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MARGINALITE ET INCLUSION URBAINE A MEDELLÍN _ LA REHABILITATION DES QUEBRADAS COMME MOTEUR DE DEVELOPPEMENT LOCAL FREDERIQUE JONNARD _
ENSAV 2010 - 2011 - GROUPE MEMOIRE ‘DEMARCHES A LA MARGE’ NADJA MONNET - BARBARA MOROVICH - GILLES TESSONNIERES
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MARGINALITE ET INCLUSION URBAINE A MEDELLíN LA REHABILITATION DES QUEBRADAS COMME MOTEUR DE DEVELOPPEMENT LOCAL
ECOLE NATIONALE SUPERIEURE D’ARCHITECTURE DE VERSAILLES ANNEE 2010 - 2011 MEMOIRE ‘‘DEMARCHES A LA MARGE’’ ENCADRE PAR: NADJA MONNET BARBARA MOROVICH GILLES TESSONNIERES FREDERIQUE JONNARD AZAHAR.EAV@GMAIL.COM TRADUCTIONS FREDERIQUE JONNARD
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INTRODUCTION
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I.1 - UNE REPONSE A L’EXTENSION URBAINE: DENSIFIER ET CONSOLIDER LA VILLE FACE A L’EPUISEMENT DES TERRES I.2 - LA QUEBRADA, UNE ENTITÉ NATURELLE A PRESERVER I.3 - PERCEPTION DU TERRITOIRE ET SEGREGATION I.4 - RETABLIR DES CONTINUITES DANS LA VILLE I.5 - ETAT DES LIEUX AVANT PROJET DE LA QUEBRADA JUAN BOBO
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ENJEUX ET PROBLÉMATIQUES DU RÉAMÉNAGEMENT DES QUEBRADAS À MEDELLIN
49 LE PROJET PILOTE « NUEVO SOL DE ORIENTE - QUEBRADA JUAN BOBO »
PROJET DE CONSOLIDATION DE L’HABITAT ET DE REHABILITATION ENVIRONNEMENTALE DE LA QUEBRADA JUAN BOBO
51 57 75 83
II.1 - LES PROCESSUS DE PROJET II.2 - LA RECHERCHE D’UNE TYPOLOGIE ARCHITECTURALE ADAPTÉE II.3 - LA RECHERCHE DE LA FLEXIBILITÉ TECHNIQUE ET NORMATIVE II.4 - LA GESTION DU PROJET
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LES QUEBRADAS COMME SYSTEME STRUCTURANT DE LA VILLE
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III.1 - LA COPRODUCTION DE L’ESPACE URBAIN COMME ENJEU DE DÉVELOPPEMENT III.2 - LE PASSAGE D’UNE NORME DE CONTRÔLE A CELLE DE L’INTERVENTION « INTÉGRALE » III.3 - MEDELLIN, UN MODELE DE DEVELOPPEMENT? III.4 - LA CUENCA COMME MODELE DE TRAVAIL INTERDISCIPLINAIRE
127 CONCLUSION
131 SOURCES - BIBLIOGRAPHIE 139 ANNEXES
REPERES
REPERES
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Les notions et repères définis par la suite sont des clefs pour comprendre dans quel contexte historique, politique et social s’inscrit le projet de la quebrada Juan Bobo. Ils proposent un état des lieux sur des sujets connexes auxquels renvoie ce mémoire. Il est possible de les lire d’emblée au fil de la lecture ou bien de s’y référer au besoin en suivant les renvois qui jalonnent le mémoire. (en marge en orange)
H I S T O I R E PROCESSUS URBAINS INFORMELS A MEDELLIN M E T H O D O L O G I E PARCOURS AUTOUR DE LA QUEBRADA JUAN BOBO S O C I O L O G I E PAYSAGES DE LA PEUR P O L I T I Q U E LES POLITIQUES ET LA VILLE INFORMELLE U R B A N I S M E LE PROJET DE VILLE «MEDELLIN LA MAS EDUCADA» A R T S L’ART ET LA MARGE : UNE ARCHEOLOGIE DU QUOTIDIEN U R B A N I S M E LE PLAN URBAIN DE 1950 PAR WIENER ET SERT REPERES
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« ÉSTA ES UNA CIUDAD AMURALLADA ENTRE MONTAÑAS. UNO MIRA EN TORNO, ALZANDO LA CABEZA, Y VE SÓLO LA LÍNEA AZUL DE LOS MONTES, LEJOS, SUS PICOS. ES EL BORDE DE UNA COPA QUEBRADA. Y EN EL FONDO DE LA COPA ESTÁ LA CIUDAD, ENSIMISMADA, DURA. HABLO DE LA CIUDAD QUE AMO, DE LA CIUDAD QUE ABORREZCO » JOSÉ MANUEL ARANGO - COLOMBIA
AVANT PROPOS
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Medellin, Colombie... De toute part de la ville-vallée, on peut observer les versants, orangés comme la brique, couverts de petites maisons à perte de vue... Puis en parcourant ses rues, ses sentes, ses rives aux paysages contrastés on perçoit la rapidité , et même parfois la brutalité, des changements et des transformations. On sent à quel point l’expansion galopante des villes, phénomène irréversible, questionne notre capacité à produire des biens publics, en particulier en matière d’éducation, de culture, de santé et surtout un environnement sain pour l’ensemble de la population. Bases fondamentales pour un développement qui assure le bien-être collectif et, par dessus tout, l’expansion des libertés individuelles. A Medellin, certains responsables locaux, professionels et universitaires ont pris conscience, pour enrayer les mécanismes de la violence et de l’exclusion, de la nécessité de parvenir à développer une pratique de l’urbanisme contribuant à la construction d’un sujet social en même temps qu’à la production matérielle de la ville. C’est cette ambition ainsi que l’ampleur des moyens utilisés pour rendre le changement visible et efficient ont attiré mon attention. Je me suis donc attachée à étudier et à parcourir plusieurs projets réalisés dernièrement et à rencontrer les décideurs locaux ainsi que les habitants afin d’avoir une vision globale des modes de production de la ville aujourd’hui à Medellin et en particulier les modes d’intervention sur la ville informelle. Cette recherche a été amplement nourrie par l’expérience des équipes avec lesquelles j’ai eu l’occasion de collaborer ou d’étudier en Amérique Latine sur des projets d’urbanisme: ONG Espacio Expresion à Pisco et Leondelima à Lima au Pérou, Programa de Recuperacion y Desarrollo Urbano de Valparaiso au Chili, les deux architectes urbanistes colombiens Natalia Castaño et Juan Sebastian Bustamante de Posibilidades del Paisaje. ainsi que les travaux sur les rapports entre l’urbanisme et la géographie d’Alejandro Echeverri, Centro de Estudios Urbanos y Ambientales de Medellin. J’ai pu à leurs côtés appréhender diverses stratégies urbaines, la plupart basées sur le développement local et la participation. 7
Les défis actuels de Medellin et l’attention portée sur la manière dont elle les relève, c’est également une occasion de formuler les enjeux de la profession d’architecte tels que je les perçois aujourd’hui au sortir de la formation. Ce mémoire peut donc, dans une certaine mesure, être l’objet d’une écriture optimiste sur les possibilités d’une discipline, l’architecture, qui doit savoir assumer son rôle, même quand les processus de production de la ville s’accélèrent, même quand les considérations économiques tendent à minorer la qualité et l’humanité de nos environnements. D’autre part, ce mémoire s’appuie sur les lectures, interviews et parcours répertoriés à la fin de ce mémoire, matériel rassemblé au cours de trois voyages: - Le premier voyage, en avril 2010, organisé avec une amie qui étudie également Medellin, nous a permis de rencontrer les décideurs locaux, ainsi que des architectes et urbanistes ayant pris part aux projets urbains récents, soit dans la planification (E.D.U. et Secretaria de Obras Publicas de la Alcaldia de Medellin), soit via la réalisation des ouvrages clefs de ces projets à l’issue des concours lancés pour les grandes réalisations publiques (Giancarlo Mazzanti et Paisajes Emergentes). Ce séjour a été d’une grande importance pour s’éloigner des propos parfois stigmatisants de la presse internationale, et percevoir la ville calmement au fil des rencontres et des parcours. Ce premier aperçu des lieux m’a laissé entrevoir la complexité des enjeux du développement et l’important niveau de ségrégation toujours très lisible dans la ville, mais surtout, la puissance de frappe de la politique quand elle parvient à se mettre en place de manière efficace et cohérente. - Le second voyage, plus long, (octobre 2010 - Biennale Ibéroaméricaine d’Architecture et d’Urbanisme à Medellin) m’a permis d’approfondir la relation au terrain autant que possible et contrebalancer ainsi le côté généraliste des lectures. J’espère ainsi pouvoir rendre cette analyse plus ambivalente car avant de parler des modes de production du cadre bâti dans les quebradas, et de ses éventuelles transformations, il convient d’avoir intégré autant que possible la réalité quotidienne des populations, la physique des territoires, jusqu’aux ambiances et aux usages des habitants, d’une ville, d’un quartier… 8
J’ai aussi pu voir à ce même moment Medellin citée en exemple pour sa politique d’intégration des quartiers populaires au travers de l’Urbanisme Social (Urbanismo Social - Administration S.Fajardo 2004-2007) lors de la Biennale Ibéroaméricaine d’Architecture et d’Urbanisme, et réaliser à quel point la ville se promotionne à l’international au travers de quelques projets phares seulement, offrant aux yeux impatients du monde un simulacre souvent loin de représenter la ville aux prises avec ses réalités. Des rencontres avec les habitants, des récits reçus sur l’élaboration concertée des projets, je reste avec la conviction que les rêves de chacun sont la matière à travailler, offrir des opportunités, éduquer, permettre à chacun de s’accomplir dans la vie, c’est en cela que doit résider la croissance d’un pays en priorité, une croissance fertile, qui puisse aboutir sur une économie saine et une lutte efficace contre les problèmes sociaux. Il ne s’agit pas de donner, à ceux qui manquent, mais de les impliquer dans la construction des biens manquants (matériels ou immatériels), c’est là toute la difficulté du travail des acteurs locaux ; démultiplier les opportunités, élargir un tant soit peu l’horizon des possibles. Acteurs locaux, y compris architectes, qui porte un rôle complexe, et doivent savoir s’affranchir à la fois des tensions actuelles entre le poids des donneurs d’ordres et de la volonté de satisfaire les besoins supposés du plus grand nombre. - Et, enfin, le troisième voyage (décembre 2010 - janvier 2011) m’a mené sur beaucoup d’autres sites à Medellin, d’autres quebradas, pour observer à l’échelle de la ville cette hydrographie ‘structurante’ en vue du projet de diplôme. Ce mémoire est donc l’occasion d’une réflexion dense et ouverte sur le thème qui en fixe, en quelque sorte, les bases conceptuelles.
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C O L O M B I E
Superficie 1 141 748 km2 Population 44 760 630 hab
MEDELLIN
ANTIOQUIA
BOGOTA
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INTRODUCTION INTRODUCTION
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1948
1970
1985
1995
CROISSANCE DE MEDELLIN - "ESTUDIO DE LA FORMA Y DEL CRECIMIENTO URBANO DE LA REGION METROPOLITANA" - UPB ET AREA METROPOLITANA
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INTRODUCTION Medellin est la capitale du département d’Antioquia en Colombie fondée en 1675 entre les cordillères occidentale et centrale, à une altitude de 1 538 mètres. Surnommée «Capitale de la Montagne», elle s’étend sur les versants de la vallée de l’Aburra, traversée par le Rio Medellin du sud vers le nord.
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Medellin étant un pôle industriel et commercial important dans la région, elle a connu une très forte croissance démographique du siècle dernier jusqu’à nos jours, tendance généralisée en Amérique Latine en raison de flux migratoires venant conformer dans un premier temps la classe ouvrière, puis plus tard, dans le cas de la Colombie, constitués par des groupes plus défavorisés fuyant la crise et la violence dans les campagnes. Ces vagues de peuplement successives ont très fortement influé sur la morphologie de la ville devenue aujourd’hui le deuxième centre urbain le plus peuplé du pays après Bogota, avec 2.223.078 habitants sur une superficie de 280 km².1
1. Recensement 2005, D.A.N.E 2. López-Peláez Juanita, La construction sociale du risque à Medellin (Colombie): Gouvernance locale et représentations., Paris, 2008, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
«Les premières décennies du XXe siècle ont été marquées par le développement des lotissements ouvriers, résultat de l’action des patronats et des entreprises de construction privées, ainsi que des programmes gouvernementaux de logement qui accompagnent l’industrialisation. Ensuite, ce sont des modalités d’auto-construction qui vont dominer, elles se sont repliées progressivement vers les versants, en dehors du périmètre urbain, et à l’écart des dynamiques de la ville ‘‘formelle’’.2» 13
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MEDELLIN EN 1970 - SOURCE: EDU - PHOTO: GABRIEL CARVAJAL
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1. Medellin, très touchée par l’urbanisation informelle, est loin d’être un cas isolé en Amérique Latine. Las villas miserias (Argentine), quebradas et ranchos (Venezuela), barriadas et pueblos jóvenes (Pérou), barrios clandestinos et ciudades piratas (Colombie), callampas, campamentos et mediaguas (Chili), jacales, colonias et ciudades de paracaidistas (Méxique), favelas, malocas, mocambos, vilas (Brésil), barbacoas (Cuba), limonás (Guatemala) , entrent dans la même “famille” de phénomènes urbains. 2. López-Peláez Juanita, La construction sociale du risque à Medellin (Colombie): Gouvernance locale et représentations., Paris, 2008, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales 3. Barrios populares et comunas seront les deux termes que nous retiendrons pour la suite de l’étude.
L’urbanisation informelle1 découle de différents types d’auto-production de l’habitat : lotissements clandestins (« lotissements pirates ») et invasions. Les premiers désignent la forme de production de l’habitat où il y a une transaction de vente, les propriétaires vendant les parcelles, sans prospection des réseaux et de services et sans approbation officielle. Les invasions, en revanche, résultent de l’appropriation de fait de terrains privés ou publics.2 A Medellin ces quartiers informels sont communément appelés barrios populares ou comunas.3 L’intégration de ces quartiers à la ville formelle est aujourd’hui un enjeu majeur pour la ville et implique des politiques de gestion complexes pour consolider, régulariser et viabiliser ces territoires qui ont échappé à la planification par le passé. Parmi les éléments marquant de cette ville, les nombreux cours d’eau qui jalonnent son territoire et ouvrent comme autant de brèches sur les terres saturées par la construction. En effet, Medellin présente une géographie montagneuse très marquée par les quebradas, des ravines formées par les eaux de ruissellement, qui restent aujourd’hui les rares espaces continus et relativement disponibles au milieu ces quartiers auto-construits qui se sont étendus au maximum sur les pentes de la vallée, parfois dans des zones à haut risque, et se sont consolidés avec une forte carence en équipement et en espace public. Dans ce mémoire je vais donc cristalliser les thèmes abordés autour de ces quebradas, qui diluent la trame de la ville dans leurs méandres, et définissent bien souvent les limites naturelles des quartiers de par leurs déclivités. 15
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MEDELLIN AUJOUR’HUI - SOURCE: TRIP PHOTO FREE.COM
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La nature des franchissements d’un quartier à un autre, des modes d’accès, de l’aménagement des espaces publics, de l’implantation et de la consolidation de l’habitat sont autant d’éléments influant sur l’isolement, la précarité et l’exposition aux risques naturels mais aussi par extension à la violence.
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1. Henao Delgado Hernan (dir.) Pespectivas ambientales urbanas. Simposio Cuidad y Medio Ambiente Urbano. Colombia, 1997, Instituto de Estudios Regionales, Universidad de Antioquia 2. Echeverri Alejandro, conférence «Sistema Estructurante», Modérateurs: Caro Marcia, Correa Isabel, Santana Oscar, architectes du PUI centroriental, EDU - Medellin, 10 juillet 2009
Ces quebradas, liens omniprésents entre les hauteurs de la ville et le fond de vallée, se révèlent donc aujourd’hui être des axes stratégiques pour le développement futur de la ville qui cherche à désenclaver les quartiers situés sur les hauteurs et à rétablir un certain équilibre centre - périphérie. Selon leur morphologie et leur taux d’occupation, elles présentent des terrains disponibles pour l’insertion d’équipements, voire de systèmes de transport tout au long de leur cours1… Opportunités précieuses pour une ville qui atteint ses limites d’extension et amorce un processus de densification et de croissance sur elle-même. Il s’agit de s’appuyer sur cette «géographie structurante»2 pour proposer un habitat en rapport avec son environnement spécifique, de recréer des centralités dans des territoires morcelés et inégaux, de réintroduire de manière durable les biens nécessaires au développement de chaque quartier et à leur inscription dans un grand projet de ville. Dans quelle mesure la valorisation du micro-territoire des quebradas permet-il de renverser les logiques en place sur ces territoires? Comment la ville peut-elle tirer parti de sa condition naturelle en pente, trouver dans l’aménagement de ces ravines une manière de structurer un tissu urbain problématique? 17
MEDELLIN ET SES COURS D’EAU QUI TRAVERSENT LA VILLE DES HAUTEURS VERS LE FOND DE VALLÉE EN ORANGE, LOCALISATION DU PROJET ETUDIE DANS LA ZONE NORORIENTAL
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FOND DE PLAN MEDELLIN: EDU
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1. Projet de consolidation de l’habitat et de réhabilitation environnementale de la quebrada Juan Bobo. 2. EDU: Empresa de Desarrollo Urbano - Créé en 2002, c’est un organisme externe de la municipalité de Medellin qui a pour mission le développement des Projets Urbains Intégraux PUI (conception, gestion et execution). Cette entreprise municipale est autonome administrativement et financièrement. Elle permet d’articuler les différents secteurs et institutions ayant trait à la réalisation des projets urbains, afin de contribuer à l’amélioration de la qualité de vie à Medellin. 3. EDU, formulation projet de consolidation de l’habitat et de réhabilitation environnementale de la quebrada Juan Bobo, document de travail, 2004
Autant d’enjeux que nous évaluerons au travers de l’étude du projet pilote1 mené à partir de 2004 par la EDU2 sur une zone précaire et très exposée au risque sur les versants de la quebrada Juan Bobo à Medellin. Via l’application d’un modèle alternatif de relocalisation sur place (reasentamiento en sitio), la consolidation des habitations existantes et la mise en valeur des espaces naturels, ce projet s’est donné pour but «d’améliorer les conditions de vie de 300 familles, régulariser leur présence sur ce terrain, minorer les risques naturels auxquels elles étaient exposées, introduire des changements dans les politiques publiques, incorporer le micro-territoire au développement de la ville et renforcer l’application du droit au logement en faveur de la communauté3.» Six ans après le début de l’intervention, nous verrons quels sont les changements en matière d’environnement et de consolidation socioculturelle et économique de la population. La nouvelle spatialité introduite par le projet a permis de dégager plus de terrain pour la communauté, en récompense pour sa participation active au processus impulsé par la EDU. Ce bénéfice se manifeste dans l’acquisition des droits de propriété, la construction de nouveaux logements collectifs, la réfection de l’existant selon certaines normes de qualité et de sécurité, la réalisation d’espaces publics, d’infrastructures de service, d’équipements sociaux et productifs, l’assainissement du site par le raccordement au réseau d’égouts ainsi que l’accès aux services urbains (eau, électricité, téléphone). Du côté des organismes publics, cette expérience a impliqué, de la part des équipes de pla19
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BARRIO SANTO DOMINGO
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BARRIO POPULAR
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BARRIO LA FRANCIA _
BARRIO ANDALUCIA
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QUEBRADA LA HERRERA _
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TERRAIN D’ETUDE: QUEBRADA JUAN BOBO - ZONA NORORIENTAL
EN ORANGE, LOCALISATION DE LA QUEBRADA JUAN BOBO ON NOTE QUE LES DEPRESSIONS FORMÉES PAR LES QUEBRADAS AINSI QUE LES PENTES LES PLUS ABRUPTES SONT LES SEULS ESPACES NON URBANISÉS JUSQU’ALORS, LE RESTE DES SOLS ÉTANT SATURÉ ETUDE PLEINS ET VIDES DANS LA ZONE NORORIENTAL - SOURCE: EDU
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1. Alcaldia de Medellin, Plan de desarrollo local 2008 - 2001 Medellin es solidaria y competitiva, 2008
nification, la mise au point de mécanismes alternatifs de gestion du sol urbain, d’intervention dans la ville informelle, de gouvernance. Quels enseignements pouvons-nous tirer des projets menés jusqu’alors ? En quoi cela a-t-il contribué à changer le visage de la ville ? A restaurer une certaine confiance entre les pouvoirs publics et les habitants ? Actuellement, la EDU multiplie cette expérience dans la partie haute de la quebrada Juan Bobo et dans la quebrada La Herrera du même secteur (voir plan ci-contre). La municipalité de Medellin, dans le Plan de Développement Local 2008-2011 (Plan de Desarrollo Local), s’est proposée d’étendre le modèle d’intervention à plus de 6000 familles1. A quel point ce projet est-il parvenu à poser les bases d’une intervention reproductible ? La continuité de la violence et les grands mouvements de population qui se produisent dans le pays font de la Colombie une société qui a besoin de trouver non seulement le chemin d’une véritable paix (et non pas d’une trêve prolongée) mais aussi les moyens pour faciliter l’adaptation des gens déplacés. Désenclaver et consolider les quartiers alors formés implique une mise en œuvre concrète et soutenue des projets architecturaux au sein même de la ville informelle. Quels sont ces modes d’action sur le territoire? Sur des terrains réputés difficiles, comment se mène ce travail en concertation avec les habitants, quel est l’apport de cette approche? Nous tenterons ici d’identifier les forces et faiblesses du projet ainsi que les défis présents et futurs pour ces territoires.
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MEDELLIN - VALLE DE ABURRA - SOURCE: EDU
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PA R T I E 1 ENJEUX ET PROBLEMATIQUES DU REAMENAGEMENT DES QUEBRADAS A MEDELLIN
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I.1 - UNE RÉPONSE À L’EXTENSION URBAINE : DENSIFIER ET CONSOLIDER LA VILLE FACE À L’ÉPUISEMENT DES TERRES I.2 - LA QUEBRADA, UNE ENTITE NATURELLE I.2.A - HYDROGRAPHIE DOMINANTE I.2.B - LE DAMIER CONTRE LE MÉANDRE
I.3 - PERCEPTION DU TERRITOIRE ET SEGREGATION I.3.A - PAYSAGES DE LA PEUR I.3.B - LA COHABITATION AVEC LE RISQUE NATUREL
I.4 - RETABLIR DES CONTINUITES DANS LA VILLE I.5 - ETAT DES LIEUX AVANT PROJET DE LA QUEBRADA JUAN BOBO I.5.A - LOCALISATION I.5.B - DIAGNOSTIC SOCIAL I.5.C - DIAGNOSTIC PHYSIQUE
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QUEBRADA EN DEHORS DE LA ZONE URBANISEE DE MEDELLIN - PH: M. E. ARBOLEDA | LA QUEBRADA JUAN BOBO EN PARTIE BASSE - PH: EDU
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I.1 - UNE RÉPONSE À L’EXTENSION URBAINE : DENSIFIER ET CONSOLIDER LA VILLE FACE À L’ÉPUISEMENT DES TERRES _
1. Le déficit quantitatif en logement de Medellin est estimé à 48.843, quant au déficit qualitatif il y aurait 43000 logements sans accès aux services publics et 50000 souffrant d’une infrastructure insuffisante. Source: Empresa de Vivienda de Antioquia (Viva), Jorge León Sánchez 2. Municipio de Medellin, POT Plan de Ordenamiento Territorial de Medellin, acuerdo municipal n°46 de 2006
Si l’une des «vertus» de la ville informelle est le fait qu’elle permette l’installation progressive de milliers de personnes qui n’ont pas, au moment de leur arrivée, les moyens d’accéder au marché local du logement, on sait aussi les lourdes conséquences de cette utilisation incontrôlée du sol urbain. La modification du paysage en est certainement l’aspect le plus frappant, mais le problème est loin d’être esthétique. Des biotopes et réseaux écologiques importants sont morcelés ou disparaissent totalement, les sols atteignent leur capacité maximale de support et cèdent causant d’immenses pertes humaines et matérielles, les réseaux de la ville se saturent et les espaces verts s’amenuisent. Quant au problème du manque de logement, même si Medellin peut compter sur plusieurs terrains d’expansion1 dans la ville (souvent en périphérie) pour augmenter son parc de logements sociaux, ceux-ci ne sont pas la solution aux problèmes d’habitabilité de la ville1 (déficit d’espace public, accessibilité, manque d’équipements, insalubrité...). Les orientations prises par le dernier Plan d’Ordonnancement Territorial2 (POT 2006) visent à restreindre les futures expansions urbaines pour des questions principalement environnementales et à encourager une croissance de la ville sur elle-même en recherchant la regénération et la consolidation des tissus existants. 25
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LA QUEBRADA JUAN BOBO AVANT LE PROJET - PHOTO EDU
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1. REPERE: Le projet de ville «Medellin, la más educada»
A cet effet, dans le cadre des PUI1 (Projets Urbains Intégraux) mis en place depuis 2004, une attention toute particulière à été portée sur les quebradas, à la fois parce que leurs rives représentent les rares espaces restés « libres » suite à l’occupation des versants étant donné la difficulté de s’y implanter, mais surtout pour la précarité extrême des familles qui s’y trouvent retranchées. Ces projets ont pour objet la réintroduction de biens publics au sein des communautés les plus démunies, afin de réduire les inégalités et de renforcer l’intégration de ces zones au reste de la ville, aussi bien physiquement que socialement. Ils s’appuient pour cela sur le cours d’eau comme un fil conducteur.
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1. Echeverri Alejandro, conférence «Sistema Estructurante», Modérateurs: Caro Marcia, Correa Isabel, Santana Oscar, architectes du PUI centroriental, EDU - Medellin, 10 juillet 2009
« ‘‘Suivre les empreintes de l’eau’’ se réfère à une méthodologie qui permet d’établir un diagnostic de la ville. Ce n’est pas seulement faire du projet, identifier des zones à intervenir, mais aussi dresser la carte des pentes et des cours d’eau et partir de leurs rives pour faire une étude qui te raconte l’histoire de Medellin, de ses classes les plus aisées au plus pauvres. C’est retracer l’histoire de toute la ville à partir de sa section transversale.[...] C’est à la fois une lecture de la ville et aussi une manière d’y intervenir qui se base sur l’élément le plus caractéristique de la ville [les quebradas]: son potentiel et sa valeur.»1 Dans les pages qui suivent, notre préocupation centrale sera donc d’identifier les enjeux humains, environnementaux et urbains de l’aménagement des quebradas à Medellin (habitat, espace public et infrastructure) au travers de l’étude du projet pilote de la quebrada Juan Bobo et des recherches qui ont permis de le mettre en place. 27
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CARTE DE LA ZONE DITE «DE LA ESTRELLA», JURIDICTION DE MEDELLÍN, 1807. ARCHIVO GENERAL DE LA NACIÓN, CARTOTHÈQUE 4, REF. 254A.
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CHEMINS EMPRUNTÉS POUR FRANCHIR LES COURS D’EAU SITE D’URRAO, ANTIOQUIA, 1799, ENCRE ET AQUARELLE, ARCHIVO GENERAL DE LA NACIÓN, CARTOTHÈQUE 4
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I.2 - LA QUEBRADA: UNE ENTITE NATURELLE A PRESERVER _
1. Brunet Roger (dir.), Les mots de la géographie, Paris, 1993, Reclus-La Documentation française, article « ravinement », page 417
I.2.A - HYDROGRAPHIE DOMINANTE
L’un des apects importants de de la géographie de la Vallée de Aburra dans laquelle s’inscrit Medellin est l’abondance de ses ressources hydriques. La quantité de torrents et ruisseaux qui dévalent les versants jusqu’au rio Medellín sur 600m de dénivelé en font une ville à la topographie prononcée et visible depuis tout point de la ville. (Altitude du rio: 1300m, Altitude des cimes autour de Medellin: 1900m). Ces torrents forment des ravins appelés quebradas. « Un ravin (quebrada) est une petite vallée constituée d’une dépression allongée, profonde et généralement étroite. Il est le produit d’une érosion ; incision liée à la dynamique de ravinement des eaux. Un ravin est une forme de relief de pente, aux versants relativement raides (De l’ordre de 20 à 70%). Le ravin peut ou non abriter un torrent actif s’écoulant le long du canal de pente depuis le bassin de réception à l’origine de sa formation. Le plus souvent ce cours d’eau se caractérise par un débit intermittent.1»
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1. REPERE: Processus informels à Medellin
A Medellin, ces quebradas qui parcourent la ville depuis ses hauteurs vers le fond de vallée traversent des quartiers au développement bien souvent très inégal et définissent leurs limites naturelles de par leurs déclivités. Dans la plupart des cas, elles représentent à elles seules un système particulier, une petite ville dans la ville, au long de leur cours, des habitations qui échappent à la trame viaire ordinaire se sont disséminées le long des pentes des ravins, derniers lieux colonisés, au plus proche du danger des crues. 29
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LA QUEBRADA JUAN BOBO AVANT LE PROJET - PHOTO: EDU
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1. REPERE: Parcours dans la quebrada Juan Bobo
Lorsqu’on y descend, et que l’on atteint le cours d’eau dans le fond, on réalise à quel point elles forment un paysage encaissé qui s’extrait de l’activité des quartiers sur leurs crêtes. L’agitation cesse, plus un bruit de moto, ici les rues s’interrompent et deviennent sentes, qui à leur tour se transforment en escalier, puis passage étroit le long des ranchos lorsqu’elles sont habitées. La vue se restreint à l’ouverture béante du ravin et une proximité s’installe d’un versant à l’autre, on se sent comme dans un amphitéâtre ouvert sur la ville en contrebas. Les quebradas peuvent se lire alors comme une entité homogène d’une rive à l’autre, mais cette vision purement physique (ou géographique) de l’espace s’oppose à une autre réalité de ces espaces en creux dans la ville: la limite.
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LA DEPRESSION FORMÉE PAR LE COURS D’EAU INTERROMPT LA TRAME VIAIRE ET REND LA TRAVERSÉE DIFFICILE. CES LIEUX SONT LES DERNIERS COLONISÉS COMPTE TENU DE L’INSTABILITÉ DU TERRAIN ET DE LA PENTE. L’ESPACE EN CREUX DE LA QUEBRADA SE RETROUVE DONC RELATIVEMENT ISOLÉ SUR LUI MÊME ET MARQUE UNE LIMITE FRANCHE ENTRE LES QUARTIERS.
QUEBRADA JUAN BOBO AVANT PROJET 2004 - FOND DE PLAN: EDU
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L’HABITAT EST TRÈS PRÉCAIRE ET ENVAHIT LA ZONE DE RETRAIT REGLEMENTAIRE DE PART ET D’AUTRE DU COURS D’EAU FIXÉE À 10 M.1
I.2.B - LE DAMIER CONTRE LE MEANDRE _
1. REPERE: Processus informels à Medellin
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1. La norme de retrait de part et d’autre des quebradas fixée à 10m (Plan de Ordenamiento territorial, Acuerdo 62 de 1999) est rarement respectée dans les quartiers informels
En effet, au sein des quartiers informels, ces ravines sont des micros territoires particulièrement délicats étant donné la difficulté d’accès, l’interruption de la voirie, les conditions de salubrité très dégradées, l’instabiilté des sols et la forte pollution régnant en raison des rejets des eaux usées ainsi que des résidus solides de tous les foyers alentour. Le franchissement de ces obstacles naturels représente une difficulté car à maintes reprises on observe que la trame en damier se heurte aux quebradas et s’interrompt de manière irrégulière1. (voir schéma ci-contre) Cette trame urbaine, héritée de l’époque coloniale, persiste même dans les zones urbanisées tardivement, et ce malgré le relief peu propice à ce genre de tracé.
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«DES LIEUX DE HONTE, DE HAINE, DE PEUR, PARSÈMENT LES CARTOGRAPHIES IMAGINAIRES DE CHAQUE CITADIN»1 MICHEL AGIER - 1999
EXPRESSIONS DU CONFLIT ARME AU COEUR DES QUARTIERS DE MEDELLIN REPRESENTÉES PAR:
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ETHEL GILMOUR PEINTURE MUSÉO DE ARTE MODERNO DE MEDELLIN MAMM CIUDAD DEL RIO OCTOBRE 2010
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I.3 - PERCEPTION DU TERRITOIRE ET SEGREGATION I.3.A - PAYSAGES DE LA PEUR
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1. REPERE: Paysages de la peur
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1. Agier Michel, L’invention de la ville: banlieues, townships, invasions et favelas, Editions des Archives Contemporaines, 1999 2. Entretien avec L., habitante de la quebrada Juan Bobo, décembre 2010 (retranscrit en annexe)
Au sein de la ville, les quebradas portent une symbolique forte car ces barrières naturelles conforment toute la géographie des quartiers et tout l’imaginaire spatial des habitants, leur sentiment d’appartenance à un barrio. D’autre part, œuvrer autour de ces espaces frontière revient à négocier, à tenter de désarmer les conflits en rétablissant des connexions (ponts, passages, édifices ponts) entre des quartiers quartiers fondés sans planification préalable, au fur et à mesure de l’arrivée des vagues de migrants, dont la cohabitation était parfois difficile. Les quebradas et leur géographie, leur profondeur, leur débit, la variation de leur cours, conditionnent de manière déterminante l’occupation qui en est faite. On constate par exemple que La Herrera est très abrupte et profonde et que les « ranchos » construits sur ses pentes s’orientent vers la crête et non vers le fond, les points de traversée possible sont quasi-inexistants et la quebrada agit alors comme une césure dans le tissu, une facture dans le territoire, c’est le lieu souillé et associé au danger, c’est là que sont rejetées toutes les eaux usées et les déchets. Une habitante de la quebrada Juan Bobo témoigne: L. : « La sécurité ici… Déjà à un moment il y avait beaucoup de violence dans toute la ville [à voix basse], on retrouvait des morts dans le cours d’eau, il y avait des viols… Un secteur si obscur, il se passait bien des choses, on avait peur de sortir la nuit. […] Des petits groupes se réunissaient pour consommer [de la drogue]… De toute façon, ils le font toujours mais de façon plus discrète, plus privée.2 » 35
LES HABITANTS DE VILLA TINA 7 ANS AVANT LA CATASTROPHE: «NOUS AVONS PEUR DE MOURIR ENSEVELIS» - PHOTO «EL COLOMBIANO» DESSIN D’ENFANT DE 9 ANS REPRESENTANT A GAUCHE «CE QU’IL AIME A VILLA TINA,» ET A DROITE «CE QU’IL AIMERAIT CHANGER DE VILLA TINA» ETUDE MENÉE EN 1993 SUR DES ENFANTS AYANT VÉCU L’ENSEVELISSEMENT DU QUARTIER SOUS LA TERRE LORS DE L’EBOULEMENT SURVENU EN 1987.
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LA TRAGEDIE DE VILLA TINA 1987
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1. REPERE: Historique du peuplement de la zone nororiental _
1. Ci-contre: Coupé Françoise, Arboleda Elizabeth, García L. Carolina, «Villatina: Algunas reflexiones 20 años después de la tragedia», in Gestion y ambiente, Volumen 10 No2, août 2007 2. Entretien avec L., habitante de la quebrada Juan Bobo, décembre 2010 (retranscrit en annexe) 3. López-Peláez Juanita, La construction sociale du risque à Medellin (Colombie): Gouvernance locale et représentations., Paris, 2008, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
Il est fréquent que cette division géographique corresponde aussi aux conflits sociaux entre deux groupes de quartiers différents. La quebrada prend alors la dimension de frontière dont les points d’accès sont contrôlés et administrés par le groupe au pouvoir, elle devient un obstacle naturel mis à profit pour contrôler le territoire, nuire à la libre circulation de chacun. L’histoire de ces quartiers est en bonne partie déterminée par la lutte permanente pour l’accès aux services publics et sociaux, et par l’obtention de solutions bien précaires voire provisoires. Les quebradas étant bien souvent des limites elles n’ont jamais été au centre des négociations et sont restées l’arrière-cour des quartiers, égoûts à ciel ouvert, lieux mal famés, insalubres et dangeureux, tombés aux mains de ceux qui en contrôlaient l’accès et les points de traversée. I.3.B - LA COHABITATION AVEC LE RISQUE NATUREL
Historiquement dans la vallée de Aburra, l’eau a été la cause des catastrophes les plus tragiques (voir ci-contre la tragédie de Villa Tina en 1987) et en même temps une des opportunités les plus évidentes, une des richesses naturelles qui offrent au territoire de Medellin cette fertilité et cette végétation riche et exubérante. L.: « Ma maison avant était dans un terrain très pentu et très haut et ma peur c’était qu’un jour la terre puisse glisser et emporter la maison… Et aussi parce qu’il y avait des fois ou l’eau dévalait depuis cette rue là en haut et tous les égouts se bouchaient… Du coup l’eau cherchait par où s’échapper elle entrait partout dans la maison et abîmait tout sur son passage2…» Afin d’éviter tout accident, «Les autorités sont contraintes par loi à transférer toutes les populations identifiées à risque. Or, si elle est formulée en principe comme une mesure préventive, elle s’est avérée souvent une stratégie de réponse post-désastre.3» 37
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LA QUEBRADA COMME CONTINUITE - L’EXEMPLE DE JUAN BOBO A L’ISSUE DU PROJET
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I.4 - RETABLIR DES CONTINUITES DANS LA VILLE
Hormis les deux quebradas majeures de la ville (Santa Elena à l’est et La Iguana à l’ouest) qui supportent dans leur sillage deux axes de communication structurants de la ville, les quebradas n’ont pas été prises en compte lors de l’urbanisation comme des axes potentiels pour déservir la ville des hauteurs vers le fond de vallée.1 _
1. REPERE: Historique du peuplement de la zone nororiental
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1. Henao Delgado Hernan (dir.) Pespectivas ambientales urbanas. Simposio Ciudad y Medio Ambiente Urbano. Colombia, 1997, Instituto de Estudios Regionales, Universidad de Antioquia
Or aujourd’hui, l’exploitation de cette continuité représente un défi en matière d’aménagement et de cohérence urbaine et l’observation de la formation des quartiers nous livre un certain nombre de clefs pour comprendre le rôle prépondérant de cette géographie dans la ville.1 En effet les quebradas s’avère aujourd’hui être les derniers espaces libres traversant plusieurs zones enclavées dont les sols sont arrivés à saturation et cela suppose une reflexion sur le potientiel de ce réseau naturel. On retiendra donc que les quebradas se prêtent à deux lectures: (on peut faire ce constat aussi bien depuis l’étude du parcellaire que depuis le terrain même) - d’une part, elles sont une frontière et souffrent d’une image très dégradée au sein des quartiers, - d’autre part, elles sont une entité géographique et physique, liée aux cours d’eau, qui s’affirme puissament sur le territoire comme une continuité des hauteurs vers la vallée. Tout projet se doit donc de prendre en compte ces deux réalités pour tirer parti de ces brèches naturelles sur le territoire tout en parvenant à unir les rives et les communautés, à repenser les franchissements, à valoriser les cours d’eau. 39
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LA QUEBRADA AVANT PROJET (A GAUCHE) PHOTO F.J. | IDEM (A DROITE) VUE GOOGLE EARTH
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I.5 - ETAT DES LIEUX AVANT PROJET DE LA QUEBRADA JUAN BOBO I.5.A - LOCALISATION DE LA QUEBRADA JUAN BOBO
La quebrada Juan Bobo est située au nord de la ville (zona nororiental) dans un des secteurs les plus représentatifs de la ville en terme d’informalité. Parcourant le versant est de la vallée, elle forme comme une brèche entre les quartiers Andalucia (au nord) et Villa Niza (au sud). Elle compte avec 2 points de traversée carrossable et divers points de traversée piétons plus ou moins accessibles et praticables. Le metro (station Acevedo) se trouve à 500m du bas de la quebrada. Le metrocable (station Andalucia) se trouve à 300m de la partie haute de la quebrada. Les cartes sur les pages suivantes permettent de repérer le territoire abordé à l’échelle de la ville, puis de la zone, puis du quartier.
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LOCALISATION DU PROJET
1. MEDELLIN - FOND PLAN EDU
EN ORANGE, LOCALISATION DU PROJET URBAIN INTEGRAL (PUI) DANS UN DES SECTEURS DE MEDELLIN DES PLUS REPRESENTATIFS EN TERME D’INFORMALITÉ: LA ZONE NORORIENTAL 2. ZONE NORORIENTAL ETUDES DES PLEINS ET VIDES SOURCE: EDU EN ORANGE, LOCALISATION DE LA QUEBRADA JUAN BOBO ON NOTE QUE LES DEPRESSIONS FORMÉES PAR LES QUEBRADAS AINSI QUE LES PENTES LES PLUS ABRUPTES SONT LES SEULS ESPACES NON URBANISÉS JUSQU’ALORS, LE RESTE DES SOLS ÉTANT SATURÉ 3. QUEBRADA JUAN BOBO RELEVÉ AVANT PROJET FOND DE PLAN EDU AVANT L’INTERVENTION, LA QUEBRADA JUAN BOBO, ENVAHIE DE «RANCHOS» (MAISONS CONSTRUITES DE MATÉRIAUX DE RÉCUPÉRATION) REPRÉSENTAIT UN RISQUE CONSIDÉRABLE POUR SES RIVERAINS
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1 - MEDELLIN - PLAN TOPOGRAPHIQUE
DA
LU
CIA
3 - QUEBRADA JUAN BOBO
VIL
LA
NIZ
A
AN
2 - ZONE NORORIENTAL
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ETAT DES «RANCHOS» DE BOIS AVANT LE PROJET DE CONSOLIDATION
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L. : « EN RÉALITÉ, NOUS, EN TEMPS QUE COMMUNAUTÉ, ON NE SE CONNAISSAIT PAS VRAIMENT. COMME LES CHEMINS ÉTAIENT TRÈS FERMÉS ET DIFFICILES, IL Y AVAIT DE LA BOUE, ALORS CHACUN PASSAIT AU PLUS COMMODE ET AU PLUS RAPIDE POUR REJOINDRE SA MAISON ET ON SE VOYAIT PEU, CHACUN AVAIT SON ACCÈS. […] ALORS ON N’AVAIT PAS VRAIMENT D’ENDROITS POUR SE RÉUNIR ENTRE VOISINS. » ENTRETIEN AVEC L., HABITANTE DE LA QUEBRADA JUAN BOBO (ANNEXE)
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HABITANTS DE JUAN BOBO - PH: EDU
I.5.B - DIAGNOSTIC SOCIAL
A l’arrivée des équipes du projet sur le terrain en 2004, 1260 personnes sont établies de manière informelle dans la partie basse de la quebrada Juan Bobo. En majorité des femmes, des enfants ainsi que des personnes agées. _
1. D’après le diagnostic établi en 2004 par la EDU Empresa de Desarrollo Urbano en charge du projet, ainsi que les précisions apportées par un sociologue en charge du projet lors d’une interview.
De manière générale, les habitants de la zone nororiental de Medellin sont des migrants aux passés différents, qui, pour diverses raisons, arrivèrent sur un territoire pas encore consolidé et participèrent et participent encore à ce processus de construction collective. Ce sont des personnes soumises à une forte pression due à la situation critique de pauvreté dans laquelle ils se trouvent et aux effets de la violence politique qui les a poussé à émigrer. Déracinés de leurs origines, avec des aquis culturels correspondant bien souvent au monde rural, ils ont du se convertir en habitants urbains, avec tout ce que cela signifie.1 Le secteur de la quebrada Juan Bobo présente un fort taux de marginalité et de fragmentation sociale, faible organisation et contrôle sur le territoire, des familles incomplètes, l’absence de normes et de règles de cohabitation, de conditions de sécurité et d’hygiène, de ressources économiques stables.1 Cette zone met en évidence la carence en planifaction, contrôle et accompagnement des processus de peuplement dans les secteurs exposés au risque ainsi que l’intervention occasionelle et dispersée des pouvoirs publics (pour la canalisation ponctuelle du cours d’eau par exemple). Les actions des entités gouvernementales sont perçues comme hostiles et la peur de l’expulsion est une constante dans la population. 45
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MAISONS CONSTRUITES SUR LE COURS D’EAU (A GAUCHE) OU SUR DES TERRAINS INSTABLES (A DROITE) - PHOTOS EDU - DIAGNOSTIC 2004
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I.5.C - DIAGNOSTIC PHYSIQUE
Dans cette quebrada, le taux d’occupation des sols est très élevé, et presque entièrement dédié au logement, lesquels, pour la plupart auto-construits, sont bien souvent en mauvais état ou situé en zone à haut risque, et ne respectent pas les normes de retrait imposées pour prévenir les crues et la variation des cours d’eau.
TERRAIN INSTABLE DANS LA QUEBRADA JUAN BOBO - PHOTO F.J.
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1. Entretien avec L., habitante de la quebrada Juan Bobo, décembre 2010 (retranscrit en annexe) 2. Diagnostic établi en 2004 par la EDU (Empresa de Desarrollo Urbano.), document de travail
Le peu d’espaces libres ne sont pas aménagés pour et par les habitants qui se voient obligés à cohabiter dans un environnement urbain peu salubre, désagréable et dangeureux comme témoigne une habitante: L. : « Avant comme je te disais il fallait se frayer un chemin, l’accès n’était pas évident et puis les mauvaises odeurs… Personne ne voulait passer par le fond de la quebrada, ce marais là… Alors on faisait des grands détours plutôt que de traverser là où il y avait des rats et même de la merde si tu me permets, parce que là il n’y avait pas d’égouts il fallait voir! Alors celui qui devait passer derrière une maison il fallait qu’il « lève les pieds »1… » Etat des lieux en chiffres2: 80% des logements présentent des carences structurelles et fonctionnelles 35% se situe dans la zone de retrait prévue par la loi autour de la quebrada 94% est installé de manière illégale (sans aucun titre de propriété ou de location) 50% de connexions illégales sur le réseau d’eau 35% de connexions illégales sur le réseau d’électricité 100% de rejets des eaux usées directement dans le cours d’eau 90% des eaux du cours d’eau de la quebrada sont des eaux usées
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PA R T I E 2 LE PROJET PILOTE «NUEVO SOL DE ORIENTE – QUEBRADA JUAN BOBO»
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PROJET DE CONSOLIDATION DE L’HABITAT ET DE REHABILITATION ENVIRONNEMENTALE DE LA QUEBRADA JUAN BOBO
II.1 - LES PROCESSUS DE PROJET II.1.A - PHASAGE DU PROJET
II.1.B - PROJET ‘‘PILOTE’’ : PRINCIPES ÉTABLIS
II.2 - LA RECHERCHE D’UNE TYPOLOGIE ARCHITECTURALE ADAPTÉE II.2.A - LA CONNEXION INTER-QUARTIERS - FRANCHIR LA QUEBRADA II.2.B - LA CONNEXION AVEC LA VILLE FORMELLE II.2.C - LES NOUVEAUX LOGEMENTS IMPLANTES II.2.D - LES NOUVEAUX ESPACES PUBLICS REALISES
II.3 - LA RECHERCHE DE LA FLEXIBILITÉ TECHNIQUE ET NORMATIVE II.3.A - LA REGULARISATION DE LA PROPRIETE II.3.B - L’AMENAGEMENT DE LA LOI DE RETRAIT AUTOUR DES QUEBRADAS
II.4 - LA GESTION DU PROJET II.4.A - GESTION SOCIALE DU PROJET II.4.B - GESTION ENVIRONNEMENTALE DU PROJET II.4.C - CONSTRUCTION IDENTITAIRE ET DEVELOPPEMENT LOCAL
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VIL
LA
NIZ
A
AN DA LU CIA
II.1 - LES PROCESSUS DE PROJET _
1. Photo page précédente, La quebrada Juan Bobo réhabilitée, photo: EDU 2. Dates clefs du projet: Gerencia Auxiliar de Gestión Urbana y Vivienda, Empresa de Desarrollo Urbano (EDU)
II.1.A - PHASAGE DU PROJET 2
Août 2004 Janvier 2005 Juin 2005 Février 2006 Mars 2007 Juin 2007
Diagnostic partagé et définition de la zone de planification Début des procédures légales, opérationnelles, techniques et administratives Mise à disposition des ressources, structure opérative et conventions interinstitutionnelles Début de l’intervention et formation des comités de quartier Remise des résolutions du projet et validation de la politique d’intervention Consolidation de l’expérience et reproduction dans d’autres zones de la ville
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PROJET
CONSOLIDATION DES HABITATIONS ET DE L’ENVIRONNEMENT DE LA QUEBRADA JUAN BOBO
PROJET URBAIN INTEGRAL PUI - NORORIENTAL
PROJET STRATEGIQUE
COMPOSANTS
PLANS
ACTIONS CONSTRUCTION DE LOGEMENT NEUF
RELOGEMENT
AQUISITION D’UN LOGEMENT NEUF AQUISITION D’UN LOGEMENT PRE-EXISTANT
LOGEMENT
RENOVATION TOTALE
AMELIORATION
RENOVATION PARTIELLE GESTION DU RISQUE
LEGALISATION
‘ORDONNANCEMENT TERRITORIAL ET ENVIRONNEMENT
MISE AUX NORMES ENVIRONNEMENTALES ET URBAINES REHABILITATION ENVIRONNEMENT NATUREL
LEGALISATION DES PARCELLES DELIVRANCE DES TITRES DE PROPRIETES AMENAGEMENT D’ESPACE PUBLIC SECURISATION DE SENTIERS CONSTRUCTION DE PONTS INSTALLATION ET REPOSITION DE RESEAUX STABILISATION DE SOLS REHABILITATION COURS D’EAU
DIAGRAMME D’ACTIONS DE PROJET QUEBRADA JUAN BOBO - SOURCE: EMPRESA DE DESARROLLO URBANO (EDU) - (TRADUIT) «CONSOLIDACIÓN HABITACIONAL EN LA QUEBRADA JUAN BOBO - MODELO DE RECUPERACIÓN DE ECOSISTEMAS URBANOS CRÍTICOS» P23
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1. Cf annexe, Entretien avec Francesco Orsini, Architecte du projet de la quebrada Juan Bobo
II.1.B - PROJET « PILOTE » : PRINCIPES ÉTABLIS
Le projet de la quebrada Juan Bobo étant le premier de ce type, l’objectif était de parvenir à y poser les bases d’une intervention réplicable par la suite. Lors de nos rencontres, Francesco Orsini1 et Oscar Santana m’ont apporté les précisions suivantes sur les spécificités et objectifs du projet tels que définis par la E.D.U Empresa de Desarrollo Urbano : - Un projet avec les habitants et pour les habitants. Produire le rapprochement entre les entités du gouvernement local et la communauté, instaurer la confiance entre les acteurs, encourager la participation et parvenir à des compromis. - Gestion souple. Gérer et mettre en avant le projet dans l’administration locale pour garantir le lien des différentes entités territoriales, articuler les actions et parvenir à une gestion intégrale et coordonnée. - Pas de déplacement, Pas d’expulsion, Pas d’expropriation. Légaliser les propriétés, habiliter plus de sols et empêcher le déracinement et la rupture sociale. - Le logement comme clef du projet. Produire différents plans d’habitations répondant aux intérêts et manifestations socioculturelles de la population, afin de rendre possible l’appropriation, la durabilité et la sécurité économique sur le long terme. - Le territoire comme régulateur. Ordonner, redensifier et libérer les composants naturels, habitationnels et urbains – même au milieu des restrictions géotechniques du territoire – pour améliorer intégralement les condicions d’habitabilité et garantir l’intégration sociale. - L’institutionalisation et la multiplication des modèles d’intervention. Tirer des enseignements de ces projets pilotes, introduire le changement dans les politiques publiques pour l’amélioration et la consolidation des quartiers informels, s’assurer de l’expansion et de la durablité du modèle. 53
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DIAGRAMME DES INSTITUTIONS INTERVENANT DANS LE PROJET ET LEURS ROLES RESPECTIFS - COORDINATION EDU SOURCE: EDU «CONSOLIDACIÓN HABITACIONAL EN LA QUEBRADA JUAN BOBO - MODELO DE RECUPERACIÓN DE ECOSISTEMAS URBANOS CRÍTICOS» P23
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1. Entretien avec J-M., travailleur social impliqué dans le projet de la quebrada Juan Bobo 2. EDU - Formulation du projet pilote de consolidation de l’habitat et de réhabilitation environnementale de la quebrada Juan Bobo - Document de travail
II.1.C - LES ACTEURS DU PROJET
L’aspect «intégral» et «pilote» de ce projet a supposé la coordination de nombreuses entités à niveau local, régional et national afin de pouvoir agir de manière coordonnée, assigner les fonctions et les rôles selon les spécialités et les compétences et adapter les méthodes et les normes en vigueur au cas précis de l’intervention sur la ville informelle1. La coordination assurée par la EDU (Empresa de Desarrollo Urbano) a eu pour but la rationalisation des investissements, et la recherche d’une gestion innovante des ressources technologiques, financières et administratives disponibles. Au total 12 entités sont intervenues sur le projet pilote de consolidation de l’habitat et de réhabilitation environnementale de la quebrada Juan Bobo2: - MAVDT Ministerio de Ambiente, Vivienda y Desarrollo Territorial - FOVIMED Fondo de Vivienda de Interés Social de Medellin - Area Metropolitana del Valle de Aburra - Programa de Agua Potable y Saneamiento Basico del Municipio de Medellin - Secretaria de Obras Publicas - EPM Empresas Publicas de Medellin - Secretaria de Salud - INDER Instituto de Deportes y Recreación - Departamento Administrativo de planeación - Secretaria de Hacienda - Secretaria de Gobierno - Secretaria de Bienestar Social Ce à quoi s’ajoute l’apport des riverains pour la main d’oeuvre et l’entretien du site.
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COUPE SCHEMATIQUE SUR LA QUEBRADA - SOURCE: PROYECTO NUEVO SOL DE ORIENTE JUAN BOBO - ENFASIS VIVIENDA - UNAL - P16
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1. EDU (Empresa de Desarrollo Urbano) - Formulation du projet pilote de consolidation de l’habitat et de réhabilitation environnementale de la quebrada Juan Bobo - Document de travail
II.2 - LA RECHERCHE D’UNE TYPOLOGIE ARCHITECTURALE ADAPTÉE
Le plan d’aménagement de la quebrada s’appuie sur la réorganisation complète du site. Chaque espace a été relevé précisement afin d’inscrire au cadastre les habitations conservées dans le projet puis de réagencer l’ensemble des autres terrains afin de libérer un maximum d’espace public. Une fois ces ajustements faits le projet vise à améliorer l’environnement de la quebrada via la construction de murs de contention, la stabilisation des sols et la libération de certaines parcelles pour assurer le relogement des personnes déplacées dans de nouveaux logements, le branchement sur les réseaux d’eau, d’électricité ainsi que de téléphone de la ville (EMP Empresas Publicas de Medellin), l’aménagement d’espaces publics et d’équipements (crèche, lieu de réunion...) et l’assainissement de la zone.1 Les quebradas étant des lieux escarpés, et particulièrement défavorisés, l’intervention sur ces espaces suppose une planification efficace afin de parvenir à rétablir une base économique et sociale dans la zone qui garantisse sa stabilité à l’avenir. Face à certaines situations critiques, le risque naturel omniprésent, il faut être conscient du fait que l’urgence ne doit pas mener à des solutions immédiates et précaires, mais qu’elle doit donner lieu à une reflexion poussée sur la ville pour laquelle il faut pouvoir développer des stratégies ciblées face à des problématiques récurrentes depuis plusieurs décennies déjà. Le projet pilote de la quebrada Juan Bobo est aujourd’hui à Medellin la première manifestation physique de cette réflexion et sa mise en place laisse entrevoir les prémices d’un grand projet de ville incluant la réhabilitation progressive de ses cours d’eau. Nous allons donc voir par la suite quelles typologies ont été développeés pour ce projet et les possiblités qu’elles ouvrent. 57
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PUI NORORIENTAL
PONT ANDALUCIA - LA FRANCIA (LA HERRERA) - PHOTO D.MORENO
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PONT QUEBRADA JUAN BOBO ‘LA PAZ’- CRA 48A - PHOTO D.MORENO
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SECTEUR ANDALUCIA
PLANIFICATION DES PONTS ET AXES DE CIRCULATION MAJEURS EDU
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II.2.A - LA CONNEXION INTER-QUARTIERS (FRANCHIR LA QUEBRADA)
L’un des défis essentiels de ce projet visait à rétablir un lien entre les deux communautés vivant de part et d’autre de la quebrada. En effet, avant le projet, les maisons proches des ponts et des passages étaient celles qui étaient envahies par les bandes («combos»), qui contrôlaient les allées et venues de chacun. Le travail de médiation pour désamorcer ces rapports de force à commencé dès l’implantation du Metrocable en 2006 afin que les habitants de tous quartiers puissent converger vers ce moyen de transport pour se rendre rapidement en ville. D’après quelques témoignages recueillis1 il semblerait tout de même que la sécurité dans le secteur soit toujours assurée par les habitants eux-même, même si la police est souvent présente autour de ces points sensibles (accès au pont)2:
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1. Entretien avec L., habitante de la quebrada Juan Bobo, décembre 2010 (retranscrit en annexe) et Entretien avec N., habitante de la quebrada Juan Bobo, janvier 2010 (non retranscrit) 2. D’après ce que j’ai pu observer chaque fois que je me suis rendue sur le site.
Fred : « Et comment c’était la sécurité avant ? Les gens parlent de « la violence » à quoi ils se réfèrent ? Et le fait qu’ici tous les endroits dangereux aient été illuminés, dégagés… les choses ont-elles changé ? » L: «Maintenant dans l’ensemble la sécurité est meilleure. Les jeunes qui sont là sont de la communauté même, ils nous connaissent tous et on les connaît tous. Alors merci à Dieu, ici on a pas tant de problèmes comme dans certains secteurs de la ville comme la Comuna 13, les affrontements… Ici non, il y a eu un bon contrôle. Avant tu ne pouvais pas laisser ta porte ouverte comme là tu vois, on le fait maintenant parce qu’on sait que par ici personne n’entre pour voler, mais avant tu ne pouvais pas, y rentraient et ils emmenaient tout ce que tu avais. Ils arrivaient dans les kiosques et ils extorquaient, ils volaient les marchandises. Mais grâce à eux il y a plus de calme il faut le reconnaître. La police aussi a collaboré… » 59
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TRAVAUX DANS LA QUEBRADA JUAN BOBO - PHOTO FJ
ESCALIERS, SENTES, RUELLES AMENAGEES LORS DU PROJET
ESPACE PUBLIC AMENAGE AFIN DE RETABLIR DES CONTINUITÉS DANS LA QUEBRADA - SOURCE: EDU
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Fred : « Les jeunes dont tu parles sont des gens du quartier qui s’assurent eux-mêmes de la sécurité ici ? » L. : « Oui c’est ça, des jeunes du secteur, qui s’engagent là et travaillent pour le quartier, parfois par manque d’autres opportunités ou par envie de participer…. Et on voit qu’ils font bien leur travail, « bien » entre guillemets parce que la sécurité du quartier s’est beaucoup améliorée, il n’y a plus de vols, et si jamais il y en avait un, le voleur sait à quelles conséquences il s’expose, parce que s’ils l’attrapent il sera puni comme il se doit...» Même s’il est ardu de modifier ces modes d’organisation et d’auto-défense au sein des communautés, du point de vue de l’urbanisme il y a des actions possibles qui modifient les territoires et peuvent contribuer à les pacifier. Dans le cas précis de la quebrada Juan bobo, le travail de médiation s’est concrétisé par la construction d’un pont baptisé symboliquement «La Paix» (La Paz) unissant les quartier Andalucia et Villa Niza par dessus la quebrada Juan Bobo. (voir photo page p58) _
1. EDU (Empresa de Desarrollo Urbano) - Formulation du projet pilote de consolidation de l’habitat et de réhabilitation environnementale de la quebrada Juan Bobo - Document de travail
Suite à cet effort localisé sur les points de traversée majeurs de la quebrada, 70 m² de passerrelles piétionnes ont été réalisés pour connecter une rive à l’autre à intervalle régulier de sorte à ce que la quebrada ne soit plus une limite physique, qu’elle puisse être franchie aisément (de crête à crête ou en passant par le fond). Ce à quoi s’ajoutent 1500 m² d’aménagement des rives de la quebrada, ainsi que 4500 m² pour la mobilité (escaliers, sentes, trottoirs)1, relevés sur le plan ci-contre. 61
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PUI NORORIENTAL
EB RA DA JUA NB OB O QU
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(10
7)
SECTEUR ANDALUCIA
PLANIFICATION AXES PASEO ANDALUCIA Y QUEBRADA JUAN BOBO - EDU
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PASEO ANDALUCIA Y METROCABLE - C. 107 - 2008 - PHOTO D.MORENO
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II.2.B - LA CONNEXION AVEC LA VILLE FORMELLE
Le plan ci-contre résume les interventions effectuées à ce jour dans le secteur Andalucia du PUI Nororiental1. A cette échelle, on parvient à lire les continuités recherchées par les projets afin d’améliorer la circulation dans la l’axe vallée / versant , ville formelle / ville informelle.
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1. REPERE: Les PUI et le projet de ville «Medellin, la mas educada» _
1. EDU (Empresa de Desarrollo Urbano) - Formulation du projet pilote de consolidation de l’habitat et de réhabilitation environnementale de la quebrada Juan Bobo - Document de travail
La quebrada Juan Bobo fonctionne ici comme un axe piéton au tracé plus organique et plus vert en parallèle à l’axe de la rue 107 «Paseo Andalucia» qui reçoit la circulation supporte la majeure partie du trafic dans la zone ainsi que l’axe du Metrocable1 (téléphérique). Les abords du cours d’eau se sont convertis en une promenade sinueuse et arborée (200 m² d’espaces verts aménagés1), bordée d’une multitude de places-miradors «plazoletas» tandis que la rue 107 supporte la majeure partie du trafic dans la zone, reçoit dans son axe les stations du métrocâble et a vu son activité commerciale exploser depuis son réaménagement, les rez-de-chaussée des maisons étant à présent quasiment tous occupés par des locaux commerciaux. Cette complémentarité est intéressante à considérer car elle apporte au quartier une richesse d’espace inouïe et préfigure ce que pourrait être la ville une fois ses quebradas réhabilitées puisque dans tout Medellin on peut observer cette alternance entre les axes majeurs établis sur les crêtes puis les espaces en creux, les cours d’eau, les quebradas. D’autre part, la connexion avec la ville formelle passe aussi par le raccordement au réseau d’eau et d’égouts, 2700 m de canalisation ont été installés dans la quebrada Juan Bobo, permettant d’assainir la quebrada sur 200m, les eaux usées collectées étant traitées par une station d’épuration plus en aval sur le fleuve avant leur rejet dans celui-ci. 63
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ED - 7 CODE EDIFICE
PHOTO: D. MORENO EN HAUT: NOUVEAU LOGEMENT COLLECTIF IMPLANTE - EN BAS: MAISONS RENOVEES PROJET DE CONSOLIDATION DE L’HABITAT DANS LA QUEBRADA JUAN BOBO - 2008
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EQUIPEMENTS EN RDC
IMPLANTATION DU LOGEMENT COLLECTIF NEUF
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II.2.C - LES NOUVEAUX LOGEMENTS IMPLANTES
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1. Mesure appellée «Mejoramiento intégral de barrios» 2. Précision d’ordre technique : La surface minimum pouvant être légalisée et donner droit à un titre de propriété était de 35 m². Toutes les maisons plus petites ont donc été agrandies jusqu’à atteindre ce minimum (souvent en ajoutant un niveau). D’autre part toutes les maisons rénovées ont été mises aux normes sismiques, de ventilation et d’illumination. 3. Entretien avec L., habitante de la quebrada Juan Bobo, décembre 2010 (retranscrit en annexe)
Tout d’abord, il faut souligner que toutes les maisons de la quebrada qui ont pu être sauvegardées car elles avaient une structure valide ou améliorable ont fait l’objet d’un traitement spécial 1, pour assurer leur stabilité et les densifier autant que possible (construction d’un étage, ou d’une extention)2. Cette intervention intermédiaire qui porte sur le logement préexistant est fondamentale car elle donne une valeur au tissu en place. Elle incite également le voisinage à améliorer son entourage propre et évite de déraciner une nouvelle fois des familles dont l’implantation ne représente pas un risque, ni un obstacle à la mise en place du projet. Les habitants de la quebrada ont par conséquent été très impliqués dans cette phase de consolidation de l’habitat existant: L. : « Moi j’ai voyagé en Argentine [A Quilmes] pour témoigner de ce projet avec la EDU, et je leur ai dit de s’impliquer, que ce qui avait fait la réussite de ce projet c’est le fait que tous nous avons participé à démolir nos propres maisons, à ouvrir les fosses pour les nouveaux édifices, à remuer la terre, à monter les sacs de contention… Tout ça c’est la garantie que ça rende bien et que tous ceux qui bénéficient du projet y participent. 3» Les nouveaux logements implantés dans la quebrada n’ont pas fait l’objet d’un concours mais ont été conçus directement par la section «logement» de la EDU (Taller de diseño Vivienda EDU). Les édifices ont une structure en béton et des murs de briques creuses bruts. Implantés dans la pente, parallèles aux courbes de niveau, ils tirent parti du dénivelé grâce à leur entrée au milieu, qui dessert vers le haut et vers le bas, ce qui permet une plus forte densité tout en respectant la hauteur maximale constructible (5 étages ou 15m à partir du niveau d’accès). 65
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COUPE SUR L’EDIFICE 5 - SOURCE: EDU
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«EL AIRE» - ESPACE D’EXPANSION POTENTIEL - PHOTO F.J
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ESPACE COMMUNAUTAIRE EN RDC DE L’EDIFICE 5 - PHOTO F.J
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1. Cf annexe, Entretien avec Francesco Orsini, Architecte du projet de la quebrada Juan Bobo 2. Taux d’activité dans la comuna 2, (qui comprend la quebrada Juan Bobo): 25,2% actifs, 20,6% sans activité, 17,1% au foyer et 26.7% en études / formation. La population économiquement active se trouve entre 15 et 59 ans et correspond à 62.2% de la population totale parmis lesquels 70,.9% travaille à son compte, 22% sont employés ou ouvriers particuliers et 5,30% employés domestiques. Diagnostic établi en 2004 par la EDU, document de travail
Une des difficultées majeures rencontrée lors de la concertation avec les habitants a porté sur la forme des immeubles de logements proposés par la EDU.1 Le passage d’une maison à un appartement étant considéré pour la plupart des personnes concernée par le relogement comme une immense perte. En effet, une maison, aussi précaire qu’elle soit, peut petit à petit s’améliorer, il est possible de renforcer le premier niveau pour construire un, voire deux étages de plus, et cette évolutivité est un élément primordial puisque les familles s’agrandissent mais bien souvent, restent sous le même toit.. «Aire» (air), est à Medellin l’expression qui désigne ce précieux espace d’agrandissement potentiel au-dessus de chaque maison. (cf photo ci-contre). Tous auraient préféré recevoir une maison or il était impossible de mener à bien l’opération de relogement sans concentrer la densité sur plusieurs points précis afin de dégager l’espace public. L’autre difficulté que présente l’implantation en immeuble, est le fait que le logement n’ait plus de contact direct avec la rue. Or, bien souvent, les foyers abritent une ou plusieurs activités commerciales informelles qu’ils ont pu développer selon les opportunités et qui représente tout ou partie de leurs revenus (service de blanchisserie, de coiffure, vente d’aliments divers voire de repas préparés, accès à des jeux vidéos, à internet, atelier mécanique pour les motos,...)2. Toutefois, malgré ce handicap, il n’est pas rare de voir depuis les cages d’escalier des pancartes proposant tel ou tel service. Les portes d’entrée étant doublée d’une grille, il est aisé de fermer seulement la grille pour permettre aux clients de s’y présenter et de transformer la partie du séjour selon l’activité développée. Cependant, les logements étant déjà de taille restreinte (42m² pour le plan le plus courant), ce manque d’évolutivité de l’habitat et le peu de considération pour son caractère productif, représente un grand manquement dans la conception des nouveaux édifices. 67
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NOUVEAUX EDIFICES DE LA QUEBRADA JUAN BOBO APPARTEMENT DE DOÑA A. - EDIFICE 5 - 4ème ETAGE PHOTOS F.J. - OCTOBRE 2010 REMARQUES A LA SUITE DE 3 VISITES D’APPARTEMENTS:
DANS L’ENSEMBLE LES APPARTEMENTS SONT ASSEZ OBSCURS - SOUVENT LES HABITANTS N’ONT PAS INSTALLÉ DE PORTES MAIS DES RIDEAUX POUR FERMER LES
CHAMBRES - LES MURS RESTENT SANS FINITIONS ET LES TABLEAUX ET ACCESSOIRES SONT FIXÉS DIRECTEMENT SUR LA BRIQUE BRUTE - LA CUISINE EST OUVERTE SUR
LES PARTIES COMMUNES - IL Y A PRESQUE TOUJOURS LA RADIO ALLUMÉE AVEC DE LA MUSIQUE - LES DISCUSSIONS
S’ENTENDENT FACILEMENT D’UNE PIÈCE À L’AUTRE DE
L’APPARTEMENT - LE MOBILIER EST SIMPLE ET COLORÉ IL Y A BEAUCOUP DE PHOTOS DE FAMILLE ET DE CRUCIFIX
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APPARTEMENT TYPE (SOURCE: EDU)
SURFACES (TOTAL 42,58 m²) CUISINE
6,49 m²
SALLE DE BAIN
2,05 m²
SALLE A MANGER
2,33 m²
SALON
4,55 m²
CHAMBRE 1
6,34 m²
CHAMBRE 2
6,98 m²
CHAMBRE 3
4,90 m²
BALCON
1,41 m²
CIRCULATIONS
7,53 m²
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ETAGE COURANT EDIFICE 5
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LES TERRASSEMENT ÉTAGÉS PERMETTENT DES NIVEAUX D’APPROPRIATIONS DIFFERENTS L’ESPACE CENTRAL DU COURS D’EAU EST AMÉNAGÉ EN PROMENADE CONTINUE APERÇU DE LA QUEBRADA RÉAMÉNAGÉE - PHOTO F.J.
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II.2.D - LES NOUVEAUX ESPACES PUBLICS
D’un point de vue spatial, le défi majeur de ce projet était de parvenir à instaurer le cours d’eau comme centre du projet et de la vie de quartier quand auparavant chaque versant n’était relié qu’à son quartier (Andalucia pour le versant Nord et Villa Niza pour le versant Sud) et la vie en communauté subissait les conséquences de cette partition. Plus on descendait vers le fond de la quebrada plus les sentes s’amenuisaient aboutissant sur des culs-de-sac, dissimulés dans la végétation. (voir photos page suivante)
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1. REPERE: Parcours autour de la quebrada Juan Bobo
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1. Cf. entretien avec J-M., travailleur social impliqué dans le projet de la quebrada Juan Bobo, retranscrit en annexe.
Dans ce projet, les concepteurs ont tiré parti de la pente et de la nécéssité de réaliser plusieurs murs de contention tout au long du cours d’eau pour établir plusieurs terrassements succesifs dont les largeurs définissent l’usage et le niveau de privacité. La proximité entre les maisons et ces petits espaces publics en fait spontanément l’extention de l’espace de la maison à l’extérieur: c’est là que les enfants jouent, qu’on laisse une radio, des canaris, des coqs1... Une respiration bienvenue pour des foyers qui vivent souvent à l’étroit dans leur maison, sous un climat qui invite à vivre au dehors. (voir photo ci-contre) Chaque interstice dans la quebrada a donc été utilisé pour installer des bancs, des jeux pour enfant, des rebords où il fait bon rester lorsque le temps est clément, et ce en jouant sur l’agencement des murs de contention nécessaires pour sécuriser la zone. L’accent a été mis sur la fluidité des espaces, qu’il ne reste aucun cul-de-sac ou passages étroits, pour éviter la délinquance. C’était une demande des familles1. Les zones définies comme instables ou « de alto riesgo » ont été consolidées et ne reçoivent plus aucune construction, ce sont des espaces verts où des espaces de récréation au sein de la quebrada. 71
LE FOND DE LA QUEBRADA JUAN BOBO DANS SA PARTIE HAUTE PAS ENCORE INTERVENUE (EN AMONT DU PROJET) DONNE UNE IDÉE TRÈS PRÉCISE DE CE QU’ÉTAIT LE SITE AVANT PROJET, INSTABLE ET DIFFICILE D’ACCÈS. ON VOIT LA VEGETATION DENSE QUI OCCUPE LES ABORDS DU COURS D’EAU LÀ OU IL N’EST PAS CANALISÉ.
PHOTOS FJ REALISEES LORS DU PARCOURS AVEC FRANCESCO ORSINI, INGENIEUR IMPLIQUÉ DANS LE PROJET. (VOIR ANNEXE)
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1. Communauté: Traduction de l’espagnol «comunidad», terme utilisé en permanence par les habitants pour désigner les habitants d’un même quartier, J’ai conservé ce mot qui fait référence à la fois à l’organisation sociale marquée par la présence de leaders qui imposent une certaine ligne de conduite, ainsi qu’à la «communauté» religieuse rassemblée en paroisse.
Les deux quartiers se retrouvent donc en vis à vis et la quebrada devient l’espace partagé et surveillé par tous.Cette appropriation va bien entendu de pair avec les problèmes de voisinage, les querelles étant fréquentes sur le thème de l’entretien et du soin porté aux espaces communs. L. : « Ah non mais il fallait voir quand le projet s’est terminé, que tout était prêt… C’était la folie, tout le monde était dehors sur les terrasses, criait, courrait… Je me disais «c’est merveilleux!» Tous les enfants sortaient jouer ! Après il y a eu quelques bagarres, tel et tel venaient d’ici, les autres de là-bas et ils ne voulaient pas partager les jeux. On a dû travailler là-dessus un moment pour faire comprendre aux enfants que tout était accessible à tous. Entre gamins ils se disaient « Non mais vous vous n’êtes pas d’ici, vous êtes d’en bas alors vous n’avez qu’à y retourner ! » » Fred : « Et maintenant que le projet est achevé il te semble que les communautés sont plus unies, que les gens se connaissent mieux ou pas vraiment ? » L. : « Alors… Pour ce qui est d’être unis, il manque encore des efforts… Parce qu’en réalité les gens ici… Disons qu’au moment de finir le projet il y avait beaucoup de motivation et de personnes impliquées là, et effectivement le fait de devoir nous organiser nous a conduit à tous mieux nous connaître, mais avec le temps tout s’est un peu refroidi car chacun retourne dans sa maison et ne se préoccupe plus tellement pour ce qui peut se passer au dehors… Bon, certains seulement parce que d’autres s’approprient vraiment le quartier et profitent de tous ces espaces si agréables. Mais au final on est fatigué parce que le travail d’entretenir tous ces espaces ne devrait pas revenir toujours aux mêmes, si tout le monde y participait ce serait plus facile. » 73
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PLANIFICATION QUEBRADA PARTIE BASSE - SOURCE: EDU
DEGAGEMENT DU COURS D’EAU NORME DE RETRAIT EN VIGUEUR POUR LA QUEBRADA 10M DE PART ET D’AUTRE DE L’AXE REDEFINITION DE LA NORME DE RETRAIT A 3M
HABITAT DEPLACEMENT DES HABITATIONS AFFECTEES PAR LE NOUVEAU RETRAIT À 3M (> 50%) CONSOLIDATION ET LEGALISATION DES HABITATIONS AFFECTEES PAR LE NOUVEAU RETRAIT À 3M (< 50%)
SECTEUR BAS QUEBRADA AMENAGEMENT DES RIVES DE LA QUEBRADA COMME PROMENADE LINEAIRE CONTINUE PIETONNE ASSAINISSEMENT DE LA QUEBRADA MISE EN PLACE DE COLLECTEURS D’EAUX USÉES PARALLELEMENT AU COURS D’EAU
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II.3 - LA RECHERCHE DE LA FLEXIBILITÉ TECHNIQUE ET NORMATIVE II.3.A - L’AMENAGEMENT DE LA LOI DE RETRAIT AUTOUR DES QUEBRADAS
Dans un contexte comme celui de la quebrada Juan Bobo, où les habitants s’étaient établis non seulement sur les rives du cours d’eau mais même parfois par dessus celui-ci (voir premier plan ci-contre), il était impossible d’envisager le relogement de toutes les personnes vivant dans la zone de retrait règlementaire de 10m de part et d’autre du cours d’eau (voir premier plan cicontre ligne rouge). Dès lors, il a fallu trouver, pour mener à bien le projet, le moyen d’intervenir et de légaliser des propriétés se trouvant à l’intérieur de cette zone de retrait. Des études sur le comportement du cours d’eau et la stabilité des sols attenants ont donc été réalisés afin d’obtenir une dérogation ramenant le retrait à 3m (voir premier plan ci-contre: ligne noire) et permettant l’execution du projet en limitant la quantité de démolitions et de familles déplacées. _
1. POT: Plan d’Ordonnancement Territorial
Examinons la règlementation en vigueur sur ce sujet actuellement à Medellin: Extrait du POT - Plan de Ordenamiento Territorial1 - Résolution 62 de 1999 «Article 19 - De la gestion des retraits autour des cours d’eau naturels. Le retrait autour d’un cours d’eau est constitué au minimum des 10 premiers mètres horizontaux, mesurés depuis le bord supérieur du canal naturel. Paragraphe 2 - Dans les retraits autour de cours d’eau qui se trouvent envahis par des constructions, le critère de sécurité prévaudra afin de garantir que les logements ne soient pas à la merci du risque hydrologique. Il sera possible d’exécuter des ouvrages de prévention des catastrophes et de réduction du risque d’innondation à condition que ces travaux s’inscrivent dans la planification intégrale du cours d’eau ou son Plan d’Ordonnancement. A noter que les 75
«L’UTILISATION PRIVÉE DE CES ESPACES [LES QUEBRADAS] EST UNE PRATIQUE FRÉQUENTE DANS LE PROCESSUS DE CONSOLIDATION DES QUARTIERS, C’EST À DIRE QUE LE STANDARD DE RETRAIT COMME ESPACE PUBLIC N’EST PAS UNE CONSTANTE INTÉGRÉE À L’IMAGINAIRE DE LA VILLE [MEDELLIN]»1 CARLOS ALBERTO MONTOYA CORREA - 1999
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constructions édifiées à moins de 10m de l’ouvrage réalisé ne pourront être légalisées, ainsi que celles édifiées sur l’ouvrage même.»
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1. Montoya Correa Carlos Alberto, «Las quebradas de Medellin como alternativa urbana» in Henao Delgado Hernan (dir.) Pespectivas ambientales urbanas. Simposio Cuidad y Medio Ambiente Urbano. Colombia, 1997, Instituto de Estudios Regionales, Universidad de Antioquia
On observe donc que les textes qui fixent ce retrait de manière générale à 10m constituent dans ce cas précis un obstacle au bon déroulement du projet. tout en étant un outil indispensable pour le contrôle de l’urbanisation de la ville. Dans le contexte de la ville informelle, si la ville veut pouvoir consolider ces espaces elle devra savoir contourner ses propres règles pour mener à bien d’autres projets comme celui de la quebrada Juan Bobo. En effet, aux vues de la densité d’occupation de la majeure partie des quebradas de Medellin (certaines ont même été recouvertes sur l’ensemble de leur parcours au travers de la ville), la recherche de cette flexibilité normative est absolument essentielle pour réhabiliter ces espaces de manière pragmatique et respectueuse du tissu urbain en place. Aussi, derrière cet effort de légalisation de l’habitat informel, on comprend que toute intervention sur l’espace public ne peut être menée à bien qu’au prix de cette mise au norme de l’ensemble du territoire concerné, d’où le caractère «intégral» du projet de la Quebrada Juan Bobo.
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PAS D’EMPLOI PRODUCTIF FAIBLES REVENUS PAS D’ACCES AU MARCHÉ DU LOGEMENT EMPLACEMENT ILLEGAL PAS D’INVESTISSEMENT PUBLIC PAS DE CONSOLIDATION URBAINE PAS D’ACCES AUX SERVICES SOCIAUX PAS D’EMPLOI
CERCLE VICIEUX DE LA PAUVRETE - D’APRÈS: POT (PLAN DE ORDENAMIENTO TERRITORIAL DE MEDELLIN)
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II.3.B - LA REGULARISATION DE LA PROPRIETE
Le projet de consolidation de l’habitat dans la quebrada Juan Bobo prévoit la régularisation de l’ensemble des propriétés des familles installées dans la quebrada, ou l’attribution d’un appartement dans les logements collectifs réalisés aux familles concernées par le relogement1.
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1. Familles dont les maisons ont du être démolies afin de rendre possible l’aménagement et la continuité de l’espace public dans la quebrada, ainsi que le respect du retrait de 3m de part et d’autre de la quebrada 2. Echeverri Arango Natalia, Expresiones estéticas del habitat dentro de una comunidad barrial en transformacion. La piel del Morro., 2007,CEHAP Escuela del Habitat - Universidad Nacional de Colombia
S’il est vrai que le principe du relogement en appartement va complètement à l’encontre du principe de l’installation et de la consolidation progressive de l’habitat, de sa permanente adaptation aux besoins de la famille, il faut néamoins considérer qur le premier but recherché par ce projet est de rompre radicalement le «cercle vicieux de la pauvreté2» (voir illustration ci-contre), et ce, en régularisant les propriétés sur un territoire donné. Car sans cette effort, «l’augmentation du prix du sol urbanisable rend inaccessible aux plus pauvres, qui cherchent la terre la moins chère et la trouve justement là où les planificateurs ont decrétés qu’il est défendu de construire. Ce territoire est envahi ou parcellisé illégalement. Le faible niveau de revenus, de plus, retarde l’investissement individuel dans l’amélioration des logements et le caractère illégal de ces lotissements exclut ces secteurs de tout type d’investissement public pour sa consolidation urbaine»2. Dans la quebrada Juan Bobo, les familles qui vivaient auparavant dans la crainte de l’expulsion sont à présent titulaires de leur propriétés respectives, et l’aménagement et le changement survenu dans le quartier n’est pas sans conséquences sur la spéculation immobilière dans la zone, et l’augmentation de sa valeur foncière. 79
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NOUVEAUX LOGEMENTS INSÉRÉS DANS LE TISSU EXISTANT - RENOVATION DE L’EXISTANT
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F.: «En general, l’arrivée de ces nouvelles infrastructures dans le quartier fait monter les prix du sol et il est fréquent que les gens qui occupent la quebrada vendent alors leur terrain pour partir s’installer dans un autre "rancho "».1
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1. Cf annexe, Entretien avec Francesco Orsini, Architecte du projet de la quebrada Juan Bobo
Pour éviter que cet effet indésirable ne désagrège le tissu social préexistant et donne lieu à la gentrification plutôt qu’à l’amélioration de la qualité de vie du groupe visé, les équipes du projet ont eu recours à la congélation de toutes les constructions et mouvements migratoires dans la zone à intervenir. Ils ont établi un registre de tous les habitants, leurs liens familiaux et la surface de terrain qu’ils occupent, et sur cette base a commencé la conception du projet. Les familles bénéficiaires du projet se sont engagées par écrit à habiter leur nouveau logement pour minimum 5 ans après qu’il leur ait été remis. F.: «Bien sûr, il est compliqué de contrôler à posteriori l’application de cette clause et certains logement feront certainement l’objet de baux informels mais globalement cette mesure permet d’instaurer une certaine stabilité autour du projet et pouvoir mettre en place d’autres programmes sociaux dans la durée (formation, aide à l’emploi, animation…).»1 Cette disposition du projet considère donc l’accession au logement comme une des formes les plus efficace d’intégration à la société, étant donné que passer de l’illégalité à la possession de plein droit de son lieu de vie, c’est pouvoir commencer à participer légitimement à sa construction collective, à la prise de décision sur son devenir. 81
EN HAUT: ATELIERS D’IMAGINAIRES (TALLERES DE IMAGINARIOS) ENTRE LA EDU ET LES HABITANTS DE LA QUEBRADA. EN BAS A GAUCHE: REUNIONS AVEC CHAQUE FAMILLES AU CAS PAR CAS EN BAS A DROITE: DOÑA N. QUI A PARTICIPÉ ACTIVEMENT AU PROCESSUS DE TRANSFORMATION DE LA QUEBRADA TEMOIGNE LORS D’UNE RÉUNION.
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PHOTOS: EDU (2005)
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II.4 - LA GESTION DU PROJET II.4.A - LA GESTION SOCIALE DU PROJET _
1. REPERE: De l’éradication à l’intégration de la ville informelle
A l’annonce du projet, il a fallu faire face aux réticences des habitants de la quebrada dues à la méfiance à l’égard de l’Etat. La présence de groupes de pression à l’intérieur des communautés ont obligé la EDU a opérer quelques changements dans son organisation interne afin de pouvoir dépêcher sur place des équipes chargées d’assurer la participation de la population durant la planification, l’exécution, l’entretien et le suivi du projet1. Le premier pas a été la réalisation d’un diagnostic participatif qui a permis de calibrer précisement les besoins et d’observer les particularités de chacune des 300 familles bénéficiaires du projet. Les équipes de la EDU ont procédé à la réalisation de parcours dans le secteur, d’ateliers, d’assemblées communautaires et de recensement des familles.
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1. EDU et Departamento Administrativo de Planeación Municipal , Diagnostic PUI Nororiental, 2004 2. Entretien avec J-M., travailleur social impliqué dans le projet de la quebrada Juan Bobo, retranscrit en annexe.
J-M : « D’abord il faut considérer que tous ces gens, en tant qu’individu ou communauté, ont une histoire qu’il faut parvenir à transformer, et que ce n’est pas en trois ans qu’on arrive à cette transformation, on arrive et on laisse des traces dans la vie des personnes, de la communauté, mais si il n’y a pas un accompagnement permanent, c’est bien difficile de changer les dynamiques en place… »2 Ces actions ont permis d’investir la population dans la prise de décision et de parvenir à un certain nombre d’engagements « acuerdos communitarios » entre l’administration et la communauté : 83
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TAG SUR UN MUR DE MEDELLIN «ET A QUAND LA PARTICIPATION DU CITOYEN?»
- l’administration de son côté s’est engagée à se concerter sur tous les points du projet avec les habitants et à n’exproprier strictement personne, - les habitants se sont engagés à être présents et ponctuels aux réunions et aux cours et à faciliter le travail de recensement en apportant tous les papiers nécessaires, - les habitants durent s’engager également à ce que personne ne viennent s’installer en plus dans la quebrada (congélation du site). Des assemblées ont été convoquées par la suite pour définir les objectifs du projet. Dans un premier temps, les habitants de la quebrada Juan Bobo ont vu arriver le projet d’un oeil très septique en raison de la présence de l’Etat et de la peur d’être expulsés:
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1. Entretien avec L., habitante de la quebrada Juan Bobo, décembre 2010 (retranscrit en annexe)
L. : « Au moment où on devait réunir tous les papiers pour régulariser les propriétés il y avait encore des habitants réticents qui hésitaient à donner leur documents originaux car ils craignaient d’être volés, alors la EDU a accepté de ne recevoir que des copies et lors des réunions ils nous aidaient à organiser les documents.1» Puis l’action menée auprès des familles a fini par porter ses fruits: L. : « Tout s’est débloqué d’un coup quand J., une vieille dame qui habitait là-bas à la place du 2ème édifice a accepté de quitter sa maison pour qu’elle soit démolie. Sa maison était déjà en très mauvais état, elle me disait « Tu sais L., si ils me volent, j’y perds tellement peu… ça ne changera pas grand-chose… ». Alors elle est partie et c’est là que le projet à commencé, les premiers matériaux, les premiers travailleurs sur le chantier, et les gens qui disaient « Ah si, si 85
MISE AU POINT DES PROJETS ET RAPPEL DES REGLES DU «VIVRE ENSEMBLE» VIA L’ELABORATION D’UN «MANUAL DE CONVIVENCIA» AVEC LES HABITANTS. (CI-CONTRE) MANUEL «EN CONVIVENCIA»
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ça va vraiment se faire… Qu’est-ce que ça va donner ? ». Et la EDU a organisé des réunions pour expliquer tout ce qu’ils allaient faire, tous les papiers dont ils avaient besoin de notre part. Il avait aussi fait une maquette pour qu’on se rende compte de ce que ça pouvait devenir, quelles maisons devaient être démolies, quelles autres allaient être rénovées… » _
1. EDU (Empresa de Desarrollo Urbano) - Formulation du projet pilote de consolidation de l’habitat et de réhabilitation environnementale de la quebrada Juan Bobo - Document de travail 2. Entretien avec J-M., travailleur social impliqué dans le projet de la quebrada Juan Bobo
D’autre part, un «Pacte Urbain» (Pacto Urbano) souscrit par le Secrétariat du Gouvernement, le Secrétariat de Culture Citoyenne ainsi que les groupes qui exerçaient le contrôle sur le territoire a rendu possible l’accès au secteur pour la réalisation du projet dans des conditions de sécurité.1 J-M : « Voilà ce qui a pu être fait sur le plan physique… Mais sur le plan social on s’est retrouvé face à une faible participation des habitants, un taux de chômage très fort, tous les emplois des habitants étant liés à l’économie informelle : vendeurs ambulants, employés à la journée comme domestique, divers services à la personne, micro-entreprise…, beaucoup d’informalité économique, faible niveau scolaire, malnutrition, faible crédibilité de l’Etat, on sentait beaucoup de méfiance. Il a fallu commencer très tôt à travailler sur ce thème de la confiance entre les habitants et nous, qui représentions l’Etat. Il y avait aussi peu de savoir-vivre, beaucoup de problèmes familiaux, et très peu de contrôle social… Le contrôle social, c’est un groupe armé qui l’exerçait, les bandes qui était sur ce territoire. Ce sont eux qui géraient bien des problèmes, que ce soit à niveau familial ou communautaire.2 » Fred : « Et vous, quel contact avez-vous eu avec ce groupe armé lors des négociations pour le projet ? Comment ont-ils réagi à votre arrivée ? »
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LORS DES TRAVAUX UN PETIT MUR D’EXPRESSION A ETE CONSTRUIT SUR LA QUEBRADA, AUX COULEURS DES DEUX QUARTIERS QUI L’ENTOURENT
LA QUEBRADA JUAN BOBO LIMITE ENTRE LES QUARTIERS ANDALUCIA ET VILLA NIZA PHOTO F.J.
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J-M : « Ah ça on est arrivée et bien évidemment c’était comme reprendre un territoire… Mais on a jamais demandé l’accord de personne. C’est que quand on vient au nom de l’Etat on ne peut pas se permettre de laisser des groupes armés illégaux avoir un contrôle sur notre travail. Cela dit, beaucoup de choses ont été abordées avec eux, par exemple on leur a proposé de travailler à l’élaboration du projet, à sa construction aussi, ceux qui s’intégraient, très bien, mais ceux qui refusaient n’avaient plus leur mot à dire…».
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1. Manuel du Vivre ensemble - Cf. entretien avec L., habitante de la quebrada Juan Bobo, décembre 2010 (retranscrit en annexe)
Suite au projet, il a été nécéssaire de sensibiliser les habitants de la quebrada aux nouvelles conditions de mobilité et de logement (surtout dans les logements collectifs), ce qui s’est résolu par l’adoption d’un règlement de Copropriété et d’un «Manuel du Vivre ensemble», qui prennent en compte la diversité culturelle et les habitudes de vie des différents groupes qui cohabitent dans le secteur (indigènes, paysans déplacés, et afrocolombiens), régissant ainsi l’usage des parties communes et espaces publics de la quebrada. Un comité de «Veille citoyenne» fut également créé pour s’assurer de l’application de ces régles non sans difficultés. L. en a fait partie: L. : « Mais tu sais parfois ce n’est pas évident d’organiser les tâches pour entretenir les immeubles où les espaces communs. Ce sont toujours les mêmes qui s’y mettent et on finit presque par s’attirer des ennuis à tant demander aux autres de participer, ou à faire des remarques pour que personne ne dégrade ce qui a été fait. Pourtant, on a travaillé tous ensemble pour fixer certaines règles, on a même fait un « Manual de convivencia1 » avec la EDU. Si on parvenait à appliquer toutes ces règles on serait je pense très heureux ici. Mais tu vois malheureusement les gens se sont habitués à vivre avec ce qu’ils ont ici, et à force, ils ne cherchent pas forcément à faire évoluer les choses… » 89
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SENSIBILISATION A L’ENVIRONNEMENT (EDU)
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CONNEXIONS PIRATES AU RESEAU D’EAU - (EDU)
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CHANTIER QUEBRADA JUAN BOBO - CONTENTION DES SOLS ET RACCORD AUX EGOUTS - (EDU)
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II.4.B - GESTION ENVIRONNEMENTALE
Les quebradas qui se sont retrouvées enserrées dans le tissu urbain au cours du temps sont des espaces extrêmement révélateurs des problèmes environnementaux posés par l’extention urbaine (instabilité des sols défrichés, problèmes de contentions, déversement d’ordures dans le cours d’eau, pollution, insalubrité,…). En abordant le projet depuis cette entité géographique naturelle, les équipes impliqués dans ce projet ont fait preuve d’une réelle préocupation pour la réhabilitation de ce cours d’eau, ainsi que l’éducation et la sensibilisation des populations avoisinantes.
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1. Entretien avec J-M., travailleur social impliqué dans le projet de la quebrada Juan Bobo
J-M : «Pendant que tous les travaux s’exécutaient, on menait en parallèle le travail avec la communauté. Par exemple on a fait beaucoup de sensibilisation pour le respect de l’environnement via des pièces de théâtre, des spectacles de marionnettes, puis on a organisé Noël pour toute la communauté. On a aussi introduit des thèmes comme le recyclage, puis on allait de foyer en foyer pour parler de la gestion des ordures, du recyclage, préciser qu’il y avait des lieux à respecter pour déposer les poubelles…1 » Des journée de nettoyage de la quebrada ont été organisées ainsi que l’installation de jardinières sur les terrasses des édifices afin de pouvoir cultiver des légumes... Mais aujourd’hui il semblerait que ces efforts ce soit quelque peu essouflés: L. : « Il y a eu un comité pour l’environnement, on a vu le thème des poubelles, puis ils nous ont aussi enseigné comment cultiver quelques légumes. Ils nous avaient apporté tout le matériel, 91
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LA QUEBRADA JUAN BOBO AUJOURD’HUI PHOTO F.J. IDEM - VUE GOOGLE EARTH
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1. Entretien avec L., habitante de la quebrada Juan Bobo, décembre 2010 (retranscrit en annexe) 2. Photos consultées lors de l’entretien avec J-M., travailleur social impliqué dans le projet de la quebrada Juan Bobo
des graines, des pots… On faisait ça dans les grands pots que tu vois sur le toit des nouveaux immeubles. Un moment, on a même réussi à en vendre sur les marchés. Mais tout ça s’est fini car certaines personnes nous abîmaient les plantes avec de l’eau bouillante. […] Pourquoi ça ? Je ne sais pas, c’est comme ça… Il y a des gens qui ne sont pas bien… Enfin… ils ne sont pas heureux, alors ils ne veulent pas non plus que les autres le soient… Ils n’acceptent pas… Et malheureusement c’est la manière de penser de beaucoup ici. Alors tout ça s’est fini. 1» Néanmois sur certaines photos2 on voit clairement la différence de propreté du cours d’eau entre 2004 et aujourd’hui et la position centrale de la quebrada en fait un espace plus valorisé : J-M : «Il faut continuer ce travail, car générer cette conscience pour l’environnement et pour autrui prend des années ! 2»
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« ON UTILISAIT BEAUCOUP CE JEU DE CONSTRUCTION, OÙ ON EMPILE DES ÉLÉMENTS DE BOIS LES UNS SUR LES AUTRES ET IL FAUT LES RETIRER CHACUN SON TOUR PUIS LES REMETTRE AU DESSUS SANS FAIRE S’ÉCROULER L’ÉDIFICE [JENGA], ALORS ON TRAVAILLAIT AVEC EUX POUR EXPLIQUER QU’ON CONSTRUIT UN ÉDIFICE OU UNE COMMUNAUTÉ DE LA MÊME FAÇON : UNE MAUVAISE DÉCISION DE L’UN DES VOISINS OU D’UNE FAMILLE, ENGENDRE DES PROBLÈMES POUR L’ENSEMBLE DE LA COMMUNAUTÉ, ALORS IL FAUT SAVOIR COMMUNIQUER, SE CONCERTER, ÊTRE SOLIDAIRES… TOUTES CES VALEURS…» J.-M. - TRAVAILLEUR SOCIAL
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II.4.C - CONSTRUCTION IDENTITAIRE ET DÉVELOPPEMENT LOCAL
Les habitants ont aussi pu participer à des formations pour apprendre à rénover leur logement, des programmes pour la réinsertion, pour trouver un travail. Là encore le projet ne représente qu’un début, un élan: _
1. Entretien avec L., habitante de la quebrada Juan Bobo, décembre 2010 (retranscrit en annexe) 2. Entretien avec J-M., travailleur social impliqué dans le projet de la quebrada Juan Bobo
L. : « Non pour ce qui est du travail on a reçu des formations mais même, ici les gens sont « informels », ils font du recyclage, des ménages, il y a encore beaucoup d’analphabètes alors ça ne facilite pas l’emploi…1 » Mais il faut prendre conscience du pas qui a été franchi au travers de ces programmes amplement ouverts comme les Assemblées réalisées pour le projet ou les Ateliers d’imaginaires, où tous les habitants ont eu leur place, peu importe son passé dans le quartier (leaders d’une communauté, anonyme ou démobilisé des groupes armés qui contrôlaient le territoire). La composante sociale de ce projet reflète et promeut le respect pour une communauté à laquelle on rend peu à peu ses droits, en permettant aux habitants de s’approprier pleinement leur lieu de vie. Bien sûr ce travail devra s’étaler dans le temps pour parvenir à transformer durablement la situation des habitants de la quebrada: J-M : « Dans tous ces programmes, il y a un point qu’il faudrait améliorer, c’est la durabilité de tous ces projets, parce que au début ça commence fort, puis on a l’appui et les ressources de toutes les institutions pour organiser des ateliers, des formations, des activités… Mais ensuite le projet se termine et ces programmes de l’Etat disparaissent un par un et on se retrouve seuls sur le terrain pour poursuivre le travail engagé.2 » 95
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LES QUEBADAS COMME SYSTEME STRUCTURANT
PA R T I E 3
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III.1 - LA COPRODUCTION DE L’ESPACE URBAIN COMME ENJEU DE DÉVELOPPEMENT III.1.A - LA REAPPROPRIATION DE LA QUEBRADA PAR SES HABITANTS III.1.B - CONSTRUCTION IDENTITAIRE ET DEVELOPPEMENT LOCAL
III.2 - LE PASSAGE D’UNE NORME DE CONTROLE À L’INTERVENTION «INTÉGRALE» III.2.A - SECURISER EQUIPER VIABILISER III.2.B - UNE NOUVELLE FORME DE PRESENCE DES POUVOIRS PUBLICS?
III.3 - MEDELLIN, UN MODELE DE DEVELOPPEMENT? III.3.A - PARTICULARISMES COLOMBIENS
III.3.B - LA PRODUCTION MATÉRIELLE DE LA VILLE III.3.C - JUAN BOBO, UN MODELE EXPORTABLE?
III.4 - LA CUENCA COMME MODELE DE TRAVAIL INTERDISCIPLINAIRE III.4.A - DE L’ENTITE NATURELLE A L’ENTITE URBAINE III.4.B - FAIRE NAITRE UNE CULTURE DE L’HABITAT EN RAPPORT À SON ENVIRONNEMENT SPÉCIFIQUE
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JEUX DANS LES PENTES - QUEBRADA JUAN BOBO - OCTOBRE 2010 - PHOTO F.J.
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III.1 - LA COPRODUCTION DE L’ESPACE URBAIN COMME ENJEU DE DÉVELOPPEMENT _
1. Illustration page précédente: Carte du chemin d’Urrao entre les provinces d’Antioquia et du Choco, 1798, encre et aquarelle, Archivo general de la Nacion, cartothèque 4, ref. 499A. 2. Entretien avec L., habitante de la quebrada Juan Bobo, décembre 2010 (retranscrit en annexe)
III.1.A - LA RÉAPPROPRIATION DE L’ESPACE DE LA QUEBRADA PAR LA COMMUNAUTÉ
Lors du projet, l’environnement a été un des grands thèmes abordés avec la communauté afin que la quebrada cesse d’être la frontière, le lieu le plus souillé et méprisé pour devenir lieu d’échange central des deux quartiers. L. : « C’était très mal vu d’habiter là au fond, les gens disaient « ah, ce nid de rats, ces odeurs ! », beaucoup de gens nous regardaient mal pour l’endroit dans lequel nous vivions. Vraiment à l’époque le fond de la quebrada c’était le pire, le plus sale, là où se cachait les voleurs, les vicieux… tout quoi… Alors avec le projet tout a beaucoup changé : il y a même pas mal de gens qui voulaient venir y vivre une fois que tout a été aménagé. Les gens venaient demander « comment faire pour se trouver une maison dans le secteur ? » , et puis « comment on avait fait pour avoir ces aides pour le projet ? ». Vraiment après avoir été les «pouilleux» du secteur on a gagné en dignité, on était les plus importants du quartier… »2 Aujourd’hui, selon les témoignages recueillis auprès de plusieurs habitants, le contrôle social qui s’opère dans la quebrada est une réalité (en particulier en ce qui concerne le rejet de déchets dans la quebrada), tout comme la sécurité qui s’est nettement améliorée, tous les passages étant dégagés et illuminés. 99
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LE LINGE SUR TOUTES LES REMBARDES - PHOTO F.J.
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L. : « Tu sais pour certains c’était vraiment important, après avoir connu les inondations, l’humidité, on se sent si heureux de pouvoir vivre à l’abri du risque. Puis on est fier quand on repense à comment nous vivions avant, et là je peux me pencher à mon balcon et voir mes voisins qui sont biens aussi. Avant quand il pleuvait ça nous arrivait de penser à ceux dont les maisons risquaient de céder d’un moment à l’autre… [silence] On ne dormait jamais tranquilles. On prenait les enfants avec nous la nuit… » En parcourant la quebrada tout au long de la semaine, on peut noter sa totale appropriation de la part de ses riverains, le premier indice de cette appropriation étant sans doute le linge qui envahit litéralement toute rembarde, banc ou muret accessible! Il est fréquent de voir des enfants jouer le long des terrasses et des femmes entretenir les espaces verts proches de leur logement. Ces dernières ont d’ailleurs démontré leur prépondérance dans l’organisation des comités et la prise de décisions, certaines étant seules à la tête de leur famille.
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« LA SYMBIOSE ENTRE L’ARCHITECTURE ELABOREE, OU CULTIVEE, ET L’ARCHITECTURE POPULAIRE, OU SPONTANÉE, PERMET DE TROUVER DES SOLUTIONS GENERALES ET D’ETABLIR UN LANGUAGE COMMUN» ROGELIO SALMONA, ARCHITECTE
REUNION AVEC LA COMMUNAUTE POUR ELABORER LES PROJETS - PHOTO: EDU
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1. Cf. Villar Catalina, Diarios de Medellin, film documentaire 75min, JBA productions - Film retraçant le travail d’écriture mené par un professeur avec des jeunes d’un quartier de la zone Nororiental proche de la quebrada Juan Bobo qui retracent dans ces journaux leur existance et celle de leur familles.
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1. REPERE: L’art et la marge, une archéologie du quotidien
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1. REPERE: Paysages de la peur
III.1.B - URBANISME PARTICIPATIF ET DEVELOPPEMENT LOCAL
L’urbanisme participatif, le développement local... Ces modes d’action sur le territoire posent d’emblée la problématique de la coproduction des espaces publics urbains, de la concertation, de la considération d’une micro-échelle dans les politiques de gestion de la ville. Dans des contextes où l’occupation par les habitants précède à l’intervention des pouvoirs publics et à l’équipement de la zone, cela paraît incontournable pour asseoir la durabilité des projets et mettre en marche de profonds processus de transformation. Le travail de participation est primordial (réhabilitation de la mémoire - salle aménagées sur l’histoire du quartier «Sala Mi Barrio»...) pour voir naître ou renforcer le sentiment d’appartenance à la ville pour les migrants qui ont déjà vécu un ou plusieurs déplacements. Les jeunes sont particulièrement touchés et beaucoup de programmes de la ville s’adressent à eux, axés autour de la culture et de l’éducation.1 Parmi les disciplines les plus engagées dans la valorisation des patrimoines existants au coeur des barrios, l’Art révèle de nouvelles possibilités au coeur des quartiers et souhaite voir éclater la pratique consensuelle de l’urbanisme au profit d’une attention portée sur l’apport de la ville informelle et du métissage culturel qu’elle abrite. Le projet de la quebrada Juan Bobo, en instaurant une nouvelle spatialité dans la quebrada, permet de voir naître de nouvelles pratiques communes, et participent en quelque sorte à cette réinvention, régénération de la ville à la suite d’événements traumatisants comme ont pu l’être les années du conflit armé. 103
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VUE D’ENSEMBLE DE LA QUEBRADA RÉHABILITÉE (A GAUCHE) ET LA QUEBRADA CANALISÉE (A DROITE) - PHOTOS F.J. - OCTOBRE 2010
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III.2 - LE PASSAGE D’UNE NORME DE CONTRÔLE A CELLE DE L’INTERVENTION « INTÉGRALE » III.2.A - SECURISER EQUIPER VIABILISER _
1. Lopera Pérez Juan Diego, Subdirector de Planeación Territorial, Gestión del suelo y mejoramiento integral de barrios. Casos Medellin, Juan Bobo y La Candelaria, Departamento Administrativo de Planeación, Alcaldia de Medellin, 2010
En misant sur la gestion participative du projet, ses acteurs ont visé l’idéal d’une responsabilité partagée concernant la gestion de cette zone et opté pour une certaine forme de redistribution des pouvoirs en octroyant aux habitants la propriété de ce sol. Il s’agit de résorber à la fois la détresse physique et sociale des populations concernées mais aussi de permettre l’intervention des pouvoirs publics dans ces zones de manière pérenne. En effet, régulariser le sol c’est ensuite pouvoir l’équiper et l’aménager, pouvoir mieux gérer les répercussions engendrées par la présence de cette population sur l’environnement et la structure urbaine, pour parvenir à terme à son intégration physique, économique et sociale à des réseaux déjà consolidés. En général, la réalisation de l’espace public et celle des logements répond à des logiques et des temporalités différentes qui font que bien souvent on se retrouve avec l’un sans l’autre... Au lieu de produire et penser le cadre dans lequel s’installeront les logements par la suite, il s’agit, dans le cas de la Quebrada Juan Bobo, de réagencer un territoire ou l’habitat est ce qui préexiste. Il a donc fallu centrer l’effort sur la coordination des différentes entités qui sont intervenues dans le projet afin de pouvoir menér une action intégrale. La réalisation en parallèle de projets de logement sur le sol fiscalisé permet à la municipalité d’équilibrer l’investissement réalisé afin de légaliser les propriétés sur un territoire donné1. 105
« MEDELLIN, LA MAS EDUCADA» «MEDELLIN, SOLIDARIA Y COMPETITIVA» «VIVIENDAS CON CORAZON» «MEDELLIN OBRA CON AMOR» «MEDELLIN SIN VIOLENCIA ES CONVIVENCIA» «ACCIONES CON MI BARRIO» ... SLOGANS RELEVÉS A MEDELLIN EN 2010
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«DANS MA VILLE, LA VIOLENCE NE REVIENDRA PAS» - ALCALDIA MEDELLIN
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III.2.B - UNE NOUVELLE FORME DE PRESENCE DES POUVOIRS PUBLICS? _
1. Leyva Botero Santiago «El proceso de construccion de estatalidad local (1998-2009): ¿la clave para entender el cambio de Medellin?» in Medellín, Medio Ambiente, Urbanismo, Sociedad, Editions Hermelin Arbaux Michel, Echeverri Restrepo Alejandro, Giraldo Ramirez Jorge, Universidad EAFIT, 2010 2. Il est ici fait référence aux deux derniers «Plans de Développement» mis en place pour 2004 2007 et 2008-2011 3. Urbanisme social
Une étude menée par Santiago Leyva Botero1 s’attache à décrire la manière dont l’administration municipale récente a pris de l’importance dans le contexte institutionnel de Medellin. Il étudie la centralité de cette administration dans l’ensemble plus large de structures régulatrices capables d’inclure les forces de l’informalité, des acteurs sociaux autogérés et du marché1. En effet, il est capital de comprendre l’apport des négociations menées avec les différentes instances afin de tirer profit de leurs capacités d’intervention respectives au niveau urbain. (Réunions de leaders de quartier, socialisation des projets, contact avec les associations locales, coordination inter-institutionnelle, expertise technique...). A ce titre, ce auteur démontre un tournant dans la période 1999 – 2009 par rapport aux administrations précedentes, dû à l’emphase faite par les maires sur les derniers «Planes de Desarrollo»2. Ceux-ci s’appuient sur une nouvelle articulation des acteurs (formels ou informels) afin de rétablir le dialogue avec les autorités locales et parvenir à placer la municipalité au centre de toute décision ayant trait à la ville. Ces plans, visant à donner à la ville une action visible et cohérente à la fois sur le plan social et urbain, s’appuient sur la coordination de des structures évoquées plus haut, mais aussi sur une campagne de communication importante. A Medellin, sous cette appellation «Urbanismo social»3, d’amples moyens ont été déployés afin de donner de la visibilité aux projets réalisés. Par l’implantation de grands équipements liés à l’éducation et à la culture, ou de restructurations de quartier comme Juan Bobo, le gouvernement local a trouvé le moyen de mettre en place une 107
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PARC BIBLIOTHEQUE SANTO DOMINGO SAVIO - PHOTO F.J.
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1. Entretien avec L., habitante de la quebrada Juan Bobo, décembre 2010 (retranscrit en annexe) 2. Avis apparaissant dans l’article publié par le quotidien «El colombiano» du 16 février 2008 - Lozano Juan, ministre de l’environnement et de l’habitat: “Aujourd’hui nous sommes face au plus beau de tous les projets de renovation urbaine en Colombie. Il est beau pour le paysage créé, pour la rehabilitation de ce territoire et de sa nature, pour l’amélioration de ses logements.» - Sanchez Jorge, ministre adjoint du logement au Costa Rica: «Au Costa Rica nous avons 42000 familles qui vivent dans des favelas, C’est pour celà que nous sommes à Medellin pour observer cet exemple pour le monde. La manière dont cette quebrada a été réaménagée, tout en créant des espaces pour ses habitants.»
politique visible et de prendre pied dans des zones où elle avait perdu toute autorité et d’ouvrir des enclaves accessibles à tous là où sevit encore le conflit armé. L. : « Ici je vais te dire, tout ça pour la communauté, ce projet, c’est merveilleux tout s’est très bien passé et le résultat est impressionnant. Qu’est-ce qu’il manque ? Qu’on se l’approprie vraiment… les places, les espaces verts, qu’on les entretienne, qu’on s’organise ensemble… Et c’est ça qui manque, qu’on soit tous des leaders pour entretenir ce travail. » Le pari était osé, et avant même de pouvoir constater pleinement les bénéfices sociaux des oeuvres réalisées, leur simple présence fut amplement saluée et reconnue internationalement comme un modèle d’intervention2. La systématisation de l’action sur l’ensemble de la ville a permis de donner aux programmes une redondance, un écho important. Les moyens graphiques déployés pour présenter les projets sous formes d’affiches grand format ou bien de feuillets et tracts informatifs, ainsi que les slogans (voir page précédente) visibles partout dans la ville sont comme autant de rappels de l’omniprésence des pouvoirs publics et il semblerait, à parcourir les rues de Medellin, que rien ne pourrait arrêter cette vague de projets, ce grand chantier en cours... Les nouveaux édifices sont sortis de terre à une vitesse impressionante, et affichent pour certains (comme le Parc-bibliothèque Santo Domingo) des formes imposantes prenant valeur de symbole diffusé dans toutes les revues et programmes politiques, et visité par toutes les délégations étrangères, comme pour exalter la propagande institutionnelle menée à l’échelle de la ville. 109
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QUEBRADA JUAN BOBO - OCTOBRE 2010 - PHOTO F.J
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III.3 - MEDELLIN, UN MODELE DE DEVELOPPEMENT? III.3.A - PARTICULARISMES COLOMBIENS _
1. Henao Delgado Hernan (dir.) Pespectivas ambientales urbanas. Simposio Cuidad y Medio Ambiente Urbano. Colombia, 1997, Instituto de Estudios Regionales, Universidad de Antioquia 2. Echeverri Restrepo Alejandro et Orsini Francesco, «Informalidad y urbanismo social en Medellin», in Medio Ambiente, Urbanismo, Sociedad, Editions Hermelin Arbaux Michel, Echeverri Restrepo Alejandro, Giraldo Ramirez Jorge, Universidad EAFIT, 2010
Ce qui est remarquable, à Medellin, (d’autant plus que ce sont des changements très visibles) c’est la prise de position franche de la discipline architecturale face au phénomène d’explosion de la ville marginale. En général, on constate le cantonnement, le recul, voir la démission de l’architecture professionnelle qui renonce alors à participer activement à la construction matérielle et physique de la majeure partie du territoire (celle occupée par les barrios informels). Nombreux sont les cas où l’urbanisme « n’assume plus son rôle de construire des imaginaires collectifs, des horizons citadins qui revendiquent la qualité de l’espace comme une condition d’existence de la société. »1 Or, à Medellin la ville s’appuie sur un corps académique solide et dynamique dont les travaux et même l’engagement politique de certains de ces membres contribue à supporter et à rendre applicable ce discours sensible et responsable sur l’intégration des comunas les plus isolées à la ville et la gestion de l’environnement. C’est ainsi que ces dernières années «les différentes études et propositions qui s’étaient faites dans la ville ont été reprises et des équipes techniques se sont formées depuis les différentes universités où des recherches appliquées se sont développées afin de trouver des solutions pour ces territoires.»
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« LE RISQUE DANS LES TRANSFORMATIONS URBAINES C’EST DE TENTER DE RESPECTER DES TEMPS D’EXECUTION QUI NE SONT PAS TOUJOURS SUFFISANTS, IL FAUT DONNER A COMPRENDRE QUE LA TRANSFORMATION EST EN CHEMIN.»1 MIGUEL ADRIA
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PAJARITO - CIUDADELA NUEVO OCCIDENTE CONSTRUCTION MASSIVE DE LOGEMENT SOCIAL SUR LES TERRAINS D’EXPANSION À L’OUEST SUR LES HAUTEURS DE MEDELLIN PHOTOS F.J.
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III.3.B - LA PRODUCTION MATÉRIELLE DE LA VILLE
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1. Miguel Adria, Architecte catalan, Directeur de la revue d’architecture «Arquine», lors de la conference du 26 juillet 2007 «Edifice Public, Espace Public et Culture» 2. Mejoramiento intégral de barrios 3. Cardozo Ivonne, «Cientos de desconectados de servicios publicos se oponen a desalojos», journal El Turbion, le 4 août 2010
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1. REPERE: De l’erradication à l’intégration de la ville informelle
A Medellin, on observe actuellement deux tendances majeures dans les politiques de construction / réhabilitation de logement social: - L’une s’appuie sur des interventions in situ tel que le projet de la quebrada Juan Bobo, en implantant des édifices isolés pour redensifier certaines zones, pouvoir procéder au relogement des familles dont les terrains font l’objet de projets, solutionner ponctuellement une carence en logement (ces interventions sont parfois accompagnées d’un programme d’amélioration de l’existant2). - La seconde consiste à planifier de vastes ensembles de logement collectif sur les terrains d’expansion que possède la municipalité, afin de reloger les populations expulsées. Il semble alors nécessaire de revenir sur la qualité architecturale de ces ensembles de logement produits récemment. (cf illustration ci-contre Pajarito, principal terrain d’expansion de la ville). En effet, la recherche de solutions au moindre coût et la quantité de foyers en attente de relogement peuvent justifier un certain empressement à construire en masse, en employant des techniques constructives basiques et faciles à mettre en oeuvre, mais ces raisons ne peuvent être en aucun cas les alibis d’une politique architecturale qui, à travers trame et module, engendre ces espaces étriqués et affiche un mépris inouï pour les qualités paysagères du site. D’autre part, il a été également mentionné certains cas de classement en «Zone à haut risque» dans le but de libérer des terrains stratégiques pour l’investissement privé.3 Selon les politiques mises en place on voit donc primer soit la valeur sociale de la propriété, soit sa valeur libérale. Ceci montre la présence dans la même ville de pratiques exemplaires et d’autres moins louables et révélatrices de la fragmentation des intérêts.1 113
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III.3.C - JUAN BOBO, UN MODELE EXPORTABLE? _
1. REPERE: Politiques urbaines et médiatisation
Aujourd’hui nombreux sont les prix attribués aux recherches et projets réalisés sur l’habitat informel. L’urgence du problème et son caractère global en font un sujet fortement débattu, comme en témoigne le thème établi pour la Biennale Ibéroaméricaine d’Architecture et d’Urbanisme organisée cette année 2010 à Medellin: «Architecture pour l’intégration citoyenne» (Arquitectura para la Integración Ciudadana).
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Le projet pilote de la quebrada Juan Bobo a reçu en 2008 le Prix International de Dubai qui récompense les Meilleures Pratiques de gestion urbaine pour l’amélioration du cadre de vie2 et vise à «promouvoir une reconnaissance et une sensibilisation sur des réalisations qui ont contribué par leur caractère remarquable et durable à l’amélioration de la qualité du cadre de vie, conformément aux critères établis par la deuxième conférence des Nations Unies sur les Etablissements Humains (Habitat II) et la Déclaration de Dubai»3
1. Best Practices and Local Leadership Programme - http://habitat.aq.upm.es/dubai/08/bp1982. html 2. http://www.dubaiaward.ae
Tout d’abord, il convient de s’interroger sur la maturité du projet primé étant donné qu’en 2008 le projet n’était achevé que depuis un an il fut certainement difficile d’appréhender avec justesse les changements que celui-ci induit à niveau social et urbain, ainsi que de pouvoir différencier les acquis durables des effets temporaires, voir pervers. Le projet mené sur la quebrada Juan Bobo étant un projet dit «pilote», l’intention est bien de pouvoir tirer de cette expérience un certain nombre d’acquis généralisables et applicables par la suite à de nouveaux projets. 115
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QUEBRADA LA HERRERA - NOUVEAUX LOGEMENTS EN CONSTRUCTION EN OCTOBRE 2010 - PHOTOS: F.J.
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1. Lire en annexe: Retranscription parcours Zona Nororiental - Quebradas Juan Bobo et La Herrera 2. Entretien avec J-M., travailleur social impliqué dans le projet de la quebrada Juan Bobo
Il est déjà possible d’observer l’influence de ce projet sur des interventions postérieures menées par la EDU dans la quebrada voisine La Herrera (voir photo ci-contre).1 J-M : « Et partant de ce modèle du projet pilote de la quebrada Juan Bobo, on part travailler sur d’autres territoires, la partie supérieure de cette même quebrada Juan Bobo, quebrada La Herrera… » Fred : « En quoi l’expérience de Juan Bobo vous aide pour monter les nouveaux projets ? » J-M : « Ça nous donne un point de référence, puis ça nous donne aussi de la crédibilité, tu sais avant les gens ne voulaient pas nous croire quand on arrivait pour proposer les projets. Maintenant on peut dire « Si, c’est possible ! ».» Or, comme expliqué en amont, reste encore à mener toute une recherche, technique et typologique sur la conception des logements implantés dans les quebradas. Des initiatives telles que le projet pilote que nous venons de parcourir restent des procédés relativement isolés et la difficulté et la spécificité de chaque terrain laisse penser qu’il serait plus sage de toujours partir de la réalité et non du modèle. Une fois ces réserves exprimées, on peut reconnaître que la qualité du projet de la quebrada Juan Bobo réside principalement dans sa capacité à aménager des solutions in situ qui rendent l’espace habitable surtout appropriable et instaure un point de départ à la mutuation progressive des quartiers à l’abord des cours d’eau. C’est sûrement par cette dimension qu’il prend valeur d’exemple comme nous allons le voir par la suite. 117
FRANCESCO ORSINI ET JUAN SEBASTIAN BUSTAMANTE LORS DE NOTRE PARCOURS DANS LA QUEBRADA JUAN BOBO EN OCTOBRE 2010 PHOTO FJ
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III.4 - LA CUENCA 1 COMME MODELE DE TRAVAIL INTERDISCIPLINAIRE _
1. Cuenca: En espagnol, désigne l’ensemble des versants qui drainent vers un même cours d’eau 2. Norberg-Schulz Christian, Genius Loci. Paysage, ambiance, architecture, Pierre Mardaga éditeur, 1997, p18 3. Cf annexe, Entretien avec Francesco Orsini, Architecte du projet de la quebrada Juan Bobo
III.4.A - «SYSTEME STRUCTURANT»: DE L’ENTITE NATURELLE A L’ENTITE URBAINE
Le projet de la quebrada Juan Bobo illustre assez clairement un des buts fondamentaux de la construction qui est de «transformer un site en un lieu, ou plutôt de découvrir les sens potentiels qui sont présents dans un milieu donné à priori»2. Genius Loci. Si l’on en revient à la génèse du projet de la quebrada Juan Bobo, on retiendra cette remarque de Francesco Orsini, ingénieur alors en prospection sur le site pour identifier des zones de projet: F: « Nous ne savions pas encore précisement où et comment nous allions intervenir, puis un jour lors d’un repérage nous sommes descendus dans la quebrada Juan Bobo tel qu’on le fait maintenant et une fois arrivé dans le fond, le potentiel de ce lieu autour du cours d’eau nous est apparu comme une évidence. Le projet a donc été lancé sur ce secteur. Finalement il s’agissait d’accentuer des caractéristiques inhérentes au lieu.»3 En effet, la quebrada Juan Bobo présente un profil ouvert dont les versant se prêtent à la construction et à la formation d’une petite ville dans la ville, une entité qui prend pour paysage intérieur l’ouverture de cette dépression (cuenca3) et pour direction le cours d’eau qui descend vers le fleuve. C’est pour cette raison que, même si l’état des constructions dans la quebrada Juan Bobo avant projet était déplorables et le cours d’eau extrêmement dégradé, il a été plus évident, au moment d’identifier les sites de projets potentiels, d’entrevoir d’une cohérence d’ensemble et de placer la quebrada au cœur du projet comme une épine dorsale à laquelle mènent toutes les sentes et les passages. 119
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QUEBRADA JUAN BOBO - DIVERS NIVEAUX DE TERRASSEMENT - PHOTO F.J.
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Cette remarque, très intuitive et directement issue de l’appréhension visuelle de l’espace de la quebrada, de la compréhension de ce qu’implique sa topographie, a non seulement donné lieu au projet tel qu’il a été décrit précedemment mais elle met en plus l’accent sur un point important: la reconnaissance d’une entité géographique peut-être un critère d’intervention qui prime sur les limites administratives ou l’eventuelle hostilité entre les groupes sociaux en présence. Dans ce projet, on perçoit donc une démarche visant à intégrer le paysage existant au moyens des espaces créés entres les différents bâtiments ou volumes. Ces espaces s’organisent comme des «entonnoirs» qui dirigent volontairement le paysage vers l’intérieur. C’est ainsi que la quebrada passe du statut «d’arrière-cour» des quartiers à celui de centralité, de lieu de vie à part entière, Les espaces publics extérieurs deviennent le prolongement des espaces privés intérieurs, ils s’organisent de manière analogue, en terrassements, et cette cohérence d’ensemble qui donne à lire le paysage de la quebrada fait toute la force du projet. _
1. Echeverri Alejandro, conférence «Sistema Estructurante», Modérateurs: Caro Marcia, Correa Isabel, Santana Oscar, architectes du PUI centroriental, EDU - Medellin, 10 juillet 2009
Enfin, en partant de l’observation du relief, de l’hydrographie du tissu urbain existant ainsi que de l’expérience du projet pilote de la quebrada Juan Bobo, on entrevoit la possibilité de faire des quebradas un «système structurant» pour la ville, le point de départ de plusieurs projets articulés le long des cours d’eau visant à désamorcer les difficultés et la ségrégation. Ces brèches linéaires dont la dégradation pèse aujourd’hui sur toute la ville peuvent se révéler des opportunités pour des projets misant sur la continuité de l’espace public et sa proximité avec l’habitat en place. 121
« LA VILLE, AINSI SINGULARISEE, INVITE A L’ERRANCE ET A LA DECOUVERTE»1 ROGELIO SALMONA, ARCHITECTE
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1. REPERE: Le Plan urbain de 1950 pour Medellin par Wiener et Sert _
1. Voir: Echeverri Alejandro, conférence «Sistema Estructurante», Modérateurs: Caro Marcia, Correa Isabel, Santana Oscar, architectes du PUI centroriental, EDU - Medellin, 10 juillet 2009 / Echeverri Restrepo Alejandro et Orsini Francesco, «Informalidad y urbanismo social en Medellin», in Medio Ambiente, Urbanismo, Sociedad, Editions Hermelin Arbaux Michel, Echeverri Restrepo Alejandro, Giraldo Ramirez Jorge, Universidad EAFIT, 2010, p 144
III.4.B - FAIRE NAITRE UNE CULTURE DE L’HABITAT EN RAPPORT À SON ENVIRONNEMENT SPÉCIFIQUE
Comme le prouve le projet de la quebrada Juan Bobo, aujourd’hui, il existe une conscience sociale plus forte au sujet de la réhabilitation de l’espace des quebradas, non seulement pour une préocupation environnementale mais aussi pour venir à bout des conflits sociaux, éloigner de tous les risques d’effrondrement et voir de nouveau s’exprimer la géographie naturelle du site comme système structurant. C’est après la saturation du sol de la vallée de Medellin et le danger imminent d’effondrement ou d’inondation qui menace certaines populations qu’on en revient donc à considérer les quebradas comme les espaces d’un potentiel développement, ce, 50 ans après le Plan directeur établi par Wiener et Sert qui, basé sur l’amplification de la géographie existante, voyait déjà les quebradas comme un réseau secondaire qui relayerait la trame viaire tout en assumant des fonctions complémentaires (corridor écologique, parc, axe d’assainissement...). Alors est-il possible que ces lieux où la ville se désagrège aujourd’hui au profit du doute, de l’insécurité et de la pollution soient réhabilités et deviennent à terme un système structurant pour la ville, propose une nouvelle spatialité où ces brèches prendraient une place prépondérante au sein des quartiers pour déservir, densifier, équiper les zones de la ville les plus défavorisées? C’est notamment la thèse soutenue par plusieurs architectes tels que Alejandro Echeverri Restrepo1 (Directeur de la planification urbaine - EDU 2004 - 2008) ou encore Carlos Alberto Montoya Correa (Architecte - PRIMED Programa Intégral de Mejoramiento de Barrios Subnormales: 123
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APREHENDER LA DENSITE - VUE DE LA ZONE NORORIENTAL DEPUIS LE VERSANT OPPOSE - PHOTO F.J.
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1. Montoya Correa Carlos Alberto, «Las quebradas de Medellin como alternativa urbana» in Henao Delgado Hernan (dir.) Pespectivas ambientales urbanas. Simposio Cuidad y Medio Ambiente Urbano. Colombia, 1997, Instituto de Estudios Regionales, Universidad de Antioquia 2. Salmona Rogelio, La ville détruite, Symposium d’Art non objectal, Medellin, Colombie, 1980 et Entre le Papillon et l’Eléphant, Symposium d’Alvar Aalto, Jyväskylä, Finlande, 2003
«En résumé, ce que nous proposons c’est d’élaborer un plan d’intervention integral sur les quebradas qui considère tous les standards que la ville possède, depuis l’espace public jusqu’aux seuils privés, depuis les parcs formalisés jusqu’aux viviers collectifs et depuis des développements viaires jusqu’à des édifices mixtes comme structure de support et de contention. La proposition consiste à tisser, recoudre les quartiers séparés par des quebradas via des bâtiments, des ponts carrossables et piétons qui s’allient à des équipements - principalement éducatifs - que de nombreux quartiers populaires réclament.1» Aujourd’hui le projet pilote de la quebrada Juan Bobo et les projets de parcs linéaires réalisés dans la ville ouvre les possibles d’une ville qui cherche à reconstruire son identité après des années plongée dans la violence. Du point de vue matériel, la recherche de cette identité passe par la compréhension du milieu dans lequel les barrios ont évolué très vite et se sont adaptés souvent au prix de la dégradation de leur entourage. La transmission de techniques constructives adaptés, la reconnaissance des zones à risque, la recherche d’un environnement propice à l’échange, mais aussi la fondation d’espaces qui renouent avec la mémoire du lieu sont autant d’éléments à intégrer à la ville qui se régénère, se consolide. Les projets doivent parvenir, comme l’exprimait souvent Rogelio Salmona2, auteur de plusieurs oeuvres architecturales à Medellin, à réaliser la synthèse entre la géographie du lieu et son histoire. 125
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CONCLUSION _
1. REPERE: Les PUI et le projet de ville «Medellin, la mas educada» _
1. «Medellin, la plus éduquée» 2. Amaya Gloria et Baquero German, Approche de la problématique de l’habitat en Colombie, Mémoire de 3ème cycle ENSBA UP3 Versailles, 1983
La planification participative telle qu’elle a été mise en place depuis 2004 avec le programme «Medellin, la mas educada1», représente un grand changement en matière d’intervention dans la ville informelle. Bien loin des mesures d’éradication, il s’agit aujourd’hui de réhabiliter les quartiers en prenant en compte tout leur potentiel humain (ou « capital social »), en s’appuyant sur les acteurs locaux, les associations de quartier, afin de consolider la ville secteur par secteur en évitant de déraciner à nouveau les populations. L’ampleur du travail de médiation réalisé a permis de rétablir la confiance entre certaines communautés et les pouvoirs publics, un dialogue précieux même si les processus de ségrégation restent solidement ancrés sur toute une partie du territoire. Qu’il s’agisse d’intégration au site, au végétal, au climat, au bâti ou à l’existant en général, la réponse apportée par la EDU sur le site de la quebrada Juan Bobo repose sur une démarche dépourvue de préjugés, qui choisit elle-même les références à prendre en compte et ne bannit pas de ses méthodes l’improvisation sur le terrain. Terrain où les réalités se font connaître, dans leur véritable interdépendance et leur authentique complexité comme autant de stimulations. D’autre part, la régularisation des propriétés sur ce sol implique la reconnaissance des populations immigrées et un grand pas vers leur intégration. Néanmoins, on sait que ces programmes ne représentent qu’une solution transitoire. En effet, «ils peuvent devenir inopérants si la mise en place de ces mécanismes d’intégration n’est pas accompagnée d’une politique tendant à obtenir une plus grande participation des couches sociales les moins favorisées dans le système social urbain2.» 127
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TOPOGRAPHIE DE MEDELLIN - PLAN FJ D’APRES FOND GOOGLE MAPS
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1. Amaya Gloria et Baquero German, Approche de la problématique de l’habitat en Colombie, Mémoire de 3ème cycle ENSBA UP3 Versailles, 1983
Dans la quebrada Juan Bobo, l’étude avant projet du terrain a relevé de réelles qualités spatiales ainsi que l’existence d’une organisation, d’une cohérence d’ensemble dans le bâti, d’une architecture précaire mais révélatrice des usages de ses habitants. Malgré tout le soin apporté, le projet de réhabilitation de la quebrada a abouti par nécessité à la construction de logements collectifs assez massifs et à un traitement très minéral des rives de la quebrada afin de déservir au mieux les logements et de palier au risque. Dès lors qu’on arrive à ce stade de consolidation, l’expression architecturale tend à se figer, le modèle urbain s’impose, et le risque est que l’espace perde sa «valeur d’usage» pour devenir simple «valeur d’échange»1. L’avenir nous dira comment évoluera ce lieu et il faudra y prêter une attention tout particulière. Suite à cette initiative, d’autres quebradas de la ville pourraient recevoir un traitement faisant emphase sur d’autres thèmes comme l’environnement ou l’équipement, ou encore le transport, selon leur morphologie, leur ouverture ou le type d’habitat qui les entourent, permettant ainsi d’élaborer au cours du temps un réseau de projets et d’axes complémentaires qui tirerait parti de la géographie et contribuerait à développer l’identité de la ville autour de ses qualités naturelles et humaines. En effet, l’architecture actuelle dans les barrios, n’est «qu’une expression réservée au regard du potentiel créateur des habitants qui ont bâti de manière précaire, toujours sous la menace d’une expulsion1». Parvenir à intégrer pleinement ces savoirs-faire permettrait d’aller plus loin encore dans la régénération de ces espaces. En définitive, ce projet nous conduit vers un désir, une recherche, une typologie bâtie qui souligne un fait: si Medellin est une ville formée de pentes, il faudra aussi qu’elle soit une ville d’édifices-ponts tendus au-dessus de ravines, habitées et ouvertes. 129
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Amico Claudia, architecte, enseignante a la PUCP (Pontificia Universidad Catolica del Peru), Cooordinatrice du workshop internacional « Pisco – Medellin » (Lima, août 2009)
Echeverri Alejandro, Architecte urbaniste, directeur de Proyectos Urbanos de la Alcaldia de Medellin 2005 - 2008, directeur de URBAM Centro de estudios urbanos y ambientales de la Universidad EAFIT
Betancur Carlos et Montoya Carlos David, architectes, agence OPUS (Oficina de Proyectos Urbanos) Correa Isabel, architecte, EDU Empresas publicas de Medellin
J-M., Travailleur social de la EDU Empresa de Desarrollo Urbano sur le proyecto de consolidación habitacional de la quebrada Juan Bobo
Velez Villa Ana Elvira, Architecte, nombreuses recherches et projets sur les typologies de logement social sur les pentes de Medellin
L., Habitante de la quebrada Juan Bobo depuis toujours, qui a marqué le projet de sa participation très active en tant que leader.
Bustamante Juan Sebastian, Architecte urbaniste ayant pris part à l’élaboration du projet de ville “Medellin, la mas educada” au sein de la E.D.U. , Coordinateur du workshop internacional « Pisco – Medellin » (Lima, août 2009)
Lopez Pelaez Juanita, géologue, experte en gestion du risque.
Castaño Natalia, Architecte urbaniste ayant pris part à l’élaboration du projet de ville “Medellin, la mas educada” au sein de la E.D.U. , Coordinatrice du workshop internacional « Pisco – Medellin » (Lima, août 2009) 136
Mazzanti Giancarlo, architecte, lauréat de deux grands projets de « parcs-bibliothèques” (Parque Biblioteca La Ladera y Sto Domingo Savio) réalisés sous le mandat de Sergio Fajardo à Medellin (Bogota, avril 2010) Mejia Saldarriaga Juan, architecte, chef de projet, Secretaria de Obras Publicas de la Alcaldia de Medellin (Medellin, avril 2010)
E N T R E T I E N S E T R E N C O N T R E S
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Mesa Felipe, architecte et éditeur (Mesa Editores), auteur des revues «copia» et ayant collaboré à la réalisation d’un grand nombre d’ouvrages de référence sur la ville de Medellin
A Juan Sebastian, pour son énergie et sa passion contagieuse pour Medellin, pour tous les jours passés à parcourir la ville, les pistes, les coups de mains, les contacts, les références, les débats vitaminés autour de jus de fruits qui n’existent que sous les tropiques...
N., habitante de la quebrada Juan Bobo Orsini Francesco, Ingénieur, coordinateur du Proyecto de consolidación habitacional de la quebrada Juan Bobo au sein de la EDU Empresa de Desarrollo Urbano Rendon Ivan, Travailleur social de la EDU, zona Centroriental Santana Oscar, architecte, Coordinateur du département d’architecture de la EDU (Empresa de Desarrollo Urbano) (Medellin, avril 2010) (Qui m’a fournit les documents de travail et les plans des aménagements des Quebradas La Herrera et Juan Bobo) Yepes Esteban, Travailleur social, Zona Noroccidental de Medellin (Ne sont listés ici que les entretiens qui ont donné lieu à une enregistrement au dictaphone ou à une prise de note précise)
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A L., pour nos discutions interminables, ‘interminées’ d’ailleurs... Les visites à l’improviste... La mémoire tel un méandre... A Oscar, pour les conseils avisés et les après-midi passées à la EDU pour examiner les projets sous toutes leurs coutures... A Francesco pour toutes ses explications in situ... Juan Bobo comme vous ne l’avez jamais vu... A Nadja, pour ses précieux conseils et relectures attentives... A Charline, pour toutes nos explorations urbaines... et rurales! Toutes nos charrettes chamulleras... Et pour tous les avions de dernière minute... Les contournements de nuage islandais... A mon Doux... Mas aeropuertos... 137
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ANNEXES ENTRETIENS ET DOCUMENTS COMPLEMENTAIRES
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ENTRETIEN AVEC L. HABITANTE DE LA QUEBRADA JUAN BOBO
(Entretien enregistré sur dictaphone, retranscription et traduction : Frédérique Jonnard) L. 38 ans Mariée, deux enfants Habitante de la quebrada Juan Bobo depuis toujours Membre de la junta vecinal de Juan Bobo Le 19 octobre 2010, 16h30 – 19h, Quebrada Juan Bobo, Medellín En passant dans le quartier un jour j’ai fait la connaissance de L. et je lui ai demandé si je pouvais repasser discuter un bon moment avec elle du projet et de la communauté en général, elle a accepté et m’a indiqué son logement pour la retrouver plus tard… Quelques jours plus tard, j’ai donc cherché L. dans son appartement au dernier étage d’un des nouveaux édifices Elle ne s’y trouve pas mais une voisine m’indique qu’elle est descendue visiter son père en bas du quartier. Elle m’invite à entrer prendre un café tinto car dehors il pleut fort et il vaut mieux attendre un instant que la pluie cesse. Depuis son balcon, elle me montre la maison du père de L. pour que je repère le chemin. Elle nous sert un café à moi et son mari puis part dans une des chambres. Il n’y a pas de portes, ce sont des rideaux, j’entrevois qu’elle discute avec trois autres femmes de son âge (environ 40 ans), parentes ou amies. Son mari me demande ce qui m’amène, je lui explique mes études, mes recherches… Lui travaille sur des chantiers de construction dans le centre. Nous parlons un peu des changements dans le quartier et du projet réalisé, il me dit qu’il sent qu’il a gagné au change, qu’il est beaucoup 140
plus tranquille dans cet appartement que dans son ancienne maison… Il reste assez évasif, je ne pose pas trop de questions non plus… Il est en train de regarder Rosario Tijeras, un film très connu qui a été tourné tout près d’ici, dans le quartier voisin de Popular – Santo Domingo. Je l’ai déjà vu et il me dit que lui aussi mais les scènes assez poignantes nous accaparent et interrompent notre conversation. Il reconnaît chaque lieu de l’action du film et me demande si je les situe aussi. Je lui dis que j’ai parcouru quasiment tout le quartier et qu’il me semble que les choses ont beaucoup changées par rapport à l’époque du film. Il dit qu’il ne sait pas, il a perdu un ami il n’y a pas si longtemps dans le barrio Popular, tout près d’ici, qui était passé sans connaître personne dans un coin encore assez sensible et qui aurait été abattu pour cette raison. Je n’en saurai pas vraiment plus, il pleut beaucoup moins, je termine mon café, remercie pour l’hospitalité et sort à la recherche de L.. Je la retrouve effectivement dans la maison de son père tout en bas de la quebrada, elle m’explique qu’il est souffrant et que cela la contraint à passer beaucoup de temps en bas avec lui. Elle me demande de l’attendre un instant pour qu’elle puisse se changer, je reste avec son père qui est assis sur une chaise sur le pas de la porte où il passe le plus clair de la journée (je l’ai vu là à maintes reprises). Les passants le saluent. L. revient habillée et légèrement maquillée, « c’est mieux comme ca ! » [Rires]. Elle me conduit à une petite place en hauteur d’où l’on voit toute la quebrada, on entame la conversation en chemin… Je lui raconte que sa voisine m’a indiqué ou je pouvais la trouver et qu’elle m’a abrité de la pluie pour un moment . L. : Là- bas dans mon immeuble ? Fred : Oui, M.- E., si je ne me trompe pas… Elle pointe du doigt le balcon qui se voit depuis le mirador, avec le vélo sur la terrasse, je confirme.
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L. : Oui, M.- E., justement je suis passée chez elle juste avant de sortir, depuis tous les changements dans la quebrada ça a toujours été une de mes voisines préférées. Elle vivait aussi de ce côté [de la quebrada] et elle et moi on a toujours été très amies, et au moment du projet, j’ai tenu à l’aider car elle vivait dans une zone très dangereuse. Tu vois, sa maison était de ce côté de la quebrada, et ils passaient par là [elle m’indique le fond de la quebrada], mettaient une planche, et on voyait tout le ravin en dessous comme ça.. C’est pour ça que si la pente commençait à faiblir elle allait se retrouver sans passage. A tel point que quand le projet a commencé elle n’avait plus le moyen de traverser. Son mari avait été très prévenant et il avait déjà commencé à renforcer la base des murs, mais le sol était en terre, le toit était assez abîmé.. Alors… Et tu as vu comme ils sont maintenant dans leur bel appartement ! C’est mon mari qui leur a fait toutes les finitions, le sol, les travaux dans l’appartement… Fred : Ton mari travaille dans la construction? L. : Oui, il sait tout faire dans une maison, il travaille dans ce domaine, il est diplômé du SENA [Servicio Nacional de Aprendizaje] en construction… Fred : Ah si ! Alors il a pu aider les gens du quartier pour aménager leur appartement? L. : Non… Fred : Ou plutôt vos proches, les gens que vous connaissez mieux ici ? 142
L. : Oui, c’est ça, parce que lui de toute façon il est habitué à travailler pour un salaire, il est très compétent et il gagne bien sa vie avec ça, et ici en général les gens n’avait pas les moyens de payer quelqu’un pour les travaux et il n’avait pas vraiment l’intention de travailler pour une bouchée de pain… Il a juste rénové cette petite maison qu’on voit là, avec les lattes de bois… Juste celle là parce que c’est celle d’une de mes cousines et ils avaient déjà convenu ensemble qu’il les aiderait pour les travaux, ça a vraiment été la seule maison sur laquelle il est intervenu ici… Surtout qu’à ce moment là il avait un bon poste, il travaillait sur le chantier d’une finca, il a l’habitude de travailler sur ce genre de construction pour des gens qui ont les moyens, et comme dans notre quartier c’est du logement social, le budget est très limité. Nous arrivons à la petite place mirador, nous nous installons sur le rebord en béton… L. : Regarde !Cette place n’existait pas avant, elle faisait partie du projet. Ici, il y avait quelques ranchitos et des maisons de bois qui étaient assez détériorées, et au final, les familles sont restées ici tu vois, une des familles qui vivait ici est maintenant dans cette maison en haut de la place, et une autre famille a préféré être relogée en casa usada. Fred : Casa usada ? [Maison louée où rachetée] L. : Si, casa usada, alors ils sont partis à Zamora [Barrio de la comuna nororiental de Medellín à traduire] je crois… Fred: Mais, comment ça s’est passé alors pour ceux qui demandaient à être relogés en casa usada ? Casa usada ce sont les maisons du quartier qui pouvaient être conservées ? L. : Non, en fait le système de casa usada était le suivant : par exemple, imaginons qu’on soit une famille nombreuse et qu’on ne tienne pas tous dans un des appartements neuf proposés aux familles relogées, et que notre maison soit dans une zone où on ne pouvait pas la 143
conserver et la renforcer, comme par exemple les améliorations qu’ils ont faites sur la maison de la dame là-bas, ou toutes ces maisons que tu vois le long de l’escalier… Dans ce cas, où on ne pouvait pas conserver la maison, la EDU [Empresa de Desarrollo Urbano] offrait aux familles la possibilité de leur chercher une autre maison à proximité, ou que la famille elle-même propose une maison dont elle savait qu’elle était mise en vente. Parce qu’en fait ils [La EDU] ont mis des annonces pour faire savoir qu’ils recherchaient des maisons en vente pour le projet donc, par exemple, ma famille allait voir les maisons proposées, et on s’attachait plus à celle-ci ou celle-là et à ce moment là, la EDU commençait à négocier la vente avec le propriétaire de la maison et elle se chargeait de l’acquisition de la propriété. Fred : Mais alors ce n’était pas nécessairement tout près d’ici, parfois ça pouvait être des maisons dans des quartiers assez loin ? L. : Oui… Oui ça pouvait arriver, par exemple il y a eu des familles qui sont parties vers Campo Valdez, d’autres pour Santa Cruz, donc un peu plus éloigné d’ici effectivement, mais à part ces familles là tout le monde est resté ici dans le quartier. Donc voilà, ça c’était la solution des casas usadas. L’autre procédé, c’était la rénovation des maisons, leur amélioration. Ça consistait en… par exemple, si la maison était entièrement en bois, ou alors qu’il y avait une partie en dur, et une autre partie en bois et à ce moment là il fallait faire des travaux pour la renforcer. C’est ce qui s’est passé pour la maison de S.… C’était une petite maison très modeste et elle faisait déjà toutes les modifications qu’elle pouvait de son côté mais malgré ça elle était vraiment en mauvais état et regardes la maison que c’est maintenant ! Parce qu’elle a accepté la rénovation de la part de la EDU… Et c’est le cas de toutes les maisons qu’on voit ici sur le bord de la quebrada avec deux ou trois étages qui ont reçu le même traitement. C’étaient des maisons qui n’étaient pas trop mal mais qui avaient des problèmes de stabilité ou des toitures abîmées, alors on leur renforçait les fondations, la dalle au sol, il y a eu tout un relevé et un projet pour chaque maison fait par un architecte de manière à ce que la maison termine en bon état. Et puis tous ceux qui restent, dont la maison devait être détruite, nous allions recevoir un appartement, donc les familles déplacées ont presque toutes été relogées dans des logements neufs. 144
En fait, il faut que je te raconte comment a commencé le projet… Pour nous, ça a été une surprise parce que le monsieur qui est venu faire l’enquête s’est présenté à peu près depuis août pour nous informer et nous demander… « Ah c’est que là il va y avoir un projet d’amélioration de la quebrada… » Et bon… il a commencé à nous parler d’améliorer les ranchitos… Alors là vraiment, quand j’ai entendu ça, je me souviens que je disais à mon amie « On va voir, c’est peut-être possible… N’importe quelle aide qu’ils puissent nous apporter nous est utile… » Parce que ma maison avant était dans un terrain très pentu et très haut et ma peur c’était qu’un jour la terre puisse glisser et emporter la maison… Et aussi parce qu’il y avait des fois ou l’eau dévalait depuis cette rue là en haut et tous les égouts se bouchaient… Du coup l’eau cherchait par où s’échapper elle entrait partout dans la maison et abîmait tout sur son passage… Donc on était dans l’expectative d’une proposition de leur part. Et en décembre il y a eu un avis de réunion, on devait se rendre au collège Villa del Socorro. Là sont venus différents représentants de la E.D.U, et Montoya, et d’autres personnes encore… En réalité je me souviens surtout du docteur J.-C. M. parce que c’était le gérant du projet et que c’est lui qui nous a montré la proposition. Au début, le projet c’était que ceux qui n’était pas en zone à haut risque allait céder des terrains à ceux qui étaient en zone à haut risque, alors beaucoup de gens ce sont opposés au projet étant donné qu’il y avait des familles parfois très nombreuses alors comment quelqu’un qui a la possibilité d’agrandir sa maison en lui rajoutant un étage va céder cet espace au voisin tout en sachant qu’il a tant d’enfants à loger ! Alors non, les gens ne voulaient pas… Ensuite, vers la mi-décembre, on a de nouveau été convoqués à une réunion, et là la proposition était toujours la même et toujours aussi mal reçue… C’est là que J.- C. M. a commencé à dire « D’accord même alors si ça ne convient pas, pourquoi vous ne commencez pas à faire des propositions de votre côté aussi ? » Et tous ont demandé la construction de nouvelles maison, de nouveaux logements, et l’amélioration des maisons déjà existante dans la quebrada. Il y avait des familles qui ne parvenaient pas à trouver où se reloger, qui étaient très nombreuses alors rien que dans leur parcelle elles étaient déjà à l’étroit, alors ce dont elles avaient besoin c’était une vraie solution de logement, pas qu’ils leur retirent le peu qu’ils avaient… 145
Extraits : (La suite de notre entretien n’est retranscrite que partiellement, j’en ai extrait uniquement les points forts.) L. : « Au début des négociations c’était compliqué car tous les gens qui avaient des maisons pensaient à les agrandir plus tard pour loger leurs enfants qui grandissaient. » L. : « Pour savoir combien de logements neufs allaient être nécessaires, il fallait d’abord bien observer ce qui se passait dans chaque foyer parce que parfois dans une même maison tu retrouvais une mère, un père et leurs enfants, mais ces enfants avaient déjà formé un foyer avec leur conjoints et avaient aussi leurs jeunes enfants… Donc au final c’était une maison pour trois familles. » L. : « En réalité, nous, en temps que communauté, on ne se connaissait pas vraiment. Comme les chemins étaient très fermés et difficiles, il y avait de la boue, alors chacun passait au plus commode et au plus rapide pour rejoindre sa maison et on se voyait peu, chacun avait son accès. […] Alors on n’avait pas vraiment d’endroits pour se réunir entre voisins. » L. : « Au moment où on devait réunir tous les papiers pour régulariser les propriétés il y avait encore des habitants réticents qui hésitaient à donner leur documents originaux car ils craignaient d’être volés, alors la EDU a accepté de ne recevoir que des copies et lors des réunions ils nous aidaient à organiser les documents. » L. : « Tous s’est débloqué d’un coup quand J., une vieille dame qui habitait là-bas à la place du 2ème édifice a accepté de quitter sa maison pour qu’elle soit démolie. Sa maison était déjà en très mauvais état, elle me disait « Tu sais L., si ils me volent, j’y perds tellement peu… ça ne changera pas grand-chose… ». Alors elle est partie et c’est là que le projet à commencé, les premiers matériaux, les premiers travailleurs sur le chantier, et les gens qui disaient « Ah si, si ça va vraiment se faire… Qu’est-ce que ça va donner ? ». Et la EDU a organisé 146
des réunions pour expliquer tout ce qu’ils allaient faire, tous les papiers dont ils avaient besoin de notre part. Il avait aussi fait une maquette pour qu’on se rende compte de ce que ça pouvait devenir, quelles maisons devaient être démolies, quelles autres allaient être rénovées… » L. : « On [le comité des habitants de la quebrada] a vraiment insisté pour que la main d’œuvre non qualifiée nécessaire au chantier soit recrutée au sein même de la communauté. » L. : « Là où tu vois le premier édifice en réalité c’était très différent, c’était un peu comme une finca [maison rurale traditionnelle souvent associée à quelques terres], il y avait ma maison et celle de ma grand-mère et beaucoup d’arbres fruitiers : mangue, orange, goyave.,. C’est pour ça qu’on a baptisé cet édifice « Los Frutales ». Alors quand j’ai dû partir il a fallu que je passe 9 mois ailleurs le temps de la construction du nouvel édifice sur l’emplacement des maisons. Mais je n’avais pas vraiment de famille qui puisse me loger tout ce temps alors la EDU nous a payé un loyer dans une petite location que j’avais trouvée. Puis après j’ai pu monter un petit kiosque à ce moment là et je préparais des repas pour les travailleurs et je vendais des boissons.» Fred : « Et maintenant que le projet est achevé il te semble que la communauté est plus unie, que les gens se connaissent mieux ou pas vraiment ? » L. : « Alors… Pour ce qui est d’être unis, il manque encore des efforts… Parce qu’en réalité les gens ici… Disons qu’au moment de finir le projet il y avait beaucoup de motivation et de personnes impliquées là, et effectivement le fait de devoir nous organiser nous a conduit à tous mieux nous connaître, mais avec le temps tout s’est un peu refroidi car chacun retourne dans sa maison et ne se préoccupe plus tellement pour ce qui peut se passer au dehors… Bon, certains seulement parce que d’autres s’approprient vraiment le quartier et profitent de tous ces espaces si agréables. Mais au final on est fatigué parce que le travail d’entretenir tous ces espaces ne devrait pas revenir toujours aux mêmes, si tout le monde y participait ce serait plus facile. » 147
L. : « Ce qui a changé radicalement c’est le fait que maintenant on ait accès à tous les secteurs de la quebrada. Avant comme je te disais il fallait se frayer un chemin, l’accès n’était pas évident et puis les mauvaises odeurs… Personne ne voulait passer par le fond de la quebrada, ce marais là… Alors on faisait des grands détours plutôt que de traverser là où il y avait des rats et même de la merde si tu me permets, parce que là il n’y avait pas d’égouts il fallait voir… alors celui devait passer derrière une maison il fallait qu’il « lève les pieds »… » L. : « C’était très mal vu d’habiter là au fond, les gens disaient « ah, ce nid de rats, ces odeurs ! », beaucoup de gens nous regardaient mal pour l’endroit dans lequel nous vivions. Vraiment à l’époque le fond de la quebrada c’était le pire, le plus sale, là où se cachait les voleurs, les vicieux… tout quoi… Alors avec le projet tout a beaucoup changé : il y a même pas mal de gens qui voulaient venir y vivre une fois que tout a été aménagé. Les gens venaient demander « comment faire pour se trouver une maison dans le secteur ? » , et puis « comment on avait fait pour avoir ces aides pour le projet ? ». Vraiment après avoir été les pouilleux du secteur on a gagné en dignité, on était les plus importants du quartier… » L. : « Tu sais pour certains c’était vraiment important, après avoir connu les inondations, l’humidité, on se sent si heureux de pouvoir vivre à l’abri du risque. Puis on est fier quand on repense à comment nous vivions avant, et là je peux me pencher à mon balcon et voir mes voisins qui sont biens aussi. Avant quand il pleuvait ça nous arrivait de penser à ceux dont les maisons risquaient de céder d’un moment à l’autre… [silence] On ne dormait jamais tranquilles. On prenait les enfants avec nous la nuit… » L. : « Mais tu sais parfois ce n’est pas évident d’organiser les tâches pour entretenir les immeubles où les espaces communs. C’est toujours les mêmes qui s’y mettent et on finit presque par s’attirer des ennuis à tant demander aux autres de participer, ou à faire des remarques pour que personne ne dégrade ce qui a été fait. Pourtant, on a travaillé tous ensemble pour fixer certaines règles, on a même fait un « Manual de convivencia » avec la EDU. Si on parvenait à appliquer toutes ces règles on serait je pense très heureux ici. Mais tu vois malheureusement les gens se sont habitués à vivre avec ce qu’ils ont ici, et à force, ils ne cherchent pas forcément à faire évoluer les choses… » 148
L. : « Il y a eu un comité pour l’environnement, on a vu le thème des poubelles, puis ils nous ont aussi enseigné comment cultiver quelques légumes. Ils nous avaient rapporté tout le matériel, des graines, des pots… On faisait ça dans les grands pots que tu vois sur le toit des nouveaux immeubles. Un moment, on a même réussi à en vendre sur les marchés. Mais tout ça s’est fini car certaines personnes nous abîmaient les plantes avec de l’eau bouillante. […] Pourquoi ça ? Je ne sais pas, c’est comme ça… Il y a des gens qui ne sont pas bien… Enfin… ils ne sont pas heureux, alors ils ne veulent pas non plus que les autres le soient… Ils n’acceptent pas… Et malheureusement c’est la manière de penser de beaucoup ici. Alors tout ça s’est fini. » L. : « Toutes ces initiatives ont fini par disparaître… Et je dirais que c’est sûrement à cause du manque de travail ici. Moi par exemple, en tant que leader je me sentais très heureuse de faire tout ça, mais parfois j’avais besoin d’argent aussi… Et à la maison ils me disaient « Oui mais tu passes ta journée à leur service à les conduire de haut en bas, alors maintenant qu’est-ce qu’ils [l’équipe de la EDU] te donnent en retour ? Ils ne te payent même pas ! » Et moi je savais que je ne recevrai rien mais je sentais une certaine satisfaction personnelle. » Imagine quand ils me disaient, « Regarde L. il va y avoir tel évènement, convoque les enfants qui pourraient y aller », alors je passais maison par maison pour faire la liste et inscrire les enfants… Je sais bien que je ne reçois rien mais bon si je sais qu’il y a un bus qui va venir pour tous les emmener en excursion, et les voir revenir avec ce grand sourire et penser que j’ai aidé à ça… ça c’est ma récompense ! » L. : « Non pour ce qui est du travail on a reçu des formations mais même, ici les gens sont « informels », ils font du recyclage, des ménages, il y a encore beaucoup d’analphabètes alors ça ne facilite pas l’emploi… […] Tu sais que le projet de la quebrada a été primé à Dubaï, alors cet argent gagné devait servir à la création d’une micro-entreprise dans le quartier, principalement destinée à générer un emploi aux mères qui étaient seules à la tête de leur famille. Mais ça n’a jamais abouti, je ne sais pas vraiment ce qui s’est passé. Alors maintenant chacun continue avec ses activités de son côté. » Fred : « Et comment c’était la sécurité avant ? Les gens parlent de « la violence » à quoi ils se réfèrent ? Et le fait qu’ici tous les endroits dangereux aient été illuminés, dégagés… les choses ont changé ? » 149
L. : « La sécurité ici… Déjà à un moment il y avait beaucoup de violence dans toute la ville [à voix basse], on retrouvait des morts dans le cours d’eau, il y avait des viols… Un secteur si obscur, il se passait bien des choses, on avait peur de sortir la nuit. […] Des petits groupes se réunissaient pour consommer [de la drogue]… De toute façon, ils le font toujours mais de façon plus discrète, plus privée. Maintenant dans l’ensemble la sécurité est meilleure. Les jeunes qui sont là sont de la communauté même, ils nous connaissent tous et on les connaît tous. Alors merci à Dieu, ici on a pas tant de problèmes comme dans certains secteurs de la ville comme la Comuna 13, les affrontements… Ici non, il y a eu un bon contrôle. Avant tu ne pouvais pas laisser ta porte ouverte comme là tu vois, on le fait maintenant parce qu’on sait que par ici personne n’entre pour voler, mais avant tu ne pouvais pas, y rentraient et ils emmenaient tout ce que tu avais. Ils arrivaient dans les kiosques et ils extorquaient, ils volaient les marchandises. Mais grâce à eux il y a plus de calme il faut le reconnaître. La police aussi a collaboré… » Fred : « Ceux dont tu parles sont des gens du quartier qui s’assurent eux-mêmes de la sécurité ici ? » L. : « Oui c’est ça, des jeunes du secteur, qui s’engagent là et travaillent pour le quartier, parfois par manque d’autres opportunités ou par envie de participer…. Et on voit qu’ils font bien leur travail, « bien » entre guillemets parce que la sécurité du quartier s’est beaucoup améliorée, il n’y a plus de vols, et si jamais il y en avait un, le voleur sait à quelles conséquences il s’expose, parce que s’il l’attrape il sera puni comme il se doit...» L. : « Ici je vais te dire, tout ça pour la communauté, ce projet, c’est merveilleux tout s’est très bien passé et le résultat est impressionnant. Qu’est-ce qu’il manque ? Qu’on se l’approprie vraiment… les places, les espaces verts, qu’on les entretienne, qu’on s’organise ensemble… Et c’est ça qui manque, qu’on soit tous des leaders pour entretenir ce travail. » L. : « Moi j’ai voyagé en Argentine [A Quilmes] pour témoigner de ce projet avec la EDU, et je leur ai dit de s’impliquer, que ce qui avait 150
fait la réussite de ce projet c’est le fait que tous nous avons participé à démolir nos propres maisons, à ouvrir les fosses pour les nouveaux édifices, à remuer la terre, à monter les sacs de contention… Tout ça c’est la garantie que ça rende bien et que tous ceux qui bénéficient du projet y participent. » L. : « Parfois je regarde autour de moi et je me dis « Mon Dieu, pourvu que nos enfants prennent soin du quartier, même si eux ils n’auront pas eu à connaître la vie dans la crasse qu’on avait avant, et la violence qu’on a connu nous. » L. : « Ah non mais il fallait voir quand le projet s’est terminé que tout était prêt… C’était la folie, tout le monde était dehors sur les terrasses, criait, courrait… Je me disais « c’est merveilleux ! » Tous les enfants sortaient jouer ! Après il y a eu quelques bagarres, tel et tel venait d’ici, les autres de là-bas et ils ne voulaient pas partager les jeux. On a dû travailler là-dessus un moment pour faire comprendre aux enfants que tout était accessible à tous. Entre gamins ils se disaient « Non mais vous vous n’êtes pas d’ici, vous êtes d’en bas alors vous n’avez qu’à y retourner ! » » L. : « Le projet a généré beaucoup de choses positives, même la famille vient nous visiter plus souvent parce que c’est agréable. »
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ENTRETIEN AVEC J-M, TRAVAILLEUR SOCIAL SUR LE PROJET DE LA QUEBRADA JUAN BOBO
(Entretien, retranscription et traduction : Frédérique Jonnard) Le 18 octobre 2010, après-midi, de16h à 18h30 environ Oficina de atención a la comunidad, barrio Santo Domingo Savio, Zone Nororiental, Medellín Brève description des points abordés lors de l’entretien :
J’explique que j’aimerais comprendre précisément comment était la quebrada avant l’intervention, sa spatialité, ses habitants, ses logements… Et surtout comment s’est établi le contact entre les équipes du projet et les habitants. Au début notre entretien est très formel, J-M m’explique de manière très professionnelle l’état des lieux de la quebrada dressé avant le projet sans donner jamais son avis ni ses propres impressions, puis au fur et a mesure des questions la discussion se fait plus ouverte. Nous commençons à discuter autour de photos de l’état de la quebrada avant le projet. Les maisons de matériaux de récupération tout au bord de l’eau, les connexions pirates au réseau d’eau et d’électricité, la végétation dense et opaque Les enfants qui jouent dans les escaliers Les accès aux ranchos [maisons de bois] instables et sans illumination Espaces propices à la délinquance Afin d’ établir un diagnostic complet qui aboutisse au projet de réaménagement de la quebrada l’équipe de la EDU [Empresa de desarrollo Urbano] dont J-M. fait partie a procédé comme suit : Aller de maison en maison, voir les familles, information technique et sociale, établir un profil social de cette communauté Etat civil, combien d’adultes, combien d’enfants, professions ? 152
Commencer à faire des assemblées en présence de tous les habitants pour les informer Taller de imaginarios [Ateliers d’imaginaires] comment imaginer le quartier ? Travail en groupe autour de certaines questions : Comment voyez-vous ce lieu dans lequel vous viviez ? Que désirez-vous à l’avenir pour cet endroit ? Le résultat de ce travail préliminaire auprès des habitants aboutit sur un certain nombre d’engagements « acuerdos communitarios » entre l’administration et la communauté : L’administration de son côté s’est engagée à se concerter sur tous les points du projet avec les habitants et à n’exproprier strictement personne. Les habitants se sont engagés à être présents et ponctuels aux réunions et aux cours et à faciliter le travail de recensement en apportant tous les papiers nécessaires. Les habitants durent s’engager également à ce que personne ne viennent s’installer en plus dans la quebrada (congélation du site) Assemblées pour définir les objectifs du projet Formation d’un comité de quartier : 2 représentants par secteur de la quebrada Au début certains représentants recherchaient leur bénéfice personnel mais peu à peu lorsqu’ils se sont aperçus que cela allait être long et compliqué ils se sont retirés Au final ne sont resté que des femmes de la communauté en tant que représentantes J-M dit qu’il s’est rendu compte du fait que les femmes pensaient toujours plus au bien-être collectif, à l’avenir du quartier… Les hommes cherchant plus un bénéfice personnel. Groupes thématiques : thème de l’environnement, comité de prévention des risques Chaque intervention prévue par l’administration était d’abord examinée avec le comité, puis rediscuté avec l’ensemble de la communauté
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En particulier, il fallu négocier les périodes de transitions entre la démolition de certains logement et l’obtention par les familles d’un nouveau logement. J-M : « Tu me donnes ta parcelle pour construire l’édifice, je t’envoie dans une autre maison et je te paye le loyer, toi tu payes les services publics (eau, électricité) et quand l’édifice est terminé, tu reviens. » Concertation sur l’achat des terrains, le tirage au sort des appartements… Je demande comment s’est fait la répartition des familles dans les édifices neufs ? J-M « Nous on avait déjà préparé une proposition, comme on était tellement sur le terrain tout le temps avec les familles pendant le chantier, on s’était rendu compte des affinités, les dynamiques des familles, alors on savait, les familles qui vivaient dans tel secteur iraient dans tel édifices, celles-là dans tel autre… Tu vois c’est comme quand un prof vous demande un travail en groupe, toi tu sais déjà avec qui tu as envie de te mettre pour travailler, là c’était pareil, très vite les familles se sont réunies pour vivre dans le même édifice. » J-M me montre un diagramme de toutes les entités qui ont pris part au projet, elles sont très nombreuses, il y a des financements de toutes parts dirigés à une partie bien précise du projet (réseau d’égout, financement de la construction des logements, rachat des parcelles…) Par exemple, dans le cas du financement de la construction des logements il y avait des fonds provenant à la fois de l’Etat, du ministère de l’habitat, de La municipalité de Medellin, et du département d’Antioquia Espace public : Secrataria de Obras Publicas Raccordement au réseau d’égouts: Empresas Publicas de Medellin EPM et Secretaria de Desarrollo Social La EDU (Empresa de Desarrollo Urbano) était donc l’organisme en charge du projet qui assurait la coordination entre toute ces entités. J-M conclut : « Voilà ce qui a pu être fait sur le plan physique… Mais sur le plan social on s’est retrouvé face à une faible participation des 154
habitants, un taux de chômage très fort, tous les emplois des habitants étant liés à l’économie informelle : vendeurs ambulants, employés à la journée comme domestique, divers services à la personne, micro-entreprise…, beaucoup d’informalité économique, faible niveau scolaire, malnutrition, faible crédibilité de l’Etat, on sentait beaucoup de méfiance. Il a fallu commencer très tôt à travailler sur ce thème de la confiance les habitants et nous, qui représentions l’Etat. Il y avait aussi peu de savoir-vivre, beaucoup de problèmes familiaux, et très peu de contrôle social… Le contrôle social, c’est un groupe armé qui l’exerçait, les bandes qui était sur ce territoire. Ce sont eux qui géraient quasiment tous les problèmes, que ce soit à niveau familial ou communautaire. » Fred : « Et vous, quel contact avez-vous eu avec ce groupe armé lors des négociations pour le projet ? Comment ont-ils réagi à votre arrivée ?» J-M : « Ah ça on est arrivée et bien évidemment c’était comme reprendre un territoire… Mais on a jamais demandé l’accord de personne. C’est que quand on vient au nom de l’Etat on ne peut pas se permettre de laisser des groupes armés illégaux avoir un contrôle sur notre travail. Cela dit, beaucoup de choses ont été abordées avec eux, par exemple on leur a proposé de travailler à l’élaboration du projet, à sa construction aussi, ceux qui s’intégraient, très bien, mais ceux qui refusaient n’avaient plus leur mot à dire… » Problème de gestion des ordures : bien que les services de la ville viennent récupérer les ordures de la zone, la quebrada restait l’endroit où l’on pouvait aisément se débarrasser de ces déchets sans avoir à les apporter au point de ramassage (les points de ramassage étant nécessairement situés en dehors de la quebrada, sur une route carrossable pour le camion). Il y avait peu d’intérêt pour le bien commun, et pour les activités proposées. Les relations du voisinage étaient très dégradées. J-M : « Au final, qu’est-ce qui s’est fait ? La redéfinition de la distance de retrait de la quebrada, car ici il y avait un retrait règlementaire fixé à 10m, alors nous avons fait faire une expertise technique pour faire baisser cette norme à 3m dans le cas précis de la quebrada Juan Bobo. » 155
Et puis… 2700m de réseau d’eau et d’égouts 200m d’assainissement de la quebrada 1500 m² d’aménagement des bords de la quebrada 4500 m² pour la mobilité (escaliers, sentes, trottoirs) 200 m² d’espaces verts 70 m² de passerelles piétonnes pour connecter une rive à l’autre J-M : «Pendant que tous les travaux s’exécutaient, on menait en parallèle le travail avec la communauté. Par exemple on a fait beaucoup de sensibilisation pour le respect de l’environnement via des pièces de théâtre, des spectacles de marionnettes, puis on a organisé Noël pour toute la communauté. On a aussi introduit des thèmes comme le recyclage, puis on allait de foyer en foyer pour parler de la gestion des ordures, du recyclage, préciser qu’il y avait des lieux à respecter pour déposer les poubelles… » Les œuvres de théâtre de sensibilisation à l’environnement faisaient partie de programmes développés par la Secretaria del Medio Ambiente. Les dons pour Noël (natilla, buñuelos…) venaient également d’un autre programme, la EDU faisait venir les intervenants nécessaires pour son projet au fur et à mesure pour tenter de former un certain esprit citoyen parmis les habitants de la quebrada. Nous regardons des photos du chantier. La destruction des premières maisons, les premiers murs de contention… J-M : « En fait c’était un travail très artisanal, tu vois il y avait une maison là donc il fallait en découper la partie arrière, les habitants devaient vivre un temps sans toit sur cette portion de leur habitation pour que puisse passer le mur de contention. Puis ensuite la rénovation de la maison commençait pour que les familles puissent récupérer leur espace. » 156
Importance de la stabilisation des sols et de la limitation du risque de glissement de terrain. S’assurer que toutes les œuvres qui vont être réalisées ou rénovées soit hors de risque. Sur certaine photos on voit clairement la différence de propreté du cours d’eau entre 2004 et 2008 : J-M : « Oui, il faut continuer ce travail, car générer cette conscience pour l’environnement et pour autrui prend des années ! » Les familles ont participé directement à la démolition de leurs maisons. La majorité des gens en mesure de travailler dans la quebrada ont été employé sur le chantier. Travail très artisanal, au cas par cas. Nous regardons aussi des photos des réunions d’explication du projet aux habitants. Parfois les réunions avait lieu à l’église puisque c’est l’espace de réunion le plus grand. Toponymie : Je demande pourquoi la quebrada s’appelle « Juan Bobo ». En général, les gens évoquent un personnage important dans le quartier il y a plusieurs années… Lors du projet le lieu a été rebaptisé « Nuevo Sol de Oriente » Il a été convenu avec la communauté du respect de certaines règles de vie contenues dans le « Manual de convivencia » Organisation de journées de nettoyage de la quebrada. Installation de jardinières sur les terrasses des édifices afin de pouvoir cultiver quelques légumes… Les habitants ont aussi pu participer à des formations pour apprendre à rénover leur logement, des programmes pour la réinsertion, pour trouver un travail. J-M : « Dans tous ces programmes, il y a un point qu’il faudrait améliorer, c’est la durabilité de tous ces projets, parce que au début ça commence fort, puis on a l’appui et les ressources de toutes les institutions pour organiser des ateliers, des formations, des activités…
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Mais ensuite le projet se termine et ces programmes de l’Etat disparaissent un par un et on se retrouve seuls sur le terrain pour poursuivre le travail engagé. » Au sujet des habitants : J-M : « D’abord il faut considérer que tous ces gens, en tant qu’individu ou communauté, ont une histoire qu’il faut parvenir à transformer, et que ce n’est pas en trois ans qu’on arrive à cette transformation, on arrive et on laisse des traces dans la vie des personnes, de la communauté, mais si il n’y a pas un accompagnement permanent, c’est bien difficile de changer les dynamiques en place… » « On utilisait beaucoup ce jeu de construction, tu sais, où on empile des éléments de bois les uns sur les autres et il faut les retirer chacun son tour puis les remettre au dessus sans faire s’écrouler l’édifice [jenga], alors on travaillait avec eux pour expliquer qu’on construit un édifice ou une communauté de la même façon : une mauvaise décision de l’un des voisins ou d’une famille, engendre des problèmes pour l’ensemble de la communauté, alors il faut savoir communiquer, se concerter, être solidaires… toutes ces valeurs… » A la fin du projet l’association « Brochazos de amor » est venue de Bogota repeindre les façades, même si ce n’est que « peindre sur la pauvreté » au final ce fût l’occasion de faire venir des groupes d’étudiants pour les former et qu’ils aident à repeindre toutes les façades avec les familles. Il a aussi été défini un lieu où nous avons rassemblé tous les gravats issus de la démolition pour trier ce qui pouvait être récupéré (briques, menuiseries, etc…) J-M : « Et partant de ce modèle du projet pilote de la quebrada Juan Bobo, on part travailler sur d’autres territoires, la partie supérieure de cette même quebrada Juan Bobo, quebrada La Herrera… » 158
Fred : « En quoi l’expérience de Juan Bobo vous aide pour monter les nouveaux projets ? » J-M : « ça nous donne un point de référence, puis à ça nous donne aussi de la crédibilité, tu sais avant les gens ne voulait pas nous croire quand on arrivait pour proposer. Maintenant on peut dire « Si, c’est possible ! » » J-M : « Quand on était en train de travailler sur le projet de La Herrera, il y a eu un glissement de terrain un peu plus haut à cause d’infiltrations d’eau, 24 maisons ont été emportées mais heureusement il n’y eu aucune victimes, tout le monde a pu sortir avant que la terre ne cèdent. Nous avons du agrandir un peu la zone d’intervention pour prendre en compte les familles sinistrées. » Précisions d’ordre technique : La surface minimum pouvant être légalisée et donner droit à un titre de propriété était de 35 m². Toutes les maisons plus petites ont donc été agrandies jusqu’à atteindre ce minimum (souvent en ajoutant un niveau). D’autre part toutes les maisons rénovées ont été mises aux normes sismiques, de ventilation et d’illumination. La norme impose que les édifices ne dépassent pas 5 étages ou 15 m de haut à compter du point d’accès à la rue, pour construire plus d’étages il a été résolu dans le projet d’installer l’édifice dans la pente de manière à y accéder à mi-hauteur et pouvoir construire plus d’étages sans dépasser la norme. Pour ce qui est de l’espace public, l’accent était mis sur la fluidité des espaces, qu’il ne reste aucun cul-de-sac ou passages étroits, pour éviter la délinquance. C’était une demande des familles. Les zones définies comme instables ou « de alto riesgo » ont été consolidées et ne reçoivent plus aucune construction, ce sont des espaces verts où des espaces de récréation au sein de la quebrada. Fred : « Et vous à la EDU, comment vous répartissez-vous le travail au sein de l’équipe ? » 159
J-M : « Moi je suis travailleur social, j’ai reçu une formation en sociologie et en anthropologie. Alors pour chaque territoire on désigne une équipe avec une composante technique et une composante sociale, donc on va sur le terrain avec un architecte et un ingénieur et on fait les réunions ensemble pour bien se compléter sur tous les sujets. Nous avons été présent sur chacune des étapes : l’avant, la planification, l’exécution, puis l’après, sensibiliser, se concerter, éduquer. » Fred : « Et ici à Medellin, vous en temps que professionnels vous aviez déjà eu une expérience similaire sur d’autres projets ou vous vous êtes lancé dans ce projet directement sans forcément avoir d’expérience préalable sur la gestion ou l’organisation ? » J-M : « Pour moi c’était la première fois, j’avais déjà travaillé dans un projet de régularisation, de planification… Mais on n’était pas arrivé à cette étape de détails, de l’exécution… Vraiment on ne savait pas qu’on arriverait jusqu’à la phase l’exécution. Et je pense que bonne partie de mes collègues on vécu cette expérience également pour la première fois. » Fred : « Et maintenant, est-ce que vous essayez d’aider pour que ce que ce modèle puisse être répliqué ? » J-M : « Oui, nous avec cette expérience on passe à d’autres territoires et on tente d’appliquer les mêmes méthodes. Puis il y a d’autres gens qui arrivent dans les projets et on leur transmet ce qu’on a pu apprendre. » Au sujet du Prix de Dubaï : Travail de systématisation, de reformulation. Catégorie Droits de l’homme et logement Je fais part de mes impressions sur ce projet. Il me semble que c’est une posture courageuse dans le contexte actuel et qu’il ouvre beaucoup de possibles quant à la gestion des politiques publiques de construction de logement social et de consolidation de quartiers informels. 160
Je me demande quel retentissement ce projet peut avoir à niveau national, pour conduire des interventions similaires. J-M me dit que malheureusement il y a bien peu d’intérêt de la part des politiques pour répliquer et améliorer ce genre de projets, et pourtant dans un pays andin comme la Colombie avec tant de régions montagneuses et tant de barrios informales on pourrait faire beaucoup avec un tel modèle d’intervention. Notre entretien se termine dictaphone éteint sur les changements politiques et la difficulté de trouver une continuité dans les actions mises en place.
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RETRANSCRIPTION PARCOURS ZONA NORORIENTAL - QUEBRADAS JUAN BOBO ET LA HERRERA
(Enregistrement, retranscription et traduction : Frédérique Jonnard) Avec : Juan Sebastian Bustamante Fernandez, urbaniste, équipe EDU PUI nororiental Francesco Orsini, Ingénieur, Coordinateur du projet « Proyecto piloto de consolidacion habitacional y recuperación ambiental de la quebrada Juan Bobo » Date : Jeudi 7 octobre 2010 Durée : 4h30 – 5h Enregistrement : dictaphone + notes Parcours : Voir carte dans le repère «Parcours dans la quebrada Juan Bobo» RDV à 11h à la station de métro Acevedo (connexion entre le Metro et le Metrocable) avec Juan Sebastian y Francesco Station Acevedo Voyage en metrocable au dessus des comunas 1 et 2 jusqu’à arriver à la station Popular Nous descendons vers la quebrada La Herrera par la rue qui passe sur la crête entre deux versants, bien souvent ces rues sont les mieux organisées, plus régulières et entretenues, tandis que le tissu se dégrade plus on descend vers le fond de la quebrada. La Herrera Nous arrivons au site du projet en cours de réalisation de La Herrera, ce projet, consécutif à celui de la quebrada Juan Bobo, prétend suivre le modèle d’intervention qui a été mis en place lors du projet pilote. Francesco nous décrit qu’à cet endroit tous les « ranchos » qui s’effondraient avec les inondations ont été évacués et la première intervention a été la contention de tous les terrains instables tout comme dans le projet pilote. Mais, très vite, nous notons plusieurs différences assez nettes : Les blocs de logement sont très hauts (jusqu’à 7 étages, coût moyen d’un logement : entre 8000 et 10000$, 42m² en moyenne) et concen162
trés à une certaine hauteur de la quebrada, là où le pont entre Andalucia y La Francia a été réalisé il y a quelques années afin de relier ces deux quartiers et de mettre fin à certains conflits qui s’alimentaient de la difficulté de passage d’un côté à l’autre du cours d’eau. Il nous semble positif que les logements soient liés à ce passage stratégique dans l’articulation des projets. Cependant, il est regrettable que les blocs soient ainsi concentrés, comme un pic de densité à cette endroit car l’effet recherché dans le projet pilote de Juan Bobo était, au contraire, la dissémination de ces volumes tout au long des courbes de niveaux afin de solutionner ponctuellement les déficits en logement, ne pas dénaturer le paysage construit qui épouse le relief par des constructions ponctuelles trop émergentes, et surtout faire en sorte que le terrain délivré par chaque édifice (en moyenne 12 logements par bloc, ce qui suppose l’évacuation et le remplacement d’au moins 10 ranchos précaires au sol) soit rendu à la communauté sous forme d’espace public ou d’équipement… Car c’est bien là le défi de ces projets : comment s’implanter pour libérer un maximum d’espace et consolider le barrio efficacement tout en respectant l’échelle et les modes de vies implantés dans le lieu. Visiblement cet équilibre est loin d’être atteint dans ce cas précis de La Herrera. La topographie n’aide pas car les versants de cette quebrada sont particulièrement abruptes et rendent l’implantation délicate et coûteuse. Les conditions naturelles du site paraissent cette fois l’avoir emporté sur la qualité urbanistique de l’ensemble, néanmoins toutes les personnes exposées au risque vont être relogées très prochainement, et ce dans le même quartier. Francesco nous explique qu’en general, l’arrivée de ces nouvelles infrastructures dans le quartier fait monter les prix du sol et il est fréquent que les gens qui occupent la quebrada vendent alors leur terrain pour partir s’installer dans un autre « rancho ». Pour éviter que cet effet indésirable ne désagrège le tissu social préexistant et donne lieu à la gentrification plutôt qu’à l’amélioration de la qualité de vie du groupe visé, les équipes du projet ont recours à la congélation de toutes les constructions et mouvements migratoires dans la zone à intervenir. Il s’établit un registre de tous les habitants, leurs liens familiaux et la surface de terrain qu’ils occupent, et sur cette base commence la conception du projet. Les familles bénéficiaires du projet s’engagent par écrit à habiter leur nouveau logement pour minimum 5 ans après qu’il leur ait été remis. 163
Bien sûr, souligne Francesco, il est compliqué de contrôler à posteriori l’application de cette clause et certains logement feront certainement l’objet de baux informels mais globalement cette mesure permet d’instaurer une certaine stabilité autour du projet et pouvoir mettre en place d’autres programmes sociaux dans la durée (formation, aide à l’emploi, animation…). L’autre différence majeure avec le projet de Juan Bobo est que l’unique action réalisée sur la quebrada La Herrera est le relogement de tous les habitants dans des édifices neufs tandis que dans la quebrada Juan Bobo toutes les maisons qui ont pu être sauvegardées car elles avaient une structure valide ou améliorable ont fait l’objet d’un traitement spécial, pour assurer leur stabilité et les densifier autant que possible (construction d’un étage, ou d’une extention). Cette intervention intermédiaire qui porte sur le logement préexistant elle fondamentale car elle donne une valeur au tissu en place, elle incite le voisinage à améliorer également son entourage propre et évite de déraciner une nouvelle fois des familles dont l’implantation ne représente pas un risque, ni un obstacle à la mise en place du projet. Les quebradas et leur géographie, leur profondeur, la variation potentielle de leur cours, conditionnent de manière déterminante l’occupation qui en est faite. On constate par exemple que La Herrera est très abrupte et profonde et que les « ranchos » construits sur ses pentes s’orientent vers la crête et non vers le fond, les points de traversée possible sont quasi-inexistants et la quebrada agit alors comme une césure dans le tissu, une facture dans le territoire, c’est le lieu souillé et associé au danger, c’est là que sont rejetées toutes les eaux usées et les déchets. Il est fréquent que cette division géographique corresponde aussi aux conflits sociaux entre deux groupes de quartiers différents. La quebrada prend alors la dimension de frontière dont les points d’accès sont contrôlés et administrés par le groupe au pouvoir, elle devient un obstacle naturel mis à profit pour contrôler le territoire, nuire à la libre circulation de chacun. Avant le projet, les maisons proches des ponts et des passages étaient celles qui étaient envahies par les bandes, et le travail de médiation pour désamorcer ces rapports de force à commencé dès l’implantation du Metrocable en 2006 afin que les habitants de tous quartiers puissent converger vers ce moyen de transport pour se rendre rapidement en ville. D’un autre côté, la quebrada Juan Bobo présente un profil plus ouvert aux versants moins prononcés qui se prête plus à la construction et à la formation d’une petite ville dans la ville, une entité qui prend pour paysage intérieur l’ouverture de cette dépression et pour direction le 164
cours d’eau qui descend vers le fleuve. C’est pour cette raison que même si l’état des constructions dans la quebrada Juan Bobo avant projet était déplorables et le cours d’eau extrêmement dégradé, il a été plus évident, au moment d’identifier les sites de projets potentiels, d’entrevoir d’une cohérence d’ensemble et de placer la quebrada au cœur du projet comme une épine dorsale à laquelle mènent toutes les sentes et les passages. Selon Juan Sebastian il est capital, malgré la géographie plus difficile de La Herrera de trouver des manières de rendre la rive de la quebrada accessible et aménagée en espace public car il pense que sinon le cours d’eau sera toujours aussi négligé. L’expérience de Juan Bobo en est la preuve, puisque la quebrada a été prise comme articulation centrale de tout le projet et que les logements ont été consolidés et densifiés sur ses rives, le rapport au cours d’eau s’en est trouvé totalement renversé, il n’était plus question que ce lieu reste tel qu’il avait été tant d’année, malodorant et peuplé de rats qui trouvaient dans les déchets leur alimentation. Un collecteur d’eau usées a été installé afin de ne plus tout rejeter à la quebrada, et il a fallu prendre des mesures strictes afin que personne n’y jette ses déchets comme avant. Du fait que toutes les maisons donnent sur la quebrada il y a une sorte de contrôle collectif permanent qui s’opère, la qualité de l’eau a donc changé de manière drastique, beaucoup moins d’odeurs et de déchets. Pourra-t-il en être de même pour la quebrada La Herrera si ses rives restent en friche et que les maisons lui tournent le dos ? Juan Bobo Nous continuons à descendre le quartier vers l’entrée à la quebrada Juan Bobo, nous traversons la calle 107. Cette rue qui est comme l’épine dorsale du quartier, et au dessus de laquelle transite le metrocable, a fait l’objet de modification importante dans le cadre du PUI de la Nororiental. Les trottoirs ont été élargis, permettant aux commerces de fleurir en RDC des logements (+400% d’activité commerciale sur cet axe). [...] (transcription partielle) Impressions auditives : oiseaux, eau courante, cumbia, salsa, reggaetton, vallenato, perros, saludos, enfants, motos, klaxon, hélicoptère, bruits de chantier (La Herrera) 165
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URBANISME | HISTOIRE PROCESSUS URBAINS INFORMELS A MEDELLIN
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EVOLUCIÓN HISTORICA
Años 50
ños 50
Primeros asentamientos dispersos Primeros asentamientos dispersos
Convenciones Estaciones Metrocable Eje Metrocable
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ZONE NORORIENTAL DE MEDELLIN DANS LES ANNÉES 50 - SOURCE: EDU
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Convenciones
HISTORIQUE DU PROCESSUS DE PEUPLEMENT DE LA ZONE NORORIENTAL ANNEES 40 - 50
Entre les années 40 et 50 commence l’implantation des premiers barrios à la périphérie de la ville (aujourd’hui comunas 1 et 2). A cette époque, la ville avait pour limite les quartiers Berlin, San Isidro et Aranjuez, produits d’une lotisation planifiée dont le développement formel délimitait la ville sur son flanc nord-est. Cette première étape se caractérise par l’établissement d’un quartier tout au long de la carrera 52 Carabobo, la seule voie préexistante dans la zone. Plus au nord, les autres barrios sont comme des fragments indépendants et séparés par la structure géographique de la zone. Les quebradas rendent délicate la liaison d’une rive à l’autre (voir illustration ci-contre). Les quartiers les plus proches du fleuve présentent un tracé géométrique qui indique qu’ils furent édifiés en respectant un effort de planification par îlots dont les tracés varient légèrement selon les exigences de la topographie. _
1. Finca: désigne dans ce cas une ferme et l’ensemble de ses parcelles cultivables
Cependant, toute cette zone ne comportait aucun équipement collectif et les rues étaient en grande majorité des sentiers piétons. Ces nouveaux quartiers étaient de type informel et issus de la lotisation et vente illégale de certaines fincas1 privées. Le procédé d’édification prédominant fût l’auto-construction. REPERES
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AñosEVOLUCIÓN 70 HISTORICA
Años 70
Fase de ocupación suelo residual Fase de ocupación del suelodelresidual
Convenciones Estaciones Metrocable Eje Metrocable
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ZONE NORORIENTAL DE MEDELLIN DANS LES ANNÉES 70 - SOURCE: EDU
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Convenciones
ANNEES 60 - 70
Dans les années 60, la zone subit de nouvelles transformations avec l’apparition de nouveaux migrants qui commencent à occuper l’espace libre. Entre les quartiers Andalucia et Santa Cruz ont été fondés Villa Niza et Villa del Socorro, avec un tracé distinct aux antérieurs car ils correspondaient à une intervention publique d’urbanisation formelle afin de compenser le déficit en logement social de la ville (en gris sur le schéma ci-contre). A cette même époque, les hauteurs commencent également a être envahies et les barrios de Granizal, Popular et Santo Domingo Savio se forment progressivement. Ces barrios n´avaient alors aucune voie d’accès à part quelques chemins ouverts afin d’y parvenir, d’où l’appropriation de l’espace irrégulière de ces invasions que ni permet pas la formation d’îlots (manzanas) réguliers comme dans les barrios planifiés précédents mais aboutit sur un tracé réticulaire. De là, ces zones n’ont pas cessé de se densifier. Dans les années 70, il restait bien peu d’espaces libres, les uniques zones inoccupées étant le fond des quebradas pour le risque que cela suppose. La zone nororiental était un secteur bien défini, on distinguait aisément la différence entre les quartiers de la partie basse, aujourd’hui comuna 2, qui ont été plus organisés et planifiés, et la partie haute, aujourd’hui comuna 1, formée par les invasions successives. Malgré les difficultés du terrain, la ville parvient à tracer et équiper quelques voies franchissant les quebradas afin de connecter ces quartiers entre eux (portions de route en bleu sur le schéma ci-contre). REPERES
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Años 90 EVOLUCIÓN HISTORICA
Años 90
Fase de consolidación Fase de consolidación
Convenciones Estaciones Metrocable Eje Metrocable
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ZONE NORORIENTAL DE MEDELLIN DANS LES ANNÉES 90 - SOURCE: EDU
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Convenciones
ANNEES 80 - 90
La densité de population augmente rapidement, ainsi que la taille des édifices qui s’étendent alors en superficie et en hauteur. L’espace libre diminue suite aux invasions continues, principalement tout au long des quebradas La Herrera et Juan Bobo. Dans les années 80, le secteur atteint un niveau de consolidation important dans tous ses secteurs. Les constructions se poursuivent ainsi que le niveau de définition des tracés urbains. Les espaces verts à l’intérieur des îlots disparaissent peu a peu et les quebradas sont complètement envahies. C’est alors que les quartiers d’origines et de caractéristiques différentes commencent a se lire comme une seule et même agglomération, aux limites diffuses, partitionnée par les quebradas. Dans les quartiers hauts comme El Popular, les sentiers piétons se transforment en rues mieux définies. L’intervention de l’Etat par le passé a été rare et la présence des forces publiques insuffisante, laissant la sécurité de ces quartiers se dégrader dramatiquement, surtout dans les années 8090 durant lesquelles la crise sociale touche a sa pire expression, avec la présence de bandes armées, milices et groupes d’autodéfense en conflit mutuel. ANNEES 2000
Dans ces premières années du XXIème siècle, la zone est en grande partie équipée de rues asphaltées, d’éclairage urbain et d’équipements publics. C’est le début d’un processus de formalisation généralisée qui se poursuit jusqu’aujourd’hui. Bien que la zone soit consolidée dans sa totalité, elle reste très marginale et d’un faible niveau de qualité de vie, et il n’existe pas de connexion viaire efficace entre les barrios séparés par des quebradas. REPERES
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HISTOIRE | SOCIOLOGIE PAYSAGES DE LA PEUR
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FRESQUE EN HOMMAGE AUX VICTIMES DE LA COMUNA 1 - SANTO DOMINGO SAVIO - MEDELLIN - PHOTO F.J.
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PAYSAGES DE LA PEUR _
1. Sorin Jaime, Medellín : ville panoptique et maffieuse, Article publié le 12 juillet 2006 sur le site http://risal.collectifs.net 2. Villa Martinez Marta Ines, «Medellin: de aldea a metropoli. Una mirada al siglo XX desde el espacio urbano.» in Historia de la ciudades o historia de Medellin como ciudad, Moncada Cardona Ramon (coord.)
DESESPOIR ET MOTIVATIONS POUR LE CHANGEMENT
Jusqu’à il y a peu de temps encore, l’image de la Colombie vue de l’extérieur était celle d’un pays chaotique dont les villes étaient décrites comme le lieu de la confrontation entre les bandes de sicarios qui exerçait le contrôle territorial sur la majeure partie de celles-ci.1 Les images des paysages urbains étaient dominées par la marginalité des périphéries (voir le film Rosario Tijeras par exemple) et le conflit urbain accaparait l’attention. « La ville a vécu un intense processus de segmentation, segregacion d’une certaine manière, négation de la ville. Une practique simple et quotidienne jusque dans les année 70, telle que parcourir la ville, aller d’un quartier à l’autre ou sortir se promener dans les parages, prit la connotation d’une activité à haut risque» 2 Un nombre croissant de zones de la ville commencèrent à faire l’objet de disputes entre les divers acteurs armés qui firent du contrôle des territoires non seulement une stratégie mais un symbole de la guerre qui se livrait alors: les batailles et les nouveaux acteurs en jeu pouvaient aisément se percevoir au travers de la lecture du territoire. Par conséquent, les lieux considérés comme «dangeureux» se sont multipliés, marqué par la mort et générateurs de peur. L’image et la vivacité de la ville se reduisirent considérablement.
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1. Flores Ballesteros Luis, La guerra contra las drogas y el verdadero aprendizaje del Milagro de Medellín, publié le 26 mai 2010 sur le site http://54pesos.org 2. Villa Martinez Marta Ines, «Medellin: de aldea a metropoli. Una mirada al siglo XX desde el espacio urbano.» in Historia de la ciudades o historia de Medellin como ciudad, Moncada Cardona Ramon (coord.)
POLITIQUES URBAINES ET MEDIATISATION
Mais il existe en définitive bien des manières de regarder le paysage, simultanées, différentes et qui entrent même parfois en compétition… Ce regard rend compte du jeu complexe et changeant des relations de pouvoir, des diverses identités sociales, et se trouve même bien souvent influencé par des facteurs tels que l’esthétique dominante dans un endroit donné à un moment donné. C’est ainsi qu’aujourd’hui il n’est plus tant question de la violence à Medellin à l’heure où la Bienal Ibéro américaine d’Urbanisme et d’Architecture célèbre les projets réalisés dans la ville qui ont eu une diffusion assez importante sur la scène internationale. En l’occurence, les dernières administration à l’oeuvre à Medellin ont fait preuve d’une démonstrativité qualifiée de «miraculeuse»1 par beaucoup aux vues de l’ampleur des projets mis en place et des quartiers intervenus. Stratégies en marche depuis plusieurs années pour «la defense de la bonne image de la ville et la construction de grandes oeuvres d’infrastructure urbaine. La première [stratégie] étant destinée à minorer les impacts négatifs de la violence et exalter, sur la scène nationale et internationale tous les aspects positifs de la ville.(...) La seconde reprenant une notion de progrès basée sur la construction de grandes infrastructures comme réponse à la crise sociale.» 2
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URBANISME | HISTOIRE LE PLAN URBAIN DE 1950 PAR WIENER ET SERT
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EXTRAIT DU PLAN URBAIN POUR MEDELLIN, SERT J. LL., TYRWHITT J., ROGERS E. (ED.), «EL CORAZON DE LA CIUDAD: POR UNA VIDA MAS HUMANA DE LA COMUNIDAD», HOEPLI S.I., BARCELONA 1955, P 149
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LE PLAN URBAIN WIENER ET SERT - 1950
Les deux urbanistes Paul Lester Wiener et José Luis Sert engagés en 1948 pour proposer un plan pilote pour l’agglomération de Medellin furent surpris de voir que le modèle du damier colonial persistait dans la ville malgré sa topographie. Ils établirent un Plan de développement pour la ville qui ne sera pas appliqué par la suite. Ils furent parmi les premiers, alors que la ville etait en pleine croissance démographique, à mettre en valeur les quebradas comme des continuités à préserver comme un réseau d’espaces verts dans la ville. Le système de parcs linéaires que l’on lit sur le plan ci-contre s’inscrit dans la géographie qui préexiste, et visait à installer la ville dans une position durable, fixant dès lors les axes de developpement ainsi que les principaux vides structurants de l’extension de la ville. Ils relevèrent également la forte érosion sur les pentes ainsi que l’importance de l’axe du fleuve pour déservir la ville.
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METHODOLOGIE | SOCIOLOGIE PARCOURS AUTOUR DE LA QUEBRADA JUAN BOBO
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EN ORANGE: L’ENSEMBLE DES ZONES PARCOURUES A PIED DANS LA PARTIE NORORIENTAL DE MEDELLIN POUR RÉALISER CETTE ÉTUDE FOND DE CARTE: EDU
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PARCOURS DANS LA ZONE NORORIENTAL DE MEDELLIN
Entre avril 2010 et janvier 2011 je me suis rendue environ une trentaine de fois sur le site de la quebrada Juan Bobo et les quartiers qui l’entoure (voir zone parcourue sur la carte ci-contre). J’ai enregistré ces parcours avec un dictaphone afin d’avoir un registre précis des impressions auditives, de l’ambiance du quartier, des rencontres faites, des discutions et des commentaires. Parfois j’ai pu être accompagnée de personnes qui connaissaient un ou plusieurs aspects de la zone et qui ont su m’éclairer, chacun depuis leur discipline ou leur vécu, sur les dynamiques de ce territoire. Nombre de leurs propos sont rapportés, avec leur accord, dans ce mémoire: - L., Habitante de la quebrada Juan Bobo, leader très impliquée dans la réalisation du projet, - N., Habitante de la quebrada Juan Bobo, - Juan Sebastian Bustamante, architecte, équipe EDU du PUI nororiental, natif de Medellin - J-M., Travailleur social de la EDU Empresa de Desarrollo Urbano sur le proyecto de consolidación habitacional de la quebrada Juan Bobo, - Francesco Orsini, ingénieur, coordinateur du Proyecto de consolidación habitacional de la quebrada Juan Bobo au sein de la EDU Empresa de Desarrollo Urbano, - Carlos Alberto Montoya Correa, de la Gerencia Auxiliar de Gestión Urbana y Vivienda, EDU - Oscar Santana, équipe EDU du PUI nororiental, - Charline Lalanne, qui a étudié de très près le projet du parc-bibliothèque de Santo Domingo. REPERES
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LES CANARIS, VIERGES ET PLANTES SUR LES TERRASSES DE LA QUE- BRADA JUAN BOBO RAPPELENT LES COUTUMES RURALES - PHOTOS: FJ
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SUPERPOSITION DES MAISONS SUR LES VERSANTS DE LA QUEBRADA JUAN BOBO - PHOTO: EDUARDO ZAMBRANO
LA MEMOIRE CONTENUE DANS LES FORMES CONSTRUITES
Au fil des parcours dans les barrios on perçoit une ambiance particulière et le regard apprend peu à peu à reconnaître les éléments récurrents et leur provenance... Les canaris et les oiseux exotiques des Caraïbes dans des cages sur les terrasses Les plantes cultivées dans des pots suspendus aux toits Le linge étendu sur les rembardes et les terrasses Les fresques qui évoquent les paysages ruraux Les poules et les coqs en liberté dans la quebrada comme dans un coral Les enfants qui jouent dehors, sur les terrasses et les escaliers La musique des radios (vallenato, reggeaton, salsa...) qui s’entend depuis la rue Les cultures vivrières dans les rares cours intérieures (yuca, café, plátano y maíz) Les arbres frutiers (limón, naranja, mango, guamos, papaya, pomas, aguacates) L. : « Là où tu vois le premier édifice en réalité c’était très différent, c’était un peu comme une finca [maison rurale traditionnelle souvent associée à quelques terres], il y avait ma maison et celle de ma grand-mère et beaucoup d’arbres fruitiers : mangue, orange, goyave.,. C’est pour ça qu’on a baptisé cet édifice « Los Frutales ». Certains habitants qui ont un peu de terrain disponible élèvent même parfois des coqs pour la «pelea de gallos» pratique extrêmement courante dans le milieu rural. Les portes restent ouvertes jusqu’au soir (voir photo ci-contre). Face à une telle profusion d’images qui génèrent l’esprit du lieu et la personnalité de la ville, il est dérisoire de vouloir contenir les seules nécessités architecturales dans ce qu’il est convenu d’appeler un « projet urbain » mais celui-ci peut révéler certaines qualités et contribuer à consolider le caractère de la ville et du lieu. REPERES
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ART | ANTHROPOLOGIE L’ART ET LA MARGE: UNE ARCHEOLOGIE DU QUOTIDIEN
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TROMPE L’OEIL SUR DES EDIFICES DU CENTRE - FREDY SERNA - MEDELLIN - ESTACION METRO SAN ANTONIO - OCTOBRE 2010
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1. Echeverri Alejandro, Biennale Ibéro-américaine d’urbanisme, Conférence du 14 octobre 2010 2. Echeverri Arango Natalia, Expresiones estéticas del habitat dentro de una comunidad barrial en transformacion. La piel del Morro., 2007,CEHAP Escuela del Habitat - Universidad Nacional de Colombia 3. Voir article de Frida Bergstern assez representatif à ce sujet: http:// www.elcolombiano.com/ BancoConocimiento/S/ suramericanos_con_mirada_sueca/suramericanos_con_mirada_sueca. asp (en espagnol)
L’ART ET LA MARGE, UNE ARCHEOLOGIE DU QUOTIDIEN
A Medellin, aussi appellée «capitale de la montagne», ceux qui vivent en haut regardent ceux qui vivent en bas et vice et versa. De nos jours las comunas sont une part inséparable de la ville, elles se sont transformées, au fur et à mesure de l’expansion de la ville en un élément constitutif de la structure même de l’agglomération. Les projets urbains récents s’appuient sur leur situation géographique singulière pour se mettre en valeur et former des points de convergence dans les quartiers les plus démunis. Il s’agit de «donner de la visibilité à ces quartiers, les faire exister»1. Aujourd’hui à Medellin on parle des barrios pour les projets qui s’y réalisent, voulus comme des emblèmes dans la ville. Si l’amélioration de la liaison entre les quartiers informels et la ville a permis de réduire considérablement l’isolement de ces territoires, elle a également permis d’attirer vers ces lieux hier craints et méconnus les habitants des autres quartiers et les touristes. A ce propos il est intéressant de voir la réaction des personnes étrangères venues lors d’évènements internationaux3. Mais la forme n’est pas un critère suffisant pour définir les territoires qui nous interessent ici. Les réseaux de la ville informelle font grandir la ville, leur présence est indéniable et la ville doit cesser de se concevoir dans la dualité et trouver un entre-deux, une intégration possible pour les cultures issues de l’immigration, des espaces de partage. Ci-contre une fresque de Fredy Serna visible depuis le métro rapporte soudainement au premier plan cette «toile de fond» que sont les barrios de Medellin et semble demander ce rapprochement, cette fusion. REPERES
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MAISON DU BARRIO SANTO DOMINGO - PH: CESAR SALAZAR H.
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«ESPINA DORSAL» - JUAN F. HERRAN - INSTALLATION EN BOIS - MUSEO DE ANTIOQUIA - MEDELLIN - OCT 2010 - PHOTO F.J.
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1. L’installation ci-contre fait reference au dedale d’escaliers et de passerelles qui caracterisent les quartiers informels bien souvent agrippés aux pentes les plus raides. «De tout labirynthe on sort par le haut» (dicton argentin) semble dire cette oeuvre qui s’echappe par le haut du patio de l’institution (Museo de antioquia Medellin). 2. Villar Catalina, Diarios de Medellin, film documentaire 75 min, JBA productions, 1998
A Medellin on note que «peu d’espace est laissé à l’expressions des cultures locales2». L’empressement mène à réaliser des équipements type bibliothèque ou musée, où l’outil le plus prisé est internet mais il est difficile d’y percevoir la diversité des cultures locales. Les comunas ont introduit à Medellin des modes de vie et des comportements, une culture populaire produit de l’acculturation d’une population essentiellement rurale, de la formation progressive de références nées de la fusion de l’urbain avec le passé rural. Las comunas sont le lieu de l’informel, le lieu où habitent des milliers de vendeurs ambulants qui chaque jours offrent dans la rue leurs marchandises où leur services. Ce que certains artistes ou pédagogues cherchent à Medellin c’est à révéler la quantité de savoirs présente dans ces quartiers. Valoriser ce qui existe, le donner à connaître passe par la question de l’Art, de la représentation, des pratiques culturelles. Parmi ces processus de représentation, on citera les travaux de Ruben Dario, sujet du documentaire «Diarios de Medellin»2, à Santo Domingo Savio, quartier de Medellin de la zone nororiental où des professeurs se sont interrogés sur la fonction que pouvait avoir une école dans un quartier où la violence atteint des niveaux irrationnels et s’accompagne d’une perte progressive des valeurs. Ruben Dario va alors proposer à ses élèves d’écrire leur journal intime et d’y retranscrire toute leur histoire, personnelle et familiale. Cette recherche les conduit à questionner leur familles, à trouver un fil conducteur, dans l’écriture, la mémoire, pour exister et pouvoir se projeter dans l’avenir. D’autre part, on retiendra les recherches de Natalia Echeverri Arango sur le barrio de Moravia, construit sur une ancienne décharge et la réutilisation des éléments reclyclés dans l’architecture du quartier. REPERES
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POLITIQUE | URBANISME LES PUI ET LE PROJET DE VILLE «MEDELLIN , LA MAS EDUCADA»
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ZONE NORORIENTAL
ZONE DE PLUS FAIBLE IDH DE MEDELLIN COMUNAS 1 ET 2
QUEBRADA JUAN BOBO
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IDH MOYEN MEDELLIN 74.39% INDICES %
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CARTE DE L’INDICE DE DEVELOPPEMENT HUMAIN (IDH) A MEDELLIN EN 2001 - SOURCE: ALCALDIA DE MEDELLIN
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LE PROJET DE VILLE «MEDELLIN, LA MAS EDUCADA» 1 2004-2007 LA RECHERCHE D’UNE FORME EFFICIENTE D’INTÉGRATION POUR LES BARRIOS
Medellin a cette forme qui fait que personne ne peut oublier ni la présence de l’habitat informel sur les pentes de la vallée, ni l’étendue et la précarité de ces barrios. Pourtant ce sont des lieux souvenent ignoré, «el telon de fondo» [la toile de fond] de la ville. Comment faire exister ces lieux? Comment les intégrer au projet de ville? Ce sont les questions posées par l’administration Fajardo (2004-2008) à son arrivée au pouvoir dans la ville de Medellin, prenant pour objectif la lutte contre les inégalités.
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1. «Medellin la mieux éduquée»
Il a donc été décidé (Plan de desarrollo 2004-2008) de localiser les principales interventions sur les zones de plus faible IDH de la ville (voir carte ci-contre). En choisissant d’édifier ces projets symboliques dans des quartiers marginaux, il s’agit non seulement de rompre leur isolement mais également d’amener les habitants des zones les plus favorisées à connaître, reconnaître ces lieux qui les entourent et leur potentiel. LE METRO ET LE METROCABLE - ACCESSIBILITÉ ET TRANSPORT, FACE AU RELIEF
En 2004, a été inauguré sur le versant nord-est de Medellin un nouveau système de transport téléphérique, dénommé Metrocable, relié au système de transport métropolitain de la vallée d’Aburra. Ce dispositif est l’un des premiers, à l’échelle de l’Amérique Latine, qui ait réussi à s’adapter à la fois aux conditions topographiques du site et à la structure urbaine d’une des plus grandes zones de développement informel où se concentre environ 40 % de la population urbaine qui, jusque-là avait été tenue à l’écart de toute politique publique. REPERES
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BARRIO MORAVIA DEPUIS LA STATION DE METRO «CARIBE» - PHOTO F.J.
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METRO + METROCABLE DE MEDELLIN - SOURCE: METRO DE MEDELLIN
DEPUIS LA CABINE DU METROCABLE - LIGNE SAN JAVIER
METRO ET CENTRE SPORTIF - STATION «ESTADIO» - PHOTO F.J.
LES GRANDES INFRASTRUCTURES TISSENT DES LIENS ENTRE DES STRATES DE LA VILLE PARFOIS TRÈS INEGALES. L’AVÈNEMENT DU METRO (1995) ET DU METROCABLE (2004), A DONNÉ LIEU DANS LA VILLE, À UN CERTAIN NOMBRE DE RAPPROCHEMENTS IMPRESIONNANTS. CES PHOTOS PRISES AU FIL DE MES PARCOURS DANS LA VILLE ILLUSTRENT LA PROJECTION DU DÉVELOPPEMENT TECHNOLOGIQUE JUSQUE SUR DES ZONES PLONGÉES DANS UN GRAND DÉNUEMENT. PHOTOS: F.J.
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«NECESITAMOS UN CABLE, PERO A TIERRA»
Cette initiative n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans un programme qui tend aujourd’hui à être un véritable modèle d’intervention dans les quartiers informels : le Projet Urbain Intégral (PUI).
ALEJANDRO ECHEVERRI
LE PUI - PROJET URBAIN INTÉGRAL « PLANIFIER POUR NE PAS IMPROVISER »
«Les Projets Urbains Intégraux PUI, en particulier pour les secteurs les plus pauvres et violents de la ville ont été un instrument stratégique qui ont rendu possible le processus de rehabilitation de la ville qui est en cours. Ils font partie d’un ensemble de politiques et d’autres programmes réunis dans le modèle de l’Urbanisme Social qui s’appuie sur la réhabilitation physique comme moteur d’une transformation intégrale. METROCABLE - PHOTO F.J. _
1. Echeverri Alejandro, Urbanismo Social para las zonas más pobres y violentas, en busca de la sostenibilidad urbana y la equidad social de la ciudad de Medellín, document de travail, 2008 (traduit)
Le PUI combine de manière simultanée les programmes sociaux, la planification et la transformation physique des territoires. Il se délimite de manière précise, est exectué par étapes claires et compréhensibles pour les habitants. Il se focalise sur des territoires caractérisés par des indices élevés de marginalité, segregation, risque naturel, pauvreté et violence, tel que l’a été historiquement la zone nororiental de Medellin.»1 Le projet de la quebrada Juan Bobo s’inscrit dans la planification de la zone nororiental au travers du PUI nororiental dont l’aire d’influence s’étend sur 160 ha, 11 barrios et 230 000 habitants.
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POLITIQUE | URBANISME DE L’ERADICATION A L’INTEGRATION DE LA VILLE INFORMELLE
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«L’INSERTION DES INDIVIDUS DANS LA VILLE SE FERAIT SELON LE LIBRE JEU DES AFFINITES INDIVIDUELLES, L’IDEAL A ATTEINDRE ETANT UN EQUILIBRE ESPACE-TEMPS-RELATIONS»1
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1. Petonnet Colette, Espaces habités. Ethnologie des banlieues, Editions Galilée, 1982, p 17 2. López-Peláez Juanita , González Luis Fernando, « Marginalité et inclusion urbaine à Medellin (Colombie) : un regard historique à partir des instruments de planification », Autrepart, 2008/3, n°47, pp 187-207 3. Fajardo Sergio, Del miedo a la esperanza, Medellin, 2004 4. La Cecla Franco, Contre l’architecture, Editions Arléa, traduit de l’italien, 2010, p 92
DE L’ERADICATION A L’INTEGRATION DE LA VILLE INFORMELLE
Comme décrit précedemment, les quartiers informels à Medellin sont devenus une caractéristique importante de la ville à partir du début du siècle dernier. Bien que considérées comme des espaces marginaux, ils se sont normalement établis dans les zones dynamiques d’expansion urbaine, aussi proches que possible du marché du travail, des lieux d’emploi et de service. Bien souvent, pour les habitants de ces quartiers, le lieu de l’implantation importe davantage que la qualité du logement qu’ils occupent. Malgré l’importance du phénomène, il a fallu du temps pour que cette ville informelle en pleine expansion soit intégrée aux politiques urbaines, et même aux discours officiels, comme en témoigne l’étude de López-Peláez J. retraçant le glissement sémantique effectué entre les années 50 et aujourd’hui concernant « la représentation des secteurs populaires de la ville dans les discours publics » allant de « noyaux pirates » (nucleos piratas), « barrios sous-normaux » (barrios subnormales), « zones à haut risque » (zonas de alto riesgo), à « établissement à développement incomplet ou inédéquat » (26), jusqu’à devenir aujourd’hui le cheval de bataille des deux derniers maires (S. Fajardo, mandat 2004-20073 et A. Salazar, mandat actuel 20082011) avec «l’urbanisme social» (urbanismo social) dont les programmes se focalisent précisement sur la question de l’intégration et de la participation de ces quartiers dans un projet de ville qui tente de niveler les inégalités et les contrastes.
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«SOUS LE SLOGAN «LES SERVICES PUBLICS SONT UN DROIT FONDAMENTAL», LES HABITANTS DE LA COMUNA 3 DE MEDELLIN, SITUEE A L’EST DE LA VILLE ONT MANIFESTE LE 24 JUILLET CONTRE LA DECONNEXION DU SERVICE D’ELECTRICITE DE LA PART DES «ENTREPRISES PUBLIQUES DE MEDELLIN» (EPM) QUI A TOUCHÉ PLUS DE 300 FAMILLES DURANT PLUS D’UN MOIS» ARTICLE DU JOURNAL «EL TURBION» PARU LE 4 AOUT 2010 - PAR CARDOZO IVONNE - PHOTO: JOURNAL «EL TURBION»
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1. Soarez Gonçalves Rafael, «Le Droit, la politique et l’évolution des favelas à Rio de Janeiro. La précarité juridique du discours officiel», in Ville visible, ville invisible. La jeune recherche urbaine en Europe, Editions l’Harmattan, 2008 2. Constitucion politica de Colombia 1991, chapitre I, article 1, «Colombia es un Estado social de derecho, organizado en forma de República unitaria, descentralizada, con autonomía de sus entidades territoriales (...)» 3. Constitucion politica de Colombia 1991, chapitre II, article 51, «Todos los colombianos tienen derecho a una vivienda digna. El Estado fijará las condiciones necesarias para hacer efectivo este derecho (...)»
Comme dirait Franco La Cecla, on arrive à un point où «la périphérie menace le centre»4, et on ne peut pas persister à nommer marginaux ou informels tous ceux qui habitent dans des conditions de pauvreté ou en dehors d’une certaine norme urbaine, alors que la population vivant dans ces conditions est en passe de devenir majoritaire dans la ville et exerce un énorme poids. Implantés dans l’illégalité, la plupart de ces habitants luttent pour obtenir des pouvoirs publics l’assurance qu’ils ne seront pas délogés. La plus grande précarité juridique (urbaine et foncière) marque donc la différence fondamentale entre les quartiers informels et les autres types de logements populaires, et fait du concept de propriété un élément clef de la compréhension de leur structure sociale.1 Cette pression exercée par la périphérie constitue un véritable défi pour la ville contemporaine et toute nouvelle configuration urbaine exige des politiques d’intervention différentes. L’une des avancée majeure en Colombie, fut la promulgation des lois de décentralisation la nouvelle Constitution de 19912 visant à donner plus de compétence et d’autonomie à la municipalité, ce afin de doter le pays d’outils juridiques plus adaptés à sa réalité urbaine. Il importe donc de comprendre dans cette étude les mécanismes à l’oeuvre afin de résoudre cette contradiction de l’intervention des pouvoirs publics dans un contexte où ne s’appliquent ni les régimes de propriété ordinaire, ni les normes d’urbanisation, mais où il est reconnu le droit de tout citoyen à un logement digne et la responsabilité de l’Etat dans la défense de ce droit3. REPERES
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