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ENQUÊTE
APRÈS-COVID UNE MONTAGNE A (RE)DECOUVRIR
TEXTE : MARC WASSER
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Depuis mars 2020, la pandémie mondiale a bousculé profondément le secteur de l’économie de montagne. Dans ce contexte global très négatif, les résultats de l’activité touristique apparaissent contrastés selon les destinations et/ou secteurs d’activité. Certaines stations de moyenne montagne ont notamment tiré leur épingle du jeu, par leur agilité et une offre tournée vers le local. Une chercheuse espagnole, Francesca
Romagosa (2020) ose même qualifier la crise sanitaire de la COVID-19 “d’opportunité pour le tourisme durable et de proximité’’. Et si c’était vrai ?
UNE CRISE ÉCONOMIQUE CONTRASTÉE Il faut partir d’un constat clair. Selon le Rapport international 2021 sur le tourisme de neige et de montagne, « Si la saison de ski 2018/2019 s’était avérée comme la meilleure du millénaire, la propagation rapide de la COVID 19 a malheureusement fait des saisons 2019/20 et 2020/21 les pires du millénaire, à ce jour ». Cette saison atypique enregistre un recul très marqué de l’activité touristique. En moyenne, la perte d’activité des stations s’élève à -90%. Les taux d’occupation des hébergements s’affichent en recul de 39 points, les volumes de nuitées enregistrent, quant à elles, une baisse de -56%. Mais comme le souligne le président de l’ANMSM, Jean-Luc Boch : « ce sont les grosses stations qui ont perdu le plus ». D’ailleurs, ce sont les stations de sports d’hiver de basse altitude qui s’en sortent ‘‘mieux’’. Leur fréquentation a diminué de 40% par rapport à 2020, quand 60 % des visiteurs habituels ne sont pas venus à haute altitude. Globalement, les Pyrénées, les stations de charme et les hébergements loués par des particuliers ont connu de moins fortes baisses. Selon les chiffres d’Isère Attractivité, si les stations du Vercors et la Chartreuse ont vu leur fréquentation baisser de 20%, l’Oisans, qui attire d’habitude des touristes internationaux, fait face cette année à une perte de 60% de sa clientèle. Depuis le début de cette crise sanitaire, le vocabulaire s’est enrichi de nouveaux termes : confinement, gestes-barrières, distanciation sociale ou physique. Il s’agit d’une terminologie sanitaire nécessaire mais ô combien antinomique avec les pratiques touristiques dont le principe réside justement dans l’accueil, la convivialité et le rapprochement. Et c’est sur ces points que les stations de moyenne montagne ont pu jouer pour gagner en attractivité. Et lorsque celles-ci possédaient aussi des infrastructures de ski nordique, elles ont enregistré des chiffres en net hausse, à l’instar de la Feclaz-Savoie-Grand-Revard et ses +60% de chiffre d’affaires. Longtemps à l’ombre du ski de piste, le ski nordique a connu cette saison un engouement sans précédent, et un intérêt grandissant de la part du public en mal de grand air et adeptes de magnifiques paysages.
Dans la réserve des Hauts Plateaux du Vercors et au détour des sentiers de la forêt de Bois Barbu.
En face, le domaine de ski alpin Aillon-Margeriaz note un recul de 93% de son CA, mais un maintien assez fort de son taux de remplissage des hébergements pendant les vacances scolaires, largement au-dessus de la moyenne départementale pendant cette même période. Damien Grange, directeur de la SEM des Bauges : « On a pu ouvrir des itinéraires de raquette et de ski de randonnée qui empruntent en partie des pistes habituellement dédiées au ski de piste. La fréquentation a été record. Cela aurait pu profiter aux commerces de la station ou du village, s’ils avaient pu ouvrir… ».
LA COVID-19 : UN ACCÉLÉRATEUR DU DÉVELOPPEMENT LOCAL Car ce ne sont pas les initiatives qui ont été en recul cet hiver pour pallier à la fermeture des remontées mécaniques. Labyrinthe de neige, déambulation musicale, chiens de traineau, itinéraires de raquette ou de ski de randonnée, plateforme de click and collecte, fat-bike, filets suspendus, espaces bien-être, trottinette électrique, nuit insolite, airbag, tubbing, astronomie… Mais si ces activités ne s’inscrivent pas dans un schéma global de développement, elles ne resteront qu’un palliatif ponctuel. Il s’agit aujourd’hui de redéfinir le projet de territoire et d’utiliser la crise comme un accélérateur. Historiquement, la construction des stations avait pour objectif de participer à l’aménagement du territoire. A partir des années 1960, les pouvoirs publics ont promu le tourisme hivernal. Ce dernier occupe aujourd’hui une place centrale dans l’économie de nos montagnes mais les stations ont connu des dynamiques différenciées. Deux grandes orientations ont guidé leur développement ces dernières décennies. Soit la logique de performance, orientée 100% ski, avec une stratégie de fiabilisation de l’enneigement. Soit la logique de développement spécifique (comme la valorisation des produits locaux), dont la stratégie première est la diversification. La Covid-19 a mis en lumière d’une façon particulière la dépendance au ‘‘tout ski ‘‘ et ce sont ces stations qui ont souffert le plus de la crise. Dans les petites stations de moyenne montagne, la situation est différente. Comme l’explique Danielle Fantin, directrice de l’Office de tourisme de Corrençon-en-Vercors, l’idée semble plutôt de renforcer le positionnement alternatif au tourisme de masse déjà visé par ces destinations. Elle précise : « Nous avons depuis longtemps engagé la station dans une démarche de développement local. (…) C’est aussi une opportunité et ça nous conforte dans notre stratégie. Pour des territoires comme le nôtre, le développent local a créé de nombreux projets avec de nouveaux arrivants et toute une chaîne d’acteurs et de prestataires qui travaillent entre eux et sont pour la majorité des habitants à l’année du village, ça reste sur le territoire ». Une synergie économique de village à l’année est la clé pour le développement futur de ces territoires. Rappelons que les remontées mécaniques sont un service public sous la responsabilité des communes et des départements, qui perçoivent donc une taxe sur la vente de forfaits (taxe loi Montagne). Variable d’une année à l’autre, cet apport financier est relativement élevé et représente autour de 30 millions d’euros pour 130 de communes et près de 10 millions d’euros pour 10 départements comme l’indique un rapport de 2008 de la direction du tourisme. Il contribue non seulement à accompagner et soutenir le développement du tourisme local mais aussi au fonctionnement ordinaire des collectivités. La diversification des activités et la sortie du tout ski hivernal passera nécessairement par le renforcement d’un tissu économique dynamique, pérenne et quatre saisons qui tentera de compenser les pertes liées à la baisse de revenu des collectivités. Cette dynamique pourra être renforcée par le changement de comportement au travail, notamment en ce qui concerne le télétravail. Cela devrait entraîner une modification du marché de l’immobilier de bureau et la population pourrait en profiter pour vivre et travailler dans des zones rurales plus éloignées sans avoir à se déplacer. Et donc participer à nourrir ce tissu économique annuel, autour d’un ‘‘esprit de village’’. Il s’agit donc de transformer les stations de sports d’hiver en stations de montagne, et de les dynamiser par le tourisme de proximité.
LA COVID-19 : UN RÉVÉLATEUR POUR LE TOURISME DE PROXIMITÉ AU SERVICE DU CLIMAT « L’objectif des vacances, c’est d’abord de couper avec son quotidien, de changer de la routine, de quitter quelque chose. Ensuite, c’est d’aller découvrir quelque chose de nouveau. On n’a pas forcément l’habitude de l’envisager si proche de chez soi, il va falloir faire preuve de créativité. Et c’est une très bonne opportunité pour repenser notre idée de l’ailleurs : il peut être tout près » explique Dominique Kreziak (2020) pour Le
On connaît les 3 Vallées pour son domaine, mais il faut aussi les découvrir pour ses plans escalade.
Monde. Avec des périmètres de déplacement et des limitations multiples dans les transports, le tourisme de proximité pourrait s’imposer dans les prochaines années. Selon, une étude dans la revue de recherche Teoros, ce tourisme ne doit pas simplement se lire comme une réduction purement géographique qui se compte en kilomètres, mais aussi comme une nouvelle dimension sociale via la proximité des interactions et dans son rapport au dépaysement, nourri d’expériences locales, comme l’évoquent les témoignages sur la présence renforcée de la nature dans la vie quotidienne confinée. De plus, le tourisme local est durable « parce qu’il incite au slow tourisme qui engage à découvrir une destination en acceptant le rythme de vie local » (Lebreton et al., 2020). Christophe Dumarest, alpiniste, guide de haute montagne, via l’Action Collective de Transition pour nos Sommets (ACTS), invite chacun d’entre nous à revoir sa façon de pratiquer la montagne. Sortir des lieux communs, mener une aventure de proximité. C’est la voie qu’a suivie avec succès Chilowé en faisant la promotion puis en vendant des packages de ‘‘micro-aventure’’, repris par les TO d’aventure comme Altaï Travel. Une dynamique vertueuse pour l’économie, mais aussi pour notre environnement.
La Covid-19 a permis au tourisme de montagne de rentrer dans une période charnière. Des espaces moins fréquentés, la contemplation de nos paysages sans artifices et de nouvelles formes de d’attention au local semblent devoir caractériser cette période transitoire et cet après-Covid. « La réinvention nécessaire du tourisme dans l’après-crise relève dès lors principalement d’un contexte accélérateur des mutations attendues par un marché plus exigeant et moins porté sur la démesure, tant pour les publics accueillants que pour les visiteurs » (Tuppen et Langenbach, 2019). Plus que jamais, le tourisme de proximité et le développement local, tant dans sa dimension spatiale que sociale, devient l’enjeu de cette période. Créativité, projet collaboratif, économie circulaire, prise de conscience, silence de la nature, vie de village… Et si la crise Covid n’était pas tout simplement une opportunité de changer de paradigme ?
Prendre de la hauteur, changer de point de vue, pur plaisir contemplatif qui devient loisir.