de Georges à Annette

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Correspondance de guerre


preface par Pierre Laborie

Chacun le sait, la mémoire est sélective. De façon mécanique ou délibérée, elle fait le tri dans les souvenirs. Dans son expression collective, elle construit un récit qui désigne ce qui doit être commémoré et rester gravé dans les esprits. Elle organise le rapport des sociétés à leur passé en installant des hiérarchies et des omissions menacées à terme d’un passage définitif à la trappe. De la sorte, tout en affirmant à juste titre lutter contre l’oubli elle fabrique, paradoxalement, des trous de mémoire. Des événements se retrouvent enfouis dans le silence et l’anonymat des fosses communes alors qu’ils ont fortement compté, en leur temps, pour les contemporains. S’il revient à l’histoire de rétablir la vérité, de corriger les injustices, et de décrypter les manipulations du passé, il faut bien reconnaître qu’elle n’y parvient pas toujours. Sur des questions restées sensibles où la mémoire parle de souffrance, d’émotion, de fidélité et remet à vif des controverses passionnées – il en a été longtemps ainsi pour la période de l’Occupation – le discours distancié des historiens, avec ses exigences de méthode, a du mal à se faire entendre. Perçus ou catalogués comme honteux, dérangeants, trop douloureux, trop complexes à déchiffrer ou/et trop éloignés du politiquement correct, de nombreux épisodes des années sombres n’évoquent plus que de vagues réminiscences. Pour des raisons compliquées venues à la fois de jugements opposés sur le devoir ou non de désobéir à la loi sous un régime d’oppression, et de points de vue inconciliables sur le sens du mot de déportation avec la conscience de sa dimension tragique, plus encore avec l’effarement devant l’épouvante de l’extermination – autant de problèmes impossibles à aborder dans cette préface – le sort des requis du STO, aujourd’hui, n’est pas très loin du trou de mémoire. Leur histoire est méconnue, diluée dans les anachronismes et le brouillage de mémoires concurrentes. Le mutisme d’Annette et de Georges Roques à l’endroit de leurs propres enfants n’est pas un fait isolé. Là comme ailleurs, il a contribué à abandonner ces années à la parole rare et aux incertitudes de l’ombre. 6


Le service du travail obligatoire, instauré par Vichy avec les lois de septembre 1942 et de février 1943, obligeait les jeunes Français qui avaient 20 ans en 1941, 1942 ou 1943 à partir travailler en Allemagne au profit de l’économie de guerre nazie. Il venait après l’échec de La Relève et de son marché de dupes : le retour d’un prisonnier de guerre exigeait, en contrepartie, le départ volontaire de trois ouvriers qualifiés. Sous la forte pression des Allemands incarnée par l’action de Fritz Sauckel, le STO a été décidé dans la logique de la collaboration d’État. Amorcée en octobre 1940, cette politique, suivie par les gouvernements successifs du maréchal Pétain, a été amplifiée à partir du printemps 1942 avec le retour de Pierre Laval aux affaires et sa célèbre déclaration en faveur d’une victoire allemande. Les rafles de juifs, leur déportation, la répression accrue de la Résistance, la soumission devant l’occupation totale du pays et le STO ont été les signes les plus manifestes de ce durcissement, avec un soutien désormais clairement affiché à l’Allemagne hitlérienne. Plus de 600 000 Français ont été envoyés au total en Allemagne et on peut y ajouter les 250 000 prisonniers de guerre transformés en travailleurs 1. Certains le furent de leur plein gré (une lettre de février 1944 y fait allusion) et il y eut par ailleurs des dizaines de milliers de volontaires, dont des femmes, partis pour diverses raisons, pécuniaires ou autres. Le chiffre de 200 000 est habituellement avancé. Les historiens ne sont pas des procureurs. Il ne s’agit donc pas ici de s’ériger en donneur de leçons, mais d’apporter des éléments de compréhension, à entendre au sens d’intelligibilité. Les brefs rappels mentionnés ci-dessus ne l’ont été que pour éviter les généralisations, les confusions et les amalgames sommaires qui ont souvent pollué le souvenir des requis du STO. Avec le recul des décennies, et une fois le cadre factuel solidement établi, ce qui est maintenant le cas 2, un des meilleurs moyens de pénétrer un peu mieux dans ce que fut l’expérience des requis du STO est sans doute d’en chercher aussi les traces en dehors des sources conventionnelles. C’est ce que Robert Roques nous fait découvrir en publiant la correspondance du jeune homme de 20 ans, élève instituteur, qui allait devenir son père. Les lettres de Georges à Annette, sa future épouse, vont de 1941 à 1945, des Chantiers de jeunesse au retour du travail forcé en Allemagne, avec de longues interruptions. Celles du STO, envoyées de Wetter, dans la Ruhr, couvrent la période du mois d’août 1943 à août 1944, alors que Georges Roques devra attendre le 12 mai 1945 pour rentrer en France et retrouver les siens. Restées ignorées pendant plus de cinquante ans, ces lettres ouvrent la voie de l’intime et du quotidien, avec la richesse de l’authenticité et les limites d’une 1 Il y avait plus de 1 800 000 prisonniers à la signature de l’armistice, le 22 juin 1940. 2 Voir la bibliographie en fin d’ouvrage.

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authenticité sous contrôle. Intérêt d’une source régulière tenue par un enseignant maître de son écriture et poursuivie dans la continuité du temps. Interrogations sur la sincérité de celui qui écrit, sur les effets d’un exil imposé, d’une absence de liberté, sur le poids de la censure, sur la pression d’une propagande facile à imaginer, sur la peur d’en dire trop et d’en subir durement les conséquences. En mars 1944, Georges met Annette en garde et écrit sans détour que “mieux vaut se restreindre et ne parler que comme des gens bien sages”. Tout au long du livre, dès l’avant-propos et jusqu’à la postface, les commentaires de Robert Roques renvoient à ces problèmes et éclairent les situations. Ils disent l’essentiel. Je n’y ajouterai donc que de modestes observations. La première renvoie à l’importance tenue par la monotonie du quotidien qui revient à longueur de lettres sur les horaires harassants des longues semaines de travail, sur la lassitude, et sur la routine immuable des préoccupations matérielles. Elles sont évidemment compréhensibles, mais Georges Roques et ses camarades semblent s’enfoncer dans un enfermement envahissant qui les atteint en tout, au-delà des contraintes de leur condition de travailleurs forcés, avec comme symbole ce repli dans la “baraque”, maintes fois mentionné. Le vide les engourdit, jusqu’à la paralysie, et on comprend facilement que le contenu des lettres compte immensément moins que le pouvoir d’évasion lié au seul fait d’écrire, à sa fonction première de sauvegarde. La lecture d’un livre peut devenir un événement et, en avril 1944, le départ des séminaristes qui met fin à des possibilités de discussions est vécu comme une nouvelle atteinte au moral. Plus encore, et à moins qu’il ne s’agisse d’une ruse pour endormir la vigilance des censeurs, le même enfermement mental pourrait expliquer ce qui apparaît parfois comme une sorte d’absence au réel. Il semblait poindre déjà en août 1943 quand Georges Roques parlait encore de zone libre 3. Jusqu’au bout ses sentiments personnels sur la situation et le sort de son pays restent mystérieux et rien de ce qui est lu ne permet d’aboutir à une conclusion explicite. Comment percevoir, par exemple, le sens véritable 8

3 Le territoire a été entièrement occupé à partir de novembre 1942 par l’armée allemande et par l’armée italienne dans le sud-est. La ligne de démarcation qui séparait les deux zones a été supprimée le 1er mars 1943.


du conseil donné au frère d’Annette le 1er décembre 1943 : ne pas bouger et “ne pas se laisser embobiner” ? Où situer le risque de fournir des précisions sur son travail dans une usine qui fabrique des tanks et qui peut devenir une cible ? Comment interpréter les mots utilisés pour parler des Anglais, tantôt désignés comme “ces messieurs d’outre-manche” ou comme “les voisins d’en face” et une autre fois qualifiés “d’avions ennemis” ? Pourquoi parler de “trahison” à propos de la signature d’un armistice séparé par le maréchal Badaglio en Italie ? Si on reste dubitatif, il paraît cependant indéniable que les traces laissées par le STO et le séjour obligatoire en Allemagne ont fait évoluer le jeune élèvemaître passé par les chantiers de jeunesse. Celui qui écrivait de Montauban, le 2 juin 1943, “je crois que tous ceux qui essaient de se camoufler font un mauvais calcul”, confie 8 mois plus tard son scepticisme après avoir “tellement avalé de bobards” (20 février 1944). La complexité des choix et des comportements est un des traits majeurs des années noires. Si elle contredit les jugements catégoriques qui ont trop souvent tenu lieu d’explications sur la période, elle ne peut être en aucun cas un prétexte à tout relativiser et araser. Elle ne peut ni servir d’excuses, ni exonérer de responsabilité qui que ce soit, ni être confondue avec de la complaisance. Le silence et ses secrets y trouvent sans doute un terrain favorable mais, à l’échelle de la micro-histoire, celle des parcours individuels, ils appartiennent surtout à la difficulté de faire partager des expériences du passé devenues indicibles. Il arrive aux historiens de rêver des libertés permises par la fiction : on pourrait imaginer que ces réflexions n’étaient peut-être pas très éloignées de celles de Georges Roques s’il pensait encore à Wetter le 6 octobre 1945, quand il partait à pied de Lacaune pour rejoindre son premier poste d’instituteur dans la petite école de Trémoulines, à six kilomètres de là.

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Sommaire 04 Préface de Pierre Laborie 11 Avant-propos

12 ItinErance d′un jeune de 20 ans

14 Le chantier 21 Une récréation 23 La formation d’instituteur

30 Travailler en Allemagne : Le STO 32 33 35 41 43 49 56 61 66 75 77

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Le 7 août 1943 Au-delà de la frontière Lire et écrire La baraque Das arbeit Se nourrir Aircraft and bombs Les autres Le petit quotidien Espoir, lassitude, pessimisme Le grand vide


80 Le retour de l′instit

82 Trémoulines, 12 élèves 86 Le 23 avril 87 Pratviel, 20 élèves

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Postface Essai statistique Repères géographiques Repères historiques Sources bibliographiques Remerciements

+ Documents annexes

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AVANTPROPOS Pour Georges et Annette dans les années 1940, écrire souvent, tous les jours, plusieurs fois par jour semblait être aussi courant que la pratique du sms de nos jours. L’écrit, l’envoi et la conservation de ces correspondances papier sont toujours visibles à travers les 115 lettres ou cartes postales, chose qui paraît peu probable de nos jours sauf dans les mémoires des grands serveurs informatiques. Plus de 70 ans après, grâce à cette correspondance, un peu de la grande Histoire à travers l’histoire de Georges et d’Annette nous sera révélée. Correspondance à première vue assez futile, imprégnée de l’instant qui maintient le lien que l’on pense indispensable vu l’éloignement, entre deux jeunes de vingt ans. La conservation méticuleuse de ces écrits qui ont traversé les années paraît improbable, mais fait tout aussi surprenant, les services postaux de l’époque n’ont, semble-t-il, jamais failli. Toutefois, à partir de juillet 1944 les correspondances entre la France et l’Allemagne étaient frappées d’un cachet stipulant : “Relations provisoirement suspendues” et devenaient donc inutiles car vouées au nonacheminement et parfois même à la destruction. C’est la période du 7 août 1943 au 12 mai 1944 qui sera la plus prégnante, vu la densité des écrits et leur vide apparent par rapport aux événements vécus. Le sigle STO décliné maintes fois sous différentes formes (déportés du travail, requis, personnes contraintes au travail en pays occupant) ne représente pas pour ceux qui l’ont subi qu’un Service Obligatoire du Travail mais bien plus, qui n’est pas toujours dicible, et qui n’a pas été dit. Pas dit, pas demandé, trop difficile pour en reparler, envie de passer à autre chose, oublier ? La littérature abondante sur cette période, où des événements nationaux étaient en jeu, témoigne a posteriori sur ces années difficiles et sur les troubles qui frappaient tous les Français dans leur vie quotidienne. La lecture au jour le jour de ce que percevaient Georges et Annette apporte un autre regard partiel et partial, il en était ainsi de la vie et de l’amour entre deux jeunes de vingt ans. 13




Le chantier En cours de formation d’instituteur, Georges est appelé comme tous ceux de son âge pour accomplir des travaux utiles à la communauté; ce service civil obligatoire appelé Chantiers de Jeunesse, sous forme de stages de plusieurs mois et de vie dans des camps, voulant assurer au minimum un brassage social, cache en fait un recensement et une préparation à des besoins de main-d’œuvre que l’Allemagne va demander à la France. Du 17 novembre 1941 au 30 juin 1942, date de libération du Chantier de Jeunesse, Georges est estampillé “Jeune” comme tous ceux des classes 20, 21, 22. Il est basé dans le Gard à Avèze à 60 km de Millau et de Montpellier. Adresse : Jeune Georges Roques, Groupement de jeunesse N° 18, groupe 6, Avèze (Gard). Les blasons, les devises de chaque camp sont d’inspiration militaire : le groupement N°18 basé à Avèze Le Vigan, s’appelle “Chevalier d’Assas” et sa devise est : “D’aucun ne second”. Le jeune Roques était télégraphiste, ce qui consistait à mettre en place des lignes téléphoniques. Les courriers témoignent peu de l’activité mais plus de la vie dans et hors du camp. Avèze, le 21 novembre 1941 (…) Je suis au Poste de Commandement à Avèze, en qualité de téléphoniste. Comme travail : placer des lignes à l’extérieur et à l’intérieur par mauvais temps, et s’initier aux diverses manipulations du Central Téléphonique (assez compliqué mais très intéressant). (…) Tu me demandes sur quoi je couche, c’est très simple : imagine 4 bouts de bois qui portent une sorte de caisse de 5 à 6 cm de haut et dont le fond est remplacé par des roseaux assemblés. C’est le lit.

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Il est souvent question de permissions ou de départs d’anciens, de nombreuses connaissances graulhétoises sont également dans ce camp, ce qui crée un lien avec des lieux et des personnes connues Avèze, le 21 novembre 1941 (…) Je suis actuellement avec Béteille et Cathala comme anciens et avec Fargues comme nouveau. Avèze, le 24 novembre 1941 (…) Cet après-midi nous avons placé une ligne au Vigan, ça ne m’a pas empêché d’aller en compagnie des copains faire un tour au café, j’ai trouvé Roger Pradelles, Lulu Arnal et d’autres Graulhétois qui pensent venir bientôt en permission. À midi nous sommes allés au restaurant à Avèze avec Béteille, Arnal et un copain de Castres. Avèze, le 1er décembre 1941 (…) je viens d’apprendre que Jean Durand l’hôtelier vient d’avoir un frère et pour cette raison il part ce soir en permission. Tu donneras le bonjour à Lucette et à Lucien et tu m’excuseras auprès d’eux si je ne leur ai pas encore écrit. Si le travail et la nourriture semblent convenir à Georges du moins dans les premiers mois, l’habit militaire et le prestige de l’uniforme paraissent l’amuser, mais sans plus. Avèze, le 28 novembre 1941 (…) Vers 7h lever, débarbouillage. À 7h1/2 casse -croute et jus et à 8h les couleurs. Après cette petite cérémonie, le travail commence. À midi c’est la soupe que tout le monde attend avec impatience. Parfois la ration est mince, on se venge sur les provisions emportées de Graulhet, j’ai environ une heure de liberté pendant laquelle je lis le journal, j’écris, je me rase, et surtout je pense souvent à toi. Aux environs de 7 heures la soupe arrive, ensuite liberté absolue, il s’agit d’être présent aux couleurs le lendemain. Avèze, le 14 décembre 1941 Aujourd’hui 5e dimanche de ma nouvelle vie, il fait beau, j’en profite pour mettre ma tenue verte (c’est la première fois). Si je pouvais t’envoyer une photo je le ferais, à défaut je peux me décrire des pieds à la tête : godillots bien graissés, chaussettes blanches qui retombent sur les souliers, molletières kaki, golfs verts 17


(quelques taches), chemise kaki, cravate verte, blouson vert avec sur la manche gauche l’insigne du groupement et sur la poitrine du côté droit l’écusson doré des chantiers de jeunesse. Sur la tête un grand béret vert foncé posé sur la gauche. Comme tenue cela ne va pas mal, et d’après les copains, ça me change totalement. Mais je t’assure que je préférerais cent fois plus mes habits civils, et quand je les reprendrai ça sera avec plaisir, car à ce moment-là je serai tout près de toi et notre attente sera terminée. Dans cette lettre je t’envoie une photo 1. J’ai hésité car elle n’est pas très réussie, puis j’ai pensé que cela te ferait plaisir de voir un peu ma touche. Surtout ne rigole pas, car je ne suis plus le civil Georges Roques mais le jeune matricule 2953 (comme les bagnards). Georges demande souvent si François (futur beau-frère) connaît son affectation et parle des résultats de rugby, François étant pilier dans l’équipe rouge et noir. Avèze, le 28 novembre 1941 (…) Le bonjour à ta famille et consolations à ton frangin pour le résultat de dimanche. Pour ce qui est de l’occupation du temps libre, le café, le cinéma et les matchs de foot sont souvent cités, de plus quelques excursions dans la région : Montpellier, Palavas, le pont du Gard agrémentent les fins de semaine. Avèze, le 17 janvier 1942 (…) Demain dimanche je ne suis pas de service, c’est au tour de Fargues. J’irai peutêtre au cinéma s’il fait trop froid, sinon j’irai voir un match de football. Comme partout, c’est les seules distractions qu’il y ait au Vigan et nous sommes tout heureux quand même de prendre un moment de liberté comme le font les civils. Ces courriers sont parfois ouverts car soumis à la censure. L’encadrement de ce camp étant assuré par d’anciens militaires, un certain contrôle des jeunes était de rigueur, et présageait sûrement de l’avenir de ces jeunes, qui seraient un vivier bien enregistré pour la future main-d’œuvre demandée par l’Allemagne. Contenu du courrier du 21 avril 1942 avec la mention tamponnée sur l’enveloppe OUVERT PAR LES AUTORITÉS DE CONTRÔLE 2.

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1 Georges en tenue des chantiers de jeunesse. (voir documents annexes) 2 Lettre ouverte par le contrôle (voir documents annexes)


Avèze, le 21 avril 1942 Ma chère petite Annette Aujourd’hui mardi, je n’ai rien reçu, ce dernier dimanche a été bien triste. J’ai eu une petite satisfaction, Jean Escrive pour me remercier du colis que je lui ai apporté m’a invité à diner en compagnie de Fargues à l’hôtel du Vigan… les truites surtout étaient bonnes. Samedi j’ai écouté le concert donné par la musique du groupement. C’était très réussi et ça a produit une belle impression. J’ai été chez le coiffeur, mais je ne suis pas à 4 cm, j’ai hésité un peu et j’ai trouvé que 4cm c’était un peu court. Est ce que la loterie Nationale a tiré ? Ne laisse pas passer le tirage sans m’avertir que nous avons gagné le gros lot… Doux baisers de ton Geo La censure avait beaucoup de temps à perdre, à moins que tout soit écrit dans un code secret ! Georges a utilisé une fois le papier à en-tête du Chantier de jeunesse 3. Bravade du Jeune Roques qui utilise le papier officiel pour montrer de quoi l’on est capable, ou simple économie de moyens? Avèze, le 28 avril 1942 Tu as été peut être étonnée par l’enveloppe ainsi que par ce papier à en-tête, mais ne te fais pas de souci, ce n’est pas une lettre officielle. Le 8 décembre 1941, Georges envoie un courrier un peu particulier : dans l’enveloppe a été glissé un bout de toile d’avion. Avèze, le 8 décembre 1941 (…) La neige est tombée hier sur la montagne(…) j’ai piétiné dans la neige pour dégager le camion. Il y avait une épaisseur de neige de 40 cm environ. Tu trouveras dans cette lettre un petit souvenir de cette excursion. C’est un bout de toile de l’avion du Général Huntziger *, celui qui s’est écrasé à l’endroit où nous avons été relever des lignes. Quelques correspondances ne provenant pas de Georges sont également présentes dans ce lot de courriers. Deux lettres d’Annette, deux de Pierrette sa mère et celle d’un camarade nous renseignent sur la vie à Graulhet, en zone libre, où l’approvisionnement devient aussi une affaire de débrouille, de partage et d’échanges plus ou moins licites.

3 Courrier à en-tête Chantier de Jeunesse (voir documents annexes) * informations complémentaires : http://prisons-cherche-midi-mauzac.com/varia/14217-14217

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Graulhet, le 1er janvier 1942 Cher fils. Je te remercie de tes lettres et de celle que Durand a apportée et je te remercie aussi de son contenu, tu sais que j’ai apprécié à sa juste valeur. (…)Ton père est allé fureter à la garenne de l’usine, ils ont pris 6 lapins. (…) Ton frère cadet a fait le réveillon à l’usine Guiraud (à Pissefède), et ce matin il a les yeux en marmelade. (…) Théonie ainsi que son mari sont passés, ils m’ont chargé de te donner le bonjour. J’oubliais de te dire que ton argent de la mairie je l’ai déjà réclamé deux fois, on m’a répondu qu’il n’y a rien d’arrivé, il ne faut pas être pressé, c’est la nouvelle devise. Marcel arrive du cinéma et je vais lui faire porter la lettre, je crois que c’est la dernière lettre à 20 sous, désormais ce sera 30 sous, une paille. Bons baisers de la part de tous Pierrette. Le deuxième courrier de Pierrette du 12 juin 1942 parle du dispositif pour l’arrivée en gare de FIAC avec une bicyclette à disposition pour arriver à Graulhet. Il lui est recommandé de ne pas oublier les 3 musettes dont une de Léon, et mentionne qu’hier il a fallu faire tamponner les cartes de tabac ; “tu peux arriver tu es en règle”. courrier d’Annette à Georges Graulhet, le 8 janvier 1942 Cher Georges Ici la neige est arrivée et à 6h la route était toute blanche. (…) Je crois que tu auras reçu une lettre qui n’était pas assez affranchie, j’avais le timbre à la maison, si j’étais allée chez le buraliste il m’aurait dit que c’était à partir de ce jour-là davantage. Je te dirais que mon père me chine en disant que tu gagnes assez pour m’écrire aussi souvent (…) Georges il est 11h ma mère vient de monter se coucher, ici la cuisinière est presque éteinte, heureusement que j’ai la brique dans le lit, je serai vite réchauffée. Je t’embrasse bien fort, ton Annette. courrier d’un copain Cluny, le 21 janvier 1942 Bien cher Copain C’est avec un réel plaisir que j’ai reçu ta lettre, je te réponds presque illico en pensant aux 30 sous de timbre. Je suis en cours de dessin, j’ai essayé de tracer quelques traits, le résultat n’est pas brillant, en attendant l’inspiration je vais mettre à jour ma correspondance.… J’ai été très intéressé par ta mise au point au sujet de ton groupement et si je ne 20


m’abuse tu fais partie du groupe de rendement nul pour ne pas dire négatif… Tu me fais savoir que je serai bientôt des vôtres mais je t’annonce que tous les gars de ma promo sont dispensés de camp de Jeunesse (Article 8 du décret du 5 juillet 1941)… Reçois de ton copain une cordiale poignée de main avec une bonne embrassade d’un “Vieux” à un “Jeune”. 139 Mlule 142 Ce courrier d’un copain peut paraître curieux : travail peu reconnu dans les chantiers et possibilité de ne pas y participer pour sa promo, à moins que ce soit Georges qui ait dénigré son activité à Avèze alors qu’il pourrait déjà enseigner, pour mieux supporter aux yeux du copain son travail au chantier de jeunesse. Vers la fin des 8 mois de chantier, Georges est toujours aussi impatient de quitter l’uniforme et de retrouver Graulhet, sans préciser et sans savoir ce qui l’attend. Les lettres seront numérotées pour un compte à rebours. Avèze, le 12 mai 1942 (…) Encore une fois je suis obligé de ne pas te donner beaucoup de plaisir par ma lettre et je t’assure qu’à moi aussi ce que j’ai à t’annoncer ne me fait pas plaisir. (…) Nous avons reçu hier une note du Général qui dit que les jeunes incorporés en novembre 1941 seront libérés entre le 10 et le 20 juillet 1942. (…) Et ce qu’il y a de plus fort et qui me fait râler encore davantage c’est que les agriculteurs sont libérés à partir du premier juin. (…) Si ce n’était ce coup de bambou tout irait très bien. Avec ce qui se passe on n’est jamais sûr de rien et les “bleus” qui sont avec nous n’ont pas le sourire car il est question de leur faire faire 10 mois. Avèze, le 16 mai 1942 (…) Contrairement à ce que je t’avais dit, tout ce qui avait paru était faux. (…) La libération est bien confirmée. (…) Il fait beau ce matin je suis allé prendre une douche au Vigan pour me remettre des émotions du début de la semaine et la vie est belle en pensant que dans 34 jours je serai avec toi. P.-S. : Désormais, à chacune de mes lettres, tu trouveras à la fin le nombre de jours qui encore nous séparent quand tu reçois la lettre : 31 À bientôt. La fin de période s’avère plus difficile à supporter, lettres ouvertes, marches de nuit, Georges est de plus en plus impatient d’en terminer.

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Avèze, le 26 mai 1942 (…) Hier j’ai reçu ta lettre du 22 et évidemment, je n’ai pas été étonné de savoir qu’elle avait été ouverte. Je me demande ce qu’ils peuvent y trouver d’intéressant.… Ici ça devient de plus en plus dur à tous les points de vue, et la discipline est de plus en plus sévère. Samedi soir marche de nuit. Nous n’avons fait que 16 km, mais je souhaite quand même que cela ne se renouvelle pas trop souvent. 23 Avèze, le 13 juin 1942 (…) Aujourd’hui tu auras sans doute vu des Graulhétois libérés parmi lesquels Georges Alquier. Heureusement ça se tire pour nous aussi, mais ils sont obligés de garder 5 boulangers car ils ne trouvent personne pour les remplacer. (…)Cet aprèsmidi j’irai faire un petit tour au Vigan et prendre ma douche hebdomadaire (la dernière aux chantiers), puis au ciné (la dernière fois). 4 Avèze, 16 juin 1942 Aujourd’hui c’est la dernière fois que je prends la plume et cette lettre va terminer ma correspondance aux Chantiers. Sept mois se sont écoulés pendant lesquels nous n’avons pas souvent été ensemble, mais maintenant j’espère que c’est bien fini. (…) Mais il y a toujours l’ombre de l’armée et sans vouloir être trop pessimiste, je crois bien qu’il faudra remettre ça. Mais ne parlons plus de ça, pensons plutôt que dimanche nous serons ensemble, pour le ciné vous pouvez louer une place de plus pour dimanche, ne m’oubliez pas. Dans trois semaines nous aurons à déplorer le départ de Lucien pour le Vigan sans doute et je pense que Lucette ne doit pas être très fière. On essayera de la consoler de notre mieux pour qu’elle trouve le temps moins long. FIN. C’est donc un 18 juin 1942 que Georges fut libéré des Chantiers de Jeunesse après 8 mois et 1 jour et, 75 courriers vers Graulhet. Le Certificat de Libération 4 daté du 30 juin stipule non sans ironie : “A mérité le certificat de moralité et d’aptitude. Libéré par anticipation le 20 juin 1942 en attendant la vérification des Contrôles du Chantier qui aura lieu le 1er juillet 1942.” Il est également mentionné : “A perçu un billet de chemin de fer pour le parcours voie ferrée de Le Vigan à Saint Sulpice.” C’est seulement dans le dernier courrier où “l’ombre de l’armée” est évoquée, et des séparations à venir redoutées. En attendant cette “ombre”, Georges et Annette se sont retrouvés à Graulhet et sûrement dès le premier soir au ciné.

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4 Certificat de libération des Chantiers de jeunesse (voir documents annexes)


Une récréation En janvier 1943 Georges allait reprendre le chemin de l’école et de sa formation d’élève-maître, et comme par le passé reprendre ses correspondances vers sa chère Annette. Durant ces six mois de répit de juillet 42 à janvier 1943, Georges et Annette ne s’occupaient sûrement pas trop du monde, mais le monde s’occupait d’eux. L’Allemagne est en guerre sur de nombreux fronts et son armée grossit au détriment des travailleurs devenus soldats, d’où la nécessité de main-d’œuvre étrangère recrutée de gré ou de force dans tous les pays amis ou soumis. Pétain et Laval collaborent à ces demandes sans empressement semble-t-il, mais de façon active cependant. 22 juin 1942 : Laval lance “La Relève” : pour deux départs de volontaires Français pour travailler en Allemagne, libération d’un prisonnier Français par les Allemands. Une propagande tous azimuts est faite avec des slogans, des affiches, des menaces qui n’ont fait que partiellement mouche. 4 septembre 1942 : Du point de vue de l’état allemand, la Relève a été un échec puisque moins de 60 000 travailleurs Français sont partis en Allemagne à la fin du mois d’août. Sauckel ministre Allemand menace alors de recourir à une ordonnance pour réquisitionner la main-d’œuvre masculine et féminine. Laval négocie l’abandon de l’ordonnance allemande au profit d’une loi française du 4 septembre 1942 qui introduit la conscription obligatoire pour tous les hommes de 18 à 50 ans et pour les femmes célibataires âgées de 21 à 35 ans. Cette démarche de collaboration avec l’Allemagne a été par la suite non pas reprochée à Laval mais à tous les jeunes qu’il avait requis à leur insu, beaucoup ont perçu longtemps après encore ce poids de “collaborateurs”.

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8 novembre 1942 : Les troupes anglaises et américaines alliées à la France libre débarquent en Afrique du Nord sous le commandement du général américain Eisenhower, l’Afrique du Nord française (départements d’Algérie, protectorats du Maroc et de la Tunisie) étant placée sous l’autorité du gouvernement de Vichy, lui-même inféodé à l’occupant allemand, qui subit là un premier revers, mais ne tarde pas à réagir. 11 novembre 1942 : Les Allemands envahissent la zone sud de la France. Hitler déclenche l’opération en réponse au débarquement anglo-américain en Afrique du Nord, l’armée allemande franchit la ligne de démarcation qui sépare la France occupée de la France dite “libre” depuis l’armistice de 1940. À Toulon, sur ordre de l’amiral Jean de Laborde, la flotte française se saborde pour échapper aux Allemands. À Vichy, le gouvernement du maréchal Pétain et de Pierre Laval est placé sous le contrôle direct de l’occupant. Et pendant ce temps-là à Graulhet comme dans toute la zone anciennement dite libre, une drôle de vie se mettait en place : dans quel état d’esprit étaient Georges et Annette ? Georges est à Gourdan-Polignan en cours de fin d’études d’instituteur, la formation à l’éducation fonctionnait donc encore. Annette est employée en maroquinerie, époque où les petites mains confectionnaient surtout des vêtements de cuir avec dextérité, le cuir symbole de la prospérité et de la richesse de Graulhet. De janvier à juillet 1943 Georges en formation reprend les correspondances et s’il retourne plus souvent au pays, “l’Ombre” tant redoutée va devenir réalité et entacher les courriers de fin de formation d’élève-maître de doutes et de craintes sur les mois à venir.

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La formation d’instituteur juste avant le STO

De fin janvier 1943 au 31 juillet 1943, Georges poursuit sa formation d’enseignant, et devient Élève- Maître au Collège Technique de GourdanPolignan en Haute-Garonne, avec des stages à Montauban puis à Pau et termine sa formation le 5 juillet 1943, évaluée ainsi : (…) Travailleur sérieux et appliqué, qui réussira bien avec les tout petits, avec des aptitudes pour le rugby et la note d’appréciation d’ensemble est de 14/20. Durant cette période la France est occupée, la région Sud-Ouest est encore pendant quelque temps en zone “libre” et les correspondances entre Georges et Annette sont régulières. Peu d’allusion aux difficultés inhérentes à ce fonctionnement sous présence allemande, seulement quelques remarques, “Le STO est pour bientôt”, mais les descriptions des activités sont souvent terminées par “Il me tarde de ne plus parler par lettres”. Hélas, c’est encore durant plusieurs années que des courriers seront échangés mais cette fois depuis l’Allemagne. Gourdan, le 5 janvier 1943 Ma Chère Annette Le voyage s’est déroulé très bien, la plupart du temps assis. Au point de vue du travail, c’est parfait. 5 heures d’atelier par jour et 2 heures de dessin ou de conférence. Comme cuisine ça va, et je souhaite que ça dure. Les dortoirs sont bien, j’ai réussi à me procurer 3 couvertures au lieu de 2. (…) Je pense que ces trois mois de stage seront agréables, d’autant plus qu’il va y avoir une augmentation (1700 à 1800 par mois je crois)… Georges Roques – élève-maître – Collège Technique de Gourdan – Polignan (Haute-Garonne) 25


Gourdan, le 17 janvier 1943 (…) Je passe une grande partie du temps non loin du feu, je suis dans un pays un peu plus froid que le nôtre. Et puis de voir les Pyrénées couvertes de neige ça donne un petit frisson. (…) À part ça, tout va bien, il n’y a qu’une seule chose embêtante, c’est la question du linge. Je voudrais bien que tu dises à ma mère de m’envoyer une boite assez grande, du papier fort et de la ficelle pour que je puisse expédier mon linge à Graulhet. Georges a semble-t-il toujours eu du mal avec le linge ou la lessive. Gourdan, le 3 février 1943 (…) Ma mère m’avait annoncé dans sa dernière lettre que René Delrot avait reçu une feuille comme tant d’autres, mais qu’il y avait erreur. Il vaut mieux comme ça pour lui. (…) Demain jeudi je change d’atelier et de l’ajustage je passe pour trois semaines à la menuiserie. (…) Hier j’ai reçu le mandat de janvier avec une augmentation de 120 francs ce qui porte mon traitement à 1562, 50 frs, ce qui est toujours bon à prendre. (…) Ce matin nous sommes allés visiter une bonneterie à Montréjeau, ça m’a un peu rappelé l’atelier Breilhac. Gourdan, le 20 février 1943 Ce n’est pas avec beaucoup de joie que j’entreprends cette lettre. Les nouvelles sont mauvaises et ce qu’il y a sur le journal d’aujourd’hui samedi n’est pas fait pour remonter le moral. Il est question de nous diviser en trois parties dont une sera expédiée en Allemagne. (…) On doit paraît-il se faire recenser avant le 28 février et passer une visite médicale aux environs du 5 mars. Nous serons avertis par des affiches. (…) Toujours est-il que nous n’avons pas le sourire et que l’ardeur au travail est bien diminuée. (…) Ici il y a beaucoup de trafic sur le chemin de fer et il passe du matériel. Gourdan, le 23 février 1943 Au point de vue de la situation c’est toujours la même, jusqu’ici il n’y a pas d’exception pour nous. J’ose espérer que nous ne ferons pas partie de ce service du travail. (…) Toute la journée on ne pense qu’à ça, on a les nerfs à fleur de peau et on commence à en avoir assez. La loi du 4 septembre 1942 se met inexorablement en place et le STO devient un sujet d’inquiétude grandissant pour la classe 41 durant ce mois de février. Après un court séjour à Graulhet (congés scolaires) l’inquiétude fera place à une certitude de départ au STO dont la date n’est pas encore connue.

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Gourdan, le 13 mars 1943 (…) Mon voyage de retour de congé s’est bien passé, malheureusement il y avait deux absents à la table : deux copains qui avaient reçu leur ordre de départ pour l’Allemagne. (…) Le travail continue mais à effectif réduit. En effet sur 10 de notre groupe nous ne sommes que 4 aujourd’hui, certains sont malades… Montauban, le 29 mars 1943 (…) Depuis ce matin nous sommes arrivés à Montauban, et nous ne sommes que les 6 Tarnais. (…) Nous avons 50 h de cours et d’études par semaine. Nous dînons dans le même réfectoire que les élèves de la cantine scolaire et à tour de rôle nous sommes chargés de les surveiller pendant le repas. (…) Le travail commence à arriver, il consiste surtout à suivre des cours, à faire des classes modèles et à faire des devoirs. Ma nouvelle adresse : Georges Roques, Institut de formation professionnelle d’instituteur, Montauban, Tarn et Garonne. (…) Nos professeurs sont très gentils et très compétents, ils savent parler et sont très intéressants. Dans l’ensemble ils nous traitent plutôt en amis qu’en élèves. (…) Les repas sont toujours aussi bien, nous avons un litre de vin pur au repas de midi, mais pas le soir. Le dimanche à midi 1 litre de blanc. (…) J’ai le copain de Gaillac qui a reçu aujourd’hui une feuille pour aller garder la voie dans la nuit de samedi à dimanche. Quand sera mon tour ? Montauban, les 13, 14, 16 mai 1943 (…) Ça y est, j’ai reçu ma feuille pour aller garder les voies, je tombe dans la nuit de lundi à mardi de 1h jusqu’à 6h du matin, c’est-à-dire au plus mauvais moment. Je suis allé à la mairie prendre les consignes pour la nuit du 17 au 18 : je suis sur la ligne de Paris au premier poste après Montauban, ce qui fait que je ne suis pas loin. (…) Le directeur est venu nous annoncer pendant qu’on soupait que l’école allait peut-être être occupée par l’armée allemande, rien encore n’est décidé. Depuis début mai chaque lettre retrace en une dizaine de lignes 3 à 5 journées dans ce centre de formation où déjà d’autres fonctions non scolaires sont attribuées. L’enveloppe de ce courrier 5 est comme souvent une enveloppe retournée : elle sert ainsi 2 fois, celle ci provient d’Allemagne d’un ami Graulhétois Louis Riquet qui est déjà au STO en Autriche à Vienne. Cette lettre a été ouverte mais réacheminée à Montauban, l’adresse première n’étant plus la bonne. Le courrier même ouvert était donc un service qui fonctionnait bien encore à cette époque.

5 Courrier de Louis Riquet déjà au STO (voir documents annexes)

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L’inquiétude du devenir dans les mois prochains semblait s’éloigner vu l’intérêt porté au travail et à la qualité de vie de ces études, mais le courrier d’un ami déjà en Allemagne, le travail de gardien de voie, l’occupation possible de l’école par l’armée allemande sont autant de mauvais présages qui recommencent à être perçus. Montauban, les 20, 21, 23 mai 1943 (…) Cet après-midi nous avons corrigé les épreuves d’un examen d’orientation professionnelle. J’ai surveillé les gosses à la cantine et je n’ai mangé qu’à une heure, mais j’avais une grande assiette pointue de frites et j’ai vu le moment que je ne l’achevais pas. J’espère qu’à Graulhet les restrictions ne sont pas trop cruelles et que l’on se débrouille toujours un peu. (…) Hier soir je suis allé au ciné voir jouer Métropolitan avec les copains. Aujourd’hui nous devons aller au vélodrome. Montauban, les 27, 28, 30 mai 1943 (…) Tout aujourd’hui j’ai fait classe aux grands élèves et j’ai trouvé que la journée passait vite. (…) Le directeur nous a avertis que nous passerons la 2e quinzaine de juin à Pau. C’est bien vrai que les jeunes des Chantiers qui vont être libérés partent pour l’Allemagne, c’est le directeur qui nous a appris cela ce matin. Je me suis fait faire un certificat de scolarité pour aller retirer ma carte de travail. Avec ça je serai tranquille sûrement jusqu’à fin juin. Mais ils prennent tout le monde, je ne crois pas pouvoir passer des vacances tranquilles. On verra bien ce qui va arriver. Espérons. Montauban, les 30, 31 mai et 2 juin 1943 (…) Ce soir je suis allé retirer ma carte de travail et comme moi tu as pu voir sur les journaux qu’ils ne nous feraient pas languir pour partir en Allemagne. Étant donné que je finis le 30 juin, il est à peu près certain que je serai embarqué dès les premiers jours de juillet. (…) Ferréol le copain de Carmaux nous a quittés pour aller travailler à la mine, mais je crois que tous ceux qui essaient de se camoufler font un mauvais calcul. Pau, les 15, 16 juin 1943 (…) Nous sommes à 3 km800 de Pau, la première impression de l’école a été très bonne, dans notre chambre nous sommes 11, tous du Tarn. (…) Nous avons commencé par la visite médicale rapide mais sérieuse tout de même. Après on nous a distribué les équipements sportifs, c’est-à- dire un maillot d’athlétisme sans manche bleu marine, une paire de flottants également bleu marine, un foulard de 28


couleur jaune, c’est la couleur qui distingue les divers groupes, une paire de sandales avec semelle en caoutchouc et une paire de souliers de football. On nous a divisés en 6 groupes et nous sommes de 25 à 30 par groupe 6 (…) Nous avons commencé le travail par un 60 mètres, un grimper, après quoi le directeur (un colonel) nous a réunis et nous a appris que le stage était prolongé jusqu’au 10 juillet. De cette façon mon départ pour l’Allemagne est retardé. Je ne te verrai que 10 jours plus tard, mais si ça prolonge mon séjour en France c’est toujours autant de gagné. Voici mon adresse : Roques Georges, Groupe 1, Centre d’éducation physique du Hameau, Pau (Basses – Pyrénées). Pau, les 20, 22, 23 juin 1943 (…) J’ai un copain de Castres qui a reçu sa convocation pour l’Allemagne, il devrait partir le 29 juin. (…) J’ai fait faire un certificat au colonel comme quoi mon stage se finissait le 10 juillet et comme quoi j’avais un examen à passer. Des copains dans mon cas ont fait la même chose et il a tout envoyé au service du travail. (…) J’avais écrit chez moi pour qu’on m’envoie des enveloppes. Si tu vois quelqu’un dis-leur que ce n’est pas la peine, j’en ai trouvé à Pau pour 20 francs les 25, c’est un peu cher mais on n’a rien de bon marché. Pau, les 24, 25, 27 juin 1943 (…) Le copain d’Albi est revenu, il est l’heureux papa d’un petit garçon. Des copains qui avaient reçu un ordre de départ pour le 29, ont reçu un contre-ordre, leur sursis est prolongé jusqu’au 1er septembre. Ils s’étaient fait porter étudiants alors que je suis élève-instituteur. J’espère que la loi est aussi valable pour moi, et en tout cas je me défendrai si c’est nécessaire jusqu’à la dernière minute. Dans ces conditions on pourra passer encore un mois et demi ensemble. Ça me paraît trop beau. Pau, les 28, 29 juin 1943 (…) Aujourd’hui il y a 2 nouveaux copains qui ont reçu leur convocation pour le 6 juillet et un autre qui a reçu un contre-ordre. Avant de continuer je veux te présenter mes souhaits pour ton anniversaire. Je préférerais te dire cela de vive voix et si ce n’est pas la même chose les sentiments y sont quand même aussi forts. Nous nous sommes levés à 6h, il nous a fallu aller à Pau pour retirer nos cartes d’alimentation. Cet après-midi j’ai payé l’économe et maintenant me voilà tranquille jusqu’au 10.

6 Photo du groupe en tenue de sport (voir documents annexes)

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Pau, les 5, 6 juillet 1943 (…) Nous avons fait un repas de fin de stage dans un petit village à 8 km du centre : potage, omelette au jambon, sauce de veau aux carottes et aux champignons, haricots, poulet rôti, salade, crème et gâteaux secs, pain à volonté, vin aussi, café, armagnac, le tout pour 10 francs, service compris. (…) Nous avons entamé la dernière semaine et tu peux croire qu’il me tarde d’arriver à la fin. Je sais bien que ce qui m’attend dans le courant juillet n’est pas drôle, car le coup de partir en septembre est encore une fois annulé. Aujourd’hui, c’est la dernière fois de tous les stages que je t’écris. À bientôt. La formation se termine le samedi 10 juillet 1943 à midi. De Pau, Georges prend le train vers Toulouse puis Castres avec arrêt à Fiac où un vélo a été mis à disposition pour arriver enfin à Graulhet après six mois de séparation et 42 courriers à Annette. Au fil des correspondances on sent monter l’inquiétude d’avoir à s’exiler vers un travail que l’on n’a pas choisi, vers une destination inconnue, pour des intérêts politiques dont on prend conscience sans pouvoir en influencer le cours ; restrictions, cherté de la vie, sont autant de critères de mauvais augure pour les mois ou années à venir. Et malgré cette prise de conscience Georges parle de se défendre ; “et en tout cas je me défendrai si c’est nécessaire jusqu’à la dernière minute” mais aussi peu de temps après : “le copain de Carmaux nous a quittés pour aller travailler à la mine, mais je crois que tous ceux qui essaient de se camoufler font un mauvais calcul”. Il accepte le fait qu’il doive partir contrairement à ceux que la mine de Carmaux embauchait pour les soustraire temporairement au STO. Durant la fin du mois de juillet les retrouvailles ont sûrement été chaleureuses, mais l’inquiétude de l’avenir immédiat grandissait au fil des jours. Le samedi 31 juillet 1943 à 18h un télégramme met fin aux espoirs de vie en commun et le début d’une nouvelle séparation est annoncé, avec le départ pour le STO la semaine suivante.

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Travailler en Allemagne : Le STO


En septembre 1942 puis en février 1943, une loi concernant l’orientation de la main-d’œuvre (demandée par l’Allemagne) institue le Service Obligatoire du Travail pour les Français nés en 1920, 1921 et 1922. Le sigle SOT a été remplacé par STO, sigle moins sujet à raillerie. L’obligation de “participer” au STO par arrêté du 11 juin 1943 ne prêtait pas à confusion vu les amendes et poursuites encourues et surtout par le chantage effectué par voie d’affiches toutes très orientées sur le devoir de participer à l’effort de guerre. Georges a reçu un télégramme le samedi 31 juillet 1943 et est parti de Toulouse le 6 août pour l’Allemagne.


Le 7 août 1943 Durant le trajet plusieurs courriers ont été écrits. Matinée du 7 août, vers Dijon J’écris depuis la Zone occupée, j’ignore si le courrier passe en Zone libre. Dijon, le 7 août, 14 h 15 Je ne me suis pas séparé d’un copain de Saint-Paul celui-là même que nous avons trouvé dans la micheline en allant à Toulouse. À l’approche de Belfort 7 et de la frontière, le 8 août : Il est 9 heures, nous approchons de la frontière. Cette lettre est la dernière datée du sol français, et je t’assure que cela fait quelque chose. Le besoin de tracer le trajet et de témoigner des émotions du moment est palpable. De même, autant pour rassurer Annette que pour se rassurer, Georges ne s’est pas séparé d’une connaissance, le copain de Saint-Paul embarqué dans la même histoire depuis la veille. En fin de correspondance la formule “nous espérons” et “à bientôt” est déjà utilisée, elle témoigne d’un espoir réel qui cache une incertitude que l’on ne peut s’avouer. “Chère Annette et meilleurs baisers”concluent ce courrier signé d’un “Geo” que l’on présume très intime.

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7 Dernier courrier de France (voir documents annexes)


Au delà de la frontière Dès le 9 août Georges donne sa position, Wetter, sur la rivière Ruhr, à environ 30 km d’Essen et une quinzaine de Dortmund, et son adresse : M. Roques Georges, n° 74.280, Lager Schanthaberstrasse, Wetter, (Ruhr) Westfalia, Deutchland. À partir de ce jour, chaque correspondance est numérotée et comprend une dizaine de lignes ou plus, datée au jour le jour. Chaque courrier postal qui contient la chronique des jours précédents est envoyé tous les 4 à 6 jours tant que la censure ne décide pas de réduire le nombre d’envois. Wetter, 9 août 1943 8 (…) À 11 km de Belfort, nous nous sommes arrêtés à la frontière. Là on nous a distribué du pain, du fromage, des boites de sardines et on nous a dirigés vers Hagen en Westphalie. Nous avons passé la frontière vers minuit, vers 3 heures de l’après-midi, après avoir traversé toute la Ruhr, nous sommes arrivés à Hagen. Il y a beaucoup d’usines en marche, et un bon nombre comme la minoterie Bruyère. (…) Nous avons passé une nuit sur des paillasses et des interprètes français nous ont reçus plutôt mal. À Soest on nous a distribué dans les différents centres de la Westphalie, et sur les 300 que nous étions au départ, 50 ont été affectés définitivement à Hagen. Nous sommes ensuite dirigés vers Wetter, en camion, à 8 km de là, à environ 30 km d’Essen et une quinzaine de Dortmund. C’est un endroit assez calme, on nous a répartis dans des baraques : nous sommes 18 dans chaque chambre, chaque lit est à étage. Je couche dessous, le copain de Saint-Paul (celui de la micheline) couche dessus. Wetter, 10 août 1943 Wetter, est une ville de 10 à 12 000 habitants donc plus grande que Graulhet. Presque à chaque maison il y a un café.

8 Premier courrier d’Allemagne (voir documents annexes)

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Wetter, 23 août 1943 Dimanche avec huit copains nous sommes allés à Dortmund, après avoir visité la ville (vastes minoteries) nous sommes allés dans un café-concert boire de la bière. Elle est un peu meilleure qu’en France, mais cela ne vaut pas notre bon vin. Wetter, 16 septembre 1943 Ça ne m’étonne pas que tu n’aies pas trouvé Wetter, il y a tellement de villes de cette importance dans la Ruhr qu’on ne peut pas les citer toutes. Tu trouveras Dortmund, nous sommes à 8 km au sud, Wetter, c’est les aciéries et la fabrication de matériel de guerre. (…) Cette après-midi je suis sorti avec quelques copains et nous sommes allés nous promener jusqu’à Vorhalle, un village voisin. Il faisait bon et après 15 jours de travail, ça fait plaisir de respirer un peu au grand air. Wetter, 10 octobre 1943 (…) J’ai été me balader avec les copains, tout en haut de Wetter, car Wetter, est bâti au flanc d’une colline. De là on a une belle vue sur le lac que forme la Ruhr. C’est beau à voir, c’est dommage qu’il n’existe pas de carte postale et qu’on ne puisse pas en envoyer. Depuis l’arrivée de l’hiver, de la pluie et de la neige, la description géographique de la Ruhr est assez sommaire, les sorties sont réduites au dimanche si celui-ci n’est pas travaillé et le temps hors travail est surtout consacré au repos. À partir du 1er janvier 1944 les courriers sont limités et l’obligation est faite d’écrire sur carte postale, ce qui réduit la correspondance à des faits plus liés au travail et à la vie au camp. Wetter, 20 février 1944 (…) J’arrive du travail, un dimanche entier de 6 heures du matin à 5 heures du soir, surtout après une semaine de nuit. En tout cas je peux te dire une chose, c’est qu’il y a des moments où j’en ai par dessus la tête, 71 h de travail cette semaine. Nous sommes loin des 40 heures et des congés payés. Pour Georges, au-delà de la frontière, peu de paysages mais un univers d’usines, une vision limitée au camp, à la baraque n°7, et au monde du travail ; seules quelques timides ouvertures sur la ville qui, en fin d’année 1943 n’est pas encore soumise aux réalités de la guerre et aux futurs bombardements alliés. Pour circuler et satisfaire aux contrôles d’identité, Georges a dû faire une demande de passeport 9 seule pièce d’identité reconnue des autorités allemandes.

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9 Karteikarte (voir documents annexes)


Lire et écrire Georges aime écrire depuis toujours, sa formation lui permet d’écrire avec facilité dans un français très correct et dans une graphie qui même dans des conditions de papier et de crayon peu commodes est toujours un régal pour les yeux. Annette aime lire tout ce qui lui permet de retrouver la vie quotidienne de son futur mari, et à son tour elle se met à écrire et décrire sa vie et ses sentiments. À chaque courrier, une réponse. Cet échange ressemble à une partie de ballon où chacun s’efforce de renvoyer la balle, pas trop fort, juste avec un peu de puissance mais surtout immédiatement. Ce qui pourrait paraître un jeu épistolaire devient une nécessité vitale au cours des mois d’éloignement et les dits ou non-dits doivent inviter à une lecture en creux des sentiments, des états d’esprit et parfois de l’état physique de chacun. La méthodologie de ces échanges bien rodés depuis les chantiers de jeunesse comprend, sur chaque lettre, la date et le jour de l’écriture, et se complète par un numéro d’ordre des courriers, en haut à droite. L’adresse de l’expéditeur est rappelée en bas de page et au dos de l’enveloppe. Ce luxe de méthode et de précision s’imposait sûrement vu les contrôles effectués par les services du courrier. Le papier utilisé provient au début des pages d’un calier d’écolier avec marge rouge et grands carreaux. Georges n’écrit jamais dans la marge sauf en première ligne où la lettre commence toujours par : “Wetter, le” suivi de la date du jour. Le pliage de ce format de papier suit la marge pour contenir dans l’enveloppe de taille courante. L’enveloppe de couleur bleue ou blanche est semble-t-il cachetée vu les traces de colle grisâtres encore visibles. Sur chaque enveloppe une marque circulaire rouge avec les deux lettres : Ae. Au dos un cachet rouge de petite taille aussi porte un numéro, le courrier du 18 août 1943 porte le numéro 337. 37


La carte du 7 août 1944 porte deux numéros, 249 et 372. Le timbre bleu à l’effigie d’Hitler a une valeur de 25 centimes de mark et celui qui oblitère les cartes est de 15 centimes de mark et de couleur “brune”. Le cachet de la poste est toujours en double, un sur le timbre, un à proximité ce qui permet de lire très exactement : Wetter, (Ruhr) et au centre la date de l’envoi suivi d’un numéro à deux chiffres. Sur les 92 courriers de Georges à Annette, lettres et cartes qui témoignent de la correspondance entre août 1943 et août 1944, pas un ne manque, les dates d’envoi, les numéros de lettres, les oblitérations d’enveloppe sont concordants et témoignent d’une méticulosité dans la façon de correspondre qui va de celui qui écrit à celui qui contrôle et achemine, à celle qui conserve tous ces “documents”. Le seul courrier d’Annette à Georges conservé est un lettre d’août 1944 retournée à Annette avec la mention : “Retour à l’envoyeur : Relations provisoirement suspendues.” Au-delà de cette date plus aucune correspondance ne sera échangée. Les correspondances de Georges contiennent toujours dans les premières lignes quelques mots sur le suivi des envois d’Annette, de la famille, des amis en France ou en Allemagne et également sur le suivi et le contenu des colis de “victuailles” reçus, ou d’effets demandés par Georges à sa famille. Le premier objet de chaque correspondance est de dire ce qu’on a reçu ou ce qu’on attend. Wetter, le 10 septembre 1943 Le 10 septembre, j’ai enfin reçu une lettre. C’est la première et elle m’a fait d’autant plus plaisir que c’est une des tiennes. Elle est datée du 25 août et c’est la seconde que tu m’envoies, mais je n’ai pas reçu la première. Wetter, le 15 septembre 1943 (…) Heureusement que je n’avais pas fermé la lettre. Je viens de recevoir ta lettre n°5 du 31 août ainsi que la lettre n°3 du 31 août de mes parents. Ce courrier est barré en diagonale de deux traits bleus faits par le service du contrôle du courrier, la couleur est assez pâle et permet la lecture sous la trace de couleur. Wetter, le 23 septembre 1943 À propos de Roger Pradelles *, il a mon adresse, car j’ai eu l’occasion d’écrire à Hilaire * qui est avec lui, et j’ai même reçu la réponse ces jours-ci. Je viens d’écrire chez moi. Je n’ai encore reçu que 2 lettres de la maison et je me demande ce qui se passe. 38

* Roger Pradelles et Hilaire sont deux amis Graulhétois également au STO en Allemagne. Il y aura plusieurs autres correspondances entre eux.


Les courriers sont écrits avec un stylo encre, sauf le lundi 4 octobre : (…) Je t’écris aujourd’hui au crayon, car le copain qui me prête l’encre n’est pas là. Il faudra tout de même que j’achète de l’encre, mais je n’y pense pas. Wetter, le 21 octobre 1943 Nous avons appris que l’envoi des colis pour les travailleurs en Allemagne allait être conditionné. Pourvu qu’on ne fasse pas pareil pour les lettres, c’est tout ce que je demande. (…) J’ai été obligé d’interrompre ma lettre une vingtaine de minutes à cause d’une alerte. Je reprends maintenant que tout danger est écarté. Wetter, le 15 novembre 1943 (…) À midi quand je suis allé manger la soupe, j’ai eu une petite émotion. Sur le chemin, j’ai rencontré un copain qui m’a dit que j’avais une lettre. Je pensais que c’était une des tiennes, car il y a quelque temps que je n’ai pas de tes nouvelles, mais ce n’était qu’une lettre de Vienne de Jean Bories *. (…) Après le souper je reprends ma lettre pour t’annoncer que j’ai enfin reçu le colis que tu as fait partir le 4 octobre. Après 42 jours de voyage il est enfin arrivé, et en parfait état. Je l’ai ouvert avec impatience et je trouvais qu’il y avait trop de ficelle. Tout était bien conservé, je te remercie beaucoup ainsi que ta mère, seules quelques biscottes étaient émiettées, mais après 42 jours de voyage cela se comprend. (…) Je n’ai pas encore reçu de tes nouvelles je commence à croire que tes lettres sont bloquées quelque part. J’espère que pour toi ce n’est pas pareil et que mes lettres t’arrivent régulièrement. Je le voudrais bien, car certaines sont assez intéressantes et j’aurai plaisir à les revoir plus tard. Wetter, le 22 novembre 1943 (…) Cette après-midi il faut que je sorte un peu et que j’aille jusqu’à la poste acheter des cartes postales pour écrire aux copains en Allemagne, une simple carte suffit bien et ça me permet d’économiser les enveloppes dont le stock commence à baisser sérieusement. La comptabilité des envois, au vu d’un acheminement irrégulier dans le courrier, (27 lettres de Georges à Annette, 20 lettres et 2 colis d’Annette à Georges en 4 mois), devient un problème récurrent. Wetter, le 26 novembre 1943 Je t’ai fait partir hier une lettre, je crois m’être trompé dans le n° et l’avoir numérotée 26, comme la précédente. Il se peut que tu reçoives deux n°26, * Ami Graulhétois au STO à Vienne

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cela n’a pas d’importance et d’ailleurs tu auras corrigé de toi-même. (…)J’ai reçu aujourd’hui deux lettres de toi, une du 3 novembre (le n°19) et une autre du 8 novembre (le n°20). Il me manque toujours le n° 16 et je n’ai pas beaucoup d’espoir de recevoir cette lettre maintenant. Wetter, le 1er décembre 1943 (…) Ce matin j’ai reçu deux lettres, une tienne (n°22 du 19 novembre) et une de chez moi du 10 novembre, et ce soir pour compléter la série une nouvelle lettre de toi (n°22 du 22 novembre) Tu peux penser si j’ai été heureux de recevoir tout ce courrier. Il me manque une partie entre le 8 et le 19 novembre, c’est pour ça que parfois je ne comprends qu’en partie. Par exemple tu me dis que ton frère n’a pas pu aller à Rabastens. Je croyais qu’il était parti pour les Landes. Pour le moment il fait bien de rester à Graulhet et de ne pas se laisser embobiner. À compter de janvier même les correspondances vont être “rationnées”. Wetter, le 17 décembre 1943 (…) Autre nouvelle pas très agréable celle-là : nous sommes rationnés pour l’envoi des lettres. Nous avons droit à pas plus d’une par jour, c’est embêtant car dans un jour de repos on pouvait écrire plus d’une lettre. Ne nous fâchons pas, car à Dortmund ils n’ont droit qu’à 2 lettres et à 3 cartes par mois. Wetter, le 21 décembre 1943 Aujourd’hui à midi quand je me suis levé j’ai eu le bonheur de trouver 3 lettres à mon nom. Une de mes parents et deux des tiennes (du 3 et du 6 décembre). J’oubliais de te dire que tes 2 lettres ont été ouvertes par la censure, mais rien n’a été effacé 11/12. Pas de fioriture dans ces courriers soumis à la censure ou du moins au regard des Allemands, sauf le jour de Noël où deux petits dessins 10 en haut de la lettre sont représentés. Dans la marge un paysage simple, une maison dont la cheminée fume, deux arbres dépourvus de feuillage, un chemin courbe qui amène à l’habitation et en bordure des plantations basses, dans le coin du dessin un oiseau semble picorer, dans le ciel de petits nuages et le mot Noël écrit en gras et majuscules. Dans le coin opposé, trois cheminées bien droites sortent d’une usine avec des poutrelles métalliques et un dôme imposant. Au bas du dessin les mots “L’usine et (Zut !).”

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10 petits dessins sur le courrier de Noël (voir documents annexes) 10/11 Traces de contrôle et de censure sur l’enveloppe et le courrier (voir documents annexes)


Ces deux petites vignettes semblent bien insignifiantes et tristes pour un courrier de fin d’année synonyme de fête, mais la description des repas de Noël avec force provisions provenant des colis de France, ajoute un peu de bien-être à ce courrier du 25 décembre 1943. Encore et toujours, la censure cherche dans les courriers : Wetter, le 6 janvier 1943 J’ai enfin reçu aujourd’hui une de tes lettres, mais elle est bien vieille puisqu’elle est datée du 6 décembre et de plus elle a été ouverte par la censure ; on avait même enlevé la doublure intérieure de l’enveloppe, c’est ce qui arrive chaque fois qu’une lettre est ouverte. La mise en garde de Georges contre certains écrits devient indispensable, une lecture entre les mots laisse supposer que les abus de langage ou simplement la vérité sont difficiles à dire et à écrire, ce qui suppose des précautions de langage sous peine de “stage à Dortmund” ! Wetter, le 11 mars 1944 (…) Et je suis persuadé qu’il * ne se tromperait pas de direction s’il avait à prendre le train : il fait bon dans le Midi. En m’adressant à toi personnellement, je voudrais te mettre en garde contre certains mots de tes lettres ; c’est très dur de ne pouvoir écrire ce que l’on pense mais il le faut dans ton intérêt, et il faut le dire aussi dans le mien, les stages à Dortmund ne me plaisent pas. Wetter, le 21 janvier 1944 Depuis 2 jours nous sommes au régime de 2 lettres par mois et je ne sais pas si celle -ci sera acceptée, je crois même que les jours nous seront fixés. Le chef de camp tient un livre et pointera chaque fois que nous lui donnerons une lettre, nous sommes obligés de passer par lui puisque la poste n’accepte plus nos envois, on ne peut pas contourner la difficulté. L’envoi de cartes reste libre mais il se pose encore là un autre problème, les bureaux de poste manquent actuellement de cartes. Je vous demande de ne pas vous inquiéter si vous restez un moment sans lettres. Le contournement de la censure existait parfois : (…) Ne t’étonne pas si cette lettre vient de France, c’est un permissionnaire (qui n’est pas moi) qui me la prend. Dimanche 20 février 1944, 17 heures. La transmission du courrier devient plus aléatoire, le personnel allemand est affecté à d’autres tâches ou redevient soldat sur des opérations à l’est du pays. * François, le frère d’Annette qui est encore en France

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Wetter, le 25 mars 1944 (…) Ces temps-ci il n’arrive pas beaucoup de lettres et je crois que beaucoup sont arrêtées à cause de certains mots… imprudents. Donc mieux vaut se restreindre et ne parler que comme des gens bien sages. Wetter, le 11 juin 1944 Il faut que je te dise que j’ai enfin reçu il y a quelques jours une de tes lettres du 14 mai. C’est les nouvelles les plus récentes que j’ai de France.J’ai bien peur maintenant de ne plus recevoir grand-chose, et ce sera peut-être pareil de ton côté. Depuis 15 jours je n’ai aucune nouvelle de René *, et je vais lui écrire de nouveau. La lettre n°52 du 1er août et la carte n°37 du 6 août 1944 seront les dernières reçues par Annette, triste anniversaire de départ vers l’Allemagne vu qu’il n’y aura aucune autre correspondance par la suite. Wetter, 6 août 1944 Enfin aujourd’hui j’ai reçu une de tes lettres, je me suis précipité espérant des nouvelles très fraîches, mais il s’agit d’une lettre du 4 juillet. La dernière reçue le 16 juillet datait du 3. Je suis heureux tout de même de voir que le courrier a repris. Durant cette période de 12 mois, de façon quotidienne puis hebdomadaire à partir de février 1944, Georges et Annette ont correspondu. Il ne manque pas un courrier, et si quelques timbres ont été enlevés, les enveloppes, le papier, l’encre ou le crayon parfois, ont conservé sans souffrir du temps, ces traces de vies, 70 ans après. Aujourd’hui, ouvrir les enveloppes, toucher un papier fragile mais encore résistant, découvrir une odeur caractéristique d’un document privé d’air et de lumière durant de longues années procure une sensation étrange, mélange de plaisir et d’inquiétude lié à la découverte d’instants de vie communs et intimes.

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* René est le frère de Georges, lui aussi au STO en Autriche. Depuis quelques semaines, un échange a lieu entre les deux frères. “Il est plus au sud que moi, il fait plus chaud, il va bien…” Peu de mots qui cachent sûrement des situations plus difficiles à faire connaître.


La baraque Le premier point de chute après l’arrivée en Allemagne fut la “baraque”, terme employé fréquemment. Cette baraque est le lieu où l’on retrouve un peu de chaleur humaine, et surtout en période froide, la chaleur physique du poêle tant pour le chauffage que pour préparer les repas. Ce bâtiment N°7 est semble-t-il proche de l’usine et conçu sur un modèle unique pour les travailleurs étrangers de ce secteur. Wetter, le 8 août 1943 On nous a répartis dans des baraques qui me font ressembler à celles de Pau et qui sont mieux qu’au Chantier. Nous sommes 18 dans chaque chambre et chaque lit est à un étage. Je couche dessous, le copain de Saint-Paul dessus. Nous avons trouvé en arrivant des travailleurs Français et des Russes, un de ces derniers nous balaie la chambre chaque matin, nous n’avons que le lit à faire. Wetter, le 31 août 1943 Voilà la fin du mois et avec elle les premières pluies. C’est un peu embêtant à cause des gouttières que nous avons dans la baraque, mais j’ai la veine de n’en avoir aucune sur mon lit. Wetter, le lundi 8 novembre 1943 Nous sommes quelques-uns dans la baraque. Certains écrivent, d’autres lisent, il y en a même un qui cherche les puces dans son lit, car ces sales bêtes commencent à rappliquer, et on les craint davantage que les alertes. Wetter, le 14 février 1944 Ce matin c’est le froid qui m’a chassé du lit car le poêle s’était éteint au cours de la nuit. On nous donne une caisse de charbon par jour, ce qui serait suffisant si c’était du bon charbon, mais ce n’est malheureusement que de la poussière et il 43


faut faire des prodiges pour conserver du feu. En plus la grille est cassée et pour toutes ces raisons nous passons des moments plutôt froids dans la baraque. Wetter, le 11 mars 1944 (…) J’ai vu de nouvelles planches pour baraques entassées dans notre camp. Il paraît qu’elles sont destinées à des travailleurs de l’Ouest, Belges, Hollandais ou Français. (…) Bien que la paillasse soit dure (7 mois que nous avons la même) je me trouve bien dans mon lit, car je pense à autre chose qu’à l’usine. Wetter, le 9 juillet 1944 La nuit dernière s’est très mal passée, et je crois que j’aurais préféré être à l’usine que dans mon lit ! En effet j’ai eu une attaque de puces et de punaises qui m’a tenu éveillé toute la nuit. D’ailleurs tous les copains ont été pareils dans toutes les baraques. Enfin ils vont se décider à désinfecter le camp cette semaine. Depuis bientôt un an que nous sommes là ce n’est pas trop tôt, et je voudrais bien aussi qu’on nous change la paille, mais comme pour beaucoup de choses c’est la pénurie. Wetter, le 14 juillet 1944 Je vais passer à la confection de mon lit que je vais asperger de poudre antipuces et antipunaises. Depuis 3 jours que je fais ainsi, je dors très bien en attendant la désinfection. René m’a écrit et me dit qu’il couche sur la table de la chambrée à cause des bestioles. Quel drôle de pays et quand le quitterons nous ? Les conditions matérielles de vie ne sont pas d’un grand confort dans ces baraques, et pour des jeunes d’une vingtaine d’années, le spartiate est semblet-il supportable et le seul lieu de repli par rapport à l’usine.

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Das arbeit Das arbeit * est un des premiers mots à connaître en arrivant en Allemagne pour les jeunes STO, vu qu’ils étaient là pour travailler. Pour ces requis qui ont quitté la France à la “demande” de leur gouvernement, cet emploi paraît assez peu motivant d’autant que pour nombre d’entre eux c’est un travail ou un métier dont ils ignoraient tout. C’est ainsi que Georges, futur enseignant, se retrouve avec d’autres enseignants et des séminaristes dans une fonderie de plaques de tanks. De plus les conditions de travail et les horaires sont totalement inacceptables, mais à 20 ans on fait des efforts pour soi, pour la famille, pour des tas de raisons personnelles, plus que pour l’employeur ou pour son commanditaire. Wetter, du 10 au 13 août 1943 Aujourd’hui a été pour moi la 1re journée de travail. L’usine où je travaille fabrique des tanks, je suis employé au montage des carcasses et des tourelles, d’autres sont employés aux laminoirs et aux fours. Mon travail consiste à polir des plaques à la meule électrique, à visser de temps en temps et à aider au montage. Je fais équipe de jour de 6 heures du matin à midi avec un arrêt d’un quart d’heure pour casser la croûte puis de une heure moins vingt à cinq heures. Cela fait 10 h de travail par jour. (…) Demain samedi je ne fais que 8 h mais de file, c’est-à-dire de 8 heures du matin à 2 heures de l’après-midi. Wetter, le 22 août 1943 J’ai terriblement envie de dormir d’autant plus que le travail de nuit est plus pénible que le travail de jour. Il me tarde de voir arriver 5 heures du matin. À ce moment-là, je me débarbouille bien à l’eau chaude et un saut rapide dans le lit jusqu’à 11 heures. (…) Hier j’ai eu mon premier accident, pas bien grave mais l’ongle a sauté. Heureusement un copain a un peu de matériel et a pu me soigner.

* Le travail

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L’approvisionnement en matériel de base semble aléatoire et les ouvriers sont réduits à un travail peu actif, ce qui leur convient, mais les blessures plus ou moins graves sont fréquentes. Wetter, du 8 au 11 septembre 1943 Aujourd’hui j’ai changé de travail, car nous manquons de matériel au montage. Aussi j’ai chargé des plaques et balayé, sans pour cela trop forcer. (…) Les sirènes viennent de sonner trois coups, preuve que les avions survolent la Hollande ou la Belgique. J’ai repris mon travail au montage mais je n’ai pas fait grand-chose vu qu’on manquait de matériel et que nous sommes en pré-alerte. Wetter, le 18 août 1943 Hier soir je ne suis pas allé travailler. Vers deux heures de l’après-midi, l’œil gauche m’a fait mal, il me coulait et je ne pouvais pas aller travailler dans cet état. C’est sans doute la lueur de l’arc électrique qui a provoqué cela, car les soudeurs soudent à l’arc qui produit une lumière vive et aveuglante. Wetter, le 21 septembre 1943 Aujourd’hui j’ai rechangé temporairement de travail, car il n’y avait pas de matériel pour nous. J’ai été à l’essai des plaques. On tire dessus avec un canon ou une mitrailleuse (pas moi) et une fois que nous sommes en présence d’une écumoire, on change de plaque et on recommence. Comme tu vois cela n’est pas bien pénible. Le travail continue au ralenti pendant les bombardements. Wetter, du 2 au 5 octobre 1943 (…) Hier cela a été ma dernière nuit de travail de la semaine et elle a été troublée, tu as certainement vu dans les journaux que la Ruhr a été bombardée et en particulier Hagen à 7 km de nous. L’alerte a duré plus de 2 h, tout le ciel était rouge. Ce n’est pas beau à voir et on souhaite rapidement la fin. L’ouvrier Allemand avec qui je travaille est absent depuis vendredi. Il habitait Hagen, sa maison doit être sinistrée et il n’est pas le seul dans ce cas à l’usine. (…) Dernier jour de la semaine, j’ai appris une bonne nouvelle : repos jusqu’ à lundi 6 h du soir, pas de travail. Ceci est la conséquence du manque de matériel et des bombardements.

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Wetter, le 8 décembre 1943 (…) Nous avons eu un peu de travail jusque vers minuit et de me remuer un peu ça m’a réchauffé. Après minuit le matériel a manqué. De temps en temps j’allais me chauffer au four de l’atelier voisin, mais il faut faire attention et ne pas se faire repérer ; il faut user et non pas abuser de cette petite permission. Dehors il y avait un brouillard à couper au couteau ; aussi les avions anglais ne sont pas venus nous voir et nos 11 heures de travail se sont déroulées sans pause supplémentaire. Le travail est de plus en plus irrégulier et les ouvriers semblent affluer en continu. Wetter, du 11 au 16 décembre 1943 Il est arrivé de nouveaux ouvriers à l’usine. Il s’agit de Polonais d’un peu tous les âges. Déjà qu’il n’y avait pas beaucoup de travail pour nous, je me demande ce qu’ils vont leur faire faire. (…) La nuit dernière a été paraît-il farcie d’alertes mais je n’ai rien entendu. On se couche tellement fatigués qu’il nous faudrait un bombardement pour nous réveiller. (…) Ce matin le matériel manquait et au début de l’après-midi une panne de courant nous a immobilisés jusqu’à 2 heures. Avec l’ouvrier Allemand qui est avec moi on a discuté un peu. Il m’a dit qu’il a été soldat à cette guerre-ci et il a fait la campagne de France. Pour le moment il est démobilisé, mais il craint d’être rappelé car il y a beaucoup d’ouvriers, des jeunes surtout, qui quittent l’usine pour l’armée. Wetter, du 19 au 21 décembre 1943 La nuit dernière j’ai enfin très bien dormi et j’ai récupéré pendant 12 heures de 9 h à 9 h ce matin tu peux croire que j’en ai écrasé. Le malheur c’est que la nuit prochaine ça ne va pas être la même histoire. Ce sera bien la 1re fois que je travaille dans la nuit de dimanche à lundi, alors que si j’étais en France nous serions très bien au cinéma après un bon souper. (…) Ce n’est qu’avec la fin de la guerre que je reverrai Graulhet à moins de tomber subitement malade, ou comme cet étudiant hier soir qui a été coincé sous des grosses plaques. Il a l’os de la cuisse cassé, et je crois qu’avec ça il pourra dire adieu à l’Allemagne. Mais je ne crois pas que ce soit vraiment une solution, et c’est bien entier que je désire te revoir. Wetter, du 11 au 13 janvier 1944 (…) Je m’aperçois que tu n’as pas perdu l’habitude d’arriver à l’atelier plutôt à 8 h 05 qu’à 8 h. Ici nous devons pointer nos cartes à une machine spéciale et une minute de retard c’est un quart d’heure de paye en l’air avec quelques fois autre 47


chose en supplément. Même en pointant à l’heure juste, ce qui m’est arrivé l’autre jour, on m’a fait sauter un quart d’heure. (…) Contrairement aux journées précédentes il n’a pas plu. La Ruhr a tout de même très grossi et certaines parties de l’usine ont déjà bu un coup. (…) Nous n’avons pas fait beaucoup de travail car la plaque arrière de la tourelle était gondolée, puis ça a été le devant. Contremaître, ingénieur, tous se sont amenés et après avoir bien délibéré il a fallu recommencer avec un autre matériel. Wetter, du 21 au 29 janvier 1944 Depuis le début de la semaine mon horaire de travail a changé, c’est maintenant 12 heures d’usine que je m’appuie, de 6 h à 18 h quand je suis de jour, et de 18 h à 6 h le lendemain quand je suis de nuit. De cette façon je n’ai le temps de rien faire quand je suis de jour, et mes heures de sommeil sont comptées quand je suis de semaine de nuit. (…) Je crois que nous allons reprendre pendant onze heures la semaine prochaine car cette solution n’a pas donné les résultats qu’escomptaient les ingénieurs. Je préfère car une heure de travail de moins compte surtout de nuit. (…) Il y a tout de même une amélioration dans la nourriture, mais je suis obligé de m’aider un peu avec mes provisions, car il faut bien tenir 12 heures. Wetter, le 20 février 1944 Dimanche 20 février 17 h, J’arrive du travail, j’ai travaillé un dimanche entier de 6 h du matin à 5 h du soir après avoir fait toute une semaine de nuit. Ces jours-ci nous avons eu la visite d’un personnage important dans l’industrie de la guerre et il ne s’est pas montré satisfait du rendement. Conséquence, une journée supplémentaire cette semaine, et je ne sais pas si cela va durer pour les semaines à venir. En tout cas je peux te dire une chose, c’est qu’il y a des moments où j’en ai pardessus la tête, 71 heures de travail cette semaine. Nous sommes loin des 40 heures et des congés payés. Combien cela va-t-il encore durer ? Wetter, le 7 mars 1944 (…) Aujourd’hui avec le copain français qui travaille avec moi nous avons eu un accrochage avec l’ingénieur qui trouvait que l’on ne travaillait pas assez vite. L’incident a été vite clos car nous lui avons fait comprendre que nous n’étions ni spécialistes, ni volontaires.… Je pense t’envoyer une photo, un dimanche matin alors que je travaillais, j’ai été appelé au réfectoire ainsi que tous mes camarades et on nous a pris des photos (pour l’usine, le camp, etc.) Comme il y en a de reste il est dit qu’on nous en passera.

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Wetter, du 6 au 20 avril 1944 (…) Il est 3 heures de l’après-midi, je devrais être au travail mais un accident qui m’est arrivé ce matin à 10 heures me retient à la baraque. J’ai voulu dégager une chaîne qui s’était coincée sous une plaque, et j’y ai laissé mon doigt à la place. Comme c’était une plaque d’environ 300 kg, inutile de te dire comment était mon doigt. Le bout avait éclaté et la chair sortait, l’ongle s’était enfoncé à l’intérieur. Avec ça j’ai bien réagi et après un pansement sommaire à l’usine, j’ai été envoyé à l’hôpital où le docteur m’a fait 2 piqûres et a ensuite arraché l’ongle. Je dois y revenir demain pour changer le pansement. Dans l’ensemble, c’est la bonne blessure, pas très gênante puisqu’il s’agit de la main gauche. (…) J’ai repris le travail après 13 jours de repos, le docteur me trouvant apte à travailler. (…) J’ai donc retrouvé l’usine et, mon travail a un peu changé. Je ne monte plus les tourelles de char de 35 T, mais d’autres plus grosses encore puisqu’il s’agit de celles du fameux tank baptisé “le Tigre”. Wetter, le 30 avril 1944 (…) Hier soir j’ai fini mon travail à 8 h, et pour cette dernière journée je n’ai pas eu grand-chose à faire car il manque du matériel. Malgré ça nous travaillons demain 1er mai alors que régulièrement nous devions nous reposer comme ils l’avaient dit jour férié. Wetter, le 17 mai 1944 (…) Je vois que tu n’as pas reçu encore ma carte t’annonçant mon accident, il y a même des chances pour que tu ne la reçoives plus car elle est peut-être en cendres pour le moment. J’ai reçu sur la main gauche une plaque d’environ 300 kg et ça a suffi pour me faire tirer 13 jours de repos. L’ongle que l’on m’a arraché repousse, il est pour le moment au tiers de sa grosseur primitive. Mais ceci n’est rien à côté des accidents mortels qui arrivent souvent. Ce matin un Russe a été coincé par un gros wagon qui transportait des plaques rouges (sorties de fonderie) inutile de te dire la suite. La semaine dernière c’est un Allemand et un Polonais qui y ont laissé la peau. Il faut faire preuve d’une attention de tous les instants. Wetter, le 14 juillet 1944 (…) Aujourd’hui j’ai appris la bonne nouvelle, il s’agit de nous refaire travailler demain 12 heures au lieu de 8 et de prendre la nuit dimanche au lieu de lundi. Aussi personne n’est content, surtout les ouvriers allemands et ils sont allés voir l’ingénieur. Qu’en résultera-t-il ? Je n’en sais rien mais je me demande parfois s’ils ne veulent pas nous “espoutir” tout-à-fait.

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Wetter, le 1er août 1944 (…) J’ai repris la journée de 11 heures et une heure de moins c’est sensible, cette semaine je travaille de nuit et de 5 h du matin à 1 h de l’après midi je reste couché. (…) Cette nuit j’ai failli m’écraser le gros orteil du pied droit en déchargeant un wagonnet. Une pièce de char d’une vingtaine de kilos a rebondi sur mon pied et je marche en boitant un peu. Les accidents de ce genre arrivent fréquemment et je pense au copain qui la semaine dernière a eu 3 doigts de pied écrasés ; on a été obligé d’amputer. Tout le monde malheureusement ne rentrera pas sain et sauf en France. C’est pour ça qu’il me tarde de voir finir tout cela. Le principal serait de voir le monde en paix, le reste suivra bien… Les correspondances entre Georges et Annette n’existent plus après cette date, mais il semble que les conditions de travail, les horaires, l’approvisionnement en matériel et l’encadrement soient de plus en plus irréguliers et soumis à des contraintes liées à la guerre sur le sol allemand dans cette région de la Ruhr sujette aux bombardements des sites industriels. La mauvaise qualité du charbon utilisé diminue le rendement des fours et aussi du chauffage des baraques. La plus grande mobilisation des ouvriers allemands vers le front de Russie notamment, désorganise la maîtrise de l’usine et la seule réponse par plus d’heures travaillées n’apporte pas la réponse attendue, et serait même contre-productive au vu des accidents nombreux, ordinaires ou très graves, et des mouvements d’humeur des ouvriers allemands ou requis qui comme le rappelle Georges ne sont ni des spécialistes ni des volontaires.

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Se nourrir Kartoffel : la pomme de terre. Encore un mot qui est devenu rapidement un mot courant et connu de tous. Si le travail occupe 50% du temps, la nourriture et les repas sont une préoccupation journalière qui conditionne l’humeur et la santé pour assurer les 12 heures de labeur quotidien. La base des repas est assurée par ce légume servi à toutes les sauces, trop claires au goût de Georges, d’autres ingrédients peu ou pas connus figurent également au menu. Pour la boisson la bière bien que meilleure qu’en France est moins appréciée que le vin grand absent de ces années -là. Le goût des “bonnes” choses revient avec les colis envoyés de France, car c’est un produit qui a un lien direct avec l’expéditeur familial et qui témoigne d’une mémoire gustative associée à des souvenirs agréables. Dès le premier jour le ton est donné. Wetter, le 9 août 1943 Pour manger on nous a donné une fourchette et une cuillère ainsi qu’une grande jatte. Les repas ici c’est le plat unique, mais abondant. À midi nous avons une pleine jatte de soupe qui est surtout constituée par des pommes de terre et des légumes. Le soir même chose à 6 heures avec en plus un morceau de pain de 200 à 300 g avec du beurre et une espèce de boudin pas mauvais. Le matin nous n’avons rien. Il s’agit de se débrouiller avec ce qu’on nous donne le soir. Wetter, le 9 août 1943 La nourriture d’aujourd’hui était convenable mais ils ont une drôle de façon de faire la cuisine. On nous a mélangé des pommes de terre en sauce avec des tomates apprêtées en salade, le tout arrosé par du bouillon. Il est évident que nous aurions aimé avoir tout cela séparé, mais on s’y habitue. 51


Parfois le repas est plus léger. Wetter, les 25 et 30 août 1943 Je viens de terminer le repas, bouillon, pomme de terre, verdure et une boule de viande de la grosseur d’un œuf de pigeon. Ce soir pour le repas, soupe au lait c’est-à-dire lait en poudre avec un peu de tapioca. Ce n’est pas mauvais parce que c’était sucré, mais comme repas ce n’est pas volumineux. Le morceau de pain d’hier et une bille de chocolat ont complété l’ordinaire. Les provisions sont faites régulièrement. Wetter, les 8 et 9 septembre 1943 Avec les copains, je viens de prendre mon demi de bière de chaque jour. C’est notre seule boisson, et au café on ne sert que ça. Chaque soir, à 3 copains nous remplissons le bidon que j’ai emporté, et nous avons notre bière pour le cassecroûte de 10 heures. Aujourd’hui encore je me suis envoyé une gamelle et demie de patates et de choux et c’est avec le ventre content que je vais prendre un peu de repos. Georges avec un peu de débrouille devient parfois cuisinier. Wetter, le 26 septembre 1943 Aujourd’hui dimanche, je ne sais pas pourquoi on nous a servi la soupe du soir à 4 heures. Et comme soupe ce n’était pas extra, soupe au lait ou plutôt à la farine. Il est évident qu’on ne pouvait pas attendre le lendemain avec seulement ça dans l’estomac. Aussi nous avons décidé de faire des nouilles et avec un copain séminariste nous étions volontaires. Seulement pas de récipient assez grand pour 15. Alors avec 2 cigarettes, nous nous sommes procuré un seau. Le Russe de la cuisine a bien voulu accepter le marché. Nous avions un peu de graisse du jambon, enfin rien ne manquait. On disposait aussi d’un poêle à la fonderie de l’usine et ici dans la Ruhr le charbon à volonté. Elles étaient brûlées un peu mais les copains les ont jugées excellentes, en plus on leur avait préparé un bon café et on s’est levé de table l’estomac content. Enfin je suis content de mon nouveau talent de cuisinier, quand on est capable de faire la cuisine pour 15 on peut très bien la faire pour deux, heureuse la femme qui voudra s’embarrasser de moi ! Ce récit témoigne d’un esprit de groupe, de débrouille, mais aussi du temps futur évoqué de façon plaisante à travers cette remarque : 52


(…) Tu as bien fait de garder des raisins, ils seront sûrement secs quand j’en mangerai, et je les trouverai meilleurs à mon retour. Manger pour tenir, manger pour manger… Wetter, le 2 novembre 1943 À midi nous avons eu une pleine gamelle de choux et de pommes de terre. J’ai hérité de la part de choux d’un copain et des pommes de terre d’un autre parce qu’ils n’avaient pas faim. Ils ont de la veine de pouvoir prononcer ces mots, moi encore ça ne m’est pas arrivé. Et sauf la soupe à l’anis qui ne me fait pas trop plaisir mais que je mange quand même, tout le reste est rapidement avalé sans difficulté. Wetter, les 7 et 10 novembre 1943 (…) À 3h on a servi la fameuse soupe au lait de chaque dimanche. Heureusement que ce soir avec Pagès on fait des nouilles. Il a reçu un colis avec des pâtes et on va s’en mettre un plein ventre. J’ouvrirai pour l’occasion une boîte de veau et j’ai comme l’impression que l’on ne s’en fera pas trop. Pour le moment les nouilles sont en train de bouillir, et elles sentent bon. Malgré tout ça la vie continue ici toujours la même. On s’arrête à peine pour manger et on pense ensuite à dormir. Un lien culinaire et même olfactif avec la France est toujours apprécié : (…) Pour le moment, des châtaignes sont en train de griller sur le poêle et ça donne une bonne odeur à la chambrée. Ce sont des châtaignes que des copains ont reçues dans un colis et ça fait plaisir de manger un peu de fruits de France. La qualité et la quantité des repas semblent régulièrement se dégrader et les colis sont de précieux secours. Wetter, le 16 novembre 1943 J’ai enfin reçu le colis que tu as fait partir le 4 octobre, après 42 jours de voyage il est enfin arrivé, tout était bien conservé, seules quelques biscottes étaient émiettées. Cela me permettra d’améliorer mes soupers car ce n’est pas avec un bout de pain et une cuillère de confiture, comme on a eu hier soir qu’on peut attendre le lendemain. Wetter, le 28 novembre 1943 Hier après-midi j’ai eu un sérieux coup de bambou. J’étais au fond, j’ai abandonné le boulot à 6 heures pour aller manger la soupe et le courage m’est revenu. Mais tu peux croire que c’est dur de travailler avec un régime de lapin. Ce matin j’ai mis à cuire des haricots pour le souper de ce soir. Pour Pagès et moi, 53


j’en ai mis 3 quarts, ce qui nous fait une fois cuits une gamelle de 2 litres ou presque pour chacun. Je crois qu’on va s’en mettre une pleine ventrée ; une fois par semaine, c’est bien normal. Wetter, le 12 décembre 1943 Ce soir j’ai les jambes en flanelle. Je tiens le coup grâce aux colis car si tu avais vu ce que j’ai eu à midi pour manger (4 patates et un petit bout de viande), tu aurais cru que j’étais à la diète.… Cette semaine on n’a pas un moment pour faire la cuisine aussi ce soir on va se taper les boîtes de haricots, je saurai te dire s’ils sont bons, ils seront certainement meilleurs que les navets de Wetter. Wetter, les 13 et 15 décembre 1943 Il faut que je te dise que hier soir, Pagès et moi nous nous sommes régalés avec tes haricots. Ça nous a remis un peu de force dans les jambes. Tout va mieux après le colis reçu mais tout redevient bien triste le lendemain, la fatigue, les bombardements et la soupe claire. La nuit dernière a été paraît-il farcie d’alertes, mais je n’ai rien entendu, on se couche tellement fatigués qu’il nous faudrait un bombardement pour nous réveiller, je vais quand même aller chercher ma soupe : carottes et navets avec “pla d’aigo *” Noël approche et 3 jours de congés sont alloués à tous, repos et préparation de festivités sont à l’ordre du jour. Wetter, le 24 décembre 1943 J’écris cet après-midi dans un désordre indescriptible. Nous nous retrouvons tous ensemble dans la chambre, chose rare, puisque personne ne travaille. Tout le monde prépare plus ou moins le réveillon et déjà quelques bonnes odeurs montent dans l’air, j’ai réussi tout de même à trouver un coin de table libre au milieu des gamelles et des boîtes de conserve. Ce soir nous avons deux veillées, une organisée par le chef de camp où nous irons par intérêt car je crois qu’il y aura une distribution de cigarettes, puis plus tard une autre dans un camp voisin de Wetter, organisée par nous. On sent qu’il y a un peu de joie dans l’air, mais c’est quand même un peu forcé, la plupart d’entre nous pensent aux Noëls des années précédentes. Nous nous raisonnons un peu en pensant que l’an prochain nous serons de nouveau chez nous.

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* Beaucoup d’eau, en occitan


La veillée de Noël est à la hauteur des espérances tant festives que culinaires et le courrier du 25 en témoigne. Wetter, le 25 décembre 1943 Pour la première veillée, il y a eu une chorale d’ouvriers allemands de l’usine avec de belles chansons de Noël, mais on n’a pas compris grand-chose. À la fin chacun de nous a touché une grosse brioche de plus d’un kilo, un sac de gâteaux secs et 24 cigarettes. Ensuite il y a eu une seconde veillée dans le camp des travailleurs français de Wetter. Ce n’était pas formidable car c’était organisé par des séminaristes et ça sentait un peu l’église. Et enfin pour inaugurer dignement le jour de Noël le réveillon était là. À titre indicatif voilà le menu : saucisson pur porc, sardines à l’huile d’arachide de provenance belge, jambonneau, haricots verts sautés au jambon, civet de lapin (sauvage), riz au lait caramélisé, brioche et gâteaux secs, et pour arroser le tout : vin à l’essence de houblon (c’est-à-dire bière), café et gnole. Je dois remercier tous ceux qui de France ont pensé à nous, car il est évident que sans les colis on n’aurait pu faire cela. Cependant le courrier ne va pas très fort. J’attends le colis parti de chez moi le 12 novembre, ça fait déjà 44 jours qu’il est en route. Quand il s’agit de nous expédier à nous, le voyage n’a pas duré si longtemps. Wetter, les 30 et 31 décembre 1943 J’ai été averti que j’étais de corvée pour aller chercher du vin dans un village voisin. Donc sac à dos avec plusieurs camarades des baraques voisines, nous sommes allés chercher ce vin. Il nous est offert par le gouvernement français à l’occasion du Nouvel An à raison d’un litre pour 5 (de quoi rouler sous la table). Depuis 5 mois que je n’en ai pas bu ça me fera tout de même plaisir, mais le verre que je boirai ne vaudra pas les 5 km qu’il m’a fait faire en pleine nuit, dans le froid et sous les avions anglais car hier, de nouveau ils nous ont survolés en direction de Berlin. La radio allemande a paraît-il annoncé 1500 appareils au-dessus de nous. Les colis toujours attendus et appréciés. Wetter, le 10 janvier 1944 Pour souper hier soir j’ai mangé quelques morceaux de poulet, celui que j’ai reçu dans le dernier colis et depuis 5 mois que j’en étais privé je l’ai trouvé excellent. J’en ai eu encore pour moi ce soir, et pour une fois j’ai laissé les rutabagas à la cuisine.

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Wetter, le 6 février 1944 Pour moi ça va et il faut croire que le régime rutabagas me fait du bien, maintenant nous n’avons qu’une fois par semaine des pommes de terre (le dimanche). (…) Wetter, le 3 mars 1944 Il va falloir que j’aille faire une course en ville, je vais chercher du “pa *” que j’ai eu avec du produit parole. Les pommes de terre et le pain semblent se faire rares en ce début d’année 1944, mais les périodes de fêtes sont toujours un prétexte à “bombance”. Wetter, le 11 avril 1944 Hier soir nous avons fait un repas en commun dans la baraque grâce à ce que l’on nous avait distribué à l’occasion de Pâques. Au menu il y avait du pâté et du saucisson, puis une omelette aux pommes de terre, des nouilles et du veau et pour terminer une crème au chocolat. Dimanche nous avons touché un kilo de pain blanc, 5 œufs et quelques bonbons. Ce soir nous aurons sans doute le tabac du mois. Depuis quelques semaines les courriers ont rétréci, ce sont des cartes postales et l’espace restreint est plus dédié à la fatigue des 11 à 12 heures de travail et aux attaques aériennes qu’aux repas, peut-être que tout a été dit et que cela ne vaut pas la peine d’en parler, car cela devient très douloureux. Wetter, le 2 juillet 1944 Question nourriture ce n’est pas fameux ; et depuis que nous touchons séparément notre pain et le reste pour le casse-croûte, la cuisinière semble se venger sur les soupes. Jamais je n’aurais cru les hommes capables de manger ce que nous avalons pour le moment. Dans un des derniers courriers reçus par Annette une certaine lassitude apparaît tant dans le travail que dans les événements peu optimistes, les repas aussi sont source d’inquiétude pour pouvoir assurer avec le moindre risque les efforts demandés. Hélas la fatigue se traduit souvent par un défaut de vigilance qui conduit à l’accident. Wetter, les 1er et 6 août 1944 Je travaille toujours comme avant, j’ai repris la journée de 11 heures. Je travaille de nuit cette semaine. La nourriture non plus ne varie guère. Hier soir nous avons eu 56

* Du “pa” sûrement du pain, avec du produit parole, sûrement un marchandage ou un échange quelconque.


de l’eau chaude dans laquelle nageaient quelques débris de choux. Aujourd’hui à midi j’ai eu une gamelle de carottes hachées menu avec des pommes de terre et des navets. Cette nuit j’ai failli m’écraser le gros orteil du pied droit en déchargeant un wagonnet, je marche en boitant un peu. Les accidents de ce genre arrivent fréquemment et je pense au copain qui a eu trois doigts de pied écrasés, on a été obligé de l’amputer. Tout le monde ne rentrera pas sain et sauf en France. La nourriture n’a pas varié, nous voyons très peu de pommes de terre pourtant il en arrive de pleines charrettes. Il faut dire aussi qu’il y a deux cuisines: la nôtre et celle des ouvriers allemands (ça se passe de commentaires). Je te quitte en t’envoyant mille baisers. La nourriture prend toujours autant de place dans cette correspondance du dernier courrier reçu par Annette.

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Aircraft and bombs La Ruhr est une rivière qui a donné son nom à la région la plus industrielle d’Allemagne depuis les années 1920. C’est grâce aux mines de charbon que la sidérurgie s’est développée et c’est dans cette région que les gouvernants de l’époque ont concentré la production d’acier et de matériel de guerre. Dans les années 1940 l’industrie de l’armement produisait toutes sortes de tanks et autres engins militaires. L’usine où travaillait Georges a participé à la construction du super char “Tigre” de 1942 à 1945, le plus lourd engagé dans cette guerre. C’est donc dans ce secteur que les alliés (de la France) ont fait porter leurs efforts de destruction par voie aérienne. C’est là où l’on mesure tout le paradoxe des pensées qui pouvaient animer les jeunes du STO requis et non volontaires, pour construire dans des conditions très contraignantes des outils de guerre utilisés par les ennemis de la France, pendant que les Alliés tentaient de détruire ces usines de production dont ils étaient les ouvriers esclaves… Dès septembre 1943 Georges a dû apprendre les codes concernant les pré-alertes, les alertes, les replis, et autres moyens pour échapper aux bombardements qui étaient souvent destinés à des usines dans des villes plus au nord de Wetter. Wetter, le 6 septembre 1943 Pour le moment nous sommes en état de pré-alerte. Les sirènes viennent de sonner 3 coups preuve que les avions ennemis survolent soit la Hollande soit la Belgique. Mais il fait encore trop jour, je ne crois pas qu’ils vont venir jusqu’ici. Wetter, le 2 octobre 1943 Hier ça a été ma dernière nuit de travail de la semaine, et je te prie de croire qu’elle 58


a été troublée. En effet, nous avons eu une belle alerte et même mieux que ça. Tu as vu certainement sur les journaux que la Ruhr a été bombardée et en particulier Hagen à 7 km de nous. Ne te fais pas quand même de souci, je suis très prudent, les abris sont sûrs et après ce que j’ai vu cette nuit je ne serai pas le dernier à me protéger. L’alerte a duré plus de 2 heures et tout le ciel était rouge dans la nuit. Ils ont bombardé au phosphore et tout aujourd’hui des réfugiés et des blessés arrivent. Ce n’est pas beau à voir et on souhaite rapidement la fin. Nous avons une nouvelle alerte mais sans casse. Dans l’abri, j’avais pris une petite musette en cas d’accident, car on ne sait jamais. Beaucoup de réfugiés d’Hagen sont arrivés à notre camp et déjà ça s’y connaît un peu rapport à la soupe. Wetter, le 30 octobre 1943 Demain je ne travaille pas à l’usine. J’ai été désigné avec 2 camarades Français pour aller à Aspe un petit village des environs de Hagen qui a souffert des bombardements. On doit déménager un ouvrier sinistré. Ça me fera un petit dérivatif à mon travail et une petite balade. Dans les récits relatés par bon nombre d’historiens on reconnaît que le premier raid important de la bataille aérienne dont Berlin était la cible principale se déroula dans la nuit du 18 au 19 novembre 1943. À 400 km plus au sud dans la Ruhr les avions de la Royal Air Force ont aussi tracé leur passage. Wetter, le 19 novembre 1943 À propos d’alertes, nous en avons eu deux de soignées. La première comme d’habitude vers les 7 heures, pour celle-là ça n’a pas trop tapé, mais elle a été longue (2 heures et demie). Je venais à peine de me coucher quand les sirènes ont sonné de nouveau et j’ai été obligé de me lever car ça tapait dur et des éclats volaient un peu partout sur les baraques. Je ne suis quand même pas allé à l’abri et comme j’avais sommeil je me suis recouché tout habillé sur le lit et je n’ai plus rien entendu. Pourtant il paraît que ça crachait dur. Enfin au beau milieu de la nuit j’ai été étonné de me retrouver tout habillé sur mon lit. Wetter, le 23 novembre 1943 Hier soir j’ai recommencé de nuit et pour la première nuit nous avons été bien servis : 2 alertes de 7 h à 8 h et l’autre de 8 h et demie à 11 h moins le quart. Les avions sont passés sur nous nombreux en direction de Berlin. Il n’y a eu pour nous que quelques éclats de DCA, sans aucun mal.

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Les alertes sont quotidiennes et semblent les bienvenues quand elles ont lieu pendant le travail. Wetter, le 1er décembre 1943 (…) Ici aussi nous avons notre couvre-feu, mais ce n’est pas pour les mêmes raisons. Les voisins d’en face viennent toujours nous voir aussi régulièrement. Hier soir tout de même ils nous ont laissés tranquilles, mais c’est ce matin vers 5 heures qu’ils sont venus, ce qui nous a permis de gagner un quart d’heure sur le travail car la fin de l’alerte a sonné à 6 h et quart. Wetter, le 20 décembre 1943 Ce matin j’ai reçu une carte de Lucien Py (STO graulhétois à Berlin). Il est obligé de travailler plus que de coutume pour rattraper les jours de congés de Noël et du nouvel An, mais il ne voudrait pas être dérangé par ces messieurs d’outre-manche. Depuis une quinzaine ils ont été tranquilles pour les alertes mais le 16 il me dit que le centre de Berlin a été de nouveau bombardé. Ce matin nous avons eu une pré-alerte, je ne serais pas étonné si les raids reprenaient maintenant que le temps s’est un peu arrangé. Pas de trêve de fin d’année. Wetter, le 1er janvier 1944 Il faut croire aussi que les voisins d’en face ne nous oublient pas. Bien que ce soit samedi (jour des juifs) et le 1er de l’An nous avons eu ce soir une pré-alerte. Je vois que l’alerte tarde à sonner et peut-être resterons-nous tranquilles. N’empêche que c’est une drôle de vie que d’être toujours suspendu au son des sirènes. Toute la nuit dernière a été coupée par des alertes et ils n’étaient pas loin de nous. Il paraît même que quelques trains de la région ont été attaqués à la mitrailleuse et à la bombe. Le début de l’année a été agité et ça promet pour les jours à venir. Cette semaine je reprends de nuit, mais je compte que nous aurons quelques alertes qui raccourciront la nuit. Comme je le prévoyais nous avons déjà eu deux alertes, une à 5 heures au moment de sortir de l’usine et l’autre à 11 heures. La DCA a tapé dur un petit moment, on entendait distinctement les avions qui avaient l’air d’être assez nombreux. La nuit dernière s’est bien passée, sans alerte malheureusement, ce qui fait que j’ai tiré 11 heures sans presque me reposer; remarque qu’il vaut mieux ça qu’un bombardement en règle.

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Cette première semaine de l’année a été fortement marquée par l’activité de l’aviation appelée “avions ennemis” ou “ces messieurs d’outre-manche” ou “les voisins d’en face”. Il n’est jamais question d’Alliés, et entre la crainte d’être pris sous les bombes et le fait qu’à chaque alerte le travail est suspendu, Georges s’en remet au courrier qu’il fait parvenir par un copain rapatrié pour qu’Annette connaisse “exactement la vie d’ici”. Wetter, du 2 au 4 janvier 1944 Ne crois pas que si je ne me plains pas trop c’est parce que je ne veux pas vous faire de la peine. Je ne sais pas si tu te rends compte exactement de ma vie ici ; ce que je peux te dire c’est que bientôt de vive voix tu sauras comment ça se passe, car certainement un copain rapatrié viendra voir mes parents. Malgré tout, un peu de dérision pour parler des Anglais. Wetter, le 10 janvier 1944 Pour le moment le permissionnaire nous raconte ses impressions. Je suis en train de fumer une cigarette anglaise, offerte par lui, et c’est sans doute pour ça que nous n’avons pas d’alerte ; les aviateurs anglais sentant cette odeur de tabac ne veulent pas nous déranger. Ils sont tout de même venus à midi ce qui ne nous a pas empêchés de dîner avec calme. Les attaques se réduisent sur la Ruhr : météo peu favorable, autres cibles, défense plus active ? Georges s’inquiète alors des bombardements en France. Wetter, les 6 avril et 4 mai 1944 Je vois qu’à Graulhet aussi vous vous préparez en cas de bombardement, j’espère que cela n’arrivera jamais et si le personnel de la défense passive est entraîné les dégâts sont limités. Depuis 2 ou 3 jours nous n’avons plus d’alertes, je vois que cela n’est pas pareil en France surtout dans notre région. Toulouse est encore loin mais il faut se méfier car un avion pourchassé jette ses bombes un peu partout. J’espère que tu ne connaîtras pas cela, c’est toujours plus affreux que ce qu’on pense. Les bombardements reprennent. Wetter, le 23 mai 1944 Ici tout avait été calme jusqu’à hier soir, mais la valse a repris sur le coup de minuit et demi. Nous commencions à croire qu’ils délaissaient la Ruhr, nous sommes 61


obligés de reconnaître le contraire, on a changé le mode de signalisation pour les alertes. Quand les sirènes sonnent un coup, c’est que les avions passent la frontière. À deux coups le danger se rapproche, à trois coups, c’est l’alerte en ville ; à ce moment les civils gagnent les abris, mais l’usine continue à marcher tout de même. Nous n’évacuons l’usine pour aller aux abris que lorsque les sirènes sonnent 6 coups brefs. À ce moment-là il ne s’agit pas de rester bouche bée, car nous sommes survolés, la DCA cogne dur et s’il leur prend fantaisie de lancer quelques bombes ils en sont maîtres. Donc aussitôt que les 6 coups ont sonné on arrête les machines, peu à peu les lumières s’éteignent, et c’est le pas de course vers les abris. À ce moment-là on ressent tout de même une drôle d’impression, on traverse en courant l’usine toute noire au milieu de quelques éclats de DCA, et enfin arrivés dehors on jouit du spectacle, pas pour longtemps car le chef d’abri nous fait rentrer en vitesse. Cette nuit donc du côté nord c’est-à-dire Dortmund le ciel était tout rouge des incendies déjà déclarés. Les projecteurs fouillaient le ciel à la recherche des avions et des fusées vertes et rouges appelaient la chasse allemande. Jusqu’aux environs de deux heures la musique a continué en se rapprochant même de chez nous et quelques bombes ne sont pas tombées loin. Pendant ce temps dans l’abri la plupart discutent, d’autres lisent ou jouent aux cartes mais beaucoup dorment. En sortant, panne d’électricité, preuve qu’il y avait eu du grabuge dans le coin. Le 6 juin a semble-t-il changé la donne, les alertes sont moins fréquentes sur la Ruhr, mais encore des raids surviennent, un courrier de juillet en fait encore état. Wetter, le 4 juillet 1944 Vers une heure du matin les anglo-américains ont été annoncés. L’alerte a sonné en ville, mais pas à l’usine. Elle a été de courte durée et leurs stocks de ferraille n’ont pas été pour la région. Pas d’autre courrier après la fin du mois de juillet, le travail dans les usines d’armement ralentit, les Allemands sont occupés sur plusieurs fronts et le manque de matière première venant de Silésie notamment, ainsi que la rupture de certains barrages suite aux bombardements alliés, privent l’industrie de ressources et d’énergie, ce qui laisse présager la fin de certaines hostilités mais pas dans l’immédiat, et comme le dit Georges : Wetter, le 1er août 1944 Même si la guerre se terminait bientôt, ce que nous espérons tous, ça ne veut pas dire que le rapatriement viendrait de suite. Le principal serait tout de même de revoir le monde en paix. Je m’arrête là pour aujourd’hui en t’embrassant bien fort. 62


Les autres Georges partageait son espace et sa vie avec un nombre restreint de connaissances et seuls quelques moments de détente permettaient un échange et un rapprochement avec les “copains”, peu de camarades ni d’amis tout au moins dans les écrits. Trop de fatigue au travail et grand besoin de repos ou simple envie d’être seul, jamais les courriers ne témoignent d’une envie ou d’un besoin d’être avec les autres. Le copain le plus souvent cité n’a pas de nom ni de prénom, il est de Saint-Paul dans le Tarn. Wetter, le 9 août 1943 Nous sommes 18 dans chaque chambre et chaque lit est à un étage. Je couche dessous et le copain de Saint-Paul (celui de la micheline) couche dessus. Wetter, les 26 et 28 août 1943 Cette après-midi il est arrivé 5 instituteurs de Bretagne et parmi eux il y en a 2 de la classe 44. Aujourd’hui j’ai travaillé avec un nouveau copain, car mon premier camarade s’était blessé à l’œil. J’ai été employé au transport des plaques, ce qui fait que toute la journée j’ai eu de nouveaux camarades : 2 Russes, 1 Polonais, et 1 Belge. Une vraie salade. Le Belge seul parlait français et avec les autres nous procédions par gestes. Nous avons eu la satisfaction de toucher dans les 300 grammes de pain blanc, mais il n’y a rien avec. On s’arrange entre copains aujourd’hui, c’est un copain qui a ouvert une boîte, un autre jour ce sera mon tour. Avec les copains je viens de prendre un demi de bière.

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Parfois un collègue et un nom de famille. Wetter, le 10 septembre 1943 Ce soir je vais à l’hôpital voir un instituteur du Tarn, il est de Gaillac, ça fait plaisir de se retrouver si loin surtout entre collègues quand on est du même pays, il s’appelle Boutel mais je ne le connaissais pas auparavant. Les connaissances sont le plus souvent géographiquement centrées sur le Tarn. Wetter, le 16 septembre 1943 Je suis toujours avec le copain de Saint-Paul, et même avec d’autres de Pau que j’ai retrouvés à Toulouse. Il y a même un Vauréen qui était arrivé un peu avant moi. Mais aucun Graulhétois. Aujourd’hui j’ai écrit au copain de Saint-Paul qui se trouve à l’hôpital pour une maladie d’estomac pas très grave. Wetter, le 20 septembre 1943 Il est arrivé un nouveau dans la baraque. C’est un Parisien étudiant en agriculture, il couche au-dessus de moi car la place se trouve vide. C’est un bien car il m’arrête les gouttes de pluie en cas de fuites. Toujours pas de nom ni de prénom pour les copains, mais on compte sur eux pour les nouvelles. Wetter, le 24 septembre 1943 Je t’ai déjà parlé d’un copain qui va être rapatrié, il doit partir dimanche et il est de Quillan. Je ne peux pas lui donner de lettres c’est interdit, et il ne tient pas à se faire stopper pour si peu, c’est compréhensible. Seulement une fois en France il écrira chez moi vous aurez ainsi des nouvelles, et connaîtrez mieux ma vie à Wetter. Si les autres Graulhétois du STO ne sont pas à Wetter, ils communiquent cependant avec Georges par courrier et eux ils ont un nom et un prénom. Wetter, les 20 sept et 2 octobre 1943 À propos de Roger Pradelles ne te fais pas de souci, il a mon adresse car j’ai eu l’occasion d’écrire à Hilaire qui est avec lui et j’ai même reçu la réponse ces jours-ci. À l’instant, je viens de recevoir des nouvelles de Louis Riquet toujours à Vienne ; il ne se plaint pas. En même temps j’en reçois une de Clément Auriol qui est du côté de Stuttgart mais qui a l’air de n’être pas très bien. 64


Une amicale des Travailleurs Français en Allemagne existe, mais Georges est très méfiant. Je me rends au réfectoire où se tient une réunion pour traiter des questions qui nous intéressent, au premier plan en particulier : le ravitaillement. Il y a un délégué de l’Amicale des Travailleurs Français en Allemagne. Je prévois beaucoup de paroles. On a discuté un peu de tout, sport, travail, nourriture, mais je suis parti avant la fin. Je n’aime pas beaucoup ce type de réunions. Le copain devient collègue et il a un nom. Wetter, le 18 octobre 1943 Avec un camarade Français on a charrié quelques petits objets en attendant patiemment 5 heures, et mon collègue Pagès de Saint-Paul a repris le travail toujours au même atelier que moi. Il va trouver du changement envers la douce vie de l’hôpital. Cathala ce n’est pas un copain… Pour le moment je suis après souper. Nous sommes réunis tous autour de la table et ça discute un peu. Pour le moment, c’est Cathala, le fils du ministre * qui tient le crachoir, mais il m’empêche d’écrire, les idées ne viennent pas bien, preuve qu’il n’y a rien de sensationnel. Et avec les séminaristes ce n’est pas mieux pour le moment. Il m’est difficile de continuer ma lettre au milieu de la discussion des copains. Car il arrive souvent entre séminaristes et instituteurs que la discussion s’ouvre toujours très amicale et se poursuive très animée. Aujourd’hui ils sont lancés sur le spiritisme, ils parlent de faire tourner les tables. Il vaut mieux entendre ça que de parler de la guerre et de penser au travail qu’il faudra reprendre ce soir à 6 heures. Wetter, le 11 novembre 1943 J’ai reçu 2 cartes d’Allemagne, une de Clément Auriol et une autre de Lucien Py ; c’est la 1re que je reçois de lui et je m’aperçois qu’il n’est pas plus heureux que moi, au contraire. Il a été victime d’un bombardement et il y a laissé la plupart de ses effets. Comme travail il ne se plaint pas, il travaille comme dessinateur dans une usine d’avions et il a la chance de ne pas travailler la nuit.

* Cathala Ministre du gouvernement de Vichy. Après le retour de Laval au pouvoir, il est d’avril 1942 à août 1944 ministre secrétaire d’État à l’Économie nationale et aux Finances.

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Wetter, le 3 janvier 1944 Dans la lettre de Louis Riquet il y avait 10 vues de Vienne et j’ai pu juger ainsi de la beauté de cette ville. Un peu plus belle que mon noir Wetter. Et dans la lettre d’Enjalbert, il me dit qu’il est en convalescence à cause d’une main abîmée. Les mouvements de personnel dans le camp et dans l’usine semblent permanents. Wetter, du 14 au 20 février 1944 Il est arrivé de nouveaux ouvriers à l’usine qui viennent d’une fabrique d’une ville voisine. Cette usine qui fabriquait des tonneaux métalliques pour mettre de l’essence a fermé faute de matériel. Les ouvriers français sont tous des prisonniers devenus travailleurs libres. Ils logent dans notre camp et travaillent dans notre atelier. Il n’y en a aucun de notre région et un seul du midi, de Nice. Ils sont tous très gentils et bien calmes, bien philosophes. On voit à leur regard et à leur parole qu’ils ont compris après 4 ans derrière les barbelés. J’espère ne pas battre leur record, mais ça commence à faire déjà 6 mois et plus et “neï prou” *. Et cependant on essaie d’oublier. (…) Malgré tout ça il y a quand même quelques instants de joie (ou plutôt de bonne humeur) c’est quand nous nous trouvons tous ensemble dans la baraque (entre Français qui se comprennent) Tantôt quelqu’un d’entre nous pousse une petite romance ou un petit air d’accordéon, et on essaie d’oublier. Il est de nouveau question des séminaristes. Wetter, le 3 mars 1944 Nous avons appris une nouvelle qui nous a fait bien plaisir, surtout à certains, il s’agit des séminaristes. Ceux d’un camp voisin ont reçu l’ordre de partir pour la France et ils ne se le sont pas fait dire deux fois. Tout ceci me laisse bon espoir, et j’ose croire que si rien ne se passe d’ici le mois d’août, ils nous lâchent à nous aussi. Wetter, le 13 mars 1944 Le camp est un peu animé ces temps-ci. En effet les séminaristes sont sur le point de nous quitter pour rentrer en France, et reprendre leurs études. La cause de ce départ je ne la sais pas et ils ne le savent pas eux-mêmes. Tant mieux pour eux je ne leur en veux pas et je ne suis pas jaloux. Je suis parvenu maintenant à me 66

* “nei prou” : j’en ai assez.


faire une raison et je saurai attendre une date qui paraît de plus en plus indécise et lointaine. Je vais perdre personnellement d’excellents camarades, serviables au possible, avec qui j’étais heureux de discuter et cela augmentera un peu plus le cafard qui me travaille et qui nous travaille à nous certains jours. Wetter, le 2 avril 1944 Vendredi matin les séminaristes nous ont quittés pour revenir en France et ça nous a fait quelque chose de les voir partir. Eux aussi étaient bien peinés de nous quitter et pendant les 8 mois que nous avons vécus ensemble j’ai appris à les juger et à reconnaître que c’étaient d’excellents copains. À l’atelier de montage nous ne sommes plus que 3 étudiants dans mon équipe ; un Toulousain des Beaux-Arts, et deux instituteurs, un copain de l’Ariège et moi. On se demande quand on quittera cette atmosphère d’usine et de fumées pour revoir le beau soleil de chez nous. Wetter, le 12 mai 1944 Je fais toujours le même travail avec un copain Français et nous sommes aidés par un jeune Russe de Kiev, qui était encore à l’école quand on l’a envoyé travailler en Allemagne. Il s’appelle Victor et m’a promis de m’inviter à Kiev sitôt la guerre finie. Pour le moment il n’est pas question de ça, et s’il y a un voyage que je souhaiterais faire ça serait celui à destination de la France. Toujours de nouveaux arrivants, des arrivantes cette fois-ci. Wetter, le 25 juillet 1944 Aujourd’hui il est arrivé quelques jeunes filles Russes à notre atelier et ça fait quelque chose de voir des femmes aux prises avec toute cette ferraille et dans un tel vacarme. On leur a donné tout de même les travaux les moins pénibles. Je ne veux pas te quitter sans penser que demain c’est la sainte Anne et c’est de tout cœur que je te souhaite une Bonne fête, une Bonne santé aussi. Courage et à bientôt. Les meilleurs baisers de ton Geo. D’autres fêtes et anniversaires sépareront encore Georges et Annette. Georges comme beaucoup d’autres devra attendre mai 1945 pour être lâché : ces “autres” avec qui il a partagé des moments qui paraissent d’autant plus inhumains qu’ils ont été imposés à des jeunes gens d’une vingtaine d’années à peine… 67


Le petit quotidien Après les 11 à 12 heures de travail, les repas et leur préparation, et les longues heures de repos de jour ou de nuit en fonction des roulements de travail, il reste un temps consacré à l’écriture journalière, mais également à ces petits riens quotidiens ou hebdomadaires comme la lecture, le cinéma, les sorties avec les copains, le tabac, le sport et parfois la lessive. Parfois la lessive et les réparations. Ces tâches sont décrites peu souvent et portent souci à Georges. Wetter, le 30 août 1943 Ce soir après souper tous les Français nous nous sommes réunis et tournés vers la France pour chanter la Marseillaise pour fêter le 15 août. Après avoir chanté, je me suis mis à faire ma première lessive, une chemise et 2 mouchoirs, ce n’est pas d’une blancheur immaculée, mais c’est suffisamment propre pour travailler. D’ailleurs pour travailler je ne vais pas mettre de chemise simplement un pull sur la peau et la veste de travail, je n’aurai pas froid et je salirai moins. Ce matin, j’ai pris une douche, je me suis rasé, et j’ai fait un peu de lessive : 2 mouchoirs et une paire de chaussettes. Wetter, le 1er septembre 1943 J’ai enfin reprisé mes chaussettes et voilà maintenant tout mon linge en ordre. Wetter, le 12 octobre 1943 Je viens à l’instant de réparer ma chemise mais ce n’est pas fameux. Je crois qu’il serait très utile que tu m’envoies des cours de couture par correspondance. Hier, j’ai lavé mon linge, résultat : il est moins noir, mais il n’est pas blanc. Quelle drôle de vie. 68


Wetter, du 22 au 26 octobre 1943 J’ai interrompu ma lettre pendant un moment, et je viens de faire ma lessive avec un camarade de chambrée séminariste. Hélas ! Si ma mère voyait ça, elle en tomberait de son haut. La chemise passe encore, mais les mouchoirs ne sont pas blancs mais d’une belle couleur grise. J’ai fait le possible pour économiser le savon, mais la couleur du linge s’en ressent. Ce qui me console, c’est que les copains ne font pas mieux que moi. Certains même font plus mal. J’ai reprisé aussi une paire de chaussettes, mais pour ça je ne m’en sors assez bien. C’est le lavage le gros point noir. Je voudrais essayer de réparer les sandales que j’ai prises, la semelle se décolle de l’étoffe. J’ai un fil de cuivre très fin et très solide qui je pense fera l’affaire. Wetter, le 23 novembre 1943 Les avions sont passés vers Berlin. Il n’y a eu pour nous que quelques éclats de DCA mais aucun mal. Mais la chose la plus terrible de la nuit c’est que mes pantalons ont craqué au genou et je suis resté la plupart du temps le genou dehors. Tu peux me croire que ça ne me faisait pas rire car je pensais à la réparation en perspective. Je viens de m’acquitter maintenant de cette tâche, mais la toile ne tient plus, elle est toute cuite et je vois le moment où je vais être définitivement en panne. Aussi je vais écrire à la maison pour leur demander de m’envoyer s’ils le peuvent un pantalon de travail, même vieux pourvu qu’il tienne encore le coup. Wetter, les 5 et 6 décembre 1943 J’ai mis un peu de linge à tremper et demain il faudra que je le lave. (…) Comme je te l’avais dit hier, je viens à l’instant de finir ma lessive et ça a été vite fait. Maintenant me voilà tranquille pour 15 jours à ce sujet. Wetter, le 9 décembre 1943 Hier nous avons touché notre ration de tabac pour décembre, avant-hier nous avons touché une boite d’allumettes. Nous avons eu aussi une petite savonnette et un paquet de lessive, ce qui me fait maintenant 3 ou 4 paquets de lessive en réserve et je me demande bien ce que je vais en faire. Avant de me reposer il faut que je mette une pièce à mes pantalons de travail. Cela fera la 4e à la même jambe. Je crois que si la guerre dure encore longtemps je n’aurai bientôt plus rien à me mettre. Wetter, le 3 janvier 1944 Je viens d’étendre ma lessive, 6 mouchoirs et un gant de toilette, et maintenant je passe à la correspondance. 69


• La lecture Wetter, le 26 octobre 1943 Je vois avec plaisir que tu continues à lire de bons livres et non pas des romans feuilletons à 15 sous la tonne. Je voudrais bien moi aussi lire, mais c’est le temps qui me manque. La semaine dernière je suis tout de même arrivé à lire René Caillé : c’est un ouvrage documentaire sur les explorations en Centre Afrique. C’était bien mais c’est dommage que je ne puisse pas consacrer plus de temps à la lecture. Wetter, le 8 novembre 1943 Je vais maintenant lire un peu. Un camarade m’a prêté un roman policier, L’As de trèfle. Ce n’est pas formidable, mais ça change un peu de la vie d’usine. Wetter, le 13 mars 1944 Il y a maintenant plus d’une semaine que je n’ai pas quitté le camp. C’est encore dans la baraque que je me sens le moins mal. Je n’ai d’ailleurs pas le temps de bien sortir et sitôt que j’ai quelques instants à moi je bondis sur un livre et la lecture arrive à me faire oublier momentanément le milieu où je me trouve. Hier et ce matin j’ai lu L’Homme dans la tour, un roman allemand traduit évidemment, où il est question de la construction d’un funiculaire, d’un forçat gracié, et bien sûr… d’une histoire d’amour. Actuellement je lis le Sang des Gaules, un roman historique qui retrace la vie des Gaulois ainsi que le martyre des premiers chrétiens. Ce dernier livre m’a été prêté par un séminariste et est par conséquent d’une lecture très saine. • Le tabac Wetter, le 22 septembre 1943 Pour le moment je fume une gauloise bleue, et je me régale car il y avait longtemps que cela ne m’était pas arrivé. C’est un copain qui a reçu un colis et nous bénéficions de ça. Ici en fait de tabac nous ne touchons que du tabac russe et il n’est pas fameux. Wetter, le 8 octobre 1943 Ce soir nous avons tout de même touché le tabac : 3 paquets de 25 grammes de tabac slovaque et 20 cigarettes serbes. Il faudra que j’écrive chez moi qu’on m’envoie une pipe, ici pas moyen d’en trouver une ; pour fumer ce qu’on nous donne, c’est presque nécessaire. Cela se voit d’ailleurs que tout le monde a du tabac, dans la baraque c’est plein de fumée.

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Wetter, le 7 novembre 1943 Hier soir à 6 heures au moment d’aller travailler nous avons touché notre ration de tabac pour un mois je pense. Huit paquets de 10 cigarettes, et pour la première fois c’est du tabac allemand. C’est du blond sans goût mais il est meilleur que le russe, car ce dernier, c’est du bois. Enfin de toute façon il est arrivé à point car depuis la veille je n’avais rien à fumer. Wetter, le 24 novembre 1943 Avec ça plus de tabac depuis hier et c’est un peu pour ça que j’attends le colis avec impatience car je sais qu’il y a de quoi fumer. Courrier d’Annette à Georges du 13 août 1944 Georges n’a jamais reçu ce courrier qui a été retourné à Annette qui s’inquiétait pour sa santé de curieuse façon. Graulhet, le 13 août 1944 Tu ne parles pas de ta santé sur ta dernière carte du 20 juillet, j’espère que ton estomac fonctionne à nouveau normalement et que tu peux fumer. Le tabac, moment de répit, élément de convivialité ou coupe-faim ; vu l’usage qui en est fait et le manque qui est parfois décrit, il n’est pas impossible de penser que ce tabac et les conditions de travail dans une fonderie ont pu laisser de traces dans les poumons des jeunes de cette baraque. • Le cinéma Wetter, le 20 novembre 1943 Ici pas question de cinéma, on peut y aller, certains copains y vont, mais pour voir des images et ne rien comprendre à ce que racontent les acteurs ça ne vaut pas la peine. Wetter, le 2 janvier 1944 Aujourd’hui je ne savais que faire, le temps est toujours à la pluie, aussi avec deux copains je suis allé voir un film où je n’ai pas compris grand-chose, mais de temps en temps c’était assez comique et j’ai rigolé de bon cœur. Ce soir je dois revenir au ciné avec trois copains. Je suis à peu près certain de ne rien comprendre, mais je suis devenu tellement abruti par l’usine que j’aime bien me retrouver une fois tous les 15 jours dans un milieu autre. J’ai déjà mon billet car autrement il faut faire une queue à n’en plus finir et on risque de n’avoir plus de place. 71


Wetter, les 9 et 10 janvier 1944 Comme je te l’avais dit sur ma dernière lettre, hier je suis allé au cinéma et chose extraordinaire, le film m’a plu. Il n’était pas difficile à comprendre, il y avait de belles musiques et peu de paroles (ce qui est essentiel quand on ne les comprend pas). Wetter, le 30 avril 1944 Aujourd’hui dimanche le dernier d’avril, j’ai enfin une journée de repos et je vais l’employer à aller au cinéma où l’on joue Le tigre du Bengale un film que j’ai déjà vu en France et j’espère ainsi le comprendre un peu mieux. Wetter, le 11 juin 1944 Après-midi je suis allé au ciné à la séance de 2 heures car le dimanche il y a 3 séances. J’ai vu un film assez marrant genre américain. Comme d’habitude la salle était pleine, car ça beau être la guerre il y a toujours du monde et c’est rare si à chaque séance on n’en refuse pas. Le public est surtout composé de personnes âgées, de jeunes filles et de Français. On y voit aussi quelques militaires surtout des blessés car il y a des hôpitaux dans la région. Wetter, le 2 juillet 1944 Après une semaine de travail bien remplie, j’ai fait mes 12 heures par jour, j’ai envie d’aller à la 1re séance de cinéma à 2 heures. Ce n’est pas spécialement pour voir le film mais les 1res actualités sur le débarquement. • Le sport Plus en spectateur qu’en acteur. Wetter, le 12 septembre 1943 Cet après-midi j’ai écrit à la maison. Ensuite j’ai été au stade où jouaient des prisonniers Français. Wetter, le 10 octobre 1943 On a décidé de former au camp une équipe de rugby et ce matin je me suis fait inscrire. Comme ça le dimanche on saura comment passer son temps. Wetter, le 16 janvier 1944 Pour la 1re fois que je suis ici, je viens de faire un peu de sport, et avec les copains je viens de jouer au rugby. Nous nous sommes bien amusés mais j’ai un mollet 72


qui me fait mal. J’ai reçu le même coup que quand j’étais à Pau, c’est-à-dire un coup de genou dans le mollet. • Sport et tourisme involontaire Wetter, le 8 mai 1944 Hier après-midi je suis allé jusqu’à Witten une ville de 80 000 habitants à 7 ou 8 km de Wetter, pour voir un match de foot. J’ai surtout pris une bonne douche car il a plu toute l’après-midi et pour revenir il nous est arrivé une petite histoire. Au lieu de prendre un train qui s’arrête à Wetter, nous avons pris un direct pour Hagen. J’ai vu passer la gare de Wetter, à toute vitesse, nous commencions à ne pas être fiers. Enfin tout s’est bien passé et nous avons pu rentrer sans embûches. • L’argent Durant cette période un salaire était alloué aux travailleurs de façon bimensuelle avec la possibilité de transférer cet argent en France. Georges utilise partiellement son argent mais ne peut acheter des objets ou habits comme souhaité car ils font défaut, et demande à ce qu’on lui envoie vêtements ou chaussures en plus de la nourriture dans ces fameux colis tant attendus. Wetter, le 1er septembre 1943 Hier j’ai touché 15 marks d’acompte sur ma paie. Avec ça je ne risque pas d’aller loin, mais le 15 nous toucherons une somme plus conséquente. Nous avons touché également, chose qui m’a paru surprenante, des bonbons, environ une quinzaine pour chacun. Wetter, le 15 septembre 1943 C’est ce soir que nous allons être payés, je ne sais pas encore combien je vais toucher, mais d’après ce que les copains ont déjà touché, c’est très variable et les retenues sont assez fortes. Je pense tout de même avoir dans les 600 francs de quitte pour la quinzaine. Wetter, le 5 octobre 1943 Dimanche j’ai écrit à la maison en leur disant que je devais envoyer de l’argent. Au dernier moment, un avis a paru disant que pour le moment on n’acceptait plus d’argent pour la France. Cela sera pour une autre fois, la somme sera plus grosse. Tu voudras bien les avertir chez moi pour qu’ils n’attendent pas en vain.

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Wetter, le 12 octobre 1943 Hier après-midi, j’ai envoyé 90 marks (1800 francs) à la maison, ça leur fera plaisir et ça aidera à l’envoi de colis, qui je me rends compte doivent être coûteux. Wetter, le 18 octobre 1943 Je viens de quitter le travail et aujourd’hui nous avons eu la paye de la 2e quinzaine de septembre soit 49 marks. Ce qui fait que pour tout le mois de septembre j’ai touché 104 marks net, tout enlevé, même la nourriture. C’est beaucoup par rapport à ce que j’avais de quitte en France, et c’est peu comparé à la paye des ouvriers allemands. Enfin, l’argent m’est indifférent, je préfèrerais davantage à manger et avant tout la quille. Wetter, le 30 octobre 1943 Pour bien terminer la nuit, nous avons reçu la paye de la première quinzaine d’octobre. J’ai pour ma part touché 70 marks (1400 francs). J’ai été étonné de toucher autant, car tous les copains ont eu moins que moi. Peut-être que pour la seconde quinzaine on me donnera moins. Enfin il vaut mieux tenir qu’espérer. Wetter, le 11 novembre 1943 J’ai touché hier soir pour la somme de 9 marks 50 une paire de galoches à semelle de bois. Le dessus est en cuir et toile. Ce n’est pas très élégant, c’est de la fabrication en série, mais ça tient chaud aux pieds et ça me permet d’économiser mes souliers car depuis trois mois que je les porte ils commencent à se faire vieux. Wetter, le 15 juin 1944 Aujourd’hui 15 juin on a touché la paye du mois de mai qui s’est montée à 146 marks, ce qui me permettra d’envoyer de l’argent chez moi dès le mois prochain. Jusqu’ici nous étions payés tous les 15 jours, mais maintenant c’est tous les mois. Au 15 juin, toujours un salaire mensuel et rien ne laisse penser que cette situation (y compris les envois d’argent vers la France) sera interrompue. • Les informations en temps de guerre Les courriers reçus par les “copains” assuraient une certaine information sur la situation de la région, du pays et de la scène internationale, mais pas de radio ni de journaux, aussi seules quelques bribes sont évoquées avec précaution au vu des sources mais sûrement afin de ne pas mettre en éveil la censure.

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Wetter, le 9 septembre 1943 Aujourd’hui nous avons appris la trahison du maréchal Badoglio * et ses conséquences. On se demande qu’est-ce qui va en résulter. Wetter, le 25 janvier 1944 Les journaux nous apprennent qu’il y a actuellement du chahut en France, mais j’espère bien que notre Graulhet reste calme pour le plus grand bien de tous. Wetter, le 20 février 1944 Je ne peux m’empêcher de songer à ce qui se passe chez nous pour le moment. Des bruits courent parmi nous que le Midi bouge. Cela ne m’étonne pas outre mesure bien que je doute de tout ce qu’on peut me dire. Depuis 6 mois et demi que je suis ici, j’ai tellement avalé de bobards que je suis devenu sceptique. Wetter, le 11 avril 1944 Je vois qu’à Graulhet aussi vous vous préparez en cas de bombardement. J’espère que ceci n’arrivera jamais et si le personnel de la défense passive est entraîné, les dégâts sont limités. Depuis samedi soir, il ne se passe pas 2 heures sans qu’il y ait une alerte, ça fait déjà 2 ou 3 fois qu’ils viennent cet après-midi, et je prévois qu’un de ces jours ils lâcheront quelques pruneaux au moment où l’on s’y attendra le moins. J’ai vu sur le journal que Toulouse a été bombardé **, ce qui ne m’étonne pas, et ce n’est qu’un commencement. Wetter, le 6 juin 1944 J’ai appris dimanche ce qui s’était passé en Italie et aujourd’hui *** quelque chose de bien plus important encore. Je ne t’en parle pas, si c’est exact tu dois le savoir aussi bien que moi. Je songe constamment au jour où je pourrais enfin te revoir, je ne mets aucune date derrière, car la guerre ne tient pas compte de mes opinions. Je monte toujours des tourelles de char…

* Badoglio devient président du Conseil après la chute de Mussolini le 25 juillet 1943 et annonce que son gouvernement continue la guerre aux côtés de l’Allemagne, tout en négociant secrètement avec les Alliés. Il conclut avec eux un armistice, annoncé le 8 septembre. ** Le 6 avril 1944 l’aviation anglaise lâche des bombes sur le site de Toulouse Montaudran, les ateliers Louis Bréguet aviation qui produisaient pour l’armée allemande étaient visés. *** Les 4 et 5 juin l’armée française et l’armée américaine ont libéré Rome. Le 6 juin les forces alliées débarquent en Normandie.

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Les journaux, les informations par courrier qui arrivent avec un certain décalage sont autant d’interrogations et d’angoisse pour Georges et ses camarades qui sont loin des événements. Cependant certaines informations sont connues rapidement par la radio comme le montre avec beaucoup de retenue le “bien plus important encore” du 6 juin 1944.

“Les Français parlent aux Français. Veuillez écouter tout d’abord quelques messages personnels. Les sanglots longs des violons de l’automne, je répète, les sanglots longs des violons de l’automne, blessent mon cœur d’une langueur monotone, je répète, blessent mon cœur d’une langueur monotone.” Georges n’a sûrement pas entendu ce message qu’il n’aurait pas interprété comme l’annonce du débarquement, mais les sanglots, les blessures, la langueur, la monotonie, correspondaient sûrement à un état d’esprit qui n’était que suggéré dans les courriers.

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Espoir, lassitude, pessimisme Soit sur des faits précis, soit sur des considérations plus générales, Georges laisse son esprit écrire des pensées mélancoliques sur cette vie en temps de guerre. Wetter, le 23 septembre 1943 J’ai vu aujourd’hui sur le journal que la rentrée des classes serait sans doute fixée au 18 octobre. Plus on la retarde plus j’ai de chances d’y être. Mais j’ai peur qu’on ne la retarde pas assez. Wetter, le 17 octobre 1943 Je suis quand même heureux de savoir que loin de moi il y a quelqu’un qui ne m’oublie pas, c’est ma plus grande force. Wetter, le 24 octobre 1943 Si j’étais à Graulhet nous serions ensemble, mais pour le moment la seule chose qui nous est permise c’est d’espérer et d’attendre une fin proche. Wetter, le 11 janvier 1944 Je n’ai pas beaucoup changé au physique depuis 5 mois, (si, un copain m’a trouvé paraît-il un cheveu blanc). Le moral a tout de même varié et je crois que j’ai changé de caractère. Maintenant je trouve que tout va bien, je n’ai jamais été aussi calme et par moments je ne me reconnais pas. J’espère quand même que tu me reconnaîtras à mon retour que je souhaite proche. Wetter, le 20 février 1944 Toute la nuit dernière ils ont été à rôder au-dessus de nous ; on ne nous a pas fait arrêter le travail, et s’il avait pris la fantaisie à un de ces messieurs de lâcher un pépin sur nous, nous aurions été quelques-uns à passer un contrat avec l’éternité.

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Wetter, le 13 mars 1944 Vivement que tout cela finisse et je n’ai qu’un désir retrouver les miens, et te retrouver afin de vivre un peu. Wetter, le 2 avril 1944 Si j’étais en France j’aurais pris des vacances pour quinze jours mais il ne faut pas penser à ça si on veut conserver bon moral. Les retrouvailles et la vie ne seront effectives que fin mai 1945, quinze mois plus tard…

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Le grand vide La Postkarte N°37 datée du 6 août 1944 fut la dernière correspondance connue entre Georges et Annette. Ce courrier est somme toute banal, mais marque l’effilochement du suivi dans l’acheminement du courrier. Wetter, le 6 août 1944 Ma chère Annette. Enfin j’ai eu aujourd’hui une de tes lettres. Sitôt que j’ai reconnu l’enveloppe et l’écriture je me suis précipité espérant des nouvelles très fraîches, mais il s’agit d’une lettre du 4 juillet. La dernière que j’ai reçue le 16 juillet datait du 3 juillet. Je suis tout de même heureux de voir que le courrier a repris. (…) Je vais maintenant écrire chez moi, et puis ça sera l’heure de la soupe. Je te quitte donc en t’envoyant mes meilleurs baisers. L’optimisme de Georges sera hélas déçu car le seul courrier d’Annette vers Georges connu daté du 13 août 1944 sera retourné à Annette qui l’a conservé avec toutes les correspondances provenant d’Allemagne. L’enveloppe porte la mention RETOUR À L’ENVOYEUR – RELATIONS DIPLOMATIQUEMENT SUSPENDUES À compter de cette date s’instaure sûrement un grand vide postal et affectif, plus aucun courrier n’est connu et il semble que toutes les correspondances entre la France et l’Allemagne se soient arrêtées en juillet août 1944 *.

* “Dès février 1944 une carte de contrôle postal est instaurée, le courrier limité à 2 lettres par mois, tandis que l’envoi des cartes postales reste libre jusqu’à la suppression totale du courrier en juillet 1944.” Patrice Arnaud, Les STO, vivre en Allemagne nazie.

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La guerre continue jusqu’au 8 mai 1945, date de la capitulation de l’Allemagne. Georges sera rapatrié le 12 mai 1945 comme en témoigne la Carte de Rapatrié 13 faisant office de Titre Provisoire d’Identité, qui mentionne également qu’une somme de 1000 francs lui est allouée ainsi que 2000 francs pour avances sur marks. Georges pourra donc rejoindre Graulhet et sa famille dans les jours qui suivent, son plus jeune frère Marcel (12 ans à cette l’époque) se souvient de ce jour de mai où ses parents sont venus le chercher en classe avant midi pour qu’il soit présent à l’arrivée de Georges. Son arrivée ne s’est faite que dans la soirée ce qui a permis aux voisins et amis avertis par la famille d’assurer un comité d’accueil plein de sollicitude pour ce “déporté” graulhétois qui n’avait plus donné de nouvelles depuis presque un an. L’état physique de Georges est encore présent dans la mémoire de Marcel : “(…) je me souviens de sa fatigue et de sa maigreur, son état de santé était très dégradé, et ne s’est amélioré que dans les mois qui ont suivi.” Que s’est-il passé pour Georges et Annette, de juillet 1944 à mai 1945, comme pour de nombreux STO où aucune correspondance n’a été possible ? Certains organismes officiels communiquaient-ils encore entre la France et l’Allemagne ? La Croix Rouge avait-elle des informations pour les prisonniers de guerre et pour les STO ? Seuls Georges et Annette à leurs retrouvailles ont pu en parler mais n’ont jamais fait partager cette période à leurs proches. Le lien entre eux était si fort qu’il n’a pas été rompu et, malgré “ce grand vide”, la vie et les correspondances vont reprendre dès le 6 octobre 1945, Georges étant en fonction dans son premier poste d’instituteur à “seulement” 60 km d’Annette.

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13 Carte de rapatrié (voir documents annexes)



Le retour de l’instit

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De mai 1945 date de son rapatriement en France à octobre 1945, Georges a passé cinq mois à reprendre des forces et à préparer sa première rentrée d’instituteur à Trémoulines dans la commune de Lacaune dans le haut Tarn 14. Dès le 6 octobre les correspondances entre Georges et Annette ont repris, cette fois ces courriers ne seront ni numérotés ni censurés, mais toujours aussi descriptifs. En six mois, d’octobre à avril, ce sont 32 lettres qui seront envoyées tous les deux ou trois jours avec des interruptions durant les vacances scolaires tant attendues où Georges revenait à Graulhet. Georges et Annette n’étaient plus séparés que d’une soixantaine de kilomètres, et bien que les communications ne soient pas aisées, le bus, le train, le vélo et la marche à pied ont été utilisés pour se retrouver dès que possible. Au vu des deux années passées en Allemagne et des difficultés liées à la guerre, il semble que cet épisode, combien douloureux ait été oublié ou du moins effacé pour laisser place à un investissement entier dans le métier d’enseignant longuement préparé avant la guerre. Mais l’objectif de vie commune si longtemps refoulé, dans l’attente de la fin de cette “déportation“ est à l’évidence un des moteurs premiers de cette période. La vie nouvelle dans cette ruralité du nord du département tarnais et le métier d’enseignant remplissent les journées de Georges. 83


Trémoulines, 12 élèves Trémoulines, le 6 octobre 1945 Me voici installé depuis quelques heures. Ce matin j’ai vu le maire qui n’a pas pris la peine de m’accompagner, j’ai fait seul le chemin jusqu’à Trémoulines ce qui représente une heure de marche. Sitôt arrivé je suis allé chercher la clef de l’école chez ceux qui l’an dernier nourrissaient et logeaient l’institutrice. Je leur ai demandé s’ils pouvaient me prendre en pension et ils n’ont pas hésité un seul instant. L’école est bien vieille ainsi que le logement de deux pièces, mais elle est bien exposée et voit le soleil toute la journée. Le pays est très agréable à cette saison, mais l’hiver ce doit être autre chose. Je crois que j’aurai une dizaine de gosses. Je les rassemblerai demain après-midi, mais je ne commencerai pas avant lundi. Mon adresse : G. Roques, instituteur à Trémoulines, par Lacaune Tarn. Trémoulines, le 10 octobre 1945 Je viens de finir la classe et pendant qu’un élève termine son devoir je t’écris ces quelques mots. Je descendrai à Lacaune dans l’après-midi pour jeter les lettres car ici on ne voit le facteur que très rarement. Ici on ne connaît pas le rationnement et voilà maintenant que je fais trois repas par jour, car le déjeuner du matin est un véritable repas. Tu peux t’en rendre compte par le menu de ce matin : soupe aux pommes de terre, jambon, saucisson, friture de choux, compote de coing, raisin, café pain et vin à volonté. À ce régime-là je vais bientôt devenir plus gros que votre pensionnaire *. Je couche dans la cuisine même ce qui fait que je n’ai pas du tout froid. Jusqu’ici j’ai eu 10 gosses en classe, et je crois que j’obtiendrai le maximum avec 12 car certains ne sont pas encore rentrés tant que la récolte des pommes de terre n’est pas finie. Le malheur c’est que j’ai tous les cours et c’est ça qui me donne le plus à faire. 84

14 1re nomination d’instituteur à l’école publique de Trémoulines (voir documents annexes) * Les parents d’Annette élevaient un cochon, mais aussi des lapins et des poules.


La vie s’organise et Georges prépare l’hiver. Trémoulines, le mardi 6 novembre 1945 Me voilà revenu dans mon patelin ça n’a pas été sans mal. À Lacaune la pluie tombait moins fort que depuis Graulhet mais à peine fait un kilomètre qu’elle a redoublé comme si elle tombait de plus haut. Tant que j’ai marché sur la grand route ça a bien allé, mais dans les chemins de terre ça a été une autre histoire. J’ai marché pendant des dizaines de mètres dans l’eau car le chemin et les fossés ne faisaient qu’un. Le 3 derniers kilomètres m’ont paru interminables, un véritable calvaire. Le lendemain matin au moment où je m’y attendais le moins, j’ai eu la visite de l’Inspecteur, il en a profité pour me faire passer mon CAP, avec succès. Maintenant me voilà tranquille, finis les examens. Trémoulines, le 10 novembre 1945, 18 h Il fait un vent qui pèle et avec ça il tombe comme une espèce de petite grêle toute blanche. Je crois bien que s’il faisait plus doux il neigerait. Aussi j’ai commencé à prendre mes précautions et jeudi j’ai acheté une paire de sabots, mais il me manque le cuir pour faire la lisière, et pas moyen d’en trouver dans ce pays. Hier aidé des élèves j’ai mis en place le poêle. Quand j’ai voulu le monter je me suis aperçu que les tuyaux étaient presque tous troués aussi il a fallu faire des prodiges pour avoir une installation potable. Les courriers suivants alternent les nouvelles du temps et des hauteurs de neige pour savoir si la sortie vers Lacaune ou la venue du facteur sont possibles. Les horaires des trains et bus pour le prochain retour ou départ de Graulhet, sont régulièrement évoqués de même les soirées chez les parents d’élèves qui ont tué le cochon en janvier, et ont invité le maitre d’école. Trémoulines, le samedi 12 janvier 1946, 17 h 45 Hier nous avons saigné un cochon pour un frère des gens où je mange. Pour moi ça a été l’occasion de deux bons repas mais il faut dire que je leur ai aidé à la veillée : armé d’une aiguille et de fil je cousais des tripes remplies de viande. C’est à moi aussi que revenait l’honneur d’accrocher la saucisse et les boudins au plafond. Je me suis bien tiré de toutes ces fonctions et je ne me suis couché qu’à 1 heure du matin.

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Trémoulines, le jeudi 17 janvier, 11 h Le temps est très froid, il a neigé un peu, on peut encore circuler. Mon premier travail a été d’allumer le poêle, et me voilà assis à côté, une brique chaude sous les pieds, je corrige quelques copies, je termine ma lettre en attendant le passage du facteur… s’il passe. Trémoulines, le samedi 19 janvier, 17 h 30 Maintenant la grande occupation des élèves c’est le traineau et cet après-midi au moment de la gymnastique on a essayé de glisser dans un champ voisin de l’école. Mais la neige est trop poudreuse et on a dû y renoncer car on s’enfonçait jusqu’à moitié jambe. Jeudi soir les parents de 3 élèves m’ont invité à souper car ils tuaient le cochon. Cela a été l’occasion de se coucher tard, mais ça leur fait plaisir et c’est une chose que l’on ne peut pas refuser. Mais après les vacances de fin d’année, une nouvelle préoccupation se fait jour. Trémoulines, le jeudi 24 janvier Rassure-toi jusqu’ici j’ai fait tout ce qu’il m’était possible de faire. Je me suis heurté à une grande politesse de l’administration communale et obtenu de vagues promesses. Ils mettent l’hiver comme obstacle, et je suis obligé de reconnaitre que pour le moment leur excuse a du bon, car nous sommes bloqués par la neige, et on ne peut aller à Lacaune qu’ à pied, et encore en abandonnant le chemin par moments pour passer à travers champs. J’ai d’ailleurs mis la main à la pâte, procédé à un nettoyage sérieux et ce qui leur reste à faire n’est pas bien long ni bien coûteux. Je peux affirmer que la maison est parfaitement habitable, sauf un carreau cassé à la fenêtre de la chambre. Mais là n’est pas la question. En effet même en été il est nécessaire d’avoir du combustible. À cela s’ajoute encore la question du mobilier. Donc en résumé je peux t’assurer que si tu ne crains pas de partager un peu, avec moi, les difficultés qu’il y a encore et qu’obligatoirement nous aurons au début, rien ne nous empêche de mettre à exécution notre projet. Ce n’est pas un paradis surtout à la mauvaise saison. Mais notre sort sera plus enviable que celui de certains, et puis il faut bien se dire que je ne suis pas cloué à Trémoulines pour la vie. Trémoulines, le jeudi 31 janvier, 10 h Hier toute la journée j’ai été invité chez les voisins qui tuaient le cochon et c’est finalement à 2 heures et demie que je me suis couché car ils m’ont pris comme professeur d’écarté *, et une partie n’attendait pas l’autre. 86

* jeu de cartes


Un projet de vie commune dans un coin montagneux du Tarn est en cours de planification. Vu la lenteur de la commune à restaurer le logement communal attenant à la salle de classe, un autre logement sera recherché à la ville, à Lacaune. Trémoulines, le samedi 16 mars, 21 h La 1re adresse où je suis allé, je n’ai rien trouvé et on m’a dit qu’on ne louait pas. À la 2e, un bon vieux m’a reçu au lit (car il était malade) et m’a dit qu’il avait promis son logement l’avant veille à deux femmes. De toute façon j’y repasserai demain. À la 3e adresse j’y suis allé accompagné par l’ancienne institutrice de Trémoulines, il n’y avait personne mais elle doit les voir jeudi pour leur en parler. Trémoulines, le jeudi 21 mars, 10 h 30 Mes recherches de dimanche n’ont pas été vaines comme celles du jeudi précédent. J’ai trouvé quelque chose grâce à mon ancienne collègue de Trémoulines. Ce logement est situé à Lacaune même sur l’avenue de Castres et appartient à une Mme veuve Marty, épicière en gros. Il y a l’électricité et l’eau courante (pas besoin de seau). Un petit changement… Trémoulines, le samedi 6 avril, 18 h Le logement va être mis à la disposition de ses parents malades qu’elle doit nourrir, alors elle a pensé à une chambre qu’elle nous avait promise. Elle se situe en face du premier sur l’avenue de Castres avec deux pièces, avec évier mais sans eau courante, nous aurons quand même un lit, des chaises et une table, elle nous prête aussi un buffet. Je lui ai dit de faire mettre une prise de courant. Evidemment j’aurais préféré conserver le logement que nous avions vu ensemble, disons-nous bien que ce n’est que du provisoire. C’est la dernière lettre que je t’écris samedi prochain à cette heure-ci, je compte me rapprocher de Graulhet. Je te quitte en te disant à bientôt. Mille baisers de ton Geo. Les vacances de Pâques arrivent, Georges rentre à Graulhet et le 23 avril Annette et Georges se marient. Finies les correspondances, la vie en commun va pouvoir commencer. Elles sont loin les années de séparation, tellement loin que l’on n’en parle plus, que l’on n’en reparlera pas (même pas en famille plus tard).

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Le 23 avril Le 23 avril, c’est la Saint Georges, et bien plus… Livret de famille Famille ROQUES – COMBRES Le 23 avril 1946 Commune de Graulhet MARIAGE ENTRE : Georges Pierre ROQUES Né le 1er juin 1921 à Graulhet Profession : Instituteur Demeurant à : Trémoulines, Commune de Lacaune ET : Anne-Marie, Jeanne, Paule COMBRES Née le 29 juin 1921 à Gaillac Profession : Piqueuse sur cuir Demeurant : à la Geysse, Commune de Graulhet Délivré le 23 avril 1946 Un mariage républicain pas plus, pas de noce ni de festivités par nécessité et conviction. La période pour Georges et Annette était aux économies pour mieux démarrer enfin ensemble, dans un petit deux-pièces de Lacaune.

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Pratviel, 20 élèves L’année scolaire 1945-1946 se termine, le séjour à Lacaune aura été bref, la mutation vers Pratviel à 20 km de Graulhet est acceptée et la rentrée d’octobre 1946 se fera dans un nouveau cadre 15, tout aussi rural, moins montagneux et bien plus collinaire, le vrai pays de cocagne. Georges et Annette passeront 10 ans dans ce village de cent habitants pourvu d’une école avec tous les niveaux. Le maitre d’école deviendra vite secrétaire de mairie et l’école autant que l’église qui la jouxte un lieu de rencontre de tous les habitants. Dix ans plus tard, c’est vers la grande ville de Graulhet que la famille agrandie de deux enfants se déplacera pour habiter et travailler.

15 Photo de classe à l’école de Pratviel (voir documents annexes)

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postface Cahors, juin 2016 L’ensemble des courriers qui composent ce document a été conservé dans une boîte à chaussures au bas d’un meuble peu accessible, dans la maison familiale. Au décès d’Annette en 2000, ces courriers sont trouvés. Quinze ans après ils ont suscité l’attention des enfants et des petits-enfants qui se sont autorisés à se les approprier, pour tenter de faire savoir ce que Georges et Annette avaient vécu et dont ils n’avaient jamais parlé. On ne connaît de son entourage que ce que l’on voit, ce que l’on entend, ce que l’on vit ensemble depuis sa place, petit ou grand, loin ou proche. Seuls le recul, l’avancée dans l’âge, la distanciation avec les faits et les gens m’ont permis d’aborder tout d’abord avec enthousiasme mais aussi avec crainte ce passé familial. Par la suite, au fil des lectures et des encouragements de mes proches, avec la nécessaire relecture de l’Histoire, j’ai mieux appréhendé cette époque et le milieu familial dont je suis issu. À ce jour, malgré les discours de paix, les rapprochements de politiques, les accolades et franches poignées de mains, il est impossible pour ces hommes, tous devenus Européens, d’oublier ce que fut la dureté de cette période. Le pouvoir, la domination, la puissance sont autant de mots qui ont dirigé et opposé des hommes et des femmes n’ayant aucun intérêt dans ces stratégies mais que l’on a fait prisonniers d’idéologies de tout bord et entrainés dans des violences matérielles, physiques et morales. Comment s’opposer, garder son libre arbitre, résister ou suivre un mouvement national non partagé ?

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Le cheminement idyllique des courriers entre mon père et ma mère, entouré d’une charge de patience incommensurable, a été pour eux une voie de sortie de l’absurdité de cette période. Je comprends mieux aujourd’hui le mutisme de mes parents et leur patience devant certains événements banals ou plus graves de la vie. Aucun engagement marqué pour une cause ou pour une idéologie, mais une bienveillante écoute des gens et des idées, sans pour autant renier leurs convictions en tolérant celles des autres, telle était leur façon de vivre. Cette correspondance n’avait sûrement pas vocation à pédagogie ou philosophie, mais une lecture en creux, lettre après lettre, permet à mes yeux d’appréhender l’existence avec plus de sérénité. Moins d’empressement aux choses de la vie, aux événements matériels, politiques, moraux ou religieux qui nous submergent quotidiennement et qui veulent façonner le monde dans lequel nous vivons, me paraît indispensable bien que souvent difficile à accepter. Cette trace de vie est pour moi une leçon de patience, de sagesse et d’amour écrite dans une période où le “génie” militaire, l’intolérance, le mépris de quelques-uns s’arrogeaient tous les droits. L’histoire n’étant qu’un perpétuel recommencement, il est hélas à craindre que d’autres Georges et Annette soient encore obligés d’écrire… À mes parents, Robert Roques 93


ESSAI statistique

N’étant pas historien et si peu mathématicien, un essai statistique du traitement des écrits de Georges peut paraître présomptueux. Toutefois il ne fera que confirmer le ressenti de la lecture des lettres écrites entre août 1943 et juillet 1944. Le traitement des données a été établi de la sorte : sur la base de deux courriers par mois (1re et 2e quinzaine du mois), il a été compté le nombre de lignes attribuées aux rubriques suivantes : • le courrier reçu, envoyé ou attendu • la météo à Wetter ou à Graulhet • la nourriture • le travail • la guerre, les bombardements • les autres sujets de préoccupation, la santé, le logement, les loisirs… Bien qu’un biais statistique existe par le choix de deux courriers par mois, sur les 25 lettres ou cartes postales et 1062 lignes décortiquées, il ressort que le courrier, le travail, la nourriture étaient les sujets les plus fréquemment traités. La rubrique “autres sujets” ne peut faire partie du classement vu le grand nombre de sujets traités. Le courrier, ce lien indispensable pour un exilé, le travail jusqu’à douze heures par jour, la nourriture source de carence ou de bien-être quand elle arrivait de France, ont donc statistiquement été les préoccupations principales de Georges durant cette période. Mais dans ces statistiques aucune place pour la peine, la peur, la douleur, les sentiments qui ont pris également une place importante entre les lignes que seule Annette pouvait lire.

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NOMBRE DE LIGNES ATTRIBUÉES À CHAQUE RUBRIQUE courrier météo nourriture travail guerre autre TOTAL

262 76 129 221 92 282 1062

POURCENTAGE DES LIGNES ATTRIBUÉES À CHAQUE RUBRIQUE courrier météo nourriture travail guerre autre TOTAL

25% 7% 12% 21% 9% 27% 100%

courrier météo nourriture travail guerre autre

Cette réflexion sur le travail statistique des données fait suite à la lecture des “Rapports de Contrôle Techniques” établis par les Inspections Régionales sur les bases du “contrôle postal” effectué en France à la même époque. Des milliers de courriers décachetés et lus ont été inventoriés et interprétés pour encadrer et espionner la population à travers leurs écrits. Les courriers de Georges et Annette en ont-ils fait partie ?


reperes GEOGRAPHIQUES

Wetter

Graulhet

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reperes historiques 1er septembre 1940 3 septembre 1940

L’Allemagne envahit la Pologne La France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne

10 mai 1940

Offensive allemande vers l’Europe de l’Ouest

14 juin 1940

Les Allemands sont dans Paris

16 juin 1940

Pétain chef de gouvernement

18 juin 1940

Appel du Général De Gaulle à poursuivre le combat

22 juin 1940

Armistice signé par Pétain et Hitler.

31 juillet 1940

Création des zones libres et occupées séparant la France en deux Création des chantiers de jeunesse pour les jeunes de 20 ans

1er juin 1941

Georges a 20 ans

22 juin 1941

L’Allemagne attaque l’URSS

29 juin 1941

Annette a 20 ans

17 novembre 1941

Départ de Georges pour les chantiers de jeunesse à Avèze (Gard)

22 juin 1942

Laval propose la Relève, deux départs de volontaires pour la libération d’un prisonnier par les Allemands

21 juin 1942

Obligation du port de l’étoile jaune pour les juifs en zone occupée

30 juin 1942

Libération des chantiers de jeunesse

16-17 juillet 1942

Rafle du Vel d’Hiv’ à Paris

4 septembre 1942

Loi sur l’organisation du travail obligatoire STO

11 novembre 1942

Occupation totale de la France

16 février 1943 8 juillet 1943

Mobilisation des trois classes 1941-1942-1943 pour le STO Mort de Jean Moulin

7 août 1943

Départ de Georges pour le STO

6 juin 1944

Débarquement allié en Normandie

10 juin 1944

Massacre d’Oradour-sur-Glane

15 juin 1944

Dissolution des chantiers de jeunesse

7 août 1944

Dernière correspondance entre Georges et Annette

25 août 1944

Libération de Paris

16 avril 1945

Bataille de Berlin

8 mai 1945 12 mai 1945

Capitulation de l’Allemagne, retour des premiers prisonniers Rapatriement de Georges à Paris, retour à Graulhet le 14 juin 1945

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Sources bibliographiques

Patrice Arnaud Les STO, Histoire des Français requis en Allemagne nazie 1942-1945 CNRS Éditions Olivier Barrot et Raymond Chirat La Vie culturelle dans la France Occupée Gallimard François et Renée Bedarida La Résistance Spirituelle 1941-1944. Les Cahiers clandestins du Témoignage Chrétien Albin Michel Jacques Evrard La Déportation des travailleurs Français dans le 3e Reich Éditions Fayard Emma et Robert Gladin Lettres de Captivité correspondances 1939-1945 Éditions l’Ours Blanc

Pierre Laborie L’Opinion française sous Vichy Seuil Le Chagrin et le Venin Folio, Gallimard Jean Louis Quereillahc Le STO pendant la Seconde Guerre mondiale Éditions De Borée Tardi Moi René Tardi prisonnier de guerre au Stalag IIB Casterman Marcel Ophuls Le Chagrin et la Pitié Ministère de la Défense Division des archives et des victimes des conflits contemporains Service international de Recherches en Allemagne Association départementale du Tarn des Victimes et Rescapés des Camps Nazis du Travail Forcé

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remerciements

Ce livre n’aurait pas vu le jour sans le concours de nombreuses personnes ou institutions, qu’elles en soient toutes remerciées, et plus encore certaines : Robert Lassevaine, qui maintient la mémoire active au sein de l’Association départementale du Tarn des Victimes et Rescapés des Camps Nazis du Travail Forcé. Pierre Laborie, historien qui m’a encouragé à laisser la trace de l’histoire de mes parents dans la grande Histoire dont il est un éminent et accessible spécialiste. Ma sœur Josiane et ma fille Claire qui ont adhéré au projet et stimulé ma démarche d’écriture. Mon épouse Sylviane qui a repris son activité professorale pour lire, relire et avec beaucoup de patience, assurer une cohérence à mes écrits. Mon fils Julien, graphiste, qui avec un grand professionnalisme a su réinterpréter avec justesse et sensibilité les documents originaux, écrits par ce grand-père qu’il n’a pas connu. Et surtout à Georges mon père et Annette ma mère pour avoir écrit et conservé une partie importante de leur jeunesse dans ces courriers. Et merci à vous futurs lecteurs qui contribuerez à peut-être mieux connaître et faire connaître une partie de l’Histoire de la grande Guerre, certes moins médiatique que les déportations de juifs ou les maquis de résistants, et qui a cependant volé des vies et des années à des jeunes requis déportés en tant que STO. Que par ce témoignage reconnaissance leur soit rendue.

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lettres écrites par

Georges Roques mari d’Annette


texte rĂŠdigĂŠ par

Robert Roques

fils de Georges & Annette

livre mis en forme par

Julien (Georges) Roques petit-fils de Georges & Annette


ISBN 978-2-9557677-0-2 Dépôt légal : juin 2016 Achevé d’imprimer en France 18 € TTC © Robert Roques, 2016




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