; également observé un lac salé en Arménie Phrygie inférieure; par ces raisons,

il

et

un

il

la

avait

autre en la

avait été persuadé

que

une mer.

ces divers pays étaient autrefois »

s'était

Straton s'efforce de se rapprocher davantage de la cause

qui explique ces

faits. Il

privé de ce

était

suppose qu'autrefois,

débouché qui

auprès de Byzance;

mais par

la

lui

est

le

Pont Euxin

maintenant ouvert

puissance des fleuves qui ouvert, et l'eau

du Pont

dans

l'Helles-

tombent en

cette

Euxin a pu

faire irruption

dans

la

Propontide

même

pour

la

Méditerranée; cette

pont.

Il

en a

été

mer, ce détroit de

trouvant remplie par

s'est

les fleuves, a fini

et

par s'ouvrir

le

mer

se

débouché

des colonnes d'Hercule; l'eau de la Méditerranée se répandant

dans l'Océan, asséchés... i.

Il

des lieux autrefois

Strabon, Géographie,

a été signalée par

que

se peut

M.

L.

1.

I,

le

c. III,

De Launay, La

§

temple k-

marécageux sont trouvés

d'Ammon

ait été autrefois

L'importance de ce passage de Strabon

Science géologique, p. 5o.


études sur Léonard de vinci

294

en mer la

que l'écoulement de

et

sorte,

au milieu des

laissé

l'ait

autrefois sous

les

avoisinent Péluse,

le sol,

sable rempli de coquilles.

mer;

en Egypte,

nomme

la

Ce pays

qui avoisinent

les lieux

L'Egypte

terres...

a été

la

de l'eau saumâtre, on trouve que

la

produit de

s'est

mer jusqu'aux marécages qui jusqu'au mont Gasius et au lac Sirbonis. En eaux de

lorsque l'on creuse

effet,

mer, qui

la

le

se

tranchée est formée d'un était autrefois

mont Casius

Gerrha étaient occupés par des marais qui

en communication avec

Mer Rouge; plus

la

rencontre

couvert par et

que Ton

les

mettaient

tard, la

mer

s'étant retirée, ces lieux se sont trouvés découverts, et le lac

Sirbonis est seul demeuré; plus tard encore, l'eau de ce lac s'est

échappée à son tour en rompant

formé en marais. De même,

ses digues, et le lac s'est trans-

les rivages

mer qu'aux

blent plus aux côtes de la

du

lac

Mœris ressem-

rives d'un fleuve.

»

Les coquilles fossiles marquent que certaines terres ont été

mer; pour expliquer ce fait, Straton de Lampsaque invoque un abaissement du niveau

autrefois

de la mer; soit,

l'ont

un changement

pensé Anaximandre

incessant

l'élément de l'eau; telle

ou

il

telle

mer moins

D'ailleurs,

et

Diogène d'Apollonie,

dû à une destruction graduelle de

y voit un phénomène accidentel; le mer s'est abaissé par suite de l'ouver-

ture d'un déversoir qui

autre

la

ne pense pas, cependant, que cet abaissement

il

comme

niveau de

par

recouvertes

l'a

mise en communication avec une

élevée.

l'ouverture des détroits qui font

communiquer

entre elles les diverses mers ne suffit pas à assurer leur égal

niveau. Le fond de

la

mer va constamment en

du Pont Euxin aux colonnes d'Hercule; la surface,

il

en

est

de

en sorte qu'un courant continu entraîne

du Pont Euxin

et

de

la

1 ;

est la

les

Straton de

saque partage sur ce point l'opinion du Stagirite

Le Pont Euxin

même

de

eaux

Méditerranée vers l'Océan. Aristote

avait déjà enseigné qu'il en était ainsi

«

s'abaissant,

moins profonde de

Lamp-

:

toutes les mers,

tandis que les mers de Crète, de Sicile et de Sardaigne sont les i.

Études sur Léonard de Vinci: V. Thémon

(première

série, p. i83).

le fils

du Juif

et

Léonard de

Vinci,

S

IV


LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE

En

plus profondes.

fleuves les plus

effet, les

plus grands sont ceux qui viennent

limon comble peu à peu

mers demeurent profondes; aussi douce,

très

mer

Lampsaque pense que accumulée;

si

la

direc-

est incliné. Straton

de

se maintient,

gauche (occidentale) du Pont où se celle que les marins nomment Stethe, le

désert des Scythes, sont conver-

»

que Straton de Lampsaque accorde l'alluvion une importance au moins égale

voit par ces citations

aux

dait

est-elle

déjà, la partie

en marais.

On

du Pont Euxin

cet afflux des fleuves

qui avoisine Histrum et

ties

les autres

par être entièrement comblé de terre

finira

trouve Salmydesse, et et

et les

l'Est; leur

un constant écoulement dans

et se fait-il

Pont Euxin

du Nord ou de

l'eau

tion selon laquelle le fond de la

le

nombreux

Pont Euxin, tandis que

le

2q5

à celle

effets

que leur

attribuait Hérodote.

Ces différences de niveau entre

lement constant des mers

les

les

mers diverses,

unes vers

les

cet écou-

autres,

cette

accumulation des dépôts d'alluvion, capables d'accroître

les

continents, n'ont, à vrai dire, qu'un rapport fort éloigné avec les

à

causes capables d'expliquer l'existence des coquilles fossiles

une certaine hauteur; parmi

Straton,

il

hypothèses que développe

n'en est qu'une qui puisse fournir cette explication;

c'est celle qu'il a

certaines

les

donnée en premier

lieu, celle selon laquelle

mers avaient autrefois un niveau plus élevé

qu'elles

n'ont aujourd'hui.

Contre Straton de Lampsaque qui a émis de

telles

hypo-

thèses, contre Ératosthène qui les a adoptées, Strabon déve-

loppe

1

une pressante argumentation.

reproche à Straton de s'imaginer que

Il

fleuves ait lieu

les

aussi

écoulement des parties Il

ne croit pas que

mer.

«

mer;

la

la

plus élevées vers les plus basses

les fleuves

présentent Strabon,

un mouvement loc. cit., S

5 à

§

20.

ait ».

puissent combler la

apportent ne s'avance pas en

cause en est que la mer, par ferme.

qui a lieu pour

mer, en sorte qu'il y

les terres d'alluvion

La terre que

la rejette sur le sol

i.

les

pour

« ce

un

De même, en

flux

en sens contraire,

effet,

que

les

animaux

alternatif et continuel d'inspiration


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

2Çj6

même

mer éprouve

sans aucune trêve

et d'expiration,

de

un mouvement

d'oscillation qui la fait rentrer en elle-même,

la

puis sortir d'elle-même. Celui qui se tient à la limite

de la plage que baigne

la partie

ses pieds sont recouverts

nouveau,

verts de

en formant des

moment où

de

suite.

sur

C'est par

mécanisme que

En

le

calme

rejeter à terre les corps étrangers. » la

mer

refoule

les

les fleuves.

Strabon repousse toutes

Lampsaque

afin de leur substituer celle qu'il croit vraie

tables, lesquelles sont fort

La cause principale

fausses.

de Straton de

les explications

peut objecter à Straton qu'il a laissé de côté

niveau entre

le

les

Mais

si

lieux

ou

le

la

qu'il

invoque

fond d'une mer intérieure

mer

s'élève

ou

s'abaisse,

délaisse, cela

si elle les

fond de certaines mers

inonde

les

rentre en son

que

le

On

causes véri-

si

de

et le

fond de

la

mer

deux mers.

recouvre certains

elle

ne provient nullement de ce

est plus

tantôt se soulève et tantôt s'abaisse

même

«

est la différence

haut ou plus bas que

fond d'autres mers; cela provient de ce qu'un s'abaisse en

:

nombreuses, pour en proposer de

extérieure, et la différence de profondeur entre ces

elle

alluvions

ces passages, et en bien d'autres qu'il serait trop long de

citer,

que

Au

est parfait.

une plus grande

a

le rivage, elle

permet de

amenées par

;

L'onde, d'ailleurs, s'avance

lorsque

force qui lui

ce

mer peut sentir ce mouvement

la

même

elle se brise

de

par Teau, puis découverts, puis recou-

et ainsi

flots,

même

temps que ce fond

mer

la

;

;

même

le

fond

alors s'élève

ou

lorsqu'elle est soulevée,

régions riveraines; lorsqu'elle s'abaisse, elle

lit.

S'il

n'en était pas ainsi,

il

faudrait admettre

dû à un accroissearrive en la marée montante

débordement des eaux marines

est

ment subit de la mer, ainsi qu'il ou par la crue des fleuves; dans le premier port des eaux d'une région à une autre; dans y a accroissement de leur masse. Mais se produisent pas

les

fort

longtemps;

le

il

y a trans-

second cas,

il

crues des fleuves ne

subitement, ni toutes à

montante ne dure pas

cas,

la fois;

elle est

certain ordre, elle ne se produit pas en la

la

marée

soumise à un

mer Méditerranée,

donc que nous attribuions la cause du phénomène en question au sol, soit au sol que le débordement ni en tout lieu.

11

reste


LEONARD DE VINCI ET LES OIUG1NES DE LA GÉOLOGIE

297

vient recouvrir, soit au sol qui forme le fond de la mer, mais

de préférence à ce dernier. En

qui forme

la

A

est

Afin que l'on trouve moins étonnants et moins

«

:

fond

exemples

l'appui de cette hypothèse, Strabon cite des

fameux

le

à son humidité,

beaucoup plus mobile et, grâce peut changer beaucoup plus rapidement. »

de il

mer

effet, le sol

incroyables ces changements du fond de la

prétendons être

la

cause des déluges

mer que nous

des autres désastres

et

analogues, de ceux par exemple qui se sont produits en Sicile,

dans

les îles

pouvons

Éoliennes

et

dans

citer d'autres faits

l'île

de Pithécuse (Ischia), nous

semblables qui ont eu lieu ou qui

ont lieu en divers autres endroits. En

lorsque de

effet,

exemples sont placés tous ensemble sous nos yeux, disparaître

produira

si

de Théra

et

notre

premier

étonnement...

l'on se souvient de ce qui s'est passé

de Thérasia,

îles

situées

dans

sépare la Crète de la côte Cyrénaïque...

Théra

et

ce

C'est

le

font

qui

se

au voisinage

bras de

En un

ils

tels

mer qui

lieu situé entre

Thérasia, des flammes sont sorties de la

mer pendant

une durée de quatre jours, en sorte que la mer entière était bouillante et brûlante; peu à peu, ces flammes firent émerger une île de douze stades de tour, que l'on eût dit soulevée par des instruments et composée de masses diverses.

»

Les éruptions sous-marines de ce genre sont déluges par lesquels les eaux de

tanément certains pays;

les

la

causes de

mer recouvrent momen-

tremblements de terre déterminent

des inondations analogues. Strabon, sur l'autorité de Démoclès, cite

un tremblement de

mergée par la et

la

terre

au cours duquel Troie

mer; pendant un voyage

qu'il

fît

fut sub-

à Alexandrie,

mer envahit de même la région qui se trouve entre Péluse le mont Casius, au point qu'entouré par les eaux, ce mont

était

devenu semblable

à

une

île et

que

la

route qui conduit

du mont Casius en Phénicie était devenue navigable. Il semble donc que Strabon, comme Straton de Lampsaque, voie

dans

montagnes, niveau.

la la

présence des coquilles fossiles aux flancs des

preuve que

la

mer

a subi des

changements de

Mais Straton pense que l'ouverture d'un déversoir

a fait écouler l'eau

d'une certaine mer en une mer plus basse,


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

2()<S

en sorte que

la

première de ces deux mers a délaissé

les

longtemps recouvertes avec les coquilles qui y avaient vécues. Pour Strabon, au contraire, un soulèvement subit du fond de quelque mer a provoqué une inon-

terres qu'elle avait

dation soudaine, analogue à une marée montante, une sorte

de ras de marée, qu'il

nomme

volontiers

qui s'avançait en submergeant les terres

un déluge; l'onde a pu y amener des

coquilles et d'autres débris d'origine marine; mais ces fossiles

sont des épaves apportées, puis délaissées par l'inondation

diluvienne; ce ne sont pas les restes d'êtres qui ont vécu là

l'on trouve aujourd'hui leurs

débris. Bien qu'ils n'aient

formulé à cet égard aucune proposition explicite, Straton de

Lampsaque

et

très différente

Strabon attribuaient visiblement une origine

aux coquilles

qu'ils avaient

pu découvrir dans

des terrains fort éloignés de la mer. L'histoire de

la

Géologie

humain perpétuellement

primitive va nous montrer l'esprit

deux hypothèses, l'une selon laquelle les demeurent aux lieux où ont vécu les mollus-

hésitant entre ces coquilles fossiles

ques qui

les portaient; l'autre, selon laquelle ces coquilles

été charriées

On latins,

ont

par des inondations temporaires.

a relevé, en effet, dans les écrits des auteurs grecs et

mainte allusion aux coquilles

fossiles.

L'une des plus

intéressantes se rencontre aux Métamorphoses d'Ovide.

Le poète, au

XV

e

met dans

livre de son chef-d'œuvre,

bouche de Pythagore

des changements incessants dont

le récit

le

Monde

où s'étendait autrefois

est le théâtre

J'ai

«

:

la

vu

le sol le

qui étaient sorties du sein des

mer,

la

dit le

plus ferme;

flots;

j'ai

bien loin de

Philosophe,

vu des la

mer

terres

gisent

des coquilles marines, et une ancre antique a été trouvée au

sommet d'une montagne

;

où s'étendait une plaine,

cours des eaux a tracé une vallée, tandis que des torrents aplanissait la «

Vidi ego,

quod

Esse fretum

;

montagne

fuerat

ruissellement

:

quondam

vidi factas ex

le

solidissima tellus.

œquore

le

terras;

Et procul a pelago conclue jacuere marins Et vêtus inventa est in montibus anchora summis Quodque fuit campus, vallem decursus aquarum Fecit, ut eluvie nions est deducLus in œquor. » ;

;


LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE Toutefois,

l'alternance au

si

même

lieu de la

ferme a préoccupé à maintes reprises

terre

en particulier,

les

commentateurs

les

d'Aristote,

mer

299 et

de

philosophes

ils

la et,

n'ont pas tous

vu, dans l'existence des fossiles, une preuve péremptoire de

submersion des continents.

l'antique

parfois, de ruiner cette

preuve en

lui

se

Ils

sont efforcés,

opposant des raisons qui

nous semblent puériles. Olympiodore, par exemple, ne veut pas

que

la basse

Egypte

recouverts par la mer;

marais que asséchés.

«

les

Nil avaient été autrefois

y veut voir seulement d'antiques alluvions du fleuve ont peu à peu comblés et

Sans doute,

ajoute-t-il, «

»

mais

;

nécessairement que l'Egypte

On

accorder à Aristote

il

des tests de coquillages

mer.

du

delta

et le

1

trouve, en

on trouve en

cette raison

ait été autrefois

par

l'effet

de vents

long des plages de

la

mer

et les

la

sommet

mer; peut-être ont enlevées

le

ont projetées jusqu'aux plus

»

Cette malencontreuse supposition semble-t-il,

recouverte par la

très violents qui les

hautes cimes des montagnes.

trouvé,

ne démontre pas

de ces sortes de coquilles au

effet,

de très hautes montagnes fort éloignées de est-ce

cet endroit

beaucoup de

d'Olympiodore n'a pas

crédit; les livres d'origine

arabe que nous allons analyser expriment, au sujet des coquilles fossiles,

de plus justes idées.

IY Le livre Des propriétés des éléments faussement attribué a Aristote.

L'apocryphe

traité

Du Monde,

attribué à Philon le Juif,

nous

a fait connaître les discussions géologiques qui avaient cours

parmi

les

anciens physiologues grecs. Nous allons voir ces

discussions se poursuivre en

un

autre apocryphe célèbre. Nous

1. Olympiodori philosophi Alexandrini In meteora Âristotelis commenlarii. Joannis Grammatici Philoponi Sckolia in I meteorum Aristotelis. .Toanne Baptista Camotio philosopho interprète. Venetiis, apud Aldi filios, MDLI fol. 3i, recto. ;


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

300

Moyen-Age connaissait sous De démentis, De proprie tatibus elementorum, De

voulons parler de l'ouvrage que ces divers titres

:

le

naturis rerum, etc., et qu'il croyait être d'Aristote. Cependant, l'origine arabe de cet

nul ne doute, mentis ne soit et qu'ils

Stagirite

ouvrage

depuis bien longtemps, que

et

un de

à

De

le traité

ele-

ces ouvrages que les Arabes composaient

pour leur donner plus

attribuaient,

ou

chaque instant;

se trahissait à

quelque

philosophe grec

illustre

Le pseudo-Aristote connaît

les

au

d'autorité,

l .

théories géologiques dont,

bien avant Théophraste, les partisans de la durée limitée du

Monde a

tiraient

Certains

argument

hommes,

;

admet point. parmi ceux qui ont composé mer a changé de place à la

ces théories,

» dit-il

2 ,

«

des discours, prétendent que la

ne

il

les

surface de la sphère terrestre, et qu'il n'est sur la terre

aucun

lieu qui n'ait été autrefois sous les eaux. Ils fondent leur avis

sur

les traces (ex

collines et à la

prœssionibus

(?))

que Ton voit au sommet des

cime des montagnes. Un de ces

qu'en creusant un puits, lorsqu'il arriva à il

trouva une argile compacte

fut

dure

;

il

raconte

couche argileuse,

continua à creuser

y découvrit un gouvernail de navire. Par assuré que la mer avait été autrefois en cet endroit,

cette argile, et il

et

la

hommes

il

change de place

qu'elle

longues périodes.

lentement

pseudo-Aristote, ;

le

il

et

pendant de

et

très

»

changement de place de

Si ce

astrale

très

là,

serait

retour de la

la

mer

était réel, déclare le

sûrement déterminé par quelque action

mer au même

lieu serait

donc un

effet

périodique, et sa période serait égale à celle de quelqu'un des

phénomènes astronomiques or, il n'est dans les cieux mouvement si lent qui n'entraînât pour la mer des déplacements ;

beaucoup trop rapides au gré de

l'histoire; la plus

lente des

révolutions célestes est celle de la sphère étoilée qui, selon

Hipparque

et

Ptolémée, s'accomplit en 36ooo ans;

cement des eaux de

la

mer

si le

dépla-

suivait cette révolution, ces eaux

i. Nous citons cet apocryphe d'après l'édition des Opéra Aristotclis qui porte ce colophon Imprœssum (sic) est praesens opus Venetiis per Gregorium de Gregoriis expensis Benedicti Fontanœ Anno salutifere incarnationis Doraini nostri MCCCCXCN I. Die vero XIII Julii. :

2.

Aristotclis Liber de proprietatibus elementorum, fol. 400

(marqué

300), verso.


LÉONARD DE

DE LA GÉOLOGIE

VINCI ET LES ORIGINES

3oi

s'avanceraient, à la surface de la terre, d'un degré par siècle; or, l'histoire

nous apprend qu'une foule de

cités se trouvent,

depuis une longue suite de siècles, toujours à

de

Ce que nous avons

tement

pleinement

et

changé de place à

en ce

dit

la théorie selon laquelle

la surface

Certains philosophes,

tendent que la terre, au

tement ronde

et qu'il

de la terre

ne

de

la terre

mer

la

l'erreur de

aurait

ceux qui

»

poursuit

moment

le

pseudo-Aristote

de sa formation,

l

«

,

pré-

était parfai-

s'y rencontrait ni vallée ni

montagne;

comme

celle des

montagnes que nous voyons n'ont pas d'autre cause que l'action des

corps célestes. Ces vallées à la surface

»

;

exactement sphérique

sa figure était alors

donc manifes-

traité détruit

ont admis cet avis est en évidence. «

distance

mer.

la «

même

la

et ces

eaux. Les eaux ont creusé les parties de la terre qui étaient les

moins compactes, et ainsi se sont formées les montagnes; ces régions peu compactes, une fois creusées, sont devenues les lieux des mers. »

Je dis que ceux qui tiennent ce discours et admettent cette

théorie en viennent à partager l'avis de ceux qui croient au

mers à la surface du globe. Or, au commencement de ce livre, nous avons riposté au discours

changement de de ces derniers

la position des

et ruiné leur

opinion à

l'aide

de démonstrations

manifestes. Revenons, cependant, à ceux qui tiennent

un

tel

discours »

Supposons qu'au début

tement sphérique

et

parfaitement

contré ni vallée ni montagne

et

forme

;

il

lisse,

un corps

qu'il

ne

;

que

celle ci la revêtit

parfai-

s'y soit ren-

était alors nécessaire

que

d'une couche d'épaisseur uni-

dès lors, l'eau qui tombait en pluie du haut de

tombait à

la surface

cette pluie

la

masse des

terrestre fût entièrement recouverte par la

masse eaux

la terre ait été

de la couche d'eau qui recouvrait

ne pouvait donc aucunement creuser

l'air,

la terre

;

»

le sol.

Invoquera-t-on l'action du vent, qui eût agité cette couche d'eau dont la terre était recouverte

eau eussent alors pu déniveler i.

?

le

Les

mouvements de

sol qu'elle

Aristotelis Liber de proprietatibus elemenlorum, fol. /iôg

cette

submergeait.

(marqué

36g), recto.


.

.

ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

302 «

Mais

vent n'est qu'une vapeur émise par

le

la terre

ne pouvait donc y avoir de vent alors que

il

mer recouvraient

sèche;

eaux de

les

»

la

toute la terre

Ainsi se trouve réfutée l'opinion de ceux qui voulaient que

que

les

l'origine,

à

la terre,

ne présentât ni vallée ni montagne,

eaux eussent sculpté toutes

les inégalités

du

et

sol.

L'auteur du Liber de démentis a réfuté la théorie purement

neptunienne de celles-ci,

traité

petit

le

formation des montagnes

;

à l'origine

donc placer une cause plutonienne;

faut

il

que fera

la

de

c'est ce

dont nous allons maintenant nous

occuper.

Le Traité des minéraux attribué a Avicenne Aristote

avait-il

écrit

un

Des minéraux? C'est une

traité

question que l'on a agitée de tout temps, sans la résoudre.

A

de

la suite

la

paraphrase qu'il a composée sur

Grand

donné un

les

Météores

De mineralibus Au premier chapitre de ce traité il mentionne les écrits, venus à sa connaissance, où il était parlé des minéraux; en ce « Nous n'avons pas vu chapitre, il s'exprime en ces termes les livres d' Aristote sur ce sujet; nous n'en avons vu que des

du

Stagirite, Albert le

a

traité

1

,

:

Ce qu'Avicenne a dit au troisième chapitre du premier livre qu'il a composé sur ces questions est loin

extraits partiels.

d'être suffisant.

»

Grand connaissait donc un ouvrage, Avicenne, dont un chapitre traitait des minéraux, Albert

le

usage de cet

écrit, tout

Est-il possible

en

contient

comme

2 ,

i.

tract. •2.

p.

la trace

(latin)

il

a fait

de

de cet écrit

la

d' Avicenne?

Bibliothèque Nationale

dernier chapitre du livre IV des Météores

un paragraphe,

d'Aristote,

et

complétant.

le

de retrouver

Le manuscrit de i6i42

attribué à

intitulé

De

Mineris,

la

main

Alberti Magni, Ratisponensis episcopi, De mineralibus liber primus, De quo est intciitio et quae divisio, modus et dicendoruin onlo. F. de Mély, Le lapidaire d" Aristote (lievue des Études grecques, t. VII, i>s <)'i, Beati

I,

18.).

cap.

I

:


3o3

LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GEOLOGIE

d'un auteur arabe se trahit à chaque instant.

Il

est facile

de

voir que ce paragraphe fait partie de l'ouvrage qu'Albert le

Grand

attribuait à Àvicenne.

Albert explique

former, «

il

faut

Si l'élément

que

sière

la terre

humide ne

parties terrestres,

tandis que la

comment, pour qu'une

1

s'il

terre se

soit collant et

terrestres

qui l'engendre soit mêlée d'eau

se trouvait pas bien infus

ne leur

était

coagule,

de terre discontinue.

pierre se puisse

Il

faut

il

adhérent,

s'il

les

s'évaporait

ne resterait qu'une pous-

donc que

cet

élément humide

visqueux, que ses parties enlacent

comme

parmi

:

se tiennent les maillons

les

parties

d'une chaîne. Alors

l'élément sec retient l'élément humide, tandis que la liqueur

humide, interposée aux parcelles de l'élément

cwn

sec,

en assure

quod terra pura lapis non fît quia continuationem terra non facit sua siccitate, sed potius comminutionem; vincens enim in ea siccitas non permittit fîeri conglutinationem. Rationem dicit idem philosophus quod aliquotiens desiccatur lutum, et fit

la continuité.

médium

Et hoc testatur Avicenna

dicit

inter lapidern et lutum, et deinde in spatio temporis

quod lutum aptius ad hoc quod transmutetur in lapidern est unctuosum; quod enim taie non est comminutivum, sive comminubile in pulverem, est propter facilem humiditatis separabilitatem ab eodem. » Or, au texte du xm e siècle publié par M. de Mély, nous lapis.

fît

lisons 2 «

Dicit iterum

:

Terra pura lapis non

fit,

quia continuationem non

facit,

enim siccitas, non permittit eam conglutinari. Fiunt autem lapides duobus modis aut conglutinatione, ut in quibus domina est terra; sed

discontinuationem.

Vincens in ea

:

aut congelatione, ut in quibus terra praedominatur. Aliquando

enim desiccatur lutum primum, et fît quoddam quod est médium inter lutum et lapidern, quod deinceps fit lapis. Lutum vero huic transmutationi aptius est viscosum, quoniam continuativum quod enim taie non est comminutivum erit. » ;

Le rapprochement de ces deux citations ne saurait i. 12.

Albert le Grand, Op. F. de Mély, Op. cit ,

cit., lib. I, tract. 1,

p.

18G.

cap.

Il

:

De materia lapidum.

laisser


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

3c4

place au doute; pour formuler notre conclusion,

il

n'est pas

même

besoin d'attendre un second rapprochement du

genre

que nous aurons occasion de faire plus loin; le texte édité par M. de Mély fait assurément partie de l'ouvrage qu'Albert

Grand

le

déclarait être d'Avicenne.

Roger Bacon attribue au chapitre en question une origine différente de celle que lui donne Albert le Grand. En ses

Communia naturalium

l

,

après

des principes de l'Alchimie, il

poursuit en ces termes

du passage

l'autorité

:

un passage où il a les noms d'Aristote

«

cité,

à propos

et d'Averroès,

Silence aux sots qui abusent de

qu'ils trouvent à la fin de la

première

traduction des Météores, bien que ce qu'ils soutiennent soit la

en cet endroit

vérité. Ils disent qu'il est écrit » fices

phrase

cette

Mais rien n'est de :

«

comme

elle

si

lui, à partir

Terra pura lapis non

Alveredo.

Au

«

Sciant arti-

Alkimise species rerum transmutari non posse,

donnent pitre

:

était

et ils

parole d'Aristote.

du commencement de

fit; »

»

ce cha-

tout cela a été ajouté par

»

cours du Moyen-Age,

sur la formation des

le petit traité

pierres continua d'être attribué tantôt à Aristote et tantôt à

Avicenne.

Un

certain dominicain,

de Robert,

un

traité

fils

De

les éditions

de Charles

du II

nom

d'Anjou, roi de Naples, a composé

essentiarum

essentiis

de Frère Thomas, chapelain

2 .

Les manuscrits, et

même

imprimées, ont parfois attribué cet opuscule à saint

Thomas d'Aquin. La méprise était Thomas débute par cette dédicace

grossière. L'écrit de Frère

:

Magnifico Principi ac Illustrissimo

«

primogenito Régis Hierusalem Calabriae ac in

Regno

Siciliae

et

Domino suo Roberto

Siciliae,

Dei gratia

Yicario generali, frater

Duci

Thomas

de ordine Praedicatorum, ejus capellanus, ejusque factura, reverentiam omni humilis devotionis obsequio. »

i.

i'oll. 2

Bacon Communia naturalium, Pars prima, dist. I, cap. II: De ordine scientiarum naturalium. (Bibliothèque Mazarine, M s. n° 3076, Emile Charles, Roger Bacon, sa vie, ses ouvrages, ses doctrines: Cf.

Fratris Rogeri

numéro

et

et 3.)

:

Paris, 1861, p. 372. 2. Nous le citons d'après l'exemplaire manuscrit loi.

kj4

r°,

dans

le

manuscrit

:

Lat.,

que

du loi. i5g r" au Bibliothèque Nationale.

l'on trouve,

nouv. acq., n* 1715 de

la


3o5

LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE

Quétif et Échard ont discuté cette dédicace

;

ont montré

ils

qu'elle ne pouvait avoir été écrite avant l'an 1296.

N'eût-on

comment

pas

argument chronologique indiscutable,

cet

oserait-on attribuer à saint

vu un

l'auteur affirme avoir

qui fut victime de Gain

Le

très naïf Frère

Bacon;

il

le

nomme

atque promptissimus

De la

Thomas

grand admirateur de Roger

est

Vir utique sapientissimus in scientiis, »

il

speculis comburenlibus,

Frère

dont

!

« ;

écrit

d'Alchimie editus par Abel

livre

Thomas :

Thomas un

cite

De

de

lui les traités

De

loco,

De

injluentiis,

sensu.

s'occupe de la nature des minéraux; étudiant

matière des pierres,

il

écrit

2

:

«

La matière de

la pierre est

ou moins mélangée d'une substance terrestre, selon la pureté de la pierre; cela est conforme à ce que dit Aristote à la fin du livre des Météores (d'autres disent que ce chapitre

l'eau, plus

est

d'Avicenne)

A

:

Terra pura lapis non

fit. »

l'époque de la Renaissance et dans les temps modernes,

le texte

en question a continué

d' Aristote, soit

Au

xv c

pour un

siècle,

traité

d'être pris soit

pour un

écrit

d'Avicenne.

comme un donne pour œuvre d'Aristote 3 Au

Alessandro Achillini

le

regarde

De mineralibus qu'il xvn siècle Manget l'attribue à Avicenne et le publie dans sa Bibliotheca chimica; il est imprimé également comme d'Avicenne dans le Gebri régis Arabum opéra.

traité

.

e

De nos jours, M. de Mély a pensé retrouver dans ce texte un fragment d'un écrit d'Aristote. Sans doute, il ne pouvait être question de regarder ce traité comme une œuvre authentique et non remaniée du Stagirite on y rapporte ce que les Arabes pensaient du fer au moyen duquel les Allemands :

fabriquaient leurs épées. Tout ce qui porte la trace manifeste

de l'influence arabe, tout ce qui se montre pénétré d'Alchimie, Quétif et Échard, Scriptores ordinis Prœdicatorum, t. I, p. 344, col. b, et p. 345, Thomas ab Aquino). 2. Tractatus fratris Thomœ de essentiis essentiarum. Tractatus sextus De mineris. Gap De matcria lapidis. Ms. cit., fol. 174, r°. 3. Aristotelis, philosophorum maximi, Secretum secretorum ad Alexandrum... Ejusdem De mineralibus... Alexandri Achillini De universalibus... Bononiœ, per 1.

col. a (art. S.

:

:

Benedictum Hectorem, anno Domini i5oi, die 26 Octobris. Aristotelis Sécréta secretorum... Ejusdem Aristotelis De mineralibus... Alexandri Achillini De universalibus... Lugduni, per A. Blanchard, 1628. p.

duhem.

20


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

3o6

M. de Mély

une

reste,

comme

regarde

le

ces retranchements opérés, lui paraît digne

fois

d'Aristote et lui semble représenter

des minéraux

On

composé par

est

s'il

Mély semblent duquel

que

le

autem

que

est-il

les

insuffisants

passage que voici et sal

est

glose,

c'est

que

et

l'on

au Stagirite.

l'on

Est-il

admet

ait été écrit

quam

aqua,

subtilis, multae igneitatis,

le

principe en vertu

vraisemblable, par exemple,

par Aristote?

armoniacum sunt de génère

ipsum

et

surtout, bien

comme

regardé

le traité

si

in sale armoniaco major est

matur,

les retran-

retranchements pratiqués par M. de

ont été opérés.

ils

et,

ne saurait être d'Aristote

qu'il

convient d'avance d'attribuer

Encore

Mély que

de ces passages retranchés qui se soude

bien au contexte;

uniquement parce

traité

le Stagirite.

propose sont bien étendus

qu'il

arbitraires. Il est tel fort

un fragment d'un

peut, croyons-nous, objecter à M. de

chements

Ce qui

glose et le retranche.

terra,

«

Alumen

salis,

quia pars ignis

unde

et

totum

nimium

cui admiscetur fumus,

coagulatum ex

subli-

Ce pas-

siccitate. »

sage conservé par M. de Mély, ne renferme-t-il pas à lui seul

autant de connaissances alchimiques que tous

comme

regardés

Sans doute,

renferme

passages

gloses?

les idées

sur la génération des minéraux que

en question se rattachent aisément aux

texte

le

les

principes posés par Aristote, au troisième livre des Météores;

sans doute, encore, on y trouve

un mot que

ont orthographié optesis > ephtesis, eptesis

un mot

MsTctopoAsYtxa;

l'auteur cette

mot

grec, le

du

ma

is

ces

les divers éditeurs et

qui paraît être

continuellement employé aux

I^y;<tiç

remarques prouvent seulement que

traité a subi l'influence des écrits aristotéliciens;

conclusion ne saurait embarrasser

ceux

qui

veulent

identifier cet auteur avec Avicenne.

La méthode

bien à attribuer à Aristote

torum

et

regarder

de Mély conduirait tout aussi

suivie par M.

maint autre

comme

écrit

le

que tout

usage

était

le

monde

s'accorde à

d'origine arabe.

Nous admettrons donc que a fait

Liber de proprietatibus elemen-

un

traité

le

traité

dont Albert

le

Grand

arabe; rien n'empêche de l'attribuer


LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE à Avicenne,

l'exemple donné par l'évêque de Ratis-

selon

comme

bonne, ou à Alveredo,

Or

le

voulait Roger Bacon.

deux pas-

Traité des minéraux d'Avicenne renferme

le

So']

sages qui ont, pour l'histoire de la Géologie, une extrême

importance. Voici le premier de ces passages

animaux

des

des plantes

et

*

;

concerne

il

la pétrification

:

Les pierres peuvent donc se former, à partir d'une boue

«

coagule une vertu sèche et

ou bien à partir de l'eau que terrestre ou une cause de chaleur

même

certains végétaux et certains ani-

visqueuse, par la chaleur du

de sécheresse. De

et

maux peuvent minérale

soleil,

être convertis

en pierre par une certaine vertu

et pétrifiante (virtute

quadam

minerait lapidificativa)

qui se rencontre dans les lieux pierreux... Ce changement de

nature des corps animaux ou végétaux est fort analogue à pétrification des eaux.

complexe

se

Il

l'autre et passer

les

mixtes se

effet,

qu'un corps

coup en un peuvent changer l'un en seul

graduellement à l'élément dominant.

Le second passage 2 voici

en

convertisse en bloc et d'un

élément unique, mais

un dernier

est impossible,

,

»

plus important encore, forme

chapitre qui a pour

la

titre

:

comme

De causa montium. Le

:

monts sont produits par une cause essentielle; c'est ce qui a lieu lorsqu'un violent tremblement de terre soulève le sol et engendre une montagne. Parfois, au contraire, Parfois les

«

ils

sont produits accidentellement; ainsi en est- il lorsque

vent ou

le

cours des eaux creuse profondément

le sol;

le

auprès

de l'excavation ainsi creusée subsiste une éminence élevée; c'est là la principale a,

en

effet,

cause de la formation des montagnes.

Il

y

des terres qui sont molles et d'autres qui sont

dures; les vents et les cours d'eau enlèvent les terres molles tandis que les terres dures subsistent et forment éminence. Les

montagnes peuvent pierres

vaseux

;

un cours et

aussi être engendrées

d'eau

amène en un

visqueux qui, à

i.

F. de Mély, Op.

cit.,

p. 187.

2.

F.

de Mély, Op.

cit.,

p. 188.

la

comme

le

certain lieu

longue, se dessèche

sont les

un dépôt

et se trans-


ETUDES SUR LEONARD DE YINCI

3o8

forme en pierre; il est même possible qu'une certaine force minéralisante change les eaux en pierres. Voilà pourquoi on trouve dans les pierres des restes d'animaux et de bêtes aquatiques. »

Les montagnes se

comme nous venons On

décroissent.

sont donc formées

de

trouve en

mais

dire;

le

dans

effet,

aujourd'hui,

les

montagnes;

l'érosion des

ont mêlée avec

la

même

substance

le résultat

de

la

des herbes... et qu'elles

et

boue venant de

que l'antique limon de

aussi

la

sont une matière terreuse que

elles

eaux ont amenée avec des vases

les

sont

elles

;

elles

montagnes, des

couches terreuses qui ne sont pas formées de pierreuse dont nous venons de parler

lentement,

très

la

mer

montagne. Peut-être partout de

n'était pas

nature, en sorte que certaines parties se sont changées

en pierre,

et

Ce sont

d'autres non.

les

demeurées

parties

terreuses qui sont amollies et dissoutes par la puissance victorieuse de l'eau. »

Le flux

et le reflux

mer creusent certains lieux et en aussi, la mer couvre toute la terre

de la

relèvent d'autres. Parfois,

;

peu résistantes en laissant en

alors elle arrache les parties

place les roches dures; les parties molles qu'elle a enlevées, elle les

retire, et

accumule en certains points lorsque après cela elle se ces parties molles qu'elle a accumulées se dessèchent ;

deviennent des montagnes.

Avicenne ou raux

l'auteur, quel qu'il soit, de ce Traité des miné-

commence par

tagnes est terre;

le

cette

»

déclarer que l'origine essentielle des

soulèvement du

sol

par

mon-

tremblements de

les

doctrine s'accorde fort bien avec les principes

posés au Livre De démentis,

développées au

traité

mieux encore, avec les théories Du Monde par le pseudo-Philon. Mais, et,

après cette profession de foi en faveur de la doctrine pluto-

nienne, notre auteur s'attache presque exclusivement à

l'ex-

posé des phénomènes neptuniens; ce ne sont, a-t-il déclaré,

que des causes

accidentelles de la formation des

mais, bien qu'accidentelles, cipales.

Il

celles qui

il

ne tarde pas

montagnes;

à les déclarer prin-

reprend ainsi des considérations

fort

analogues

ont été combattues par Théophraste, par

le

à

pseudo-


3oQ

LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE

Philon

ment Il

par l'auteur du

et

traité

De

elementis.

corrige seule-

Il

ce qu'il y avait, en ces considérations, de trop exclusif.

admet, à l'origine, des soulèvements de

par des actions internes sculpté le relief actuel

mais

;

du

mer

la

la surface terrestre

et les

cours d'eau ont

sol.

D'autres écrits arabes propageaient, d'ailleurs, la doctrine du

pseudo- Philon. pureté

et

de

Un

livre intitulé

la sincérité

parmi lesquelles

raux; on y

lit

«

ce passage

se

la

:

Les montagnes soulevées au sein des eaux par des vapeurs

intestines se fragmentent, et les et

:

un grand nombre de citations trouve un chapitre Des miné-

contient

d'Aristote,

Le présent des frères de

1

eaux repoussées

dessinent les contours des contrées.

se nivellent

»

Nous allons voir que toute la Géologie des savants chrétiens du xui e siècle procède des Météores d'Aristote et des deux le Liber de proprietatibus livres que nous venons d'analyser :

elementorum

et le Traité des

minéraux attribué à Avicenne.

VI Albert le Grand. Le

livre

Des propriétés des éléments, que l'on croyait être

une grande influence sur les théories scientiScolastique; Albert le Grand en a composé un

d'Aristote, eut

fiques de la

long commentaire, où

les fruits

de ses propres observations se

trouvent semés au cours d'une paraphrase du traité apocryphe.

L'Évêque de Ratisbonne reproduit presque textuellement 2 ce

que

de

la

le

mer

pseudo -Aristo te avait et les

i.

du changement de place

arguments astrologiques par lesquels

réfuté cette opinion;

p.

écrit

mais

il

y ajoute

les

Bibliothèque Nationale, supplément arabe, ms. n° i845

remarques

;

cf.

:

il

avait

qu'il a

F.deMély, Op.

cit.,

190.

Beati Alberti Magni, Ratisponensis episcopi, Liber de causis proprietatum elemenlib. I, tract. II, cap. II: De opinione quae dixit mare transmutari de loco ad locum; cap. III De improbatione opinionis quae dicit mare transmutari de loco ad 2.

torum;

:

locum.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

3lO recueillies

que

au cours de ses voyages.

mer

la

de

retirée

Peut-être obj cetera -t-

«

on

d'Angleterre, qui est une partie de l'Océan, s'est

que

la ville

nommait

l'on

autrefois

Tuag Octavia

;

nous avons, de nos propres yeux, constaté qu'auprès de cette ville, la mer avait délaissé un grand espace en peu de temps.

De même pourra-ton cette ville

dire que la

mer

nomme

de Flandre qu'on

s'éloigne sans cesse de

Burig (Bruges). Mais nous

dirons que ce retrait n'est pas continu, qu'il n'est nullement

mouvement du

causé par

le

purement

accidentel...

dunes

mer

se

les

en

se produit,

mer

élèvent sans cesse; la

d'ailleurs,

des étoiles fixes, et qu'il est

forment à l'entrée des ports

de ces villes

l'accès

Il

ciel

on chasse de

et

que

parce que des les

lames de

la

ferme ainsi à elle-même

peu à peu. Dans ces pays -là,

se retire

et

se

effet,

mer du

force la

élevant des digues sur les rivages

;

les

lit

qu'elle

occupe en

habitants de ces contrées,

en refoulant ainsi

la

mer, conquièrent de grandes étendues de

Le recul de

la

mer, en ces lieux, n'est donc pas naturel,

terre.

mais accidentel... »

Quant

rame qui

à cette

qui creusait

un

puits,

fut trouvée, dit-on,

anciennement placée en ce amoncelée sur

rame

cette

cet objet,

que

lieu; la

protégé contre la putréfaction

pu

se trouver autrefois

;

par un

homme

avait été sans doute très

puis de la terre avait été

fraîcheur

du

sol avait ensuite

ou bien encore,

en cet endroit

la

mer

avait

et s'en être retirée acci-

dentellement. C'est ainsi qu'à Cologne nous avons vu creuser des fosses très profondes au fond desquelles on a trouvé des

constructions dont

le

revêtement portait des dessins

décorations admirables; les l'Antiquité; s'était

hommes

les

avaient élevées dans

puis, par suite de la ruine des édifices, la terre

accumulée par-dessus.

Albert reproduit

1

»

d'une manière presque textuelle

ments du pseudo-Aristote contre ceux qui attribuent tion des inégalités

Mais

il

fait

des

et

du

sol à l'action érosive des

suivre ces raisonnements

les la

argu-

forma-

eaux pluviales.

d'un chapitre 3 où

il

i. Albert le Grand, Op. cit., lib. II, tract. III, cap. IV: De improbatione corum qui dixerunt montes et valles causari a cavatione aquarnm. 2. Albert le Grand, Op. cit., lib. II, tract. III, cap. V: Et est digressio déclarons causait) esseusialem et causas accidentales montium.


LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE

expose quelles sont, selon

lui, les

3

1

I

causes de la génération des

montagnes; nous y trouvons une paraphrase bien reconnaissable du chapitre qui porte le même titre au Traité des minéraux d'Avicenne; nous y trouvons aussi tions personnelles du savant dominicain «

Au

sujet de la question

la trace

des observa-

:

actuellement posée touchant

génération des montagnes et des vallées, voici la vérité

montagnes causes;

et

les

l'une de

vallées ces

:

la

Les

peuvent être engendrées par deux

causes est essentielle

et universelle;

l'autre est particulière, elle n'agit qu'à certaines

époques

et

en

de certains lieux.

»La cause essentielle et universelle est la suivante: Les montagnes naissent des tremblements de terre, en des régions où la surface du sol est trop solide et trop compacte pour se laisser briser; alors,

en

effet,

les

gaz (ventas) qui se sont for-

més en abondance à l'intérieur de la terre et qui sont violemment agités, soulèvent le sol et forment des montagnes. Les tremblements de terre sont fréquents auprès de la mer ou des grands amas d'eau, parce que ces eaux bouchent les pores de la terre, et empêchent le dégagement des vapeurs émises par la terre et emprisonnées dans les entrailles du sol; aussi est-ce près de la mer ou des grandes nappes d'eau que naissent, en général, les montagnes les plus élevées. Sous ces montagnes subsiste une cavité capable de contenir une grande quantité d'eau; aussi les lieux montueux sont-ils bien souvent des lieux où

les

sources abondent et qui, par leur ruissellement, engen-

drent de grands lacs. »

La surface soulevée ne devient point solide

et résistante si

du limon gluant et visqueux que l'afflux de l'eau y amène. On trouve donc dans les lieux montueux des rochers immenses et nombreux; ils ont été engendrés par ce limon et par la chaleur, car cette chaleur réunit les diverses parties du limon; cette chaleur est elle-même produite soit par les rayons du soleil, soit par le mouvement des vapeurs ce n'est aux dépens

terrestres.

Nous trouvons une preuve de tout cela dans les parties d'animaux aquatiques et peut-être aussi dans les engins prove»


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

3l2

nant de navires que l'on découvre dans

rochers des

les

tagnes aux lieux concaves des monts; l'eau, sans doute,

amenés avec la

le

limon gluant qui

les

enveloppait;

monles

ya

le froid et

sécheresse de la pierre les ont ensuite empêchés de se putré-

en

fier

dans

totalité.

les pierres

quemment

On

trouve une très forte preuve de ce genre

de Paris, en lesquelles on rencontre très

des coquilles,

de croissant de Lune, d'écaillé »

les

unes rondes,

autres encore

les

les autres

fré-

en forme

bombées en forme

de tortue.

Nous disons donc que

c'est là la

cause essentielle des mon-

tagnes; d'autre part, au lieu d'où a été enlevé ce qui s'est

une vallée s'est produite. Lorsqu'une montagne est fort ancienne,

ainsi soulevé, »

en rocher par la chaleur, se dessèche;

il

sommet, coagulé s'effrite alors et tombe

par morceaux, à moins que ces rochers de bases fort larges au-dessus desquelles plus

étroits,

colonnes »

comme

s'ils

ils

le

la

cime n'aient des

s'élèvent,

se trouvaient

soutenus

beaucoup par des

des murailles.

et

Quant à

la

cause accidentelle des montagnes,

elle peut, le

plus souvent, se partager en deux autres.

La première de ces causes est l'alluvion et, surtout, l'alluvion marine; car les autres eaux ne peuvent produire une alluvion bien considérable. La mer, en effet, soit par ses »

du reflux, enlève aux rivages beaucoup de terre; elle accumule ensuite cette terre, engendrant une montagne d'un côté et une vallée de l'autre... » L'autre cause accidentelle se rencontre là où de grandes vagues, soit par l'action du flux ou

étendues sablonneuses sont balayées par des vents violents.

fréquemment que le vent enlève le sable d'un endroit pour l'accumuler en un autre endroit; en ce dernier endroit, selon la masse du sable déplacé, il se fait un mont grand ou petit... » Nous savons, par le propre témoignage d'Albert le Grand,

En de

tels lieux,

en

effet, il

arrive

qu'il connaissait le petit traité

lui-même

à

Des minéraux

et qu'il l'attribuait

Avicenne; nous ne nous étonnons donc pas de

retrouver, en ce que nous venons de

lire,

des souvenirs bien

reconnaissables du chapitre que ce traité consacre à

la

forma


LÉONARD DE V1NCÏ ET LES ORTGINES DE LA GÉOLOGIE des

tion

montagnes; mais

observations

accorder

en outre,

;

en

Avicenne

elementorum.

genèse des vallées

et

introduisant

au

soutenues

avec les doctrines

proprietatum

y

sol

la terre entière avait été

tion;

mieux

De

causis

en

accordé,

la

mer

à la surface

témoignaient de circonstances

envahie par

eaux de l'Océan.

les

Grand ne fait jouer aucun rôle, en son Orogénie, débordements maritimes il n'en fait même pas menil réduit l'action de la mer à la formation des dunes et

Albert à ces

le

des montagnes, une très grande impor-

ces bouleversements

;

livre

avait

tance aux bouleversements apportés par la

du

propres

ses

retouche de manière à

le

il

docteur dominicain enrichit

le

l'enseignement d'Àvicenne

3l3

le

;

des dépôts littoraux.

Albert s'est inspiré à la fois du livre De causis proprietatum

elementorum

et

du

Des minéraux d'Avicenne

traité

sont-elles les seules auxquelles

Avicenne proclamait, à la

cause essentielle de

ait

il

que

la vérité,

la

puisé?

;

En son

ces sources petit traité,

plutonienne

l'action

était

formation des montagnes; mais, tout

en reléguant l'action neptunienne au rang de cause accidentelle,

lui

il

d'écrire

:

«

montagnes,

une

laissait

importance

telle

C'est là la principale cause de »

qu'il la

formation des

au risque de contredire aux principes

qu'il avait

lui-même posés. Albert demeure conséquent avec

non seulement

cipes;

plutonienne est

la

«

il

déclare, avec Avicenne,

cause

genèse des monts, mais rôle presque exclusif

ment

il

essentielle

que

universelle

l'action »

de

la

que son Orogénie attribue aux soulève-

sa pensée par le traité

indices

ces prin-

s'en tient à cette déclaration. Le

éruptifs ne marque-telle pas

En un

et

arrivait

lui

une influence exercée sur

Du monde du pseudo-Philon?

autre écrit d'Albert

le

qui nous permettront

comme extrêmement

Grand, nous relèverons des de

probable

:

regarder cette

L'Évêque

de

assertion

Ratisbonne

connaissait l'apocryphe attribué à Philon d'Alexandrie. L'écrit

dont nous voulons parler

paraphrase aux quatre livres

est la

des Météores d'Aristote. C'est encore traité

aux phénomènes éruptifs qu'Albert, en son

Des Météores, attribue

la

formation exclusive des mon-


ÉTUDKS SUR LÉONARD DE VINCI

3l/j

tagnes: «II se produit,

dit-il

»

de dépression du sol lorsque dante

que

et

qui

les parois

la

1

«

,

la

un mouvement

d'élévation et

vapeur emprisonnée

est

contiennent sont fort résistantes.

du

Alors, en effet, la vapeur soulève la partie supérieure

qui

une

la contient;

tandis qu'une

partie de cette vapeur s'échappe

autre

contient est soulevé de nouveau.

soit

et

échappée en

lieu

au dehors

demeure renfermée. Lorsqu'une

partie

nouvelle quantité de vapeur vient à s'engendrer,

de soulèvement

abon-

le lieu

qui la

subit ainsi des alternatives

Il

de dépression, jusqu'à ce que

la

vapeur

se

totalité. »

Après avoir étudié

la

génération des montagnes,

docteur dominicain en étudie

la destruction

;

le

célèbre

ce qu'il en dit 2

rappelle ce qu'il a développé au Liber de causis proprie tatum

elementorum

«

:

La ruine des montagnes peut

tremblement de

terre, et cela

produire sans

de deux manières. En premier

montagne peuvent

bases d'une

lieu, les

se

être abrasées

par une

cause quelconque; alors, privée de fondement, cette montagne

ou en

s'écroule en totalité

montagne

est fort élevée, la

au sommet;

elle se fendille

la partie

disposition de la

cime les

se

lieu,

eaux alors pénètrent dans

cime vient

fendue du reste de

la fissure,

une

à s'écrouler.

lorsque

partie

la

dessèche extrêmement;

formées; courant avec impétuosité,

fissures ainsi

chent

En second

partie.

les

elles arra-

montagne; et selon la plus ou moins grande de la

»

Le cours des eaux a donc uniquement un rôle de destruction

;

cette théorie d'Albert s'accorde fort bien, et

le détail,

avec

les doctrines

jusque dans

géologiques de Théophraste

et

du

pseudo-Philon. Il

même

en est de

bonne

examine 3 cette question Pourquoi certaines submergées tandis que d'autres terres émer-

lorsqu'il

:

terres sont- elles

gent du sein de « Il

i.

des opinions qu'émet l'Évêque de Ratis-

la

mer?

y a des terres qui, autrefois, étaient recouvertes par

les

Beati Alherti Magni, Ratisponensis episcopi, Metheororum liber tertius, tract.

cap. XVIII

:

De

efï'ectu terrae

2.

Albert

le

3.

Beati

Albcrti

tract. Il, cap.

(îrand,

in

movendo locum

in

quo

II,

est.

loc. cit.

Magni,

\V Quare :

motus

Ratisponensis

terra*

episcopi,

quœdam submerguntur

Metheororum et

quœdam

liber

primas,

desiocuntur.


LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GEOLOGIE

eaux douces ou par d'autres,

mers

les

et

3l5

qui sont aujourd'hui à sec;

au contraire, qui étaient terre ferme, sont mainte-

nant submergées... Les lieux qui se sont asséchés n'ont pas

émergé d'un seul coup; ils ont été délaissés peu à peu, selon que la mer était plus profonde en un endroit et moins profonde en un autre. Lorsqu'un de ces lieux a atteint un degré

modéré de sécheresse,

est

il

devenu habitable; alors on y a

planté des arbres, afin que les racines de ces arbres assurent à

plus de cohésion, et on y a semé des graines.

la terre

»

Gom-

ment ne pas reconnaître, en cette dernière phrase, une phrase empruntée à Théophraste par le pseudo Philon -

«

Ces terres présentaient

comme on

stériles,

ensemencer semble

Il

l'a

des

fort

des arbres ?

nullement

riches et

reconnu lorsqu'on

et d'y planter

donc

régions

:

a entrepris de les

»

probable que

traité

le

longtemps attribué à Philon d'Alexandrie,

a été

Du monde, connu

d'Al-

Grand qui s'en est inspiré en diverses circonstances. Au sujet des changements de figure des continents et des

bert le

mers, ce traité soutenait des opinions fort concordantes avec ce sont ces dernières qu'Albert développe

d'Aristote;

celles

surtout et qu'il adopte dans le chapitre que nous avons

cité.

Ces changements de figure sont dus surtout aux transforma-

que subit

tions

le

régime des pluies aux divers lieux de

Ces transformations elles-mêmes sont sous

terre.

dance de causes astronomiques, de

sphère des étoiles fixes et

la

telles

le

dépen-

mouvement

lent

conjonctions des planètes.

les

C'est sans doute l'influence de

que

la

la

Théophraste

et

du pseudo-

Philon qui pousse Albert à l'examen de ces deux questions

La mer

a-t-elle,

autrefois, couvert

la

terre

:

entière? Peut-il

arriver qu'au cours des temps, elle se dessèche totalement?

Gomme à ces

les

deux auteurs dont la

i.

an

il

répond

1

dit

nature (Albert exclut par ces mots

le

la négative

déluge universel qui, selon

III,

paraît s'inspirer,

Ce que nous avons

deux questions par

prouve que, selon

il

lui, fut

:

«

miraculeux), la

mer

n'a

Beati Alberti Magni, Ratisponensis episcopi, Metheororum liber primus, tract.

cap.

II

:

Et est digressio declarans an aqua aliquando totam terram operuit et

siccabilis est

per totum procedente tempus.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

3l6

jamais recouvert la

nature, la

la terre entière; cela

mer ne la

»

thèse qu'il se propose de réfuter, Albert

déclare qu'elle est d'Anaxagore; «

par Ovide

le

ajoute qu'elle est soutenue

il

par beaucoup d'autres philosophes illustres

et

dominicain

érudit

très

demeurera

sera jamais desséchée; elle

toujours égale à elle-même.

En exposant

prouve aussi que, selon

donc

connaissait

géologiques qui se trouvent exposées au

;

opinions

les

poème

»

des Métamor-

phoses.

En un

Grand nous fait connaître comment il comprenait le mécanisme de la pétrification qui nous a conservé les restes d'animaux fossiles « Il n'est autre de ses écrits, Albert

le

:

personne qui ne s'étonne,

dit-il

»

1 ,

c;

de trouver des pierres qui,

tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, portent l'image d'animaux.

Extérieurement, en

elles

effet,

les brise,

de ces

sont causées par ce

fait

salées.

De même,

dessin et lorsparties internes ces apparences

que des animaux peuvent, en

transformer en pierres dit-il,

entier,

particulièrement, en

pierres

la terre et l'eau sont la

matière

et,

que

même

animaux peuvent devenir pierres; si les corps de ces animaux se lieux où s'exhale une puissance minérali-

habituelle des pierres, de

matière de certaines

trouvent en certains sante

le

on trouve en elles la figure des animaux. Avicenne nous enseigne que

qu'on

se

en montrent

(vis lapidiftcativa) , ils

les

sont réduits en leurs éléments qui

sont saisis par les qualités particulières à ces lieux; les

ments que contenaient

les

corps de ces animaux se transmuent

en l'élément terrestre, qui en

élément

terrestre

élé-

était l'élément

dominant;

cet

demeure, toutefois, mêlé d'une certaine

quantité d'éléments aqueux; alors, la vertu minéralisante convertit

en pierre cet élément terrestre

rieures

;

les diverses parties inté-

ou extérieures de l'animal conservent

la figure qu'elles

avaient auparavant. Le plus souvent ces pierres salées ne sont

pas dures.

Il

faut,

transmuer ainsi

i.

tract.

Bcati Il,

animalium,

Magni,

Albcrti

cap.

VIII

les

une vertu corps des animaux

en

:

très

effet,

Ratisponensis

episcopi,

;

puissante pour

cette transformation

De

mineralibus

De quibusdam Lapidibus liabentibus intus

et

liber

primus,

extra effigies


VINCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLUG1E

LÉONARD DE brûle une partie de

la

matière terrestre au sein de l'élément

humide, ce qui engendre Albert

Grand

le

317

la

saveur salée.

»

a pris soin, en exposant cette théorie de la

pétrification, de rappeler le

nom

d'Avicenne;

et,

en

effet,

nous

y trouvons de très reconnaissables souvenirs de ce que nous avons lu, sur le même sujet, dans le traité Des minéraux, attri-

bué au célèbre philosophe arabe. Récapitulons

sources auxquelles l'Évêque de Ratisbonne

les

a puisé les connaissances géologiques éparses dans ses divers écrits

:

Par son propre aveu, nous savons qu'il avait lu livres

livre

les

quatre

des Météores d'Aristote, les Métamorphoses d'Ovide, le

De

caasis proprietatum elementorum, enfin le traité

minéraux attribué à Avicenne; en outre, qu'il connaissait le

Philon.

Il

il

est

très

Des

probable

Du monde attribué gratuitement à donc bon nombre des écrits grecs, latins

livre

connaissait

ou arabes, parvenus jusqu'à nous, qui

traitent de la formation

des montagnes et de l'origine des fossiles.

Mais cette grande érudition ne

lui a

simple compilation. Non seulement

il

pas servi à produire une a enrichi d'observations

personnelles très nombreuses, et souvent très sensées et très justes, les connaissances géologiques qu'il tures,

mais encore

il

tenait de ses lec-

a fondu toutes ces connaissances

pour en

composer une théorie logiquement coordonnée. Il a rejeté tout à fait au second plan l'action orogénique des eaux,

ou marines, pour invoquer presque exclusisoulèvements plutoniens. Il a nié les débordements

douces

vement

les

soudains et universels de l'Océan;

il

a réduit les

changements

de figure des continents et des mers à des modifications très lentes, limitées à des aires

peu étendues. Les eaux douces ont

surtout pour rôle la destruction des

montagnes;

elles

sont

intervenues, toutefois, pour durcir les terrains soulevés et les

transformer en roches

que des coquilles

;

c'est

au cours de

et d'autres

débris

cette transformation

animaux

se sont trouvés

pétrifiés.

Telle est,

résumée en quelques

d'Albert le Grand.

lignes, la théorie géologique


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

3l8

VII

Vincent de Beauvais Vers l'an

i25o,

Dominicain Vincent

le

Bourguignon,

le

évêque de Beauvais, publiait une vaste encyclopédie

1

qui pré-

Dogme, la Morale ne peut demander d'idées

tendait refléter fidèlement la Physique, le et l'Histoire. Et,

en

effet,

si

l'on

neuves ni de théories originales à

imposante compilation,

cette

du moins y trouve-t-on l'exposé presque complet de ce que l'on connaissait au milieu du xm siècle. Ce qui rehausse le prix de cette marqueterie, c'est que chacun des fragments qui la composent porte sa marque d'origine. Vincent de Beauvais fait précéder du nom de l'auteur ou du titre du livre qui l'a fournie chacune des citations qui, e

mises bout à bout, forment son ouvrage.

Tout ce que sujet

de

le

Spéculum

naturelle contient d'intéressant

au

Géologie se trouve ainsi emprunté au traité Des

la

minéraux qu'Albert

le

Grand

deux chapitres qui forment

le

attribuait à Avicenne.

Mais

les

fragment exhumé par M. de Mély

sont éparpillés en diverses parties de deux des livres du Miroir de

Nature, et

la

deux

ils

y sont donnés

comme

s'ils

provenaient de

écrits différents.

La première partie du

traité

Des minéraux se retrouve, dissé-

minée, en divers chapitres du septième livre de Vincent de Beauvais

2

la science

ce

;

livre

est,

d'ailleurs

,

entièrement consacré à

des pierres et des métaux;

notamment, au

c'est,

i. Vincenti Burgondi, ex ordine Praedicatorum, episcopi Bellovacensis, Spéculum quadruplex, naturale, doctrinale, morale, historiale. De quatuor corporum speciebus 2. Au lib. VII du Spéculum naturale, le Gap. II :

fragment publié par M. de Mély (loc. cit., p. 180) depuis le commenceLe Cap. LXX1I Corpora mineralia... jusqu'à ...nisi per ingénia naturalia.

reproduit

ment

:

le

:

:

De sale harmoniaco, reproduit la suite, depuis Alumen autem... jusqu'à ...coagulatum ex siccitatc (loc. cit., p. 186). — Le Gap. LXXIX De naturali generatione lapidum mineralium, donne ce qui vient après, depuis Terra pura lapis non fit... jusqu'à :

:

:

:

...quai liquefaciunt certissime (loc.

cit.,

p. 187).

Enfin, le Cap.

LXXX

:

iLerum de

corporum mineralium, poursuit depuis Fiunt ergo lapides... jusqu'aux mots per magnum temporis spatium, qui terminent (p. 188) le premier chapitre du fragment publié par M. de Mély. generatione lapidum :

et

:


.

LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE

3 9 1

quatre- vingtième chapitre de ce livre qu'est inséré le curieux

passage relatif à

des corps d'animaux.

la pétrification

Vincent de Beauvais n'attribue pas à Avicenne, mais bien à

dont

Aristote, le chapitre

il

insère les divers fragments en son

septième livre; chacun de ces fragments, en

de cette mention

vu que

le

Ex

:

quarto libro

manuscrit du

xm

buait, lui aussi, le traité le

e

y est précédé metheororam; nous avons

siècle étudié

De

effet,

par M. de Mély

attri-

mineris au Stagirite et en faisait

dernier chapitre du IV e livre des Météores.

Ce

traité

qu'Albert

le

Grand

dit être

d'Avicenne se termine

par un chapitre De causa montium dont nous avons dit l'importance. Ce chapitre a passé naturale, cet

mais

il

est inséré

entier, lui aussi,

d'un seul bloc

nomme

De natura rerum;

même

général, est celui-là

sous

le titre

:

De

au sixième livre de

donne comme des Météores, mais du

ouvrage; en outre, Vincent

point du quatrième livre

»

au Spéculum

le

le

traité

qu'Albert

traité

qu'il intitule le

Grand

non

extrait

qu'il

ainsi,

en

a paraphrasé

causis proprietalum e terne ntorum.

Vincent de Beauvais n'a rien ajouté au qu'Albert attribuait à Avicenne

encyclopédie que tout

dement contribué

le

;

traité

Des minéraux

mais en l'insérant en une

Moyen-Age n'a cessé de

lire, il a

gran-

que professait

à la diffusion des doctrines

l'auteur de ce traité.

VIII

Ristoro d'Arezzo. Les écrits d'Albert

le

Grand

et le

Spéculum naturale de Vincent

plus grande influence sur le développe-

de Beauvais ont eu

la

ment de

au Moyen-Age. Nous trouvons une marque

la science

bien reconnaissable de cette influence en

un

1282, en langue italienne, par Ristoro d'Arezzo 1.

Vincenti Burgondi Spéculum naturale,

lib. VI, cap.

XY

:

traité 2

écrit

en

.

De montibus

et causis

eorum 2. Ristoro d'Arezzo, La composizione del Mondo. Testo italiano del 1282, pubblicato da Enrico Narducci. Roma, Tipografia délie Scienze matematiche e fisiche, 1859. Délia composizione del Mondo. Milano, i8G4(nos citations se rapportent à cette seconde

édition).


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

320

En

effet, le

où Ristoro

chapitre

traite

de son livre De

*

de la génération

et

de

la

composition du Monde

la

destruction des

mon-

tagnes débute par une page qui pourrait presque être regardée

comme une

paraphrase de ce qu'a écrit Avicenne

Vincent de Beauvais; citons cette page « Étudions maintenant la génération

et

reproduit

:

corruption des

et la

montagnes; voyons comment elles se peuvent faire et défaire. Nous observons que l'eau dilue la terre, que cette terre descend des montagnes pêle-mêle avec l'eau, qu'elle remplit les vallées et

en élève

excaver il

reste

sol,

le

l'entailler et faire les vallées

en un lieu bas

il

la

nous voyons

;

un

porter en

au contraire, cela,

niveau; d'un autre côté, nous voyons l'eau

une montagne

lieu et la

terre

le

autre

la vallée faite,

l'eau enlever la terre d'un

nous

;

;

voyons prendre

la

la

remonter en un lieu élevé, ou bien,

et la

ramener du

paraît qu'elle a vertu

au lieu bas; par tout

lieu élevé

pour produire des montagnes

et

des vallées. Gela se reconnaît à la suite des crues des fleuves;

que leurs eaux avaient

lorsqu'ils viennent à s'abaisser, la terre

couverte

et le sable qu'ils

ont apporté se montrent tout sillon-

nés de monts et de vallées. Gela se voit encore sur les rivages

de la mer; en rejetant

le

sable hors de son sein, elle forme

donne des

une

montagnes et de vallées comme si elle s'étudiait à les produire. Nous voyons au cours des saisons l'eau afïbuiller la terre, la tirer du fond

dune, à laquelle

de son

lit,

la

elle

soulever

et la

figures de

porter en

un

lieu plus

rapport à l'excavation ainsi produite, ce lieu devient »

haut

;

par

un mont.

Les montagnes peuvent encore avoir été produites par

du déluge couvrait la terre, qu'elle séjournait par toute la terre, par l'effet du vent ou de quelque autre cause, elle a pu enlever la terre de certains l'eau

du déluge. Alors que

l'eau

endroits et la porter en d'autres endroits

séjourne à la surface de

la terre,

des montagnes et des vallées terre

montueuse

Avicenne i.

et

avait,

vallonnée.

;

il

il

est

est

;

car lorsque l'eau

de sa nature d'y produire de sa nature de laisser

»

d'une manière toute semblable, attribué

Ristoro d'Arezzo, Op.

cit.,

la

libro VI, capitolo VIII

délia gencrazione delli monti, e délia loro corruzione.

:

Délia cagionc et del

la

modo


LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GEOLOGIE

formation de certaines inégalités du sol

momentanés de « la mer couvre

la terre

ferme par

la terre;

la

à des

mer;

«

parfois,

sidère qu'un seul envahissement de ce genre il

la

diluvio; visiblement,

l'identifie

il

avec

le

1

envahissements

Ristoro d'Arezzo précise

»

32

;

il

;

» disait-il, il

le

ne con-

nomme

déluge universel de

Genèse.

Que

les

eaux de

la

nomme

que Ristoro

mer il

aient envahi la terre, produisant ce

diluvio,

engendré des

qu'elles aient

montagnes sur le sol qu'elles recouvraient, notre auteur en trouve une preuve convaincante dans l'existence d'ossements

sommet des montagnes presque au sommet d'une très haute mon-

de coquilles fossiles au

et

«

En

fouillant

:

tagne, nous avons trouvé

poissons que nous

nommons

nous celles

En

dont

une grande quantité

nommons

coquilles

;

d'os de ces

escargots et aussi de ceux que

semblables à

celles-ci étaient toutes

se servent les peintres

pour y garder leurs couleurs.

une grande quantité de des cailloux arrondis, gros ou petits, entremêlés

ce lieu se trouvaient également

sable,

et

comme

de place en place,

eussent été déposés par

un

montagne a été faite déluge. Nous avons trouvé beaucoup de telles mon-

fleuve. C'est

par

un

s'ils

le

tagnes.

signe certain que cette

»

même

Après avoir rapporté une autre observation du Ristoro poursuit

:

«

genre,

Le déluge a pu également produire des

montagnes sans y laisser ni sable, ni os de poissons; cela dépend de la nature du terrain que les eaux ont rencontré »

Lorsqu'en une contrée, on rencontre de ces montagnes où

se trouvent

que

du sable

et

des os de poissons, c'est

cette contrée a été autrefois recouverte

des eaux analogues à la et

mer

;

un

par

ailleurs qu'en la

signe certain

la

mer ou par

mer, en

effet,

particulièrement en des fleuves de petit débit, on ne trou-

une quantité de sable aussi grande que celle dont sont formées ces montagnes qui contiennent des os de

verait pas

poissons.

»

Cette dernière

cenne

et à

écrivait P.

:

«

remarque semble empruntée non pas à Avi-

Vincent de Beauvais, mais à Albert

La première cause de

DLHEM.

la

le

Grand, qui

formation des montagnes 2

1


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

'6l'2

est l'alluvion, et,

en

surtout, l'alluvion marine; les autres eaux,

ne peuvent produire une alluvion bien considérable.

effet,

»

Cette phrase d'Albert était suivie d'observations sur la for-

mation des dunes que Ristoro a presque textuellement reproduites et que nous avons citées tout à l'heure. Il est visible que

physicien d'Arezzo s'inspire à

le

d'Avicenne

la fois

et

du

savant dominicain.

en particulier, Albert

C'est,

sages suivants

le

Grand qui

a suggéré les pas-

:

une cause également capable de produire et de détruire les montagnes lorsque la raison qui engendre le tremblement de terre, raison Le tremblement de terre

«

lui aussi,

est,

;

qui a son siège sous terre, est puissante, elle peut projeter la terre vers le haut et produire

une montagne

;

elle

peut encore

enfler la terre par dessous, de telle sorte qu'au-dessous

du mont

demeure seulement une cavité cette même raison produit l'un ou l'autre effet selon la nature du terrain. Il nous est arrivé de faire l'ascension de telles montagnes; en nous promenant à leur surface, en les frappant pour les étudier, nous les avons entendues retentir et résonner comme si ainsi soulevé,

il

;

elles étaient creuses et élastiques à l'intérieur. »

A

ces diverses causes qui ont

pu produire

les

montagnes,

Ristoro d'Arezzo en adjoint une que ni le Liber de elementis, ni

Avicenne, ni Albert

invoquée

;

il

s'agit

le

Grand, ni Vincent de Beauvais n'avaient

de l'attraction exercée sur certaines portions

de la terre par certaines étoiles du

rassembler de

la terre,

en amonceler

autres, tirer cette terre vers

les

l'aimant attire à lui le aussi

nombreuses

métier.

et

ciel.

fer,

aussi

les

Ces étoiles peuvent parties les

comme

elles,

unes sur

par sa vertu

construire enfin des montagnes

grandes

qu'il

convient à leur

»

Cette explication de la formation des fait

«

dans

le

montagnes

est tout à

goût de la Physique astrologique qui avait vogue

Nous trouverions des considérations analogues dans les écrits publiés par Campano de Novare peu d'années avant que Ristoro rédigeât sa Composition du monde; c'est par une

en

Italie.

telle

attraction des étoiles

que Campano explique l'élévation


323

LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GEOLOGIE

continents au-dessus des mers. Cecco d'Ascoli, en son

des

Commentaire à

la

sphère de Jean de Sacro-Bosco, invoque des

influences célestes toutes semblables. la terre et

En

la célèbre

Question de

de l'eau que l'on attribue à Dante Alighieri, les étoiles,

par une attraction analogue à celle que

sur

fer exerce

le

l'aimant, assurent à l'émergence des continents et déterminent

tremblements de

les

peu plus tard encore, Pierre d'Abano divers auteurs lorsqu'il veut rendre terre ferme.

la

montagnes.

terre qui produisent les

suit les théories

compte de

Mais nous n'insisterons point,

Un

de ces

l'existence de

car

il

nous

beaucoup trop avant dans l'étude des doc-

faudrait pénétrer

trines astrologiques.

IX La géologie italienne au Paul de Venise.

e

xiv SIÈCLE ET AU XV e SIÈCLE.

— Léonard Qualéa.

Ristoro d'Arezzo a exposé, sans y rien ajouter d'essentiel, théories géologiques d'Albert le

les

Beauvais.

En son

Grand

écrit Délia composizione del

et

de Vincent de

Mondo, ces théories

aucun progrès. Elles ne progressent pas davantage par les traités que les savants italiens ont composés durant le xiv c siècle et le xv siècle. M. Mario Baratta, auquel nous devons un livre des plus

n'ont

fait

c

remarquables sur

les

doctrines géologiques du Vinci et de ses

prédécesseurs, a réuni

1

passages où Cecco d'Ascoli,

les divers

Giovanni Boccacci (Boccace), Léon Battista Alberti ont parlé des fossiles; ce qu'ils en ont dit ne donne que peu de lumières

nouvelles

sur les

problèmes

géologiques.

obscurs, Cecco d'Ascoli, en son

son opinion

;

il

voit en

En termes

fort

poème de YAcerba, exprime

des empreintes végétales la preuve

montagnes ont été jadis submergées la présence de coquilles au flanc des montagnes démontre à Boccace la réalité

que

i.

les

Mario Baratta,

pp. 228-228.

;

Leonardo da Vinci ed

i

Problemi délia Terra; Torino,

1903,


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

3^4

mer dont la

des invasions de la

quaut

à Alberti,

il

se

nous a gardé

fable

borne à décrire un

le

souvenir

;

fossile qu'il possédait

où nous reconnaissons bien aisément quelque échinide. Tous ceux de ces auteurs qui se sont exprimés assez nettement pour que nous puissions connaître ou tout au moins et

soupçonner leur pensée, semblent bien s'accorder en un point Ils

paraissent regarder les fossiles

comme

des objets que la

:

mer

a transportés lors de ses débordements ou déluges, et qu'elle a délaissés sur la terre ferme lorsqu'elle est rentrée ils

ne pensent pas que

dans son

lit;

animaux dont nous retrouvons

les

les

débris aient vécu là où ces débris sont demeurés; seuls, les

anciens philosophes que combattait ïhéophraste paraissent avoir vu dans les coquilles fossiles autre chose que les témoins

d'une submersion momentanée

marques

;

ce sera précisément l'une des

Léonard de Vinci,

distinctives des théories de

et aussi

l'un de leurs titres les plus importants à la reconnaissance des

savants,

que

retour à cette très ancienne opinion; nous

le

verrons Léonard s'efforcer de prouver, par de multiples arguments, que

les fossiles

ne sont pas des épaves transportées à de

grandes distances par une mer accidentellement débordée,

mais bien

d'animaux qui, pendant de

les restes

durées, ont vécu sous les

flots,

très

longues

aux lieux mêmes où leurs

débris ont été ensevelis et pétrifiés. D'ailleurs,

l'enseignement

que

les

Universités

italiennes

e

donnaient au xv siècle ne semble pas avoir contribué à cette découverte du grand peintre. Pour

temps

comme pour

Albert

le

Grand,

formation des montagnes n'est pas de

la

terre

mer;

cette cause est

ferme qui

est le plus

les

le

la

maîtres italiens de ce

cause essentielle de

soulèvement lent du fond

exclusivement éruptive,

souvent

le

la

et c'est la

théâtre de son action.

Déjà Gecco d'Ascoli, qui enseignait à Padoue au début du xiv c «

siècle, déclarait

les collines et les

en son poème

italien

de VAcerba

montagnes sont formées par

'

le souffle

que des

vents que contient au-dessous d'elle la terre dure et épaisse.

Cent ans après Gecco d'Ascoli,

i.

Mario Baratta,

Oj>. cit., p.

216.

le

maître qui a

le

»

plus de


325

LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE

vogue en

même

cette

Université de Padoue est Paul Nicoletti

surnommé Paul de Venise. Parmi les nombreux écrits de Paul de Venise

d'Udine,

De compositione Mundi qu'un sec résumé du livre traité

se trouve

un

qui n'est, la plupart du temps,

1

Mondo de

Délia composizione del

Ristoro d'Arezzo. « Il

noter,

est à

Paul de Venise, que

dit

montagnes

les

peuvent être engendrées par quatre causes. En premier

par un tremblement de terre qui pousse

elles

peuvent

terre

en grande quantité

En second

l'être

lieu,

lieu,

soit

d'un seul côté,

soit

la

de deux côtés.

peuvent être produites par l'eau qui

elles

un autre. formées de main d'homme,

transporte de la terre et des pierres d'un endroit à

En

troisième lieu, elles peuvent être

comme on

le voit

pour

le

mont Omnis

beaucoup d'autres montagnes

faites

terrae à

Rome

et

pour

en vue de conduire

les

En quatrième lieu, elles peuvent être engendrées par le ciel. De même, en effet, que le forgeron a besoin d'une enclume, de même le ciel a besoin de la montagne pour agir en la terre habitable. Mais un forgeron qui n'aurait pas d'eneaux.

clume en

accumulant tagnes

s'il

même

une; de

ferait

la terre et

le

ciel,

par sa propre vertu,

transportant les pierres, ferait des

mon-

n'en trouvait pas qui fussent faites par les tremble-

ments de

terre,

ferait afin

de pouvoir opérer en

Tout cela

ou par

est

l'eau,

ou par

les

hommes;

la terre habitable.

et

il

les

»

textuellement extrait du livre de Ristoro.

Malheureusement, Paul de Venise néglige d'emprunter au physicien d'Arezzo ses intéressantes observations sur

les fos-

siles. Il

aime mieux s'inspirer de toute l'Astrologie qu'enseigne

le traité

De lia composizione

del

Mondo.

Ce que Paul de Venise enseignait, en xv

e

au sujet de

siècle,

l'écrivaient

C'est à

en

cette

d'Astronomie i.

la

la

la

première moitié du

formation des montagnes, d'autres

seconde moitié du

même

siècle.

époque que nous devons rapporter un

médicale,

composé par

le

vénitien

Expositio Magistri Pauli Veneti Super libros de generatione

— Ejusdem

et

traité

Léonard

corruptione Aris-

De compositione mundi cum figuris. Colophon Impressum Venetiis mandato et expensis nobilis viri Domini Octaviani Scoti civis Modoetiensis duodecimo Kalendas Junias 1/198, per Bonetum Locatellum Bergomensem. lotelis

:


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

326

Qualéa, et dont nous possédons une copie manuscrite

par Arnauld de Bruxelles

composé par La

« ...

au troisième chapitre du

2

médecin vénitien

naturel,

moins lourde,

gagné l'eût

le

traité

:

par son

terre, qui est l'élément le plus lourd, aurait,

mouvement l'eau,

le

octobre i475.

le 22

Voici ce que nous lisons

achevée

1

centre du Monde, en sorte que

recouverte tout entière d'une couche

sphérique. »

Pourquoi

la terre n'est

Mais l'homme

pas entièrement couverte par ïeau.

et les autres

animaux, qui devaient

être

com-

posés des quatre éléments, n'auraient pu vivre en l'un quel-

conque des quatre éléments, pureté.

même,

Aussi, par

un

attirée et aidée

formes à sa nature,

effet

pris à l'état de simplicité et de

de

la

bonté divine,

la terre elle-

par certaines influences [célestes] con-

s'est

gonflée en certaines parties de sa

surface, elle s'est soulevée vers le haut; elle s'est trouvée, en

une certaine région, presque entièrement émergée; s'est

elle

presque à

Du

»

trouvée encore plus la

élevée,

ailleurs,

au point d'atteindre

région du feu...

tremblement de terre. Les extumescences de

la

terre

ont cessé, dès lors, d'être couvertes par l'eau qui tendait à son centre. Sous ces la

tumeurs

nature ne peut souffrir

des

mêmes

lités

se trouvaient des cavités; et le vide, ces cavités

éléments unis entre eux, mêlés

comme

ont été remplies

et viciés.

Les qua-

diverses et les répugnances mutuelles des éléments ainsi

mêlés engendrent en ces cavités des exhalaisons qui, ne trouvant pas d'issue, deviennent de plus en plus denses sières;

parmi ces exhalaisons,

il

en

qui ont la nature des choses ignées

est et

de chaudes tendent au

de l'élément léger; toutefois, la dureté terre

et la

et

et gros-

de sèches,

mouvement

pesanteur de

la

ne livrent passage à leur sortie qu'au prix d'une grande

Compendium clari viri Leonardi Qualea quod Aslronomiam medicinalem nuncupari Egiptiorum : Grecorum et ex multis Syrorum: Indorum: Arabum: Persorum Latinorum volurninibus coinpilatum: in facilita tenu medicorum et commoditatem injirmorum i.

voluit.

:

(Bibliothèque nationale, tonds latin, ms. n° 10*26/», fol. 57, recto, à fol. 96, recto). Voir, au sujet de ce texte Pierre Duhem, Ce qu'on disait des Indes Orientales avant e Christophe Colomb (Revue générale des Sciences, 19 année, p. /10a, 3o mai 1908). i. Léonard Qualéa, Op. cit. t capitnlum tertium; ms. cit., foll. 5g, verso, et 60,

recto.

:


LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE violence.

secondées

Alors,

attirées

et

par

827

les influences

de

certaines étoiles qui participent de leur complexion et de leur

nature, elles frappent la terre avec impétuosité, elles la heur-

puissamment,

tent

muniquant à

et finissent

la terre

Par suite de ce choc terre est,

par se

un

faire

un mouvement ou tremblement très intense et très violent,

Des

il

très fort.

arrive

et,

en mer, des

qui se sont montrées, récemment. C'est ce

îles

Santorin, dans la

tremblement de

une

mer

Egée. Tout à coup, en

eaux chaudes, au temps du

de

un semblable

nous

les

émergé du sein des Antiochus. Nous avons vu ces

roi

avait

île

avons foulées de nos pas.

L'éruption que Léonard Qualéa cite celle qui,

l'île

au milieu d'une violente éruption de a émergé. Tout auprès de là, au témoignage de

île

îles et

îles.

terre,

Justin et d'autres historiens, une

deux

la

qui est

arrivé de notre temps, en ces dernières années, près de

feu,

que

de nouveau, soulevée à une grande hauteur, ce qui,

sur la terre ferme, engendre des montagnes »

passage, en com-

en 1^57, a agrandi

l'île

comme

»

toute récente est

de Paléo-Kaimeni. Nous en

pouvons conclure que son Astronomie médicale

fut

composée

au voisinage de l'an i46o.

Ce que nous trouvons dans

les théories

géologiques de tous

Moyen Age, de Paul de Venise ou de Léonard Qualéa comme de Risloro d'Arezzo, c'est un souvenir de l'enseignement d'Albert le Grand et de Vincent de Beauvais, les

savants italiens du

auquel vient se mêler l'hypothèse des influences astrales. Rien,

dans

cette science italienne,

du Vinci sur

les

ne préparaît

mouvements

lents

du

les géniales

pensées

sol et sur la véritable

origine des fossiles; ces pensées lui ont été exclusivement

suggérées par

la lecture

des traités d'Albert de Saxe.

X Albert de Saxe. Ge que nous avons rapporté de l'enseignement d'Albert le Grand et de Vincent de Beauvais, si unanimement accepté


ÉTUDES SUU LÉONARD DE VINCI

3 28

pendant plus de deux

mieux comprendre

siècles

la

par

savants italiens, nous

les

fait

puissance et l'originalité des doctrines

e géologiques soutenues au xiv

siècle,

en l'Université de Paris,

par Albert de Saxe.

Nous avons présenté,

ailleurs

1 ,

ces

reprendrons pas l'exposé; nous nous bornerons ce qui les distingue des opinions

nous n'en

théories; à

souligner

que l'on professait aupa-

ravant.

Beaucoup des prédécesseurs d'Albert de Saxe ont admis, avec Avicenne, que l'action de l'eau pouvait engendrer des montagnes en accumulant les terres les unes sur les autres. Albert de Saxe assigne nettement à l'eau son rôle géologique véritable

l'eau détruit

;

à niveler la surface celle

de l'eau,

et la

mer

du

peu à peu toutes sol. Si

éminences

et

tend

aucune action ne contrebalançait

la terre finirait

la recouvrirait

les

par être entièrement sphérique

de toutes parts. Les vues d'Albertutius

touchant l'érosion sont tout à

fait

analogues à celles des phy-

siologues contre lesquels argumentait Théophraste.

Pas plus que Théophraste, pas plus que

pseudo-Philon,

le

le

maître de l'Université de Paris ne croit à ce nivellement final

de

ferme, à cette extension de l'eau à

la terre

la

surface entière

C'est qu'à l'action toujours destructive et niveleuse

du globe.

de l'érosion,

il

oppose,

comme

le

pseudo-Philon, une action

antagoniste. Seulement, cette action n'est plus une puissance

éruptive qui ferait croître les montagnes tandis que l'eau des pluies et des rivières les détruit

peu à peu. Le phénomène,

antagoniste de l'érosion, qu'Albert invoque, c'est

ment

soit des

lent

continents eux-mêmes, soit

un soulèvedu fond de

l'Océan; tandis que les continents, s'abaissant peu à peu par l'érosion, finiraient par se trouver au-dessous

mers, une tendance contraire terres,

les relève;

en

même

aujourd'hui submergées, sortiront des

très lente alternance, les continents

du niveau des temps, des

flots;

par une

deviennent océans

et les

océans deviennent continents.

Ce soulèvement lent i.

et

incessant

des

continents,

notre

Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu. Première série, Albert do Saxe et Léonard de Vinci, ill (Bulletin Italien, I. Y. 1905

Paris, [906.

I

:

,


LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE

329

auteur ne l'attribue nullement à une cause plutonienne;

trouve l'explication en sa théorie de

la

en

il

pesanteur. Toujours

le

centre de gravité de l'élément terrestre doit coïncider avec le

centre

immuable de

de densité de

l'Univers

la surface terrestre

du centre de

situation

terre; cette

changement de figure ou détermine un changement de

tout

;

gravité par rapport à la masse de

la

masse, alors, se déplace afin de remettre son centre

de gravité au centre du Monde. La diminution de densité des contrées échauffées par le soleil, les transports de terre vers le

fond des mers par

même

cours d'eau sont deux actions de

les

sens qui, sans cesse, tendent à placer le centre de gravité de

masse

la

terrestre

impriment

actions

mouvements pour que

monde,

le

le

plus près

du fond de l'Océan

;

ces

deux

ainsi à l'élément terrestre tout entier des

très lents,

mais ininterrompus à chaque instant, ;

centre de gravité de la terre rejoigne

fond des mers descend tandis que

le

centre

la surface

du des

un soulèvement. Ce soulèvement com-

continents éprouve

même

pense l'abaissement que l'érosion avait imposée à cette surface.

mer la terre enlevée mouvement d'ensemble

L'érosion qui transporte au fond de la à

surface

la

des

continents,

le

par lequel la terre ferme remonte sans cesse, forment une sorte de cycle qui se répète indéfiniment. Par ce

lent

de

l'élément

actuellement à

le sol

terrestre,

jusqu'à

la

terre;

dépasseront ce centre

elles la

alluvions

composent

qui

de l'Océan vont se trouver repoussées peu

peu jusqu'au centre de

gresser,

les

déplacement

puis,

continuant à pro-

et finiront

par arriver

surface de la terre ferme. Les couches superficielles

de notre continent ont donc été autrefois submergées en l'autre

hémisphère;

en sont venues peu à peu, franchissant

elles

successivement tous restre,

en sorte que

les

les

degrés que comporte l'épaisseur

plus voisines de la surface

du

ter-

sol sont les

plus anciennes. Cette théorie,

comme

toute la doctrine de la pesanteur déve-

loppée par Albert de Saxe, est aujourd'hui pensée morte les

deux grands

faits

;

mais

qu'elle tentait de relier l'un à l'autre

restent à la base de notre Géologie.

Il

demeure bien

certain


33o

ÉTUDES SUR LEONARD DE

que

l'érosion, qui a

VINCI

donné aux montagnes

et

aux vallées leur

actuelle configuration, tend à aplanir tous les reliefs

entraînant la terre au fond des mers.

que de

très lentes oscillations

de

la

Il

du

demeure bien

sol

en

certain

surface terrestre ont pro-

duit les continents en faisant émerger le fond des océans, tandis qu'elles déprimaient peu à peu des terres fermes et les faisaient disparaître sous

les flots.

De

ces vérités,

on trouve

des énoncés partiels chez les auteurs qui ont précédé Albert de

Saxe; mais nul d'entre eux ne les a aussi nettement formulées

que ce dernier; nul n'a aussi exactement assigné à chacune d'elles le rôle qu'elle doit

jouer dans l'explication des phéno-

mènes géologiques.

On

peut s'étonner qu'Albert de Saxe n'invoque pas l'existence

des fossiles tion

que

comme une

les

preuve convaincante de cette affirma-

continents actuels ont

autrefois partie du fond

fait

des mers. Cette existence ne pouvait être ignorée d'un habitant de Paris

;

sans doute,

il

avait eu maintes fois occasion

d'observer les coquilles que l'on trouve, reconnaissables, dans

la

sûrement lu

d'ailleurs,

Grand

et

et ces

écrits eussent suffi à signaler à

avait

abondantes

et si

plupart des terrains du bassin pari-

sien;

il

si

de Vincent de Beauvais, dont

la

d'Albert le

écrits

les

vogue

était

son attention

extrême, les restes

d'animaux qui demeurent au sein des

pierres.

semblable que

demeurés inconnus

les fossiles lui fussent

qu'il n'eût point

vu

le parti qu'il

Il

serait invraiet

en pouvait tirer en faveur de

ses doctrines. Il

est plus

probable que l'existence des

auteurs les plus lus, était connue

les

de Saxe, mais de tous ceux, maîtres

fossiles, signalée

non seulement d'Albert

et étudiants,

qui fréquen-

taient l'Université de Paris; Albert qui, visiblement,

chait fort la concision, aura jugé oiseux de

que nul n'ignorait autour de

mentionner un

i.

Thémon

Éludes sur Léonard de Vinci, ceux II.

fait

à parler des Questions sur les le fils

du

Juif.

Nous avons vu

que Nifo attribuait formellement ces questions

note

recher-

lui.

Nous avons eu, bien souvent, Météores compilées par

par

qu'il

a lus

el

ceux qui

l'ont

lu

à

;

1

Albert de première

série,


LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GEOLOGIE Saxe,

et

nous avons

nous fournissent

les

un court résumé de

1

d'Àlbertutius. Voici ce « Si,

meut

un

délaisse

elle

qu'elle

la

une partie de

à

du Juif

géologique

la théorie

:

mer la

recouvre une autre

effet,

le fils

se trouve soulevée, elle se

lieu plus bas; c'est ainsi qu'à certaines époques,

manière qui a en

résumé

en quelque endroit,

vers

Thémon

questions de

1

opinion de Nifo nous

dit à quel point celte

Or

paraissait fondée.

33

terre

de

une certaine époque,

s'écoule jusqu'à

ce

produit de

la

Gela se

partie.

à cause

été dite,

et

la

rareté

étant plus

terre,

la

de la terre; rare

d'un côté, y est plus légère; puis, à une autre époque, les parties qui étaient légères peuvent devenir beaucoup plus graves qu'elles n'étaient auparavant;

une région de

la terre,

plus grave. C'est de ce

répand sur

se

mouvement que

que certaines parties de

dit

cesseront

un jour de

C'est aussi de ce

mer

la

la terre,

celle

parle Àristote lorsqu'il

habitables aujourd'hui,

parce qu'elles seront submergées.

l'être

mouvement que

parle Ovide lorsqu'il conte

qu'en une certaine montagne, une ancre terre, signe lieu.

abandonnant qui est devenue

alors,

manifeste que

la

mer

fut

trouvée sous

avait autrefois

occupé ce

»

Le passage d'Ovide auquel nous avons

cité

au

§ II;

Thémon

afin de

fait

allusion est celui que

prouver que

la

mer

a séjourné

au sommet de certaines montagnes, Ovide ne mentionne pas

seulement cette légendaire découverte d'une ancre, mais présence incontestable de coquilles marines

la

:

Et procul a pelago conchae jacuere marina?, Et vêtus inventa est in montibus anchora summis.

De

ce passage,

Thémon,

qui concerne l'ancre et fossiles. N'est-ce

c'est-à-dire Albert

non point

de Saxe, retient ce

ce qui fait allusion

aux

point que les élèves des deux maîtres parisiens

avaient maintes fois trouvé des coquilles dans les pierres qu'ils avaient sous les yeux, tandis qu'assurément

ils

n'y avaient

découvert aucune ancre? i.

Quœstiones super quatuor libros Metheororum compilatae per doctissimum Philoso-

phiœ professorem

Thimonem

;

in lib.

II

quaest.

I.


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

332

XI Léonard de Vinci.

Thémon

de Saxe ni

Si Albert

n'ont

fait

aux

moin-

fossiles la

dre allusion, Léonard de Vinci n'a cessé de porter son attention sur ces débris; en ses notes manuscrites, maintes fois parle;

en recherche l'origine,

il

ont été

ils

Une

pétrifiés,

il

foule d'écrits,

en discute

Parmi

des

les

analyse

le

en

procédé par lequel

la signification

est vrai, lui

il

coquilles, de ces restes italienne.

il

il

géologique.

suggéraient l'étude de ces

d'animaux dont abondait mainte roche

ouvrages que nous avons étudiés au cours

chapitres précédents,

n'en est guère dont

il

n'ait

il

pu

prendre aisément connaissance.

En

i5oo, le traité Des météores d'Aristote, traduit en

l'an

imprimé.

latin, avait été plusieurs fois

Presque toutes

les

anciennes éditions latines des œuvres

nombre des ouvrages de cet auteur ou De proprietatibus elementorum; c'est

d'Aristote mettaient au le livre

ainsi

De

elementls

que nous avons étudié

le livre

dans une édition donnée

en 1^96, à Venise, par Gregorius de Gregoriis. Le traité Des minéraux d'Avicenne était pris par Alessandro Achillini pour

une œuvre du

Stagirite;

il

d'autres

écrits

imprimé

à Bologne, par Benedictus Hector,

d'Aristote

et

même

Les divers fragments de ce

dans

le

l'an 1470, par

est

dans un

recueil

en l'an i5oi.

traité se

retrouvent tous

Hermann de traité

or,

le

splendidement imprimé à Strasbourg, en

Jean Mentelin;

il

l'est

i483, par Antoine Goburger,

Le

compris, avec

Spéculum naturale de Vincent de Beauvais;

Spéculum naturale en

d'Achillini,

était

également à Nuremberg,

et à

Venise, en

i4q3, par

Lichtenstein.

De minerallbus

d'Albert

le

Grand

est

imprime

en 1476, à Padoue, par Pierre Maufer; en 1/191, à Pavie, par C. de Canibus; en i4*)5, à Venise, par Joannes et Gregorius de Gregoriis.


LÉONARD DE \LNCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE

Joanncs

333

Gregorius de Gregoriis donnent également à

et

Venise, en i/io5,

une édition du

Des météores d'Albert

traité

le

Grand.

La paraphrase du savant dominicain sur tatum elementorum semble avoir été

en i5i7,

fois

De causls proprieimprimée pour la première le

à Venise, par les héritiers d'Octavianus Scotus,

avec les paraphrases sur les autres Parva naturalia; mais avant cette publication, les textes

manuscrits de cet ouvrage n'étaient

sans doute rien moins que rares.

De compositione mundi de Paul de Venise, résumé de l'œuvre italienne de Ristoro d'Arezzo, fut imprimé Enfin, le traité

en

1/198 à

en

était l'éditeur.

Venise par Bonetus Locatellus; Octavianus Scotus

La plupart de ces accessibles au Vinci;

d'un texte

textes, écrits il

en

était

en

latin, étaient

sans doute de

même

aisément de plus

imprimé ou manuscrit; ainsi M. Girolamo certains emprunts faits par Léonard au poème

italien,

Calvi a relevé

r

de ÏAcerba de Gecco d'Ascoli.

donc extrêmement vraisemblable que Léonard ait connu quelques-uns au moins des écrits divers que nous avons Il

est

analysés et que la lecture de ces écrits

ait

contribué à signaler

l'étude des fossiles à sa sagace curiosité.

considérations développées par

les

mécanisme de

la pétrification

qu'Avicenne avait qu'Albert

le

dit

Grand en

le

Il

semble bien que

grand peintre sur

le

rappellent par quelques traits ce

de cette question

et,

mieux encore,

ce

avait écrit.

Léonard a lu quelques-uns des livres que nous venons d'énumérer, s'il leur a peut-être emprunté quelques indications sommaires sur la fossilisation des débris animaux, Mais

si

une chose demeure bien certaine et bien avérée Les doctrines que ces livres renfermaient, en dépit de la vogue dont elles e jouissaient auprès des savants italiens du xv siècle, sont :

demeurées étrangères

à la

Géologie de Léonard.

Une

seule

influence a impérieusement dirigé toutes les recherches géolo-

giques du grand peintre; cette influence dominante, souve1.

Toni,

77

manoscritto

H di Leonardo

d'Ascoli (Archivio storico italiano, 1899).

da Vinci, e UFiore di Virth e VAcerba di Cecco


ÉTUDES SUR LÉONARD DE V1NCÎ

334

Saxe; tout ce que

raine est celle d'Albert de

touchant l'émersion ou observations et tous

les

la

les

le

Vinci a écrit

submersion des continents, toutes raisonnements

sujet des fossiles, tout cela tend

qu'il a

constamment

accumulés au

un but unique:

à

exposer, commenter, prouver la théorie d'Albert de Saxe sur

mouvements

les

lents de la terre.

Cette théorie, nous la trouvons maintes fois formulée, et de la

manière sur

jetait

étude

la

le

,

dans

recueillir

Nous avons

papier.

énoncés de

les

1

plus nette, en ces précieuses notes que Léonard

dans une précédente

doctrine que nous avons

cette

manuscrits

divers

les

extrait,

publiés

pu

par M. Gh.

Ravaisson-Mollien. D'autres manuscrits en renferment qui sont

encore plus complets

et

plus clairs,

si

possible.

Voici d'abord une phrase 2 destinée au préambule du Traité

de l'eau auquel Léonard travaillait sans cesse «

De

ces livres, les premiers traitent de la nature de l'eau,

considérée en elle-même,

et

de ses mouvements;

traitent des choses qu'elle fait

du Monde.

centre et la figure

A

seconde

la

passage 3 «

:

de

partie

s'est

faite

s'est

»

ce

programme

plus

faite

plus légère

légère

;

et

se

cette

sur laquelle

a

grand écoulement d'eau. Cette partie donc

comme

le

rapporte ce

:

Monde, qui

légère

autres

dans son cours, qui change

Cette partie de la terre s'est plus éloigné

terre

les

d'où s'écoulent les Alpes,

l'Italie, et

Danube au

nord-est, le

bles rivières qui les

partie

passé s'est

et la

de

la

un plus

faite

un plus grand nombre de

qui séparent l'Allemagne

d'où sortent

du centre du

plus

fleuves,

France de

Rhône au midi, le Rhin au nord, le Pô au levant, ainsi que les innombra-

le

accompagnent; ces fleuves courent sans

cesse à la mer, troublés par la terre qu'ils emportent avec

eux.

»

i. Albert de Saxe et Léonard de Vinci, III {Bulletin Italien, t. V, janvier-mars 1.905. Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, première série, I, pp. 2 9 -3i). a. Léonard de Vinci, Ms. de la Bibliothèque du Comte de Leicester, Holkham Hall, Norlbllk, fol. 5, recto. J. P. llichter, The literary Works of Leonardo da \inei. London, i883; l. II, art. 919.

3.

Léonard do Vinci, Ms.

cit., fol.

10, recto.

llichter. Op.

cit., t. 11, art.

io03.


335

LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GEOLOGIE Ailleurs

nous retrouvons, en des termes peu

1

,

même

celte

Saxe

différents,

pensée, qui est essentiellement celle d'Albert de

:

Cette partie de la surface d'un grave quelconque se fera

«

plus éloignée du centre de sa gravité,

qui se fera de plus

grande légèreté.

En

»

l'élément terrestre, donc,

le lieu

d'où

empor-

les fleuves

montagnes pour la porter à la mer, est un gravité diminue ce lieu se fera donc plus léger et,

tent la surface des

dont

lieu

la

;

par conséquent, plus éloigné du centre de gravité de c'est-à-dire le

du centre de

l'Univers, qui coïncide toujours avec

centre de gravité de la terre.

Au

la terre,

»

cahier où se trouve la réflexion précédente, nous lisons

encore

celle-ci

2 :

Le centre du Monde change sans cesse de situation au sein

«

du corps de

la terre, et cela

Cela se démontre par

»

ment enlevé des bords

et

en fuyant notre hémisphère.

le terrain susdit,

qui est continuelle-

des flancs des montagnes pour être

porté à la mer; plus est grande la quantité de ce terrain qui est enlevée, plus

il

s'allège et,

par conséquent, plus s'aggrave

terrain dont la pesanteur était

times

;

il

est

de situation.

donc nécessaire que

un

il

ondes maris'agit

change

l'énoncé de la

même

centre dont

autre recueil 3

il

,

:

Le centre du Monde

a

le

les

»

Voici encore, en

doctrine

diminuée par

le

se trouve (par

est,

de

soi,

immobile; mais

rapport au corps de

la situation

sans cesse

la terre) est

en mouvement de diverses façons. Le centre du Monde change continuellement de situation; de ces changements, l'un est de plus lent se

mouvement que

produit toutes

les

l'autre; car l'un

six heures et l'autre

de ces changements s'accomplit en

grand nombre de milliers d'années. Celui qui dure naît

du

flux et

du

reflux de la

mer;

six

l'autre dérive de la

un

heures

consom-

Léonard de Vinci, Ms. L. de la Bibliothèque de l'Institut, fol. 17, recto. Léonard de Vinci, Ms. L. de la Bibliothèque de l'Institut, fol. i3, verso. Del moto e misura dell' 3. Léonard de Vinci, Il Codice Atlantico, fol. 102, recto b. Mario Baratta, Leonardo da Vinci e problemi delta Cf. acqua, lib. I, cap. XXX. i.

2.

terra,

ïorino, 1903,

p. 255.

:

i


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

336

mation des montagnes par

les

mouvements de

l'eau,

mouve-

ments qui naissent eux-mêmes des pluies et du cours continuel change par rapport au centre du des fleuves. La situation J

Monde,

et

non pas

centre par rapport à la situation, car ce

le

centre est immobile, tandis que la situation se

mouvement

d'un

curviligne.

rectiligne

;

et

meut sans

cesse

jamais ce mouvement ne sera

»

Si l'on réunit ces diverses citations à celles

que nous avons

données en notre première étude sur Albert de Saxe

et

Léonard

de Vinci, on ne pourra, croyons-nous, se refuser à cette

mation

La théorie des déplacements

:

lents de la

masse

proposée par Albert de Saxe n'a cessé, aux époques

affir-

terrestre les

plus

diverses, de préoccuper Léonard.

A

cette affirmation,

il

en faut maintenant joindre une autre:

Si le Vinci a prêté la plus siles, c'est qu'il

grande attention à l'étude des

fos-

voyait en la présence de ces coquilles au sein

des roches une preuve convaincante en faveur de la doctrine

géologique d'Albertutius.

Que sage «

2

telle soit

bien

la

pensée du grand peintre, voici un pas-

qui ne nous permettra pas d'en douter

De

la

mer qui change

le

poids de

la terre.

:

— Les coquillages,

animaux qui naissent dans les fanges marines témoignent du changement de la terre autour du centre de nos éléments; on le prouve ainsi huîtres

et

autres semblables

:

»

Les fleuves royaux courent toujours troubles à cause de la

terre qui s'élève

sur

le

fond

découvre

et

en eux par suite du frottement de leurs eaux

contre leurs rives; cette lente consommation

front des degrés faits aux couches

le

du

sol

où sont

ces coquillages, qui se trouvent dans la surface de la fange

marine où

ils

naquirent, quand les eaux salées les couvraient.

Ces degrés étaient recouverts de temps en temps parles fanges

de diverses grosseurs conduites à diverses

les

grandeurs

murés

coquillages restaient

i.

Il sito,

le

et

eaux

mer par

les fleuves, selon

diluviennes

;

ainsi

ces

morts sous ces fanges accu-

point variable de la substance terrestre qui, à ebaque instant, coïn-

cide avec le centre 2.

des

la

du Monde.

Léonard de Vinci, Ms.

E. de la Bibliothèque de l'Institut, fol.

!\,

verso.


LEONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE

mulées de

telle

épaisseur que la surface en émergeait à F air.

Maintenant ces fonds sont à une

devenus

collines,

les flancs

ou hauts monts,

si le

telle

hauteur qu'ils sont qui consument

et les fleuves

de ces monts découvrent

en sorte que

33y

degrés des coquillages,

les

côté allégé de la terre s'élève continuellement,

antipodes s'approchent plus du centre du Monde, et les

les

mer sont

antiques ondes de la

Ce passage fondamental a dit des

mouvements

sommets des monts.

faites

que Léonard

établit le lien entre ce

incessants

du

»

sol et ce qu'il a écrit

au

La présence des fossiles loin de la mer et jusqu'au sommet des plus hautes montagnes lui paraît être un sujet des

fossiles.

argument probant en faveur de la théorie d'Albert de Saxe mais la valeur de cet argument est subordonnée à l'acceptation ;

de cette proposition

:

Les coquilles que renferment

sont des restes d'animaux marins qui ont vécu là les

les

roches

même

où on

découvre aujourd'hui. C'est donc à l'établissement de cette

proposition que vont tous les efforts du Vinci. Cette proposition,

il

entreprend de

en développant une théorie de et

démontrer directement

la

qui en dérive,

la pétrification

qui rende exactement compte de l'aspect des fossiles. Nous

avons

cité,

en notre étude sur Albert de Saxe

et

Léonard de

Vinci,

du cahier F de la Bibliothèque de l'Institut, où Léonard analyse en détail le mécanisme de la pétrification cette note fait logiquement suite, en quelque sorte, à celle que une note

extraite

;

nous venons de rapporter. Cette preuve directe ne suffirait pas à mettre hors de doute la

proposition qu'il s'agit d'établir,

l'on n'y joignait la réfu-

si

tation des doctrines qui la contredisent.

Or, ces doctrines sont de

Une

deux

sortes

:

théorie, fort en faveur auprès des astrologues italiens,

prétend que

les coquilles incluses

ne sont point

«jeux de

la

les

restes

en

la

substance des rochers

d'animaux ayant eu

nature», engendrés au sein de

vie,

la terre

mais des par une

vertu astrale.

Une

autre théorie

admet que

d'êtres autrefois vivants, là

où P.

se

mais

trouvent leurs tests;

DLHEM,

les

elle nie elle

fossiles

que ces

sont les débris êtres aient

vécu

veut voir en ces coquilles


études

338

s un

Léonard de vin ci

des épaves apportées, puis délaissées, par la

mer en

ses débor-

dements diluviens. Contre ces deux théories, Léonard de Vinci argumente avec vivacité.

Nous Favons vu, en notre étude sur Albert de Saxe

et

Léonard

de Vinci, relever l'absurdité de l'hypothèse astrologique qui attribue la formation des fossiles à l'influence céleste.

Plus pressante et plus instante est son argumentation contre l'hypothèse diluvienne, car celle-ci ne partage point la criante absurdité de l'hypothèse astrologique. Citons

combat

la

il

des passages

1

:

«Comment dans

couches rocheuses 2

les

trouvent encore

l'autre, se

un

les traces

,

entre l'une

et

de la marche des lombrics

qui cheminaient entre elles alors qu'elles n'étaient pas desséchées.

Comment

»

coquilles

et

toutes les fanges marines retiennent encore des

que

coquilles

les

et la

fange se sont pétrifiées

ensemble.

De

»

de

la sottise et

la simplicité

mers

ces lieux distants des

de ceux qui veulent qu'en

les coquilles aient été portées

par

déluge.

le

Gomment une autre

»

ou

les

le ciel

célestes

ont créés en de

comme

;

secte d'ignorants affirme tels lieux

que

la

nature

par des influences

l'on n'y trouvait pas les os (les coquilles)

si

des poissons qui se sont accrus par la longueur du temps,

comme

si

dans l'écorce des coquilles

pouvait pas compter les années ou

qu'on

pour

peut faire pour

le

les ramifications

en aucune de leurs »

de

des colimaçons on ne

mois de leur

les

cornes des bœufs

et

vie, ainsi

des béliers, ou

des plantes qui n'ont jamais été taillées

parties.

Lorsque nous avons prouvé par de

la vie i.

les

et

tels

de ces animaux est manifeste,

il

signes que la durée

nous faut bien con-

la Bibliothèque du Comte de Leicester, Holkham Hall, Richter, The literary Work of Leonardo da Vinci, t. II,

Léonard de Vinci, Ms, de

Norfollk,

fol.

10, recto.

art. 996. 2. Léonard avait observé avec beaucoup de soin les strates parallèles et superposées dont sont formées les roches sédimentaires; pour s'en assurer il suffit, au

Musée du Louvre, d'examiner encore, de

la

Sainte Anne.

le

premier plan de

la

Vierge ans rochers et,

mieux


LÉONARD DE

VINCI ET LES ORIGINES DE LA GEOLOGIE

33(J

mouvoir pour chercher leur nourriture, et nous ne voyons en eux aucun instrument capable de creuser la terre ou la pierre où on les fesser

que ces animaux ne vivaient point sans

trouve maintenant reclus. Mais

comment

peut-il se faire qu'en

une grande coquille de limaçon, on trouve

les

sinon parce que, sur ce limaçon déjà mort

et les

abandonné sur

et

ces débris ont été jetés par les ondes de la

plage,

comme

fragments

beaucoup d'autres coquilles de diverses espèces,

parties de

la

se

mer,

autres choses légères qu'elle rejette sur la terre?

les

Pourquoi trouve-t-on tant de fragments de coquilles entre

deux couches de déposées sur

par le

la

la

sinon parce que ces coquilles déjà

pierres,

plage y furent recouvertes d'une terre rejetée

mer, laquelle terre

venue ensuite à

est

se pétrifier? Si

déluge en question avait transporté ces coquilles depuis

mer, tu

les trouverais à la limite

aux limites de couches multiples

compter

les

tiplié les

couches de sable

d'une seule couche, ;

ont apportées

et qu'elle a

de vase que

et

non

et

que l'on peut

à tel point

printemps des années, parce que

la

la

mer

a

mul-

les fleuves voisins lui

déposées sur ses rivages. Si tu voulais

prétendre que plusieurs déluges ont contribué à produire ces

couches avec affirmer en

déluge.

les coquilles

outre que,

qu'elles renferment,

chaque année,

il

est

il

te faudrait

arrivé

un

tel

»

Le manuscrit de Léonard de Vinci que l'on conserve en la

Bibliothèque du comte de Leicester renferme

autres passages

l

où sont accumulés

quels on peut réfuter l'hypothèse

les

plusieurs

arguments par

les-

du transport diluvien des

fossiles.

Tous ces raisonnements, en lesquels nous voyons Léonard développer ses qualités d'observateur merveilleusement curieux et sagace,

tendent à un

même

objet, la

démonstration convain-

cante de la théorie géologique d'Albert de Saxe.

Après avoir

cité les

considérations sur les érosions et les

alluvions que contient le Traité des minéraux attribué à Avi-

i.

verso.

Léonard de Vinci, Ms.

J.-P.

Richter, Op.

nardo da Vinci ed

i

cit., fol. 8,

verso, fol. 9, recto et verso, fol. 10, recto et Mario Baratta, Leo987 à 989, 991, 996.

cit., t. II, artt.

problemi délia terra, pp. 297-302.


3Z|0

ÉTUDES SLR LEONARD DE VINCI

cenne par Albert

le

gène Mûntz écrivait u II

Grand, 1 :

hors de doute que plus d'une de ces idées se retrouve

est

chez Léonard de Vinci; mais

Une

surface.

par M. de Mély, Eu-

et à Aristote

fois

de plus,

analogies ne sont qu'à

les

faut tracer

il

la

une ligne de démar-

cation des plus tranchées entre les deux parties de l'œuvre écrite

de Léonard

usage personnel,

:

ou bien

les textes

il

copie textuellement, pour son

de ses prédécesseurs, sans chercher

ni à les contrôler, ni à les développer;

propres

il

On

serait fort

ses

expériences, tant soit peu déduite, qui ait

départ dans

une

embarrassé de

les

ne fût-ce qu'une seule de

citer,

un point de

travaux d'un devancier. Bien plus,

d'inaptitude à s'assimiler ceux-ci,

sorte

vole de ses

bibliographie du sujet.

sans nul souci de la

ailes,

ou bien

si

montre

il

grande

est

l'indépendance de sa vision. »

que

Les rapprochements qui viennent d'être établis prouvent le

grand savant florentin

se rencontrait à tout instant avec

du Moyen Age ou de l'Antiquité, mais cela à son insu plutôt que de propos délibéré ». 11 nous a semblé piquant de citer ce jugement porté sur plus lumineux génies

les

hommes

Léonard de Vinci savant par l'un des étudié Léonard de Vinci artiste.

formuler un qui vérité; et

soit plus

Il

qui ont

nous paraît

exactement

le

le

plus

difficile

d'en

contre -pied de la

nous croyons que nos diverses études sur Léonard

sur ceux qu'il

lus justifieraient

a

et

une sentence qui contredit

mot pour mot la précédente. Non seulement les notes manuscrites de Léonard prouvent qu'il avait

beaucoup

lu,

puissance avec laquelle

mais il

témoignent de l'admirable

elle

s'assimilait tout ce qu'il lisait.

En

quelqu'une des pages que ses doigts feuilletaient, une pensée nouvelle copier;

il

afin de la faces.

s'offrait elle à

son esprit?

i.

E.

série,

ne se bornait pas à

contempler

De ce

travail

à plusieurs reprises sous

témoignent

les

chacune de

;

ses

formules diverses sous

même

pensée en des notes

Mûntz, Léonard de Vinci cl les savants du Moyen-Age (Revue XVI, p. 5i 5 i;G octobre 1901).

l.

la

l'examinait et la retournait longuement en tout sens,

lesquelles nous retrouvons cette

W

Il

scientifique,


LÉONARD DE VINGT ET LES ORIGINES DE rédigées à des époques différentes

il

;

LA.

GÉOLOGIE

3/|

I

de

est telle proposition

Mécanique, d'Hydraulique, de Géologie, dont nous avons pu, avec certitude, indiquer

source, qui n'est assurément qu'un

la

dont

facile

de relever quatre,

cinq, six énoncés, légèrement différents les

uns des autres, en

souvenir de lecture,

est

il

ou quatre des cahiers manuscrits

feuilletant trois le

et

laissés

par

grand peintre.

Ce labeur

n'était pas stérile.

pensée sous tous ses aspects,

À le

Vinci finissait par démêler

avec une extrême pénétration tous

de cette pensée. Parmi ses lectures,

il

les

même

une

force d'examiner

les

tenants et aboutissants

autres idées recueillies au cours de

découvrait celles qui pouvaient être rappro-

chées de cette pensée, qui l'éclaireraient ou qui en seraient

Parmi

éclairées. recueillis,

cette

il

les

faits

que son attentive curiosité avait

distinguait ceux qui pouvaient servir de preuves à

pensée ou qui allaient être expliqués par

elle.

tion des divers problèmes qui hantaient son esprit, Il

de cette pensée en chacun

qu'il

Chaque

vérité à

vérité

;

un

lien,

la

place

dessein

avait

tel est le

plus ou moins immédiat, avec

principe qui nous paraît dominer

génie de Léonard et en

commander

Dirigé par ce principe,

Vinci a su

fût;

devinait

il

%

d'écrire.

chaque

traités

la solu-

marquait

quel secours cette pensée pouvait apporter. des

A

bien

lire,

nouvelle que

en

effet, c'est

le livre

apercevoir clairement les vérités

le

lire

mieux que qui que ce

met sous nos yeux, mais les

démarches.

non seulement recevoir

la vérité

c'est

encore

rapports qu'a cette vérité avec toutes

que nous connaissons

dont nous souhaitons

toutes les

le

déjà, avec tous les

problèmes

la solution.

Et c'est précisément parce que Léonard

lisait

ainsi,

parce

un grand inventeur. Toutes les fois qu'en ses courtes notes, nous voyons apparaître une de ces idées qui portent la marque du novateur génial, nous reconnaissons que cette idée est née du rapprochement de deux qu'il lisait bien, qu'il a été

autres pensées; tantôt ces deux pensées, au contact fécond, ont été tirées

de deux livres; tantôt l'une d'elles est venue, par

lecture, retrouver l'autre

que l'observation avait

tirée

des

la

faits.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

3/|2

La doctrine géologique de Léonard

est peut-être

son inven-

tion scientifique la plus complète et la plus durable; or elle

semble singulièrement propre à confirmer tout ce que nous

venons d'avancer. cette doctrine,

ments

Si

nous remontons, en

que trouvons-nous? D'une

à l'origine de

effet,

part, des renseigne-

précis sur les coquilles fossiles, sur la nature des

très

roches où elles se trouvent, sur leur disposition au sein de ces roches, sur leur état de pétrification; tous ces renseignements

ont été recueillis sur

terrain

le

une théorie de

naturaliste. D'autre part,

mouvements du Saxe

sol;

et le liseur l'a

in libros

de Cœlo

et

par l'observation sagace du la gravité et des petits

cette théorie vient

rencontrée dans

de Maître Albert de

les Subtilissimœ

Mando composées par

quœstiones

cet auteur.

Léonard

n'a cessé de discuter les constatations qu'il avait recueillies et

de méditer

parvenu taient les

les

propositions qu'il avait lues, jusqu'à ce qu'il fût

à reconnaître très

exactement comment

elles s'adap-

unes aux autres.

XII

Léonard de Vinci et la tradition parisienne en Italie. Tandis que

les Italiens

admettaient, en général, une théorie

géologique plutonienne qui dérivait plus

Grand et de Ristoro embrassé une doctrine neptu-

tement de l'enseignement d'Albert d'Arezzo, Léonard de Vinci a

nienne dont

ou moins exac-

le

les principes avaient été

posés au xiv e siècle, à

Paris, par Albert de Saxe; cette doctrine,

il

l'a

corroborée par

une étude minutieuse des fossiles. Léonard nous apparaît, de prime abord, comme un homme qui ose penser tout autrement que les savants de son temps et de son pays. Sa grande

demande cependant à être de minutie. Léonard a-t il exhumé

originalité n'est pas douteuse; elle

appréciée avec un peu plus

une théorie

scientifique délaissée depuis cent cinquante ans et

tombée dans un complet oubli?

S'est-il

borné

à

douer dune


343

LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE

vigueur nouvelle une doctrine qu'une tradition ininterrompue

que nous

avait portée, vivante encore, jusqu'à lui? C'est ce

voudrions examiner avant de clore

La théorie des

petits

cette étude.

mouvements de

Albert de Saxe, n'a cessé, après

la

créée par

terre,

d'être enseignée par les

lui,

maîtres de l'Université de Paris.

Ouvrons

Questions

les

Physique d'Aristote

«

1

où Marsile d'Inghen commente

Paris.

Nous y voyons 2 que

admet

la continuelle

le

recteur

futur

»

de

de Heidelberg

mobilité du globe terrestre imaginée par

meut fort souvent; cela a lieu produit un grand changement de pesanteur en une

Albert de Saxe lorsqu'il se

méthode des nominalistes

selon la

la

:

La Terre

«

se

de ses parties, à la suite de construction de villes, par exemple,

ou d'inondations marines, ou

d'effets

analogues; alors

entière se trouve chassée hors de son lieu;

il

se fait

la

Terre

un centre

(de gravité) autre que celui qui était auparavant; à la suite de

mouvements,

tels

du globe

les parties

centrales, deviendront superficielles.

»

Marsile d'Inghen n'a pas seulement sur

les livres

des

mêmes

des Physiques ;

livres, sorte

fréquemment

suivi

en ces Abréviations, terrestre est aussi

il

qui, autrefois, étaient

composé

ses Questions

a encore écrit des Abréviations

de manuel qui semble avoir été très

dans l'enseignement des universités. Or, le

mouvement

du globe plus complètement

lent et incessant

formellement admis

et

étudié que dans les Questions. «

La

d'un

terre entière, dit Marsile

mouvement

lement, en

d'Inghen 3

local de descente.

effet, le

On

le

,

se

meut sans

prouve

:

Continuel-

centre de gravité de la terre se trouve en

dehors du centre du Monde, en sorte

qu'il

descend continuel-

lement. Cette conséquence est logiquement établie; en lorsque

la terre se

cesse

meut de mouvement naturel vers

le

effet,

centre

Quœstiones subtilissimœ Johannis Marcilii Inguen super octo libros Physicorum Impfessœ Lugduni per honestum virum nominatium viam. Colophon Johaunem Marion, anno Domini MCCCCCXVIII, die vero XVI mensis Julii. i.

secundum

:

Marsile d'Inghen, loc. cit., in librum II quaestio II. Incipiunt subtiles doctrinaque plene abbreviationes libri phisicorum édite aprestantissimo philosopho Marsilio Inguen doctore parisiensi (ce livre, imprimé aïant i5oo, ne porte ni date, ni indication typographique, ni pagination), feuillet signé k. 3, 2.

3.

col. a.


ÉTUDES SU

3/|4

du Monde,

désire

elle

II

LÉONARD DE VINCI

simplement que

sa gravité

trouve

se

également répartie de tous côtés autour de ce centre;

n'en

s'il

aucun obstacle ne s'interpose, la terre se meut jusqu'à ce que son centre de gravité soit le centre du Monde; et d'ailleurs, il est certain qu'il n'existe aucun obstacle naturel capable d'empêcher le mouvement d'un poids aussi considérable que celui de la terre entière. D'autre part, l'hypopas ainsi, et

est

thèse

émergée

s'allège,

en sorte que

effet,

la

terre

centre de gravité de la terre

le

constamment hors du centre du Monde. La conséquence de

est

ce

évidente; continuellement, en

est

faite

si

raisonnement

tient

logiquement aux prémisses; supposons,

du centre, et enlevons un certain poids à l'une des moitiés du globe sans l'enlever à l'autre; nous aurons produit une inégalité dans la répartition des poids. Quant à l'antécédent, il est évident, car les rayons du soleil rendent sans cesse plus légères en

effet,

que

gravité soit également répartie tout autour

émergées.

les terres «

la

Peut-être répondra-t

Lors

même

que

on de

sphère de

l'air

En second

petit excès

constituer

raisonnement

de gravité ne

:

suf-

qu'est le poids de

on pourra prétendre que

mouvement

modique en pesanteur

la

rectiligne,

et légèreté

ne peut

une puissance motrice capable de surmonter

résistance de la

lieu,

telle

tout entière résiste à ce

et cette inégalité si

A

si

ce

terre deviendrait plus

la

pas à émouvoir une résistance

toute la terre.

«

un

sorte à

de

cette moitié-ci

légère et l'autre plus lourde, firait

la

la

l'air. »

première objection, nous répondrons que ce n'est pas

seulement

le petit

excès du poids ajouté qui s'efforce à

mou-

voir la terre, mais que c'est la terre elle-même, et tout entière,

qui tend à se placer de la sorte; lors donc que rien ne l'em-

pêche de

se placer ainsi, elle se

telle situation.

La solution de

mouvra d'elle-même la

évidemment par un raisonnement

une donne

vers

seconde objection se

tout semblable; cette objec-

tion est, en effet, sans valeur; c'est la terre entière qui produit

mouvement; elle a certainement plus de puissance pour mouvoir que l'air pour résister, alors surtout que ce mouvement ne produit aucune discontinuité au sein de l'air. »

ce


3^5

LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE

La seconde des objections que Marsile d'Inghen réfute en ce passage avait été indiquée par Albert de Saxe lui-même \ «

On

peut répondre,

»

dit,

avait-il

qu'un allégement quel-

«

conque apporté à l'une des faces de la Terre ne saurait suffire à la faire mouvoir, à cause de la résistance que l'air oppose sur l'autre face.

Albertutius n'avait d'ailleurs pas insisté sur

»

cette objection.

Après Marsile d'Inghen, l'Université de Paris ne connut sans doute pas de maître plus réputé que Pierre d'Ailly qui fut évêque de Cambrai, cardinal, et que l'on surnommait Aquila

sphœram Johannis de Sacro Bosco, composées par le très savant cardinal, eurent une vogue extrême; elles furent souvent imprimées à la fin du

Francise. Les

Qualuordecim quœstiones

xv e

au début du xvi c

siècle et

tions, «

un exposé

Au

d'Ailly 2

On

trouve, en ces ques-

la théorie

d'Albert de Saxe.

rectiligne de la Terre, dit Pierre

mouvement

faut supposer en

il

,

complet de

très

sujet de ce

siècle.

in

premier

lieu

que

le

centre de

gravité de la terre se trouve continuellement au centre

Monde. En du Monde,

alors

effet,

le

corps

le

que tous

du

graves tendent au centre

les

plus pesant doit avoir sans cesse son

centre au centre du Monde. » Il

faut supposer, en second lieu,

en deux parties de teraient

même

comme deux

ajoutait à l'une des

que

gravité, ces

si

l'on divisait la terre

deux parties

se

compor-

poids en équilibre; en sorte que

deux parties une surcharge

elle, cette partie tirerait l'autre

si

si

l'on

petite soit-

vers le haut. D'ailleurs, la ligne

qui partagerait la terre en deux moitiés d'égal poids passerait

par la

le

centre

du Monde. Cette seconde supposition

résulte de

première.

on suppose que si la terre était partagée par la pensée en deux moitiés d'égal volume, ces deux moitiés seraient de poids inégal; en effet, il est une partie de la terre »

En troisième

lieu,

qui se trouve continuellement exposée aux rayons du soleil; cette partie est sans cesse échauffée et allégée

par

la

chaleur

Alberti de Saxonia Quœstiones in libros de Cœlo et Mundo; lib. II, quaest. X. Cf. Alberti de Saxonia Quœstiones in libros physicorum ; lib. VIII, quanst. IV. 2. Pétri de Aliaco Quatiiordecim quœstiones in sphxram Joannis de Sacro Bosco, i. :

quaestio MI,


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

3:'|6

solaire; l'autre partie, qui se trouve sous les eaux, est alourdie

par

de l'eau

le froid

;

la

donc moins lourde que

En quatrième

moitié de

la terre

qui est émergée est

l'autre moitié.

on suppose que des parties de la terre émergée s'écoulent constamment vers la mer; de même, cer»

taines parties de

lieu,

terre,

la

effritées

par

emportées sous forme de poussières par lement, jetées

à la

sont

la sécheresse,

vents

les

et, fina-

mer.

Ces hypothèses posées, nous formulerons une première

»

conclusion

:

La terre se meut constamment d'un certain mou-

vement rectiligne, car l'une des moitiés de la terre pousse constamment l'autre moitié. En effet, l'une des deux moitiés devient constamment plus lourde que l'autre; donc, par nos deux

premières suppositions,

première moitié repousse

la

constamment la seconde. » De là découle ce corollaire que maintenant au centre

est

se trouvera

de

la partie

un jour

qui

la terre

à la surface.

En

partie qui est actuellement au centre s'éloigne de ce

effet, la

communique

centre par l'impulsion que lui

la partie

plus

lourde, en sorte qu'elle finira par arriver à la surface.

De là résulte encore cette seconde conséquence, qui démontre comme la précédente Le centre de gravité de »

:

se la

terre varie sans cesse. »

Mais on

pourrait formuler cette objection

meut sans

terre se

la

cesse vers le Ciel, elle devrait se trouver

déjà transportée jusqu'au Ciel. tion,

Puisque

:

nous poserons

cette

Pour répondre

à cette objec-

seconde conclusion

:

Il

est

pro-

bable que la terre entière, prise dans son ensemble (loquendo cathegoreumatice) se

demeure en repos au centre du Monde

meut nullement d'un mouvement

la terre,

en

effet, est

rectiligne.

et

ne

L'ensemble de

toujours à égale distance des diverses

exempt de mouvement rectiligne; car la terre entière ne pourrait être animée d'un mouvement rectiligne qu'elle ne s'approche ou ne s'éloigne du Chacune Ciel, ce qui n'est pas. Il ne faut pas raisonner ainsi des parties de la terre est animée d'un mouvement rectiligne, donc la terre entière est animée d'un semblable mouvement. parties

du

Ciel,

en sorte qu'il

est

:


LÉONARD DR VINCI ET LES ORIGINES DE LV GEOLOGIE

34/

remarque résout l'objection proposée. Que l'on empile, par exemple, dix pierres l'une sur l'autre; que l'on prenne la Cette

pierre la plus élevée, et qu'on

la

place sous la plus basse, en

soulevant celle-ci; que l'on prenne ensuite celle qui était

seconde à partir du haut les autres, et

qu'on

la

mette au-dessous de toutes

que l'on continue ainsi

meut

la pile, prise

est clair

il

;

que chacune

monte sans cesse, et cependans son ensemble, demeure en repos. »

des pierres de la pile se

dant

et

la

et

Ces dernières réflexions de Pierre d'Ailly ne font d'ailleurs

que développer une courte indication d'Albert de Saxe; ci

avait déjà, en effet, formulé cette conclusion

dire

que

la terre est

meuve

dant, considérée dans son ensemble, elle lieu,

«

On

peut

beaucoup de son

naturel, s'écarter

propre; bien que la terre tout entière se

même

:

toujours en repos, en ce sens qu'elle ne

mouvement

peut, par

»

celui-

ou à peu près.

lieu

parfois, cepen-

demeure toujours au

»

La théorie, imaginée par Albert de Saxe, des petits mouvements de la terre ferme était donc devenue, au xiv e siècle et au début du xv e

une des doctrines caractéristiques de

siècle,

l'École de Paris.

Les théories parisiennes étaient fort mal vues, au xv e siècle, des Averroïstes qui enseignaient aux universités de Bologne et

de Padoue

;

pour

découvert toute

la

gent à

servile, Aristote

avait

Physique Averroès avait pleinement

inter-

cette

;

prété la pensée d'Aristote tote et

l'esprit

;

en professant des théories qu'Aris-

Averroès n'avaient point formulées, Albert de Saxe,

Marsile d'Inghen, Pierre d'Ailly se jetaient fatalement dans l'erreur; vité, le

en affirmant que

la terre,

par

l'effet

même

de sa gra-

mouvements petits, mais incessants, dont le Commentateur n'avaient pas parlé, les

éprouvait des

Philosophe

Parisiens

et

émettaient

une

assertion

fausse

et

qu'il

fallait

repousser.

Nous allons donc voir que

les

Averroïstes italiens du Quat-

trocento connaissaient la théorie d'Albert de Saxe,

mais

qu'ils

la rejetaient.

Nul écrit philosophique n'eut plus de vogue, au sein des i.

Alberti de Saxonia Quaestiones in libros de Cselo

et

Mundo;

lib. II, quaest.

X.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

3/|8

Universités

Summa

italiennes

lolius

du xv

philosophise

d'Udine, plus connu sous

e

siècle,

composé

et

le

que

nom

manuel

le

par

intitulé

Paul Nicoletti

de Paul de Venise. Le manuel

rédigé par Paul de Venise est sous

continuelle inspiration

la

des doctrines émises par Albert de Saxe; bien souvent,

qu'un résumé des Questions discutées, au sujet de

du De

il

n'est

Physique

la

du De generatione, des Météores, par Albertutius, par Thémon ou par Marsile d'Inghen mais ce résumé est orienté par les tendances averroïstes de l'auteur. d'Aristote,

Caelo,

;

Ainsi en

est-il

mouvement de La

des passages où

de

est fait allusion

en son lieu naturel lorsque

le

centre de

l'élément terrestre tout entier coïncide avec

du Monde Cela posé, on peut prétendre 2 «que

centre

au continuel

la Terre.

terre se trouve

gravité

il

le

1

.

la terre n'est

jamais en

repos, sans cesse, en effet, l'une des moitiés de la terre est plus

grave que

l'autre, car

dilate les

parties superficielles de la terre et les rend plus

sans cesse l'action des rayons solaires

mouvoir continuellement pour que son centre demeure au centre du Monde... Nous légères; dès lors,

la

terre se doit

nierons cette conséquence; sans doute,

y a continuellement poids des deux moitiés de la

une certaine inégalité entre les terre; mais il n'en résulte pas que que son centre devienne de

la

ceci

:

le

est

constant que

si

meuve

la terre se

jusqu'à ce

centre du Monde, et cela, à cause

résistance de l'air et de l'eau. Il

il

On

deux poids

peut encore répliquer

se trouvent

en équilibre

dans une balance, on peut augmenter d'une certaine quantité la gravité

de l'un d'eux sans qu'il descende.

Paul de Venise reprend 3 ces

mêmes

»

considérations, sous une

Pauli Vcneti Summa totius philosophiœ ; pars II, cap. XX. Pauli Veneti Summa totius philosophiœ ; pars II, cap. XIV. 3. Expositio Pauli Veneti Super octo libros phisicorum Aristotelis necnon super comenlo Averois cum dubiis ejusdem. Golophon Explicit liber Phisicorum aristotelis expositus per me fratrem Paulum de Venetiis: artium liberalium et sacre théologie doctorem ordinis fratrum heremitarum beati Augustini. Anno domini MCCCCIX. die ultima mensis Junii qua festum celebratur commemorationis doctoris gentium et christianorum apostoli Pauli. Impressum Venetiis per providum virum doniinum Gregorium de Gregoriis. Anno nativitatis domini MCGCGXGIX. die Wlll mensis Aprilis. Physicorum lib. IV, tract. I, cap. IV, pars H; coll. b et c du pénultième fol. avant le toi. signé X (l'ouvrage ne porte aucune pagination). i.

2.

:

:

:

:


LÉONARD DE V1NCL ET LES

forme plus précise, en sique d'Aristote u ...

La

OhlGliNES

DE LA GÉOLOGIE

volumineux commentaires

ses

O^J

Phy-

à la

:

terre, elle aussi,

semble

se

mouvoir continuellement

du côté de notre hémisphère, soit de par la lumière du soleil et par les autres

vers le haut, et cela soit l'autre côté

en

;

effet,

influences refroidissantes que

le

Ciel exerce,

il

apparaît qu'une

de la terre s'alourdit tandis que l'autre s'allège

partie

partie la plus lourde repousse légère, jusqu'à ce se trouve »...

que

donc sans cesse

;

la

la partie la plus

centre de gravité de la terre entière

le

au centre du Monde.

Mais l'élément terrestre, pris en sa

totalité,

ne

se

meut

jamais d'aucun mouvement, encore que ses parties deviennent

constamment plus ou moins lourdes. effet,

que

en

faut imaginer,

Il

centre de gravité de la terre partage celle-ci en

le

deux parties dont

les

pesanteurs se comportent, l'une à l'égard

de l'autre, d'une manière toute semblable à celle de deux poids égaux en une balance équilibrée;

il

que

est certain

si

chacun de ces poids avait une pesanteur mesurée par le nombre deux, tandis que l'air placé au-dessous aurait une résistance mesurée par

le

verait l'autre

si

nombre

aucun des deux poids ne soulèau premier un poids mesuré par

trois,

l'on ajoutait

nombre un; il ne le soulèverait pas, lors même qu'on lui ajouterait un poids mesuré par deux ou trois. Si on lui ajoutait, en effet, un poids mesuré par un ou deux, le poids serait

le

mesuré par

trois

ou quatre,

et la résistance

par cinq, car

l'air

une résistance mesurée par trois, et le poids de l'autre plateau a une résistance mesurée par deux; s'il y avait mouvement, il serait produit par une puissance inférieure à la a

résistance. Le

premier poids ne descendrait pas,

mesuré par cinq, car

il

n'y a pas

mouvement

égalité entre la puissance et la résistance

1 .

Il

des deux parties également graves de la terre; plus lourde, et l'autre plus légère,

même

il

s'il

lorsqu'il

en est de si

était

même

l'une devient

n'en résulte pas que

partie la plus lourde pousse la plus légère;

y a

la

non seulement, en

i. Tout ce raisonnement est parfaitement logique, si Ton admet les principes de Mécanique du Moyen-Age qui traitait toujours la résistance de l'air comme nous traitons un frottement statique.

la


ÉTUDES SUR LEONARD DE VUNCI

35o

chacune des deux parties

effet,

l'eau qui les entourent résistent également.

Paul de Venise n'accorde donc pas

le

il

rejette cette

mouvement

hypothèse a

l'air et

»

qu'Albert de Saxe attribuait à la terre; mais

pour laquelle

mais

résiste à l'autre,

la

incessant

même

raison

deux

été indiquée, à

reprises, par Albertutius et réfutée par Marsile d'Inghen;

le

célèbre averroïste n'a point eu grand effort à faire pour décou-

oppose à

vrir l'objection qu'il

En

seconde moitié du xv

la

e

la

théorie des Parisiens.

siècle, le plus célèbre averroïste

qui enseigne aux Universités de Padoue

de Bologne est

et

sans doute Alessandro Achillini, l'adversaire de

Pomponat.

Achillini connaît la théorie d'Albert de Saxe, et voici ce qu'il

en

dit «

1 :

Aucune

partie de la terre n'est au centre

du Monde;

la

donc pas davantage. La conséquence est évidente, car le tout ne diffère pas de ses parties. On prouve La moitié qui est au-dessus du centre n'est pas l'antécédent terre entière n'y est

:

au centre, non plus que »

Il est

de

la

la

moitié qui est au-dessous du centre.

nature du centre de demeurer immobile; or

ne demeure pas immobile, car

terre

le

la

sans

Soleil s'allège

cesse... »

A

cela,

on peut répondre que

la

en son lieu

terre est

naturel et que ses parties sont, aussi, naturellement situées;

centre de la terre est au centre faire

du Monde, mais on ne

saurait

que, de quelque manière que l'on partage la terre,

centre de chacune

de ses parties se trouve

le

au centre

le

du

Monde... »

La

terre

n'est

pas placée

Monde comme en une

au centre

balance, de

mathématique du

telle sorte

que

la

moindre

addition ou la moindre soustraction de poids suffise à changer sa position. Elle est par

elle-même un centre naturel

oppose une grande résistance à qui

la

meut ou

;

elle

à qui tente de la

donc pas de n'importe quel allégement pour la mettre en mouvement. Toutefois le Soleil, tournant autour d'elle en un jour, lui imprime un mouvement de même mouvoir;

i.

il

ne

suffit

Alexandri Achillini De démentis liber lertius, dubiura \\l

cenlrum mundi.

:

Utrum

terra ait


1

LÉONARD DE VLNCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE

meuvent

période; les fleuves qui transportent de la terre terre »

35 la

par parties.

À

l'encontre de ce qui vient d'être dit

réponse

même

que

quence

le

résulte de cette

centre du Monde.

est évidente, car les transports

des grands édifices ne

11

pas pour centre de gravité

la terre n'a

point mathématique qui est

:

meuvent point

le

La consé-

de terre, la construction la terre, tout

en

la

ren-

dant, en certaines parties, plus grave qu'elle n'était auparavant. »

Je réponds, et j'accorde que cette conséquence est possible.»

Achillini n'hésite

donc pas à révoquer en doute

cette

propo-

conçue par

sition qui portait toute la théorie de la pesanteur

Albert de Saxe et enseignée par la Scolastique parisienne centre de gravité de la terre coïncide avec

Au

sein

même

des

Universités

le

:

Le

centre du Monde.

italiennes,

TAverroïsme

trouvait des adversaires et les doctrines parisiennes des partisans. Tandis qu'à Padoue,

Achillini défendait les

astronomiques d'Averroès, son collègue Gapuano

pour maintenir

les théories

de Ptolémée

et,

principes

les attaquait

parfois aussi, les

opinions des Parisiens.

Francesco Gapuano de Manfredonia docteur en médecine;

il

était

docteur es arts

enseignait l'Astronomie, à la fin

et

du

Padoue plus tard, il devint chanoine régulier de Saint Augustin et évêque de Saint-Jeanxv*

siècle,

de

;

échangea alors son prénom de Francesco contre de Gianbattista; parfois, dans ses ouvrages, son nom, au

de-Latran celui

à l'Université

;

il

lieu d'être suivi

de

la

mention

:

de Manfredonia, est qualifié

Sipuntinus (de Siponte, aujourd'hui Maria-Siponto).

Francesco Gapuano avait déjà donné un commentaire à

la

Théorie nouvelle des planètes de Georges de Peurbach, lorsqu'il fit

imprimer

1

en

1/199,

avec une seconde édition de ce com-

mentaire, la première édition de son commentaire à la Sphère commentis nuper editis, videlicet : Cicchi Esculani, 1. Sphera mundi cum tribus Francisci Capuani de Manfredonia, Jacobi Fabri Stapulensis. Colophon Impressum Venetiis per Simonem Papiensem dictum Bivilaquam et summa diligentia correctum, ut legentibus patebit. Anno Cristi (sic) siderum conditoris MCDXCIX, decimo calendas Novembres. A cet ouvrage est joint celui-ci Theoricae novœ planetarum :

:

Georgïi Purbachii astronomi celebratissimi, et in eas eximii arrium (sic) et medecinar» doctoris Domini Francisci Capuani de Manfredonia in studio Patavino astronomiam publiée legentis sublimis expositio et luculentissimum scriptum.


ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

352

de Sacro Bosco. Voici ce que nous lisons au premier chapitre

de cet

écrit

:

aucun mouvement, la partie qui se trouve actuellement au centre ne le quitterait jamais; elle ne se trouverait donc jamais en contact avec un corps qui lui soit «

terre

Si la

n'avait

contraire, en sorte qu'elle ne cesserait jamais d'être et qu'elle serait perpétuelle.

Or

composée de matière

ne saurait

cela et

de forme,

A «

de

cette instance, l'auteur

est

qui a une sem-

et tout ce

blable composition est corruptible.

car elle

être vrai,

»

répond en ces termes

:

J'accorde la conclusion qui vient d'être formulée. La partie

qui est actuellement au centre doit être susceptible

la terre

puisqu'elle

de corruption,

forme; arrive

et

pour

un jour

à la surface.

ment

que

subtilisée et

les

les

Pour

corrompre, cela,

il

faut

matière et de il

les

comme nous

le

faut qu'elle

imaginer que

eaux ne couvrent point

consumée par

convertit en vapeurs,

comme

composée de

puisse se

qu'elle

partie de la terre

est

est

constam-

rayons solaires;

se

elle

montre l'expérience,

météorologistes s'accordent à

le

la

et

reconnaître; les

exhalaisons qui s'élèvent de la terre s'échappent, sous forme

de vapeurs, de cette partie émergée; au contraire, du côté du

globe qui est couvert par

les

eaux, celles-ci sont condensées

grâce au froid des eaux voisines, terre;

en sorte que de ce

et elles se

convertissent en

côté-là, la terre s'accroît.

Mais

n'est

il

pas possible d'ajouter à la terre d'un côté et de retrancher de l'autre sans

changer

le

centre de la terre. La partie qui était

jadis au centre s'approchera de la circonférence; elle finira

par devenir tout à

mue

tout

fait superficielle...

entière...

Ainsi la terre se trouvera

Aussi Aristote,

au premier livre

Météores, et Albert le Grand, au second traité

du

même

des

livre,

constamment de grandes variations; qu'elle se trouve aujourd'hui là où la mer était autrefois et inversement. C'est, du reste, ce que j'ai vu de mon temps; j'ai vu les rivages de la mer asséchés en peu d'années; là où l'eau se trouvait, où les vaisseaux naviguaient, j'ai vu se disent-ils

former terre se

que

la terre

la terre

subit

ferme. Toutefois, cette action par laquelle

consume d'un

côté tandis qu'elle reçoit de

la

nouveaux


353

LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE

un court espace de temps, elle est insensible, et le mouvement de la terre est, par conséquent, insensible; la terre semble immobile; en tout cas, jamais elle n'éprouve un déplacement si

apports de l'autre côté est une action très lente; en

considérable qu'elle cesse de contenir

En

cet exposé,

le

centre de l'Univers.

nous reconnaissons, malgré de

»

sensibles

altérations, la doctrine d'Albert de Saxe.

Cette doctrine est encore plus nettement reconnaissable dans

du commentaire de Capuano.

les éditions ultérieures

en

a repris ce qu'il avait publié en 1/199 au sujet de la

effet,

Sphère de Sacro Bosco

ment développé tion,

Celui-ci,

;

il

profondément remanié

a

En

sa première rédaction.

la

et

grande-

seconde rédac-

nous trouvons mentionnée, à propos des preuves de

une observation

sphéricité de la terre,

par l'auteur

d'éclipsé de la lune faite

août i5o5, en sorte que

le i5

la

le

remaniement du

commentaire n'est pas antérieur à cette époque. Ce commentaire remanié fut compris dans les collections de traités sur la Sphère que publièrent Juncta de Junctis, à Florence, en i5o8; Melchior Sessa, à Venise, en i5i3; Octa-

vianus Scotus, à Venise, en i5 18

Lucas Antonius de Giunta,

;

à Florence, en i5i8 et en i53i.

En

seconde édition,

cette

examine

la théorie des petits

comme

en

la

première, Capuano

mouvements de

par Albert de Saxe. Tout en conservant

la terre

les lignes essentielles

de l'exposé qu'en donnait sa première rédaction, cet exposé, afin qu'il reproduise

de l'inventeur.

A

décroître la terre

ajoute cette le

remarque

:

retouche

moins infidèlement

les idées

«

et croître

Gomme

le

la

terre

fond de

plus bas, tous les graves qui sont dans la

ce lieu et y descendent.

la terre; la partie

partie émergée,

Monde, ainsi

et

il

mer est le lieu mer tendent vers

la

«

déplacent

le

centre de gravité

immergée, devenant plus lourde que

pousse en haut

la partie

rectiligne tel

tandis que l'autre descend. DLHEM.

immergée,

la

descend, devient plus voisine du centre du

un mouvement P.

qui font

»

Ces transports de matière de

il

ce qu'il avait dit sur les causes

émergée

imaginée

émergée. La terre éprouve

que l'une des parties monte

» 23


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

35/j

L'adhésion de Capuano de Manfredonia à la théorie d'Albert de Saxe

est

le

nettement

suffrage

seul

favorable

à

cette

doctrine qu'il nous soit donné de recueillir parmi les philo-

sophes

italiens.

Agostino Nifo, par exemple, est assurément un de ceux qui redoutent

moins d'embrasser

le

à

des Juniores;

opinions des Parisiens,

les

maintes reprises,

il

manifeste l'estime en

laquelle

il

tenait la vigueur logique d'Albert

nomme

le

plus souvent Albertilla; en son commentaire à la

Physique d'Aristote, i5o6,

il

de

nous déclare avoir

qu'il

formule expressément

lequel Albert de Saxe la terre

citer tant

«

:

La

fait

terre,

de Saxe, qu'il

1

principe de Mécanique sur

le

reposer sa théorie des

»

dit-il,

achevé en

été

«

n'est point

mouvements

deorsum

que son centre de gravité ne coïncide pas simplement

du monde. » Cependant, en son commentaire au De Caelo qui

avec

simpli-

centre

le

fut

achevé

en i5i3, Nifo se borne à mentionnera l'hypothèse nominaliste des

mouvements

incessants

du

ou

la rejette

Bien plus,

les juniores affirment

se

meut constamment par

:

«

sol sans déclarer s'il l'accepte

continue, et conti-

du monde. En

se fait centre

parties centrales de la terre ont tendance à être cette

tendance exige que

parviennent au lieu où

la terre se

elles se

meuve

afin

suivi

la

outre, les

corrompues;

que ces parties

peuvent corrompre.

Aux temps mêmes qui ont

la terre

parce qu'elle croît d'un

parties,

côté et décroît de l'autre d'une manière

nuellement son centre

que

»

mort du Vinci,

la

doctrine parisienne trouvait des adversaires déterminés; de ce

nombre fut Louis Boccaferri (i 482-1 545). En ses Leçons sur le premier livre des

Météores,

Louis

Boccaferri expose nettement la théorie d'Albert de Saxe. le

quart de la terre que nous habitons,» dit-il 1.

3 ,

«

Si

«subissait

Augustini Niphi philosophi Suessani Expositiones super octo Aristotclis Stagi-

rit;e libros

de physico auditu. Veneliis,

apud Hieronymum Scotum, MDLVII1. Physi-

coruni liber IV, p. 307. •2. Aristotclis Stagirilaï De Cœlo et Mundo Vugustino Nipho philosophe- Suessano conversi

Venetiis,

apud Hieronymum Scotum, MDXLIX;

libri et

ab

quatuor, e grseco in latinum ab

eodem

lib. Il, fol.

etiam... aucti expositione. 110, col. c.

Ludovici Buccaferrei Bononiensis Lectiones super primum libriun Metcarologicorum iristotelis. Venetiis, o\ offleina Joan. Baptistae Somaschi, MDLXV; fol. 106, 3.

col. h.


355

LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GEOLOGIE des changements de configuration,

deviendrait plus

partie

contraire,

la

partie qui

il

en résulterait que cette légère;

plus

au

sèche

et,

partant,

nous

est

opposée deviendrait plus

froide, grâce à la fraîcheur et à l'humidité de l'eau; dès lors, le

centre de gravité de la terre changerait sans cesse,

rait

il

passe-

un centre contiterre, non point son

sans cesse d'un lieu à l'autre, ce serait

nuellement

de

différent. Or, le centre

la

centre de grandeur, mais son centre de gravité, est au centre

du Monde. Car grandeur, d'égal

et

il

y a deux centres; l'un est

c'est celui

volume;

divise la terre en

nomme

du Monde.

Il

y a un

centre de gravité, et celui-là

le

deux parties également pesantes;

centre-là qui est le centre

du Monde. La gravité de

qui se trouve au-dessus doit donc être égale à la partie

centre de

qui divise la terre en deux parties

celui-là n'est pas le centre

autre centre, que l'on

le

qui se trouve au-dessous. Dès lors,

la

si le

c'est ce

la partie

gravité de

quart de la

que nous habitons émerge davantage, il deviendra plus léger par l'action des rayons solaires, puisque l'eau ne le recouvre plus mais tandis que la partie que nous habitons terre

;

deviendra plus légère, produira, en la terre,

la

un

opposée s'alourdira;

partie

il

se

continuel changement de distribution

donc sans cesse en mouvement, car la partie alourdie descendra, tandis que la partie opposée montera. L'élément terrestre se trouvera donc

de la gravité; l'élément terrestre sera

constamment en mouvement, contrairement au

dire d'Aris-

tote... »

Boccaferri n'est point disposé à renoncer à l'opinion d'Aris-

«prétendent que le centre Tous les Parisiens, » dit-il du Monde, qui est le centre de l'élément terrestre, est en perpétuel mouvement; cela, parce qu'ils admettent que le centre de

tote

1

«

:

,

gravité de la terre

de

la terre

change sans

cesse, car les diverses parties

de graves deviennent légères ou inversement...

Mais, Messieurs, cela va contre ce qu'Aristote dit au second livre »

i.

Du

Je

Ciel et

nie

cet

Boccaferri, lac.

au livre

Du mouvement

des animaux...

argument, car l'action

cit., fol.

107, coll.

b

et c.

ne

se

produit pas


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

356

quel que soit l'excès de la puissance sur la résistance

que

cet excès atteigne

une certaine valeur;

c'est ce

;

faut

il

qui n'a

y a parfois, au-dessus du centre du Monde, un poids plus grand qu'au-dessous mais cette gravité pas lieu

ici;

sans doute,

il

;

en excès

est insensible

terre entière; elle

par rapport au poids énorme de

la

ne cause donc aucun mouvement; ainsi

n'est pas nécessaire

que

le

il

centre de gravité se meuve, que

monte ou descende, car il faudrait que le poids en excès fût sensible, qu'il eût une valeur déterminée... Lorsqu'un grand poids est pesé dans une balance et qu'un autre poids lui fait équilibre, si Ton pose un grain de mil l'élément terrestre

en l'un des deux plateaux, ce plateau-là ne va pas descendre, car le poids ajouté est insensible. Lors donc que vous pré-

tendez que la partie la plus lourde de la terre doit descendre vers

le

centre et soulever l'autre partie, je dis que vous vous

trompez.

»

Les arguments de Boccaferri à rencontre de parisienne sont ceux que nous

la

doctrine

avons déjà entendus de

la

bouche de Paul de Venise ou de celle d'Alessandro Achillini. L'Averroïsme italien ne craignait pas les redites. Nous sommes maintenant en état de donner une réponse précise à cette question

Au

:

voisinage de l'an i5oo, qu'en-

du Nord, au sujet des petits mouvements

seignait-on, dans les Universités de l'Italie

de la théorie parisienne de

la

gravité et

de la Terre? Cette théorie, sans doute, n'était point ignorée;

mais

les

Averroïstes ne la formulaient que pour la déclarer fausse ou

douteuse, tandis que leurs adversaires n'en donnaient que des

exposés défectueux. Nul ne songeait à appliquer cette doctrine à des problèmes particuliers, à en déduire des lois de Statique,

à en tirer l'explication des C'est alors les

cours

vidée, et

phénomènes géologiques.

que survint Léonard.

Il

reprit ces pensées

dont

manuels ne présentaient plus que l'enveloppe en retrouva le contenu riche et varié. Elles demeu-

et les il

raient stériles dans leur isolement;

il

blèmes qui hantaient son

des

esprit,

les

curiosité avait recueillies; alors, elles se

rapprocha des pro-

observations

que

sa

montrèrent fécondes,


LÉONARD DE VINCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE

357

produisirent des conséquences neuves et importantes.

elles

L'originalité de logie,

Léonard de Vinci, en Statique

peut se définir en quelques mots

comprendre pleinement

les

:

comme

Elle

en Géo-

a consisté à

théories de la Scolastique pari-

sienne, à les faire triompher de la routine averroïste qui les

prétendait bannir de

l'Italie,

enfin, à en prouver la fécondité

par de nombreuses applications que

les

premiers inventeurs

n'avaient pas aperçues ou qu'ils avaient à peine soupçonnées.

Ce qui caractérise ce qui en

fait

un

l'originalité

de Léonard de Vinci est aussi

des promoteurs les plus clairvoyants et les

plus puissants de la Renaissance des Sciences en Italie cette

Renaissance a

gnées par

les

commencé du jour où

maîtres parisiens du xiv

psittacisme des commentateurs

e

;

car

les doctrines ensei-

siècle

ont

du Commentateur.

fait taire le



NOTES



NOTES

A.

— SUR

LA MÉCANIQUE DE LÉONARD DE VINCI ET LES RECHERCHES DE RAFFAELLO CAYERNI

En

1895, s'imprimait

un

malheureusement de la méthode expéri-

traité considérable, et

inachevé, où RafTaello Gaverni étudiait l'histoire

Aussi bien en notre ouvrage sur Les Origines de la Statique qu'en nos Études sur Léonard de Vinci, nous eussions eu mainte occasion de citer cette œuvre si elle nous eût été connue.

mentale en

Italie

«.

Malheureusement, nos recherches de travailleur isolé, en la très pauvre bibliothèque d'une université provinciale, nous avaient laissé en la plus complète ignorance de la riche collection de faits et d'idées qu'avait accumulés le laborieux prêtre toscan. De cette ignorance nous avons par une aimable lettre de M. Marcolongo, professeur à l'Université de Messine, dont les pénétrantes études sur l'histoire de la été tiré

Mécanique sont bien connues des géomètres érudits. La lecture de l'ouvrage de Caverni nous a montré que nous avions commis, à son préjudice, plus d'une injustice involontaire, aussi bien en nos Origines de la Statique qu'en ces Études. Il est trop tard pour réparer les omissions que l'on pourrait constater au premier de ces traités; du moins voulons-nous, en cette note, combler celles que l'on rencontre au cours

du

dernier écrit.

premier l'influence que la Mécanique de Jordanus de Nemore a exercée sur Léonard de Vinci et sur toute la Science du xvi e siècle. « En l'École péripatéticienne et en l'École d'Alexandrie dont les doctrines avaient été résumées par Jordanus Nemorarius, se Gaverni a signalé

le

trouvent naturellement compris, dit-il

2 ,

les principes

féconds d'où

Léonard de Vinci a conclu ses merveilleux théorèmes de Mécanique rationnelle. En effet, la composition des forces parallèles et celle des forces le

non

parallèles, les vitesses virtuelles, les

moments

des graves

long des plans inclinés étaient choses enseignées en ces antiques

écoles. »

Malheureusement, pour étudier

les

attribués à Jordanus,

traités

1. RafTaello Caverni, Storia del metodo sperimentale 1895; 6 vol. in-8°. 2. R. Gaverni, Op. cit., vol. IV, p. 01.

in

Italia,

Firenze, G. Civclli,


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

362

Caverni ira pas eu l'idée ou s'est

contenté de

ignoré le

le

moyen de

lire les textes

recourir aux manuscrits

imprimés

;

il

même

semble

Liber Jordani Nemorarii de ponderibus qu'Apian

en i533, à Nuremberg,

connu seulement

fit

;

il

qu'il ait

imprimer

Jordani opusculum de ponderositate, Nicolai Tartaleae studio correclum queCurtius Trojanus fit imprimer à Venise en i565.

Trompé par a cru

que

les

les

fripon.

«

;

il

ne

les

il

en

étaient,

cet-

Caverni

1 ,

ouvrage, l'œuvre de Jor-

démonstrations avaient pour auteur

lui est

géomètre

le

pas venu à l'esprit que ce dernier ne fût qu'un

L'opuscule posthume De ponderositate, publié en

Venise, par Curtius Trojanus, car

le

impudents mensonges de Nicolo Tartaglia

énoncés seuls

danus, tandis que

de Brescia

et qu'il ait

est,

nous révèle combien l'auteur

dit-il

2 ,

tenait à

amour de

important pour

i565, à

l'histoire,

commenter de près Nemo-

comparable à celui avec lequel Maurolycus commentait son grand géomètre de Syracuse. Mais cet ouvrage est superflu comme document scientifique, car toutes les propositions mécaniques qu'il démontre trouvent un ample déveloprarius, et avec quel fervent

pement dans

disciple,

les Quesiti e invenzioni

publiées en i546 par le

même

Tartaglia. »

Réduit au seul

texte,

souvent incompréhensible ou absurde, du

Jordani opusculum de ponderositate,

Caverni ne pouvait être

exactement instruit de ce qu'enseignait l'École de Jordanus.

donc

qu'il ait attribué à cette

École

la

connaissance de

On

la loi

fort

conçoit

de com-

position des forces concourantes, alors que cette loi semble avoir été

ignorée de tous jusqu'à Léonard de Vinci.

Léonard de Vinci a découvert, à l'aide des propriétés du levier angulaire, la loi de composition des forces concourantes nous avons minutieusement analysé l'histoire de cette découverte 3 Avant de parvenir à l'exacte connaissance de la loi des forces concourantes, Léonard avait longtemps tâtonné; longtemps il s'était attaché à une loi incorrecte. Caverni a mentionné 4 un seul des nombreux passages où le grand artiste a parlé de la composition des forces con;

.

courantes, et ce passage est précisément consacré à l'énoncé de la règle fausse. Mais, par suite d'un raisonnement géométrique erroné,

Caverni a pris cette règle fausse pour un corollaire de

la règle exacte.

donc affirmé que Léonard connaissait la loi de composition des forces concourantes, ce qui est vrai, mais il l'a affirmé en vertu d'un texte qui aurait dû lui faire porter le jugement contraire. Il

a

Les Origines de la Statique, t. 1, pp. 197-205. R. Caverni, Op. cit., vol. IV, p. 87. 3. Léonard de Vinci et la composition des forces concourantes (Bibliotheca mathcmatica, série, t. IV, p. 338, 190^). Les Origines delà Statique, ch. VIII, § 2, t. I,pp. 172-179. La scicntia de ponderibus cl Léonard de Vinci, VI (Études sur Léonard de Vinci, première i.

a.

3*

série, pp. 3oi-3o5). !\.

II.

Caverni, Op.

cit.,

vol. IV, p. 59.


363

NOTES

Caverni a été beaucoup plus exactement informé lorsqu'il a parlé de « certains faits qui semblaient merveilleux aux gens du vulgaire et i

même

que Léonard expliquait naturellement en appliUn corps ou plusieurs corps liés ensemble, quant ce principe quelque étrange que soit leur figure ou leur position, demeurent en équilibre stable lorsque le centre de gravité de l'ensemble se trouve en la verticale du point de suspension. » A l'appui de cette remarque, Caverni reproduit les deux cas paradoxaux d'équilibre, étudiés par Léonard, que nous avons également présentés 2. Il ne semble pas, d'ailleurs, s'être soucié de suivre les aux savants,

et :

pensées qui avaient conduit l'inventeur à

connaissance d'un

la

tel

principe.

Caverni le

fait

remarquer, d'après Libri, que Léonard a su déterminer

centre de gravité de la pyramide;

il

observe à ce sujets,

comme nous

donné de fausses indications au

l'avons observé depuis

^ que

sujet des figures qui

accompagnent l'énoncé formulé par

Libri a

le

Vinci et

en a tiré une induction peu vraisemblable sur la démonstration que le grand peintre avait pu employer. Caverni a écrits « Dire que Léonard a créé la Science expérimentale,

qu'il

:

une hyperbole telle que l'on pardonnerait difficilement à un historien des Mathématiques de la formuler. De la part de l'homme, la création serait une absurdité bien plutôt qu'un propre et véritable c'est

prodige

;

c'est l'office

de l'historien de révéler

ont produit les soi-disant prodiges

et,

par

les

là,

causes cachées qui

de réduire ceux-ci à

l'ordre naturel. »

On

découvrirait dans les traditions scientifiques des siècles qui ont

précédé

le xvi e les

sources naturelles dont découle la variété encyclo-

pédique des doctrines professées par un artiste de cette époque. » Nous ne connaissions pas ces lignes lorsque nous avons entrepris nos Études sur Léonard de Vinci, et cependant elles esquissent, en quelque

i.

2. 3.

k.

sorte, le

plan de notre ouvrage.

R. Caverni, Op. cit., vol. IV, p. kh. Études sur Léonard de Vinci, première série, pp. 3o8-3oc). R. Caverni, Op. cit., vol. IV, p. iol\. Albert de Saxe et Léonard de Vinci, IV (Études sur Léonard de Vinci, première

série, p. 36). 5.

R. Caverni, Op.

cit.,

vol. IV, p. 3i.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

364

B.—

AUCTORES DE PONDERIBUS

LES

ET LÉONARD DE VINCI Nous avons analysé

faire l'influence exercée sur

nique que

Léonard

Léonard de Vinci par ces

traités

ait

le

de Méca-

Moyen -Age attribuait aux Auctores de Ponderibus Que connu ces auteurs, on n'en saurait douter, croyons -nous,

le

.

après ce que nous avons dit; une seule

témoignage

est

cependant, son propre

fois,

venu confirmer nos inductions; nous avons entendu 2

Vinci citer formellement

le

pu

aussi minutieusement que nous avons

1

le

Tractalus

de ponderibus

de Biagio

Parme.

Pelacani, dit Biaise de

Les manuscrits conservés soit à la Bibliothèque nationale, soit à

la

Bibliothèque de l'Institut, et publiés par M. Ch. Ravaisson-Mollien,

ne nous ont apporté aucun autre texte où Léonard citât quelqu'un des Auciores de Ponderibus ; de tels textes se rencontrent, cependant, en d'autres manuscrits; la publication de M. Jean Paul RichterS, qu'il nous a été enfin donné de consulter, nous les a fait connaître. « Prends le De ponderibus, » dit Léonard ^ en une note où il ne désigne pas l'auteur

ne

Il

le

du

traité qu'il se

désigne pas davantage en cette note 5

Fais montrer au frère de Brera

«

propose de consulter.

le

:

De ponderibus.

»

De ponderibus. Or, Léonard a connu Il a connu, tout d'abord, un des Tractatus de ponderibus que les copistes attribuent à Jordanus de Nemore, car en un Mémorandum trois traités

de sa main, nous lisons 6 Giordano De ponderibus. »

écrit « 11

a

connu ensuite

portant ce

titre

:

:

l'écrit intitulé

Liber Euclidis de ponderibus, car

il

mis dans ses notes le renseignement «Maître Stefano Caponi, médecin, demeure à la piscine; il a un Euclide De ponderibus » Ce Liber Euclidis de ponderibus, dont les manuscrits ne sont point rares 8, est formé par les neuf propositions des Elementa Jordani super suivant 7

a

:

.

i.

Scientia de Ponderibus et Léonard de Vinci (Études sur Léonard de Vinci, VII;

La

première 2.

cit.,

pp. 267-3 1 6). p. 269.

Richtcr, The literary

3.

J. P.

4-

Il

5.

Il

6.

Fragments de

fol.

1

7. J.

série,

Loc.

P. 8.

Works of Leonardo da

codice atlantico, a/|3 a, 727 a. codice atlantico, 222 a, 664 a.

4i a.

J. P.

la collection

Richtcr,

Op

— —

J.

Londres, i883.

cit., t. II,

n° 1379.

Richtcr, Op.

cit., t. II,

n° 1/U8.

J. P.

Leoni conservés à cit., t. Il,

Vinci,

P. Richter, Op. la

Bibliothèque du château de Windsor,

n° 1/10O.

Ms. III de la Forster Library, South Kcnsington Muséum, London, fol. g3 a Richtcr, Op. cit., t. II, n° 1488. Au sujet de ce texte, voir Les origines de la Statique, ch. Vil, $ I; 1. 1, pp. a l-i»8. 1


notes

365

demonstrationem pondcris, dont les démonstrations ont été longuement étendues, et auxquelles on a soudé le De canonio. Léonard a connu, enfin, le Tractatus de ponderibus de Maître Biaise de Parme; nous en avons déjà, de sa bouche, reçu le témoignage; une « Les héritiers de Maître note nous apprend de qui il tenait cet écrit Giovanni Ghiringallo ont les œuvres de Pelacano. » Ces quelques textes nous montrent avec quelle curiosité empressée »

:

Léonard recherchait tous les documents où se trouvaient consignés les enseignements de la Statique médiévale; quel usage il savait faire des indications contenues en ces documents, nous l'avons vu et admiré.

i.

J. P.

Ms. III de Richter, Op.

la

Forsler Library, South Kensiiigton Muséum, London, fol. 36.

cit.,

t.

II,

n* 1/196.


ÉTUDES SU» LÉONARD DE VINCI

366

G.

SUR L'ORIGINE DE LA LOI DU POLYGONE DE SUSTENTATION

Nous avons retracé (Première série, pp. 73-79) la série des tâtonnements par lesquels Léonard était parvenu à la loi du polygone de sustentation.

Albert de Saxe avait remarqué que

deux tours au fil à plomb, les couronnements s'écarteraient d'autant plus que les tours seraient plus hautes. Léonard retourne, en quelque sorte, cette remarque; il mène, en un certain lieu de la Terre, la verticale de ce Heu; puis, de part et d'autre de ce lieu, à une certaine distance, il imagine qu'on élève deux tours parallèles à cette verticale et, patconséquent, parallèles entre elles. Il montre que ces deux tours «

devront forcément s'écrouler Cette

si

elles

manière de présenter

la

si

l'on construisait

sont assez hautes.

»

proposition d'Albert de Saxe est

développements ultérieurs de la pensée de Léonard. Or, il est curieux de remarquer qu'elle s'était déjà offerte à l'esprit de Roger Bacon; voici, en effet, ce que nous lisons dans YOpus majus « Bien des choses nous semblent parallèles parce que leur concours échappe à notre perception ainsi les murs d'une maison quelconque semblent parallèles au témoignage de nos sens; mais ils ne le sont essentielle;

elle

suggère

l

tous les

:

;

pas

;

que

1.

ficem

car tout grave tend naturellement au centre

maison

la

s'écroulerait

si

quarta,

edidit S.

murs

sorte

étaient exactement parallèles. »

Minorum Opus majus ad Clementem quart uni PontiGodice Dubliniensi, cura aliis quibusdam collato, nunc Jebb, M. D., Londini, typis Gulielmi Bowyer, MDCGXXX1II. Pars

Fratris Rogeri Bacon Ordinis

Romanum. Ex

primum

ses

du Monde, en

M

S.

dist. III, cap. III, p. 76.


HOTES

D.

367

SUR LA BIBLIOGRAPHIE DES ÉCRITS D'ALBERT DE SAXE ET DE T1IÉMON LE FILS DU JUIF

Nous avons

une édilion des Subtilissimae ((Uiesliones super octo libros Physicorum Arislolelis donnée à Venise en i5o4; nous pensions qu'elle avait été, comme celle de 5 0, imprimée par Bonetus Localcllus aux frais d'Octavianus Scotus; selon un renseignement que nous empruntons à M. Kobcrto Àlmagià 2 , elle est duc à Jacobus signale

1

1

Pentius.

Aux

éditions des Qu;rstiones in libros de

Cœlo

et

Mundo du même

auteur, que nous avons citées, nous en pouvons joindre une autre,

imprimée cette

à

édition,

Venise en i52o par d'ailleurs,

les héritiers

reproduit purement

d'Octavianus Scotus; et

simplement

celle

de 1492.

Nous avons dits (pic les Questions sur les météores de Thémon, le fils du Juif, avaient dû être imprimées à Venise avant i5i6; mais nous n'avions pu citer aucune édition qui confirmât notre dire; nous pouvons aujourd'hui l'appuyer par la mention du titre suivant: Habes solerlissime lector in hoc codice libros melheor. Aristotelis Stagirite peripathelicorum principis siloris Gaielani de Thienis noviter

purgalos. remissione

Tractatuin

ejusdem

de

cum

reactione.

Gaielani.

cornmenlariis felicissimi expo-

impressos : ac mendis erroribus^ue Et

tractalutn

de

intensione

et

Quesliones perspicacissimi philosopki

Thimonis super qualluor libros melhoror.

Ce

livre

ne porte aucun

nom

d'éditeur;

il

ne mentionne ni date,

ni

M. Henry Sotheran, le savant libraire de Londres, dont un catalogue nous fait connaître ce rare ouvrage en place lu publication au voisinage de l'an i5o5.

lieu d'impression;

'»,

1.

2.

Etudes sur fJonard de Vinci, première série, p. 335. Robcrto Almagià, La Doltrina délia Marea nell' Antidata classica e nel Medio evo délia fieale Accademia dei Lincei, auno CCCI1, kjo5, p. 102 du tirage à pari). Éludes sur Léonard de Vinci, première série, p. 161. Sothcran's Price Current of Littérature N" 666 n"

(Memorie 3. f 4.

;

1

:">;..


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VLNCI

368

E.

LES DEUX INFINIS.

SUIl

Richard de Middleton.

I.

L'un des faits les plus remarquables de l'histoire de la Scolaslique est assurément la réaction violente qu'en la première partie du e xiv siècle, Guillaume d'Ockam a menée contre la philosophie péripatéticienne.

Un mouvement

de cette ampleur

de cette intensité ne se produit

et

jamais qu'il n'ait été longuement préparé; de plus, avant qu'il ne se développe en sa pleine puissance, il est ordinairement précédé de secousses qui l'annoncent. Mettre en évidence les causes de l'Occaétudier les précurseurs

misme, découvrir

et

ce serait produire

une œuvre du plus haut

Sans prétendre il

nous

est

ici

du

intérêt.

accomplir cette œuvre, ni

siècle,

l'entreprendre,

de l'Occamisme.

La cause première de la réaction occamiste dans les excès du Péripatétisme averroïste; e

même

arrivé de signaler quelques particularités capables d'éclairer

les origines

xm

Venerabilis Inceptor,

combattirent

émules furent

les

les

assurément docteurs qui, au

se trouve les

tendances de Siger de Brabant

de ses

condamnation des théologiens de la Sorbonne

avant-coureurs d'Ockam;

Articuli parisienses, portée en 1277 par les

et

la

par l'évêque de Paris, Etienne ïempier, formulait, en bien des circonstances, le programme des doctrines que Guillaume d'Ockam et

allait

défendre; c'est une remarque qu'à plusieurs reprises,

a été donné d'indiquer

1

il

nous

.

L'Anti-aristotélisme de

Roger Bacon a certainement

aussi, sur l'Anti-aristotélisme

du

influé,

lui

Venerabilis inceptor. Les pensées de

Bacon ont fortement contribué, à coup

sûr, à orienter la philosophie

de l'École franciscaine. De cette action, nous avons eu parfois occasion de relever les traits en étudiant soit Jean Duns Scot, soit Ockam».

Une

autre raison

du mouvement occamiste

se trouve

dans

la

com-

plication introduite en la Philosophie par le Docteur Subtil; le besoin

de diminuer autant que possible le nombre des entités métaphysiques a été engendré par l'excès inverse; mais cette raison-là est trop visible pour qu'il soit de simplifier au plus haut degré

les doctrines,

nécessaire d'y insister.

Les causes qui devaient provoquer bilis 1.

2.

le

vigoureux

effort

du Venera-

Inceptor contre la philosophie d'Aristote exerçaient déjà leur Voir p. 38 et p. 7G. Voir pp. 7-8 et p. 4i.


NOTES

oG(J

temps lorsque ce maître commença d'enseigner; on ne saurait donc s'étonner qu'elles lui eussent suscité des précurseurs Richard de Middleton nous paraît être un de ces avantcoureurs de Guillaume d'Ockam. Anglais et Franciscain comme Roger Racon, comme Duns Scot, comme Ockam, Richard de Middleton est mort peu d'années avant le Docteur Subtil il était, sans doute, plus âgé que ce dernier et ses Questions sur les quatre livres des Sentences de Pierre Lombard durent être composées au voisinage de l'an i3oo, alors que les anathèmes portés par les théologiens de Paris, que les enseignements développés par Roger Racon étaient encore tout récents. Des uns et des autres, la trace se reconnaît fréquemment en ces Questions. « Certaines gens, » s'écriait Pierre Lombard *, « se faisant gloire de leur sens propre, se sont efforcés de restreindre la puissance de Dieu et de lui assigner une mesure. Lorsqu'ils disent, en effet, Dieu peut jusque-là, mais il ne peut pas davantage, qu'est cela, sinon enfermer action depuis

un

certain

;

;

en des limites

la

puissance de Dieu, qui est infinie,

et la restreindre

mesure ? » C'est en commentant ce que Pierre Lombard avait dit de la toutepuissance divine que Richard de Middleton est amené à se demander à

si

une

certaine

Dieu peut réaliser un Il nie, tout d'abord 2

infini

infini.

que Dieu puisse produire, un être qui soit sous tous rapports, qui soit infini sans que rien, en cet être, ,

soit fini.

Sa négation n'a plus

la

même

rigueur lorsqu'il s'agit de savoir 3

« si

Dieu peut produire quelque chose qui soit naturellement infini suivant une certaine dimension » ou, en d'autres termes, qui soit infini sous quelque rapport sans l'être sous tous les rapports. A cette question, «je réponds, » dit Richard, «que, sans fin, Dieu peut produire une dimension plus grande, et une encore plus grande, mais sous la condition qu'à chaque instant la grandeur déjà prise à cet instant soit finie. C'est ce

que

l'on

nomme

en acte avec mélange de puissance ou i.

Dist. 2.

Pétri

Lombard!

Episcopi

Parisiensis

habituellement

l'infini

Sententiarum

in fieri; libri

mais

quatuor;

l'infini

est

il

Lib.

I,

XLIII. Clarissimi theologi Magistri Ricardi

de Media Villa Seraphici ord. min. couvent.

Sententiarum Pétri Lombardi Quœstiones subtilissimœ, Nuncdemum post alias editiones diligentius, ac laboriosius (quod fieri potuit) recognita?, et ab erroribus innumeris castigatae, necnon conclusionibus, ac quotationibus ad singulas Qusestiones adauctae, et illustratas, a R. P. F. Ludovico Silvestrio à S. Angelo in Vado, Doctore Theologo, et ejusdem instituti professore. Cum Indice generali, ac locupletissimo totius operis. Ad Illustrissimum et Reverendiss. D. D. Marcum Antonium Gonzagam, Marchionem, Principemq. Rom. Imperii, et Episcopum Casalensem Brixiae, de consensu Superiorum, MDXCI. Lib. I, dist. XLIII, art. 1, quaest. IV.

Super quatuor

libros

ïomus primus,

pp. 382-383. Riccardi de Media Villa Quœstiones in quatuor libros Sententiarum, XLIII, art. I, quaest. V; éd. cit., tomus primus, pp. 383-386. 3.

P.

DUHEM.

lib.

I,

i'\

dist.


ÉTUDES

3;0

SUIl

LÉONARD DE VINCI

impossible que Dieu produise une dimension quelconque qui soit ou,

infinie in facto esse

comme

l'on dit

couramment, qui

un

soit

infini in acta simpliciter. »

Voici, selon notre Franciscain, la raison

contradictoire,

Les mots

«

:

pour toute créature,

métaphysique qui rend

l'infinité in aclu simpliciter

:

essence de la créature, expriment quelque chose qui est

indifférent à exister

ou à ne pas

exister d'une

manière

effective

;

et

cela est évident, car les essences des créatures qui étaient, de toute

connues de Dieu, pouvaient fort bien ne pas exister effectivement; et beaucoup de ces essences sont encore aujourd'hui connues de Dieu, auxquelles le Créateur peut donner ou ne pas donner d'existence effective. Mais cette indifférence est déterminée du moment même que l'essence est contrainte à l'un des partis de l'alternative, à l'existence; une dimension qui existe effectivement reçoit, par l'effet même de cette existence effective, une détermination, il ne s'agit pas, d'ailleurs, d'une détermination par laquelle elle se trouverait placée en tel genre ou en telle espèce; lors même qu'aucune surface n'existerait en effet, le mot surface n'en désignerait pas moins une essence appartenant au genre quantité. Il suit de là que, par son existence effective, une essence reçoit une détermination de même nature que éternité,

celle qu'elle reçoit

par division, c'est-à-dire une détermination par des

termes imposés à sa longueur, à sa largeur ou à sa profondeur. L'infinité

répugne donc à toute dimension par cela

même

qu'elle est

douée

d'existence effective. »

Cette doctrine se heurte visiblement à l'axiome d'Aristote

:

Toute

grandeur qui convient en puissance à un objet, lui convient aussi en acte. Si donc Dieu peut, sans fin, créer un volume de plus en plus grand, il peut créer un volume actuellement infini. Richard répond « Toute grandeur qui convient en puissance à un objet lui convient aussi en acte à l'égard d'un opérateur qui opère au moyen de quelque chose préexistante. Mais à l'égard de Dieu, qui peut produire de rien, cette parole du Philosophe n'est plus vraie. » Burley et Ockama reprendront et développeront cette réponse. :

J

L'impossibilité de la grandeur actuellement infinie entraîne, selon

Richard de Middleton 3, celle de la multitude infinie en acte « Dieu ne peut produire quelque chose qui soit, en nombre, actuellement infini. En effet, toute multitude que Dieu peut réaliser au moyen de choses incorporelles, il peut aussi bien la réaliser à l'aide de corps. Mais Dieu ne peut produire une multitude infinie de corps, car de ces :

corps, dont la multitude serait infinie,

i

.

a.

Voir Voir

il

pourrait également faire un

p. 3y. p.

!\i.

Kiccardi de Media Villa Qucestiones in quatuor libros Sententiarum, dist. XLlII,art. I, qua>st. VI; éd. cit., tomus primus, p. 386. .'>.

lib.

I.


1

NOTES tout continu;

en

infini et,

il

produirait ainsi

07

un volume continu actuellement

précédente question, on a prouvé que cela ne pouvait

la

être. »

A

l'appui de l'opinion selon laquelle

multitude infinie peut

la

être

argument Toute grandeur continue est indéfiniment divisible; il n'y a donc pas impossibilité à supposer qu'elle est, d'une manière actuelle, divisée en une multitude infinie on

réalisée,

cite volontiers

cet

:

de parties. « Lorsqu'on dit que tout continu est divisible à l'infini, je réponds que cela est vrai pourvu qu'on le comprenne ainsi Il peut être divisé sans fin, mais de telle façon que le nombre des parties formées soit toujours fini. Si vous admettez qu'il soit ainsi divisé, il n'en résulte aucune impossibilité il n'en résulte pas, en effet, l'existence d'un infini in facto esse, mais seulement d'un infini in fier l que l'on nomme habituellement un infini en acte avec mélange de puissance. » Cette opinion touchant la divisibilité à l'infini est, dans le fond comme dans la forme, toute semblable à celle qu'a soutenue Roger Bacon nous voyons clairement que Richard de Middleton a tout simplement appliqué à la solution des difficultés qui concernent l'infiniment grand cette notion d'acte mélangé de puissance par laquelle Bacon résolvait le problème de l'infiniment petit; son exemple, d'ailleurs, sera suivi très exactement par Guillaume d'Ockam; celui-ci refusera également à Dieu le pouvoir de produire l'infiniment grand in facto esse, tout en lui accordant de réaliser l'infini infteri. Richard de Middleton nous apparaît ici comme l'intermédiaire entre Bacon et :

;

1

;

Venerabilis Inceplor.

le

Richard revient, en une de

blème de

la divisibilité

à

ses

Questions quodlib étales

2 ,

au pro-

l'infini.

que la grandeur mathématique, telle que la volume, est divisible en parties qui, ellesmêmes, sont divisibles; en ce sens, la grandeur mathématique est Il

enseigne encore

ligne,

la

surface

ou

ici

le

divisible à l'infini.

en sa question quodlibétale, Richard de Middleton ne se borne pas à étudier la divisibilité de la grandeur mathématique; il Mais,

un corps par exemple; voici, à cet

étudie également la divisibilité de la grandeur réalisée en naturel, la divisibilité d'un

volume de

égard, quelle est sa doctrine

feu,

:

Étant donné un volume de feu, on peut concevoir qu'il

en

petites étincelles,

que ces

parcelles plus petites, et

1.

Voir p.

soit divisé

étincelles soient, à leur tour, divisées

ainsi

sans

fin.

Chaque

parcelle,

si

en

petite

19.

Quodlibeta Doctoris eximii Ricardi de Media Villa, ordinis minorum, qurestiones octuaginta continentia. Brixia?, de consensu superiorum, MDXCI. Quodlibetum 111, 2.

art. II, quaîst.

V Utrum magnitudo :

naturalis

sit divisibilis in

infinitum; pp. 91-93.


.

ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

Ô~j2

du feu en elle se trouveraient forme spécifique du feu.

serait réellement

soit-elle,

spécifique du

feu, la

Dieu pourrait, de

matière

la

;

indéfiniment un volume de feu

la sorte, diviser

maintenir l'existence des parcelles de feu ainsi produites,

si

et

petites

soient-elles.

Mais cette division pourrait être poussée assez loin pour altérer, non point la matière spécifique ni la forme spécifique du feu, mais certaines propriétés «

On

ou vertus de ce

feu.

pourrait, par exemple, parvenir à des parties

si

petites qu'elles

ne pourraient plus être maintenues en existence par les seules forces créées, et cela parce qu'en de telles particules toute vertu se trouverait

un

affaiblie à

une une

trop haut degré. Dieu, cependant, pourrait conserver

particule;

telle

seul,

pourrait produire d'une manière réelle

il

ni l'ange ni l'âme intellectuelle ne la peuvent mais ils la peuvent concevoir par la pensée. » De même, une particule suffisamment petite de feu, tout en demeurant spécifiquement du feu, n'aurait plus assez de vertu pour engendrer son semblable, pour se mouvoir, pour émouvoir notre sens; à l'égard de ces diverses propriétés, le feu n'est pas divisible telle division;

réaliser,

à l'infini.

Richard de Middleton pose

avec une extrême netteté,

ici,

la

doctrine

que Guillaume d'Ockam et Jean Buridana se borneront à répéter, qu'Albert de Saxe développera 3. Mais revenons au problème de l'infini mathématique. De l'impossibilité de l'infini en acte, Richard de Middleton tire cette conclusion: Le Monde n'a pu exister de toute éternité. Son argumentation mérite d'être rapportée; elle est, en effet, devenue comme le thème d'une discussion ardente et d'une extrême importance entre »

les tenants

de

« S'il était

l'infini in

facto esse

possible que le

et les

Monde

partisans de l'infini infieri.

eût été créé de toute éternité, dit

Dieu eût pu réaliser l'infini actuel soit en nombre, soit en grandeur, il eût pu de même, en effet, créer des hommes de toute éternité; de toute éternité, ces hommes eussent engendré d'autres hommes, et leurs successeurs en eussent fait autant jusqu'à ce jour. Richard

4,

Gomme,

d'ailleurs,

existerait,

d'une

âmes

les

manière

sont

rationnelles

actuelle,

incorruptibles,

une multitude

infinie

il

d'âmes

rationnelles.

»De même, Dieu ce jour

et,

pu mouvoir continuellement le ciel jusqu'à en chacune des révolutions du ciel, créer une pierre; il eût

3.

Voir Voir Voir

!\.

Ricardi de Media

i.

2.

|).

aurait

i5.

p. 38^i p. i5.

dist. Il, art. III,

Villa

quaest. IV; éd.

Qu.rstiones super qualuor libros cil.,

lomus secundus,

p.

17.

Senlentiarum;

lib.

II.


NOTES

pu réunir existerait

toutes ces pierres en

une

373

seule; cela

un volume

fait,

d'une manière actuelle. Mais au premier

livre,

infini

nous avons une

prouvé que Dieu ne pourrait produire, d'une manière infinie, ni une grandeur infinie. Dieu n'a donc pas pu créer actuelle, ni

multitude le

Monde de toute éternité. » De même encore, si Dieu

pu créer le Monde de toute éternité, il aurait pu, tout aussi bien, mouvoir le ciel de toute éternité, continuellement et jusqu'à ce jour. Dieu aurait donc pu faire qu'une avait

multitude infinie de jours fussent maintenant passés. Mais impossible que Dieu

ait fait

infinie in accepto esse;

quelque chose qui

il

soit

il

est

une multitude de jours passés qui

fût

n'est pas possible, en effet, qu'il ait produit

aujourd'hui passé

et

qui n'ait été futur;

il

donc pas pu produire une multitude de jours passés qui fût infinie in accepto esse s'il n'y avait eu une infinité in accepto esse de jours futurs. Mais Dieu n'a pas pu faire qu'une infinité de jours fussent des jours futurs in accepto esse, mais seulement in accipiendo esse ou in Jieri. Semblablement donc, Dieu n'eût pu produire une multitude de jours passés qui fût infinie in accepto esse, mais seulement in accipiendo esse. Il reste donc que le Monde n'a pas pu être n'aurait

créé de toute éternité.

»

Cet argument, Jean de Bassols va

le

retourner;

il

s'en servira

pour

démontrer qu'Aristote, en admettant l'éternité du Monde, aurait dû, pour demeurer conséquent avec lui-même, admettre l'existence actuelle de la multitude infinie et de la grandeur infinie.

II.

Jean de Bassols tout cas, disciple

Jean de Bassols.

était, croit-on,

du Docteur

compatriote de Duns Scot

sans cesse les yeux fixés sur ce disciple-là: «C'est disait-il

En Duns

;

il

en

fut,

Subtil; le maître, en ses leçons, gardait

mon

auditoire,

»

*.

la

formation intellectuelle de Jean de Bassols, l'influence de

donc historiquement certaine; bien des indices, croyons-nous, permettraient d'y déceler celle de Roger Bacon; enfin Scot est

1. Ces renseignements sont extraits d'une épître dédicatoire composée, en i5i 7, par le franciscain Anastasius ïurrionus de Samarino et placée au verso du titre de l'ouvrage suivant Opéra Joannis de Bassolis Doctoris Subtilis Scoti (sua tempestate) fidelis Discipuli Philosophi ac Theologi profundissimi In Quatuor Sentenliarum Libros (crédite) Aurea. Quœ nuperrime Impensis non minimis Curaque et emendatione non mediocri Ad débitée integritatis sanitatem revocata Decoramentisque marginalibus ac Indicibus adnotata ; Opéra denique et Arte Impressionis mirifica Dextris Syderibus elaborata fuere. Venundantur a Francisco Regnault et Ioanne Frellon. Parisiis. Cum gratia Et privilégie Colophon du premier livre: Hic finem accipiunt subtilissime: et sane quam utiles quesliones R. P. Fratris Jo. de Bassolis Minorité ac Théo:

|

|

\

|

!

|

\

\

|

\

:

|


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

3y4 celle

qu'ont exercée

l'écrit

de 1277 nous apparaît à

les décisions

composé par notre auteur, car

les articles

de Paris

et s'autorise

de

celui-ci cite très la

la lecture

de

fréquemment

condamnation portée contre

ces articles.

En bien

des circonstances, Jean de Bassols se montre adversaire

du

que

Guillaume conclusions sont plus absolues que ne le

aussi résolu de la philosophie

Stagirite

le

sera

d'Ockam; parfois même, ses seront celles du Venerabilis Inceptor. C'est ce qui a eu lieu, en particulier, au sujet du problème de l'infiniment grand. Aristote a commencé par établir que l'existence actuelle de la grandeur infinie était une contradiction il en a conclu ensuite que l'existence potentielle de la grandeur infinie était également contradictoire pour que la grandeur infinie puisse exister en puissance, il faudrait, affirme Aristote, qu'il existât actuellement une grandeur ;

;

infinie.

La négation de l'infiniment grand en puissance a semblé, aux théologiens catholiques, une barrière opposée à la toute-puissance créatrice de Dieu, et ils ont entrepris de faire tomber cette barrière; mais à ceux d'entre eux qui s'y sont le plus appliqués, comme Richard de Middleton, Walter Burley, Ockam et leurs successeurs, il n'a pas semblé que l'omnipotence divine fût limitée par l'impossibilité de la grandeur infinie actuelle; ils ont donc concédé au Stagirite cette impossibilité, et tous leurs efforts ont eu pour objet de rompre le lien, établi

par

et l'absurdité

Tout

le

de

Philosophe, entre l'impossibilité de

l'infini actuel

l'infini potentiel.

autre, et bien plus nettement

sentiment de Jean de Bassols

opposé au Péripatétisme, a

été le

».

Le disciple de Duns Scot admet pleinement l'axiome formulé par Aristote: L'infiniment grand potentiel suppose l'infiniment grand actuel. Or, chrétien, il croit à la toute-puissance divine qui ne lui permet pas de regarder l'infiniment grand potentiel comme une absurdité. Il ne veut donc pas que l'infini actuel soit contradictoire et il déclare Dieu capable de le créer.

primum Sententiarum. Nuper ab ORONTIO FINE Delphinate maculatissimum exemplar nactus extiterit) priori integritati quam integerrime et emendatissime valuit diligenter restitute. Ac marginariis adnotamentis haud parum conducentibus cum earum indicibus studiose ab eodem decorate. Sumptibus autem non modicis Fidclium Bibliopolarum Aime universitatis et Joannis Frellon ïypis mandate. In Aedibus Parisiensis Francisci Regnault

logi profundissimi in (ctsi

corruptum

et

I

:

Calcograpbi probatissimi. Anno JESU Acterni Régis sesquimillesimo decimoseptimo Nono Idus Septembres Sole sub \\V parte Virginia gradientc in hemispherio Parisiensi. Leonis Pape X pontiiicatus Anno Quinto. Les questions de Jean de Rassois sur les livres II, 111 et IV des Sentences ont été imprimées respectivement en i5iG, i5i6 et i."»i-. 1. Joannis de Rassolis //( primum librum Sententiarum distinctio XLIII, quœst. scilicel

Nycolai de Pratis

|

unira; éd.

cit., foll.

CCIX seqq.


,

NOTES

Que

telle soit

bien

passage que voici

Une

«

»

la

démarche de

nous en

375 la

est garant

pensée de Jean de Bassols,

le

:

quantité qui surpasse toute grandeur déterminée est une

mesure déterminée, on peut en donner une plus grande on peut donc donner une quantité actuellement infinie. Donnez-moi, en effet, la longueur que vous voudrez, de deux pieds par exemple, ou de trois pieds, ou de telle autre mesure particulière; il n'y a rien, semble- 1- il, qui répugne à ce que j'en puisse donner une plus grande, non pas seulement en puissance et in fierï, mais en acte; la longueur, en effet, ne s'assigne pas à elle-même telle mesure déterminée. A l'appui de ce raisonnement, on peut invoquer cette assertion d'Aristote au troisième livre des Physiques Si une grandeur peut être indéfiniment accrue, quantité infinie en acte; mais étant donnée une quantité d'une ;

:

peut être actuellement infinie; cette conséquence, énoncée par

elle

une grandeur peut être indéfiniment accrue, donnée une créature quelconque ou un individu quelconque d'une espèce déterminée, Dieu pourrait produire une seconde créature semblable ou un second individu de même espèce, et l'ajouter à la première créature ou au premier individu; cette affirmation est confirmée par Aristote lui-même, en son écrit De lineis indivisibilibus , car il y enseigne que toute grandeur, pourvu qu'elle soit finie, peut être amenée à toucher une autre grandeur et à la prolonger; de même, en la suite des nombres on peut progresser indéfiniment; de même pour Aristote, est valable. Mais

car, étant

formes, etc.»

les

Que

l'infini

donner

lui

auparavant, « L'infini »

actuel n'implique aucune contradiction, que Dieu puisse

l'existence, c'est ce

On peut,

il

que Jean de Bassols va soutenir; mais

pose une distinction

2

.

actuel peut être entendu de deux façons

en premier

lieu,

qui est infini selon toute manière d'être »

On

:

entendre par ces mots

l'infini

simple,

et selon toute perfection.

peut, en second lieu, l'entendre d'un infini qui ne l'est pas

une ou selon une perfection d'une nature spéciale. par exemple de l'infini en longueur ou en quelque attribut analogue. » Dieu ne peut créer d'infini actuel au premier sens du mot, car il ne saurait exister un autre Dieu » et cet infini serait Dieu. Mais il n'en est pas de même de l'infini pris au second sens du mot. Parmi les diverses espèces d'infini qu'implique ce second sens, il en est quatre 3 dont l'existence actuelle n'implique aucune contradiction L'infini en et peut, par conséquent, être réalisée par Dieu ce sont grandeur géométrique (longueur, surface ou volume) l'infini en selon toute manière d'être et selon toute perfection, mais selon

certaine manière d'être

.

:

;

;

1.

2.

3.

Jean de Bassols, Jean de Bassols, Jean de Bassols,

b

loc. cit., fol.

ccxi, coll.

loc. cit., fol.

ccx, col. d.

loc. cit., fol.

ccxi, col. b.

et c.

.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

O-G

nombre

l'infini

;

selon l'intensité ou la grandeur de quelque perfection

ou forme non géométrique, de

la chaleur,

par exemple; enfin

l'infini

en force (virtusj. Le pouvoir de réaliser un infini actuel est réservé, d'ailleurs, à Dieu « L'accroissement d'une aucun agent naturel n'est apte à le produire ;

1

:

grandeur progresse ou peut progresser indéfiniment il en résulte qu'une grandeur infinie tant en puissance qu'en acte peut être donnée parla vertu divine, non par vertu naturelle; si les forces naturelles interviennent seules, une borne est imposée à la grandeur et à son ;

accroissement.

»

L'argument direct que Jean de Bassols thèse est toujours l'axiome d'Aristote sable

si l'infini

actuel

en doute lorsqu'il tout

l'était;

s'agit

indirects

L'infini potentiel serait irréali-

or l'infini potentiel ne peut être révoqué

être surpassé

par une autre grandeur, par

Jean de Bassols adjoint des arguments

direct,

s'attache à résoudre les contradictions qu'Aristote et les

il

;

valoir à l'appui de sa

de grandeur ou de nombre; toute grandeur,

nombre peut toujours

un autre nombre. Mais à cet argument

:

fait

autres philosophes avaient cru découvrir en la supposition d'une gran-

deur

ou d'un nombre infini actuellement existants il les d'ailleurs, avec beaucoup de sagacité, mettant à nu le paralo-

infinie

résout,

;

fond de ces sortes d'objections. Contre la grandeur infinie actuelle, par exemple, une foule d'impossibilités prétendues sont tirées de la figure que l'on attribue au

gisme qui

fait

presque toujours

le

en lequel cette grandeur

corps

serait réalisée.

Mais pourquoi, au

corps infini, attribuer une figure? «Il n'est nullement nécessaires, de nécessité absolue,

qu'un corps

soit

terminé

une figure; à moins que l'on

et qu'il ait

en sorte qu'un corps infini n'est d'aucune figure; n'aime mieux dire que sa figure est actuellement infinie

grandeur

;

mais, dans ce cas

il

faut ajouter

que

la définition

comme de

sa

la figure

ne convient qu'aux figures finies. » Aristote a élevé contre l'infini actuel une objection tirée de l'impossiJean de Bassols bilité où l'on est de lui attribuer des parties finies

dont

se tirent ces impossibilités

;

ruine cette objection par cette remarque u L'infini

si

simple 3

:

a des parties [finies] qui ne sont pas des parties aliquotes

en prenant un nombre déterminé, quelconque d'ailleurs, de il

est toujours

Un

impossible de reproduire

;

ces parties,

le tout. »

autre argument, qui est de tous les temps, est

le

suivant

'•

:

« D'une grandeur actuellement infinie, il est possible, tout au moins par la puissance de Dieu, de séparer une première partie finie,

i.

2.

3. 4.

Jean Jean Jean Jean

de de de de

Bassols,

loc. cit., fol.

ccxn,

Bassols,

loc. cit., fol.

ccxii, col. d.

Bassols,

loc. cit., fol.

ccxn,

Bassols, loc.

cit., fol.

col. d.

col. c.

ccxui, col. h.


NOTES

377

d'un pied, par exemple, ou de deux pieds; je demande alors si la partie restante est finie ou infinie. On ne peut dire qu'elle est infinie, car le tout étant plus grand que sa partie, actuel étant donné,

un

ce qui est faux et absurde.

deux grandeurs

car de

de

être

On ne

finies

Notre Franciscain répond

donc

être plus

même

1

il

en résulterait qu'un

peut dire non plus qu'elle est

on ne peut former un :

grand qu'un autre

n'y a pas d'inconvénient à cela

infini

s'il

ne

Un infini pourrait

du même genre?

s'agit

finie,

infini. »

Lorsque vous dites:

«

infini

espèce pourrait être plus grand,

pas de

je dis qu'il

l'infini

considéré

l'est de toute manière et sous tout rapport; qu'une ligne qui n'a de terme ni du côté de l'Orient ni du côté de l'Occident serait plus grande qu'une ligne illimitée du côté de l'Orient, mais ayant un terme du côté de l'Occident. »

simplement, de celui qui

c'est ainsi

Formé

à la dialectique la plus subtile par son maître

Bassols n'hésite pas à signaler des illogismes

même

dans

Duns

les

Scot,

raisonne-

ments du Stagirite. Il va plus loin il accuse le Philosophe de se contredire lui-même en niant le nombre actuellement infini « Si Aristote, dit-il 2 avait fait un tout de ses principes, il eût admis l'existence actuelle du nombre infini. Au huitième livre des Physiques, en effet, il a admis que le Monde était éternel et que les hommes s'étaient engendrés les uns les autres de toute éternité. En second lieu, il a admis que l'âme raisonnable était la forme et l'acte du corps; le nombre des âmes est donc précisément le même que le nombre des corps humains on ne voit pas qu'il ait admis l'opinion absurde soutenue depuis par le Commentateur, opinion selon laquelle il n'existe qu'un seul intellect pour tous les hommes; l'eût-il admise que l'on pourrait, je le prétends, lui prouver efficacement le contraire, une fois supposé ou démontré que l'âme est la forme du corps humain. En troisième lieu, aux trois premiers livres De l'âme et au seizième Des amimaux, il a admis que l'âme humaine était incorruptible, qu'elle ;

:

,

;

différait

par sa perpétuité de ce qui est corruptible

et

extrinsèque.

ces trois propositions découle cette conséquence inévitable

:

De

La multi-

tude des âmes humaines est infinie. Si donc, au troisième livre des Physiques, Aristote entend nier,

comme

l'affirme le

Commentateur,

la

même

et

du nombre infini actuel, il en résulte qu'il se contredit luique l'on peut, de ses dires, tirer également ces deux affirma-

tions

Il

y a

possibilité

:

un

infini

en acte.

Il

n'y a pas d'infini en acte

3.

»

Jean de Bassols, loc. cit., fol. ccxni, col. c. Jean de Bassols, loc. cit., fol. ccxn, col c. 3. Jean de Bassols, en ce passage, se montre fermement opposé à la doctrine averroïste de l'unité de l'intellect; d'ailleurs, il semble que cette doctrine, après avoir recruté de nombreux adhérents, à Paris, durant le xin siècle, n'en comptait plus guère au début du xiv" siècle; les condamnations formulées en 1277 lui avaient porté un coup fatal. Qu'il en fût bien ainsi, la lecture même de Jean de Bassols nous l'apprend. A propos de l'un des articles condamnés par Etienne Tempier, notre Fran1.

2.

8


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

378

Les philosophes qui veulent nier la grandeur infinie actuelle et le nombre infini actuel rattachent presque tous l'impossibilité de cet

grandeur

Si

finie.

une multitude toute grandeur

comme

d'une division actuellement infinie de la Dieu, disent-ils, pouvait réaliser actuellement

l'impossibilité

à

infini

infinie, finie

il

pourrait, d'une manière actuelle, partager

en une

infinité

ces philosophes, nie qu'une

manière

actuelle,

divisée à l'infini

impossibilité entraîne

de

celle

;

de parties indivisibles. Bassols,

grandeur finie puisse être, d'une mais il nie également que cette multitude actuellement

la

infinie.

La division d'une quantité finie quelconque en parties dont les grandeurs se succèdent selon un rapport constant, se poursuit, à l'infini. Il en est de même de l'augmentation d'une quantité dit-il par l'addition de semblables parties divisibles. La vertu divine ellemême ne peut réduire cette division ou cet accroissement à l'acte in facto esse, mais seulement à l'acte in fieri, et cela parce que la réalité ou la nature des choses répugne à cette actualisation. Mais cela ne fait «

1

,

point objection à notre proposition.

»

La doctrine si vigoureusement anti-aristotélicienne de Bassols, en ce problème de l'infini, prépare la réaction occamiste, en même temps qu'elle la dépasse de beaucoup; il est difficile de croire que l'« Auditoire » de Duns Scot n'ait pas influé sur le Venerabilis Inceptor.

III.

Durand de Saint- Pour çain.

semble bien, d'ailleurs, que la pensée de Jean de Bassols ait éveillé un écho en la raison d'autres scolastiques de son temps Durand de Saint-Pourçain, par exemple, paraît avoir connu cette pensée et s'être trouvé sur le point de se laisser séduire par elle. A quel moment Durand de Saint-Pourçain philosophait-il ? Il florissait, nous dit Trittenheim 2 au voisinage de l'an i3i8. Mais l'activité Il

;

,

amené à

parler des circonstances dans lesquelles cette sentence fut rendue. % quelques hommes qui soutenaient cette opinion aucune matière ne fait partie de l'àme, il ne peut y avoir plusieurs âmes

ciscain est

« Il y avait alors à Paris, dit-il

Comme

numériquement

:

distinctes. »

Jean de Bassols, loc. cit., fol. ccxm, col. c. 2. D. Durandi a sancto Portiano super sententias theologicas Pétri Lombardi cornmentariorutn libri quatuor, per fratrein Iacobum Albertum Castrensem ad fidem veterum exemplarium diligenter recogniti. Post omnes omnium œditioncs hactenus vulgatas 1.

a) Profundissimi Sacre théologie p7*ofessoris F. Joannis de Bassolis minorité in secuiulum sentenliarum Qucstiones inyeniosissime : et sane quam utiles... Venuradantur in vico Maturinorum apud Joanuem Frollon fidelissimum Bibliopolara sub sigoo Avicludii commorantera. ParhisiusColophon Kxpliciunt preclarissime et sane quam utiles questiones super secundum seDtentiarum :a profundissimo et ingenioso theologo Fratre Joanne de Bassolis sludiose composite et discusse. Impressc uovitor in aima Farhisiorum Lutecia... Sumptibus honestorum bibliopolarum Francisci Reg-nault et :

|

Joannis Frellon. Arte vero et nitidissimis caracteribus Nicolai de Pratis Calcographi probatissirai. Anno ab orbe redemplo millesimo quingentesimo decirao sexto die ultimo meusis Octobris. Laus Jesu. Dist. III, quïi'st. II ; fol. xxxiv, col. d. |


NOTES

379

de ce Scolastique ne se laisse pas dater avec cette étroite précision ni restreindre en l'espace d'une année; à la fin de son commentaire aux Livres de Sentences, l'auteur nous apprend qu'il termine intellectuelle

'

dans

ouvrage qu'il a

la vieillesse cet

commencé dans

sa jeunesse; son

labeur semble donc avoir duré de longues années, comprises en

première moitié du

Membre de

\iv° siècle.

de saint Dominique, Durand

l'ordre

thomiste convaincu

;

il

abandonna ensuite

la

Il

question de

est assez

«

d'abord,

du Docteur

esprit hésitant, dont

lorsqu'il traite

de

la

l'infini actuel.

Dieu peut- il produire un grandeur?

fut,

tradition

nous apparaît, d'ailleurs, comme un les convictions ont dû changer bien souvent. De ces variations, il nous fait lui-même l'aveu Angélique.

la

infini

actuel,

soit

en nombre,

soit

en

L'opinion qui l'affirme, dit Durand de Saint-Pou rçain^,

probable;

elle

a été adoptée par Avicenne, par Al-Gazali

moi-même,

semblé parfois recevable. Mais il est une autre manière de répondre qui semble plus probable; c'est que Dieu ne peut, d'une manière actuelle, produire de tels infinis, non par défaut de puissance, mais parce que la réalité et

par quelques autres;

à

elle a

répugne à cette actualisation. » Afin de justifier la préférence que lui inspire cette dernière opinion, Durand examine avec grand soin les arguments qui ont été produits pour ou contre l'infini actuel; en cette discussion, il semble surtout viser les raisonnements de Jean de Bassols dont, parfois, il reproduit presque textuellement les paroles. Si le Docteur dominicain a été tenté d'attribuer à Dieu le pouvoir de produire un infini actuel, le tentateur n'était-il pas le Docteur franciscain?

IV. Jean Buridan.

Au

milieu du xiv e

siècle,

l'École parisienne se

met

à discuter les

questions relatives à l'infini avec une logique plus raffinée que celle dont on avait usé jusque-là; en ces discussions, la distinction entre l'infini

catégorique et

l'infini

syncatégorique joue

un

rôle essentiel.

et cùm expatianter tum forsan accuratiùs, ut hanc nostram cum aliis postremam œditionem conferenti liquidé apparebit. Authoris vitam, professionem et opéra versa pagina indicabit. Venundantur Parisiis apud Ioannem Roigny sub Extrait de Joannis basilisco, et quatuor elemenlis, via ad divum Iacobum. i53g. Trittenhemii Abbatis Spanhemensis Catalogus scriptorum ecclesiaslicorurn, inséré au verso du titre. 1. Durand de Saint-Pourçain, Op. cit., Conclusio operis, a tempore quo author opus inceptum hoc perscripsit; éd. cit., fol. 32/4, verso. 2. Durand de Saint-Pourçain, Op. cit., libri primi dist. XLI1I, quaest. II; éd. cit.,

exeruimus,

foll. 86-87.

:


ÉTUDES

38o

SI

11

LÉONARD DE VINCI

Nous avons vu Petrus Hispanus introduire cette distinction, Burley y faire une fois appel, Albert de Saxe, enfin, et ses successeurs en faire un constant usage. Un peu plus jeune que Walter Burley, sensiblement plus âgé qu'Albert de Saxe, Jean Buridan vient se placer entre eux comme un i

intermédiaire naturel; son influence sur l'enseignement d'Albertutius a été souvent très profonde.

Nous n'avions pu,

jusqu'ici,

prendre connaissance des Questions

sur la Physique d'Aristote qu'a composées maître Jean Buridan récemment, il nous a été donné de les étudier en l'exemplaire manu;

que conserve Dullaert de Gand scrit

la

Bibliothèque nationale 3

fit

imprimer

ces

.

En

Questions 3;

1590, à Paris, Jean

nous n'avons pu

consulter cette édition.

Bien que Buridan n'ait pas apporté, en tout ce qu'il a dit de fini,

la

même

clarté et la

même

l'in-

précision qu'Albert de Saxe, les

du maître de Béthune ont assurément dirigé celles d'Albertutius; en sorte que Léonard de Vinci, en lisant celles-ci, percevait bien souvent un reflet de celles-là. Il nous faut donc arrêter un instant aux doctrines que Buridan enseignait au sujet des deux

discussions

infinis.

Buridan attache une grande importance à la notion d'infini syncomment il définit 4 la grandeur syncatégoriquement infinie C'est une grandeur quelconque, mais jamais si grande qu'on n'en puisse trouver une encore plus grande (aliquantum, et non tantum quin majus). Le nombre syncatégoriquement infini est suscep-

catégorique. Voici :

tible

d'une définition analogue.

Tout aussitôt, Buridan donne un exemple de longueur syncatégoriquement infinie; il l'emprunte à cette sorte d'hélice 5 dont le pas décroît en progression géométrique et que les. scolastiques ont si souvent prise pour exemple; quelque longue que soit la partie décrite de cette hélice, on en peut décrire une encore plus longue. La grandeur catégoriquement infinie serait telle qu'on n'en puisse donner une qui la surpasse. Buridan remarque que l'existence d'une grandeur catégoriquement infinie rendrait impossible la grandeur 1.

Voir pp. 21-23.

2.

Questiones totius libri phisicorum édite a Magistro

fonds lalin, ms. n° 3.

Acutissimi

Johannc Buridam

(Bibl. nat..

1/4723).

philosophi

reverendissimi

magistri Johannis

Buridani

subtilissime

questiones super octo Phisicorum libros dilig enter recognite et revise a magistro Joanne

Venum exponuntur in edibus Dionisi Hic Roce, Parisius, in vico divi Jacobi, sub divi Martini intersignio. Colophon Buridani super octo Phisifi nom accipiunt questiones reverendi magistri Johannis corum libros, impresse Parhisius opéra ac industria magistri Pétri Ledru, impensis... Dionisi Boce... anno millesimo quingentcsimo nono, octavo calendas novembres. 4. Magistri Johannis Buridam questiones totius libri Phisicorum, lib. 111, quœst. XVIII Utrum in quolibet continuo infinité sint partes (ms. cit., loi. 58, col. c). f>. Noir p. 'i'i. Dullaert de Gandavo antea nusquam impresse.

:

:


NOTES

même

syncatégoriquement infinie de

û8l

du moins tant que l'on qui a été donnée tout à

espèce,

maintiendrait intégralement la définition l'heure.

Supposons, par exemple l'existence du corps catégoriquement infini. On ne pourrait dire qu'étant donné un corps quelconque, on 1

,

en peut toujours donner un plus grand, puisqu'il existerait un corps tel

de plus grand.

qu'il n'en puisse exister

11

n'y aurait

donc pas de

corps syncatégoriquement infini. Toutefois, en ce cas, étant

pourrait toujours trouver sorte

que

cette proposition

tégoriquement

un

donné un corps

autre corps

demeurerait vraie

infini (infinitam est

fini quelconque,

qui

fini :

soit

on

plus grand; en

Le corps

fini est synca-

corpus finitum).

forme que Buridan énonce toujours l'existence d'un infini syncatégorique, témoin ce passage si clair 2 « Il peut y avoir un mouvement éternel ou infini, et de même un temps éternel, du moins dans le futur... Cette conclusion est évidente si l'on prend ces mots éternel et infini, au sens syncatégorique. Selon il n'existe aucun mouvement, Aristote, en effet, on devrait dire aucun temps de si longue durée qu'il n'y ait un mouvement, un temps de plus longue durée et selon la vérité de notre foi, » il en est de C'est sous cette

:

:

:

;

même. « Le temps et le mouvement peuvent donc durer perpétuellement et à l'infini. Le mouvement fini peut donc être infini (Ergo infinitus potest esse motus finitus), car un mouvement fini ne peut être si long qu'il ne puisse exister un autre mouvement fini plus long. »

Albert de Saxe, pour affirmer que la durée

tégoriquement

infinie,

merait, au contraire,

dirait 3

que

cette

:

du mouvement

In infinitum durât

est synca-

motus;

il

affir-

durée est un infini catégorique

s'il

Motus durât in infinitum. Nifo lui attribue formellement ^ l'invention de cette forme de langage dont, en effet, nous ne trouvons nulle trace dans les Questions sur la Physique de Maître Jean disait

:

Buridan.

La grandeur syncatégoriquement

infinie

peut- elle être? Contre

mais avec Richard de Middleton, Durand de Saint-Pourçain, Guillaume d'Ockam et Walter Burley, Buridan n'hésite pas à admettre que la puissance divine est capable de la produire 5 « La grandeur infinie peut exister si l'on prend le mot infinie au sens syncatégorique. Il ne peut, en effet, exister de grandeur finie si

Aristote,

.

Jean Buridan, loc. cit., fol. 58, col. d. Magistri Johannis Buridam questiones totius libri Phisicorum ; lib. VIII, quœst. III Utrum sit aliquis motus œternus; ms. cit., fol. 97, coll. bet c. 3. Voir p. 23, en note. k. Voir p. 36. 5. Magistri Johannis Buridam questiones tôt ius libri Phisicorum; lib. III, quœst. XIX Utrum possibile est infinitam esse magnitudinem; ms. cit., fol. 60, col. b. 1.

2.

:

:


ÉTUDES SUR LEONARD DE M.NCI

'5$2

considérable qu'il n'en puisse exister une plus considérable, une qui soit,

par rapport à

terme;

première, double, décuple, et ainsi de suite, sans

la

comme aucune grandeur ne

et

saurait exister

si elle

n'est finie,

on peut dire plus simplement qu'étant donnée une grandeur quelconque longue d'un pied, il peut en exister une deux fois plus grande, cent fois plus grande, etc. Mais cela ne peut être réalisé que par la puissance divine.

»

grandeur catégoriquement infinie est-elle également au pouvoir de Dieu? En faveur de l'affirmative, Buridan expose l'argument qui devait si fort préoccuper Albert de Saxea et, après lui,

La

réalisation de la

1

la

plupart des Scolastiques.

On

peut imaginer qu'une heure c'est-à-dire en

tionnelles,

en parties propordurées décroissent en

ait été divisée

parties

dont

les

progression géométrique de raison {; on peut supposer qu'en chacune

de ces parties proportionnelles, Dieu crée une pierre d'un pied cube; à la fin de l'heure,

quement « Ista

il

aura créé une pierre actuellement

et catégori-

infinie.

quaestio apparet mihi bene

difjicilis, » dit

Buridan 3. Le philo-

sophe de Béthune la soumet, en effet, à une discussion qui n'est exempte ni de chicanes ni d'obscurités. Il clôt 4 cependant cette

remarque que voici « S'il était possible que Dieu agît ainsi, il en résulterait que la dernière partie proportionnelle d'une heure pourrait être donnée, ce qui est faux, comme nous l'avons dit. » Cette remarque est devenue la majeure du raisonnement par lequel discussion par

la

:

Albert de Saxe a réfuté 5 l'argument

produit en faveur de

l'infini

actuel.

La discussion dont nous venons de parler contient un passage G qui mérite d'attirer notre attention.

Buridan en prend occasion, en effet, de rappeler ce principe sur lequel Duns Scot et Walter Burley ont insisté « Une proposition universelle peut être impossible alors que chacune des propositions plus particulières qu'elle renferme est possible et qu'elles sont compossibles les unes avec les autres. » Selon le langage des logiciens :

scolastiques, la proposition universelle qui est la synthèse de ces pro-

au sens

au sens composé, a De la possibilité d'une proposition prise au sens divisé, on ne saurait conclure la possibilité de cette même proposition prise au sens composé, lorsque ce dernier sens maintient l'universalité.)) En ce

positions

i.

a.

3. ti.

5. G.

Jean Voir Jean Jean Voir Jean

particulières

Buridan, p.

est vraie

(oc. cit., fol. 5<), col. c.

/j3.

Buridan, loc. Buridan, loc pp.

cit., fol.

cil., fol.

5g, col. d. Go, col. a.

tiS-l\l\.

Buridan,

loc. cil., fol. Go, col. b.

divisé

et

fausse


NOTES

même

080

problème, Albert de Saxe, visiblement dirigé par l'enseignement

même

de Buridan, recourra au

Tout

être eht-il

de surpasser?

principe

.

maximums

borné par un certain

Si les

1

qu'il lui est interdit

puissances naturelles entrent seules en jeu, cela

peut être; mais aucun être naturel ne saurait être puissance divine ne fût espèce que celui-là et

grand que la capable de produire un autre être de même plus grand que lui; du moment que la puissi

sance divine entre en jeu, toute espèce d'être est capable d'infinité syncatégorique. Cette question les divers

amène Buridan

à parler3

du maximum qui termine

degrés d'une puissance. Nous avons vu

comment

cet antique

sujet de discussion de la les écrits

Physique péripatéticienne avait pris, dans d'Albert de Saxe, une forme particulièrement rigoureuse'

comment

la

1

;

plupart des successeurs d'Albertutius avaient longuement

problème; comment enfin Léonard de Vinci avait repris exactement l'exposé d'Albert de Saxe 5 traité ce

fort

.

Cet exposé, nous

le

trouvons préparé par celui de Jean Buridan,

mais combien la rigueur et la précision sont plus grandes en l'œuvre du Maître allemand qu'en l'œuvre du Maître picard Celui-ci se borne à formuler des conclusions qu'il donne comme probables et communément reçues « soient poni conclasiones probabiles. » « Admettons que A soit la puissance capable de lever un grand poids il n'est pas possible de donner le poids le plus grand que A puisse lever cette conclusion est évidente si l'on admet que l'action ne peut se produire lorsque la puissance agissante est égale ou infé!

:

;

;

rieure à la résistance. »... l'on

Aux conclusions

formule

déjà posées, on peut en joindre d'autres que

communément

et

avec raison.

La première de ces conclusions est la suivante On peut donner le poids le plus petit parmi ceux que A ne peut lever. En effet, il est certain que le poids peut tellement croître que A devienne incapable de le lever. Il faut donc que cette puissance soit bornée à un certain poids. Or, elle ne peut l'être que de l'une des deux manières que »

:

voici

:

qu'elle le tel

Ou

bien

la

puissance

A

peut lever ce poids limite, tandis

ne peut lever aucun poids plus grand

poids

maximum

poids ne pouvait

qu'elle puisse lever; et être.

Ou

bien

la

;

ce poids-là serait alors

nous avons admis qu'un

puissance

A

est

incapable de lever

ce poids; mais elle est capable de lever tout poids moindre; c'est pré-

1.

Voir

p.

k'-x-

Magistri Johannis Buridam questiones totius libri Phisicorum; lib. I, qua3st. XII Utrum omnia naturalia siat determinata ad maximum ms. cit., fol. i/i, coll. dseqq, 2.

:

;

3. /j.

5.

Jean Buridan, loc. Voir pp. ik -3o. Voir pp. 52-53.

cit.,

fol. 16, coll.

b

et d.


ÉTUDES SUK LÉOxNAHD DE VINCI

38/|

cisément

notre conclusion; ce poids, en

A

parmi ceux que moindre.

elle

minimum

peut lever tout poids

de Saxe a discuté avec sa minutieuse logique

du maximum le

car

poids

effet, est le

»

Si Albert

nous

ne peut

lever,

in

voyons,

quod

du minimum

sic et

la solution qu'il a

qu'en son temps,

elle

était

in

la

question

quod non, il n'a pas créé, Buridan nous apprend

adoptée;

communément

reçue à l'Université de

Paris.

La question que Buridan vient de traiter le conduit tout aussitôt à l'examen de cette autre Tous les êtres naturels sont-ils inférieurement bornés à un certain minimum ? Il ne s'agit nullement pour le maître de l'Université de Paris de discuter la divisibilité syncatégoriquement infinie de la grandeur abstraite la seule divisibilité qu'il mette en question est celle des »

:

;

corps réels et concrets.

Au

sujet de cette divisibilité,

cette conclusion,

On

il

la

une conclusion

formule en ces termes

peut donner une grandeur

lui paraît certaine;

:

petite qu'un corps de cette grandeur ou d'une grandeur moindre, qui serait isolé de tout autre corps de même espèce, ne saurait être conservé pendant un temps prolongé «

et

si

notable; ce corps tendrait continuellement à sa corruption et les

corps qui lui sont voisins l'auraient bientôt corrompu. Cette

conclusion reflète l'influence de Richard de Middleton

d'Ockam,

et

va influer à son tour sur Albert de Saxe question du

concerne pas directement

la

a été posée par Gilles de

Rome 3

formule en ces termes «

»

.

minimum

2;

mais

elle

et

ne

naturel telle qu'elle

Cette dernière question, Buridan la

:

Peut-être posera-t-ou l'interrogation suivante

:

Est-il possible

de

donner un corps naturel, isolé de tout corps de même espèce que lui, et si petit, qu'aucuu corps de cette même espèce, isolément existant, ne puisse être moindre? Il est certain que la puissance divine peut réaliser un corps de même espèce qui soit moindre que celui-là; mais le doute soulevé est relatif aux puissances naturelles. » Ce doute, Buridan ne trouve pas de certitude capable de l'éclairer les solutions proposées ne lui inspirent aucune confiance; u il me semble, observe-t-il, que tout cela est dit sans aucune preuve. Sed tune mihi videtur quod haec omnia dicta sunt sine aliqua probatione. » ;

i.

Maglstri Johannis

Utrum omnia 2.

3.

Buridam

questiones totius libri Phisicorutn

enlia naturalia sunt detcrminata ad

Voir p. i5. Voir pp. 11-12.

minimum;

;

ms.

lib.

1,

quœst. X11I

cit., fol. 17.

:


o85

ÎSUTES

V. Grégoire de Rimini. Aristote avait affirmé

non seulement si

grandeur

la

infinie était contradictoire,

supposer réalisée en acte, mais même attribuer une existence en puissance. Jean de

l'on voulait la

si

l'on se bornait à lui

Bassols,

que

la doctrine péripatéti-

poussant à l'extrême l'opposition à

cienne, n'avait pas hésité à déclarer que l'infini, aussi bien actuel que potenliel, n'était point contradictoire et que, sous

sous l'autre,

il

une forme comme

pouvait être produit par la Puissance divine.

Après bien des hésitations, Durand de Saint-Pourçain est parvenu à formuler une opinion qui fut une sorte de moyen terme entre celle d' Aristote et celle de Jean de Bassols. Avec Aristote, Durand de Dieu Saint-Pourçain regarde l'infini en acte comme contradictoire ;

même

ne saurait

le

En

produire.

puissance n'a rien d'illogique;

revanche,

la

il

admet que

Vertu divine

l'infini

en

peut engendrer.

le

Cette opinion est celle qu'avait soutenue Richard de Middleton. Cette doctrine de Richard de Middleton et de Durand de Saint-

Pourçain, Guillaume d'Ockam est habituelle.

Walter Burley

la

professe avec

netteté

qui lui

soutient d'une manière non moins

la

formelle. Jean Buridan l'adopte ensuite;

il

l'expose et la défend avec

toute l'habileté logique à laquelle l'étude des

Hispanus

la

a habitué les Parisiens

;

la distinction

Summulae de Petrus entre l'infini catégo-

syncatégorique dirige toute sa discussion. Après Jean

rique et l'infini

Buridan, Albert de Saxe consacre toute la rigueur

et

toute la clarté

coutumier à exposer les doctrines de son maître. Au temps même où Jean Buridan développait, au sujet de l'infini, des pensées inspirées par celles de Guillaume d'Ockam, la tradition de Jean de Bassols était reprise par un logicien d'une puissance et d'une audace également rares c'est en i3A4, en effet, que Grégoire de dont son génie

est

;

Rimini mettait

la

main

dernière

à ses Questions sur les livres des

Sentences. Si

Grégoire de Rimini se trouve parfois,

essentiels, en contradiction avec

le

et à

propos de problèmes

Venerabilis Inceptor, cette contra-

diction, cependant, n'est pas continuelle.

Il

est

nombre de

points où

deux philosophes s'accordent. Ce que Grégoire de Rimini, par exemple, dit des indivisibles de la Géométrie, du point, de la ligne, de la surface, eût été avoué par Guillaume d'Ockam; il y eût reconnu

les

opposait à l'École scotiste.

les principes qu'il

Comme

Guillaume d'Ockam, Grégoire nie formellement!

«

qu'en

Gregorius de Arimino. In secundo sententiarum nuperrime impressus. Elquam diliPer venerabilem sacre théologie bacalarium fratrem Explicit lectura secundi sententiarum Fratris Colophon Paulum de Genezano. Gregorii de Arimino sacri ordinis Heremitarum Sancti Angustini théologie profesi.

gent issime sue integritati restitutus.

;

i».

nu hem.

:

:

a5


ETUDES SUR LEONARD DE

38G

aucune grandeur,

quelque indivisible qui

existe réellement

il

\i.\Cl

soit

intrinsèque à cette grandeur», et qui ne lui soit pas seulement présent et coexistant

comme

l'âme

Qu'une grandeur ne

nombre

on

d'indivisibles,

au corps.

l'est

soit

pas simplement formée par un certain

s'en peut aisément convaincre à l'aide des

arguments géométriques que Roger Bacon et Duns Scot ont mis à la mode et que notre auteur développe avec complaisance i. Mais, sans prétendre que la grandeur est composée d'indivisibles, que le volume, par exemple, est un empilement de surfaces, on pourrait affirmer, et c'est ce qu'a soutenu Duns Scot, qu'au sein de la grandeur, l'indivisible jouit d'une existence réelle, que la surface qui termine un volume, par exemple, est une entité distincte de ce volume, capable de servir de sujet, de support, à certains attributs physiques tels que la

couleur.

Grégoire de Rimini, en formulant citée;

«en aucune grandeur,

Comme

répète-t-il

»

arguments en faveur de

s'élève avec force

proposition que nous avons

la

empruntaient à

les Scotistes

que

des Scotistes

C'est contre cette affirmation

la

de point. » Physique leurs principaux 2,

«il n'existe

l'existence réelle des indivisibles, c'est surtout

que notre auteur fait appel 3 pour démontrer que ces entités ne sauraient être admises le mouvement local d'un point, par exemple, lui paraît être une absurdité. Quelle est donc l'exacte nature de ces indivisibles que l'on nomme à des raisons de Physique

;

point, ligne, surface

une

parfaite clarté

Ces

«

noms

Grégoire expose son opinion à ce sujet

?

4

avec

:

de ligne,

de surface, de corps, peuvent être pris en deux

sens différents. »

En un premier

sens,

ils

signifient des grandeurs véritables existant

réellement hors de l'âme. »

une

En

ce premier sens, ce

même

que l'on

nomme ligne, surface et corps,

c'est

grandeur, mais considérée à des points de vue (rationes)

différents. Cette

grandeur, on

nomme

la

ligne

en tant qu'elle

est

étendue selon une certaine dimension ou selon une certaine différence de situation; en tant qu'elle est étendue selon deux dimensions, on la

nomme

surface, et corps, en tant qu'elle est étendue suivant trois

soris excellentissimi

:

Prioris generalis

quoadam

prefati ordinis

:

qui legit Parisius

anno domitii i344°. Per venerabilem sacre théologie bacalarium fratrem Paulum de Geneçano quamdiligentissime castigata et sue pristine integritati reslituta. — Après la table: Venctiis sumptibus heredum quondam domini Octaviani Scoti Modoetiensis ac sociorum. 8 octobris i5i8. sibili

aut invisibili. Art.

I

:

— Dist.

Il,

Quaest.

Il

:

Utrum angélus

An magnitudo componitur

col. d. 1.

2. 3. *\.

Grégoire de Rimiui, Grégoire de Rimini, Grégoire de Rimini, (Irégoire de Rimini,

loc. cit., fol. 28, col. a, loc. cit., fol.

à fol. 29, col. b.

32, col. d.

loc. cit., fol. 33, col. b. loc.

cit., fol.

.'>:>,

sit

in loco divi-

ex indivisibilibus

col. d. cl fol. 34, col. a.

;

fol. 3a,


NOTES

387

dimensions. Or, toute grandeur qui existe hors de notre

âme

est

la fois selon une dimension, selon deux dimensions et selon dimensions il n'en est aucune qui soit étendue seulement suivant une ou deux dimensions. » ... Donc, si l'on prend les mots en ce sens, toute ligne est en même temps surface et corps, et on peut en dire autant, mutatis

étendue à trois

;

mutandis, de

du corps

la surface et

La ligne est une grandeur qui n'a d'étendue que suivant une seule dimension mais d'après ce qui vient d'être dit, l'exclusion qui est ici formulée n'entend point signifier que cette chose réelle qui est une ligne n'a pas d'extension suivant plus d'une dimension; elle signifie que la définition de la ligne n'implique pas que cette chose soit étendue suivant plusieurs dimensions, mais seulement qu'elle est étendue selon une dimension » Ces mots peuvent être pris en un second sens, comme signifiant des grandeurs fictives et imaginaires ou des images de grandeurs que l'âme feint en elle-même, non par une quelconque de ses puissances sensitives, mais en son seul intellect. Dans la réalité extérieure, il n'y a ni aire sans profondeur, ni longueur sans largeur cependant l'expérience nous montre que nous pouvons, en nous-même feindre et considérer une certaine aire sans considérer aucune profondeur, c'est-à-dire concevoir une certaine grandeur étendue seulement suivant deux dimensions nous pouvons, de même, considérer une pure longueur dénuée de largeur; nous pouvons encore considérer une figure douée de profondeur, c'est-à-dire une grandeur étendue suivant trois dimensions, suivant trois différences de situation. Ce sont les grandeurs fictives de cette sorte que nous nommons »

Les auteurs disent

:

;

;

;

;

surfaces, lignes, corps.

»

Ces principes fournissent

que pourraient

faire

l

valoir

une réponse les

aisée à toutes les objections

partisans

de l'existence réelle des

indivisibles.

Une grandeur ne

saurait être

composée

d'indivisibles

;

elle

ne peut

composée que de grandeurs de même espèce il serait d'ailleurs absurde de prétendre que le nombre de ses parties est incapable de surpasser une certaine valeur finie il reste donc qu'elle admette une

être

;

;

infinité

de parties; Grégoire de Rimini

se

trouve ainsi conduit à

analyser la redoutable notion d'infini. L'analyse à laquelle

il

va procéder suppose, tout d'abord, que l'on

introduise, entre les diverses manières de concevoir l'infini, la célèbre distinction posée par Petrus Hispanus. «

La discussion des opinions que certains philosophes professent en matière, dit Grégoire de Rimini 2 nous amène à poser une

cette 1.

2.

,

Grégoire de Rimini, Grégoire de Rimini,

loc. cit., fol. 3/i,

recto et verso-

loc. cit., fol. 3o, col. b.


ÉTUDES SUU LÉONARD DE VINCI

388

distinction au sujet de ce terme

sens différents; selon

langage

le

infini,

:

qui peut être pris en deux

communément

reçu,

peut être pris

il

au sens syncatégoriqae ou bien au sens catégorique. » S'il s'agit des quantités continues, le premier sens équivaut à Une quantité ne peut être si grande qu'il n'en existe cette phrase une plus grande (non tanlum quin majusj. S'il s'agit de multitudes :

d'objets distincts,

peut être (non

si

équivaut à cette autre phrase

il

nombreuse

quin plura).

lot

Ces définitions de

:

Une multitude ne

n'en soit une plus nombreuse encore

qu'il

»

communément

syncatégorique,

l'infini

acceptées

au temps de Grégoire de flimini, sont celles-là même dont Jean Buridan fait usage; elles ne satisfont pas entièrement le très subtil Augustin qui propose une formule différente pour caractériser l'infini syncatégorique quantité finie,

« Je

:

si

crois

grande

qu'il

de plus grand, ou bien un nombre

donné,

est

il

Une

:

quelque chose

considérable

quelque chose de plus considérable (quantocunque

finito

veut,

:

est

il

étant

finitis

fini,

Une

la

quantité

si

plura).

au contraire, prendre

on explique ce sens par continues

donnée,

soit-il,

majus, vel quotcunque » Si l'on

exact de dire

plus

serait

soit-elle, étant

au sens catégorique,

l'infini

phrase suivante, lorsqu'il si

s'agit

de quantités

grande qu'une quantité plus grande

on

n'existe pas et ne saurait exister. Lorsqu'il s'agit d'objets distincts, le définit

:

Une multitude

plus considérable. Ici

encore,

si

considérable qu'il n'en saurait exister de

»

Grégoire ne se montre pas disposé à accepter

manières courantes de parler d'infini catégorique le

premier

:

«

Cette manière d'exposer la notion

ne semble pas convenable

;

selon le Philosophe,

qu'il n'en existe pas

et

qu'il

un corps

grand n'en saurait exister de plus grand;

tout au moins, l'Univers est

ciel ou,

ces

cependant, ce n'est pas un corps

infini.

si

De même, suivant un

très

grand nombre de docteurs modernes, il peut exister, bien plus! il existe une multitude plus grande qu une multitude infinie. » Aussi d'autres donnent- ils une meilleure définition de l'infini [catégorique] en disant, s'il s'agit de quantités continues, qu'il est plus grand qu'une grandeur d'un pied, qu'une grandeur de deux pieds, qu'une grandeur de trois pieds et que toutes les grandeurs finies que vous voudrez; et s'il s'agit d'objets distincts, en disant qu'il est plus grand que deux, que trois, que quatre et que toutes les multitudes finies. On peut dire encore que l'infini, pris en ce sens. peut, en ce qui concerne les quantités continues, se définir par celle

grand que toute quantité finie, si grande soit-ellr (majus quantocunque finito). Il peut se caractériser par cette phrase. phrase

s'il

:

s'agit

Il

est plus

d'une multitude d'objets distincts

que tout nombre

fini, si

grand

soit-il

:

Elle est plus considérable

{plura quotcunque finitisj.

n


non; s

389

Grégoire de Rimini caractérise donc par une simple transposition

de mots cunqiie

deux acceptions du terme

les

majus

finito

finito

s'agit

s'il

d'un

infini

systématique par Albert de Saxe

le très

et

;

il

dit

:

Qaantocunqiie

Majas quantocatégorique. Cette manière de employée d'une manière tout à

et

et

:

par ses successeurs

grand avantage d'introduire dans

concision

infini

syncatégorique

infini

en français, a été

parler, intraduisible fait

d'un

s'agit

s'il

les

i ;

elle avait

discussions beaucoup de

de netteté.

Ces deux formules rappelaient, d'ailleurs, à scolastiques, des idées clairement conçues.

l'esprit

des logiciens

Quantocunque finito majas, ils entendaient qu'une quantité finie étant donnée, on pouvait toujours prendre une autre quantité finie plus grande que celle-là, quelle que soit d'ailleurs Lorsqu'ils

disaient

:

celle-là; en cette opération, des quantités finies étaient seules posées,

mais l'opération, ne s'achevant jamais, définissait un infini in ficri. Lorsqu'ils disaient, au contraire Majas qaantocanqae finito, ils entendaient que toutes les quantités finies concevables étaient données, :

qu'aucune quantité

grande ne pouvait plus être prise, et ils concevaient un objet doué d'existence actuelle et plus grand que toute quantité finie. C'est cet infini in facto esse que Grégoire de Rimini, Albert de Saxe et leurs successeurs nommaient infini catégorique ; aujourd'hui, nous

Que

telle

soit

finie plus

le

nommerions

transfini.

bien l'exacte pensée de Grégoire de Rimini, nous

nous en convaincrons de plus en plus fermement au fur et à mesure que nous pénétrerons plus avant dans l'étude de son écrit; mais pour n'en pas douter, il nous suffirait de lire les lignes qui suivent immédiatement celles que nous avons citées en dernier lieu « Ces deux acceptions du mot infini diffèrent notablement Le préinfini, appliqué dicat au sujet d'une proposition, et pris au sens catégorique*, rend la proposition universelle; il ne la rend pas universelle s'il est pris au sens syncatégorique. Or, il peut arriver qu'une proposition soit vraie dans ce dernier cas et fausse dans le premier.» Et Grégoire cite un exemple de proposition qui est vraie ou fausse selon que le sens adopté est le sens syncatégorique ou le sens catégorique. :

:

Contre

la

nombreuses fices variés,

On peut i.

Voir

possibilité

pour

et,

on

la

de

l'infini

les

objections sont

de celle possibilité des conclusions de celte sorte

tire

ajouter quelque chose à

p. ^3,

catégorique,

plupart, fort délicates à résoudre; par des arti-

en noie,

p. 30 et p. 38

l'infini,

il

3

:

peut y avoir quelque chose

1.

Dans le texte imprimé, les deux mots syncalheyoreumatice et cathegoreumatice ont été permutés par une erreur manifeste. 3. Gregorius de Arimino In primo sententiarum nuperrime impressus. Et quam diligentissime sue integrilati restitutus. Per venerabilem sacre théologie bacalariumfratrem Paulum de Genezano. Colophon Explicit lectura primi sententiarum fratris Gregorii de Arimino sacri ordinis heremitarum sancti Aug\ Théologie professons i.

:

:

:


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

3qO de plus grand que

l'infini,

un

infini

peut être multiple d'un autre,

Ces conclusions, on les répute absurdes, et on en conclut que bilité de l'infini catégorique est contradictoire. Valables contre

un

comme une

qui serait conçu

infini

etc.

possi-

la

grandeur

n'en pût exister de plus grande, ces objections sont sans

telle qu'il

force contre l'infini catégorique tel

que Grégoire de Rimini

l'a

défini.

Déjà Jean de Bassols, pressentant obscurément cette définition, n'avait pas hésité à admettre toutes ces conclusions, en se refusant à les taxer

franchement accepté qu'un infini fût plus grand infini fût partie d'un autre infini qu'un il rappequ'un autre lait qu'on pouvait, à ces objections, donner cette réponse: «La comparaison des quantités plus grandes ou plus petites ne peut se faire qu'entre quantités finies»; mais cette réponse, il la traitait dédaigneuSed non euro. » sement a Je n'en ai cure. d'absurdes

;

avait

il

infini,

;

1

:

En

dépit de l'indifférence avec laquelle elle est traitée par Jean de

Bassols,

la

grand, plus

question vaut petit, tout,

la

peine d'être examinée. Les mots plus

sens que lorsqu'il s'agit de grandeurs finies

pense pas

et,

même

partie ont-ils, lorsqu'il s'agit d'infinis, le ?

Grégoire de Rimini ne

avec une extrême sagacité logique,

s'efforce

il

de

le

distin-

et de définir les significations diverses de ces mots.

guer

La rigueur de notre philosophe s'exerce d'abord au sujet des termes « Ces termes, en effet, peuvent être pris en deux sens tout et partie différents, au sens commun et au sens propre. » Au premier sens, une chose quelconque qui comprend une seconde chose et, en outre, une troisième chose distincte de la seconde et de tout ce qui est compris en la seconde, est dite un tout par rapport à et toute chose ainsi comprise dans un tout est cette seconde chose dite partie du tout qui la comprend. » Au second sens, pour qu'une chose soit dite un tout par rapport à une autre chose, il faut non seulement qu'elle comprenne cette autre chose comme le suppose le premier sens, mais il faut encore que le tout comprenne un nombre déterminé de choses de grandeur déterminée (tôt tanta) que ne comprend pas la chose incluse; inversement, 12

.

;

precellentissimi

:

quondam

prioris generalis

prefati ordinis.

Qui

legit Parisius

anno

Per venerabilem sacre théologie bacalarium fratrem Paulum de GeneAprès la çano quamdiligentissime castigata et sue pristine integritati restituta. table Venetiis impensa heredum quondam domini Octaviani Scoti Modoetiensis ac sociorum. 10 Julii i5i8. Distt. XLII, XLIII, XLIV; quaest. IV: llriim Deus per infinitam suam potentiam posset producere effectum aliquem actu infinitum Lib. II, dist. III, quaest. I Utrum per aliquam potenart. II, fol. i54, col. d. Cf. tiam fuerit possibile aliquam rem aliam a Deo fuisse ab aeterno art. II, fol. ia,

domini

1

3/i4°.

:

;

:

:

;

col. c. i.

Opéra Joannis de Bassolis

in

quaest. unica, fol. ccxiii, col. c. >.. (iregorius de Arimino, In

quaest. IV, art.

Il, fol.

i55, col. d.

quatuor Sententiarum

primo sententiarum,

libros, Lib.

Distt.

XLII,

I,

dist.

XI. III,

XLIII,

XLIV,


NOTES

39 I

une chose incluse est dite partie d'un tout lorsqu'elle ne comprend pas un certain nombre déterminé de grandeurs déterminées que comprend la chose en laquelle elle est contenue. » Ainsi, au sens commun, le tout c'est la partie et n'importe quelle autre chose non comprise en la partie; au sens propre, le tout est la partie

et,

en outre, un nombre déterminé d'objets

finis et

déterminés.

Appliquons cette distinction aux multitudes, » poursuit Grégoire de Rimini. « Au premier sens, une multitude quelconque est un tout par rapport à une autre multitude, lorsque la première multitude contient la seconde, lorsqu'elle comprend tous les objets qui forment la seconde et lorsqu'elle contient, en outre, un objet ou des objets distincts de tous ceux-là et de chacun d'eux. En ce sens, une multitude infinie peut être partie d'une autre multitude infinie. » Au second sens, pour qu'une multitude soit un tout par rapport à une autre multitude, il faut d'abord, comme au premier sens, qu'elle contienne cette seconde multitude il faut, en outre, qu'elle contienne un nombre déterminé d'objets déterminés (tanta tôt), c'est-à-dire d'objets dont la quantité soit déterminée, par exemple un nombre déterminé de groupes de deux unités, ou de trois unités, qui ne soient «

;

pas compris en

la

multitude contenue; inversement,

celle-ci est dite

partie de la multitude contenante. »

En

ce second sens,

une multitude

infinie

partie à l'égard d'une autre multitude infinie;

ne peut être ni tout, ni il

n'existe pas, en effet,

de nombre déterminé de groupes déterminés d'unités soit

(tôt

tanta) qui

contenu en l'une des multitudes et point en l'autre, car chacune une infinité de fois un groupe de tant d'unités (inftnitantum) ou une infinité de groupes de tant d'objets (infinita

d'elles contient ties

tanta).

»

Grégoire de Rimini introduit

1

des distinctions analogues en la signi-

mots plus grand, plus petit. « Ces mots peuvent être pris au sens propre c'est ainsi qu'une multitude est dite plus grande qu'une autre, lorsqu'elle contient non seulement un nombre aussi grand d'unités que cette dernière, mais encore un nombre plus grand (tantumdem et plures); une multitude, au contraire, est dite moindre qu'une autre lorsqu'elle renferme un moindre nombre d'unités fication des

;

(pauciores).

Ces mots peuvent être pris aussi en un sens impropre si une multitude contient toutes les unités d'une autre multitude, et certaines »

;

unités différentes de celles-là, on dit qu'elle est plus grande que cette

dernière multitude, lors

nombre »

1.

En

même

qu'elle ne contient pas

un plus grand

d'unités (plures unitates) que la seconde multitude. ce second sens, dire qu'une multitude est plus grande qu'une

Grégoire de Rimini,

loc. cit., fol. i56, col. a.


ÉTUDES SDB LEONARD DE VINCI autre, c'est dire

un

simplement qu'elle comprend

tout par rapport à cette autre, en prenant

celte autre, qu'elle est

le

mot

tout

au premier

sens.

mots plus grand, plus petit ne doivent pas être employés dans la comparaison des infinis les uns avec les autres; on ne doit les employer qu'en la comparaison des grandeurs finies entre elles: on peut dire encore qu'un infini est plus grand qu'une grandeur finie et qu'une grandeur finie est plus l'on adopte la

» Si

petite »

qu'un

première définition,

les

infini.

Selon la seconde définition, au contraire,

un

peut être plus

infini

grand qu'un autre infini, de même qu'il peut être un tout à l'égard de ce second infini, en prenant le mot tout au premier sens. » Ces principes permettent à Grégoire de Rimini de dissiper, mieux que ne l'avait fait Jean de Bassols, les objections accumulées contre la possibilité

de

l'infini actuel.

Après avoir analysé

les

par lesquels

efforts

subtil scolastique

le

qu'est Grégoire de Rimini a tenté de préciser la signification dont les

mots

tout,

s'agit

de grandeurs ou de multitudes infinies,

partie, plus grand, plus petit sont susceptibles lorsqu'il

premières pages de

Cantor de

Une évidente

1 .

ces

la

affinité

deux puissants

séparent les temps où

il

piquant de

est

lire les

Théorie des ensembles transfinis de M. Georges

ils

rapproche l'une de l'autre

logiciens,

alors

que cinq

les

siècles

pensées et

demi

ont écrit.

Grégoire de Rimini avait certainement entrevu

possibilité

la

du

système logique que M. Cantor

est parvenu à construire; à côté de la Mathématique des nombres finis, des grandeurs finies, il a jugé qu'il y avait place pour une Mathématique des multitudes infinies, des grandeurs infinies il a pensé que ces deux doctrines devaient former comme deux subdivisions d'une science plus générale « Au sujet de la multitude infinie, dit-il 2, nous avons employé ces deux mots combien et tant fquot et tôt); de même, rien ne nous empêche de dire, au sujet de la grandeur infinie, combien et tant (quantum et tanium). ;

:

:

Si l'on suit,

par exemple, l'opinion du Philosophe,

et si l'on

demande

combien de temps a précédé l'instant présent, on pourra convenablement répondre Un temps infini. L'infini est donc soumis à la :

question

on

:

le dit.

combien (quantum), tout ce qui

répond

et

il

à

la

est quantité

question

:

(tantum)

combien

si,

est

comme quantité

(tanium). »

Mais peut-être usera-t-on seulement du mot combien (quantum)

à l'égard des

grandeurs qui sont de quelque mesure

finie, et

peut-être

1. George? Cantor, Sur les fondements de la théorie des ensembles transfinis; traduction de M. F. Marotte. Premier article (Mémoires de lo Société des Sciences physiques et naturelles de Bordeaux. 5* série, t. III. p. 343, sqq. 1S09.) 2. Grégoire de Rimini, loe. cit., fol. 56, col. 1». ;

1


NOTES

090

voudra- t-on de même que le mot quantité (tantum) soit dit uniquement de telles grandeurs. Dans ce cas, je dirais que la grandeur infinie n'est pas quantité (quantitas), mais qu'elle est cependant grandeur (magnitudo); de même la multitude infinie ne serait pas quantité,

nom

mais, toutefois, elle serait multitude. Ce

ne désignerait plus

pour ce prédicament, acception restreinte Je dis

»

genre

le

le

donc que

plus général du second prédicament;

faudrait forger

il

du terme

une certaine espèce de

un nom nouveau. Mais

cette

quantité, n'est ni usitée, ni opportune...

:

grandeur

la

de quantité (quantitas)

comprise en

infinie est certainement

la quantité.

La grandeur, par conséquent, se et grandeur finie; la grandeur

divise tout d'abord en grandeur infinie

en grandeur de deux coudées, grandeur de

finie se divise ensuite trois

coudées,

etc. »

Débarrassé, par les distinctions que sa Logique a précisées, des

conséquences paradoxales que l'on

comme

de présenter cette notion

afin

Rimini ne

pas encore de toutes

l'est

heurte l'acceptation de

de

tire

notion d'infini actuel

la

les

objections auxquelles se

catégorique.

l'infini

Selon les disciples de Richard de Middleton

d'Ockam, admettre pose

l'infini

comme

de Guillaume

et

possibilité d'un infini catégorique, c'est aller

la

même

contre la définition

Grégoire de

contradictoire,

de

l'infini;

cette

ayant une existence in

en

définition, et

ficri,

effet,

non point une

La définition de l'infini est la suivante Lorsqu'on en a déjà pris une partie quelconque, il reste encore quelque chose à prendre; l'infini n'est pas, comme certains le pré(endaient, ce en dehors de quoi il n'y a rien, mais bien un objet en dehors duquel il y a toujours quelque chose, en dehors duquel il reste toujours beaucoup d'objets semblables à celui-là. Par conséquent poser, en la réalité de la nature, l'existence d'une chose permanente ayant des parties et admettre que cette chose est infinie, c'est, on le voit, poser une contradiction. En tant, en effet, que cette chose est une chose permanente et actuelle, chacune des parties de cette chose,

existence in facto esse.

et cette

«

1

chose elle-même, sont des êtres complets

au contraire que inachevée.

cette

chose est

infinie, elle est toujours

la

notion

heurte à plusieurs reprises;

s'oppose à la supposition d'un «

Si le

achevés; en tant

incomplète

et

»

Cet argument contre s'y

et

:

Monde

même il

le

Monde

d'infini catégorique, Grégoire

rencontre

2 ,

par exemple, qui

créé de toute éternité

avait existé de toute éternité,

un temps

:

serait

infini

aujourd'hui temps passé. Celte conséquence est impossible,

il

faut

Grégoire de Rimini, loc. cit., fol. i54, col. c. Gregorius de Arimino In secundo Sententiarum, Dist. III, quaest. I Utrum per aliquam potentiam fuerit possibile aliquam rem aliam a Deo fuisse ab aeterno 1.

2.

:

;

art. II. fol. 12, col. c.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

394

donc

qu'il

en

soit

de

l'impossibilité de la

même

nature

même

de

conséquence

du passé

contraire,

il

de

est

la

première proposition. D'ailleurs,

est évidente.

un

qu'il soit

passé ne demeure en puissance

Au

la

et

nature

11

est,

en

de

effet,

la

tout complet, que rien de ce

ne puisse être pris dans l'avenir. même de l'infini d'être toujours

incomplet, de ne pas être un tout pris une

fois pour toutes et posé en de sa nature que, toujours, quelque chose de lui soit en puissance et reste encore à prendre. » Sous une forme plus nette, nous reconnaissons ici un des raisonne-

acte;

il

est

ments de Richard de Middleton. Cette définition qui réduit nécessairement l'infini à n'être qu'un infini syncatégorique,

étroite

1

.

comme

Grégoire de Rimini la repousse

trop

«Je dis qu'il n'est pas de la nature de l'infini tout court sumptum) que quelque chose de cet infini existe seulement

(simpliciter

en puissance.

»

A côté de l'infini syncatégorique, dont l'existence lement infierl, Grégoire de Rimini va nous montrer

est perpétuell'infini

catégo-

rique, l'infini in facto esse.

La

possibilité

d'une grandeur infinie en acte résulterait de

la

Monde éternel; les adversaires de cette supposition, un Richard de Middleton, par exemple, le savent bien et, contre elle, ils se font une arme de cette conséquence « Dieu aurait pu, chaque supposition d'un

:

jour

une pierre d'un pied cube et l'unir à la pierre précéil n'est pas douteux que cette multitude infinie de pierres d'un pied cube formerait une grandeur infinie. » Cette conséquence, notre logicien ne consent, pas plus que Jean de Bassols, à y voir une absurdité qui puisse conclure contre l'éternité du Monde; bien au contraire, il s'attache à prouver qu'on devrait encore l'admettre lors même qu'on tiendrait pour la création dans le temps. Que l'on divise, en effet, une heure en parties dont les durées 2,

créer

demment

créée;

décroissent en raison géométrique ou,

comme

disent les scolastiques,

en parties proportionnelles. «S'il est certain 3 que Dieu aurait pu, chaque jour, créer une pierre et opérer comme on l'a dit, il est certain aussi qu'il pourrait, en chacune des parties proportionnelles de même raison qui forment une heure, créer une pierre et continuer comme il a été dit plus haut; à la fin de l'heure, la multitude infinie de ces pierres composerait une pierre infinie. » Cet argument qui conclut à la réalisation possible de l'infini catégorique, était appelé à avoir la plus grande vogue dans les écoles ;

1.

Gregorius

quaest. IV, 2.

de

Arimino

In

primo

Sententiarum,

Gregorius de Arimino In secundo Sententiarum,

col. c. 3.

Distt.

XLll,

XLIII,

XLIV,

fol. i55, col. c.

Grégoire de Rimini,

loc. cit., fol.

i3, col. a.

Dist. III, quaest.

I,

art. Il, fol. 12,


NOTES

395

que les partisans du seul infini syncatégorique, tels que Jean Buridan et Albert de Saxe, aiguiseront leurs plus subtiles répliques. Grégoire de Rimini en est-il l'inventeur? Nous l'ignorons. Du moins voyons -nous qu'il en use à plusieurs reprises et qu'il l'applique aux infinis les plus variés de nature. Tantôt il montre l c'est contre lui

comment Dieu

un

peut, de la sorte, réaliser

rectangle de base inva-

riable et de hauteur catégoriquement infinie. Tantôt

Dieu peut créer

une

in facto

charité

infinie;

car

il il

prouve 2 que admet, avec

Guillaume d'OckamS, que toute forme susceptible d'intensités difféque la charité aussi bien que la chaleur, atteint ses divers

rentes,

même

unes aux autres de parties de Ces exemples, où nous voyons Dieu donner à un

degrés par addition

les

nature.

une

infini

exis-

tence actuelle, ne servent pas seulement à convaincre d'erreur l'opinion selon laquelle l'infini est, par essence, quelque chose d'incomplet,

mélange d'acte de puissance;

ils

mettent encore à nu

la

un

cause de cette

erreur.

une chose dont le parcours ne peut jamais être consommé, je réponds Il faut comprendre qu'il en est ainsi si les parties infiniment nombreuses de cette chose sont acquises en des durées égales entre elles; si, par exemple, chacune des parties de cet infini est acquise au bout d'une heure, ou bien d'un moment, ou bien d'une certaine autre quantité de temps bien déterminée. Dans ce cas, en effet, il faudrait que ce temps eût une infinité de parties «

Lorsqu'on dit ^

:

L'infini est

:

égales entre elles

et,

par conséquent, qu'il fut

infini.

Gomme,

d'ailleurs,

donnée devienne temps passé, un infini ne saurait être, par ce moyen, consommé en totalité ou franchi complètement. Mais cela suppose qu'il existe, en cet infini, une première partie franchie ou acquise... » Si l'on fait attention à cette remarque, on voit que cette impossibilité cesserait dès là que l'on ne donnerait ni première partie de la durée, ni première partie de l'infini. » Et c'est ce qu'Aristote lui-même

il

est

impossible qu'un temps infini dont

de concéder,

est obligé

remarque

;

si le

Monde

comme

la

Jean de

première partie

Bassols

en

avait

a existé de toute éternité, une infinité

ont vécu jusqu'à ce jour

et

le

Ciel a effectué

une

est

fait

la

d'hommes

infinité

de révo-

lutions.

On

dits

:

L'infini est

partie quelconque,

1.

Gregorius

quaest. IV, art. a.

de

il

une chose

Arimino

II, fol.

telle

que lorsqu'on en

a pris

une

reste encore et toujours une partie à prendre; je

i55, col.

Grégoire de Rimini,

In

primo Sententiarum,

Distt.

X.LII,

XLIII,

XLIV,

c.

loc. cit., fol.

i55, col. b.

Magistri Guilhelmi de Ockam Super quatuor Sententiarum libros annotationes ; Lib. I, dist. XVII, quaest. VII Utrum in augmentatione charitatis illud quod additur sitejusdem speciei specialissimae cum charitate praecedente separata ab ea. 3.

:

k. 5.

Grégoire de Rimini, Grégoire de Rimini,

loc. cit., fol.

167, col. a.

loc. cit., fol.

157, col. a,


ÉTUDES SUR LÉONARD DK

3f)0

VINCI

réponds que cette proposition doit être entendue comme la précédente, en admettant que les parties prises successivement sont toutes de

même

grandeur

sont toutes prises en des temps égaux. Si en tant de temps, une partie d'un infini, puis, dans un temps égal à celui pendant lequel la première partie a été

en

l'on prend,

une

prise,

et qu'elles

effet,

partie égale à celle-là, et

toujours de

même,

si

l'on

continue en procédant

restera toujours, de cet infini,

quelque chose à prendre et jamais il ne se trouvera pris en totalité... Mais dès là que des parties égales de l'infini ne sont pas franchies ou prises en des temps égaux, mais en des durées qui décroissent en progression géométrique,... être pris

en

il

il

n'y a plus inconvénient à ce que cet infini puisse

totalité,

à

moins

même

d'autre nature; de

multitude infinie des parties du

comme nous

n'y ait à cela quelque obstacle

qu'il

inconvénient à ce que

qu'il n'y a pas

temps en lesquelles sont

la

prises,

l'avons dit, les parties successives de l'infini, arrivent

complètement passées non seulement il n'y a pas inconvénient à ce que cela soit, mais il est nécessaire que cela soit. » Pour Grégoire de Rimini, donc, la possibilité de l'infini catégorique ne soulève pas d'autre difficulté logique que la proposition suivante

à être

;

:

Si l'on

considère cette suite infinie de durées

quart d'heure,

un huitième

:

une demi-heure, un

d'heure, etc., au bout d'une heure, la

multitude infinie de ces durées a été franchie.

Des affirmations analogues peuvent, d'ailleurs, être formulées non seulement pour la durée, mais encore pour une foule de grandeurs variables; si, par exemple, un chemin a été parcouru par un mobile en une heure, on peut diviser cette heure en parties proportionnelles de raison sous-double et considérer les trajets parcourus pendant chacune de ces parties proportionnelles de la durée; au bout d'une heure, la multitude infinie de ces trajets a été complètement parcourue.

On peut

répéter des considérations analogues au sujet d'une forme

d'intensité variable,

heure, d'un degré à

de

la

chaleur par exemple, qui passe, en une

un autre

degré.

Les objections que l'on peut élever contre pourrait, infinie,

le

procédé par lequel Dieu

en une heure, créer un volume

une forme

d'intensité infinie,

infini, une surface d'aire on pourrait tout aussi bien 1rs

élever contre les propositions qui viennent d'être formulées; dans les

deux

peuvent être dissipées d'une manière analogue. Ces objections que Buridan, qu'Albert de Saxe feront valoir, elles se tirent toutes d'un même principe dont la connaissance, au dire de cas, elles

Walter Burley

',

n'est pas fort

commune

divisé en parties proportionnelles, i.

2.

Voir p. 2/4. Grégoire de Rimini, loccit.,

fol.

1

il

55

,

suppose^ un continu n'est pas permis de dire que l'on :

col. a.

Si l'on


.NOTES

097

prend toutes les parties proportionnelles de ce continu, car il faudrait qu'une de ces parties ait été prise en dernier lieu, et il n'y a pas de dernière partie d'un tout divisé en parties proportionnelles.

Ce principe, Grégoire de Rimini en admet

mais à

l'exactitude,

la

condition qu'il soit pris au

comme

sens syncatégorique (distributive). Et, montré, cette condition en implique une autre; c'est que

il l'a

du continu soumet plus

les parties successives

égaux.

ne se

Si l'on

A

pourra plus être invoqué. catégorique,

distribua/,

soient supposées prises en des temps à cette condition,

ce

principe ne

des propositions qui, prises au sens synfausses peuvent correspondre des

seraient

propositions qui sont vraies au sens catégorique, collectif.

considère

un

de cet

infini, au sens que toutes les parties de l'infini puissent être prises toutes ensemble quel que soit, en effet, le nombre des parties déjà prises et de quelque manière qu'elles aient été prises, elles sont toujours les parties d'un tout qui les comprend, qui a par conséquent, hors d'elles, une autre partie ou d'autres parties. Les parties qui ont été prises de la sorte ne sont donc pas toutes les parties de l'infini. La proposition énoncée est donc fausse au sens propre Si l'on

distributif,

« il

est

infini et des parties finies

impossible

«

;

[distributif].

Il

en est de

même de

ces autres propositions

sont vraies partes]

les

simultanément forment le tout le tout est identique à parties prises simultanément. Et cependant ces propositions

parties prises

toutes ses

Toutes

:

;

L'ensemble des choses [omnia, par opposition à omnes

:

dont chacune

est

une

partie de

ce tout,

constitue ce tout.

Inversement, ce tout est X ensemble des choses dont chacune est une de ses parties.

En

ces propositions, les

sont pris au sens collectif.

mots ensemble des choses (omnia)

»

Les logiciens avaient insisté sur cette affirmation

Une

:

proposition

vraie au sens syncatégorique ou divisé peut devenir fausse au sens catégorique ou composé. Grégoire de Rimini montre, par de nom. breux exemples, qu'à une proposition fausse au sens distributif peut correspondre une proposition vraie au sens collectif. S'agit-il 2 d'une heure divisée en parties proportionnelles et de l'instant qui la termine? Il serait faux de formuler cette proposition distributive Avant cet instant, toute partie de l'heure était passée; et Toute partie de il est vrai de formuler cette proposition collective l'heure était passée avant cet instant. De même, s'agit-il d'une forme qui, en une heure, passe avec une vitesse constante d'un degré à un autre, croissant par parties proportionnelles qui correspondent aux parties proportionnelles de l'heure? « Ces deux propositions sont également vraies Toute partie proportionnelle de cette forme qui en aucun existe à l'instant final de l'heure, a existé avant cet instant :

:

:

;

1.

2.

Grégoire de Rimini, Grégoire de Rimini,

loc. cit., fol.

167, col. c.

loc. cit., fol.

1

57, col. b.


.')(j

études sur Léonard

S

(

yixci

ni;

en aucun temps avant cet instant final, il n'existait une de parties proportionnelles de cette forme. » l'argument C'est par une semblable distinction que l'on résoudra paradoxal d'Achille et de la tortue; c'est par une semblable distinction

instant, infinité

'

que

l'on accordera le principe

parties proportionnelles

position

:

infinie. «

En une

A

la fin

telle

En une heure

:

heure, Dieu peut créer

il

divisée en

n'y a pas de dernière partie, et cette pro-

il

de l'heure s

certaine figure totale,

de Burley

il

n'y a pas

un

un

rectangle de hauteur

ou une comprenant une

certain rectangle

y a une grandeur infinie

de rectangles dont aucun n'est le dernier. De même, lorsqu'une forme croît d'une manière continue, en chacun des instants qui terminent les parties proportionnelles successives de l'heure, à partir de la seconde, il existe un nombre toujours plus grand de parties de la forme et cependant, à la fin de l'heure, il n'y a aucun nombre qui soit le nombre de ces parties, il y a une multitude infinie qui comprend une infinité de nombres de parties, et aucun de ces

infinité

nombres

n'est le dernier. »

Dieu peut, en un temps fini divisé en parties proportionnelles, créer une grandeur infinie par addition de grandeurs égales, il peut, en ce même temps, subdiviser un continu en parties sous -doubles les unes des autres; la possibilité de l'infini catégorique suppose donc Si

qu'un continu puisse de Bassols,

la

ils

à part Jean

plupart des scolastiques ont admis cette corrélation des

deux propositions continu,

être actuellement divisé à l'infini;

et,

niant

divisibilité

la

en ont conclu l'impossibilité de

actuellement infinie d'un l'infini

catégorique

Grégoire de Rimini admet, lui aussi, cette corrélation, mais

Comme

en sens inverse.

il

admet

l'existence de l'infini actuel,

3.

en use

il il

admet

aussi la divisibilité actuellement infinie de toute grandeur continue.

mot

au sens catégorique ou au sens syncatégorique, notre logicien enseigne 4 « que toute grandeur est composée d'une multitude infinie de grandeurs partielles. » Il formule expli-

Que

le

infini soit pris

:

citement ces deux propositions

:

Toute grandeur a une

infinité

de parties,

le

mot

infinité étant pris

au sens syncatégorique » Toute grandeur a une au sens catégorique. »

infinité

de parties,

le

mot

infinité étant pris

w

Cette dernière proposition fournit

même

à Grégoire

5

un argument

Grégoire de Rimini, loc. cit., fol. 167, col. d. Grégoire de Rimini, loc. cit., fol. i58, col. a. 3. Grégoire de Rirnini, loc. cit., fol. 55, col. a. '\. Grcgorius de Arimino In secundo Sententiarum, Dist. 11, quaest. II Utruni angélus sit in loco divisibili aul indivisibili Art. II: An magnitudo componalur i.

2.

1

:

;

ex indivisibilibus 5.

fol. 3o, col. b.

;

Grcgorius do

quaest. IV, art.

Il

;

Arimino fol.

In primo

i55, coll. c et d.

Sentent iurtun,

Distt.

\L1I,

\LI1I.

\l.l\.


.NOTES

dont

il

se sert

pour prouver que

contradiction avec

nature de cet infini la

l'existence actuelle n'est pas en

notion d'infini

la

l'infini tout

0()<)

:

«

Je dis qu'il n'est pas de la

court (simpliciter sumpti) que quelque chose de

demeure toujours en puissance;

cela se voit clairement en

multitude infinie des parties d'un continu; chacune de ces parties

en acte

est

comme chacune

des autres;

certaine partie de ce continu soit en acte et

puissance.

il

n'est

pas

vrai

qu'une

une autre seulement en

»

VI. Robert Holkot.

Les Questions sur tes Sentences de Grégoire de Rimini sont datées de i344; c'est à cette époque qu'elles furent professées à Paris. Sans doute, avant que son enseignement eût pris la forme définitive sous laquelle

il

nous a

été

conservé,

Grégoire en avait

diverses parties; de cet enseignement, en très

nettement reconnaissable, en des

effet,

écrits

fait

l'influence se

connaître

marque,

qui durent être composés

avant l'an i344-

La trace de Guillaume dOckam s'efface de l'histoire à partir de i347, ^ probablement celle de la mort du Venerabilis * inceptor; or celui-ci, en ses Summulae in libros Physicorum, dont la composition pourrait être difficilement avancée jusqu'en i344, écrit, au sujet du mouvement, des passages qui semblent nettement dirigés contre une théorie de Grégoire de Rimini. De même, le Dominicain anglais Robert Holkot mourut en i34o,

m m

l'année

après avoir composé des Questions sur

tes

quatre livres des Sentences

1

;

ces questions sont, selon toute vraisemblance, antérieures à i344- Or,

Robert Holkot dit de l'infini 2 ressemble étrangement à ce qu'en dit Grégoire de Rimini; les deux maîtres expriment souvent les ce que

du même langage. On pourrait, à la vérité, prétendre que l'exposé du Dominicain, beaucoup plus court et beaucoup moins parfait que l'exposé de l'Augustin, a précédé ce dernier exposé et en a été l'inspirateur. Nous ne croyons pas qu'une telle opinion puisse résister à une lecture quelque peu attentive des textes. Comparée à la théorie de Grégoire, la théorie de Robert n'offre pas ce genre d'imperfections que montre le travail du précurseur lorsqu'on le compare à l'œuvre achevée du dernier inventeur; ses

mêmes

i.

pensées, et à l'aide

Magistri Roberti Holkot Super quatuor libros sententiarum questiones. Quedam De imputabilitate peccati questio longa. Determinationes quarundam aliarum

conferentie.

omnium predictorum. Colophon Hujus operis diligenter Lugduni a magistro Johanne Trechsel alemanno. anno salutis nostre. MCCGCXCVII. ad nonas Aprilis... (suit le registrum). Les feuillets ne portent aucune

qaestionum. Tabule duplices

:

impressi

pagination. 2. Magistri Hoberti Holkot Super quatuor libros sententiarum questiones. secundi quaest. II; artic. V: An Deus potuit producere mundum ab aeterno?

Libri


ÉTUDES SUR LEU.NARD DE VINCI

400

défauts sont d'un autre genre; c'est l'obscurité, c'est le désordre, ce

sont les pensées incomplètes, imprécises et hésitantes qui décèlent

un

enseignement reçu d'ailleurs; il semble que l'auteur n'ait pris la peine ni de pénétrer exactement le sens des affirmations qu'il fait siennes, ni d'asseoir fermement ses convictions à leur endroit; bien souvent, la doctrine de Robert Holkot serait difficile à saisir si l'on ne recourait,

pour

à la doctrine

l'interpréter,

si

rigoureuse de

Monde de

toute éternité?

nette et

si

Grégoire de Rimini. Cette question: Dieu est,

a-t-il

pu produire

le

pour Holkot, l'occasion de développer

grand. Le Docteur Dominicain tient pour

ses

vues sur l'infiniment

la possibilité

de

la création

ab aeterno; reproduisons quelques-unes des objections auxquelles s'attaque et les réponses par lesquelles

Voici

la

première objection

franchi; or,

Monde pu être

si le

« Il

:

prétend

il

répugne

il

les renverser.

à l'infini

de pouvoir être

avait existé de toute éternité,

une multitude

en effet, une multitude infinie chacun d'eux aurait été un homme futur; la multitude elle-même eût donc été future et, maintenant, elle est passée; une multitude infinie aurait donc été franchie. » Très exactement, Holkot meta nu les confusions auxquelles, en un tel raisonnement, prête le mot: franchi. À chaque instant de la durée le nombre des hommes déjà morts serait infini, tandis que le nombre aurait

infinie

d'hommes

des l'on

franchie;

seraient déjà morts;

hommes morts

entre cet instant et l'instant actuel serait

veut désigner par

le

mot

:

fini.

Si

franchir une opération qui a un

commencement et une fin, on ne peut dire que cette proposition: Le Monde a existé de toute éternité, entraîne cette autre Une multi:

tude infinie a pu être franchie. Mais, ajoute notre auteur,

«on

dit

Il

:

répugne à

l'infini

qu'il

puisse être franchi... Je dis, au contraire, qu'il n'y a aucun incon-

vénient à accorder cette proposition être franchie. «

Toutes

une multitude

écoulé,

grandeur,

si

les fois,

en

:

une multitude infinie peut qu'un temps quelconque s'est

»

effet,

infinie a été franchie; de

petite soit-elle, est franchie,

il

même, lorsqu'une qu'une une mul-

faut bien accorder

multitude infinie a été franchie, car toute grandeur

est

titude infinie. »

Cette réponse, trop concise, s'éclaire lorsqu'on la rapproche de l'en-

seignement de Grégoire de Rimini, qu'elle résume; comme ce maître, Holkot admet évidemment que toute durée limitée, toute grandeur finie est

Que

un nombre actuellement

telle

soit

bien

la

de parties infiniment petites. pensée du Docteur Dominicain 1 nous en infini

,

i. En son Propositum de Injinito, Jean Majoris donuait ce renseignement que nous avons reproduit (voir pp. 10-1 1): Roberl Holkot se refuse à admettre qu'en un intervalle de temps, si court soit-il, il y ait une infinité d'instants. Cette opinion parait difficilement conciliante avec les affirmations que nous transcrivons en ce moment.


NOIES

401

aurons l'assurance en examinant ce qu'il répond à une seconde objection. Cette seconde objection est la suivante: Si le

toute éternité,

conserver;

il

serait infinie et « Cette

Monde

avait existé de

«Dieu aurait pu, chaque jour, créer une âme et la existerait donc maintenant une multitude d'àmes, qui en

acte, » ce qui est absurde.

conclusion relative à l'existence actuelle d'une multitude

peut être accordée,» répond Holkot, «pourvu que l'on dis-

infinie

tingue entre l'existence actuelle, et l'existence réelle et véritable en ce

Monde. En tout continu, par exemple, il y a une infinité de parties qui se distinguent les unes des autres par leur situation... et cepen;

dant, l'ensemble de ces parties constitue

un continu unique.

Aussi,

Aristote, au troisième livre des Physiques, nomme-t-il cette multitude

une multitude en puissance, parce qu'en son langage, toute

infinie

chose qui

fait partie

d'une autre

est dite exister

Holkot tourne en dérision cette doctrine Soleil n'existerait

«Je

crois

qu'en puissance, car

toutefois,

ajoute

notre

il

en puissance.

»

d' Aristote; à l'en croire, le fait partie

auteur,

qu'en

de son orbite; Philosophie

la

ne saurait exister de multitude infinie en acte. » C'est encore l'influence de Grégoire de Rimini que nous percevons en ce passage; Grégoire, lui aussi, donnait l'existence actuelle, en tout continu, d'une multitude infinie de parties infiniment petites comme

d'Aristote,

il

prouvant que

la

multitude infinie en acte n'implique pas contradiction.

Les formes de langage du Maître Augustin se retrouvent encore en la

réponse à cette objection

puisse surpasser l'infini; or il

:

« Il est si le

contradictoire que quelque chose

Monde

avait existé de toute éternité,

y aurait une multitude infinie qui surpasserait une autre multitude il y aurait eu, en effet, un plus grand nombre de doigts que

infinie;

d'hommes révolutions

un plus grand nombre de du Soleil. »

et

révolutions de la

Lune que de

que l'infini ne puisse, sans contradiction, Quant à la proposition formulée en la preuve, qu'il y aurait eu un plus grand nombre de doigts que d'hommes, un plus grand nombre de révolutions de la Lune que de révolutions du Soleil, on peut y répondre en la niant. En mille hommes, il y a un plus grand nombre (plures) de doigts que d'hommes mais en une infinité d'hommes, il n'y a pas un plus grand nombre (plures) de doigts que d'hommes, car il y a une infinité d'hommes et une infinité de «Je

nie, déclare Holkot,

être surpassé...

;

doigts. »

«D'autres, poursuit notre auteur, s'expriment autrement;

ils

disent

qu'une multitude infinie peut être plus grande qu'une autre; ils accordent qu'il y a un plus grand nombre de révolutions de la Lune que du Soleil;» qu'une multitude infinie peut être double, triple d'une autre; «qu'on peut ajouter quelque chose à un infini. C'est P.

DUHEM.

26


ETUDES

l\02

S LU

LEONARD DE

VI

Ml

l'opinion qu'exprime Robert de Lincoln en son écrit sur

Physiques.

1

si

indication

concise, mais

au sujet de

rien,

des

en

sa

»

dernière

Cette

Summa

le livre

l'infini,

si

paraît

complètement

erronée;

pleine d'idées, Robert Grosse-Teste ne dit

qui ne soit très purement aristotélicien, rien,

en particulier, qui ressemble à ce que Robert Holkot lui attribue. Comme Rimini, donc, Holkot réserve aux seuls nombres finis pression:

un plus grand nombre

(plures)

;

voici

l'ex-

un nouvel exemple

qu'il fait de cette restriction La sixième objection dit S'il existait une infinité d'âmes, Dieu ne pourrait créer un nombre d'âmes plus grand (plures) qu'il n'en a déjà

de l'emploi

:

«

:

conséquence,

créé. J'accorde cette

et cela

en

la

prenant au pied de

la

un plus grand mais il peut créer déjà une infinité. »

lettre (de virtute vocis); Dieu ne pourrait pas créer

nombre de choses

(plures res) qu'il n'en a créé;

d'autres âmes, lors

même

A

la possibilité

de

en existerait actuel, on peut encore

qu'il

l'infini

faire cette objection

en résulterait qu'une partie ne serait pas forcément inférieure au tout. Cette proposition, Holkot ne fait point de difficulté à l'accorder. Elle est manifeste lorsque l'on compare une droite que l'on a prolongée à l'infini seulement dans un sens à une droite bien connue

dans

infinie

donne pas

:

Il

les

les

deux

sens. Mais

définitions

du

tout et de la partie,

rigoureuses

et

précises

qu'a

ne nous formulées

il

comme

en toutes les circonstances qui viennent d'être rapportées, l'affinité est grande entre la pensée du Docteur Dominicain et la pensée du Docteur Augustin; mais si celle-ci nous fût demeurée inconnue, nous eussions éprouvé quelque Grégoire de Rimini.

peine à pénétrer

Aux

Ici,

celle-là.

Questions sur

les livres

des Sentences de Robert Holkot sont

« Déterminations de quelques autres questions ». Ces déterminations sont-elles dues également au Docteur Dominicain? Josse « Beaucoup Bade, qui les a éditées, nous donne cet avertissement

jointes les

:

supposent que ces questions ont été réunies par les disciples d'Holkol ou que celui-ci, au cours de son enseignement, les a professées en quelque gymnase public; d'autres prétendent qu'elles ont été écrites

semble bien, en tout cas, que ces Déterminations sont contemporaines de Robert Holkot ou qu'elles lui sont de fort peu

par lui-même.»

Il

postérieures.

La première de ces Déterminations débute par un in

le

limite entre les poids i.

que Socrate peut porter

et

ceux

qu'il

mini-

de

la

ne peut

Divi Roberti Linconiensis super octo libris phisicorum brevis et utilis summa au sujet de l'ouvrage où cette Somme est insérée, voir: p. 13,

féliciter incipit;

note

où l'auteur

maximum in quod sic du minimum in quod non, le quod sic du maximum in quod non. L'exemple classique

distingue

mum

article

i.


NOTES

io3

porter est, bien entendu, le premier dont Robert fasse usage pour éclairer ses définitions.

La discussion logique à laquelle le Maître Dominicain se livre au sujet de ces diverses notions et de leurs mutuels rapports est longue et minutieuse; mais en ces arguties quelque peu fastidieuses, nous ne trouvons rien qui puisse retenir l'attention du mathématicien moderne, rien,

en particulier, de cette rigueur justifiée qu'un Albert de Saxe en la discussion de semblables questions.

apportera

1

Nous avons entendu Buridan 2 formuler les propriétés du maximum in quod sic, du minimum in quod non, comme « des conclusions que l'on a l'habitude de poser». La Décision de Robert Holkot nous prouve, en effet, que l'analyse de ces notions était, dès le temps de ce docteur et de Jean Buridan, familière aux maîtres de l'Université de Paris; pendant près de deux siècles, ils n'ont cessé d'y exercer leur dialectique.

VII. Johannes Majoris.

La Théologie catholique, en brisant toute barrière que l'on prétendrait imposer à la toute-puissance de Dieu, a contraint les philosophes de modifier l'enseignement d'Aristote au sujet de la grandeur infinie; elle les a obligés à considérer une telle grandeur comme possible. Mais au sujet de cette possibilité de la grandeur infinie, la Scolastique s'est partagée, pendant les deux premiers tiers du xiv e siècle, entre deux doctrines. Timidement d'abord, avec Richard de Middleton et Durand de Saint-Pourçain, puis d'une manière entièrement nette avec Guillaume d'Ockam, Walter Burley, Jean Buridan et Albert de Saxe, les uns n'ont admis d'autre grandeur infinie que l'infini syncatégorique; pour eux, aucune grandeur ne peut être pleinement en acte si ce n'est une grandeur finie toute grandeur infinie est en partie en acte, en partie en puissance; elle existe in fieri, non in facto esse. Les autres, avec Jean de Bassols, Grégoire de Rimini et Robert ;

Holkot, ont soutenu la possibilité de l'infini catégorique, de

en acte l'infini

;

cette possibilité leur a

semblé aussi bien établie que

l'infini

celle

de

syncatégorique.

L'Université de Paris, qui tenait la Logique en

donc connu, à

cette époque,

en la question de

l'infini.

si grand honneur, a deux écoles qui s'opposaient l'une à l'autre

On

pourrait

— tant ces discussions

ressem-

blent à celles qui mettent aux prises les géomètres de notre temps

désigner ces deux écoles par les épithètes de finitiste 1.

2.

Voir pp. 26-29. Voir p. 383.

et à'infinitiste


ÉTUDES SLR LEONARD DE VINCI

[\(_)\

dont M. Couturat fait usage lorsqu'il veut classer les mathématiciens c contemporains. Volontiers, les finitistes du xiv siècle, les partisans du seul infini syncatégorique, les Guillaume d'Ockam et les Jean Buridan 1

condenseraient leur doctrine en cette proposition 2

dont

l'infini,

il

ne faut pas

:

«

La notion de

mystère en Mathématiques, se réduit

faire

y en a un autre. » Les infiniau contraire, ceux qui, avec Grégoire de Rimini, soutenaient la

à ceci

après chaque

:

tistes,

de

réalité

entier,

il

catégorique, salueraient en la théorie des ensembles

l'infini

transfinis la

nombre

forme achevée de

doctrine dont

la

ils

ébauchaient

les

premiers linéaments.

Après Albert de Saxe, en

même

temps que

la

rigueur logique des

Parisiens se détend peu à peu, la distinction entre l'École finitiste et l'École

infinitiste

Nous avons vu 3

va s'atténuant.

Marsile d'Inghen

deux doctrines. Au début du xvi siècle, la Logique est de nouveau en grande faveur à l'École de Johannes Majoris; c'est, d'ailleurs, aux propositions de Grégoire de Rimini que mène, en général, la dialectique, plus subtile et chicanière que vraiment rigoureuse, du régent du Collège de Monhésiter entre les

e

ta igu.

Nous avions cru Majoris qui prit

le

4

pouvoir identifier ce logicien avec un Johannes

baccalauréat à la Faculté des Arts de Paris en i45o.

Cette identification nous semblait justifiée par ce fait que le Proposition de infinito

de Gand. l'auteur

1478 à trines

par

la

nomme

ne pouvait être attribué à Johannes Major et qu'il fait vivre de

renoncera notre ancienne opinion. Les docsoutenues au Propositum de infinito sont par le fond, et souvent forme même, identiques à celles que Johannes Majoris a exposées faut, aujourd'hui,

le

premier

imprimées une première Louis Couturat, De

nombre

fois

l'infini

comdu Collège de Montaigu,

livre des Sentences. Or, les questions

posées sur ce premier livre par

2.

dès i5o6 par Jean Dullaert

tel écrit

i5/jo.

en commentant

1.

était cité

nous semblait qu'un

que M. De WulfS

nous

Il

Il

de Jean Majoris

le

régent

dès 15096, étaient, de nouveau, éditées

mathématique, Paris, 1896; livre

III,

ch.

II:

Du

infini concret.

Jules Tannery, Introduction à

la

théorie

des fonctions

d'une

variable,

Paris,

1886, p. VIII. 3. !\.

5. G.

Voir pp. 45-47. Voir p. 16.

De Wulf, Histoire de la philosophie médiévale, Nous n'avons pas eu en mains cette première

2e

édition, 1900, p. 53a.

édition

;

nous en concluons

l'exis-

tence d'une Epistola, adressée par Joannes Major (sic) à Georgius Hepburnensis, et datée Ex Monteacuto, 7 cal. Junii 1509. Cette lettre se trouve au verso du premier feuillet de l'édition suivante Joannes Major In primurn sententiarum ex recognitione :

:

J. Badii.

Vcnundantur apud eundem Badium.

Impressit autem jam La lettre dont nous avons parlé est suivie de ces mots Badins anno MDX1X. Elle se rapporte, croyons-nous, à une édition donnée pn dominent, en i5oq, par les soins d'Antoine Coronel. :


4o5

NOTES

en i53cm; et l'épitre dédicatoire, adressée par Johannes Major (sic) à Eckius Suevus, datée du Collège de Montaigu, i53o, nous prouve que l'auteur vivait encore à cette époque.

Nous avons déjà exposé, d'après le Proposition de infinito, les opinions que Jean Majoris professait au sujet de la question de l'infini; ces mêmes opinions, nous les retrouvons, plus développées, dans les Questions sur l'édition

le

premier

livre des Sentences, et

de i5ig qu'en l'édition de i53o

2

plus développées en

.

L'analyse de Jean Majoris ajoute quelque chose à celle de Grégoire

de Rimini; ce quelque chose, il est vrai, elle l'emprunte à Marsile d'InghenS. Le régent de Montaigu veut prouver 4 qu'il est possible de donner actuellement et de montrer, pour ainsi dire, une longueur l'exemple qu'il prend est l'exemple, déjà considéré par Albert de Saxe 5, d'une sorte d'hélice de hauteur totale finie dont le pas décroît en progression géométrique cette hélice, il la regarde comme

infinie

;

;

actuellement tracée en sa totalité; Grégoire de Rimini, autrement exact en ses raisonnements que ne l'est le régent du Collège de Montaigu,

remarquer à ce dernier que l'on ne saurait jamais parvenir à tracer l'ensemble des spires de cette ligne si l'on suppose les spires successives décrites en des temps égaux en prenant ainsi le mot toutes au sens distributif, il eût accordé à Albert de Saxe qu' « il n'existe pas eût

fait

;

de parties dont on puisse dire qu'elles sont toutes les parties proportionnelles du cylindre » il eût maintenu, néanmoins, la possibilité de ;

au sens collectif, Yensemble catégorique des parties du cylindre; mais il eût ajouté que pour épuiser cet ensemble en prenant les parties les unes après les autres, il les faudrait prendre avec une

concevoir,

vitesse indéfiniment croissante.

échappent à Maître Jean Majoris celui-ci reproduit en gros l'enseignement de Grégoire de Rimini, alors qu'une doctrine aussi délicate devient méconnaisToutes ces distinctions,

si

précises et

si

justes,

;

sable et inadmissible

si

l'on n'en

garde minutieusement toutes

les

subtilités.

Dieu peut-il^,

en

une heure, créer un volume infini? Avec Grégoire

i. Joannis Majoris Hadingtonani, scholae Parisiensis Theologi, in Primum Magistri Sententiarum disputaliones et decisiones nuper repositœ ; cum amplissimis materiarum et quœstionum indicibus seu tabellis. Vaenundantur Joanni Parvo et Jodoco Badio. Sub prelo Joannis Badii Ascensii, communibus ejus et Joannis i53o. Colophon :

Parvi impensis 2.

En

raisons

:

ad Calendas Septembres qui précède

l'épitre dédicatoire

pour lesquelles

il

MDXXX. cette dernière,

Joannes Majoris donne

les

y a restreint les discussions de pure Logique.

Voir pp. 46-47Joannes Majoris In primum Sententiarum, Dist. XLIV, quaest. II An sit nunc vel dari potest secundum naturam aliquod actu infinitum. 5. Voir p. 44. 6. Joannes Majoris In primum Sententiarum, Dist. XLIV, quaest. III: Utrum Deus de sua potentia absoluta potest producere aliquod infinitum magnitudine vel intensione; éd. i5i9, fol. cvn, col. d. éd. i53o, fol. lxxxij, col. d. 3.

4.

:

;


ÉTUDES SLR LEONARD DE VINCI

/|0()

de Rimini, Jean Majoris enseigne qu'il le peut il suffît qu'en chaque partie proportionnelle de l'heure, il crée une pierre d'un pied cube. ;

Le régent de Montaigu n'ignore pas

du

les

objections que les partisans

seul infini syncatégorique font valoir contre cet

objections, voici en quels termes

il

les réfute

>

argument; ces

:

chacune des parties proportionnelles de l'heure, Dieu peut créer une pierre, si l'on entend la proposition au sens divisé; mais il n'est pas possible, en prenant les mots au sens composé, qu'en toute partie proportionnelle de l'heure, il crée une pierre nouvelle de même volume que les pierres précédemment créées. De même, de ce que Socrate peut porter n'importe quelle partie d'un poids, il n'en résulte pas que Socrate puisse porter l'ensemble des parties de ce poids; on le voit clairement lorsqu'on démontre qu'il existe un minimum des poids qu'il ne peut porter. » Je réponds Bien qu'une proposition modale prise au sens divisé n'implique pas toujours la même proposition modale prise au sens composé, toutefois, lorsque aucune contradiction n'apparaît en la modale composée, on ne doit pas nier qu'elle soit vraie en ce sens composé, surtout lorsqu'il s'agit de la puissance absolue de Dieu. » Mais le procédé imaginé implique lui-même contradiction 2 de toutes les pierres créées, il en est une qui se trouve créée la dernière; « celle-là n'a pu être créée qu'en la dernière partie proportionnelle de l'heure; il y a donc, en une heure, une dernière partie proportionnelle de l'heure; or cette proposition implique contradiction, donc... » Quelqu'un 3 a dit que cet argument démontrait que l'infini ne

«Vous

direz: en

:

;

pouvait être donné [en acte]

;

qu'il engendrait

en lui

la foi

Cet » Pour moi, je nie que ce procédé implique contradiction argument ne m'émeut nullement, il ne saurait engendrer en moi d'opinion. Le procédé imaginé n'exige en aucune façon que l'une des parties proportionnelles de l'heure soit la dernière, ni qu'il y ait une dernière pierre créée; mais après qu'une partie proportionnelle quelconque de l'heure est passée, il y a une infinité de pierres. Certes, je m'étonne que cet auteur accorde quelque poids à un tel argument. » Cet argument, cependant, valait la peine d'être examiné avec toute la minutieuse rigueur qu'un Grégoire de Rimini savait mettre en une telle discussion; les méthodes sommaires et les affirmations tranchantes dont use volontiers Johannes Majoris ne suffisent pas à juger le litige

de

qui sépare

l'infini Il

les partisans

de

l'infini

syncatégorique des tenants

catégorique.

est clair

qu'après Albert de Saxe, nous assistons à la décadence

Johannes Majoris, loc. cit., éd. i5 19, fol. cvm, col. a éd., i53o, fol. lxxxiii,co1. aJohannes Majoris, loc. cit., éd. iôio, fol. ex, col. d; éd. t53o, fol. lxxxv, col. a. 3. Ici, l'édition de i5iometcn marge: Albertus de Saxonia; le propos rapporté par Jean Majoris est, en effet, d'Alberl de Saxe (Voir p. V>). 1.

2.

;


]\OTES

/|07

des études logiques que l'École consacrait au problème de l'infini. Parmi les causes de cette décadence il en est une, croyons -nous, qui se laisse

aisément

saisir.

Les maîtres du xiv

fi

siècle,

auxquels nous devons de

si

profondes

remarques au sujet de l'infini syncatégorique et de l'infini catégorique, étaient fort peu géomètres. Sous les discussions formelles qu'ils développent avec une si rigoureuse subtilité, nous percevons un seul fait mathématique, et ce fait est des plus élémentaires: Ces auteurs savent former la somme des termes d'une progression géométrique de raison théorème d'Arithmétique fournit tous les exemples en lesquels leurs raisonnements viennent se particulariser. On ne saurait trop admirer la puissance intellectuelle d'hommes qui, munis d'un si faible bagage mathématique, ont su formuler avec

Ce

fractionnaire.

seul

examiner avec tant de pénétration les plus essentiels des problèmes logiques que pose l'Analyse infinitésimale. Mais le feu le plus vif s'éteint faute d'aliments. La Dialectique infinitésimale ne pouvait progresser sans cesse, alors qu'elle n'avait, pour éprouver la justesse de ses conclusions, que les propriétés de la progression géométrique. Dépourvus d'exemples particuliers et précis où tant de netteté et

leur raison pût reprendre vigueur en touchant terre,

les logiciens

devaient voir s'alanguir par degrés la force de leur esprit

qui semblaient sans objet,

discussions,

les

étudiants

;

de leurs

devaient se

détourner peu à peu avec un dégoût croissant. La théorie de l'infini était condamnée à la décrépitude où nous la voyons au temps de

Johannes Majoris. A ce moment, la Dialectique infinitésimale des Parisiens semble une machine usée qui, avec des heurts et des grincements, tourne à vide.

même moment,

de grandes transformations s'opèrent dans le Monde intellectuel. La Science des Parisiens conquiert les Italiens qui, jusque-là, lui étaient presque tous demeurés rebelles; en même temps, elle sort des Universités pour se répandre parmi les Mais, à ce

chercheurs

indépendants. Léonard de

Vinci est

un des premiers

Italiens et, aussi, un des premiers penseurs étrangers aux Facultés dont la Logique des Jean Buridan, des Grégoire de Rimini, des Albert de Saxe ravisse l'attention mais bien d'autres le suivront. Or, ces savants italiens reçoivent, en même temps, une aide précieuse qui ;

avait presque entièrement fait défaut à leurs précurseurs de la Sor-

bonne ou de la rue du Fouarre la Science antique leur est révélée Archimède leur enseigne comment on peut résoudre des problèmes difficiles et variés où l'idée d'infini se trouve impliquée. L'union, en l'esprit des géomètres italiens, de la Logique parisienne et de la Mathématique grecque va donner naissance à l'Analyse infinitésimale ;

des modernes.

;


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

/|08

F.

— SUR

LA PLURALITE DES MONDES I.

Guillaume d'Auvergne.

Nous avons vu (p. 73) comment, selon Michel Scot, l'existence de mondes exigerait que le vide fût réalisé entre ces mondes, ce qui est une impossibilité. Nous avons retrouvé (p. 92) ce même argument en la Summa totius philosophiae de Paul Nicoletti, de Venise. Cette manière de raisonner contre la pluralité des mondes paraît avoir joui d'une certaine vogue au Moyen-Age; elle a été reproduite par plusieurs philosophes, et non des moindres nous voudrions plusieurs

;

ici l'adhésion qu'elle a reçue de Guillaume d'Auvergne. Lorsque l'Averroïsme commençait à se répandre parmi les philosophes chrétiens, grâce aux traductions données par Michel Scot et par ses contemporains, Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris, fut des premiers à prendre parti, au nom de l'orthodoxie, contre les hérésies arabes qu'il appelait les erreurs d'Aristote et de ses imitateurs, « errores Aristotelis etejas sequacium. » Par sa fidélité aux enseignements de l'Église, l'Évêque de Paris fut bien souvent amené à combattre les opinions professées par l'Astrologue de Frédéric II mais son opposition n'avait rien de systématique, et il suivait volontiers le sentiment de Michel Scot, toutes les fois que ce sentiment ne lui paraissait pas contraire à la foi. C'est ainsi qu'au sujet de la pluralité des mondes, Guillaume d'Auvergne n'a fait que développer la doctrine du Traducteur d'Aristote. qu'il existe plusieurs Supposons, dit Guillaume d'Auvergne mondes ou une infinité de mondes extérieurs les uns des autres. Outre ces mondes, existera-t-il quelque corps qui leur soit extérieur et étranger ? Assurément non. L'existence d'un tel corps est impossible elle l'est pour des raisons toutes semblables à celles qu'invoquent les partisans de l'existence de notre monde lorsqu'ils veulent prouver que hors de ce monde-ci, il n'existe aucun corps. « Nécessairement, en effet, un monde contient ou simplement l'universalité des corps, ou bien l'universalité des corps qui lui conviennent. Or, on ne saurait donc imaginer un corps qui ne convienne ni à ce monde-ci, ni à aucun

signaler

;

1

,

;

autre monde.

»

Guilielmi Parisiensis De Universo, opus celeberrimum et singulare, in duas partes Primae partis principalis pars I, cap. XIII. Cet écrit se trouve dans les éditions suivantes de Guilielmi Parisiensis Opéra : i° Parisius, ap. Franciscum Regnault, MDXVI (au tome 11); 2 Veneliis, ap. Damianum Zenarum, i5qi (au tome II); 3° Aureliae, ex typographia F. Hottot. Et vaeneunt Parisiis apud Ludovuuni 1.

principales divisum.

:

Hillaine,

MDGLXXlV(au tome

I).


NOTES

Puisque, entre ces divers mondes,

de quelque nature que ce

soit, voilà

/1O9

il

ne saurait exister aucun corps

donc

sphé-

les diverses surfaces

non aucune

riques qui les bornent obligées de se toucher les unes les autres

pas seulement en un point, mais suivant certaines aires;

distance, en effet, ne peut séparer ces sphères les unes des autres; « seule,

la

présence d'un corps intermédiaire peut faire qu'il existe

une distance entre deux corps » Dira-t-on qu'entre ces deux mondes que rien ne sépare, il y a le vide? Mais le vide est une impossibilité que Guillaume d'Auvergne établit par des arguments empruntés aux Péripatéticiens. Voilà donc les partisans de la pluralité des mondes acculés à cette absurdité Deux sphères peuvent se toucher non pas en un point, mais tout le long d'une surface. '

:

Une hypothèse,

il

est vrai, éviterait cette contradiction.

Elle consis-

supposer qu'au delà de la sphère qui borne notre monde, un autre monde s'étend ce second monde aurait pour enceinte une sphère terait à

;

extrêmement éloignée de

comme

la

le nôtre.

sphère ultime de ce monde-là enveloppe

cieux de ce second à

qui encercle

celle

nos sens,

il

enveloppé par

monde

et aussi

«

Mais

contient les

et

nos cieux, ceux qui se manifestent

que cette sphère et tout ce qui forment un monde unique, contenant en

est clair

elle

alors,

se

trouve

lui toutes

choses. »

A

l'encontre de cette thèse, le

bien des objections suffirait

2 ,

celle-ci,

pas à contenir

monde

unique, on peut élever

est

par exemple:

Un monde unique ne

toutes les choses existantes.

Mais, riposte

Guillaume, ou bien l'on suppose que Dieu a créé une

infinité

de

mondes, ou bien il n'en a créé qu'un nombre fini si le nombre des mondes est supposé fini, un seul grand monde peut contenir autant de choses que beaucoup de petits mondes, et la création de ce monde unique convient mieux à la majesté de Dieu. L'Évêque de Paris oublie, en sa discussion, la seconde branche du dilemme qu'il a posé. Cette difficulté n'est pas la seule; en voici une autre 3 « Dieu a créé ce monde par pure et gratuite bonté; il eût pu tout aussi facilement en créer un grand nombre d'autres; il les a donc créés la cause qui lui en a fait créer un, à savoir la bonté, devra, pour la même raison, lui en faire créer un grand nombre d'autres... ;

:

;

»

Sa générosité n'a pas de fin

comment donc

tage;

l'effet

et ses richesses

de sa générosité

à savoir ses libéralités et ses dons, aurait-il est fini la

;

[s'il

1.

2. 3.

Guillaume d'Auvergne, Guillaume d'Auvergne, Guillaume d'Auvergne,

cap. XIV.

loc. cit.,

cap.

loc. cit., cap.

XV. XVI.

de ses richesses, ce

monde-ci

dons de Dieu sont

et restreinte...

loc. cit.,

et

un terme? Or

existe seul], les libéralités et les

générosité divine est rétrécie

n'en ont pas davan-

finis,


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

4lO

Vous voyez que ce raisonnement

))

contre la création d'un

d'un nombre

fini

monde unique, mais

de mondes; lors

non seulement

paraît conclure

même que

encore contre

la création

des mondes, en

nombre

quelconque, seraient créés, ils n'égaleraient pas la bonté et la générosité de Dieu, car toute chose qui existe en dehors de Dieu, bien loin

de

lui être égale, n'est rien

en comparaison de

lui.

donc que Dieu n'a pu créer ni un nombre fini, ni une infinité de mondes, et qu'il ne peut non plus les créer actuellement; cette impossibilité n'a point pour cause un défaut de puissance en Dieu ou un défaut qui provienne de Dieu, mais plutôt un défaut de la part des mondes, qui ne peuvent pas être multiples, comme je vous l'ai démontré en ce qui précède... De même, Dieu ne connaît pas le rapport de la diagonale du carré au côté, non qu'il y ait en lui défaut de science, mais parce que ce rapport ne peut pas être connu, » Ainsi, selon Guillaume d'Auvergne comme selon Michel Scot, la »

Je déclare

toute-puissance de Dieu

trouve des bornes dans

les

impossibilités

décrétées par la Physique péripatéticienne.

II.

L'Évêque de Paris

comme

Roger Bacon. le

Traducteur d'Aristote a

établi

un

lien

qui lui semblait indissoluble entre l'impossibilité du vide et l'impossibilité

des

mondes

multiples. Ce lien a paru également fort à d'autres

philosophes, en particulier à Roger Bacon au

Burley au xiv e

xiir* siècle et

à Walter

siècle.

Roger Bacon, en son Opus majus, consacre un chapitre» à l'examen de ces deux questions: Peut-il exister plusieurs mondes? La matière

du monde

s'étend-elle à l'infini? Voici ce qu'il écrit, en ce chapitre,

contre la pluralité des «

Aristote dit,

Monde

mondes

au premier

livre

sur

réunit toute sa matière propre en

espèce, et qu'il en est de le

:

Monde

se

même

le Ciel

un

et

le

Monde, que

le

seul individu d'une seule

de chacun des corps principaux dont

compose; en sorte que

le

Monde

est

numériquement

unique, qu'il ne peut exister plusieurs mondes distincts appartenant à cette

même

soleils, ni

de

telles

»

En

espèce, et qu'il ne peut davantage exister ni plusieurs

plusieurs lunes, bien que beaucoup de gens aient imaginé

suppositions.

effet, s'il existait

un

autre

monde,

il

serait

de figure sphérique,

Minorum, Opus majus ad Clementem quartutn, Homanurn, ex. Ms. Codice Dubliniensi, cum aliis quibusdam collato, nunc primum ediditS. Jebb, M. D., Londini, typis Gulielmi Bowyer, MDCCXXXHI, p. 102 (marquée, par erreur, 98) Pars quarta, Dist. IV, Cap. XII An possint esse plures mundi, et an materia mundi sit extonsa 11 infinituni. i.

Fratris Rogeri Bacon, Ordinis

Pontiflcem.

:

i


4i

!SOTES

comme

Ces deux mondes ne pourraient être distincts l'un de

celui-ci.

un espace vide

l'autre, car s'ils l'étaient,

ce qui est faux.

du

se

désignable entre eux,

touchassent; mais par ils

ne

précédemment

l'a

cercles. Dès lors, partout ailleurs qu'en ce

y aurait entre eux un espace vide. » VOpus tertium Bacon reprend simplement et

point,

il

En

1

,

l'argumentation d'Aristote contre

la pluralité

sommairement Mais il y mondes. des

raisonnement fondé sur l'impossibilité du vide lorsqu'il

joint le

Communia naturalium, ou mieux

ses

serait

troisième livre des Éléments d'Euclide,

moyen de

le

qu'ils

qu'en un point, ainsi qu'on

se pourraient toucher

démontré par

donc

faudrait

Il

XII e proposition

la

1

ce traité

De

caelestibus

2

écrit

dont

célèbre manuscrit de la Bibliothèque Mazarine fait le second livre

le

Communia naturalium. Aux raisons d'Aristote, à

des

la

preuve

de l'impossibilité du vide

tirée

Bacon ajoute maintenant ces réflexions u On ne peut pas, non plus, prétendre qu'un second monde entoure :

premier, car alors

le

sorte qu'il n'y aurait

même des

de

le

centre de l'un serait le centre de l'autre, en

pour tous deux qu'une seule

du monde 3

autres parties

;

il

terre;

il

en serait

donc qu'un seul

n'y aurait

monde.

En

»

pour

outre,

même

la

à l'infini, tel

s'il

raison

il

une raison pour

Il

en

faut

ait

donc

qu'il y eût

deux mondes,

y en aurait trois, quatre, et ainsi de suite

car tout ce qui concerne le

nombre.

qu'il n'y

existait

qu'il y ait

pas plus d'un;

or,

monde

est indifférent à tel

ou

une infinité de mondes ou bien les mondes ne sauraient être en

nombre infini; donc il n'y en a qu'un. » Nous ne saurions nous étonner de reconnaître dans

les écrits

de

de Guillaume d'Auvergne. A d'Aristote, encore qu'il le juge Traducteur cite le durement. Quant à l'Évêque de Paris, il nous conte qu'en sa

Bacon

l'influence de Michel Scot et

plusieurs reprises, fort

jeunesse,

il

il

en avait reçu l'enseignement.

III.

En

1277,

les

Richard de Middleton.

docteurs

de

la

Sorbonne,

sous

la

présidence

d'Etienne Tempier, évêque de Paris, condamnèrent cette proposition «

Quod prima causa non posset plures mundos facere

.

»

:

Les théologiens

Bacon Opéra quœdam hactenus inedita. Vol. I, contained : I. Opus III. Compendium philosophise. Edited by J. S. Brewer. Opus minus. London, 1859. Opus tertium, cap. XLI, pp. iAo-i^i. 2. Incipit secundus liber communium naturalium [fratris Rogeri Bacon], qui est de celestibus, velde celo et mundo, pars III, cap. II (Bibliothèque Mazarine, ms. n° 3576, 1.

Fr. Rogeri

tertium.

fol.

II.

108, coll. a et b). 3.

Roger Bacon,

loc. cit.


.

Z|

ETUDES

12

SUli

de Paris entendaient rompre

LEONARD DE VINCI

que

Physique péripatéticienne prétendait imposer à la toute-puissance de Dieu ils entendaient, en particulier, dénier toute valeur aux raisonnements que l'on tirait de l'impossibilité du vide ce genre d'arguments n'était pas explicitement visé dans la proposition que nous venons de rapporter, « Quod Deus non possit movere Caelam mais il l'était en celle-ci les entraves

la

;

;

:

motu

vacuum. » L'orthodoxie chrétienne exigeait donc, semble-t-il, que l'on renonçât à divers principes de la Physique péripatéticienne et, tout spécialement, à l'impossibilité du vide, à l'immobilité du Monde, à la nécessité, pour ce Monde, d'être unique. Affirmées par les condamnations qu'avaient portées les docteurs de Sorbonne, ces exigences furent acceptées non seulement à Paris, mais à Oxford; elles imprimèrent à la Science scolastique, aussi bien en France qu'en Angleterre, une orientation nouvelle qui l'obligea à s'écarter en bien des points, et non des moins essentiels, de la tradition Aristotélicienne. S'il nous fallait assigner une date à la naissance de la Science moderne, nous choisirions sans doute cette année 1277 où l'Évêque de Paris proclama solennellement qu'il pouvait exister plusieurs Mondes, et que l'ensemble des sphères célestes pouvait, sans contradiction, être animé d'un mouvement rectiligne. L'un des premiers docteurs qui aient, en leur enseignement, invoqué les condamnations portées contre les Articuli parisienses, est Richard de Middleton. Ce Franciscain, mort entre i3oo et i3o8, a assurément composé ses volumineuses Questions sur les livres des Sentences de Pierre Lombard, alors que les décisions des théologiens de Paris recto. Et ratio est quia tanc relinqueret

étaient encore toutes récentes.

Richard

se

demande

mouvement de

1

« si

translation

».

Dieu peut mouvoir le ciel ultime d'un l'appui de la réponse affirmative, qu'il

A

«Le Seigneur Etienne, Évêque de Paris et Docteur en Théologie, a excommunié l'article suivant Dieu ne peut donner au ciel un mouvement de translation. » A ce propos, notre auteur montre que Dieu pourrait, sans contradiction, produire le vide; mais il ajoute cette remarque fort sensée « Il y a un autre défaut dans l'argument » par lequel on prétendait établir l'article quia été condamné à Paris. «En effet, si Dieu communiquait au ciel un mouvement de translation, l'existence du vide n'en résulterait pas, car le ciel ultime n'est en aucun lieu. » De même que Richard de Middleton a accordé à Etienne Tempicr, au risque de heurter de front les principes les plus fermes de la Physique péripatéticienne, que Dieu pourrait déplacer le ciel ultime et

soutient,

il

a soin d'invoquer cette raison

:

:

:

1. Clarissimi theologi Magistri Ricardi de Media Villa seraphici ord. min. ronvrnt super quatuor libros sententiarum Pétri Lombardi quœstiones subtilissimx, Brixiœ, MDXG1, tomus secundus, p. 186, lib. Il, dist. \1I11, art. III, quac>t. III.


NOTES produire

le vide,

même

de

l\lO

lui accorde-t-il

qu'il pourrait créer

i

un

autre Univers. J'appelle Univers,

«

dit-il,

un ensemble de

surface enveloppe, y compris

créatures qu'une

surface enveloppante, et

la

même

sous

la

condition que cet ensemble ne soit pas borné, d'autre part, par une

Par cette précaution, Richard de

autre surface qu'il entourerait. »

Middleton évite

supposition de

la

mondes emboîtés

vergne

et

que tant d'autres devaient

Je dis alors,

«

recueillir

de

celui-ci.

poursuit notre Franciscain,

»

uns dans les Guillaume d'Au-

les

autres, supposition qui s'était présentée à l'esprit de

«

peut encore maintenant créer un autre Univers.

que Dieu Il

n'y

a,

a

en

pu

et

effet,

aucune contradiction à attribuer cette puissance à Dieu. » Une telle contradiction ne peut provenir de la chose dont cet Univers devrait être fait, puisque Dieu n'a pas fait le Monde de quelque chose.

ne provient pas du réceptacle de cet Univers, car le Monde, pris en sa totalité, n'est pas reçu en quelque espace. Le Philosophe dit, au premier livre Du Ciel et du Monde, qu'il n'y a, hors du Ciel, ni lieu, ni vide, ni temps, ce qu'il faut entendre du ciel suprême. » Elle

Cette contradiction ne saurait être en

»

divine, car cette est fini,

il

est

impossible qu'il égale

Enfin, cette contradiction ne

»

êtres qui se trouveraient

même

lors

que Dieu

et,

de

comme

la

puissance

cet Univers-ci

puissance divine.

la

saurait être tirée de la nature des

contenus en

les aurait fait

De même que

cet Univers-ci.

raison

puissance de Dieu est infinie

la

surface de ce second Univers,

même

de

espèce que les êtres de

de notre Univers repose natu-

la terre

même la terre de ce second en repos au centre du Monde

rellement au centre de ce dernier, de

Univers demeurerait naturellement

auquel

elle

appartient. Si la terre de cet autre Univers était placée au

centre de notre Monde, elle y demeurerait naturellement immobile et

si la

terre

de notre Univers

était

;

placée par Dieu au centre de

y trouverait son repos naturel. Si deux lieux, en effet, se comportent indifféremment l'un de l'autre à l'égard de l'opération l'autre, elle

naturelle de quelque créature, celle-ci ces

deux lieux où on

demeurera en repos en

l'aura d'abord placée

;

elle

celui de ne tendra pas vers

l'autre. » En faveur de cette opinion, on peut invoquer la sentence du Seigneur Etienne, Évêque de Paris et docteur en sacrée Théologie; il

a

excommunié ceux qui enseignent que Dieu

plusieurs mondes.

n'a pas

pu

créer

»

Richard de Middleton ne se contente donc pas d'admettre que la mondes n'est pas chose contradictoire que la puissance

pluralité des i.

Ricardi de Media Villa Quaestiones super quatuor libros Sententiarum, éd. cit., tomus primus, p. 392. I, quaest. IIII

dist. XLIIIT, artic.

;

lib.

I,


/,

I

ETUDES SUR LEONARD DE

/,

même

de Dieu ne saurait réaliser;

il

VINCI

va plus loin;

il

entreprend de

ruiner la principale objection que la philosophie péripatéticienne

mondes la réponse qu'il renferme en germe celle que Guillaume

contre la possibilité de plusieurs

élevait,

adresse à cette objection

;

d'Ockam formulera quelques années plus tard k Quant à l'objection tirée de l'impossibilité du

vide,

Richard de

pas il se contente d'indiquer, en passant, que l'espace, et de nous rappeler cet enseignedans le Monde n'est point ment du Philosophe Il n'y a, hors du ciel, ni lieu, ni vide,, ni temps.

Middleton ne

s'y arrête

;

:

D'ailleurs,

que

la

nous l'avons entendu affirmer, en une autre circonstance,

production du vide n'était pas impossible à Dieu; en cela,

il

a

par Walter Burley.

été suivi

IV.

Walter Burley.

Walter Burley croit qu'il n'est pas possible aux chrétiens d'admettre le pouvoir créateur de Dieu, sans admettre en même temps la réalité du vide. Il appuie 2 cette opinion de plusieurs raisons; voici la dernière

:

me

Ceux qui parlent du Monde sont tenus de supposer que le vide existe hors de ce Monde. Ils admettent en effet que Dieu, qui a créé ce Monde, en peut tout aussi bien créer un autre. Supposons donc que Dieu crée un second Entre les surfaces monde. Je pose alors la question suivante convexes qui limitent ces deux mondes, y a-t-il ou n'y a-t-il pas une «

Il

paraît difficile d'éviter cette conséquence

conformément

:

à notre religion et qui admettent la création

:

certaine distance? le vide,

car c'est

y a quelque chose entre ces surfaces, c'est espace divisible qui ne renferme pas de corps,

S'il

un

bien qu'il soit susceptible de recevoir un corps.

Si,

au contraire,

il

n'y a aucun intermédiaire entre ces surfaces sphériques, c'est donc qu'elles se touchent soit en un seul point, soit tout le long d'une

étendue divisible. point; alors, en

Elles ne

effet,

point de la seconde, i.

entre il

Cette argumentation

sauraient se toucher seulement en

un point de

la

première sphère

et

un un

y aurait quelque chose de divisible qui ne

contre la raison par laquelle le Philosophe prétendait

deux Mondes, Richard de Middleton

la reprend presque textuellement en l'une de ses Questions quodlibétales*. ... Impressa arte et diligentia 2. Burleus Saper octo libros physicorum. Golophon Boneti Locatelli Bergomensis, sumptibus vero et expensis nobilis viri Octaviani Scoti Modoetiensis... Venetiis, Anno salutis nonagesimo primo supra millesimum et quadringentcsimum. Quarto nonas decembris. Physicorum liber IV, fol. 7S (nou

établir l'impossibilité de

:

paginé), col. &)

c.

Quodlibela Doctoris eximii Hicardi de Media Villa ordinis minorum, (/u.vstioiies octuaqinta Brixiae, de consensu superiorum, HDXCL Quodlibetuin II, art. 11, quaest. L trum

continentia. plures

muudos

I

esse includat conlradiclioncm.

:


NOTES

/.i5

pourrait être que le vide; d'où la conclusion. Dira-ton qu'elles se touchent tout le long d'une aire divisible? Cela ne saurait être; un corps sphérique ne saurait toucher un autre corps sphérique tout le long d'une aire divisible; si une surface touche une surface convexe tout le long d'une aire divisible, c'est

concave dans la

la

région où

le

contact a lieu

termine un

surface sphérique qui

que

celte ;

monde

or

première surface est il

soit

est

impossible que

concave.

On

voit

donc que ceux qui parlent selon notre religion sont tenus d'admettre le vide. Nous avons traité plus longuement cette question au premier

du

livre

Ciel. »

Walter Burley avait composé des commentaires au De Caelo et Mundo; cette citation nous le montre; nous n'avons pu trouver aucun indice de l'existence actuelle, sous forme imprimée, de ces commentaires; mais ils sont conservés, sous forme manuscrite, ainsi que les commentaires du même auteur sur les Météores d'Aristote, à la Bibliothèque de l'Université d'Oxford

1 .

V. Gaétan de Tiène.

Nous avons vu qu'au xv

e

siècle,

Paul de Venise reproduisait l'argu-

mentation de Michel Scot, de Roger Bacon, de Walter Burley conclusion contre

tirait

également la validité

(p.

92) que

la

pluralité

des mondes; nous

et

en

avons vu

Jean Majoris avait refusé d'admettre

l'écossais

de cette argumentation.

Il

avait été précédé par Gaëtan

de Tiène.

que nous lisons dans les commentaires de Gaëtan Physique d'Aristote 2 « Burley... prétend que les chrétiens, parle fait qu'ils admettent la création du Monde, sont tenus d'admettre également la réalité du vide hors du Ciel. Dieu pourrait en effet, au delà des confins de ce Monde, en engendrer un second. Admettons, par exemple, qu'il l'ait fait on demandera alors si ces deux mondes sont distants les uns des autres ou s'ils se touchent. S'ils sont distants, il y aurait le vide entre eux, car il y aurait entre eux un espace divisible, capable de recevoir un corps et, cependant, n'en contenant aucun. S'ils se touchaient, ce ne serait pas par quelque aire divisible, car ils sont terminés par des convexités parfaitement sphériques ce serait donc seulement en un Voici, en effet, ce

de Tiène sur

la

.

;

;

1.

Houzeau

et

Laucaster, Bibliographie générale de V Astronomie,

t.

I,

n°'

17,'n

et 1742. 3.

Recollecte

Colophon

:

octo libros physicoram cum annotationibus tcxtuum. hoc opus Venetiis per Bonetum Locatcllum jussu et

Gaietani super

Impressum

est

expensis nobilis viri domini Octaviani Scoti civis Modoetiensis, anno salutis 1&96, nonis sextilibus. Liber IV, in principio fol. 28, col. d. ;


ÉTUDES SLR LEONARD DE VINCI

/|l6

point indivisible; alors dans l'espace divisible qui se trouve entre eux, il

y aurait encore

le

comme précédemment. cela n'est nécessaire.... On

vide,

peut dire que ces Mais rien de tout deux mondes ne sont certainement pas séparés l'un de l'autre par de »

la matière,

non

pas,

car entre eux

ne se trouve aucun corps.

il

plus, séparés par le vide; le

vide, en

effet,

ne sont

Ils

un

est

lieu

mondes, il n'y a aucun lieu, ni purement formelle; elle consiste en certains rapports qui sont causés en ces mondes. Et cela demeure de corps;

privé

plein.

vrai lors

même

lieu d'admettre

l'un à l'autre

or,

entre

ces

Leur distance

vide, ni

est

qu'ils se toucheraient. D'ailleurs,

que deux mondes peuvent sans que l'on puisse dire

il

y aurait peut-être

être entièrement extérieurs ni

qu'ils

sont séparés, ni

qu'ils se touchent... »

VI. Jean de Bassols.

Nous venons de

sur Burley

voir l'influence exercée

sur

et

ses

successeurs par la décision théologique de 1277, affirmant que Dieu peut créer plusieurs mondes. Nous avons vu également dans le corps

de cet ouvrage que Guillaume d'Ockam

*

avait pleinement accepté, sur

ce point, l'opinion des docteurs de Paris.

En

cette circonstance

comme

en plusieurs autres,

Ockam semble

avoir été précédé par Jean de Bassols. Celui-ci enseigne 2 le nôtre,

qu'il

soit

que

appartienne

Bassols, infinité

«

je

que

Dieu peut

«

cet univers-là

à

une

ait

faire

même

autre espèce.

un

que

autre univers

espèce que celui-ci, soit

En second

lieu, »

ajoute

ne vois aucun inconvénient à ce que Dieu crée une

de mondes de

même

espèce que celui-ci.

En

troisième lieu,

ne vois non plus aucun inconvénient à ce qu'il crée un nombre de mondes spécifiquement différents de celui-ci. »

je

très

grand

Ces conclusions se heurtent à diverses objections dont plusieurs ont été

formulées par Aristote; citons en seulement quelques-unes, avec

les

réponses par lesquelles F « Auditoire

résoudre. Voici la première S'il

de

existait

même

mondes « Il

nature que celui-ci,

l'un de ces

deux mondes

monde,

même

ni

il

faudrait nécessairement qu'il fût

et alors la terre

se porterait vers le centre »

les

:

un second monde,

n'est pas nécessaire,

de Duns Scot prétend

»

de

de chacun de ces deux

l'autre.

répond Jean de Bassols 3, uque

la terre

se porte naturellement vers la terre

qu'elle puisse se

mouvoir

de

l'autre

ainsi vers l'autre terre

Voir pp. 76-78. Opéra Joannis de Bassolis in quatuor sententiarum libros; quiiest. unica; éd. cit., fol. ccxiv, col. a. 3. Jean <!<> Bassols, loc. cit., fol. ccxiv, col. d.

de

;

la

t.

2.

libri

primi

dist.

XLlY,


4l7

NOTES tendance naturelle d'une terre vers

bornes de son propre monde;

efTet, les

la

centre ne dépasserait pas, en il

va sans dire, toutefois, que

me dites qu'en ce cas, de l'autre monde ne serait pas de même espèce que cette je réponds qu'il n'est pas nécessaire qu'elle boit de même Mais, en admettant que cette seconde terre fût de même

vertu divine la pourrait mouvoir. Si vous

la terre terre-ci,

espèce.

espèce que la nôtre,

mouvrait pas vers le

le

centre

terre

la

monde, mais seulement vers partie, en sorte que l'appétit ne s'étendrait pas au delà du tout auquel

centre de l'autre

le

du monde dont

naturel de cette

de chacun des deux mondes ne se

terre

elle

fait

appartient. »

elle

Ce qui

«

est

formé de

objectera-t-on encore

1 ,

de la matière qui lui est propre, » ne saurait être multiplié, car c'est par la

la totalité «

matière seule qu'il y a multiplicité. Or, on voit au premier livre Du Ciel que le Monde est ainsi formé. Je prétends,

»

autre matière distincte celle

qui existe,

que Dieu peut produire une numériquement ou même spécifiquement de

répond Bassols 2,

»

et

que

le

Monde ne

possible. » C'est précisément ce

contient pas toute la matière

que déclarera Guillaume d'Ockam.

VIL Robert Si l'influence

«

Holkot.

de Jean de Bassols se montre clairement en

l'écrit

Guillaume d'Ockam traite de la pluralité des mondes, l'influence de Guillaume d'Ockam, à son tour, transparaît non moins nettement en ce que Robert Holkot dit du même problème. L'opinion de Robert Holkot, au sujet de cette question, ne nous est point présentée sous une forme qui exclue toute ambiguïté. En une même question 3 sur le second livre des Sentances, le Docteur Dominicain traite, à deux reprises, de la possibilité de mondes multiples, et ce qu'il en dit en l'une de ces circonstances se soude malaisément à ce qu'il en dit en l'autre.

La première difficulté que Robert examine est formulée en ces termes « Dieu a-t-il su de toute éternité qu'il créerait le Monde ? » Au :

nombre des « Si

1.

2.

raisons qui concluraient à la négative, se place celle-ci

Dieu a su de toute éternité Jean de Bassols, Jean de Bassols,

loc. cit., fol. loc. cit., fol.

qu'il créerait le

Monde,

il

4

:

a su aussi,

ccxiv, col. b. ccxiv, col. b.

3. Magistri Roberti Holkot Super quatuor libros sententiarum questiones'. Libri secundi quaest. II. l\. Robert Holkot, loc. cit., art. I Utrum Deus ab aeterno sciverit seproducturum :

mundum. Tertium

principale.

a) Pour la description de cet ouvrage, voir p. 399, note 1. P.

DUHEM.

27


ÉTUDES SUR LÉOVYKD DL VINCI

4 8 1

de toute éternité,

un

créerait

s'il

seul

monde ou

s'il

en créerait

plusieurs. »

A

ce propos, notre auteur reproduit quelques-unes des objections

accoutumé, depuis Michel Scot et Guillaume d'Auvergne, d'opposer à la pluralité des mondes, et, en particulier, celle-ci « Dieu aurait su, de toute éternité, s'il créerait des mondes en nombre fini ou s'il en créerait une infinité. Mais il ne pouvait pas ne créer qu'un nombre fini de mondes; la raison qui lui en eûl fait créer

que

l'on avait

:

en eût aussi bien

six lui

D'autre part,

l'infini. »

créer sept, huit, et ainsi de suite,

fait

s'il

avait créé

une

infinité

à

de mondes, tous

les cieux ultimes de ces mondes formeraient, par un corps infini si chacun de ces cieux était animé du même mouvement diurne que le nôtre, l'ensemble des cieux formerait un corps infini en mouvement, et le Philosophe a insisté sur l'impos-

égaux entre eux,

leur ensemble,

sibilité

d'un

;

tel

corps.

L'objection tirée de l'impossibilité

du vide

est présentée

par Holkot

avec une rigueur qu'à notre connaissance, aucun autre physicien ne

donnée «Si Dieu avait pouvoir de créer un second monde, il faudrait créât en quelque lieu (alicubi), comme ce monde-ci, de telle

lui avait

le

:

qu'il

sorte

qu'entre les diverses parties de ce monde-là, il y eût des distances. Mais, je le demande, qu'y a-t-il actuellement là où ce monde eût été

ou quelque chose? S'il y a quelque chose, il y a donc, en fait, quelque chose hors du Monde. S'il n'y a rien, on peut raisonner ainsi hors du Monde, il n'y a rien, et, hors du Monde, il peut exister un corps donc, hors du Monde, il y a le vide car là où un corps peut exister et où il n'y a pas de corps, il y a le vide. Donc, mainte-

créé, rien

:

;

;

nant, le vide existe. »

Comment Holkot

répondu à ces objections, il ne regardait cependant pas comme valables,

voulait-il qu'il fût

ne les car il admet la vérité de la proposition contre laquelle elles avaient été élevées; d'ailleurs, un peu plus loin, il accorde formellement à Dieu le pouvoir de créer plusieurs mondes, et c'est alors qu'il se

nous

le dit

montre

pas;

il

fidèle disciple

d'Ockam.

Celle nouvelle discussion

sur la pluralité des

par l'examen de cette proposition

»

:

Dieu peut

mondes

est

faire tout ce

amenée

qui n'im-

plique aucune contradiction. «

Dieu,

dit

Holkot,

peut

créer tout ce qui

n'implique

aucune

aucune contradiction à supposer l'existence d'un second monde qu'une différence numérique distinguerait seule de celui-ci. Donc... Prouvons cette mineure. Il n'y a aucune

contradiction. Mais

i. Robert Holkot, contradictionem.

il

loc.

n'y a

cit.,

art.

VI

:

Deus potest

facere quicquid

non includit


.

XOTES

L\

l

()

deux soleils, il existe deux lunes, il existe deux mondes. Dieu pourrait donc créer d'autres corps célestes de même espèce que les nôtres et, par conséquent, créer un second monde de même espèce que le nôtre. » Cette absence de contradiction en l'existence simultanée de deux mondes de même espèce, les Péripatéticiens la nient; notre auteur contradiction en ces propositions

connaît leurs raisons et

En premier

lieu, « le

propre;» hors de

lui,

:

il

existe

résume fidèlement. Monde est formé de toute la matière qui lui est il n'existe aucune matière en puissance d'un les

second monde.

En second

lieu, «

il

n'y aurait pas plus de raison pour qu'un grave

tendît vers le centre de ce

monde » En troisième

monde-ci que vers

le

centre de l'autre

mouvement naturel, s'écarte d'un lieu, ne peut tendre vers ce lieu que par mouvement violent; mais un grave que l'on placerait en cet autre monde s'écarterait par mouvement naturel du centre de celui-ci; ce serait donc par mouvement violent que ce grave tendrait vers le centre de notre monde.

lieu, « tout ce qui,

par

»

Les réponses que Robert Holkot adresse à ces objections sont animées de l'esprit de Jean de Bassols et de Guillaume d'Ockam. Il est bien vrai qu'il n'existe actuellement aucune matière qui soit en puissance de devenir un second soleil ou une seconde lune; mais Dieu peut, s'il le veut, créer une telle matière.

«Un ment

grave, placé en l'un des deux mondes, se mouvrait naturelle-

monde au sein duquel il se trouve; un autre monde, tendrait vers le centre de ce dernier

vers le centre de ce

grave, placé en l'autre

monde. » Quant

à la troisième objection,

notre Dominicain la dissipe en

reproduisant presque textuellement l'habile discussion le

Venerabills Incepior.

fourni par les

Comme

mouvements

celui-ci,

il

menée par

s'autorise de l'exemple

naturels, opposés l'un à l'autre,

que pren-

draient deux masses de feu placées sur la terre, aux antipodes l'une

de

l'autre.

A de

des condamnations portées, en 1277, par les théologiens Sorbonne, nous avons vu toute une lignée de penseurs rejeter

la suite

la

arguments que le Péripatétisme objectait à la pluralité des mondes et attribuer à Dieu le pouvoir de créer des mondes multiples. Inaugurée par Richard de Middleton, cette tradition a été maintenue par Jean de Bassols, Guillaume d'Ockam, Walter Burley et Robert Holkot; elle s'est prolongée jusqu'à Gaétan de Tiène et jusqu'à Jean Majoris. Avec Jean Buridan, l'École de Paris va, au sujet de cette question, se soumettre de nouveau à l'enseignement résolument

d'Aristote.

les


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

/|2()

VIII. Jean Buridan.

La question de la pluralité des mondes possibles a été l'occasion de l'un des plus âpres débats qui aient mis aux prises la philosophie

mais bien d'autres discusquestion. L'une des plus intéressantes

péripatéticienne et la pensée chrétienne sions ont été soulevées par cette a

pour objet

;

l'origine de la pesanteur; la pesanteur est-elle

ou non

le

résultat d'une attraction exercée sur le grave par son lieu naturel, le

centre

du Monde? Nous avons rapporté

1

les principales

opinions que

maîtres de la Scolastique ont émises à ce sujet. Mais il en est une dont nous n'avions pas alors connaissance et qui, cependant, a grande les

importance; trines de

c'est celle

de Jean Buridan. Réagissant contre

Guillaume d'Ockam, Jean Buridan a formulé

les

les doc-

principes

qu'Albert de Saxe a développés.

Tout d'abord, Buridan admet pleinement 2, au sujet de l'attraction que l'aimant exerce sur le fer, l'explication qu'Averroès avait proposée et que le Venerabilis Inceptor a rejetée. « L'aimant, » dit-il, « altère l'air ou l'eau qui le touche immédiatement; au travers de ce fluide se propage une certaine qualité qui, grâce à une convenance particulière qu'a le fer avec l'aimant, est propre à attirer le fer vers l'aimant; il ne paraît pas qu'elle ait cette propriété attractive au sein des autres corps qui n'ont pas avec l'aimant une telle convenance. » Le mouvement du grave vers son lieu naturel n'a rien de comparable à ce w

mouvement du

fer vers l'aimant

Le grave qui se trouve soulevé,

par son lieu naturel, c'est-à-dire par

» dit

:

Buridan 3,

le lieu

«

n'est point

qui se trouve vers

le bas,

au moyen d'un mouvement d'altération semblable à celui par lequel l'aimant meut et attire le fer. On ne doit point, en effet, supposer qu'un corps en attire un autre, si ce n'est par l'un de ces deux procédés Ou bien ces deux corps sont liés l'un à l'autre ou bien le premier corps imprime dans le milieu ambiant, et jusqu'au second corps, quelque vertu ou qualité par laquelle le second corps est mis en mouvement. Ce second procédé est celui auquel nous aurions recours pour expliquer le mouvement du fer vers l'aimant. Mais, dans le cas proposé, on ne saurait dire qu'il en soit ainsi, car cette vertu ou :

1.

2.

;

Voir pp. 6V72 et pp. 82-90. Magistri Johannis Buridam Qucstiones totius libri Phisicorum ;lib. Vil, quœst. I\

:

necesse est in omni motu movens esse simul cum moto. Bibl. nat., fonds latin, ms. 1/4733 ; fol. 92, col. d. 3. Magistri Johannis Buridam Questiones tolius libri Phisicorum ; lib. VIII, quasst. IV: Utrum actu grave existons sursum moveatur per se post remotionem prohibent is vol a quo rnovoatur. Ms. cit., fol. 100, col. 1».

Utrum


.

NOTES qualité serait plus puissante auprès

de ce lieu

;

le

42

du

dont

lieu

elle

émane, que

1

loin

même

grave se mouvrait donc vers son lieu avec une plus venait de près que s'il venait de loin, ainsi que cela

grande vitesse s'il a lieu pour le fer qui se meut vers l'aimant mais on observe que cela est faux en la chute des graves. « Vous allez dire que ce raisonnement doit être rétorqué en sens contraire; il est manifeste, en effet, qu'un grave, en sa chute, se meut d'autant plus vite qu'il approche davantage de son lieu il ne semble pas que cela puisse s'expliquer, sinon parce que le lieu exerce auprès ;

;

une vertu

d'attraction plus grande qu'au loin. »

Cette riposte, Buridan ne réfuter; Simplicius et saint

l'a

pas imaginée pour

Thomas d'Aquin

le

de

plaisir

avaient soutenu

«

la

l'opi-

nion qu'elle expose.

Or

cette

opinion implique une idée entièrement fausse sur

la

chute

tombe un corps pesant distance qui sépare ce corps du lieu

accélérée des graves; la vitesse avec laquelle

ne dépend nullement de la naturel auquel il tend; cette distance ayant, en des circonstances différentes, la même valeur, la vitesse est cependant plus ou moins grande selon que le poids a commencé à se mouvoir depuis plus ou moins longtemps. Cette réponse est celle que Buridan va faire à l'objection qu'il a

mais un autre l'a donnée avant lui, et cet autre est Richard de Middleton seulement, Richard de Middleton y a joint une supposition erronée touchant la chute accélérée des graves à la suite du géomètre hellène inconnu auquel nous devons les derniers livres du Jordanl opusculum de ponderositate *, il attribue à une impulsion du rapportée

;

;

;

milieu ébranlé l'accroissement de la vitesse avec laquelle se meut le

poids; cette hypothèse fut ensuite, nous l'avons vu 3

Walter Burley

et

par Jean de Jandun

;

,

reprise par

nous avons entendu 4 Léonard quelle vogue elle avait eue à

nous avons dit l'époque de la Renaissance et au xvn e siècle. Voici les propres paroles de Richard de Middleton 6 « Certains prétendent que les corps sont mus par une vertu émanée du lieu opposé à leur lieu naturel, vertu qui les repousse. » Mais on ne peut dire que ce soit là la cause propre du mouvement

de Vinci

5

la professer;

:

des corps pesants; plus, en

effet,

ces corps seraient éloignés

du

centre,

Voir p. 71 Voir: Première série, p. 12g et p. 276. 3. Voir: Première série, p. i3o. k. Voir: Première série, p. i34 et p. 277. 5. Voir: Première série, pp. i34-i37. 6. Ricardi de Media Villa Qaaestiones super quatuor libros Sententiarum; lib. II, dist. XIV, art. III, quaest. IV; éd. cit., tomus secundus, p. 180. Les premières phrases, brouillées dans le texte au point de devenir peu compréhensibles, ont été rétablies ici et rendues, croyons-nous, conformes aux intentions de l'auteur. i.

2.


ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

^22

mouvraient rapidement, car ils seraient plus fortement atteints par la cause qui les meut; or il est certain que le mouvement des corps graves ou légers est plus rapide vers la fin qu'au commenplus

ils

se

cement.

mouvement est une vertu attractive émanée du lieu naturel, en sorte que le mouvement des éléments vers leur lieu propre est un mouvement de traction. D'autres disent que la cause de leur

)>

Mais à l'encontre de cette opinion, on peut produire l'argument que voici Le Commentateur dit qu'une attraction en laquelle le corps »

:

demeure immobile tandis que le corps attiré est seul en n'est pas une attraction réelle et véritable; en ce cas, le corps attiré se meut de lui-même vers le corps attirant, afin d'atteindre sa perfection, tout comme la pierre se meut vers le bas et attirant

mouvement

le feu vers le »

haut.

mon

Voici donc, à

avis, ce qu'il faut

dire

Bien que

:

les

divers

les a engendrés aux mouvements qui leur sont naturels, cependant c'est par leur propre vertu, et [non pas] par la participation de quelque influence siégeant en

éléments aient été déterminés par ce qui

mouvements auxquels la cause déterminés Mais l'efficacité de ce mouvement est aidée par l'ébranlement du milieu même, ébranlement produit par le corps grave ou léger qui se meut, comme l'expérience exécutent

leurs lieux naturels, qu'ils

les

génératrice les a

nous l'enseigne. Prenons, en

même et la

figure

;

faisons

effet,

commencer

deux corps de même poids chute du premier d'un lieu

la

chute du second d'un lieu plus bas, et cela de

moment où

le

second (celui qui part du lieu

à descendre, le premier (celui qui part

parvenu

à

une distance du

second commence

à se

sol égale à

du

celle à partir

que

lorsqu'ils se trouvaient à égale distance

même

plus bas)

de

élevé

qu'au

commencera

lieu le plus élevé) soit déjà

mouvoir. Le grave qui

élevé viendra à terre plus rapidement

comportaient de

le

telle sorte

et

est parti

de laquelle

du

le

lieu le plus

l'autre grave; et cependant,

du

à l'égard de l'influence

sol,

du

ces

deux corps

se

lieu. »

Buridan va raisonner exactement de même que Richard de Middleton pour prouver que l'accélération de la chute des graves ne s'explique pas par une influence du lieu naturel, influence d'autant plus puissante que le corps pesant serait plus voisin du centre. Mais à l'hypothèse du Franciscain anglais touchant la cause de cette

accélération,

Écoutons -le a

A

il 1

cela, je

substituera

une

hypothèse

autrement

heureuse.

:

réponds que, toutes choses égales

d'ailleurs,

un grave

ne tombe pas plus vite lorsqu'il est voisin du lieu inférieur, lorsqu'il en est, par exemple, distant de trois pieds ou de dix pieds, que

i.

Jean Buridan,

loc. cit.


423

NOTES

ou par mille pieds. sommet de l'une des au trouve

lorsqu'il en est éloigné et séparé par cent pieds

Supposons, en effet, qu'un homme se tours de Notre-Dame, et qu'une pierre, située à dix pieds au-dessus de lui, tombe sur lui; cette pierre ne blesserait ni plus ni moins cet homme que s'il se trouvait au plus bas lieu d'un puits profond, et que cette même pierre lui tombât dessus de dix pieds de haut. On voit bien par là

qui est »

si

que

la pierre

ne

se

meut pas

bas, qu'en ce lieu-là, qui est

Partant,

il

est manifeste

que

si

lieu

;

mais,

comme nous

le

élevé.

meut plus vite ou plus plus proche ou plus éloigné de

un grave

lentement, ce n'est pas parce qu'il est

son

si

plus vite en ce lieu-ci,

se

dirons plus loin, c'est parce que

le

un certain impelas qui se joint à mouvement devient ainsi plus rapide

corps pesant acquiert de soi-même

pour le mouvoir; le qu'au temps où le corps pesant sa gravité

était

par sa seule gravité; plus

le

mouvement devient rapide, plus ïimpetus devient vigoureux; au fur et à mesure donc que le poids continue à descendre, son mouvement devient de plus en plus rapide, parce qu'en continuant

à

descendre,

il

du point à partir duquel il a commencé de produise, d'ailleurs, en un lieu plus haut que chute se tomber; cette ou en un lieu plus bas, il n'importe. » s'éloigne de plus en plus

Les discussions relatives à la pluralité des

mondes

la pesanteur conduisent ainsi Buridan à développer fécondes touchant la chute accélérée des graves.

et à la les

nature de

idées les plus


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

!\'l\

-

DE QUELQUES SOURCES AUXQUELLES NICOLAS DE CUES A PU PUISER G.

Jean Scot Ériugène.

I.

Nous avons eu occasion de montrer

T

comment

les idées

chimiques

de Nicolas de Gués se reliaient à sa Philosophie générale. Cette Chimie, en admettant que tous les corps réellement existants sont des mixtes

formés par des combinaisons de quatre éléments principaux, s'accorde avec l'enseignement à peu près unanime de la Physique péripatéticienne

même

mais, en

;

distinguent de

Chimie du

elle

présente certains caractères qui la

commentateurs. beaucoup plus que celle-ci sur de rencontrer, dans le Monde, les éléments à l'état de

la

d'abord,

Celle-là. tout

l'impossibilité

temps,

Stagirite et de ses

insiste

pureté.

En second

lieu, la

Chimie de l'Évêque de Brixen

quatre éléments principaux, (alteritas)

En

les résultats

voit,

dans

les

d'une première différenciation

d'un élément universel unique.

troisième lieu, enfin (et c'est là une distinction essentielle entre

l'enseignement de l'École

et celui

de Nicolas de Cues)

la

Physique

comme

formés d'une le cinquième essence absolument hétérogène aux quatre éléments sont, eux les astres admet que contraire, Allemand, au Cardinal corps célestes

péripatéticienne regarde les

;

aussi,

formés par

les

quatre éléments sublunaires.

Cette Chimie, nous l'avons dit, Nicolas de Cues ne

de toutes pièces

;

il

n'a guère

fait

l'a

pas formée

qu'incorporer à son système général

de Philosophie ce que divers penseurs avaient dit de la composition des corps. Il n'est donc pas malaisé de lui découvrir des précurseurs, et

nous

lui

en avons trouvé.

Nous avons montré comment Raymond Lullea

même

faisait dériver

d'une

quatre éléments purs qui se mélangent entre eux pour former nos éléments ou éléments minéraux, identiques aux mixtes généraux de Nicolas de Cues ces éléments minéraux se «

matière fine et claire

»

;

combinent entre eux pour donner les mixtes plus ou moins complexes qui nous entourent. Nous avons montré également 3 comment les chrétiens occidentaux qui philosophaient avant que le Péripatétisme n'eût établi son empire sur l'École, regardaient, presque tous, les astres et les cieux connut i.

2. 3.

Voir p. 119. Voir p. i48. Voir pp. 259-260.

1


5

NOTES

formés de feu, ou bien de feu

42

et d'eau,

sans invoquer d'aucune

manière une cinquième essence. D'autres philosophes médiévaux peuvent encore être ayant influé sur la Chimie du Cardinal Allemand. Ainsi ce que dit Nicolas de Cues, après

principaux

des mixtes généraux; du

et

cités

comme

Raymond Lulle, des éléments mouvement d'analyse qui,

sans cesse, ramène les mixtes généraux aux éléments principaux

mouvement

par l'intermédiaire de ceux-ci, à l'élément universel; du

de synthèse qui descend

le

chemin que

le

et,

premier a remonté; ce

sont pensées dont l'analogie est fort grande avec celles que développe

Jean Scot Ériugène

Au

1 .

point de départ de la création,

placer l'Universalité de la créature lité

;

il

lui

donne

l'être

pas dans

le

temps;

tant qu'il

l'a

formée.

elle existe

;

lui est

il

Cette Universalité,

;

Dieu

est la cause

;

il

seulement antérieur par subsistante

au

ne

la

Au

sein

unique

du Verbe

la raison,

le

en

du Verbe

sein

ou causes primordiales des choses 3 identifie aux fêéa platoniciennes.

divin, l'Universalité de la création est

et indivisible;

,

précède

divin, est l'ensemble des raisons

ces raisons des choses, Scot les

2

de cette Universa-

éternellement en lui

éternellement

Ériugène

faut, selon Scot

il

Verbe divin

est l'unité

;

un individu

indivise de toutes

choses, car il est lui-même toutes choses. En même temps qu'il est absolument simple, le Verbe est infiniment multiple, car il est répandu en toutes choses et ces choses ne subsistent que parce qu'il est répandu en elles.

Ces raisons éternelles des choses, dont l'ensemble forme l'Universalité de la création, « sont les causes de toutes les choses visibles et invisibles 4;

il

n'y a rien, dans tout l'ordre des choses naturelles, qui

puisse être perçu par le sens, par la raison ou par l'intelligence, et qui ne procède de ces causes, qui ne subsiste par elles. » Parmi elles sont des corps simples invisibles, inaccessibles à toute

perception

;

des

grandeurs

et qualités

de ces corps rationnels

forment, en premier lieu, des éléments que Scot

nomme

catholiques

se

ou

universels.

Ces éléments catholiques, à leur tour, s'uniront entre eux pour

former tous

les

corps composés du

Les corps rationnels

et éternels,

Monde

sensible.

cause primordiales des éléments

1. Joannis Scoti lUpi <1>j<7S0); u.spio |j.o"j, id est de divisione Naturae libri quinque. (Joannis Scoti Opéra quae supersunt oninia ad fidem Italicorum, Germanicorum, Belgicorum, Franco-Gallicorum, Britannicorum codicum partim primus edidit, partim recognovitHenricus Josephus Floss. Patrologiae cursus completus; séries II Patrologia latina, accurante J. P. Migne t. CXXII, i853). 2. Joannis Scoti Eriugenae De diuisione naturae lib. III; éd. cit., col. 63g. 3. Scot Ériugène, loc. cit., col. 64 2. 4. Scot Ériugène, loc. cit., coll. 663-664. ,

l

;

:


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

42 6

simples, sont assurément de nature

spirituelle

Au

1.

contraire,

les

corps mixtes, soumis à la génération et à la corruption, sont d'une

nature exclusivement corporelle. Entre les uns

et les autres se

trouvent

éléments catholiques. « Ceux-là ne sont pas entièrement de nature corporelle, car pour former les corps, il faut qu'ils soient corrompus les

ils ne sont pas non plus absolument puisque tous les corps proviennent d'eux et se résolvent en eux. On ne peut davantage dire qu'ils sont pleinement spirituels, puisqu'ils ne sont pas tout à fait exempts de nature corpo-

par leur mutuelle union;

exempts de

relle

cette nature,

cependant,

;

sont esprits

ils

quelque

en

subsistent par des causes primordiales qui sont

Au

travers de ce système

éléments simples

et les

ment de synthèse,

formé par

les

purement

causes primordiales, les

d'analyse, de transmutation a les

jusqu'aux causes primordiales; enfin,

forment

«

Les causes descen-

éléments en corps; à leur

uns dans

les

les

corps

Grecs

les

terre,

moyen de

eux-mêmes

se trans-

les autres. »

Les élément simples ou catholiques sont au

et

:

corps dissociés rejaillissent, par l'intermédiaire des éléments,

tour, les

eau

spirituelles. »

corps mixtes, se produit un continuel mouve-

dent pour se transformer en éléments,

« les

mesure, puisqu'ils

nommés du nom des ont

ces éléments.

:

TcOp,

à-rçp,

iiowp,

y*3j

nombre de quatre 3 c'est-à-dire

:

;

feu, air,

quatre grands corps qui sont formés au

»

ne servent pas seulement à former notre feu, notre air, notre eau, notre terre, et les corps plus petits en lesquels se divisent ces quatre grands corps ils forment aussi le Ciel et les corps célestes « Ces corps, en effet, que nous nommons célestes ou éthérés, semblent Mais

ils

'*.

;

être spirituels et incorruptibles; cependant,

comme

leur existence a

eu pour commencement la génération et la composition, ils arriveront certainement un jour à la dissociation et à la destruction. » Ainsi 5 « ces quatre élément simples, absolument purs, inaccessibles à tout sens corporel, sont répandus partout; en se compénétrant les

uns

les autres

proportions,

d'une manière invisible, en s'unissant selon certaines forment tous les corps sensibles, les corps éthérés et

ils

les

corps aériens aussi bien que les corps aqueux et les corps terrestres,

les

grands corps aussi bien que

les

corps de

moyenne dimension

et les

corps les plus petits. Toute la sphère céleste, dirai -je, tout ce qui se trouve en elle et tout ce qui, de la surface au centre, est contenu en la cavité qu'elle enceint, tout cela est

né par

le

concours des éléments

catholiques; tout ce qui, au cours des siècles, naît des transforma-

i.

2. 3.

4. 5.

Scot Scot Scot Scot Scot

Ériugène, Ériugène, Ériugène, Ériugène, Ériugène,

loc. cit., col. 6g5. loc. cit., col.

696.

loc. cit., col.

712.

loc. cit., col.

701.

loc. cit., col.

712.


NOTES

427

tions des choses corruptibles, provient de ces éléments et retourne à

ces éléments.

On ne

»

aucun corps qui ne soit formé par le Ce ne sont pas certains corps qui concours de ces quatre éléments trouver

saurait

"'.

sont formés par certains éléments, mais tous les corps qui sont formés

par tous les éléments

;

non quaedam ex quibasdam, sed omnia ex

omnibus conftuunt. Ces élément purs et universels sont doués, chacun, d'une qualité aux quatre éléments correspondent ainsi quatre qualités, deux à deux opposées, qui sont le chaud et le froid, le sec et l'humide « Lors donc qu'on les conçoit isolément 2, qu'on les considère comme purs ;

:

séparés les uns des autres, ces éléments semblent être contraires

et

uns aux autres... Mais une harmonie admirable les

de toutes

les

lorsqu'ils se et ineffable,

choses visibles.

uns aux autres, par réalisent les compositions

mêlent ils

les

»

Bien que certaines qualités 3 soient plus sensibles en certains corps et d'autres moins sensibles, cependant le concours (synodus) des «

une mesure commune et uniforme. L'Intelligence divine a équilibré avec une parfaite justesse tous les corps du Monde entre deux extrémités opposées, entre l'extrême pesanteur, veux -je dire, et l'extrême légèreté; c'est entre ces deux extrêmes qu'a été pesée la constitution de tous les corps visibles. Tous les corps reçoivent les qualités terrestres, qui sont la solidité et l'immobilité, dans la mesure où ils participent de la pesanteur; au contraire, en la mesure où ils retiennent de la légèreté, en cette même mesure ils ont part aux qualités célestes, qui sont la rareté et la fluidité. Les corps intermédiaires, ceux dont la pesanteur se balance à égale distance des deux extrêmes, participent également de ces qualités opposées. En ces quatre éléments universels, on éléments catholiques

trouve

même

le

a,

en tous

même mouvement,

possession.

le

les corps,

même

repos, la

même

capacité, la

»

Toutes ces pensées de Jean Scot Ériugène, nous

les

avons retrou-

Chimie de Nicolas de Cues et, bien souvent, elles y étaient exprimées presque dans les mêmes termes. Raymond Lulle d'abord, l'Évêque de Brixen ensuite, ont assurément subi l'influence du philosophe de Charles le Chauve. Scot Ériugène admet que les corps célestes sont formés non pas par un corps spécial, mais par une combinaison des quatre éléments. La même pensée, que Nicolas de Cues devait accueillir, se trouve très formellement exprimée dans un traité intitulé De constitutlone mundi caelestis terres tris que liber que l'on attribue, en général, à Bède le vées en étudiant la

1.

2.

3.

Scot Ériugène, Scot Ériugène, Scot Ériugène,

loc. cit., col.

713.

loc. cit., col.

706.

loc. cit., col.

71^,


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

/|28

Vénérable. Cette attribution est d'ailleurs insoutenable; l'auteur

cle

longtemps après Bède, puisqu'il cite à deux reprises les Gesta Caroll que le Moine de Saint-Gall composa sous Charles le Chauve. au sujet De la tache de la Voici ce que nous lisons, en ce traité

cet

a vécu fort

écrit

i

lune

,

:

formée par les quatre éléments. De ces éléments, il en est trois qui sont bien mêlés et polis, car ils sont naturellement transparents et rendent d'eux-mêmes de la lumière. Au contraire, au lieu «

La Lune

est

trouve la tache, la terre n'est point bien mêlée aux autres

se

éléments; lumière.

est

elle

rugueuse en cet endroit

et

ne répand pas de

»

L'idée que les cieux et les corps célestes sont formés d'une substance absolument hétérogène à celle des corps que nous voyons et touchons ne s'est offerte à l'esprit des chrétiens d'Occident qu'au xm siècle, alors que la Physique d'Aristote et de ses commentateurs s'était emparée de cet esprit. e

II.

Par ses idées sur astres, Nicolas

les

Jean Buridan.

éléments, les mixtes et

la

de Cues est tributaire du Moyen Age

constitution des le

plus reculé, de

aux écoles de Charlemagne. Par quelques autres il se rattache aux enseignements que l'Université de Paris donnait au xrv siècle. Nous avons déjà signalé 2 comment un Guillaume d'Ockam et un Albert de Saxe avaient habitué leurs contemporains à méditer sur les antinomies que la contemplation de l'infini offre de toutes paris à notre raison; comment certains disciples de ces Nominalistes, tel Marsile d'Inghen, n'hésitaient pas à déclarer que ces antinomies sont insolubles pour notre intelligence; par là, l'esprit se trouvait préparé à enfanter un système semblable à celui de Nicolas de Cues, à prendre une antinomie formelle pour fondement même de la Métaphysique. D'ailleurs, ce que l'Évêque de Brixen dit 3 de l'infinité du Monde porte la trace visible des discussions qui ont mis aux prises les partisans de l'infini injîeri et les tenants de l'infini in facto esse. Si les préoccupations qui ont amené le Cardinal Allemand à formuler son postulat fondamendal le maximum est identique au minimum, tirent en partie leur origine des enseignements parisiens sur l'infini, d'autres parties de la doctrine de Nicolas de Cues semblent celui qui s'est instruit

de ses doctrines, au contraire,

c

:

i.

Bedae Venerabilis Operum tomus

séries II a.

3.

:

Patrologia latina, accurante

Voir p. 126. Voir p. 112.

J. P.

I,

col.

Migne;

888 (Palrologiae cursus complétas; t. XC).


NOTES

quelque chose de ce que certains maîtres de Paris professaient

refléter

touchant les universaux Entre tous

quoi

l\'2CJ

ils

et le

hommes,

les

méritent tous

le

principe d'individuation.

il

nom

y a quelque chose de d'homme, ce par quoi

commun, ils

ce par

appartiennent

une même espèce; ce quelque chose de commun à tous les hommes, c'est l'essence spécifique, c'est la quidditas. En un homme particulier et déterminé, en Socrate ou en Platon, il tous à

n'y a pas seulement l'essence spécifique, par laquelle

il

est

homme;

y a aussi quelque chose par quoi il est tel homme et non pas tel il est Socrate et non pas Platon; ce quelque chose qui,

il

autre, par quoi

survenant à l'essence spécifique, distingue

individus les uns des

les

autres, c'est le principe d'individuation.

Quelle est

nature de l'essence spécifique, quelle est celle du prin-

la

cipe d'individuation? Cette question était posée déjà en la Philosophie

Au Moyen

antique.

Age, par les liens étroits qui

discussions sur la théorie averroïste de l'unité de

la

rattachent aux

l'intellect, elle

prend

une importance dominante. nombreuses, si diverses, que nous ne pouvons songer à les décrire ici tout au plus nous est-il possible de caractériser à grands traits les principales catégories en lesquelles on les peut classer, sans marquer les nuances qui distinguent les unes des autres les diverses solutions rangées en une même catégorie. Les solutions proposées sont

si

;

Boëce identifie l'essence êtres

la

même

substance

de

accidents seuls distinguent les uns des autres les divers

les

l'être;

spécifique avec

d'une

même

espèce et constituent

le

principe d'individuation.

Selon une doctrine qui s'ébauche dans les écrits d'Aristote, qui s'affirme par la

par

diverses,

bouche d'Averroès, qui

les

méditations de saint

se précise, avec des

nuances

Thomas d'Aquin,

l'essence

spécifique, la quidditas d'un être, est constituée par la être;

par

la

les

forme de cet au contraire, le principe d'individuation; c'est divisions de la matière que diffèrent les uns des autres les matière

individus d'une

est,

même

espèce; des êtres qui sont constitués par des

formes dénuées de matière ne peuvent être distincts les uns des autres que s'ils diffèrent spécifiquement; dans le monde des substances séparées, chaque individu est

une espèce. « Une foule de non seulement en la forme

D'autres professent une doctrine toute contraire

philosophes déclarent

propre de

que

la

et

la Philosophie,

soutiennent,

mais par

les raisons

une erreur

de

la

i.

dont use

la

Théologie,

matière est numériquement une en toutes choses et que la

seule diversité provient de la forme. C'est u

:

infinie;

spéculation;

si

il

là, »

poursuit Roger Bacon

*,

n'en est pas de plus grande dans le domaine

on l'admet,

il

devient impossible d'expliquer

Rogeri Bacon Opus majus, Pars IV, Dist. IV, Cap. Vil; éd. Jebb,

p. 88.

la


ETUDES SUB LEONARD DE

>|3o

génération des choses, et naissable.

A

le

cours entier de

\

l.NGl

nature devient incon-

la

»

Bacon veut

l'encontre de cette doctrine,

*

que

la différence spéci-

fique et la différence individuelle portent l'une et l'autre à la fois sur la

matière

assertion

chose

est

sur la forme. Les autorités que l'on invoque contre cette

et

des confusions verbales

s'expliquent par

2

en puissance d'une autre chose, lorsqu'elle est

d'autres réalités,

pourquoi

on

Lorsqu'une

le

fondement

nomme principe matériel ou matière; nommé matière, tandis que l'espèce et les

voilà

la

genre est

le

«

:

diffé-

Mais en ces manières de parler, la matière n'est pas prise au même sens qu'en l'erreur susdite; en cette

rences sont dites formes erreur, en

est

elle

effet,

considérée

comme

l'une des parties

du

composé, comme une substance simple, essentiellement différente de la forme; ici, au contraire, on entend par matière un composé incomplet, qui est l'essence d'un certain genre; cette matière est en

puissance des espèces subséquentes à ce genre. L'opinion de

Duns

En un même

individu, Jean de

»

Scot diffère à l'extrême de celle de Bacon.

Duns Scot admet non pas une forme

unique, mais une pluralité de formes; ces formes se succèdent suivant

une certaine hiérarchie, chacune qu'elle

marque

forme,

commune

l'être

d'elles étant d'autant

d'un caractère plus particulier; une certaine

à tous les êtres d'un

même genre,

générique; une forme plus parfaite est fique;

une forme plus

enfin

plus parfaite

parfaite

constitue l'essence

la quidditas, l'essence spéci-

que toutes

les

autres

vient

contraindre, contracter (contrahere) l'essence spécifique en existences individuelles;

chaque forme

se

comporte à l'égard de

rieure qu'elle particularise et contracte à Tégard de

comme

la

l'acte

forme infése comporte

la puissance qu'il détermine.

Cette théorie de la pluralité et de la gradation des formes, proposée

par Duns Scot, rappelle de très près pluralité des il

y

a,

âmes en un

même

la

doctrine néo-platonicienne de la

individu en ;

un homme, par exemple, une âme végétative par

selon cette dernière doctrine, d'abord

laquelle

il

est

un

être vivant; puis

une âme

sensitive, plus élevée

que

animal; enfin, une âme raisonchacune de ces âmes est à lame immédiatement inférieure ce que la forme est à la matière, ce que

l'âme végétative, par laquelle

nable par laquelle

il

est

il

est

homme

et

;

l'acte est à la puissance.

Telles sont, réduites à leurs grandes lignes, les théories de l'essence

spécifique et de l'individuation qui, au début

geaient

la

taient pas

faveur des philosophes ou,

du

xiv e siècle, se parta-

du moins, de ceux qui ne

en bloc tous ces problèmes,

comme

le faisait

d'Ockam. i.

2.

Rogeri Bacon Opus tertium, Cap. WMIII; Roger Bacon, loc. cit., pp. 139-130.

reje-

Guillaume

éd. Brewer, pp. iuo-i3i.


NOTES

/|ÔI

C'est alors que vient Jean Buridan dont nous voulons, d'une façon car ils ont, peut-être, influé sommaire, analyser les enseignements sur ceux de Nicolas de Gués. Buridan ne veut pas identifier, comme le font les Averroïstes et les 1

,

Thomistes, l'essence spécifique avec duation avec

que

l'on

la

matière

;

la

forme,

textes d'Aristote et

les

invoque à l'appui de cette doctrine

principe d'indivi-

le

du Commentateur par

lui paraissent faussés

des confusions verbales.

Commentateur, dit-il 2, se sont souvent exprimés de Ce qui est la quidditas du composé singulier, la manière suivante de Socrate ou de Platon, par exemple, ils l'ont appelé forme, quelle que Aristote et le

a

:

d'ailleurs, la

soit,

matière

les

nature de cette quidditas; puis,

ils

ont

nommé

conditions par lesquelles l'espèce est contractée en termes

singuliers, sans rechercher quelles choses sont, en réalité, ces conditions. » C'est ainsi la

forme de

l'être

qu'on a pu déclarer que l'essence spécifique était individuel et que le principe d'individuation en

mais cette affirmation résultait d'une confusion verbale, due à une acception impropre des mots forme et matière. « Cette acception, elle-même, tire son origine de l'opinion de Platon; Platon croyait, en effet, qu'à parler proprement, le genre et l'espèce désignent en premier lieu et principalement des substances séparées, c'est-à-dire des formes dénuées de matière, qu'il nommait idées et qu'il était

la

matière

;

disait être les quidditates des substances singulières.

»

Rebelle à la théorie averroïste et thomiste de l'essence spécifique

Buridan n'admet pas davantage 3 la théorie cette théorie conduirait à des scotiste de la pluralité des formes « Le cheval posséconséquences qu'il rejette, celle-ci par exemple que n'est l'âme sensitive, ce derait une forme substantielle plus noble La qui est impossible or, cette conséquence se prouverait ainsi forme spéciale est acte par rapport à la forme générale; elle se comporte à l'égard de la forme plus générale comme la forme se comporte à l'égard de la matière; il faut donc que la forme spéciale soit plus noble que la forme générale; or, dans le cheval, dans l'âne, dans le et

de

l'individuation,

;

:

:

;

bœuf, l'âme sensitive

est cette

forme générale à laquelle

ils

doivent ce

Ces enseignements sont contenus dans l'ouvrage suivant In Metaphysicen ArisQuœstiones argutissimœ Magistri Joannis Buridani in ultima prœlectione ab ipso recognitœ et emissse : ne ad archelypon diligenter repositœ : cum duplice indicio : materiarum videlicet in froute: et quœstionum in operis cake. Vaenundantur Badio. Golophon: Hic terminantur Metaphysicales quaestiones brèves et utiles super libros Metaphysice Aristotelis quae ab excellentissimo magistro Ioanne Buridano diligenredactae fuerunt in ultima tissima cura et correctione ac emendatione in forma praelectione ipsius Recognitae rursus accuratione et impensis Iodoci Badii Ascensii 1.

:

totelis.

m

ad quartum idus Octobris. MDXVIII. Deo gratias. 2. Joannis Buridani Quœstiones in Metaphysicen Aristotelis;

lib. VII,

quaest. XIII;

lib. VII,

quaest.

éd. cit., fol. xliii, col. a. 3.

Joannis Buridani Quœstiones

éd. cit., fol. xlix

(marqué

in

Metaphysicen Aristotelis,

xliii), col. a.

XIV

;


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

/|02

nom commun

y aurait donc, dans le cheval, outre l'âme sensitive, une forme spécifique il en serait de même dans l'âne et dans le bœuf; et selon ce qui vient d'être dit, cette forme spécifique d'animal;

il

;

serait plus

noble que l'âme sensitive.

»

Quelle sera donc l'opinion de Buridan touchant l'essence spécifique?

nous prenons en leur sens propre les mots forme substantielle, que ces termes matière et composé de matière et de forme, je dis généraux homme, animal, ne signifient pas la forme prise à part de la matière; qu'ils ne signifient pas non plus la matière considérée séparément de la forme ils désignent la matière et la forme, distinctes l'une de l'autre, mais considérées simultanément... L'homme, c'est donc le composé de forme et de matière et non pas seulement la forme. » Entre cette opinion et celle de Roger Bacon, l'analogie n'est « Si

»

:

;

pas niable.

Maintenant que nous savons ce que

que

homme ou

signifie

un terme universel

animal, demandons-nous de quelle existence

il

tel

est

doué.

terme universel a-t-il une existence séparée des indicorrespond 2 ? Hors des divers hommes singuliers, hors de Socrate, de Platon, existe-t-il quelque part un être réel qui soit l'homme en général, l'homme-espèce? C'est la doctrine de Platon, Et, d'abord, le

vidus auxquels

il

qu'Àristote réfute.

on peut faire valoir des arguments tels que ceux-ci, qui paraissent avoir eu grande vogue dans les écoles Si l'homme-espèce est un être distinct et séparé des hommes-individus, tels que Socrate ou Platon, on ne peut dire Socrate est homme, Contre cette doctrine, en

effet,

:

:

Platon est

Ou

homme.

bien encore

:

Puisque l'homme-espèce

est, lui

aussi,

individuel, on ne peut dire Socrate est

homme,

Platon est

sans identifier Socrate et Platon avec cet

homme

et,

un

être

homme,

par conséquent,

sans les identifier entre eux.

Buridan juge, fort justement, que ces arguments correspondent à une forme trop grossière de la théorie des idées; ils supposent que l'on n'a pas pénétré le fond même de la pensée de Platon. « Assurément, dit-il 3, on doit penser que Platon n'a jamais admis que les Socrate, homme, celles réalités auxquelles se substituent ces termes pour lesquelles cette proposition Socrate est homme, est une vérité, soient des choses distinctes et séparées l'une de l'autre. » On doit penser que son opinion au sujet de l'homme était analogue :

:

i.

Joannis Buridani Quœstiones

in

Melaphysicen Aristotelis,

lib. VII,

quacst. \lll

;

éd. cit., fol. xliii, col. a. a. 3.

Joannis Buridani Quxstiones Joannis Buridani Qiisestiones

éd. cit

.

fol. l. col.

c

in in

Metaphysicen Aristotelis, Metaphysicen Aristotelis,

lib. VII, lib.

quaest.

VII, quacst.

XV.

W

;


notes

433

Commentateur professe au sujet de l'intellect humain. Celui-ci croyait, en effet, comme on le voit au III livre du De anima, que tous les hommes comprennent à l'aide d'un intellect qui est numériquement un; cet intellect unique est séparé des hommes, en ce sens qu'il n'est inhérent à aucun d'eux mais il assiste chacun

à celle

que

le

e

;

d'eux par sa présence immédiate fpraesentialiter

même y

disons-nous que Dieu assiste

une multitude d'hommes

ait

Monde

le

une

réalité

hommes mais ;

par un seul

terme: être

et

même

intelligent, est

sa signification formelle porte sur

qui est séparée de tous les

hension qui existe en cet

de

;

entier; ainsi, bien qu'il

intelligents, c'est

intellect qu'ils sont tous intelligents; ce

bien substitué aux

et indistanter)

hommes,

à savoir la compré-

intellect.

On remarquera, à ce propos, qu'il n'y a pas inconvénient à ce qu'un certain terme soit substitué à tel être, alors que sa signification ))

formelle désigne une réalité séparée de cet être. Ainsi le terme

pour

est pris

la

chose qui

agit, alors que,

:

agent,

par sa signification formelle,

désigne l'action en vertu de laquelle cette chose reçoit le nom d'agent; cette action, cependant, n'est point dans la chose qui agit, mais dans la chose qui pâtit. De même, lorsque je dis Cette pierre

il

:

est vue, ce

terme

:

vue, est attribué à la pierre; sa signification for-

melle, cependant, désigne la vision par laquelle cette pierre est vue,

ne siège pas en la pierre, mais en l'œil. » C'est donc en ce sens que Platon disait de l'humanité ou de l'animalité qu'ellejest une forme séparée de tous les hommes individuels ou de tous les animaux particuliers qu'elle est absolument une,

et cette vision

;

et que,

cependant, tous

les

hommes

sont

hommes

par cette seule

et

même humanité, que tous les animaux sont animaux par cette seule et même animalité; il eût donc très certainement accordé que Socrate est un certain homme et que Platon est un autre homme, tout en maintenant que Socrate et que Platon sont hommes par la même humanité. » Encore que présentée sous cette forme plus subtile la théorie platonicienne des idées n'est

parmi

les

arguments

point adoptée par Buridan

;

qu'il fait valoir contre elle, celui-ci paraît être,

à ses yeux, le plus puissant

:

Pour expliquer tout ce que nous recon-

naissons en l'essence spécifique,

de cette forme séparée qu'est Sans admettre que

et plus déliée,

il

est inutile d'admettre l'existence

l'idée platonicienne.

universaux aient une existence séparée de celle des individus auxquels ils correspondent, peut-on admettre que les

leur existence, encore qu'indissolublement liée à celle des individus,

cependant distincte? A cette question «très difficile», Buridan répond que les universaux ne peuvent avoir une existence

en

soit

*

i.

éd.

Joannis Buridani Qusestiones

cit., fol. li,

p.

duhem.

in

Metaphysicen Aristotelis,

lib.

VII, quaest.

col. c.

28

XVI;


.

ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

^34

distincte de celle des individus qui les particularisent; en

Socrate,

l'humanité ne peut avoir une existence distincte de celle de Socrate, car on ne pourrait dire Socrate est homme. En outre, si l'humanité :

une chose

était

distincte de Socrate et existant en Socrate, et aussi

une chose distincte de Platon et existant en Platon, on ne pourrait soutenir que l'humanité de Socrate est la même que l'humanité sans

Platon

de

revenir

Répondra- t-on

idées.

«

seule

et

hommes?

l'hypothèse de

à

qu'il y a des

même

humanité,

Parler

ainsi,

qui

est

poser de

c'est

l'existence

hommes la

séparée des

différents,

nature

nouveau

mais une

spécifique l'existence

de ces séparée

que Platon l'admettait. Selon la nature, en qu'une seule et même chose indivise se trouve à la fois en Socrate et en Platon, qui sont séparés et distants l'un de l'autre, à moins qu'elle n'y soit de la manière que nous concevons

des universaux, effet,

il

telle

est impossible

lorsque nous disons que Dieu assiste chacune des parties du

Monde

immédiatement présent. Cette manière d'être ne peut convenir qu'à une substance séparée de toute grandeur. » Si donc on rejette comme inutile la théorie platonicienne des idées prises sous la forme où Buridan la conçoit, on ne peut accorder à l'essence spécifique, signifiée par le terme universel, aucune existence séparée ou distincte de l'existence individuelle. Dans le domaine de la réalité, l'existence des universaux est identique à l'existence même de l'individu. C'est seulement en la raison que l'essence spécifique a une existence propre et distincte de celle et qu'il lui est

des individus. Cette essence,

conceptuelle en prenant tous les les

une existence individus d'une même espèce et en

la

raison lui

confère

dépouillant par abstraction de tous les caractères par lesquels

ils

uns des autres Que sont donc ces caractères individuels dont la raison devra faire abstraction pour concevoir l'essence spécifique? Cette question nous amène au problème du principe d'individuation que Buridan pose en « Ce qui, en une substance, contraint l'espèce à s'indices termes 2 vidualiser, est-ce une différence essentielle ou une différence accidiffèrent les

i

:

dentelle

Le

?

»

Maître

uniquement

parisien les

remarque

d'abord

que

si

l'on

considère

individus contractés sans tenir aucun compte des

concepts qui se forment en

la raison, la

question ne se pose pas.

Dans ces conditions, en effet, l'existence de l'homme, ou de l'animal, ou du corps, ou de la substance est une existence aussi particulière que celle de Socrate ou de Platon; l'homme, en effet, n'est rien autre «

i.

Joannis Buridani Quœstiones

in

Metaphysicen Aristotelis ;

lib.

VII, quaest.

XV;

éd. cit., fol. l, col. a. 2.

éd.

Joannis Buridani Qinestiones lu, col. b.

rit., fol.

in

Metaphysicen Aristotelis;

lib. VII,

quaest. XVII

;


NOTES

435

chose que Socrate, que Platon; puis donc que l'homme, ou que l'animal, n'a pas d'autre existence que des existences particulières...,

l'homme, l'animal n'ont pas besoin qu'aucune contraction

les réduise

à l'existence individuelle.

Nous devons donc, lorsque nous parlons de ces contractions, entendre qu'il est question des concepts ou des termes qui désignent »

ces concepts.

»

Buridan pose alors deux conclusions dont voici la première « Les différences par lesquelles les individus d'une même espèce nous paraissent distincts les uns des autres sont des différences purement :

accidentelles;

elles portent, d'ailleurs,

soit

sur des accidents intrin-

sèques aux individus, soit sur des accidents extrinsèques,

»

telle la

différence de position qui

nous permet de distinguer l'une de l'autre deux pierres, parfaitement identiques d'ailleurs. Buridan va-t-il conclure de là, avec Boëce, que deux individus d'une

même

espèce ne diffèrent que par leurs accidents, que les tout le principe d'individuation et que, par

accidents constituent

conséquent, l'essence spécifique est identique à

lement;

il

admet que deux individus de

encore numériquement distincts, tant intrinsèques

qu'extrinsèques,

lors

même même

substance

?

Nul-

espèce demeureraient

que leurs accidents,

deviendraient parfaitement sem-

pourquoi il pose cette seconde conclusion Nonobstant ce qui précède, il faut dire que deux individus d'une

blables, et c'est «

la

même

espèce,

:

comme

Socrate et Platon, diffèrent substantiellement;

en eux différence de substance, aussi bien de forme que de matière, en sorte que la forme de Socrate n'est pas la forme de Platon, et que la matière de Socrate n'est pas non plus la matière

qu'il y a

de Platon.

comme nous

l'avons vu, nous ne pouvons juger de que par des différences accidentelles. » Qu'est-ce à dire ? Ce qui distingue les uns des autres les individus d'une même espèce est quelque chose qui atteint la substance même »

Toutefois,

cette différence substantielle

des individus; ce principe d'individuation substantiel peut engendrer, entre deux individus, des différences accidentelles qui soient, pour

mais il pourrait aussi ne point engendrer de deux individus, substantiellement distincts, nous sembleraient alors n'en faire qu'un; le principe d'individuation substantielle échappe donc à notre connaissance. Buridan nous a appris d'ailleurs que pour concevoir l'essence spécifique, il fallait considérer tous les individus d'une même espèce et faire abstraction de ce qui les distingue les uns des autres. Si le principe d'individuation nous est inconnaissable, n'est-il pas bien nous, connaissables

;

semblables différences et

évident que l'essence spécifique le sera aussi jaillit

si

?

Cette conclusion qui

facilement des réflexions de Buridan, pour peu qu'on les


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

436 presse, les

celle-là

c'est

même

que Nicolas de Gués formule» dès : « La quiddité des choses, qui est la ne saurait être, par nous, atteinte en

sa Docte ignorance

débuts de

nature des êtres,

véritable sa pureté.

»

D'autres rapprochements peuvent être tentés entre l'enseignement

de Buridan

comme

L'un,

de Nicolas de Gués. l'autre enseigne nettement que, dans

et celui

toute existence réelle est

individus; l'un,

une existence

ont

thèses

comme

la

création,

une existence contractée; il n'y a que des l'autre, admet que les universaux, les synabstraite

et

en

conceptuelle

l'intellect

humain. Nicolas de Gués rejette,

des idées

;

il

comme

n'existe pas de

Buridan,

la théorie

platonicienne

formes séparées des choses individuelles

;

hors de Dieu, les formes n'ont d'autre existence réelle que l'existence contractée. Mais, de plus, Nicolas de Gués accorde 2 aux essences spécifiques, aux synthèses, une existence en Dieu; elles n'y sont pas

uns des autres, car il ne saurait exister plusieurs exemplaires, plusieurs maxima, plusieurs parfaits elles constituent donc en Dieu un exemplaire unique, et cet exemplaire, c'est le parfait, c'est Dieu lui-même. à l'état d'idées, d'exemplaires distincts les

;

De

cette doctrine, trouvons-nous des signes avant-coureurs en la

Métaphysique de Buridan? Nous

que

le

devinons déjà, semble-t-il, en ce Maître parisien enseigne au sujet de la théorie des raisons la

séminales.

Selon cette doctrine fort ancienne, et qui eut si fort la faveur de saint Augustin, des formes séparées, fort analogues aux idées platoniciennes, président aux générations et aux transformations dont la

formes séparées, ces raisons séminales, on pense les voir en œuvre, d'une façon particulièrement manifeste, dans la génération, que l'on croit spontanée, d'êtres vivants au sein des matière est

le siège; ces

corps en putréfaction. Cette théorie des raisons

séminales donne

à bien des débats. Certains docteurs,

pleinement Avicenne;

la ils

tel

lieu,

au Moyen-Age,

saint Bonaventure, adoptent

pensée de saint Augustin. D'autres se rattachent à nient l'existence de raisons séminales multiples; une

seule forme séparée, l'Ame

du Monde, accomplit

attribue à ces raisons. D'autres encore,

comme

saint

les

effets

que

l'on

Thomas d'Aquin,

nient résolument l'existence des raisons séminales aussi bien que de

l'Ame du Monde; Jean de Jandun enseigne 3 que

les

animaux sont

Voir p. 106. Voir pp. I&&-I&5. 3. Joannis de Janduno, philosophe perspicacissimi, acutissimœ quœstiones in duodecim Ubros Metaphysicsp ; Venetiis, apud Hieronymum Scottum, i56o; lib. VII, quaest. XIII; i.

->..

éd. cit., col. /170.


NOTES

437

engendrés au sein des matières en putréfaction par la vertu purement physique des astres. Buridan se demande à son tour « s'il est nécessaire, pour expliquer la génération des substances, de supposer l'existence de 1

substances séparées». L'existence des générations spontanées, à laquelle

substance incorporelle,

l'amène

II

:

faut

»

Cette substance est-elle

avec précision

croit,

donc admettre qu'il existe une plus noble que l'âme sensitive, et qui est le

à formuler cette conclusion

principe générateur.

il

une ou multiple? Buridan va nous

le dire

:

données par Themistius et les raisons données s'est mis en défaut lorsqu'il a multiplié les substances séparées à l'égal des espèces de substances susceptibles d'être engendrées; Platon, en effet, invoquait, en la génération de l'homme, le concours de l'homme séparé, qu'il nommait idée, c'est-à-dire modèle. » Comment donc Buridan veut-il que l'on transforme cette théorie platonicienne des idées, en laquelle il implique la théorie des raisons séminales? « Vous devez, dit-il, imaginer que cette substance séparée se comporte à l'égard du Monde entier comme nous avons admis que l'intellect humain se comportait à l'égard du corps humain, à cela « Voilà, écrit-il, quelles sont les raisons

par Avicenne; Themistius ajoute que ce furent par Platon; mais il dit avec raison que Platon

près,

toutefois,

Monde

que

cette substance séparée n'est pas inhérente

au

ne l'informe pas comme l'âme humaine informe le corps humain. Mais entre ces deux cas, il y a le rapport ou la similitude que voici De même que l'âme intellectuelle existe tout entière en tout le corps et tout entière en chacune des parties du corps, de même cette substance séparée assiste par sa présence immédiate (praesentialiter et indistanter) au Monde entier et à chacune des parties du Monde. » Buridan va-t-il, avec les Néo-platoniciens et Avicenne, faire de cette substance séparée une Ame du Monde, intermédiaire entre Dieu et la et

:

Nature sensible? Non point, car il ajoute tout aussitôt: a Et je crois que cette substance séparée n'est autre que Dieu tout-puissant. » Ainsi les essences spécifiques n'ont pas, dans la création, d'autre existence réelle que l'existence contractée des individus

ligence humaine, elles ont elles

une existence

ont encore une existence séparée, à

;

dans

l'intel-

abstraite et conceptuelle; titre

d'exemplaires et de

raisons séminales; mais à ce titre elles ne forment pas autant d'idées,

de substances diverses, qu'il y a d'espèces différentes; elles forment une substance séparée unique, présente tout entière au Monde tout 1.

Joannis

éd. cit., fol.

Bu ri dan

XLVI,

i

Quœstiones

coll. c et d.

in

Metaphysicen Arislotelis,

lib. VII,

quaest. IX;


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

438

chacune des parties du Monde; cette substance séparée, c'est Dieu même. Telle est, en toute son ampleur, la solution que le Maître parisien donne à la question des universaux. Fort à la légère, on a fait de Buridan un Nominaliste intransigeant, un disciple fanatique d'Ockam. Bien au contraire, sa pensée nous apparaît ici toute voisine de celle de

entier,

et

tout

à

entière

Thomas d'Aquin.

saint

Thomas, en

Saint

versaux

;

effet,

distingue trois manières d'être des uni-

ces manières d'être,

il

les caractérise

par ces mots

:

in

re,

posl rem, ante rem. In re, l'espèce n'a pas d'existence distincte de celle

des individus qui

la réalisent

sous forme concrète. Post rem,

la

quiddité spécifique a une existence conceptuelle en l'entendement

humain. Ante rem, l'espèce a une existence idéale

et

exemplaire en

l'Intelligence divine.

Ces trois manières

expose au sujet de

la

bien plutôt parmi les

ne

d'être,

nous

retrouvons en ce que Buridan

;

justifie l'accusation

de Nominalisme intransigeant habituellement

formulée contre ce maître, dont des enseignements

les

Métaphysique, en sorte qu'il nous le faut ranger Thomistes que parmi les Occamistes rien donc

du

la

pensée

sait être fort

indépendante

Venerabilis Inceptor.

Mais ce que nous voulons surtout remarquer en cette pensée, ce n'est pas l'analogie qu'elle présente avec celle

du Docteur Angélique;

grande similitude qu'elle offre, dans le fond comme dans la forme, avec celle du Cardinal Allemand; cette similitude est telle que la conclusion s'impose Nicolas de Gués a profondément subi l'influence des enseignements que l'on donnait à Paris, au temps de Jean c'est la

:

Buridan.

III.

Les Questions sur ï Éthique a Nicomaque attribuées à Jean Buridan.

que professait l'Université de Paris à une époque plus voisine de celle où il vivait. On possède des Questions sur l'Éthique à Nicomaque que de nombreuses éditions attribuent à Jean Buridan. En un travail qui sera Il

n'ignorait sans doute pas davantage les doctrines

prochainement publié, et qui prendra place en la troisième série de nos Études sur Léonard de Vinci, nous montrerons que ces Questions ne sont vraisemblablement pas du philosophe de Béthune, du maître qui enseignait à Paris en la première moitié du

xiv

e

siècle;

paraissent être l'œuvre d'un Flamand, qui portait peut-être le

nom,

Au

et

qui vivait au voisinage de l'an

sujet de l'amour,

comme

même

i/ioo.

l'auteur de ces

pensées qu'il ne donne pas l'étaient pas; ces

elles

Questions formule certaines

nouvelles et qui, sans doute, ne

pensées offrent, parfois, une remarquable analogie


439

NOTES

avec celles auxquelles Nicolas de Cues a attribué, en son œuvre, une importance considérable et auxquelles Léonard de Vinci semble avoir prêté attention. La doctrine de l'amour, qui forme

comme

la pierre

du système philosophique construit par le Cardinal Allemand, a donc pu emprunter quelque chose aux leçons que l'on donnait rue du Fouarre au début du xv siècle. Deux passages des Questions sur l'Éthique à Nicomaquei nous ont angulaire

e

paru dignes d'être

Au en

ici

reproduits.

premier, l'auteur se

réalité,

même

une

demande

« si

chose». Parmi

l'amour

les

raisons que l'on pourrait

invoquer à l'appui d'une réponse affirmative, vantes «

2

Ce

et la délectation sont,

mentionne

il

sui-

les

:

qu'il y a d'actuel et d'effectif

en l'amour consiste uniquement,

semble-t-il, à tendre vers l'objet aimé, ou à s'unir à cet objet, ou à

ou à se donner à l'objet aimé, ou à se reposer en lui. Mais tous ces caractères conviennent également au désir ou à la délectation celui qui se délecte ou qui se complaît en un certain se transformer en lui,

;

objet passe par lui,

il

la

s'unit à lui,

pensée, pour ainsi dire, en cet objet, il

se repose

en

lui.

il

donne

se

à

Cela apparaît clairement à tous

les yeux. »

L'auteur ne regarde pas

comme

certaine cette identité de l'amour

de la délectation; voici, en particulier, ce qu'il oppose aux raisons qui viennent d'être données 3 « Tendre vers l'objet aimé, ce qui est l'acte immanent à l'appétit, c'est le désir qui suit l'amour, et non pas l'amour même. Au contraire, s'unir à l'objet aimé, non point en réalité, mais par la pensée seuet

:

lement, se donner à l'objet aimé, se transformer en

de

lui,

telle sorte

deux amis veuillent les mêmes choses, s'opposent d'une même volonté aux mêmes choses de telle sorte que, par suite de cette transformation, chacun des deux amis veuille ce qui est bon à l'autre, ne veuille pas ce qui est mauvais à l'autre, cela c'est véritablement l'amour, et non pas la délectation. La délectation résulte de l'amour lorsque l'objet aimé ou quelque chose qui soit un bien pour cet objet que

les

;

aimé

se trouve saisi par celui qui aime, est

possédé par

lui,

lui

est

Proe1. L'édition que nous avons consultée n'a pas d'autre titre que ces mots mium Ioannis Buridani in questiones super X libros Aris. ad Nicomachum. Elle porte ce :

Hue usque producte sunt questiones Buridani morales robustiori etati precipue perlegende quas Egidius delfus socius Sorbonicus atque in sacris litteris baccalarius formatus emendatius imprimi curavit. Impressore vuolfgango hopyl. Cet ouvrage Anno incarnationis domini MCCCCLXXXIX, décima quarta die Iulii. a été également édité en i5i3, à Paris, par Poncet Lépreux; en i5i8, à Paris, par Jean Petit et Bernard Aubri; en 1637, à Oxford, par H. Cripps. 2. Johannis Buridani Quaestiones super decem libros Ethicorum Aristotelis ad Nicocolophon

:

:

:

machum;

lib. Vil,

quaest.

XXIX Utrum amor :

realiter. Éd. cit., fol. ccvni, col. c. 3.

Jean Buridan,

loc. cit., fol.

ccix, col. b.

sive dilectio et delectatio sint

idem


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

[\'\0

présent.

On peut en

dire autant

du repos en

l'objet aimé.

L'amour

donc ni cette union réelle ni ce repos; il n'en résulte pas; il peut demeurer en même temps que la séparation et l'inquiétude qui sont opposées à cette union et à ce repos. » Ces réflexions offrent une analogie, bien aisée à reconnaître, avec certaines pensées qui reviennent fréquemment dans les écrits de Cette analogie se marque mieux encore entre Nicolas de Gués certaines idées chères au Cardinal Allemand et un autre passage a des n'est

l

.

Questions sur l'Éthique à Nicoinaque.

prend de déclarer quelle Voici,

u

me

est,

En

ce passage, l'auteur entre-

selon lui, la véritable nature de l'amour

semble-t-il, ce qu'il faut dire

:

:

L'amour provient d'une

ou convenance qui est naturelle à la fois à celui qui aime et à l'objet aimé; c'est pourquoi nous disions, au huitième livre de cet ouvrage, que toute amitié est fondée sur une certaine ressemblance ou sur un certain rapport analogue à celui qui unit l'agent au patient. L'agent et le patient, en effet, se trouvent conjoints en leur commun acte, car l'un et l'autre ont même acte, comme on le voit au troisième livre des Physiques. C'est pour cela, semble-t-il, qu'au neuvième livre du présent ouvrage, il est dit qu'un ami est un autre soi-même. Cela se manifeste encore par ce fait que la délectation est fort proche parente de l'amour, à tel point que beaucoup de philosophes, et non des moindres, ont cru que toute délectation était amour, et que tout amour était désir ou délectation, comme nous l'avons vu en la vingt -neuvième question du septième livre. Or la délectation suppose l'union de l'objet qui l'engendre à certaine conjonction

Cela apparaît aussi en la nature inanimée;

l'appétit qui l'éprouve

inanimés n'éprouvent, à proprement parler, ni amour, ni haine; il y a cependant, en eux, quelque chose de comparable à l'amour ou à la haine, en sorte que ces êtres naturels se meuvent soit d'un mouvement de fuite, soit d'un mouvement de poursuite. Par exemple, le corps grave ou léger a, pour son lieu naturel, une sorte d'amour

les êtres

grâce auquel ce

il

mouvement

comme on pour

se

vers ce lieu et s'unit naturellement à ce lieu;

a sa raison d'être en

le voit

le lieu

meut

au quatrième

opposé, une

une certaine convenance

livre des

Physiques; ce

naturelle,

même

corps

a,

sorte de haine qui provient d'une discon-

semble que le froid a, pour le chaud, une sorte de haine; il fuit le chaud ou bien, s'il est plus fort que lui, il le détruit. En revanche, le froid semble avoir pour le froid une espèce d'amitié; il le conserve; il l'augmente; il s'unit aisément à lui. » 11 semble qu'il y ait, en ces lignes, le germe de quelques-unes des

venance.

De même,

il

Voir pp. 124-125. Johannis Buridani Quaestiones in decem libros Ethicorum Aristotelis ad .Xicomachum; lib. IX, quaest. VII Utruni homo debcat maxime amare seipsum. Éd. cit., i.

a.

:

fol.

CCXLVIII, COl.

1).


NOTES idées telle

44l

que Nicolas de Gués développera avec le plus de complaisance l'assimilation de l'amour au lien qui conjoint en un même :

acte l'agent et le patient

«

;

telle

pythagoricienne, selon laquelle

encore, la doctrine, reprise de l'École les

mouvements

naturels s'expliquent

tous par certaines affinités entre les êtres animés, par le désir qu'a le

semblable de s'unir à son semblable^. Les passages que nous avons extraits des Questions sur l'Éthique à

Nicomaque

offrent

également une

très

certaines réflexions de Léonard de Vinci

notées au Codice Trivulzio;

si

ces

3,

grande ressemblance avec réflexions qui se trouvent

réflexions

étaient isolées,

nous

pourrions fort bien soutenir que Léonard les a empruntées à l'œuvre donnée sous le nom de Jean Buridan et non pas aux écrits de Nicolas de Cues. Mais le même Codice Trivulzio renferme un grand nombre d'autres pensées qui n'ont aucun rapport avec les Questions sur l'Éthique à

Nicomaque, tandis que

la lecture

des ouvrages

Allemand paraît singulièrement propre à en donner i. 2.

3.

Voir p. 116. Voir p. 262. Voir p. 164.

du Cardinal

l'interprétation.


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

442

H.

RICHARD DE MIDDLETON ET LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

Nous avons vu

*

qu'Albert de Saxe, en ses Questions sur la Physique,

examinait ce problème, posé par Aristote Un mouvement réfléchi est- il toujours séparé du mouvement direct par un repos intermé:

Nous l'avons entendu, à ce sujet, analyser le mouvement d'une pierre ou d'une flèche lancée vers le haut et, en ce mouvement, diaire?

distinguer trois

phases

puissant que la gravité

par

mouvement

Yimpetus

:

En

la

première phase, Yimpetus

et la résistance

violent.

et la résistance

En de

la

de

l'air;

est plus

projectile

le

monte

troisième phase, la gravité surpasse

l'air; le projectile

tombe par mouvement

deux phases est une période d'immobilité. Nous avons vu 2 Marsile d'Inghen, Jean Dullaert de Gand, Frédéric

naturel. Entre ces

Sunczel, exposer cette théorie; nous avons entendu

3

Nicolô Vernias

au sujet du choc, des raisonnements imités de cette 4, enfin, comment Léonard de Vinci avait quelque peu modifié cette analyse du mouvement d'un projectile et en avait tiré sa théorie de Yimpeto composé, qui devait exercer, sur la Dynamique du xvr* siècle, une si grande inflence. Or cette théorie dont nous avons suivi l'histoire à partir des Questions d'Albert de Saxe, paraît avoir pris sa source beaucoup plus haut, car nous la trouvons sommairement et nettement indiquée en une des Questions quodlibétales de Richard de Middleton 5. En cette question, notre Franciscain examine le problème péripatéticien du repos intermédiaire entre le mouvement direct et le mouvement réfléchi; il le pose sous une forme saisissante qui était appelée à avoir grande vogue dans les discussions de la Scolastique paridévelopper,

doctrine; nous avons montré

sienne; cette forme, la voici

Une elle

:

fève est lancée vers le haut; en son

heurte une meule qui tombe,

mouvement

ascensionnel,

et elle est rejetée vers le

bas; entre

ses deux mouvements en sens contraire, cette fève est- elle demeurée immobile? Au cours de l'examen de cette question, Richard de Middleton écrit les lignes suivantes « Il

1.

2.

3. k.

faut savoir

:

que

le

mouvement

ascensionnel de

la

fève est

un

Voir p. a i2. Voir pp. 2i3-2iô. Voir p. ai4. Voir pp. 315-217.

Quodlibela Doctoris cximii Ricardi de Media Villa, ordinis minorum, quxstiones ocluaginla continentia. Brixiae, apud Vincentium Sabbium, MDXCI. Quodlibetum II, 5.

art. II, quaest.

\VI

:

Utrum

faba ascendcns obvians lapidi molari qniescat, pp.

T>.i-5G.


NOTES

443

mouvement fève est

violent; je dis donc qu'après que le mouvement de la devenu quelque peu éloigné de son principe, la vertu grâce à

laquelle

la fève

monte va en

s'affaiblissant

;

violent est-il plus lent vers la fin qu'il n'était

mouvement au commencement;

aussi le

cette vertu finit par être tellement affaiblie qu'elle

ne

suffît

plus à

mouvoir la fève vers le haut elle suffît encore, cependant, à en empêcher la descente et alors il faut que la fève demeure, de soi, immobile; plus tard, cette vertu s'affaiblit au point qu'elle ne peut plus empêcher la descente la vertu naturelle de la fève l'emporte ;

;

;

alors sur celle-là, et la fève

tombe.

»

Nous avons là, en son germe, la doctrine que développeront Albert de Saxe et Marsile d'Inghen d'ailleurs les propos de Richard de Middleton semblent se rattacher très naturellement à ceux que nous ;

avons extraits

ouvrage

1

de

la

Théorie des planètes d'Àl Bitrogi, et ce dernier

était, à la fin

du xin 8

siècle, l'objet

de nombreuses études

et

discussions.

Mieux encore, la doctrine de Richard de Middleton se rattache à l'explication qu'Hipparque avait donnée de la chute accélérée des graves, en son écrit intitulé

:

twv Stà

ilspt

jâapuTYjTa "/.axw

çspopivwv.

Lorsqu'un grave est jeté en l'air, disait Hipparque, la vertu qui l'entraîne vers le haut l'emporte tout d'abord sur la pesanteur; mais elle surpasse de moins en cette vertu va en s'affaiblissant sans cesse ;

moins moins

la

pesanteur, en sorte que

vite.

ment égale commencer la

Un moment à la

arrive

pesanteur;

le

projectile

le la

force ascensionnelle est précisé-

corps cesse alors de monter pour

diminuant toujours, grave tombe de plus en

à descendre. La force ascensionnelle

pesanteur l'emporte de plus en plus

plus

monte de moins en

et le

vite.

C'est Simplicius qui

nous a conservé

mentaire au De Caelo d'Aristotea

;

cette explication

en son com-

or cet ouvrage était fort lu à la fin

Guillaume de Moerbeka venait d'en donner une traduction qui demeura longtemps classique; Saint Thomas d'Aquin, commentant le De Caelo, empruntait^ à Simplicius le raisonnement d'Hipparque. La théorie de Yimpeto composé présente ainsi à nos yeux l'image

du xm°

siècle

;

d'une parfaite continuité.

1.

Voir p. 191.

a.

Simplicii In Aristotelis de Caelo comrnentaria edidit J.-L.

Heiberg, Berolini,

MDCGCXCIV, p. 264. (Comm. in De Caelo, lib. I, cap. IV.) 3. Sancti Thomae Aquinatis Comrnentaria in libros Aristotelis

de Caelo et Mundo,

lib. I, lect.

XVII.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

444

1.

— SUR La

LES PETITS MOUVEMENTS DE LA TERRE animée de mouvements

terre est

mais incessants. Ima-

petits,

ginée ou, plutôt, précisée par Albert de Saxe, cette hypothèse a été constamment admise, jusqu'au temps de Léonard de Vinci, par les

Nominalistes parisiens et par ceux qui subissaient l'influence de ces philosophes;

de

l'appui

à

nombreux témoignages

»

;

nous avons cité de à ces témoignages, nous aurions pu joindre affirmation,

cette

celui de Pierre Talaret.

du xv

Pierre Tataret, en la seconde partie

e

siècle,

composé des

a

commentaires sommaires aux divers écrits physiques, logiques, métaphysiques et moraux d'Aristote; la réunion de ces commentaires forme une sorte de manuel de Philosophie qui a eu grande vogue; sous des titres divers, il a été imprimé un très grand nombre de fois; sept éditions sont antérieures à l'an i5oo, et on en donnait encore au xvn e siècle. Tataret se déclare scotiste

;

mais, né à Paris,

il

fait

aux doctrines

parisiennes de fréquents emprunts.

Au se

huitième

meut? Tout

livre des Physiques, Tataret se

aussitôt,

il

écrit ceci

:

«

La

demande Si tout corps meut continuellement :

terre se

d'un mouvement local de descente. On le prouve Parce que le centre de gravité de la terre est continuellement hors du centre du Monde, la terre descend continuellement. La conséquence est évidente; en effet, :

comme, par

nature, le terre se

meut

vers le centre

du Monde,

tend à ce que de tous les côtés autour de ce centre,

y

il

ait

elle

une

donc qu'il n'en est pas ainsi, et s'il aucun empêchement, la terre se meut de telle sorte que son centre de gravité soit au centre du Monde et d'autre part, à l'égard d'un poids aussi considérable que l'est le poids de la terre, il ne peut y avoir d'empêchement naturel. Quant à la supposition faite, elle est

pesanteur égale;

lors

n'existe,

d'ailleurs,

;

évidente, car la partie découverte s'allège continuellement

;

le

centre

de gravité de la terre vient donc hors du centre du Monde supposons, en effet, qu'il y ait autour du centre une pesanteur égale de ;

tous côtés, puis qu'un certain poids soit ôté à l'une des moitiés

et

non

y aurait autour du centre une pesanteur inégale. car les rayons solaires allègent sans cesse les parties découvertes de la terre. On fera peut-être cette objection Bien qu'une partie de la terre devienne plus légère et l'autre plus lourde,

à l'autre;

alors,

il

L'antécédent va de

soi,

:

un si faible excès de pesanteur ne suffit pas à mouvoir la Nous répondrons que cet argument n'est pas concluant; i.

Léonard de Vinci

et les origines

delà Géologie,

§

terre entière.

\II, pp. 3/43-347.

ce n'est pas


NOTES

445

seulement le léger excès de pesanteur ainsi ajouté qui tend à mouvoir la terre, mais la terre entière qui tend à être logée de la sorte. On peut conclure de là que la terre entière ébranle les châteaux et les tours, mais la lenteur de ce mouvement nous empêche de le percevoir; c'est pourquoi beaucoup ont prétendu que la terre ne se mouvait pas. »

Cette théorie des petits fort

dit,

mal

accueillie

Alessandro Achillini nier

mouvements de le

principe

nous l'avons nous avons vu

la terre a été,

des Averroïstes italiens

même

;

sur lequel elle repose, la

tendance du centre de gravité de la terre à se placer au centre du Monde; au texte que nous avons cité *, nous aurions pu joindre celui-ci «

2

:

Dire que la terre est au centre

côté quelconque on

du Monde de

que si d'un un certain poids, ce poids fera mouvoir changer de place, c'est un rêve purement telle sorte

lui ajoute

toute la terre ou l'obligera à

imaginaire; les parties sphériques

superposées de

la terre

qui ont

pour centre le centre du Monde ont une résistance tellement grande que tous les dieux, unissant leurs efforts, ne pourraient ébranler la terre; Aristote l'a dit, et aussi Averroès, au cinquième chapitre du traité De substantia orbis; par dieux, il faut comprendre les intelligences qui meuvent les cieux. » Voir p. 35 1. Alexandri Achillini Bononiensis De distributionibus ac de proportione motuum. Bononie, per Benedictum Hectoris, 1/49^. Cet écrit n'a pas été compris dans la réimpression des Opéra d' Achillini donnée à Venise, sans nom d'éditeur; mais il se trouve dans les éditions données à Venise, par Hieronymus Scotus, en i545, i55i, i558. En l'édition de i5/j5, où nous l'avons consulté, il porte ce titre: Alexandri Achillini Bononiensis De proportionibus motuum quaestio. Le texte cité est au fol. Lg3, col. d. Nous savons que Léonard de Vinci a eu en mains cet écrit d'Achillini, que Fazio Gardano lui avait prêté. (Léonard de Vinci, Cardan et Bernard Palissy. Études sur Léonard de Vinci, première série, p. 227.) i.

2.


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

Z,Z|6

J.

En

la

QUELQUES TEXTES D'HENRI DE GAND

Philosophie péripatéticienne, deux propositions, assez dispa-

au premier abord, sont intimement liées l'une à l'autre; ce sont ces deux propositions Il ne peut pas exister de grandeur infinie; 11 ne peut pas exister plusieurs mondes. L'une et l'autre, en effet, s'identifient, pour ainsi dire, avec cette troisième affirmation Une matière première finie et déterminée existe de toute éternité; aucune puissance, ni en la Nature ni en Dieu, ne rates

:

:

une nouvelle matière. Le principe duquel nos deux propositions tirent immédiatement

peut, d'aucune façon, ajouter à cette matière

leur raison d'être, est, en toute la Philosophie péripatéticienne,

qui s'oppose lique,

le

plus radicalement à l'enseignement du

puisqu'il refuse à

Dieu

les

titres

de Créateur

dogme et

celui

catho-

de Tout-

Puissant.

Niant

le

principe,

la

doctrine de l'Église catholique devait être

forcément amenée à rejeter

conséquences qui en résultaient si simplement; la Scolaslique chrétienne devait être conduite à formuler les deux affirmations opposées à ces conséquences les

:

La grandeur infinie peut exister, au moins en puissance; L'existence de plusieurs mondes n'est pas contradictoire. Ces deux affirmations, d'ailleurs, ouvraient comme deux larges brèches dans le rempart, si solidement construit, de la Physique aristotélicienne; elles ne ruinaient pas seulement, et en deux points d'extrême importance, l'autorité du Stagirite et de son Commentateur; en outre, un large passage à des spéculations nouvelles, qui, brisant les barrières élevées par la Philosophie antique, allaient travailler en toute liberté à l'édification de la Science moderne. elles livraient,

Le coup de bélier décisif, celui qui fit crouler tout un pan de la muraille élevée par le Stagirite, fut, nous l'avons dit, porté en 1277, par les docteurs en Sorbonne réunis sous la présidence d'Etienne Tempier, évêque de Paris. Tout aussitôt après ce vigoureux coup de sape, Richard de Middleton entrait résolument dans la place; il admettait l'existence potentielle de

grandeur infinie; il enseignait que Dieu peut créer plusieurs mondes et qu'il peut produire le vide; il n'hésitait pas, en un mot, à attaquer de front les doctrines fondamentales de la Physique d'Aristote. Bientôt, Jean de Bassols, Guillaume d'Ockam, Walter Burley

la

allaient le suivre, bouleversant la tradition péripatéticienne et faisant

place nette à une Physique nouvelle.


.

NOTES

De

ces condamnations,

[\t\~j

portées en

révolution de l'esprit Immain, une

si

et

1277,

qui exercèrent,

sur

prodigieuse influence, quels

Tempier les a confirmées de son autorité épiscopale en les signant de son nom. Mais il avait convoqué, pour s'éclairer, les docteurs en Théologie et « autres prud'hommes » en ces conseils, bien des avis furent émis, dont les diverses condamnations formulées ont été les conséquences; en cette œuvre collective, quelle fut la part de chacun? Quels furent, en particulier, les inspirateurs de ces articles où ceux qui refusaient à Dieu le pouvoir de créer plusieurs mondes étaient condamnés, où la possibilité du vide était insinuée? On ne saurait, évidemment, répondre à cette dernière question d'une manière catégorique et pleinement satisfaisante; du turent les artisans? Etienne

;

moins, peut-on souhaiter quelque indication vraisemblable. Au moment où l'imprimeur allait mettre sous presse la dernière feuille de cet ouvrage, un passage de saint Denys le Chartreux 1

nous a suggéré une

nom

telle

indication et a attiré notre

attention sur le

d'Henri de Garni.

né à Gand à une date chanoine de Tournai en 1267, archidiacre de Bruges en 1276, il joua, à partir de cette époque, un grand rôle à l'Université de Paris; reçu docteur en Sorbonne en 1277, Henri

Goethals (Henricus

inconnue

2

,

mourut en

il

Par sa

1293.

Somme

Doctor Solemnis de

Bonicollas),

revêtit le froc des Servites;

théologique a exercé

une

et,

plus encore, par ses Quodlibela,

très

grande influence sur l'enseignement

Philosophie scolastique, particulièrement à

la

la fin

du xm siècle commenté ses e

au début du xiv siècle. Richard de Middleton a Qaodlibeta; Jean de Duns Scot et Jean de Bassols en citent 8

et

discutent

fréquemment

Le Docteur Solennel

comme

en

et

les affirmations. a,

sans doute, été au

qui ont conseillé Etienne Tempier;

vraisemblance,

le

nombre des

théologiens

permis de le désigner, avec l'inspirateur ou, tout au moins, comme l'un il

est

des inspirateurs des décisions qui nous intéressent.

I.

Les opinions d'Henri de Gand touchant

la pluralité

des mondes et la possibilité du vide.

En un de 1

ses Quodlibeta, en effet,

Henri de Gand aborde

la

question

Divi Dionysii Carthusiani In Sententiarum librum I Commentarii Locupletissimi

In quibus de Sanctissima et Individua Trinitate, copiosissime, et Christianissime disseritur. Post omnes editiones accuratissime recogniti. Venetiis, Sub signo Angeli Raphaelis.

MDLXXXIIII. Dist. XL1I, quaest. III, 2. Voir: De Wulf, Histoire de la

foll.

principauté de Liège, Louvain et Paris, 2°

éd.,

Louvain

6o/,-6o5.

Philosophie scolastique dans 1895.

et Paris, igo5, pp. 389-390.

— Histoire

les

Pays-Bas

et

la

de la Philosophie médiévale,


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

/^8 suivante

pas

«

:

Dieu peut- il, hors du

«

Ciel, créer

un corps qui ne touche

le Ciel? »

Docteur Solennel, « peut fort bien, hors du ciel ultime, créer un corps ou un autre monde, de même qu'il a créé la terre en la région interne du monde ou du ciel, de même encore qu'il «

Dieu,

a créé le

»

répond

le

monde lui-même

et le ciel ultime. »

Mais où ce corps nouveau, ce Existe-t-il, hors

du

ciel

comme

monde nouveau

créés?

seront-ils

un espace vide de

ultime,

tout corps, des

Cléomède ou Jean Philopon? Faut -il dire que le nouveau corps ou le nouveau monde est créé dans ce vide ou dans cet espace? Pour s'exprimer en ces termes, Henri de Gand tient encore trop à l'enseignement du Stagirite; selon cet enseignement, en effet, il n'y a, hors du monde, dimensions séparées,

l'enseignaient, par exemple,

ni lieu, ni vide.

Ce corps ou ce monde que Dieu pourrait produire hors du Ciel, « il ne le produirait pas en quelque chose, mais dans le néant (in nihiloj. Il ne faut pas entendre ces mots dans un sens matériel comme si le néant était quelque chose. 11 faut entendre que ce corps succède au néant, parce qu'il est créé cela ne veut pas dire qu'alors espace (dimensio

s eparata) et

où, auparavant,

y avait

il

néant;

le

y eût là quelque chose comme un pur qu'en ce quelque chose, fût le néant;

il

comme

quelque chose où les dimensions du corps pussent être reçues après en avoir chassé le néant qui, auparavant, existait en ce quelque chose. Il faut comprendre la proposition tout il n'y a pas là quelque entière au sens négatif, comme si l'on disait chose, en prétendant nier à la fois et l'existence d'un lieu (ubitas) et l'existence de quelque chose (aliqaitas). C'est en un sens analogue que nous disons ce corps ou ce monde a été fait de rien. » Dieu peut donc, au delà du ciel ultime, créer un corps nouveau ou

qu'il y eût là

:

:

un monde nouveau. qu'il ne touche pas

Peut-il créer ce corps

le ciel?

Roger Bacon

péripatéticienne l'eussent nié. Entre ces et ce corps,

aucun autre corps ne

ou ce monde de

et,

avec

lui,

telle sorte

toute la Physique

deux mondes, entre ce monde

se trouve;

il

n'y a donc, entre eux,

deux corps est un attribut des corps qui sont interposés à ces deux premiers; l'existence d'une distance entre deux mondes, alors qu'il n'y a pas de corps entre eux, équivaut à l'existence d'un espace vide entre ces mondes aux yeux du Péripatéticien, ces deux existences seraient affirmées par une même aucune distance, car la distance entre

;

proposition, et cette proposition implique contradiction. Socii Sori. Quodlibeta Magistri Henrici Goethals a Gandavo doctoris Solemnis bonici et archidiaconi Tornacensis, cum duplici tabella. Vœnundantur ab Jodoco In chalBadio Ascensio, sub gratia et privilégie» ad finem explicandis. Colophon ab undecimo Kalcndas Septemb. Anno domini chographia lodoci Badii Ascensii Quodlibetum XIII, quaest. III Utrum Deus possit facere corpus aliquod MDWIII extra caelum quod non tangat caelum; fol. cccccxiv, verso. :

:

:

:


NOTES

4^9

même

au jugement d'Henri de Gand, qui introduit « Je prétends, dit -il, que deux corps peuvent être distants l'un de l'autre de deux manières distinctes. » D'une première manière, ils peuvent être distants à proprement, parler (per se); c'est ce qui a lieu lorsqu'il existe entre eux une distance réalisée (positiva) à l'aide d'une dimension d'un corps n'en est pas de

Il

une

ici

distinction

subtile

:

interposé.

D'une seconde manière,

peuvent être distants par accident (per accidens). Dans ce cas, il n'existe entre eux aucune distance réalisée (positiva); mais à côté d'eux ou hors d'eux, il existe un objet en »

lequel se trouve réalisée

une

ils

certaine dimension,

et cette dimension permet de reconnaître la distance des deux corps. » Supposons, par exemple, qu'entre deux corps se trouve le vide, et que ces deux corps touchent l'un le bas et l'autre le haut d'un mur de trois pieds on dira alors que trois pieds est la distance entre le corps qui est au-dessus du vide et le corps qui est au-dessous. » S'il n'existe donc rien entre deux corps, mais si un corps d'une certaine dimension est apte à être reçu entre les deux premiers, on jugera que- l'intervalle entre ces deux corps a précisément cette même dimension, mais qu'il par accident. » Par là, le Docteur Solennel précise en quel sens il est permis d'attribuer l'existence au vide. « Le vide n'est pas autre chose que la dimension ou la distance entre deux corps » entre lesquels il n'existe aucun autre corps « distance qui, comme nous l'avons dit, existe seulement par accident, soit parce qu'une certaine dimension se trouve réalisée (positiva) tout contre ces deux corps, soit parce qu'une certaine dimension réelle (positiva) est susceptible d'être placée entre ces deux corps ou à leur contact. » Le vide lui-même n'a donc pas d'autre existence qu'une existence par accident, en ce que les corps entre lesquels il existe sont disposés de telle sorte qu'une certaine dimension d'un certain corps soit susceptible de se placer entre les premiers corps. » Selon l'exemple qu'Henri de Gand emploie en une autre question imaginons que Dieu anéantisse tous les éléments qui se trouvent compris entre la terre et l'orbite de la Lune, sans rien changer à la grandeur et à la situation de ces deux derniers corps. Entre ces deux corps, le vide existera, mais il existera seulement par accident, cette existence purement accidentelle consistera en ceci que Dieu pourrait rendre l'existence aux éléments détruits, et que cette eau, cet air, ce feu, trouveraient place entre la terre et l'orbe de la Lune. L'épaisseur ;

W

;

«.,

XV, quaest. I; Utrum Deus quod vacuum esset; éd. cit., fol. ccccclxxv, verso. En cette question, la doctrine d'Henri de Gand est exposée avec moins de développement, et aussi avec moins de profondeur, qu'en celle dont nous avons donné l'analyse. i.

Henrici Goethals a Gandavo Quodlibeta; Quodlib.

possit facere

P.

DUHEM.

3Q


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

450 de

la

couche sphérique que formeraient

éléments susceptibles

les trois

de se loger entre l'élément terrestre et l'orbite lunaire serait la distance

par accident entre

ces

Le Docteur Solennel

deux derniers corps.

Ciel, dit- il, le

de distinguer

s'eflbrce

vient d'être défini, et le

même

vide n'existe pas,

du

Ciel,

«

un

reçu en

comme

entre le vide,

par accident;

n'y a pas de distance par accident, car tible d'être

>

n'existe

il

certain vide intermédiaire.

le voulait le

en

« là,

effet,

il

aucun corps suscep» Il n'y a donc hors

Philosophe, ni plein, ni vide.

Après qu'un nouveau corps ou qu'un autre

monde

aurait été créé

par Dieu, hors du dernier ciel et sans contact avec ce

monde

tel qu'il

néant qui existe hors du Monde. Hors du

ciel,

entre ce

nous aurions à déclarer que le vide existe; et ce vide aurait une dimension bien déterminée, à savoir celle du corps qui pourrait être reçu entre le ciel extrême et le corps nouvellement créé mais ailleurs qu'entre ce ciel et ce corps, nous ne pourrions dire qu'il y a le vide de même qu'à présent, au delà du ciel ultime, nous ne pouvons dire ni qu'il y ait le plein, ni qu'il y ait le vide, mais seulement qu'il y a le pur néant » Si donc Dieu créait, maintenant, hors du ciel, un corps qui ne touchât pas le ciel, ce corps ne serait créé ni dans le plein, ni dans le vide, mais dans le pur néant; et du côté qui ne regarde pas le ciel, ce corps continuerait de subsister dans le pur néant, ce mot néant étant pris comme une pure négation de même, le ciel a été créé dans le pur néant et le pur néant était autrefois là où ce corps se trouve maintenant; et tout cela doit être compris au sens purement négatif, de la manière que nous avons exposée. » Ce corps nouvellement créé par Dieu confinerait donc, d'un côté, corps ou ce

et le ciel ultime,

;

;

;

;

au vide

et,

de

l'autre,

au néant. De

même,

« si

les

éléments qui se

trouvent contenus par le Ciel étaient anéantis, nous devrions admettre

que le vide existe en la concavité du Ciel mais nous ne devrions en aucune façon le supposer hors du ciel là, il n'y aurait que le pur ;

;

néant.

»

Les corollaires

mêmes

qu'Henri de Gand déduit

si

clairement de sa

condamnation de cette théorie. Ce corps, créé hors du ciel ultime, est dans le vide du côté qui regarde le ciel suprême et dans le néant de l'autre côté; comment marquera-t-on, à la surface théorie sont la

de ce corps,

la frontière entre l'aire

ne touche que

le

L'effort tenté

par Henri de

hors

et

l'aire

qui

néant?

Gand pour

do créer un corps hors du Monde, qu'il n'y a,

qui confine au vide

du Monde,

et

attribuer à Dieu le pouvoir

pour accorder au Philosophe

ni plein ni vide, était d'avance

condamné

à l'insuccès; la première affirmation entraînait la ruine de la seconde.

i.

Henrici Goothals a

Gandavo Quodlibeta : Quodlib. MIT. quaesl

III.


NOTES

45

I

Ton veut que le Créateur puisse, au delà des bornes de l'Univers, produire un nouveau corps ou un nouveau monde, on est naturellement conduit à admettre que le vide existe au delà du ciel ultime; c'est ce qu'ont fort bien vu Walter Burley et Robert Holkot. Si

L'opinion d'Henri de

II.

Gand touchant

l'infini.

En admettant que Dieu peut créer plusieurs mondes, en attribuant au vide une possibilité, au moins per accidens, le Docteur Solennel rompait avec la Physique péripatéticienne beaucoup plus complètement que n'avaient osé le faire, avant lui, les plus illustres docteurs de la Scolastique, les Albert le Grand, les Bonaventure, les Thomas d'Aquin; il rompait avec cette Physique exactement comme le faisaient, au

même moment,

les décisions portées

par Etienne Tempier

il

;

s'effor-

de garder de renseignement du Stagirite tout ce qu'il en pouvait sauver sans restreindre la toute-puissance de Dieu.

çait, toutefois,

Henri de Gand a été beaucoup moins audacieux lorsqu'il s'est Dieu peut- il produire une proposé de répondre à cette question grandeur infinie? Comme saint Bonaventure comme saint Thomas d'Aquin, il a dénié à Dieu le pouvoir de produire une grandeur infinie :

1

,

en

soit il

en puissance;

acte, soit

comme

a regardé l'existence actuelle

comme une

ou

eux, en

effet,

et

potentielle d'une

avec Aristote,

grandeur

telle

contradiction.

Pour bien comprendre l'argumentation que le Docteur Solennel développe en cette circonstance, il nous faut remonter jusqu'à une pensée émise par Aristote au sujet de l'infini. Aristote cherche en quel ordre de causes l'infini doit être rangé a L'infini, dit-il

2 ,

est

une cause de

l'essence de l'infini est la privation.

même

espèce que

la

:

matière, car

»

Cette courte indication a vivement attiré l'attention d'Averroès qui ainsi

l'a

commentée 3

a II est

est

:

manifeste que

comme

regardé

la

cause,

matière est il

la

cause de

sera cause en tant

l'infini;

que matière

si ;

l'infini

l'essence

de l'infini, en effet, c'est la privation de toute fin, et la matière est la cause de toute privation. » « L'essence de l'infini, dit encore Averroès 4, est d'être seulement en puissance, et, par là, elle est semblable à l'essence de la matière, et

non pas 1.

dist. 2. 3.

à l'essence de la

;

.

;

effet,

l'essence de la matière et de

D. Bonaventurae, Doctoris Seraphici, Scriptum in IV libros Sententiarum, lib. J, XLIII, quaest. III. Aristote, <ï>v<7cxyi; àxpoâ«7£w; to F, ç (PJiysicae auscultationis, lib. III, cap. VI). Aristotelis De physico aaditu libri octo cnm Averrois Gordubensis variis in eosdem

commentar iis, 4

forme en

lib. III,

Averroès, Op.

comm, 72. comm. 5g.

cit.,


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

452

en

l'infini consiste la

la

puissance, tandis que l'essence de

limitation consiste en l'acte. Le fini est

matière.

et l'infini à la

forme et de donc semblable à la forme la

»

Ces pensées ont évidemment inspiré saint Thomas d'Aquin en que Dieu n'a pu l'argumentation par laquelle il prétend prouver >

créer une grandeur actuellement infinie. Aucune créature, dit-il, ne peut être infinie quant à son essence; ce point accordé, il y a lieu de rechercher si une créature est ou peut être infinie en grandeur. » Or, il faut observer que le corps, qui est la grandeur parfaite, peut être pris de deux manières. On peut le considérer du point de vue mathématique et ne porter son attention que sur la seule grandeur de ce corps. On peut aussi le considérer du point de vue physique ou naturel, en le regardant comme un composé de matière et de forme. » Que le corps naturel ne puisse être de grandeur infinie, cela résulte de ce que la forme substantielle de ce corps exige une certaine quantité comprise entre un maximum et un minimum déterminés « A la grandeur de tout être naturel, le Philosophe dit, en effet » convient une certaine mesure et une certaine raison. » » Une raison semblable s'oppose à ce que le corps mathématique ((

;

:

soit

infiniment grand.

Un

tel

corps, en

effet,

ne peut exister que sous volume, c'est sa figure.

forme d'un une certaine forme. Or Il faut donc que ce volume ait une certaine figure et, partant, qu'il soit fini; car une figure est précisément ce qui est enclos par un certain terme ou par de certains termes. » L'assimilation de l'infini à la matière, du fini à la forme dirige de plus près encore l'argumentation qu'Henri de Gand oppose à l'imposla

de

sibilité

regarder

la

grandeur

comme

tel

infinie;

argumentation

en grandeur, mais encore l'infini non seulement l'infini actuel, mais encore

;

le

l'infini potentiel.

En une de ses discussions quodlibétales, le Docteur amené à répondre à la question que voici 2 « Faut-il :

Dieu, une certaine infinité d'idées ou de notions?

»

et

tures,

unes

Solennel est

admettre, en

L'examen de

question en soulève une autre, qui est ainsi formulée

sence

conduit à

non seulement en quelque perfection que ce

l'infini

soit

cette

contradictoire, dans l'univers créé,

:

«

Selon

cette l'es-

nature des créatures, doit -on supposer que des créa-

la

en imitant

les autres,

de

la

divine perfection, se puissent se surpasser les

telle sorte

que leur degré de perfection croisse à

l'infini? »

Ce progrès par lequel i.

D.

le

degré d'une certaine perfection croît en

Thomae ab Aquino Sutnma

theologica, pars

I,

quaest. VII, ad.

I.

Ut ru m Gandavo Quodlibeta; Quodlib. V, quaest. III poncre aliquam inflnitatem idearum vel cognitorum; éd. cit., fol. ci 2.

llcnrici

fol. ci. vi,

a

recto.

:

in v.

Dec

sil

verso

et


453

NOTES intensité, par lequel cette perfection imite

de mieux en mieux

la per-

par addition d'une

fection divine, Henri de Gand admet forme nouvelle à la forme préexistante. Ce progrès uper additionem ad formant » est celui qu'admettront Guillaume d'Ockam et les Nominalistes parisiens; saint Thomas d'Aquin a rejeté cette opinion et Walter Burley soutiendra que tout progrès en perfection se fait par destruction d'une forme moins parfaite et substitution d'une forme plus parfaite. Selon la manière de voir d'Henri de Gand, le progrès d'une perfection est assimilable de tout point à l'accroissement d'une qu'il se fait

grandeur.

n'y

« Il

comme

a,

aucune différence à ce

l'on voit,

entre la grandeur d'un corps et le degré d'une perfection.

sujet

»

une question plus générale « Si ce perfectionnement d'une forme, dont nous avons parlé, pouvait procéder à l'infini, il en résulterait que tout accroissement par La question posée

se

ramène

alors à

:

addition, considéré absolute et simpliciter, pourrait procéder à l'in-

En

fini. »

pourrait procéder à

volume

à

un

autre

volume

l'infini.

ramené à un autre problème qu'Aristote résolu, et notre auteur admet pleinement la solution du Philosophe. Il admet que le corps infini ne saurait exister d'une manière Le problème posé

a

l'addition d'un

particulier,

est ainsi

actuelle. Il

admet que

autres ne peut procéder à l'infini infinie

même

de

permanentes les unes aux n'existe, en acte, une grandeur

l'addition de grandeurs s'il

espèce.

son argumentation en ces termes « Si l'accroissement d'une forme pouvait se poursuivre à l'infini, il faudrait accorder que l'existence du corps infini [en acte] Il

est

ainsi

amené

à résumer

toute

:

est possible. »

L'argumentation d'Henri de Gand repose tout entière, comme celle La possibilité de procéder à l'infini par d'Aristote, sur cet axiome voie d'addition suppose l'existence de l'infiniment grand actuel. :

Docteur Solennel, comme le Philosophe, admet que la division d'une grandeur peut être poussée à l'infini; il nie cependant l'existence et la possibilité actuelle de l'infiniment petit. Pourquoi D'autre part,

cette

le

opposition entre l'addition indéfinie et

Notre auteur va nous

le dire

la

division indéfinie?

:

uLe Commentateur enseigne que

puissance est l'essence de la forme et le fini sont en acte.

la

au contraire, la Le fini est donc semblable à la forme et l'infini à la matière. Voilà pourquoi si nous admettions que la grandeur peut croître indéfiniment, l'existence de l'infini actuel en résulterait. Lorsqu'au contraire nous admettons que la division peut être poussée à l'infini, il n'en résulte aucune impossibilité, et voici quelle en est la cause Toute matière

et

de

l'infini;

:

diminution d'une chose

réelle

va vers

le

néant, et la cause de ce néant


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

454

au contraire, toute addition va vers

est la matière;

cause de

est la

comme

le fini

l'être

par

la

De l'enseignement sitions

comme

infinie

en

purement

téticienne!

existe entièrement par la matière

Henri de Gand a gardé

il

le

Stagirite,

les

nie l'existence

il

propode la

prétend en conclure l'impossibilité de

comme

potentielle. Mais

il

délaisse,

la

en son

raison profonde et essentielle de la doctrine péripa-

la

Dans

infinie,

acte, et

forme

et la

»

d'Aristote,

infinie

argumentation,

deur

l'infini

forme.

essentielles;

grandeur grandeur

or,

;

l'être,

la

pensée du philosophe, l'impossibilité de

tant en acte qu'en puissance,

cette doctrine essentielle

:

il

la

gran-

découle entièrement de

de toute éternité, une certaine

existe,

quantité limitée de matière première, quantité qu'aucun acte créateur ne saurait accroître. C'est là, et non pas en l'analogie de la limitation

avec

la

forme, que git

la

raison

du disparate entre l'addition à l'infini que cette raison disparaissait, dès là

Dès là que le Christianisme reconnaissait à Dieu le pouvoir de créer de rien une nouvelle matière, toute la doctrine péripatéticienne au sujet de l'infiniment grand était ruinée par la base. Henri de Gand ne l'a pas vu. 11 a enseigné que hors des bornes de ce monde, Dieu pouvait créer une nouvelle pierre ou un nouveau et la division à l'infini.

monde;

reconnu que cette proposition entraînait la possibilité de la grandeur infinie, au moins en puissance. Il a combattu cette possibilité, mais il a été des derniers à la combattreContre la grandeur infinie en acte, Richard de Middleton a continué à argumenter à peu près comme l'avaient fait saint Thomas d'Aquin et Henri de Gand mais il n'a pas hésité à admettre l'infiniment grand n'a pas

il

;

en puissance.

Sans paraître se prononcer formellement en cette grave question de

l'infini,

acte,

Jean de Duns Scot a apporté

un argument de

1 ,

en faveur de

poids, qui est celui-ci

:

l'infini

L'impossibilité,

en

pour

notre esprit, de concevoir autre chose que l'infini en puissance n'en-

de l'infini en acte. En partiDocteur Subtil semble admettre qu'une heure contient une

traîne pas nécessairement l'impossibilité culier, le

infinité actuelle d'instants, bien

qu'une

que notre

esprit n'y puisse concevoir

de parties indéfiniment décroissantes. dit quelques mots de ces arguments, si fréquem-

infinité potentielle

Duns Scot a ment employés

:

Si l'infini existait,

la partie

serait égale

au tout,

arguments purement sophistiques. Il a formulé également cette remarque que Jean de Bassols a traitée avec dédain, mais que Grégoire de Himini a profondément creusée « Les mots égal, plus grand, plus petit, ne sauraient convenir au volume, à moins qu'il ne soit fini.

et autres

semblables;

il

a observé

que plusieurs de

ces

étaient

:

i. Joannis Duns Scoti quœst. III Utrura possibilc :

in secundum libriun Sententiarum, Disl. Dcuin proilucerc aliquid aliud a Be sin« principio.

Scriptum sit

1.


455

NOTES

ne puisse appliquer à la quantité les mots égal et inégal, il faut la diviser en quantité finie et quantité infinie la raison de la quantité plus grande consiste dans le fait d'excéder, la raison de l'égalité dans le fait d'avoir même mesure (commenAvant, en

effet,

que

l'on

;

choses qui semblent impliquer qu'il s'agit d'une on doit donc nier qu'un infini puisse être égal à un plus et moins désignent des différences entre quantités

surari),

toutes

grandeur

finie;

autre infini finies et

;

non entre quantités

infinies. »

Duns

Par ces diverses remarques,

conduisait à admettre l'existence de

Jean de Bassols a été plus loin

que

d'Aquin

certaine figure,

tout il

a

;

Scot aplanissait la voie qui

l'infini actuel.

Thomas

en refusant d'accorder à

corps dût être nécessairement borné par une

pu accorder

la possibilité

même

à la grandeur

actuellement infinie.

«La Géométrie

a écrit Léonard de Vinci

est infinie,

l ,

parce que

toute quantité continue est divisible à l'infini dans l'un et l'autre

La quantité continue croît à

sens

Et plus tard, Pascal a dit

a

:

« 11

l'infini

et

diminue à

y a des propriétés

l'infini.»

communes

à toutes

ces choses, dont la connaissance ouvre l'esprit aux plus grandes merveilles

de

la

nature. La principale

rencontrent dans toutes

:

comprend

les

deux

infinités

qui se

l'une de grandeur, l'autre de petitesse.

»

La Philosophie des chrétiens occidentaux a, dès l'origine, admis » mais il lui a fallu de longs efforts pour se dégager de la contrainte du Péripatétisme.qui lui déniait le droit de contempler « l'infinité de grandeur ». Nous venons de reconnaître, en l'histoire de cette Philosophie, l'instant précis où la pensée catholique a rompu cette entrave imposée par Aristote; l'enseignement d'Henri de Gand précède immédiatement cet instant; celui de Richard de 1« infinité de petitesse

Middleton 1.

Voir

2.

Pascal,

le suit

de

;

très près.

p. 5o.

De C esprit géométrique,

I.



ERRATA

Première série,

p.

Stagirite, Adraste vécut,

60,

lignes 6-7,

au

de: élève immédiat

lieu

pense-t-on, de 36o à 317 avant J.-C,

lire

:

Adraste

d'Aphrodisie, qu'il ne faut pas confondre avec le disciple immédiat Stagirite, vécut à

une époque mal connue, mais postérieure à

du du

celle d'Hip-

parque.

Seconde série, Page

6,

p. 5, ligne i3,

ligne 11 à partir

Page 36i, ligne

11,

au

du

lieu

au

lieu de

bas,

de

:

au

:

lieu

Tupay^aTOO, lire: Tzpdyiwzoq.

de: tou,

Messine, lire

:

lire

Naples.

:

xoD.



.

TABLE DES AUTEURS CITÉS

EN LA PREMIÈRE SÉRIE ET EN LA SECONDE SÉRIE

Achillim (Alessandro), première

série,

pp. 227, 228.

Seconde

série,

pp. 2o5, 206, 3o5, 332, 35a, 35i, 356, 445.

Adlung, première série, p. (3. Adraste d'Aphrodisie, première série, pp. 58, 60-62, 65, 68-70. Seconde série, p. 96, 457. /Egidius Colonna ou Romanus, voir Gilles de Rome. Albert de Bollstaedt, dit A. le Grand, première série, pp. 21, 72, 110, Seconde série, pp. 68-71, 83, 171, 175, 191, 192, 195, 217, i[\l\, 253, 334.

:

90, 191, 192, 2^7, 25i, 254, 283, 3o2 -3o4, 3o6, 307,

333, 34o, 342, 45

309-324, 327, 33o, 332,

1

Albert de Helmstaedt, dit Albert de Saxe ou Albertutius, première pp. 1-50,63-73,75-77, 79, 101, m, n5, 123, 129, i3o, i32, i34,

série,

137, i38, 159, 161, 162, 167, 178, i85. 225, 236, 241, 242, 253, 260, 261, 267,

Seconde série, pp. 8, 26-32, 34, 36, 37, 42-47, 49, 52, 78-82, 87-91, 94-96, 126, 181, 194-196, 198-201, 2o3, 204, 207, 208, 210-216, 222, 23i, 235, 249, a5i, 254, 259, 260, 268, 269, 283, 327-332, 334-34o, 342, 343, 345, 347, 35o, 35i, 353, 354, 366, 367, 372, 38o-385, 38g, 395, 396, 4o3, 4o4, 4o6, 407, 430, 428, 442268, 270, 274, 280, 288, 3o8, 3io, 3ig-338, 34i-345.

9, i5, 22,

444.

faussement A. de Ruckmersdorff ou A. de série, pp. 6, 3a7-33i. Seconde série, Alberti (Léon Battista), première série, pp. 20, 21.

Albert de Ricmerstorp,

dit

Saxe, première

pp. 240, 243, 244, 323, 324. Albertutius, voir Albert de Helmstaedt. :

Al Bitrogi (Alpetragius), seconde Alexandre d'Aphrodisie, première

série,

pp. 191, 443. pp. 22, 110.

Seconde

série,

Almagià (Roberto), seconde série, p. 367. Alveredo, seconde série, pp. 3o4, 307. Anaxagore, seconde série, pp. 11 5, 147, '49, 3 16. Anaximandre, seconde série, pp. 289, 291, 292, 294. Anselme (Saint), seconde série, pp. 259, 260. Apian (Peter Bienewttz, dit), première série, p. 263.

Seconde

série,

série,

p. 289.

Al Gazali, seconde

série, p. 379.

p. 362.

Arago (François), première

série, p. 245.


ETUDES SUR LEONARD DE VlSCt

46o

Archimède, première série, pp. Seconde série, p. 407. Aristote, première série, pp. 8,

3i5.

62,

109-m,

89, 92, 100, 101, io3, io5,

261-263, 274, 297, 3i4,

214,

100,

9, 19, 22, 4o,

128, 129,

46, 58-66, 68, 76, 80, 84,

i32,

i35,

170,

178-180, i83,

195, 196, 200, 268, 271, 272, 274, 275, 278, 280, 289-291, 295-299, 3oi, 3o2,

3o4, 3i2, 3i3.

392, 395, 4io,

4n,

Seconde série, pp. 4-7, 10, 17, 18, 24, 37-40, 46, 48-5o, 59-67, 70-73, 75, 76, 78, 79, 82, 83, 92, 93, 95, i36, i37, i43, i55, 166, 188, 189, 193, 194, 197, 198, 205-207, 23o, 233, 247-249» 25i, 254, 262, 278, 284, 288- 292, 294, 3o4, 3i3, 317, 33i, 332, 347, 355, 368, 370, 373- 377, 38i, 385, 4i6, 429, 442, 45o-455.

Aristote (Pseudo), auteur du traité De démentis, première série, p. 46. Seconde série, pp. 3oo-3o2, 3o6, 3o8-3io, 3i3, 317, 319, 322, 332. Aristote (Pseudo-), auteur du traité De mineris, seconde série, pp. 3o2, 3o4-3o6, 309, 3i8, 319, 332. Aristote (Pseudo-), auteur de la Théologie, seconde série, pp. 125, 1291 46, 161, 164, 174, 176-179, 269-271, 278-279. Aschbach, première série, p. 338. Seconde série, p. 26. Augustin (Saint), seconde série, p. 436. Averroès le Commentateur (Ibn Roschd, dit), première série, pp. 6, 2^, Seconde série, pp. 10, i3, i4, 17-19, 24, 39, l\o, 65-68, 70, 71, 110, 178.

78, 79, 83, 90, 247, 25i,

254-256, 259, 3o4, 347, ^77, 420, 422, 429, 45i, 453.

Avicenne (Ibn Sinah, dit), première série, pp. 46, 48. Seconde pp. 302-309, 3n - 3i3, 3i6-322, 332, 333, 339, 34o, 379, 436, 437.

Bacon (Roger), première pp.

7, 8,

série,

Seconde série, série, pp. 171, 260, 2Ô3> 342. 19-21, 4i, 192, 3o4, 3o5, 307, 366, 368, 371, 373, 386, 4*o, 4n, 4i5,

429, 43o.

Bade

(Josse), seconde série, p. 402. Baldi (Bernardino), première série, pp. 89- 108, 116, 123, 127, 128, 137142, 1 44 - 1 47, i5o, i56, 208, 214, 219, 225, 253, 271, 289, 295, 346-349Baratta (Mario), première série, p. 227. Seconde série, pp. 239, 243,

244? 266, 323.

Bassols (Jean de), voir

:

Jean de Bassols.

Bède le Vénérable (Pseudo-), seconde Beltrami, seconde série, p. 76. Benedetti (Gianbattista), première

série,

série,

pp. 427, 428.

pp. 54, i35, 207, 208,210, 212,

2l3, 220, 225, 241.

Berti (Domenico), seconde

série, p. 102.

Biagio Pelacani, voir Pelacam (Biagio). Biondo, première série, p. 57. :

Bjornbô (Axel Antiion), première série, p. 112. Blaise de Parme, voir Pelacani (Biagio). Blancanus, première série, p. i4o. Boccace (Giovainni Boccacci), seconde série, p. 3a3. Boccaferri (Louis), seconde série, pp. 354-356. :

Boëce, seconde série, pp. 286, 429, 435. BoiNAYEiNTURE (Saint), seconde série, pp. 206, 436, 45i.


TABLE DES AUTEURS

46 I

Boncompagni (Le prince Baldassare), première

série,

pp.

4, 7, ai,

332,

333, 335, 346, 347.

Bradwardin (Thomas), seconde série, pp. Budé (Guillaume), seconde série, p. 286.

9, 10.

Bulaeus, voir Du Boulay. Buridan (Jean), première

série, pp. 5, 161, 336, 34i, 345. Seconde 379-385, 3g5, 3 9 6, 4o3, 4o4, 407, 4i9-4a3, 428,

série, pp. 45, 46, 48, 3 7 2,

43i-438.

Buridan (Pseudo), seconde série, pp. 438-44i. Burley ou Burleigh (Walter ou Gautier), première Seconde série, pp. i4, i5, 18, n4, i3o, i3i, i34, 342.

39, 42, 43, 45, 49? 52

>

I

92

»

série,

pp. 110, ni,

ai, 22, 24, 28, 38,

3 7 2 > 3 7^ 38o-382, 385, 398, 4o3, 4io,

4i4-4i6,

419, 421, 45i, 453.

G Galcagnini (Cœlio), première série, p. 253. Galvi (Girolamo), seconde série, p. 333. Campanus de Novare (Jean), première série, pp. 178, i85. Seconde série, pp. 248, 25 1, 254, $22. Canonio (Tractatus de), première série, pp. 262, 3io, 3i2, 3i3, 3i4.

Seconde

série, p. 365.

Cantor (Georg), seconde série, p. 392. Cantor (Moritz), première série, p. 226. Seconde série, p. 100. Gapuano de Manfredonia ou de Maria- Siponto (Giovanni Battista ou

Francesco), seconde

série,

pp. 25o, 35i-354.

Cardan (Girolamo Cardano), première

série,

pp.

3, 54,

57,117, 118, i34-

— Seconde série, p. 284. 228. — Seconde série, p. 445.

i38, i44, 208, 223, 224, 226-240, 243-253, 309.

Cardano (Fazio), première série, pp. 227, Carra de Vaux (Bernard), seconde série, pp. 129-

i3i.

Castelli (Le P. Benedetto), première série, pp. 215-219, Caverni (Raffaello), seconde série, pp. 254, 36 1 -363. Cecco d'â.scoli (Francesco Stabili, dit), seconde série, pp. 323, 324, 333. Cellini (Benvenuto), première série, pp. 57, 225. Chambray (Roland Fréart, sieur de), première série, p. 56.

Seconde série, p. 233. Charistion, première série, p. 262. Charles (Emile), seconde série, p. 3o4Charpentier (Jacques), seconde série, pp. i3o, i3i, i43. Seconde série, pp. Châtelain (Emile), première série, pp. i63, 319.

16,

38, 7 5.

Chevalier (Ulysse), première série, p. 6. Clemens, seconde série, p. 261. Cléomède, seconde série, p. 448. Colombe (Ludovico delle), première série, p. 2i5. Commandin, première série, D_p. 35, 80, 84, 91, 92, 121. Conimbres (Commentarii Collegii Conimbricencis, dits

les),

seconde

série, p. (\\.

Contarini (Gaspard), première série, p. i34. Copernic (Nicolas), première série, pp. 3, 5o, 203, pp. 83, 90, 202, 267-269.

Seconde

série,


ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI

/,02

Gouturat

(Louis), seconde série, p.

l\o!\.

Crescimbeni, première série, pp. 91, g3. Gurtius Trojanus, première série, pp. 187, 264, 275, 299, 3n. série, p. 362.

Curtze (Maximilian), première

série, p. 346.

— Seconde

— Seconde

série, p. 10.

D Dante Alighieri, seconde

De Launay, seconde

série, p. 323.

pp. 292, 298. (Victor), seconde série, p. 270. série,

Delbos Démoclès, seconde série, p. 297. Démocrite, seconde série, pp. 5, 7, 11, 16, 93. Denifle (Le P. Helnrich), première série, pp. i63, 319. pp.

— Seconde

série.

16, 38, 75.

Denys l'Aréopagite (Pseudo-), seconde série, pp. i5o, 271-279. Dents le Chartreux (Saint, de Rijckel), seconde série, p. 447Descartes (René), première série, pp. 53, 108, 109, 127, i/|o, i56, 172, 289. - Seconde série, pp. 86, ig3, 198.

142,

i45

De Wulf, seconde

série, pp. 16, 32, 35, 4o4. Dieterici, seconde série, p. i3i.

D10GÈNE d'Apollome, seconde série, pp. 289, 291, 292, 294. DoMiNis (de), première série, p. 172. Du Boulay (Bulaels), première série, pp. 5, i63, 164, 3i 9.

Seconde

série, p. 11.

Dullaert de Gand

(Jean), seconde série, pp. 33-35, 48, 4g, 53, 193, 194,

206, 21 4, 38o, 4o4, 442. Duns Scot (Jean de), voir

Jean de Duns Scot. seconde série, pp. 378, 379. 38i, 385. 4o3. Pourçain, Durand de SaintDu Val, seconde série, p. i3i.

E

Seconde série, p. 3o5. Échard, première série, p. 335. Ecrehart, seconde série, p. i58. Épicure, seconde série, p. 11. Ératosthène, seconde série, pp. 292, 293, 295. Seconde série, Euclide, première série, pp. 261, 262, 3i4. 66. série, Eudoxe, première pp. 58, 62, Euler (Leoinhardt), seconde série, p. 59.

p. 304.

F Fabry (Le P. Honoré), première

série, pp. 108,

147,

289.

Falckrnberg (Richahd), seconde

série,

pp. 99. io5.

i52,

i53,

i55,

1

56.


.

TVRLE DES AUTEURS

463

Ferrari, première série, p. i3G. Frvcastor (Girolamo), seconde série, p. 202. Fréart (Roland, sieur de Chambray), voir: Chambray.

G Gaétan de Tiène, première série,

série,

pp. 11 4, 11 5, i3i, i38, 161.

— Seconde

pp. 35, 53, 89, 204, 2o5, 214, 367, ^i5. 419.

Galilée (Galileo Galilei), première série, pp. 3, 53, 2i3-2i5, 219. Seconde série, pp. 233, 242, 268. Gassendi (Pierre Gassend, dit), seconde série, p. 242. Genezano (Paul de), première série, p. 333. Gérard d'Odon, seconde série, p. 10. Gilbert (Guillaume), seconde série, pp. 202, 268. Gilles de Rome (Jlgidius Golonna, dit JE. Romanus), première série, Seconde série, pp. 11 -16, 23, 24, 52, 192, 257, pp. 6, 110, 333, 336, 34a.

384.

première série, p. 225. Glossner, seconde série, p. io5. Graesse, première série, pp. 6, 7. Grazia (Vincenzio di), première série, p. 21 5. Grégoire de Rimini, seconde série, pp. 9, 48, 385 -^07, 454Grisogone de Zara (Frédéric), première série, p. 176. Grosse -Teste ou Greathead (Robert), évèque de Lincoln, seconde Ciiuntini (Frédéric), dit Junctinus,

série,

pp. 12, 402.

Guevara (Juan

première série, pp. io5, i4o. Guidobaldo dal Monte, première série, pp. 3, 81, 84, de),

92,

100,

io3, 214,

268, 270, 271

Guillaume Guillaume Guillaume Guillaume pp.

d'Auvergne, seconde série, pp. 4°8-4ii, 4 1 3 4i8. de Heytesbury (Hentisberus), seconde série, p. 34. de Moerbeka, seconde série, p. 443. d'Ockam, première série, pp. 337, 34 1, 342. Seconde ,

8, i5, 17, 20, 21,

série,

39-42, 45, 5o, 76-79, 85, SU, 91, 93, 126, 192, 193, 196,

257-259, 368-372, 374. 378, 38i, 384, 385, 3g3, 3g5, 399, \oS, 4o4, 4<4, 4i6420, 428, 438, 453.

H Hain, première série, p. 335.

— Seconde

série,

pp. 32, 102.

Hauréau (Barthélémy), seconde série, p. 32. Henri de Gand (Henri Goethals, dit), seconde série, pp. 446-455. Hentisberus, voir Guillaume de Heytesbury. Hermès Trismégiste, seconde série, pp. i5i, i53. :

Hérodote, seconde

série,

pp. 291, 292, 295.

Héron d'àlexasdrie, première 3oi, 3i2, 3i3, 3i5.

série,

— Seconde série, p.

Hiérothée (Saint), seconde série, pp. Hipparque, seconde série, p. 443.

Holkot (Robert), seconde

série,

pp.

200,

265,

289-291, 297-299,

233. 271, 272, 276.

pp. 10, 399-403, 417-419, 45i.


ETUDES SUR LEONARD DE VINCI

464

Houzeau, seconde série, p. 4i5. Hultsch, première série, p. 3i3. Huygens (Christian), première

série,

pp. 108, 147, i53-i56, 289.

Isolant (Isidoro), première série, pp. 332, 335

Jacoli, première série, p. 335.

Jean l'Évangéliste (Saint), seconde série, pp. i34, i45. Jean XXI, voir Petrus Hispanus. Jean de Bassols, seconde série, pp. 373-379, 385, 390, 392, 3q^. 3g5, 398, :

4o3, 4i6, 417, 4i8, 454, 455.

Jean de Duns Scot, première

p. 342.

série,

Seconde

série,

pp. 8-10,

i3, 17, 20, 21, 28, 42, 48, 257, 368, 369, 373, 374, 377, 382, 386, 43o, 454, 455.

Jean de Jandun, première

série,

pp.

110,

129,

i34-

Seconde

pp. i3, i4, 24-27, 78, 79, 83, 84, 87, 192, 258, 259, 421, 436. Jean de Sacro- Bosco, première série, pp. 63, 71, 72, 260.

série, p. 73.

série,

Seconde

Jean le Chanoine (Jean Marbres, dit), première série, pp. 343, 345. Seconde série, pp. 8, 10. Jean Philopon ou le Grammairien, seconde série, pp. 189-191. Jean Scot Ériugène, seconde série, pp. 424-428. Jordanus de Nemore, première série, pp. 3, 2i3, 225, 261-263, 270, 3o5, Seconde série, pp. 36i-363. 3n, 3i2, 3i4, 3i5. Jordanus de Nemore (Le Commentateur de), première série, pp. 263,

270.

K Kepler 202, 208-2I

(Jean), I,

première

série, p. 5o.

Seconde

série,

pp. 59, 83, 200-

223.

Lancaster, seconde série, p. 4i5. Lasswitz (Kurd), seconde série, p. 5. Le Blanc (Richard), première série, pp. 227, 236, 245. Lefèvre d'Étaples, seconde série, p. io3. Leontceni de Tomes (Nicolas), première série, pp. 100, 268. Leucippe, seconde série, pp. 5, 7, 11. Libri, première série, pp. 4i, 55. Seconde série, p. 363. Linconiensis, voir Grosse- Teste (Robert). Lokert (Georges), première série, pp. 4> 5? 160, 161, 319, 336. Lulle (Raymond), seconde série, pp. i48, 149. 4a4, 4a5, 427. Luther (Martin), première série, p. 253.

:


TABLE DES AUTEURS

4^5

M Majoris (Johannes), seconde série, pp. 9, 10, 33, 45, 47, 48, 53, 91-93, 4oo, 4o3-4o7, 4i5, 4i9Manget, seconde série, p. 3o5. Mansion (Paul), première série, p. 3 16. Marcolongo, seconde série, p. 36 1. Marliano (Giovanni), première série, pp. 20-22, 227, 228. Marsile d'Inghen (Jean), première série, pp. 260, 261, 333, 336, 342, Seconde série, pp. 8, 9, i5, 16, 3o, 3i, 35, 45-47, 53, 89, 126, 157, 345. 193, 195-197, 2o3, 206, 207, 2i3-2i5, 343-345, 347, 348, 35o, 4o5, 428,

442, 443.

Maurolycus, première Media Villa (Ricardus

Seconde série, p. 362. Richard de Middleton. Mélanchthon (Philippe), première série, p. 253.

Mély

(F. de),

seconde

Mersenne (Le

série, p. 35.

de), voir

série,

P. Marin),

:

pp. 3o2-3o6, 309, 3i8, 319, 34o.

première

série,

pp. 55, 83, 84,

108,

127,

i4o-

i43, i45-i49, i52-i56, 207, 2io-2i3, 220, 289, 309.

Middleton (Richard de), voir Richard de Middleton. Milhaud (G.), seconde série, p. 5. Moine de S* Gall (Le), seconde série, p. 428. Monanteuil (Henri de), dit Monantolius, première série, p. Mousnier (Pierre), première série, pp. 108, i52, i53, i55. Mùntz (Eugène), première série, pp. 1, 20, 54, 57, 68, 257. :

série,

i4o.

Seconde

pp. 176, i85, 34o.

N Narducci (Enrico), première série, pp. 98, 346, 347. (Isaac), seconde série, pp. 59, 83, 86. Nicéron (Le P.), première série, p. 91. Nicolas de Gués (Nicolas Krypfs, dit), première série, p. 253. Seconde série, pp. 96-129, 142-180, i85-i88, 194-202, 208-212, 219, 220, 222-224, 227, 23o, 23i, 237-244, 246, 25o, 25i, 260-265, 267-271, 424, 425,

Newton

427, 428, 43i, 436, 438-44i.

Nicolas d'Outricourt ou d'Autricourt

(N.

de Ultricuria), seconde

série, p. 11.

Nifo (Agostino), dit Niphus, première série,

série,

pp.

3,

334, 345.

Seconde

pp. 35, 36, 33o, 33i, 354, 38i.

O Ockam (Guillaume

d'), voir Guillaume d'Ocram. Olympiodore, seconde série, p. 299. Oresme (Nicole), première série, pp. 288, 338. Ovide, seconde série, pp. 298, 3i6, 317, 33i. P.

DUHKM.

.

:

3o


.

ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

h6C)

Pacioli di Borgo san Sepolcro (Luca), première série, pp. 56, 332, 333. Seconde Palissy (Bernard), première série, pp. 5o, 237, 245-253.

série, p. 284-

Pappus, première série, pp. 80, 102, io3, 121, 200, 265. Pascal (Blaise), première série, pp. 201, 2o5, 207, 210-21/}, 219, 220,

2 45

— Seconde série, p. 455.

Paul (Saint), seconde série, p. 272. Paul de Venise (Paul Nicoletti d'Udine,

seconde

dit),

série,

pp. 3i, 32,

34, 47) 91? 93, 325, 327, 333, 348-35o, 356, 408, 4i5. Peckham (Jean), première série, p. 228.

Pelacani (Biagio), dit Blaise de Parme, première série, pp. 3, 260, 269Seconde série, pp. 3i, 2i3, 364, 365. 271, 3io, 338. Pellechet (M lle ), première série, p. 336. Pererius (Benedictls), première série, p. i34. Petrus Hispanus (Pedro Juhani, puis Jean XXI), seconde série, pp. 21,

22, 7 5, 38o, 385, 387.

Philon le Juif, seconde série, p. i34. Philon le Juif (Pseudo-), auteur du ÏIspi Koqxou, seconde série, pp. 286, 289-291, 299, 3o8, 309, 3i3-3i5, 317, 328. Piccolomini (Alessandro), première série, pp. 100, 137, i38. Pierre d'Abano ou de Padoue, seconde série, p. 323. Seconde série. Pierre d'Ailly, première série, pp. 253, 260, 261, 342. pp. 249, 25i, 254, 345-347. Seconde série, p. 192. Pierre d'Auvergne, première série, p. 110. Pierre de Maricourt, première série, p. 225. Pierre le Lombard, seconde série, pp. 8, 260, 369. Seconde série, p. 291. Platon, première série, p. 4o. Pline l'Ancien, première série, pp. 62, 63, 68-71, 180, 181, 244.

Plotin, seconde série, pp. 127-134, i36, i5i, 271, 273.

Porphyre, seconde

série, p. i3i.

Poussin (Nicolas), première série, p. 78.

Pozzo (Le chevalier del), première série, p. 56. Prado (Jérôme), première série, pp. 80, 89. Prantl (Carl), seconde série, p. 100. Précurseur de Léonard de Vinci (Le), auteur anonyme d'un traité De ponderibus, première séiie, pp. io3, 129, i34, i36, 209, 263, 264, 271, 272, 275-278, 280, 281, 283, 284, 286-289, 291, 293, 299, 3oi, 3o2, 3o5, 3o6, 3io, 3i

1,

3i6, 421.

Proclus le Diadoque, seconde série, p. 271. Prosdocimo de' Beldomandi, première série, Ptolémée (Claude), première série, pp. 63, pp. 247, 249, 25

1,

p. 253. 170, 3i3.

254.

Q Qualéa (Léonard), seconde Quétif, seconde

série,

série, p. 3o5.

pp. 325-327.

Seconde

série,


TABLE DES AUTEURS

4^7

R —

Ravaisson (Félix), seconde série, pp. 99, 128- i3i, i3/j. Ravaisson -Mollien (Charles), première série, pp. 20, 2t, 55, 181, 272. Seconde série, pp. 58, 334, 36/i. Renan (Ernest), seconde série, pp. 3i, 35, 74, 129, i3o. Richard de Middleton (Ricardus de Media Villa), seconde série, pp. 368-

372, 374, 384, 385, 393, 394, 4o3,

4n-4i4,

Richter (Jean- Paul), première

série,

419, 421, 4 2 2, 442, 443, 454, 455. 56. Seconde série, pp. 176,

p

3G5.

Ristoro d'Arezzo, seconde série, pp. 3ig-323, 325, 327, 333, 342. Grosse -Teste, évêque de Lincoln, voir Grosse -Teste

Robert

:

(Robert).

Roberval (Gilles Personne

de),

première

série,

pp. 108, 109, 127, i4o,

142, i43, i45, 147, i48, i5o-i53, i55, i56, 289.

Roseo (Francesco), seconde

série,

pp. i3o, 142.

Sacro Rosco (Jean de), voir Jean de Sacro Rosco. Salomon de Gaus ou de Caux, première série, p. a4G. Sanuto de Venise (Aurelio), première série, p. 33a. Sarlio, première série, pp. 57, 225. Sbaralea, première série, p. 6. Scaliger (Jules César), première série, pp. i34, 24o-244:

Seconde

série, p. 210.

Scarloncini (Fabricio), première série, pp. 90-93, 98, 100, 102, Scharpff, seconde série, p. io5. Scot (Jean de Duns), voir Jean de Duns Scot. Scot Ériugène (Jean), voir Jean Scot Értugène. Scot (Michel), seconde série, pp. 73, 74, 92, g3, 191, 4o8, 4io, 4"> 4i5, :

:

4i8.

Séailles (Gabriel), seconde série, p. 2i3. Siger de Brabant, seconde série, p. 3G8. Simplicius, première série, pp. 22, 63, 64, Seconde série, pp. 64, 65, 70, 71, 4ai, 443.

Sotheran (Henry), seconde

71,

72,

110,

285,

3i3.

série, p. 367.

Soto, première série, p. 3. Stabili (Francesco), voir Cecco d'Ascoli. Steinschneider (Moritz), première série, p. 346. :

Stevin (Simon), première série, pp. 53, 84, 101, 210-212 Strabon, seconde série, pp. 292-298.

Straton de Lampsaque, première

série, p. 285.

— Seconde

série,

298.

Suisset (Richard), première série, p. 228. Sunczel (Frédéric), seconde série, pp. 206, 207, 214, ai5, 442. Suter (Heinrich), première série, pp. 337, 338, 34 1, 343.

pp. 292-


.

ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI

/|68

Taisner, première série, p. 225. Tannery (Jules), seconde série, p. 4o4. Tannery (Paul), première série, p. 58, i56 Tartaglia ou Tartalea (Nicolô), première série, pp. Seconde série, p. 362. 225, 261, 263. Tataret (Pierre), seconde série, p. 444 Tempier (Etienne), seconde série, pp. 38, 75, 78, 92,

54,

127,

i36,

137,

1

44,

368, 377, 4i

1-

4i3, 45i.

Thàbit ibn Kurrah, première série, p. 262. Seconde série, p. 437. Thémistius, première série, p. 110. Thémon le fils du Juif (dit Thimon le Juif), première série, pp. 5, ^9Seconde série, 180, i85, 192-196, 217, 244, 261, 3ig, 336, 34i, 345. pp. 33o-332, 347, 348. Théon de Smyrne, première série, pp. 58, 60, 62, 64, 68-70. ïhéophraste, seconde série, pp. 285, 286, 288-292, 3oo, 3o8, 3i4, 3i5,

324, 328.

Thessalus Methodicus, seconde série, p. i3o. Thierry de Saxe, première série, p. 171. Thomas d'Aquin (Saint), première série, pp. 6, 63, Seconde série, pp. n, 25, 38, 48, i33, i35, i38, 253.

79, 83, 93, 129, i43, 191, 192, 194, 196, 248, a5i, 254,

110,

in,

70, 71,

256,

128,

7/4,

75.

259, 3o5,

i32, 78,

379,

421, 429, 436, 438, 45i, 453-455.

Thomas l'Alchimiste, seconde série, pp. 3o4, 3o5. Thurot (Charles), première série, pp. 4, 5, 3i3. Tolet, première série, p. 3. Toni, seconde série, p. 333. Torricelli (Evangelista), première série, p. 261. Trittenheim (Jean), seconde série, pp. 100, 378, 379.

u Uzielli, première série, pp. 57,

3n.

V Vailati (Giovanni), première

série,

pp. 264, 3 1

1

Valerio (Luca), première série, p. 84. Varignon, première série, p. 268. Venturi, première série, p. 53. Vernias de Chieti (Nicolo), première série, pp. série, pp.

ao4

5

'<<>5,

2 14,

Vill\lpand (Jean-Baptiste), première 102, 123, 127, i4i, 208,

6, 333, 334-

Seconde

44a.

22;"),

a53.

série,

pp. 5i, 53, 79-8'». 89,

101,


TABLE DES AUTEURS Vincent de Beauvais (V. le Bourguignon,

dit),

1\<6(J

seconde

série,

pp. 191,

283, 3i8-323, 327, 33o, 332.

Vitellio (Witelo ou Witek), première

série, p. 171.

VrriiuvE, première série, pp. 289, 296, 297, 299, 3oi. pp. 2/i3, 244.

Viïtori (Benedetto), première série, p. 335. Vives (Louis), seconde série, p. 35.

W Wadding (Luc), seconde série, p. 9. WoHLWiLL (Emile), première série, p.

54-

X Xanthus de Lydie, seconde

série,

pp. 292, 290.

Seconde

série,



TABLE DES MATIÈRES

Pages

Avant-propos

IX.

ni

Léonard de Vinci et les deux I.

II.

III.

infinis

i

L'infiniment grand et l'infiniment petit selon Aristote L'infiniment petit dans

la

L'infiniment grand dans

IV. L'infiniment

grand

.

.

Scoiastique

la

7

Scoiastique

et l'infiniment petit

07

dans

les

notes de

Léonard de Vinci

X.

4y

LÉONARD DE VlNCI ET LA PLURALITÉ DES MONDES I.

Un

texte de

Le poids d'un grave monde:*

55

Léonard de Vinci

IL Aristote et la pluralité des III.

57

mondes

varie-t-il

59

avec la distance au centre

du

Simplicius, Averroès, Albert le Grand, Saint

Thomas d'Aquin La pluralité des mondes et la toute-puissance de Dieu. Michel Scot; Saint Thomas d'Aquin; Etienne Tempier; Guillaume d'Ockam La pluralité des mondes selon Albert de Saxe .

IV.

V. VI.

Le poids

résulte-t-il

VIL Les discussions sur

la pluralité

des

mondes au xv

e

.

réflexions sur la pluralité des

mondes g4

Nicolas de Gués et Léonard de Vinci I.

II.

Quelques mots sur

la vie

82

90

données par Léonard de Vinci

XL

72

78

siècle.

Paul de Venise et Johannes Majoris

Commentaire aux

64

d'une attraction exercée à distance?

Jean de Jandun, Guillaume d'Ockam, Albert de Saxe.

VIII.

4

97

de Nicolas de Cues

Les diverses éditions des œuvres de Nicolas de Cues.

100

...

101


1

ÉTUDES SUR LÉONAKD DE VINCI

47 2

Pa III.

du système philosophique de

Esquisse

Nicolas de Cues.

.

.

A. L'ignorance savante B.

maximum

du

L'identité

:

et

du minimum

106

maximum absolu

G. L'existence et l'unité du

D. L'éternité de Dieu. La E. L'Univers contracté

107

trinité divine

et la

109

création

11

F. L'Univers est-il fini ou infini? est la

112

synthèse de la création

création est

et la

le

développement de Dieu

H. De quelle manière Dieu

1 1

La

J.

Les éléments

trinité contractée

n4 n5

et

les

de l'Univers

mixtes

K. L'homme; l'union de l'âme L. Les facultés de l'âme

119 et

du corps

121

humaine

M. La charité, union de Dieu IV. Les sources

et

121

de l'âme humaine

123

Nicolas de Cues a puisé. La Scolastique, la

Philosophie néo-platonicienne, V. Les réflexions de

Théologie d'Aristote.

la

Léonard de Vinci touchant

la

.

VI. Les réflexions de

Léonard de Vinci touchant

de Nicolas de Cues

La création

(suite). Les facultés

i!\6

philosophie

l'amour créateur.

et

de Léonard de Vinci touchant

de Nicolas de Cues VIII.

( suite).

la

la

de Nicolas de Cues

philosophie

de l'Ame

....

Dynamique de

X. La

(suite).

L'immortalité de l'Ame

...

Dynamique de

Nicolas de Cues et la

Dynamique de 201

La Dynamique de Nicolas de Cues

et la

Dynamique de

Léonard de Vinci. Théorie de l'impeto composé La Dynamique de Nicolas de Cues

Léonard de Vinci

( suite).

et la

211

Dynamique de

La théorie métaphysique du

mouvement

222

La Mécanique de Nicolas de Cues

et

Léonard de Vinci. L'hygromètre,

mouvement de

17^

i85

Kepler

XIII.

i65

Nicolas de Cues et les sources dont elle

découle

XII.

161

Les réflexions de Léonard de Vinci touchant la philosophie

IX. La

XI.

120

philosophie

de Nicolas de Cues. Synthèse et développement

VII. Les réflexions

2

en toutes choses

et l'Univers sont

créées et inversement I.

io4

io5

Le postulat fondamental

G. Dieu

la

le

la

Mécanique de

sulcomètre

et

le

Terre

a38

XXV. La nature des astres selon Nicolas de Cues et Léonard de Vinci

:>.").')

Appendice. Denys l'Aréopagite, Nicolas de Cues

.

.

.

la

Théologie d'Aristote et a 69


1

TABLE DES MATIERES

47$ Pages.

XII.

LÉONARD DE VlNCI ET LES ORIGINES DE LA GÉOLOGIE T.

II.

281

Aristote

285

Théophraste

et

Traité

le

dix

Monde faussement attribué

à

Philon d'Alexandrie III.

Hérodote

IV.

Le

livre

et

286

Strabon

291

Des propriétés des éléments faussement attribué à

Aristote

299

V. Le Traité des minéraux attribué à Avicenne. VI. Albert le

.

3o2

Grand

809

VII. Vincent de Beauvais

3 18

VIII. Ristoro d'Arezzo

319

IX. La Géologie italienne au xiv e siècle et au x\ r siècle. Paul de

Venise. Léonard Qualéa

323

X. Albert de Saxe

XL Léonard XII.

327

de Vinci

Léonard de Vinci

332 et la

tradition parisienne en Italie.

Notes

.

.

.

342

.

359

— Sur Mécanique de Léonard de Vinci recherches de Caverni — Les Auctores de ponderibus Léonard de G — Sur de du polygone de sustentation .... D. — Sur bibliographie des d'Albert de Saxe de Thémon du Juif — Sur deux A.

et les

la

Raffaello

B.

et

l'origine

la loi

la

écrits

le fils

E.

les I.

II.

III.

infinis

— Sur

II.

368

373

Durand de Saint-Pourçain

378

Johannes Majoris

la pluralité I.

367

368

VI. Robert Holkot

.

366

et

Jean de Bassols

V. Grégoire de Rimini

F

364

Richard de Middleton

IV. Jean Buridan

VII.

Vinci

36

des

mondes

379

384 399 4o3

4o8

Guillaume d'Auvergne

4o8

Roger Bacon

4 10

III.

Richard de Middleton

4n

IV.

Walter Burley

/,i4

V. Gaétan de Tiène VI. Jean de Bassols

4*5 4 16

VIT.

Robert Holkot

4i 7

VIII.

Jean Buridan

/t

2o


ÉTUDES SUR LÉONARD DE VTNCI

474

Pages.

G.

— De

quelques sources

de Cues a pu

auxquelles Nicolas

puiser I.

424

Jean Scot Ériugène

424

IL Jean Buridan

'128

HT. Les Questions sur ^'Éthique à

Nicomaque

attribuées

à Jean Buridan 11. I.

J.

— —

Richard de Middleton et le

Sur

les petits

— Quelques I.

438

mouvement

des projectiles

c

.

.

.

mouvements de la terre Gand

444

textes d'Henri de

La

doctrine d'Henri de

446

Gand touchant

la pluralité des

mondes II.

L'opinion d'Henri de

\\ 2

447

Gand touchant

l'infini

Errata

r

4- >i

4->7

TARLE ALPÏïARÉTIQUE DES AUTEURS CTTÉS E\ LA PREMIERE SÉRTE ET EN LA SECONDE SERTE

&5q


Bordeaux.

—

Impr. G. Gounouilhou, nie Guiraude, 9-11



I


A LA MEME LIBRAIRIE DUHEM (P.)- — Les sources des Théories physiques. Les origines 10 de la Statique. Tome 1906 — Physique, Ed. DAVAUX. de trad. Traité CHWOLSON (O. D.). fr.

i.

»

vendant séparément. Tome I, fasc. I. Introduction. Mécanique. Méthodes ctjjnstruments de mesure. 420 pages avec k

grand in-8%

vol.

figures

Tome

16

.

.

.

fasc.

I,

se

gazeux

L'état

II.

des

avec

corps,

60

6

texte

Tome

II, fasc.

Émission

I.

et

fie.

ligures clans fr.

» le »

Absorption de l'énergie rayonnante. Vitesse

6 fr. » de propagation. Réflexion et réfraction, avec 100 figures Tome II, fasc. II. L'indice de- réfraction. Dispersion et transformations de 10 fr. » l'énergie rayonnante, avec 157 figures, 1906. .

DUHEM

(P.).

Thermodynamique

Chimie.

et

5oo pages et figures

.

1902,

grand

15

i

in-8°, fr.

KCENIGS (G.) — Leçons de Cinématique théorique, avec notes 15 fr. MM. DARBOUX et CÔSSERAT. Grand in-8°, 5oo pages. 1897.

GOURSÀT

»

Leçons sur l'intégration des équations aux partielles du second ordre. 2 volumes grand in -8°, (E.).

dérivées 1896-98

-

— Mathematical

GREEN

»

de

(George). Nouvelle édit. conforme à

> Papers,

18

fr.

»

.

published by FER-

20 fr. » précédente. 1903. applications. et ses Van't Huit conférences faites à Chicago à l'occasion du Centenaire de la fonda3 fr. 50 tion de l'Université; trad. par J. CORVISY, i 9 o3

RERS.

HOFF

(J.-H.).

la

.

BRILLOUIN

(M.).

.

.

.

.

La Chimie Physique

.

Leçons professées au Collège de France sur

la propagation de l'Électricité. Histoire et théorie, ioo pages. 15 fr. » Nombreuses figures et planches, grand in-8°, 1903 — France professées Collège de au Leçons (J.). sur la propagation des ondes et les équations de l'hydrodyna18 fr. » mique, grand in-8°, 4oo pages, figures, 1903 (P.). — L'évolution de la Mécanique, in -8°, 35o pages.

HADAMARD

DUHEM t<jo3

CARNOT

(Sadi).

.•.-•*T\

5

fr.

»

5 fr. » 1903 (Réimpression fac-similé de l'édition de 182/1) Introduction a la Théorie des fonctions d'une (J.). 14 fr. » variable. 2 e édition en 2 \olumes. Tome, l (E.). La Mécanique, Exposé historique et critique de son développement/ Trad. sur la 4 e édit. par (avec intro1 5 fr. » duction de Em. PICARD). 5oo pages avec figures et portraits.

TANNERY

.

EdrBERTRAND

ARISTOTE. 3

.

MACH .

...

Réflexions sur la puissance motrice du feu.

volumes

HENRI

in

Métaphysique,

-8°.

i883.

— "Cours

.

.

trad.

Barthélémy SAINT -HIL AIRE. 18 fr. » ,.--r .

.

.

.

.

.

de Chimie physique avec applications â la biologie et â la chimie (Cours libre professé à la Faculté des Sciences Le premier fascicule (chap. I-XV.O a paru. Prjx de souscription à l'ouvrage (V.).

18 fr. » complet (en virpp 800 pages) Histoire des- Mathématiques. Traduction ROUSE BALL (W.). FREUND. 2*\ol. grand in-8°. Tome 1 (De l'antiquité à lluvgens).

*

'.

*

.

.

5oo pages

SWARTS Gand.

.

.

(Fr.).

1901').

1

Cours de Chimie^ organique de

Grand

MAILLARD. —„ Tome

V.

'/ in S". -<>o

13

fr.

l'J^HÎversité

15

pages. v <<

fr.

«v

>>

de >•

Cours d'Astronomie de l'Université de Lausanna^.,^ 7 fr. 5<0^ ^

Monlraux.

luipr.

<i.

GoiJNOi

ii.hoi

,

ru.- «Iiiiraiirir.

!>-ll








1H£ INSTtTMTE OF tfEMAEWl 10

SîltffctS

CLMSLEV PLACE

TORONTO

8

»

6,

CANADA,

o

a-

V J^^JB


fSaEl

T&li

k

fi


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.