4 minute read

Les affaires de famille

Alicia Navarro - Fuerteventura

Quand j’étais petite, je vivais dans une famille hétéroclite, mes grands-parents, les grands-oncles, les cousins et cousins éloignés et une longue liste de membres de la famille que nous avions l’habitude de voir. Je connaissais même les amies de mes grands-parents, non seulement pour avoir entendu parler d’elles, mais pour les avoir rencontrées. En effet, il était rare que l’amie Luisa ne passe pas par la maison de mes grands-parents, chargée de millet, de cresson frais et de pommes de terre pour faire une bonne soupe, comme elle disait…

Advertisement

La porte qui donnait sur la rue était constamment ouverte, jusqu’à ce que le dernier homme de la famille soit rentré, qui se chargeait de la fermer. C’était souvent vers minuit et il était normal de demander à voix haute : Manque-t-il quelqu’un à la maison ? Qui était suivi d’un oui ou d’un silence, après quoi la porte était fermée. Tout était un peu chaotique dans la maison des grands-parents, certains de leurs sept enfants y vivaient aussi, mes « tontons » amusants, certains étaient célibataires, et accaparaient la majeure partie des « sermons » de ma grand-mère, à propos de leurs « amies spéciales », qui bien entendu n’étaient jamais à la hauteur, mais ça leur était égal, le jour suivant, il y avait déjà la « relève »… D’autres étaient là pendant les vacances, ils venaient des États-Unis, d’Israël, de partout dans le monde…

Ensuite, il y avait les médecins, mais ils avaient chacun une chambre de prête, au cas où ils arriveraient à l’improviste comme ceux qui se querellaient avec leur femme et venaient en parler avec la grand-mère qui mettait de l’ordre. Mes oncles en prenaient pour leur grade, mais inexplicablement, ils semblaient être contents…

Il y avait seulement une occasion quand on ne pouvait pas compter sur eux, mais nous le savions tous. C’était quand la grand-mère jouait au piano et quand le grand-père écrivait à la machine un de ses interminables rapports pour l’Inspection de l’Enseignement Primaire. En dehors de ces activités, les grands-parents étaient attentifs et disponibles. La maison était pleine de visiteurs, ça sentait toujours le café, le chocolat, les biscuits et l’anis…

Les visiteurs riaient beaucoup pendant les conversations, ma grand-mère était très bavarde, avec une pointe de sarcasme et un grand sens de l’humour. C’était une femme très intelligente, en avance sur son temps, qui faisait toujours ce qu’elle voulait. Mon grand-père était un homme sérieux, excessivement même, je dirais, et il n’avait d’autre choix que d’accepter les idées de ma grand-mère et de regarder de l’autre côté ou de se ré-

Elle disait que dans notre famille il y avait deux types de personnes, ceux qui « étaient un peu toqués » et « ceux qui mon oncle, ses frères, ses neveux, ses cousins, tous prêtres et aussi trois de ses sœurs étaient nonnes, au total, elle avait 12 frères. J’ai reçu beaucoup d’affection d’eux tous et une bonne formation religieuse, qui m’a servi dans plusieurs étapes de ma vie. Au cours de ma vie, j’ai compris que les religions ne sont pas seulement quelque chose de spirituel, elles sont aussi une culture, un mode de vie, un « langage » qui nous permet de communiquer avec les mêmes concepts.

Nous, ceux qui « étaient un peu toqués », étions nombreux, même si nous étions moins nombreux que l’autre groupe… et je dis « nous étions », parce que ma grand-mère m’avait incluse dans ce groupe. C’était en partie à cause de mes conversations avec un singe de la race Titi que mon grand-père avait ramené d’Afrique. Je lui racontais mes doutes sur certaines choses, comme, pourquoi la grand-mère mettait les partitions de musique à l’envers ? Pourquoi mon grand-père mettait à la poubelle plus de papier que le nombre de lettre qu’il envoyait ? Parmi mes monologues avec le singe, il y avait des sujets « incompréhensibles » comme pourquoi les hommes pouvaient être les derniers à arriver à la maison ? Pourquoi est-ce que je devais rentrer de jour ? Bien entendu, il y avait l’explication de la grand-mère « tu es une parce que c’était suivi de « vas donc jouer avec le singe c’était un monologue dans les règles de l’art…

Mon père appartenait aussi à ceux qui « étaient un peu toqués » et son petit frère, qui était psychiatre, nous accompagnait dans ce groupe aussi. Le frère qui était curé, faisait quelques tentatives, avec de petites « incursions » ponctuelles, mais ma grand-mère se chargeait de le faire rentrer au bercail rapidement, garantisse « le sauvetage de l’âme ».

Les grands-oncles écrivaient de nombreuses lettres, avec des photos en noir et blanc, mes préférées étaient celles qui venaient de Cuba.

J’ai appris à lire l’été précédant mes six ans, et c’est ainsi que mes souvenirs commencent au mois de septembre…

Le grand-oncle Paco avait été le premier à s’en aller à Cuba, il racontait dans ses lettres, qu’il avait créé une banque qui s’appelait « Banco de los Colonos » (Banque des Colons), ça devait être quelque chose d’important, car quand il est mort, on l’a enterré avec de grands honneurs, dans le cimetière de Colomb, qui, bien que ce soit un lieu sinistre, est un des plus beaux que je n’ai jamais vus. J’étais chargée de ranger, par ordre chronologique, les photos et les lettres et je classais les timbres à part, dans un album. C’est ainsi que j’ai réalisé que le grandoncle Paco était mort 18 ans avant ma naissance et que les lettres qui continuaient d’arriver, étaient celles ce son au concept de la mort pour la première fois…

J’ai vécu tout cela jusqu’à mes neuf ans, et le reste de ma vie a continué, loin de ces années, où habitaient leurs vies à l’odeur de café, de chocolat et des biscuits de la grand-mère…

This article is from: