Lettre d’information Institut Français d’Afrique du Sud - Recherche
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Dossier Namibie 05| 11|
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La mission Human Origines in Namibia : à la recherche d’un nouveau berceau de l’Humanité - Laurent Bruxelles Élements pour une anthropologie historique des Damara (Namibie) - Jonathan Benabou
Présentation des chercheurs nancés en 2016 Alice Aterianus-Owanga, Solène Baffi & Chloé Faux
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Conférences & séminaires
Photo : Point de vue sur la Valée de l'Hoarusib au niveau de Puros © Jonathan Benabou
Les Steve Biko conférences en philosophie Cuba et l’Afrique George McCall Theal and South Africa’s past FISH - French Ins tute Seminars in Humani es
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Publications L’Animal voyant : Art rupestre d’Afrique australe - Renaud Ego
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http://www.ifas.org.za/research http://halshs.archives-ouvertes.fr/IFAS http://www.facebook.com/IFASResearch http://www.youtube.com/user/IFASresearch http://www.flickr.com/photos/IFASResearch
L'Institut Français d'Afrique du Sud, créé en 1995 à Johannesburg, dépend du Ministère des Affaires Étrangères. Sa mission est d'assurer la présence culturelle française en Afrique du Sud, et de stimuler et soutenir les travaux universitaires et scientifiques français sur l'Afrique du Sud et l'Afrique australe l'IFAS-Recherche (UMIFRE 25) est une Unité mixte de recherche CNRSMAEE, et fait partie de l’USR 3336 « Afrique au sud du Sahara ». Sous l'autorité de son conseil scientifique, l'IFAS-Recherche participe à l'élaboration et la direction de programmes de recherche dans les différentes disciplines des sciences humaines et sociales, en partenariat avec des institutions universitaires ou d'autres organismes de recherche. L'Institut offre une plate-forme logistique aux étudiants, stagiaires et chercheurs de passage, aide à la publication des résultats de recherche et organise des colloques et conférences.
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Adrien Delmas - Directeur Scientifique Guillaume Porraz - Chargé de Recherches, CNRS Werner Prinsloo - Graphisme, Site Web, Gestion Informatique Camille Forite - Chargée de Projets Scientifiques Dostin Lakika - Secrétaire à la Recherche
Lesedi: terme sesotho qui signifie « connaissance » Les opinions et points de vues exprimés ici relèvent de la seule responsabilité de leurs auteurs.
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éditorial
C
omment le monde a-t-il informé l'Afrique du Sud ? Si de précieux éléments de réponse à ce e interroga on sont peu à peu dévoilés, notamment par toute une li érature qui a démontré combien le pays cons tuait la norme et non l'excep on de l'histoire impériale moderne et contemporaine¹, une autre ques on s'est imposée depuis peu, la ques on inverse : comment l'Afrique du Sud a-t-elle informé le monde ? Elle s'est posée en filigrane du colloque sur les transforma ons à l'œuvre dans les SHS en Afrique du Sud depuis 20 ans organisé en 2014. Mais elle se pose aussi pour des périodes plus anciennes. « A Luta Con nua », le colloque organisé à l'Ifas en novembre 2015 pour les 40 ans des indépendances de l'Afrique lusophone sonne enfin comme la promesse d'une histoire transna onale de la sous-région. Non seulement les rela ons interimpériales au moment des indépendances, entre Pretoria et Lisbonne, entre Londres et Luanda, méritent largement d'être reconsidérées, mais il est désormais évident que l'Afrique australe du second XX siècle a fait converger bien des enjeux poli ques, et au-delà, des enjeux culturels, à l'échelle mondiale. Les deux blocs de la guerre froide s'y affrontèrent ouvertement on le sait, mais les pays du Sud, ou le « Global South » pour reprendre une expression à la mode, ne s'y impliquaient pas moins. La Havane, Brasilia, Delhi, etc. : tous furent des acteurs directs de ce e histoire de la décolonisa on de l'Afrique australe qui n'abou rait qu'avec les premières élec ons démocra ques en Afrique du Sud de 1994. Dans la con nuité de ce e rencontre, un certain nombres d'événements sur la « mise en concept » de l'apartheid sont organisés ce e année, que vous retrouverez dans ce numéro de Lesedi à côté des autres moments forts de l'année à venir – chaire de philosophie Steve Biko avec les venues de grands noms de la philosophie contemporaine Robert Bernasconi, Chantal Mouffe, Gayatri Spivak et Alain Badiou ; une conférence sur l'engagement de la Cuba révolu onnaire en Afrique ; une rencontre sur l'historien Georges McCall Theal et l'inven on du passé de la région ; la commémora on de la bataille
du bois de Delville en 1916 ; une conférence sur la généalogie du capitalisme prémoderne, la conférence annuelle sur l'histoire africaine du livre et bien d'autres débats encore. Revenons un instant à notre interroga on : comment l'apartheid est-il devenu un concept poli que de notre modernité, un concept qui a circulé aisément, d'un contexte à un autre, au point de devenir un concept presque désincarné, un concept transposable ? L'histoire de ce e mise en concept est périlleuse mais pas moins traçable. Les deux récits privilégiés qui relatent la chute de l'apartheid à par r de 1990, celui interne, de la lu e armée, et celui, externe, des sanc ons interna onales et du boyco ne sont plus suffisants. Ils laissent dans l'ombre bien des connexions qui ont autant façonné l'Afrique du Sud que le reste du monde. L'Afrique du lendemain des indépendances, l'Amérique la ne en proie aux dictatures militaires, la Caraïbe révolu onnaire, mais aussi l'Inde ou la Chine, se sont ainsi posi onnées face à la situa on poli que sud-africaine. Et celle-ci de faire converger bien des représenta ons poli ques et culturelles du second XX siècle. Discours, idées, images, livres mais aussi individus, modèles et pra ques : qu'est-ce qui a circulé entre le régime d'apartheid et les quatre con nents, selon quelles voies et avec quels effets ? Sur quelles connaissances, décideurs poli ques et diplomates, journalistes et universitaires, sociétés civiles et ac vistes d'Amérique la ne, d'Asie, ou d'Afrique se sont-ils représenté l'apartheid ? Comment ces représenta ons de l'Afrique du Sud ont-elles pu se heurter ou au contraire s'accorder aux imaginaires poli ques et raciaux na onaux ? Dans quel contexte spécifique ont-elles pu être perçues comme an modèle ou, à l'inverse comme un modèle ? Symbole de la dernière fron ère coloniale dans un monde postcolonial, l'image de l'Afrique du Sud a ainsi a eint un certain universalisme qui s'est pleinement donné à voir dans l'émoi du monde au moment de la chute de l'apartheid.
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L'étude systéma que de cet « imaginaire de l'apartheid » en-dehors des fron ères de l'Afrique du Sud perme ra certainement de mieux expliquer l'isolement croissant du régime de Pretoria. Mais elle perme ra surtout de retrouver des phénomènes de traduc on, voire d'appropria on de l'apartheid dans d'autres régions du monde, au Nord comme au Sud. Pensons à la législa on ségréga onniste aux ÉtatsUnis, au front colonial entre Pretoria et Paris au moment de la guerre d'Algérie, entre Pretoria et Lisbonne au moment des indépendances de l'Afrique lusophone ou encore à l'occupa on des territoires pales niens. Que ce soit pour le reprendre à son compte ou pour mieux dénoncer ces situa ons, que ce soit de manière explicite ou non, la référence au régime sud-africain ne fut jamais trop éloignée, y compris d'ailleurs après sa chute. Loin de nous la volonté d'exhaus vité, mais en complétant de la sorte les études des rela ons interna onales du régime de Pretoria par celle des références qu'elle a engendrées depuis la Seconde Guerre Mondiale, l'objec f de ce e rencontre sera, in fine, de retrouver, de réévaluer le rôle central joué par l'Afrique du Sud dans l'imaginaire poli que mondial au XX siècle. De l'expérience rée d'un désastre humain extraordinaire et qui a duré trop longtemps,
doit naître une société dont toute l'humanité sera fière. (…) L'unité spirituelle et physique que nous partageons tous avec ce e patrie commune explique la profonde douleur que nous avons tous éprouvée dans nos cœurs lorsque notre pays se trouva déchiré par un conflit épouvantable, lorsque nous le vîmes rejeté, proscrit et isolé par les peuples du monde, précisément parce qu'il était devenu le foyer universel de l'idéologie pernicieuse et de la pra que du racisme et de l'oppression raciale². A entendre Mandela, l'universalité désirée, projetée et admirable du post-apartheid fut en fait reçue en héritage, de ce caractère « universellement rejeté » de l'apartheid. Il suffit alors – mais quel geste génial ! – de renverser les principes sur lesquels s'était construite la société pour passer du ban universel des na ons à celui de modèle pas moins universel : nonracialisme, non-sexisme et égalitarisme, ou plutôt non-inégalitarisme. C'est encore à la lueur de ce phare que peuvent se dessiner, telles des ombres, les « désirs d'apartheid » qui naissent ici ou là, en Europe, au Moyen-Orient, partout finalement où des murs s'élèvent au sein même des sociétés.
Adrien Delmas Directeur, IFAS- Recherche
Voir notamment Keith Breckenridge, The Biometric State, Cambridge, Cambridge University Press, 2014. Discours d'inves ture de 1994. Voir FX Fauvelle, Convoquer l'histoire, Paris, Alma, p. 70.
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dossier namibie La mission Human Origins in Namibia : à la recherche d'un nouveau berceau de l'Humanité
Laurent Bruxelles Membre de l’Inrap (Ins tut na onal de recherches archéologiques préven ves), Laurent Bruxelles est géoarchéologue, géomorphologue et karstologue. Avec des chercheurs d’ins tu ons américaines, canadiennes, sud-africaines, et françaises, il a récemment publié un ar cle dans Nature sur la data on de Li le Foot. En 2015, il est ob ent la médaille de bronze du CNRS et est le lauréat du prix de la recherche en archéologie.
Introduc on Si l'origine africaine ne fait aujourd'hui plus débat, la localisa on du berceau de l'humanité est une ques on importante à laquelle de nombreuses équipes interna onales essaient de répondre. L'Afrique de l'Est, avec la découverte des hominidés les plus anciens et les mieux datés, a fait longtemps office de favori. Une importante sédimenta on couplée à une data on aisée ont rapidement permis d'établir une séquence de référence sur près de quatre millions d'années, couvrant notamment le passage depuis les australopithèques jusqu'à l'Homo habilis, notre ancêtre. En effet, la présence de retombées volcaniques a fourni des repères chronologiques précis perme ant de caler chaque étape de ce e évolu on. Depuis quelques années, les découvertes et surtout les data ons récentes dans les karsts d'Afrique australe replacent l'Afrique du Sud dans une chronologie comparable. Sur ce e base, une nouvelle mission financée par le Ministère des A ffa i re s Et ra n gè re s e t d u D é ve l o p p e m e nt Interna onal a démarrée en 2015 et propose de rechercher de nouveaux indices de l'origine de l'Homme dans ce e région d'Afrique.
1. Le ou les « berceaux de l'Humanité» ? Depuis plusieurs années, nous travaillons dans un secteur d'Afrique du Sud bap sé en 1999 par
l'UNESCO le « Berceau de l'Humanité ». Non pas parce que c'est ici que l'on trouve les fossiles les plus anciens, mais plutôt parce qu'ils sont extrêmement nombreux (plus de 2500, soit plus de la moi é de tous les fossiles d'Hominidés anciens connus à ce jour) et parce qu'ils couvrent une période chronologique clé, entre -1 et -4 millions d'années, au cours de laquelle apparaît Homo habilis. En outre, les fossiles sont d'une qualité de préserva on excep onnelle, certains étant encore complets et en connexion anatomique comme l'australopithèque Li le Foot. Ce e préserva on excep onnelle est directement liée au milieu dans lequel ces fossiles ont été conservés : les gro es. Quelque soit la période prise en compte, le karst a toujours été un milieu conservateur par excellence, que ce soit pour les traces d'occupa ons préhistoriques, pour les première formes d'art ou même au cours des périodes historiques. Les cavités ont donc la par cularité de pouvoir garder une mémoire quasiintacte de ce qu'il se passait en surface. La principale difficulté réside ensuite dans la lecture et l'interpréta on des remplissages kars ques. Mais c'est là notre spécialité et nos résultats récents montrent tout le poten el de ces cavités, à la fois pour la connaissance de l'évolu on humaine mais aussi pour la compréhension des paléoenvironnements contemporains de ce e évolu on (Bruxelles et al., 2014a, Granger et al., 2015). Il apparaît donc désormais que l'Afrique du Sud est
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poten ellement le berceau de l'Humanité, au même tre que l'Afrique de l'Est. Mais il serait peut-être préférable de dire l'un des berceaux de l'Humanité. Car en effet, si l'on trouve des ves ges d'Hominidés anciens en Afrique de l'Est et en Afrique du Sud, c'est surtout parce que les condi ons de préserva on y sont réunies. Il est fort probable qu'il y avait à l'origine beaucoup d'autres « berceaux » voire même qu'une grande par e de l'Afrique soit le berceau. Aujourd'hui, on ne retrouverait des fossiles que dans les secteurs dont les histoires géologique et géomorphologique se sont conjuguées pour préserver ces ves ges dans de bonnes condi ons. Partout ailleurs, les traces de nos premiers ancêtres ont complètement disparu, soit que les condi ons de fossilisa on ini ales n'étaient pas réunies pour les piéger, soit que l'évolu on géomorphologique locale ou régionale en ait effacé les traces.
2. Pourquoi les Aha Hills en Namibie ? Si l'on considère qu'une grande par e de l'Afrique est le berceau de l'Humanité mais que seuls quelques rares secteurs ont préservé ce e informa on jusqu'à nos jours, la découverte de nouvelles zones fossilifères doit prendre en compte deux paramètres : Ÿ un milieu suscep ble d'avoir piégé les fossiles dans les meilleures condi ons possibles ; Ÿ un secteur dont l'évolu on géomorphologique est compa ble avec la préserva on de forma ons anciennes dans lesquelles les fossiles seraient suscep bles d'être préservés. Le karst étant notre spécialité, et sur la base des résultats récents de nos travaux de recherche dans les gro es sud-africaines, nous avons recherché un autre massif kars que pouvant répondre à ces condi ons. La présence de ces roches calcaires est une condi on sine qua non au développement de cavités de grande ampleur mais aussi à une évolu on kars que dont nous connaissons bien les caractéris ques. Des gro es et des gouffres ont donc pu cons tuer des pièges naturels capables d'enregistrer à la fois des i n fo r m a o n s p a l é o nto l o g i q u e s m a i s a u s s i paléoenvironnementales (nature des sédiments détri que, concré ons de calcite, reste végétaux…). Il faut également, au point de vue géomorphologique, que ces gro es existent déjà à l'époque qui nous
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intéresse. Or, d'après nos connaissances de l'histoire géologique de l'Afrique australe, ces cavités sont très anciennes et préexistent largement. De même, en fonc on de l'histoire géomorphologique, il faut que ces cavités n'aient pas été ultérieurement vidangées de leur remplissage. Fort de notre expérience dans les karsts sud-africains (Stra ord et al., 2012, Bruxelles et al., 2014 a, b et c), nous avons donc choisi un secteur de collines peu élevées situées à l'extrême amont du réseau hydrographique : les Aha Hills (nord-est de la Namibie, à cheval sur la fron ère avec le Botswana). Ce contexte de faible dynamique géologique et d'évolu on morphologique lente est le plus favorable à la conserva on des anciens remplissages kars ques et donc à la préserva on des fossiles. En outre, les références bibliographiques, essen ellement sur la par e botswanaise de ces karsts, confirment tout l'intérêt de ce secteur au point de vue paléontologique, paléoanthropologique et archéologique. Les travaux de Mar n Pickford ont montré, sur la base de l'étude de la faune, la présence de dépôts plio-pléistocènes (Pickford et Mein, 1988 ; Pickford, 1990, Pickford et al, 1994). Dans le même massif que celui que nous comptons étudier, mais côté botswanais, des brèches correspondant à des remplissages de cavités décapités ont été trouvées dans les collines de !Ncumsa. Elles ont livré de la faune mais aussi des ou ls de quartz et de quartzites, possiblement associés à la présence de restes d'Hominidés pendant le Plio-Pléistocène. En outre, dans les collines de Gcwihaba toutes proches, de la microfaune a été étudiée (Pickford et Mein, 1988). Son analyse a montré qu'elle est comparable à celle connue dans le site de Makapansgat, en Afrique du Sud, connu pour avoir livré de nombreux restes d'Hominidés dont des australopithèques parmi les plus anciens connus à ce jour en Afrique australe. Deux espèces de rongeurs en par culier ressemblent très fortement à celles du site de Makapansgat et l'une d'elle a même été iden fiée dans le membre 4 du site de Sterkfontein (Afrique du Sud) sur lequel nous travaillons depuis plusieurs années. La corréla on de la faune de ce site avec celle connue en Afrique de l'Est ainsi que la réalisa on d'analyses paléomagné ques situent ce remplissage entre 3 et 3,3 Ma. (Mc Fadden et al., 1979 ; Delson, 1984). Sur la base d'une réinterpréta on de la séquence de Sterkfontein en 2002 (Berger et al, 2002), la fourche e chronologique a été élargie par Williams et al. (2012) entre 1,5 et 3 Ma. Cependant, nos résultats
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Visite de la Drotsky cave (Gcwihaba), dans les Aha Hills côté Botswana. Ce e visite nous a permis d'évaluer le poten el de ces collines et de savoir comment se présentent les cavités (Photo Laurent Bruxelles)
récents (Bruxelles et al., 2014a, Granger et al, 2015) et nos travaux en cours sur le membre 4 de Sterkfontein reme ent en cause les interpréta ons de Berger et al. (2002) qui rajeunissent à 1,5 Ma la séquence de Sterkfontein et notamment du membre 4. Nous avons maintenant de solides arguments scien fiques pour pouvoir affirmer que ces niveaux sont plus proches de 3 Ma. Enfin, lors de la reprise des études dans les !Ncumsa Hills (Williams et al., 2002), la découverte d'un crâne fossile de Papio par ce e équipe donne une data on supérieure ou égale à 317 +/6 114 ka, ce qui laisse le champ des possibles assez ouvert. Nous avons donc dans les Aha Hills le contenant (le karst), un contenu (des remplissages anciens pouvant couvrir la période chronologique souhaitée), une évolu on géomorphologique lente, comparable à
celle que nous avons étudiée en Afrique du Sud et des indices paléontologiques qui couvrent la bonne période chronologique.
3. Méthodologie et premiers résultats Dans le cadre de ce e mission, il s'agit d'explorer un secteur quasiment vierge de recherches paléontologiques et archéologiques. Quelques cavités sont connues mais il n'y a pas eu de p r o s p e c o n sy s t é m a q u e e t d ' é t u d e d e s remplissages kars ques. Nous avons donc débuté par une première reconnaissance des indices kars ques les plus évidents. Ceci nous a permis d'en déduire les caractéris ques les plus courantes concernant la présence de cavités et leur histoire géologique.
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Chaque indice kars que de surface, chaque cavité, mais aussi tous les affleurements de brèche ou de calcite sont inventoriés, caractérisés et cartographiés. Plusieurs d'entre-nous étant spéléologue, nous visitons systéma quement les gro es et les gouffres afin d'en comprendre l'histoire mais aussi d'en étudier les remplissages, qu'ils soient fossilifères ou non. Deux campagnes de terrain ont été réalisées en 2015. La première a eu lieu en octobre et consistait essen ellement en une mission de reconnaissance. Il s'agissait de savoir si le terrain était accessible, mais aussi quelle était la réelle morphologie de ces collines que nous n'avions pu reconnaître qu'au travers d'images satellites et de modèles numériques de terrain. Ce e première mission nous a rassuré à la fois sur la faisabilité de ces recherches mais aussi sur le poten el : les collines sont bien cons tuées de roches calcaires kars fiées et suffisamment importantes pour abriter des gro es et des paléokarsts. La seconde mission, en décembre 2015, a été consacrée à la prospec on. Une série de colline a donc parcourue à pied, que ce soit en pied de versant, mais aussi sur les flancs et le sommet (photo 1). Tous les indices kars ques ont été recherchés et relevés : calcite, brèche, entrée de cavité, poches de sédiments. Les varia ons ponctuelles dans de la
densité de la végéta on, qui traduisent souvent une humidité différente, peuvent traduire la présence de cavités. Elles sont systéma quement reconnues. Pour savoir exactement comment se présentent les gro es dans ce e région et quel est leur poten el, nous avons aussi visité la Drotsky cave (Gcwihaba), côté botswanais (photo 2). Des ves ges de brèches ossifère ont pu être iden fiés, aussi bien dans la gro e qu'à l'extérieur. À ce stade, sur les quelques collines qui ont été en èrement reconnues, nous n'avons pas trouvé de nouvelle gro e. Quelques indices kars ques ont cependant été iden fiés et nous incitent à penser que nous trouverons des cavités ici aussi, comme c'est le cas juste de l'autre côté de la fron ère avec le Botswana, à quelques kilomètres de là. Dans tous les cas, les Aha Hills cons tuent le même massif de part et d'autres de la fron ère, avec les mêmes caractéris ques géologiques et géomorphologiques, et il n'y a évidemment aucune raison pour que l'on ne trouve pas de gro es des deux côtés. En revanche, lors des prospec ons, deux sites préhistoriques de surface ont été trouvés. D'après l'analyse du matériel lithique, il s'agirait d'une industrie ancienne correspondant au Middle Stone Age (photo 3). Aucun site n'était connu dans ce secteur et il révèle bien non seulement l'aspect précurseur de nos recherches dans ces collines mais également tout le poten el qu'elles recèlent.
Quelques pièce d'industrie lithique appartenant à un site Middle Stone Age inédit découvert en décembre 2015 dans les Aha Hills (Photo Laurent Bruxelles)
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Lorsque d'éventuels gisements paléontologiques seront d é c o u v e r t s , l e s d i ffé r e n t s paléontologues de l'équipe pourront donner une première es ma on de leur ancienneté. Ces données seront évidemment confrontées à l'histoire géologique et géomorphologique de ces karsts. Au besoin, nous bénéficions de collabora ons déjà établies avec des laboratoires pouvant réaliser différents types de data ons (CEREGE, PrimeLab, LSCE) et donc situer chronologiquement ces dépôts. Enfin, lorsque des remplissages kars ques présenteront des caractéris ques convergentes pouvant perme re la découverte de ves ges
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d'hominidés anciens, des demandes de sondages puis de fouille seront déposées. Mais ceci cons tue une seconde étape dans nos recherches en Namibie.
4. Les perspec ves de ce projet de recherche L'objec f de ce e mission est ambi eux mais les enjeux sont de taille. Nous sommes quasiment assurés de trouver des cavités et des forma ons béchiques fossilifères comme c'est le cas à quelques kilomètres de là, au Botswana. Notre expérience dans les différentes disciplines impliquées et la collabora on avec plusieurs laboratoire de data on (PrimeLab (Purdue University, Illinois), CEREGE (Aixen-Provence), LSCE (Gif-sur-Yve e) perme ront de situer chronologiquement les découvertes et d'orienter rapidement la poursuite de nos recherches. L'objec f est de découvrir de nouveaux sites à Hominidés et donc de compléter nos connaissances sur l'évolu on humaine. A terme, il serait alors possible de montrer qu'ici aussi, nous sommes dans un « berceau de l'Humanité ». Mais notre approche n'a pas uniquement pour ambi on d'iden fier un nouveau berceau où l'on peut
documenter l'appari on du genre Homo. Les découvertes que nous réaliserons perme ront de démontrer que la no on de « berceau », unique ou mul ple, n'est qu'une percep on biaisée par les condi ons taphonomiques. Les différentes zones fossilifères ne correspondent en réalité qu'aux contextes géomorphologiques les plus favorables pour la préserva on des ves ges anciens. Partout ailleurs, l'érosion ou la sédimenta on en ont effacé les traces. Des corréla ons biochronologiques solides pourront alors être tentées entre la Namibie et l'Afrique du Sud et perme ront peut-être de montrer que c'est l'Afrique, dans sa quasi-intégralité, qui est le berceau de l'Humanité. Les différents pièges géologiques ne correspondent en fait qu'à des morceaux du berceau de l'Humanité. Enfin, sur la base des éléments de compréhension qui seront obtenus dans le cadre de ce e mission, il sera possible d'iden fier de nouveaux secteurs d'Afrique australe répondant aux caractéris ques géologiques, géomorphologiques et paléoenvironnementales c o m p a b l e s ave c l a p ré s e n c e d e ve s ge s d'Hominidés. De nouveaux sites poten els pourront ainsi être localisés et cons tuer les prolongements de ce e mission.
Remerciements : Nous tenons à remercier le Ministère des Affaires Etrangères et du Développement Interna onal pour sa confiance et son sou en à ce e mission. Nous remercions également l'Inrap pour son sou en et son accompagnement dans la mise en place et le déroulement de ce programme de recherche.
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Studies, 14-18 juillet 2014, Université du Witwatersrand, Johannesburg, Afrique du Sud, Book of abstracts, p. 46-47. BRUXELLES L., BRAGA J., MAIRE R., ORTEGA R., ROUDEAU S. et THACKERAY F. – 2014c. – Geomorphology and stra graphy of the Kromdraai hominin site, Gauteng, South Africa: new excava on and new results – 14th congress of the Pan African Archaeological Associa on for Prehistory and Related Studies, 14-18 juillet 2014, Université du Witwatersrand, Johannesburg, Afrique du Sud, Book of abstracts, p. 47. McFADDEN PL, BROCK A, PARTRIDGE TC. – 1979. – Palaeomagne sm and the age of the Makapansgat hominid site. Earth Planet Sci Le 44:373–382. GRANGER D, GIBBON RJ, CLARKE R, KUMAN K, BRUXELLES L & CAFFE M. 2015. Cosmogenic burial ages for Australopithecus StW 573 and the Oldowan Infill at Sterkfontein. Nature, 522: 85-88. PICKFORD M. – 1990. – Some fossiliferous Plio-Pleistocene cave systems of Ngamiland, Botswana. Botsw Notes Rec 22:1–15. PICKFORD M, MEIN P. – 1988. – The discovery of fossiliferous Plio-Pleistocene cave fillings in Ngamiland, Botswana. C R Acad Sci II 307:1681–1686. PICKFORD M, MEIN P, SENUT B. – 1994. – Fossiliferous Neogene karst fillings in Angola, Botswana and Namibia. S Afr J Sci 90:227–230. SENUT B. 1996. Plio-Pleistocene Cercopithecoidea from the Koanaka Hills (Ngamiland, Botswana). C R Acad Sci II 322:423–428. STRATFORD D. J., BRUXELLES L., CLARKE R. J. et KUMAN K. – 2012. – New interpreta ons on the stra graphy of the fossil and archaeology bearing deposits of the Name Chamber, Sterkfontein (South Africa). South African Archaeological Bulle n, 67 (196), p. 159–167. WILLIAMS B. A., ROSS C. F., FROST S. R., WADDLE D. M. GABADIRWE M. and BROOK G. A. – 2012. – Fossil Papio cranium from !Ncumtsa (Koanaka) Hills, Western Ngmiland, Botswana. Am J Phys Anthropol, 149, 1-17.
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dossier namibie
Éléments pour une anthropologie historique des Damara (Namibie)
Jonathan Benabou Jonathan Benabou est doctorant au MNHN et à l'EHESS. Ses recherches portent sur la dialec que entre terres, iden tés et autorité et sur l'effet spa al et anthropologique de la ges on communautaire des ressources naturelles dans les localités ouest namibiennes.
Introduc on Les rela ons entre les États coloniaux et les popula ons locales ont largement animé la forma on des iden tés contemporaines '(Amselle & MBokolo 1985 ; Vail 1989) et la formalisa on des systèmes poli ques locaux (Mamdani 1996). Ces tandems ainsi amplement construits se voient néanmoins associés à la no on de tradi on, elle-même inventée (Hobsbawm & Ranger 1983), réinventée et instrumentalisée au sein des États modernes (Anderson 1983 ; Friedman 2005). En 1991, la Namibie, fraîchement affranchie des régimes coloniaux à l'origine des na ves reserves (allemandes) et des bantoustans (sud-africain) organise la Na onal Conference on Land Reform and the Land Ques on (NCLRLQ GRN 1991b) ainsi que la Commission of Inquiry Into Ma ers Rela ng to Chiefs, Headmen and Other Tradi onal or Tribal Leaders (Kazonguzi report, GRN 1991a), entre autres . À l'occasion de ces enquêtes, les groupes et groupements socio-culturels ethnolinguis ques ou iden taires namibiens présentent leurs histoires respec ves et collec ves et, en vue de leur reconnaissance par le gouvernement central, formulent de mul ples documents qui les étayent . À la veille de l'indépendance, Lau constatait « la nécessité et l'urgence absolue de collecter l'histoire
orale de la Namibie » et défendait que « without oral history, Namibian history cannot be wri en » (Lau1986, pp.95, 96). Ainsi, les discours et documents historiques produits par les Damara contemporains, bien qu'immanquablement par els et intéressés, cons tuent-ils d'importants jalons de l'historiographie namibienne.
Vers une anthropologie historique des Damara « The true history of the Damara speaking namibians is not yet completly ex nct » (Chief’s Council for the Damara speaking Namibians addressees dans GRN1991b, p.7 du document 23)
E nt re m é m o i re d ' u n e o r i g i n e l o i nta i n e et desideratum d'autochtonie, entre figures héroïques d'une histoire ancienne et légi mité poli que de personnalités contemporaines, les histoires produites par les Damara relatent de nombreuses variantes desquelles, au-delà de quelques marginales incohérences internes, se dégage un scénario général. Ce dernier, apprécié en rela on avec des observa ons de terrain, des archives et la li érature scien fique, cons tue les fondements de ce texte qui n'a pas de préten on historique, mais se présente de nature heuris que, , .
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Des ethnicités damara labiles et peu structurées à l'ère précoloniale «The Damaras really only came into existence with colonialism. » (Lau 1979, p.1) Les Damara contemporains avancent être entrés en Namibie par le quart nord-est et, alors établis en un groupe unique, n'avoir que très progressivement avancés. L'arrivée par le nord de leurs actuels voisins bantous aurait grandement accéléré leur dispersion aux X V- X V I e siècle. De même, la pression grandissante sur la terre et les ressources accompagnant la venue des Nama par le sud (au XVII siècle) aurait conduit les Damara, au moins en par e, à se concentrer en des espaces circonscrits (inselberg, point d'eau, etc.). Ces évènements auraient ainsi i n d u i t l ' é m e rge n c e et l a co n s o l i d a o n d e groupements damara largement iden fiés et dénommés en rela on à un espace donné. Au fil des références à ce passé précolonial, les Damara contemporains assurent que leurs ancêtres étaient dirigés par des leaders puissants et fédérateurs. Divers récits relatent leurs exploits lors de conflits avec leurs voisins et leur rôle moteur dans leurs migra ons illustrées figure 1. Les noms de ces grandes figures et de leaders locaux, tous précédés du tre de gaob (ou gao-aob), apparaissent en rela on avec les groupements ou ǃhao (ǃhaos au singulier) qu'ils menaient. L'étendue du pouvoir de certains gaob peut toutefois surpasser celle d'autres, et les rôles se voient rapidement redistribués sous l'effet de facteurs environnementaux ou socio-économiques . En outre, ces ǃhao dont le nombre et les noms varient selon les sources et les considéra ons – linguis ques, géographiques, sociales ou poli ques – mises en avant par l'auteur ou les informateurs peuvent s'englober l'une l'autre. Or, si ces inconstances peuvent être conséquentes de biais mul ples, elles sont également le fait de changements dont est cons tuée l'histoire, de fission et de fusion entre groupements, et témoignent du caractère éminemment labile de l'organisa on sociale et locale des Damara. Les Damara semblent ainsi représenter un groupe dis nct de leurs actuels voisins. Toutefois, l'existence
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Figure 1 : Une généalogie des groupements damara et leur localisa on ; vue présentée par les Damara lors de la NCLRLQ. Ici la dispersion des Damara prend racine dans la région de Gogabis. Si ce e carte donne un bon aperçu de l'histoire anthropologique des Damara, elle n'est en rien exhaus ve et ne représente que la vision de son auteur. De nombreuses références relatent une dispersion depuis la rivière Okavango (Kavango), la région d'Etosha (Tsumeb et Outjo), de Waterberg (Groo ontein et Hereroland West) et de la rivière Omatako (qui s'écoule de la région d'Otjiwarongo au Kavago selon l'axe sud-ouest nord-est) ; les noms en capitales correspondent à d'anciennes limites administra ves et perme ent d'iden fier de localiser les bantoustans.
d'une iden té commune et d'une unité sociale est loin d'être évidente à l'ère précoloniale. Toutes sources réunies, on recense une cinquantaine de groupements ou sous-groupements qu'il ne faut donc pas appréhender de manière hiérarchique, dichotomique ou exclusive, mais de manière rela ve et labile. De même, il convient d'envisager un système poli que peu structuré dans lequel le locus et l'étendue du pouvoir sont circonstanciels. Bureaucra sa on et ethnicité à l'ère coloniale : vers une unité sociale et poli que « They [les Headmen et Councillors] were
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chief of the wards, they were not chief of the community » (entre en avec anonyme-1, Khorixas 2013) Alors que les poli ques discriminatoires et sociofoncières du XXe siècle ont joué un rôle fondamental dans l'unifica on sociale et poli que des Damara, les histoires anthropologiques qu'ils proposent n'accordent que quelques lignes sur leurs rela ons aux régimes coloniaux . De mul ples sources relatent qu'en 1894, Leutwein, gouverneur de l'Afrique du Sud-Ouest allemande (Namibie), a ribue le tre de König (roi) des Damara à Cornelius Goreseb qui réside alors dans la na ve reserve d'Okombahe (Brown 1991, p.51 ; Fuller 1993, pp.56, 96 ; Rohde 1993, p.15 ; 1997, p.151). Toutefois, Cornélius apparaît indifféremment au sein d'une succession de leaders présentée par les Damara et illustrée figure 2, succession qui fait écho au témoignage de Judas Goreseb qui, au début du siècle dernier, rapportait que les Damara ont déplacé leur chief town » à Okombahe sous le leadership de son grand-oncle Abraham Seibeb, auquel succéda son père Cornelius Goreseb (Judas Goreseb dans Silvester & Gewald 2003, p.183).
I l a p p a ra î t to u tefo i s q u e l e p o u vo i r s ' e st progressivement centralisé et formalisé au cours du XXe siècle ; ini alement autour de Cornélius, de ses successeurs et de leur fratrie formant la royal house ; puis d'un sénat de dix membres, le Damara Tribal Execu ve Commi ee (DTEC) co-ins tué en 1958 par David Goreseb (descendent de Cornelius) et l'administra on sud-africaine. Enfin, dès la créa on du Damaraland, le Damara Council (DC) administre le bantoustan depuis Welwitchia (aujourd'hui Khorixas). Ce dernier est épaulé d'un headmen et de trois councillors par wards (12 districts administra fs) qui abritent des groupements damara issus de différentes régions du pays. Parallèlement, les années 1930-1950, puis 1960, voient la consolida on des catégories ethniques et sont marquées par l'émergence de groupes d'intérêt et de par s poli ques unitaristes et ethniques (et indépendan stes). Le DC, préalablement établi en tant qu'administra on intérimaire du Damaraland, sera en 1977 réitéré en un par poli que. Ce dernier dès lors présidé par Justus Garoeb – conseiller de David Goreseb qu'il supplantera en 1976 en qualité d'ac ng king en l'absence d'héri ers issus de la royal blood line – remportera ±80 % des suffrages au premier scru n du Damaraland en 1980. Finalement, à la veille des premières élec ons de la Namibie indépendante, le DC rejoint l'United Democra c Front (UDF), une coali on de par s aux couleurs du drapeau damara (voir figure 3) également fondée et présidée par Justus Garoeb. On observe ainsi un glissement d'un système peu structuré à des ins tu ons hiérarchisées largement pilotées par de jeunes damara instruits. Inves s dans une poli que des par s, les bases d'un amalgame entre chefs coutumiers et leaders poli ques sont dès lors posées. En outre, une rela on de patronage confortant l'unifica on des Damara s'instaure et l'ethnicité devient le support d'un clientélisme poli que. Malgré quelques heurts, ce e période cons tue un golden age pour les Damara alors unis d'un point de vue poli que ainsi qu'émancipés de leurs voisins et de leur statut de chou-daman .
Figure 2 : Une succession de « tradi onal leaders », « kings » ou « supreme leaders » (selon les sources) et leurs dates approxima ves de naissance ; on remarque qu'au-delà du numéro 18, un cycle de 25 ans est suivi.
Par ailleurs, une relecture spa alisée de l'histoire poli que des Damara permet d'étayer ce e conclusion. Tout d'abord, Leutwein, deux ans après avoir nommé Cornélius Goreseb à Okombahe (au sud-ouest d'Omaruru sur la figure 2), en fit de même
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Figure 3 : Chemises aux couleurs du drapeau damara. ǂNisa Damara, li éralement traduit fièrement damara ; le vert et le bleu symbolisent deux frac ons damara aux différends parfois sanglants dans les années 1930-1950 ainsi réunies sous le drapeau Damara et du DC, puis de l'UDF qui se dis ngue du premier par la présence d'un poing fermé en lieu et place de la tête d'oryx ; photo prise au fes val annuel du roi des Damara, Okombahe 2011
avec Johannes Kruger qui se trouva ainsi à la tête des « bushman berg-Damara and other na ves in the Groo ontein area » (Silvester & Gewald 2003, p.190). Toutefois dès les années 1930-1950, les groupements damara présents dans le Centre, le Sud et l'Est de la N a m i b i e , n o ta m m e nt d a n s l e s ré g i o n s d e Groo ontein et de Gobabis, respec vement men onnés ci-devant et ci-après, se sont vus démunis de terre et ont émigré – souvent de force et au gré de la priva sa on des terres rendues aux mains des colons, de restric on d'accès au parc na onal d'Etosha, et de la créa on de na ves reser ves a ribuées à d'autres popula ons namibiennes – vers les zones urbaines et les terres qui leurs étaient allouées, la na ve reserve d'Okombahe et le Damaraland. En outre, les Damara Gobanin, qui résident dans la région de Gobabis, présentent une succession de chefs qui n'apparaissent pas figure 2, et ne compte ni Johanes Kruger, ni la lignée de Goreseb, ni Justus Garoeb témoignant d'une histoire poli que autre. Enfin, l'ar cle 4.2 de la customary law
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des Damara ǃOe-ǂgân dont le siège se trouve à Okombahe rapporte que Cornélius Goreseb, leader de ce groupement, a unifié les Damara et que Davis Goreseb est le fondateur de la poli que des par s damara : 4.2 The following able and visionary Damara Kings originated from the !Oeǂgân tradi onal community: 4.2.1 King Cornelius Goreseb (Damara Unifier), 1880–1910 4.2.2 King Judas Goreseb, 1915–1923 4.2.3 King Hosea Goresb, 1923–1943 4.2.4 A c n g K i n g T h e o d o r ! G a o s e b , 1943–1953 4.2.5 King Dawid Goreseb (founder of modern Damara poli cs), 1953–1976 Ces considéra ons posées, il apparaît que l'histoire poli que de la na ve reserve d'Okombahe et du Damaraland domine l'histoire poli que des Damara.
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Conclusion : de la Damara Royal House à la reconnaissance des autorités tradi onnelles Damara « Before, we were just Damara, but when this TA [tradi onnal authority] story came in, everything just... boomed » (entre en avec annonyme-2, Homoed, 2013) Lors du processus de consulta on na onal engagé par la Namibie indépendante, les Damara men onnent qu'ils sont actuellement cons tués de 14 groupements traversés par de mul ples lignées royales et dressent la liste des membres du Damara Chief Council ; témoignant ainsi de l'actualité d'une unité et d'une pluralité sociale et poli que. En 1998, Justus Garoeb s'élève à la tête de la première et alors unique AT damara, la Damara Royale House. Cependant, tant l'histoire poli que des Damara que la reconnaissance des AT témoignent d'une complexité toute autre de sorte qu'en 2000 les chefs de 8 groupements damara cosignent un courrier que Justus Garoeb adresse au MRLGH en vue de la fission
de la Damara Royal House en 8 AT. La réorganisa on des 14 groupements présentés en 1991 en 8 groupements incarnés par les AT post-2000 (au nombre de 5 en 2002, 7 en 2007, et la 8e a end toujours d'être proclamée) est le fruit de négocia ons internes et externes décrites comme « a very long an bi er struggle for recogni on » (entre en avec anonyme-3, Khorixas 2013) qui porte, tout du moins pour certains, encore son lot de laissés-pour-compte. In fine, ce e première esquisse de l'histoire sociale et p o l i q u e d e s D a m a ra p e r m e t u n p re m i e r rapprochement entre histoire anthropologique et reconnaissance des AT lequel suggère que la reconnaissance des AT, accompagnant les processus de démocra sa on et de décentralisa on engagés depuis l'indépendance, crée un espace dans lequel tradi on, histoire et iden té sont mobilisées et renégociées dans un enchevêtrement de revendica ons et de contraintes territoriales et poli ques, principalement. Elle offre un support pour étayer ce rapprochement et permet d'interroger le rôle des autorités tradi onnelles, le statut et la représenta on des groupes et groupements socioculturels, ethnolinguis ques ou iden taires au sein de la Namibie indépendante.
Ce processus de consulta on est également alimenté par le Seminar on Ethnicity, Na on Building and Democracy in Namibia et la Communal Land Administra on, Second Na onal Tradi onal Authority Conference qui se sont respec vement tenues en 1993 et 1996. En outre le Workshop on Tradi onal Authori es in the Nine es - Democra c Aspects of Tradi onal Government in Southern Africa organisé à Windhoek en 1995 avait notamment pour objec f de promouvoir les changements nécessaires à l'ins tu on d'autorités tradi onnelles en Namibie en perme ant aux gouvernements et aux leaders coutumiers de réfléchir et discuter au du rôle des seconds dans la gouvernance du pays (Englebronner-Kolff et al. 1998, p.v). À la suite de ce processus de consulta on, le pays adopte une approche mul -culturaliste réalisée par la reconnaissance des « autorités tradi onnelles » (AT) représentantes des « communautés tradi onnelles » selon les termes du Tradi onal Authori es Act (GRN 1995 ; replacé par GRN 2000). Les données mobilisées sont largement issues de documents récemment écrits – A historical perspec ve on the Damara tradi onal authori es ; les customary law et des profile of the community des groupements Damara ; The cons tu on of the Damara people of Namibia pour ne men onner que les plus conséquents – d'observa on et d'entre ens menée auprès d'anciens ou d'actuels leaders coutumiers, d'intellectuels Damara ainsi que des officiels du gouvernement. En outre, de mul ples courriers, compte rendus de rencontres ou d'événements, contrats, etc. enrichissent le corpus de données. Ce scénario général masque inévitablement certaines contres proposi ons (ie. origine autochtone), toutefois celui-ci étant porté par les Damara contemporains, ou au moins certains d'entre eux, il demeure recevable et poli quement correct. En outre, il s'accorde avec la li érature scien fique qui s'avère bien moins précise. On pense notamment aux quelques essais historiographiques disponibles (Lau 1979 ; Fuller 1993 ; Rohde 1993 ; Sullivan 1998 ; Inskeep 2003) qui commencent à dater au vue de récentes avancées en géné que (Soodyall & Jenkins 1993 ; Wood et al. 2005 ; Soodyall et al. 2008 ; Pickrell et al. 2012 ; Barbieri et al. 2013 ; Barbieri et al. 2014) et linguis que (Ehret 1982 ; Güldemann 2006 ; Ehret 2008 ; Haacke 2008 ; Haacke 2014), d'ailleurs en faveur d'un passé commun. À un moment m, les individus ou foyers alors bien munis sont approchés et élevés par ceux qui le sont moins, et c'est notamment au travers du rayonnement dans le cadre d'une norme de réciprocité – système à la base de l'économie des Damara dans lequel la valeur sociale du partage prévaut sur celle de l'accumula on (Kuper 1996 ; Fuller 1993) – qu'un certain pres ge s'acquiert.
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Le thème du struggle for independence, rela vement étayé, fait figure d'excep on. Chou-daman, li éralement traduit excrément-personne était l'un des ethnonymes des Damara. Son origine est incertaine, mais supposément liée à leur appauvrissement conséquent à d'intenses conflits à par r du XVIe siècle et aux mythes ethnographiques les présentant comme de misérables vassaux des Herero et des Nama, à la culture matérielle et l'organisa on sociale plus louable au yeux des observateurs européens de l'époque. Voir aussi figure 3, ǂNisa Damara. Les Gobanins sont les seuls à proposer une succession étendue sur plusieurs siècles à l'image de la figure 2. Néanmoins, la plupart des groupements des groupements damara listent leurs leaders. Cependant, celles-ci ne compte que 3, 4 voir 5 individus. Il y a peut-être la un témoignage de la consolida on récente de ces groupements.
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présentation des chercheurs financés en 2016 Réseaux de transport et mobilités en Afrique du Sud : vers une normalisation des villes post-apartheid ? Solène Baf Université Paris I Panthéon-Sorbonne, UMR Géographie-Cités 8504
Après quatre années de recherche, je viens de soutenir une thèse en géographie portant sur le rôle du train dans les processus de territorialisa on en Afrique du Sud sur le temps long. J'ai cherché à montrer comment le train a été un marqueur de sépara on aux différents échelons (interurbain et intra-urbain) du territoire sud-africain et quelle réadapta on possible d'une infrastructure aussi lourde et inerte peut être opérée aujourd'hui. Ce travail s'inscrit en con nuité des recherches que j'ai effectuée en Master 1 notamment, et Master 2 : au cours de séjours de terrain en 2010 et 2011 je m'étais intéressée, à ce e époque, au système de transport en commun au Cap. Je m'étais alors rendue compte que ces transports – le bus, minibus et le train – étaient tout, sauf communs, car bien souvent réservé une catégorie socio-économique d'usagers spécifiques en situa on de dépendance modale, les habitants des townships (Baffi, 2012). Jusqu'à présent, les transports en commun hérités se s i t u a i e nt e n d é ca l a ge ave c l ' é vo l u o n d e l'organisa on des villes sud-africaines (Turok, 2001), tandis que les nouveaux réseaux construits (le BRT, ou le train rapide Gautrain à Johannesburg) ne répondent pas aux besoins des popula ons cap ves des transports. Les modes de transport récemment construits s'inscrivent dans le sillage des standards propres aux « global ci es » (selon la formule popularisée par S. Sassen en 1991) au sein desquelles la compé vité se manifeste par l'adop on de modèles d'aménagement le plus souvent issus des pays du Nord. Pourtant, au tournant des années 2010, une nouvelle tendance semble se dégager en ma ère de planifica on, d'offre et de pra que des transports : une autorité de transport métropolitaine a été créée (Transport for Cape Town, TC T), l'exploitant ferroviaire propose un service à des na on des classes moyennes et supérieures (le Business Express), et un véritable système de transport métropolitain se dessine.
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Des enquêtes liminaires menées auprès des usagers en 2014 m'ont amenée à sug gérer que la diversifica on de l'offre, portée par une gouvernance forte, s'accompagne d'une recomposi on des pra ques de mobilité citadines. Elle est par culièrement visible dans le cas des usagers du Business Express et du BRT, ces modes de transport captant aujourd'hui une part importante d'individus qui fréquentaient peu ou pas du tout les transports en commun auparavant. Si jusqu'alors l'u lisa on des transports en commun répondait presqu'exclusivement aux pra ques des popula ons cap ves en maintenant l'exclusion socio-spa ale héritée de l'apartheid, le tournant amorcé rappelle la voca on des transports urbains comme vecteur de lien social auprès de l'ensemble des citadins. On peut alors considérer ces différents changements comme étant symptoma ques de muta ons plus profondes des logiques de produc on urbaine. Je fais ici l'hypothèse que les transforma ons récentes qui
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affectent la ville du Cap, aussi bien en termes de planifica on que de pra ques citadines, ne correspondent plus uniquement à la ges on de l'héritage d'apartheid à travers l'adop on de modèle urbains imposés par le haut mais témoignent de l'adop on de nouveaux modèles de développement par la société sud-africaine, voire à la produc on de modèles originaux. La diversifica on de l'offre de transport et le report modal d'une par e de la popula on motorisée vers les transports publics me semblent représenta fs d'un processus de normalisa on de la société urbaine sud-africaine. Dans ce cadre, j'ai recours notamment aux travaux de J. Robinson portant sur les « ordinary ci es » (2002). La chercheuse sud-africaine propose de considérer les villes ordinaires comme autant p.18 > d'espaces originaux où le fait urbain présente des caractéris ques propres. Ce changement de paradigme revêt une accep on supplémentaire en Afrique du Sud, où la normalisa on induite par le modèle des villes ordinaires traduit le dépassement d'un héritage socio-spa al à bien des égards anormal.
Appliquée au secteur des transports, la grille de lecture de la normalisa on permet d'appréhender le passage d'un idéal où l'ensemble des individus exclus ont accès aux transports en commun, vers un idéal de ville où l'ensemble des citadins a accès aux transports en commun. C'est ce changement de concep on et de pra que de l'espace urbain sud-africain que je souhaite observer et analyser dans le cadre de mes recherches post-doctorales.
Références : Baffi S. (2012). « Pra que d'une métropole émergente par les usagers des transports en commun, le cas du Cap, Afrique du Sud ». EchoGéo, n° 21. Robinson J. (2002). « Global and world ci es : a view from off the map ». Interna onal Journal of Urban and Regional Research, vol. 26, n° 3, pp. 531-554. Sassen S. (1991). The Global City : New York, London, Tokyo. Princeton : Princeton University Press, 397 p. Turok I. (2001). « Persistant polariza on Post-apartheid ? Progress towards urban integra on in Cape Town ». Urban Studies, vol. 38, n° 13, pp. 2349-2377.
Le moyen mobile de la vision : Une ethnographie de l’itinérance de «blackness » au Cap Chloé Faux EHESS - Paris
Formellement, dans les études sur la migra on, la voie suivie est souvent privilégiée par rapport à son contenu; ce qui se passe entre les deux est subordonné. Comment pouvons-nous combler ce qui est sec onné entre parenthèses - i nérance, mouvement lui-même - avec densité? Une ethnographie de l'i nérance nécessite la prise en compte de la façon dans laquelle « la biographie » et « la géographie » circulent autour et/ou fusionnent des itéra ons différentes du « migrant» et du « cosmopolite », non seulement des figures administra ves à discipliner par des régimes frontaliers concurrents, mais aussi des sujets incarnés qui affectent et qui sont affectés par leurs
environnements. Ils construisent leur propres géographies sensorielles sans que la géographie au sens « propre » du terme soit complètement démantelée. Ma thèse vise à étudier l'i nérance sous l'angle humain—figuré et incarné, en focalisant sur des convergences des i néraires de « blackness » en Afrique du Sud, au Cap en par culier, où plusieurs « pièges » de la « géographie » en tant que « force disciplinaire sur le sujet » (Rogoff 2010) sont à la fois mises en scène et mises en ques on. Le Cap, la colonie du Cap à la base, a été la première colonie européenne en Afrique du Sud et sa construc on
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comprend une série de migra ons volontaires et fo rc é e s . D e s m o d e s d e d o m i n a o n e t d e discrimina on ont abou à la délimita on formalisée et systéma sée des différents ensembles de l'humanité. L'apartheid est ce que Stephen Collier appelle un « régime de vie » c'est-à-dire « une configura on provisoire et située des éléments norma fs, techniques et poli ques qui sont mis en alignement dans des situa ons qui présentent des problèmes éthiques - c'est-à-dire des situa ons dans lesquelles la ques on du «comment vivre» est posée » (Collier 2008: 23). « La vie nue » (cf Agamben 1998) a été imagée et imaginée par des moyens chroma ques et épidermiques (cf. Fanon 2015), mais aussi discursif, par lequel le statut des «blancs onoraires » a été accordé aux Chinois et où les Indiens sont devenus « noirs », pour produire des configura ons socio-poli ques de la vie viable et remplaçable/marginale. Aujourd'hui, ces stra fica ons sont encore très visibles et sont encore aggravées par une nouvelle série de migra ons des Sud-Africains blancs rapatriés, des Blancs de colonies africaines désormais « indépendantes », une diaspora renouvelée du sous-con nent indien, les Africains noirs en provenance du reste du con nent, les touristes, ceux qu'on appelle des « producteurs culturels », les « professionnels mobiles » et « intellectuels étrangers » du reste du monde. Lors d'une enquête préliminaire financée par l'Ins tut Français d'Afrique de Sud, Blade, un chauffeur de taxi du Congo-Brazzaville, m'a dit, en ce qui concerne la rela on entre les Blancs et les Noirs : «Les Africains ont changé l'Afrique du Sud ». Il faisait allusion à la façon dont le présence de corps noirs « d'ailleurs», dans leurs ar cula ons différentes et différenciées, ouvrent une nouvelle pale e de significa ons et les ar cula ons de la "négritude" qui modifient les règles de la socialité. Qu'est-ce qu'une focalisa on sur des « émergences » (Stewart, 2007) ou des itéra ons de « blackness » en Afrique du Sud nous disent à propos du sens socio-culturel de l'appartenance, où « l'intégra on » n'est plus seulement une ques on purement poli que ou légale, mais un rapport entre le corps et son environnement. L'enquête se déroulera parmi ceux qui sont traités de « migrants » - demandeurs d'asile somaliens, femmes de ménage malawiennes, des commerçants en provenance du Zimbabwe, et ceux qu'on appelle des « expatriés » - un citoyen belge avec un père congolais et une mère malgache, un touriste
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américain, une anthropologue franco-américaine aux origines sierra-léonaises et gambiennes, parmi d'autres. Comment ces assemblages perturbent-ils ou convergent-ils avec une op que « post -apartheid » de la transforma on, à travers laquelle les hiérarchies des mobilités sociales et spa ales en Afrique du Sud sont facilement (ou bien par réflexe) compris? «La pauvreté », « la vulnérabilité » et « la xénophobie » semblent être des catégories analy ques surdéterminées et inextricablement liées (Williams 2015) – ainsi que l'alibi anthropologique « du culturel » (Morris 2007: 382) pour « lire » des m o u ve m e nt s d e s « A f r i ca i n s ét ra n ge rs » makwerekwere, provenant d'autres par es du con nent. Certes, il existe des paramètres définis par des agents de l'État, suivant une « logique d'ensembles délimités » (Gua ari 1995), mais ces paramètres sont affectés par les modes incarnés de l'accumula on, de l'inven on, et la traduc on, qui par cipent également à la structura on de l'environnement, au niveau technique, écologique ou linguis que.
Sources bibliographiques AGAMBEN,G. Homo Sacer: le pouvoir souverain et la vie nue, Le Seuil, Paris, 1998
présentation des chercheurs
COLLIER, S.J 2008. On Regimes of Living. In Global Assemblages: Technology, Poli cs, and Ethics as Anthropological Problems. Eds. Collier, SJ and Ong, A. London: Wiley. FANON F. 2015. Peau noire, masque blanc. Paris: Points essais. MORRIS, R. 2007. Legacies of Derrida: Annual Review of Anthropology. 36: 355-389.
ROGOFF, I. 2010. Exhausted Geographies [Video file].(2010, August 23). Retrieved from h ps://www.youtube.com/watch?v=PJOP9l0_nbI. STEWART, K. 2007. Ordinary Affects. Durham: Duke University Press. WILLIAMS, J. Poor Men with Money: On the Poli cs of Not Studying the Poorest of the Poor in Urban South Africa. Cultural Anthropology. 56 (11): S24-S32
Archives panafricaines : Anthropologie historique du panafricanisme en Afrique du Sud Alice Aterianus-Owanga Université Lyon II
Anthropologue, réalisatrice de documentaires et actuellement enseignante à l'université Lyon 2, Alice Aterianus-Owanga a consacré une large par e de ses recherches aux construc ons iden taires en œuvre autour des musiques ou des danses urbaines en Afrique, en s'intéressant par culièrement aux représenta ons de l'africanité et aux panafricanismes qui se fabriquent dans le sillon du hip-hop. Elle a réalisé une thèse de doctorat en anthropologie (soutenue en décembre 2013 à l'université Lyon 2) qui traitait de l'appropria on du rap au Gabon, et qui se basait sur une ethnographie de plusieurs années. Par la suite, elle a poursuivi des perspec ves historiques ouvertes dans sa thèse, en réalisant une recherche postdoctorale d'une année au sein du Labex CAP et du LAHIC/IIAC (Paris). Elle a travaillé sur les patrimonialisa ons des sociétés ini a ques induites par les créa ons des musiciens gabonais dit « modernes » et par leurs circula ons dans les marchés interna onaux de la musique. Grâce à une alloca on de l'APRAS (Associa on pour la recherche en anthropologie sociale), elle a aussi consacré une par e de son travail à l'ambivalence entre marchandisa on de l'africanité et élan panafricaniste qui s'observe dans les œuvres de ces musiciens de différentes périodes. C'est dans le cadre de ce e démarche historique qu'elle a commencé à s'intéresser aux fes vals
panafricains qui se sont tenus sur le con nent après les indépendances, à la place qu'ils ont exercée pour la représenta on de l'africanité dans les arts, et aux acteurs ou projets culturels qui se chargent aujourd'hui, en différents lieux, de construire une mémoire autour de ces événements. Parmi ceux-ci,
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des associa ons sud-africaines oeuvrent actuellement pour la mémoire et la diffusion de la pensée panafricaine, au travers de plateformes d'archives en ligne, de performances ar s ques, ou de rencontres culturelles. Inspirée par ces observa ons, la nouvelle recherche d'Alice AterianusOwanga propose d'examiner les modalités de produc on, d'expression et de réinven on du panafricanisme qui s'élaborent au travers de plusieurs sites, acteurs et associa ons culturelles sudafricaines contemporaines. Elle se penchera pour ce faire sur l'une des principales ins tu ons qui collecte et poursuit l'histoire panafricaine sur le con nent : le projet Chimurenga, basé à Cape Town. Au travers d'une anthropologie des archives, elle examinera d'abord l'une des principales collec ons du fonds d'archives de Chimurenga, celle collectée et mise en ligne à propos du Fes val of Black Arts and Culture (FESTAC) de Lagos. Ce fes val culturel tenu en 1977 marqua un tournant, à la fois pour la pensée panafricaine, la construc on des États africains et la mise en place de marchés de l'art africain. En travaillant sur les archives de Chimurenga, il s'agira d'approfondir la connaissance de ce fes val charnière
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dans l'histoire du panafricanisme, et de comprendre l'usage des archives de cet événement. D'autre part, sa recherche s'intéressera aux ac ons culturelles et ar s ques qui sont actuellement développées autour de l'idée panafricaniste à Johannesburg et Cape Town. En suivant les ac vités développées par des ar stes et des fes vals musicaux se revendiquant du panafricanisme, elle réfléchira aux héritages et réinven ons de ce mouvement dans l'Afrique du Sud contemporaine. Menée à par r d'une démarche ethnographique et d'anthropologie historique, ce e étude contribuera ainsi à la connaissance de ce mouvement poli que, culturel et idéologique majeur que cons tue le panafricanisme, elle améliorera la compréhension des images de l'africanité développées au travers des a r t s e t d e s fe s v a l s c u l t u r e l s d e p u i s l e s indépendances, et elle éclairera les enjeux et orienta ons que prend le projet panafricain dans le contexte sud-africain contemporain.
conférences & séminaires Les Steve Biko conférences en philosophie L'objec f de ce e série de conférences est d'interroger la cri que de la modernité du point de vue épistémique, telle que la vie et la pensée de Steve Biko la représentent et la symbolisent. Les six intervenants de la Chaire de Philosophie aborderont des thèmes directement liés à la situa on poli que et culturelle d’une société postcoloniale et postapartheid comme l'Afrique du Sud ; situa on excep onnelle qui apporte un éclairage sur les limites de la modernité. Série de conférences organisé par le Centre pour la phénoménologie en Afrique du Sud, l'Ins tut français d'Afrique du Sud, le Centre d'études indiennes en Afrique et avec le sou en de la Fonda on Steve Biko. Ÿ
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Some Philosophical Reflec ons on Why the Global Fight Against Racism Has Failed Robert Bernasconi, Penn State University
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Steve Biko Lectures in Philosophy 2016
S ll Hoping for a Revolu on Gayatri Chakravorty Spivak, Université de Columbia
Discutants : Abraham Olivier, Université de Fort Hare; Zinhle Mncube, UJ
Discutants : Achille Mbembe, Wits Ins tute for Social and Economic Research; Srila Roy, Wits
18 février 2016 - 13.00 – 16.00 Madibeng Bdg., Université de Johannesburg
21 juillet 2016 - 13.00 - 16.00 Madibeng Bdg., Université de Johannesburg
Poli cs and Passions: the Stakes of Democracy Chantal Mouffe, Université de Westminster
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Title TBA Alain Badiou, ENS
Discutants : Shireen Hassim, Wits; Peter Hudson, Wits
Discutants : Catherine Botha, UJ; Rafael Winkler, UJ
10 mars 2016 - 13.00 – 16.00 Madibeng Bdg., Université de Johannesburg
14 novembre 2016 - 13.00 – 16.00 Madibeng Bdg., Université de Johannesburg
East and South Africa from an Achaeological Perspec ve 1 séminaire archéologique bilatéral – 2016 (USR 3336 : UMIFRE 24 de Nairobi, UMIFRE 25 de Johannesburg)
Early hominins, past interac ons and current recons tu ons in the southern and eastern African cradles 22 avril 2016 Ins tut Français d’Afrique du Sud Organisa on : Jean-Philip Brugal (CNRS, IFRA Nairobi) & Guillaume Porraz (CNRS, IFAS Johannesburg)
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Conférence Internationale
Cuba et l’Afrique Engagements, circulations et représentationis raciales 23 – 24 mai 2016 The Ins tute for Humani es in Africa (HUMA), University of Cape Town, Republic of South Africa africains. De quoi ce e mise en scène de la solidarité est-elle le reflet ? D'un interna onalisme cubain qu'on pensait anachronique ? D'un panafricanisme nourri au creuset du marxisme ? D'un développementalisme soutenu par des poli ques de collabora on ? De solidarités Sud-Sud renouvelées ? (Adams 1981, Adi 2014, Falk 1987, Gleijeses 1996). Il faudrait pour répondre revenir sur les histoires, les représenta ons et les pra ques qui ont accompagné, transformé ou influencé les rela ons entre Cuba et l'Afrique. Ce e première rencontre a comme objec f de prendre l'ampleur de ces engagements mul formes entre Cuba et de nombreux pays en Afrique.
Les contours d'un « panafricanisme cubain »
En Septembre 2012, la 4ème rencontre « Solidarité africaine avec Cuba » se tenait à l'Union Africaine à Addis-Abeba, Ethiopie. 27 pays africains étaient représentés par des ambassadeurs, des professionnels, des associa ons et des militants, qui ont déba u pendant deux jours avec une déléga on cubaine au rythme de phrases telles « Viva Fidel ! », « Cuba estamos con go ! ». Les délégués discutèrent des lu es communes, des sanc ons sur Cuba, du sort des « cinq cubains » retenus aux Etats-Unis, et du développement conjoint de Cuba et des pays
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Nos réflexes d'historiographies na onales, pas moins prégnants dans l'Afrique des indépendances, et nos approches par aires culturelles semblent avoir empêché de considérer l'ampleur de l'engagement de Cuba en Afrique au 20ème siècle. Il s'agit donc, dans un premier temps, de me re bout à bout les domaines concernés par ce e « coopéra on » aux mul ples dimensions. Militaire, comme dans le cas excep onnel de l'Angola, avec le débarquement de plusieurs dizaines de milliers de soldats cubains dans les années 70 et 80, qui modifia drama quement, défini vement, les rapports de forces en Afrique australe, de Luanda à Pretoria (voir Piero Gleijeses 2002 et 2013). Médicale, sur une grande par e du territoire con nental, que ce soit lors de crises par culières ou, plus régulièrement, pour former des médecins locaux. Educa ve donc, avec les forma ons techniques, administra ves, universitaires, sur place et souvent à la Havane, d'un grand nombre de jeunes et de professionnels. Culturelle aussi, si l'on entend par là la musique dès le début du 20ème siècle, la danse, le théâtre ou encore ces ballets fondés à l'aube de la révolu on à Cuba (Hagedorn 2011) et après les
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indépendances en Afrique du l'Ouest (Djebbari 2012), et qui ont largement contribué aux processus de construc on na onale. Religieuse enfin, depuis que Cuba est revenue en force en tant que vecteur de tradi onnalité yoruba, dans une rela on ambivalente avec le Nigeria (Argyriadis et Capone, 2004, 2011, Gobin, 2014). Il ne s'agit pas tant de proposer un « chiffrage » de ces implica ons que de fournir, par la mul plica on des études de cas, une première vue d'ensemble, transna onale et con nentale, de ce qui pourrait être appelé un « panafricanisme cubain ».
Mobilités et circula ons Il conviendrait d'interroger ce e expérience cubaine depuis l'Afrique, et non seulement depuis Cuba. Ce e autre perspec ve croise les échelles et les espaces, elle s'a ache à retracer les circula ons des idées, des hommes et des biens entre Cuba et des sites et temporalités diverses en Afrique. Aussi, une a en on par culière est donnée aux influences, aux traces, aux mémoires de Cuba en Afrique ainsi qu'aux mémoires d'Afrique à Cuba. Archives, acteurs et mémoires sont situés à La Havane ou San ago, ainsi qu'à Porto Novo, Luanda, Zanzibar, Addis-Abeba, etc. Les histoires de vie, d'échanges, ou de transferts offrent une épaisseur sociale au cadre transna onal ou atlan que des interven ons militaires, médicales, éduca ves et culturelles. Ainsi les Cubains ayant par cipé aux opéra ons militaires en Afrique ; ou les Africains valorisant leur expérience cubaine une fois rentrés au pays. Les rela ons entre Cuba et l'Afrique ont également laissé un patrimoine matériel : bâ ments, monuments dont celui de l'ami é EthioCubaine (Addis-Abeba), cime ères militaires, une iconographie (OSPAAAL), une li érature et un savoir scien fique. Autant de trajectoires et d'héritages qui perme ent de cartographier les mobilités et les circula ons fondatrices de la rela on africanocubaine.
La fabrique du monde post-racial
propos des autorités cubaines, comme ici ceux de Fidel Castro devant le parlement sud-africain en 1998, ont désigné le racisme comme l'un, sinon le premier de leurs ennemis. Ce discours sur la race s'ancre d'abord dans la réalité sociale du Cuba révolu onnaire (de la Fuente 2001), dans les tensions qui y naissent (Moore 2008, Rodriguez 2004, Nunez Gonzales 2011), puis dans le combat avec les EtatsUnis (Moore 1989). Il prend un relief par culier lorsqu'on considère les représenta ons précédant ou naissant des rela ons entre Cuba et l'Afrique. L'enchevêtrement du racialisme et de son dépassement, le non-racialisme, propre à la Cuba révolu onnaire, avec ses réussites et ses échecs, représente une éthique et un impéra f catégorique qui ont nourri et qui se sont nourri de l'engagement cubain en Afrique. Il s'agit aujourd'hui d'évaluer la charge idéologique des discours, et d'iden fier les usages et les enjeux de la « race » dans les rela ons entre Cuba et l'Afrique. Interroger les mobilités, les rela ons et le travail de la « race » entre Cuba et l'Afrique me ent à jour une histoire atlan que par excellence, à la fois forte de ses implanta ons locales, et per nente dans sa globalité. Comité scien fique Kali Argyriadis (URMIS, IRD) Belete Bezuneh Yehun (Addis Ababa University) Giulia Bonacci (URMIS, IRD) Adrien Delmas (IFAS) Piero Gleijeses (John Hopkins University) Shamil Jeppie (HUMA, University of Cape Town) Antonio Tomás (Stellenbosch University) Pablo Rodriguez Ruiz (Ins tuto Cubano de Antropologia) Organisateurs URMIS (Unité de recherche Migra ons et Société, UMR205) IFAS - Ins tut français d'Afrique du Sud (UMIFRE 25, USR 3336)
« L'apartheid, en réalité, fut universel, et il a duré plusieurs siècles »¹. Explicites à plus d'une reprise, les
¹
Hedelberto López, Blanch, Cuba Pequeño gigante contra el Apartheid, Casa Editora Abril, Havana, 2008: 30.
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Workshop : George McCall Theal and South Africa’s past 27 mai 2016 University of Cape Town Le travail de Georges Mac Theal a trop longtemps été considéré comme étant colonial, raciste et par conséquent, sans aucune valeur. Ce travail a pourtant été de première importance en termes de catégorisa on et de représenta on du Sud et du passé de l'Afrique australe. Theal a défini les principales périodes de l'histoire de la région, périodes encore u lisées aujourd'hui et, en écrivant une histoire na onale, il a conçu un cadre géographique qu'il considérait per nent sur un tel passé. Dans le contexte de ce e époque, Theal fut un pionnier dans bien des champs, y compris celui l'histoire orale, l'étude des peintures rupestres et la publica on de documents originaux. Sa trajectoire dans les archives de la colonie du Cap et d'Europe,
French Ins tute Seminars in Humani es (FISH) 9 février Ÿ Thibault Dubarry: Pentecostalism and Democracy in Kayamandi 16 mars Ÿ Robin Gastaldi: South Africa's military deployment in the DRC: The priva za on of a Foreign Policy 6 avril Ÿ Alicia Renard: Organisa on, enjeux et mo va ons du commerce informel d'ar sanat en Afrique du Sud. Etude de cas à Port-Elizabeth Mai Ÿ Solène Baffi: Réseaux et mobilités dans les espaces périphériques de l'Afrique du Sud post-apartheid 1 juin Ÿ Frank Gerits: The Ideological Scramble in Africa: How the Dream of African Development shaped a Con nental Cold War (1945-1966)
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ainsi que la publica on de ses nombreux volumes indiquent qu'il avait une vision élargie du passé de la région. L'approche du centenaire de sa dispari on est l'occasion de reconsidérer son héritage. Autour de trois probléma ques, ce workshop entend explorer : Ÿ
Les ou ls de Theal : comment a-t-il appréhendé des champs tels que l'histoire orale, l'art rupestre, la linguis que et l'archéologie ? Quel est, au sens large, le contexte intellectuel de ces champs et de quelle manière s'inscrit son travail dans ce contexte ?
Ÿ
Les résultats de Theal : quelles ont été ses stratégies de publica on (collec on de documents, recueils, ouvrages scolaires, etc.) ? Comment est-il parvenu à donner de la cohérence à un projet de construc on na onale ?
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La récep on de Theal : qui lit les travaux de Theal et quelle fut leur l'influence ?
Organisa on : Adrien Delmas (IFAS) Chris Saunders (UCT )
Septembre Ÿ Isabelle Ndiaye : Nature de la poli que urbaine,
nature de l'Etat : Logiques de légi ma on au Botswana Ÿ Iolanda Vasile : O poder da escrita: (re)escrevendo as lutas de libertação em Angola (1945-1961) [The power of wri ng: re(wri ng) the libera on struggles in Angola (1945-1961) ] Ÿ Adelphine Bonneau : Characteriza on and da ng of rock art in southern Africa Octobre Ÿ Gabrielle Hartmann: Censure musicale sous l'apartheid Novembre Ÿ Charlo e Pelletan : Lu e contre le Sida et défis de l'innova on pharmaceu que en Afrique du Sud : vers une déclinaison inédite du principe d'accès universel aux an rétroviraux Ÿ Alice Aterianus : Anthropologie des archives et de la mémoire du panafricanisme en Afrique du Sud
publications Renaud Ego : L’Animal voyant : Art rupeste d’Afrique australe Pourquoi, dans la gro e Chauvet ou dans celle de Lascaux, l'exigence de représenter les animaux a-telle été l'impulsion cruciale donnée à la naissance de l'art ? Et pourquoi ces derniers ont-ils régné si longtemps sur la figura on ? Afin de répondre à ces ques ons, Renaud Ego met en lumière l'efficacité singulière des images qui furent, pour les hommes, un moyen de nouer un contact avec le monde, mais plus encore, de le réfléchir et d'y agir. Il s'appuie sur l'un des plus beaux arts rupestres, celui des San d'Afrique australe, dont l'iconographie excep onnelle de ce livre révèle la virtuosité et la splendeur. Pendant plusieurs milliers d'années, ces chasseurs et cueilleurs nomades ont peint ou gravé sur la roche de leurs abris la faune qui partageait leur vie. Certains animaux, telle la plus grande des an lopes, l'Eland du Cap, y ont été l'objet d'un regard fasciné, comme si leurs corps aux formes et aux parures exubérantes avaient été la clé d'un savoir dont le si troublant silence des bêtes gardait le secret. C'est ce secret que les San ont cherché à leur dérober, dans un geste de capture, dénué de toute violence, mais paré du pres ge de rendre visible ce qui se cachait. Ils devinrent ainsi cet animal voyant qui, possédant le don des images, allait s'ouvrir à un pouvoir visionnaire. Alors, dans l'inven on d'un fabuleux bes aire de créatures fantas ques, comme dans la composi on de scènes qui sont des pactes visuels passés avec les puissances ancestrales, ils accédèrent à la dimension spirituelle de leur pleine humanité. Plus qu'une incanta on, leur art y est une ac on visant à préserver l'intégrité d'une existence liée à l'harmonie du monde et de tous les êtres, réels ou imaginaires, qui le peuplent.
2015, Paris, Edi ons Errance, 285p. ISBN: 978-2877725835
Renaud Ego est l'un des rares spécialistes français de l'art rupestre d'Afrique australe. L'inven on du regard et la fabrique des images occupent aussi une place centrale dans son oeuvre de poète et d'écrivain, comme dans La Réalité n'a rien à voir et Une légende des yeux.
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IFAS - Recherche 62 Juta Street, Braamfontein PO Box 31551, Braamfontein, 2017, Johannesburg Tel.: +27 (0)11 403 0458 Fax.: +27 (0)11 403 0465 Courriel : research@ifas.org.za Pour recevoir des informations de l’IFAS Recherche, veuillez nous envoyer un courriel avec ‘subscribe research’ comme objet.
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