— La commerciap. 4 lisation de l’environnement G RE ENPEACE MEMB ER 201 6, Nº 2
Négoce et nature
DOSSIER: ESSAI: Le marché du CO2, pour le meilleur ou pour le pire? ENTRETIEN: Pétrole bon marché: «La seule solution est la sortie de l’énergie fossile» POINT DE VUE: La nature et ses richesses CONTEXTE: Bioéthanol: le rôle problématique de la Suisse PORTRAIT: «Moi, négociant en énergie chez BKW…» CAMPAGNES: ESSAI PHOTOGRAPHIQUE: L’Arctique en proie à la pêche industrielle BEZNAU: L’IFSN refuse la transparence ALIMENTATION: Transparence sur les pesticides Brèves En action Éditorial Mots fléchés écolos
MENTIONS LÉGALES GREENPEACE MEMBER 2 / 2016
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En ligne
Fairtrade 2.0: Gadgets pour idéalistes* CO2: Licence pour respirer* Entretien: Conséquences du libre-échange et du protectionnisme douanier pour l’agriculture en Afrique*
Éditeur / adresse de la rédaction Greenpeace Suisse Badenerstrasse 171 Case postale 9320 8036 Zurich Téléphone: 044 447 41 41 redaction@greenpeace.ch www.greenpeace.ch Équipe de rédaction: Tanja Keller (responsable), Hina Struever (rédaction photographique), Samuel Schlaefli Correction/relecture: Text Control/Marc Ruegger Auteurs: Hannes Grassegger, Florian Kasser, Thomas Kesselring, Inga Laas, Pieter Poldervaart, Samuel Schlaefli, Yves Zenger, Françoise Debons Minarro Traduction en français: Nicole Viaud et Karin Vogt Maquette: Hubertus Design Impression: Stämpfli Publikationen AG, Berne Papier couverture et intérieur: 100% recyclé Tirage: 84 000 en allemand, 18 000 en français Parution: quatre fois par année Le magazine Greenpeace est adressé à tous les adhérents (cotisation annuelle à partir de 72 francs). Il peut refléter des opinions qui divergent des positions officielles de Greenpeace. Pour des raisons de lisibilité, nous renonçons à mentionner systématiquement les deux sexes dans les textes du magazine. La forme masculine désigne implicitement les personnes des deux sexes, et vice-versa. Votre adresse est-elle correcte? Prévoyez-vous un déménagement? Prière d’annoncer les changements par courriel à suisse@greenpeace.org ou par téléphone au 044 447 41 71. Merci de votre soutien! Dons: Compte postal 80-6222-8 Dons en ligne: www.greenpeace.ch/dons Dons par SMS: Envoyer GP et le montant en francs au 488 (par exemple, pour donner 10 francs: «GP 10»)
* Vous trouverez des articles inédits du magazine sur le site Internet de Greenpeace: www.greenpeace.ch/magazine
Cette édition du magazine traite du commerce. Et des activités économiques autour de la nature. Le négoce fait bouger les choses. Mais est-ce qu’il profite à la nature? Ou seulement à l’économie? Ce sont les partenaires d’affaires qui en décident. Beaucoup considèrent la nature comme un magasin en libre-service, et non comme une entité autonome. La nature ne peut pas parler pour ellemême. C’est pourquoi nous essayons de faire entendre sa voix. Chacun doit se mobiliser pour la défendre. Il est temps d’agir. La rédaction
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ÉDITORIAL
Négocier ou agir? Greenpeace ne se limite pas aux actions spectaculaires relayées par les médias. Bien sûr, quand nos militants interviennent avec leurs combinaisons blanches, les caméras sont là. C’est le cas quand les négociations ne sont pas encore possibles ou lorsqu’elles ont échoué. Mais que ce soit Nestlé, Migros ou Mammut, les sociétés visées ont en général déjà fait connaissance de Greenpeace en salle de négociation (ou devant leur bâtiment). Avec l’industrie pharmaceutique bâloise, Greenpeace avait mené un véritable marathon de négociations pour résoudre le problème des déchets toxiques enfouis dans le sol. De même, pour la stratégie énergétique de la Confédération, Greenpeace intervient dans de multiples séances pour appuyer les énergies renouvelables. Autre exemple, Nestlé, qui avait accepté de passer à l’huile de palme durable pour sa célèbre barre chocolatée après une campagne mémorable. Gouvernements, grands distributeurs, banques ou sièges de multinationales: Greenpeace leur rend visite quand cela fait avancer les choses. Les millions de personnes qui nous soutiennent, les centaines de bénévoles qui participent aux activités nous permettent de peser sur les négociations. Indépendants par rapport à l’économie et aux instances étatiques, nous négocions dans l’intérêt des êtres humains et de l’environnement. Greenpeace ne recule pas devant la confrontation et l’action courageuse, ce qui nous permet de faire évoluer les dossiers et d’imposer de réels changements.
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Certes, les évolutions sont souvent trop lentes pour l’environnement, les populations, l’avenir… C’est pourquoi nous faisons aussi preuve d’impatience et préférons souvent agir plutôt que négocier. Certes, nous n’aimons ni perdre de temps en pourparlers qui ne mènent à rien, ni faire attendre nos adhérents pendant des mois, ni conduire des négociations dans l’ombre. Mais finalement, c’est presque toujours la voie de la négociation qui permet des avancées visibles et durables pour l’environnement. Et là, pas de caméra pour saisir le moment décisif. Le message que les médias ne relatent donc pas, c’est que Greenpeace signifie confrontation non violente, mais aussi dialogue orienté vers la recherche de solutions. Markus Allemann et Verena Mühlberger, co-direction de Greenpeace Suisse
© NI C O LA S FO JTU / GREENP EAC E
DOSSIER SUR LE COMMERCE
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Mise en scène de marée noire Une trentaine de militants de Greenpeace protestent contre les dangereux forages pétroliers pratiqués dans l’Arctique par la compagnie pétrolière autrichienne OMV devant le siège de l’entreprise à Vienne. Cinq-cents oiseaux artificiels englués de pétrole symbolisent la marée noire que pourrait provoquer la production pétrolière débutée en mer de Barents en janvier 2016. Vienne (Autriche), 16 février 2016
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© M I T JA KO BA L /G R EE N P EAC E
LE MARCHÉ DES DROITS D’ÉMISSION DU CO2, UN SYSTÈME COMPLEXE par Thomas Kesselring
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© PAUL L AN GRO C K / GREENP EAC E
ESSAI
Rejets de CO 2 pour un vol Zurich—New York retour (12 647 km) ou Zurich—Berlin retour (1318 km) Organisation
Émissions de CO2 Zurich–New York retour Zurich–Berlin retour
Myclimate (CH)
Atmosfair (DE)
Klima ohne Grenzen (DE)
Naturefund (DE)
Trees for All (UK/NL)
2345 kg
3602 kg
2240 kg
4664 kg
3000 kg
348 kg
354 kg
270 kg
490 kg
750 kg
67 1/209 CHF 2
83 €
49,28 €
60 € 3
30 € 5
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10 €
5,94 €
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7,50 € 6
Compensation New York Berlin 1 2 3 4 5 6
Programmes de compensation à l’étranger Programmes de compensation en Suisse Planter 10 arbres à 6 euros la pièce Planter 1 arbre à 6 euros 1 arbre devrait croître durant 264,5 années ou 13 arbres durant 20 années chacun 1 arbre devrait croître durant 66,5 années ou 3 arbres durant 20 années chacun
Remarque: sur 100 kilomètres, un avion à réaction consomme environ 500 litres de kérosène, donc 5 litres par personne pour 100 passagers. Pour les vols à longue distance évoluant à la même hauteur durant plusieurs heures, la consommation se réduit à environ 4 litres par personne sur 100 kilomètres.
© PAUL L A NGRO CK / GREEN PEAC E
Si vous prenez l’avion pour l’Amérique du Nord, vous avez de bonnes chances de survoler le sud du Groenland, avec ses fantastiques glaciers. La fonte de ces glaciers ferait monter le niveau de la mer de sept mètres. Or le trafic aérien contribue fortement à l’effet de serre. Est-il possible de compenser sérieusement les émissions de CO2? Après avoir doublé de volume ces quinze dernières années, le trafic aérien consomme actuellement 11 500 litres de kérosène par seconde… Il existe des organisations qui proposent une compensation de ces émissions. En Suisse, le leader s’appelle Myclimate; pour la Grande-Bretagne, c’est Trees for All, tandis que l’Allemagne compte trois organisations de ce genre, parfois aussi pour d’autres sources de CO2. La compensation se fait généralement dans les pays en développement. Toutefois le calcul des rejets de carbone et des compensations peut varier considérablement. La compensation des émissions Les organisations proposant des compensations individuelles non obligatoires en appellent à la bonne volonté des passagers, mais la plupart des personnes y renoncent. Les acteurs qui émettent de grandes quantités de gaz à effet de serre (entreprises, États) sont quant à eux obligatoirement soumis à un mécanisme de compensation. Des quotas ou des droits d’émission sont fixés à l’avance pour chaque pays (cap). Le pays touche alors les certificats (droits) correspondants, qui sont négociables à prix de marché (trade). Au début du processus, les certificats sont généralement distribués gratuitement ou vendus aux enchères. Il existe deux systèmes majeurs de compensation des émissions. Le premier découle de la directive de l’Union européenne sur le commerce des droits d’émission (Système d’échange de quotas d’émission ou SEQE), en vigueur depuis 2005, uniquement pour le CO2. Chaque certificat donne droit Magazine Greenpeace Nº 2 — 2016
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LE COMMERCE DES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE
à l’émission d’une tonne de carbone. Prévu initialement à 20 euros, le prix est temporairement passé à 30 euros en 2006 pour retomber ensuite de manière à perdre toute fonction d’incitation, puisque la tonne de carbone ne coûte actuellement que 4,90 euros. Le second système de commerce des droits d’émission est basé sur le Protocole de Kyoto (en vigueur depuis 2005 et jusqu’à l’horizon 2020). Il couvre également le méthane et le gaz hilarant. Le Protocole de Kyoto oblige 38 pays industrialisés (pays de l’annexe B) à réduire leurs rejets de carbone. Les pays en développement et les pays émergents ne sont pour l’instant pas concernés. Les pays de l’annexe B sont autorisés à négocier leurs certificats entre eux. Si un participant (État ou entreprise) rejette moins de CO2 que prévu, il a le droit de revendre les certificats correspondant aux quotas non dépensés. Les projets de réduction des émissions peuvent être portés par plusieurs pays, qui ont le droit d’imputer une partie des économies à leurs propres objectifs de réduction (mise en œuvre conjointe). Un autre dispositif est le mécanisme de développement propre (MDP), qui prévoit que les pays de l’annexe B peuvent acheter des certificats complémentaires en réduisant les émissions dans les pays en développement et dans les pays émergents (pays non membres de l’annexe B).
Les défauts du système D’abord, le commerce des droits d’émission n’est pas un instrument de protection du climat. Celui qui rejette moins de carbone peut revendre ses certificats excédentaires à un acteur qui sera alors autorisé à émettre davantage de CO2, sans aucune économie à la clé. Le mécanisme peut même s’avérer contre-productif: dans les années 1990, la désindustrialisation des pays d’Europe de l’Est a fait chuter leurs émissions de carbone. Les certificats libérés ont été revendus, ce qui a permis des émissions plus élevées ailleurs. Sans le commerce des droits d’émission, les émissions globales auraient été moindres. Par ailleurs, les entreprises les plus nuisibles au climat réalisent de gros bénéfices sur ce marché. Entre 2005 et 2012, les grands producteurs d’électricité allemands ont obtenu – gratuitement – des droits d’émission pour environ 21,4 milliards d’euros. Le commerce des certificats favorise-t-il le passage du fossile aux renouvelables? Plutôt pas. Même si la transition énergétique est facilitée par la chute tendancielle des prix, les nouvelles technologies exigent des investissements coûteux. Le marché du carbone ne stimule guère ces investissements, puisqu’il se base sur la compensation la moins chère possible. Alors que les pays industrialisés devraient réduire leurs rejets de carbone de 90% d’ici à 2050… >S d VgUf[a` VWe dW\Wfe VW USdTa`W Wef g` W`YSYW_W`f g`W aT^[YSf[a` Or le commerce des certificats ne connaît que des droits: droits d’émission, droits de pollution, droits commerciaux. Négliger ce paradoxe, c’est oublier que la protection du climat se fera par l’obligation
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(ou l’engagement) à rÊduire les Êmissions (cap), et non par le droit de nÊgocier les droits d’Êmission (trade). En outre, le commerce des droits d’Êmission contrevient au principe du pollueur payeur. Les coÝts devraient en fait augmenter en fonction du degrÊ de pollution. Mais quand le marchÊ fixe les prix, le lien avec le degrÊ de pollution est rompu. DistribuÊs gratuitement, les quotas d’Êmission sont de vÊritables licences de pollution. Et quand ils sont vendus aux enchères, les certificats profitent aux acteurs riches. 3gfdW bdaT^€_W ^W _ US`[e_W VW V hW^abbW_W`f bdabdW ?6B qui permet aux pays les plus pollueurs de rÊaliser des rÊductions dans les pays en dÊveloppement. Ce qui peut passer pour une mesure d’aide au dÊveloppement a en rÊalitÊ pour effet de retarder la transition Êcologique des nations industrialisÊes. Et il est particulièrement difficile de chiffrer les Êconomies de carbone dans les pays en dÊveloppement. Le spÊcialiste Daniel Spreng explique: Les projets MDP (centrale à gaz efficiente, p. ex.) ne sont pas comparÊs à la situation antÊrieure (absence de centrale), mais à des projets hypothÊtiques construits sans financement MDP (centrale polluante). En comparaison rÊelle, la plupart des projets MDP produisent davantage d’Êmissions.
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Š Y UD HI M AHAT M A / G R EENPEACE
Avec la population du Batang, au Java central, Greenpeace proteste contre le projet de construction d’une centrale au charbon, la forme d’Ênergie la plus nuisible au climat en termes de production et de consommation.
LE COMMERCE DES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE
Les projets MDP sont souvent des plantations d’arbres, donc des puits de carbone. Or, dans les pays où le déboisement est plus rapide que le rythme de croissance des arbres (Brésil ou Indonésie), le reboisement partiel ne fait que ralentir la déforestation. Cette pratique est récompensée par des certificats, un effet conforme au système mais néanmoins pervers.
Évolutions récentes À la conférence internationale sur le climat de décembre 2015 à Paris, la plupart des pays ont présenté des plans de protection du climat. Mais de nouvelles incertitudes surgissent. G` bSke W` V hW^abbW_W`f cg[ eW X[jW bagd ^S bdW_[ dW Xa[e g` aT\WUf[X de réduction pourrait être tenté d’augmenter fortement ses émissions avant l’échéance fixée de façon à pouvoir revendre des licences ou s’épargner des investissements après coup. Il s’avère problématique que les règles n’aient pas été introduites pour tous les pays en même temps. L’économiste allemand Hans-Werner Sinn estime que le commerce des droits d’émission pourrait même faire augmenter le volume total des rejets de carbone. Les compensations pour le fait de renoncer à la déforestation sont plus élevées pour les pays qui ont déboisé le plus rapidement dans la période de référence. >We bSke W` V hW^abbW_W`f cg[ e»W`YSYWda`f y d Vg[dW ^Wgde _[ee[a`e voudront naturellement reprendre à leur propre compte les réductions issues des projets MDP, qui risquent donc d’être comptées à double (dans les pays industrialisés et le pays en développement). C’est un problème pour les organisations comme Myclimate. La politique climatique est une politique de distribution La justice et l’efficience sont deux dimensions d’un système de distribution qui peuvent se compléter, mais aussi se contredire (le cas le plus fréquent). Mais que serait un système juste? Les critères suivants peuvent être énoncés: Les droits d’émission appartiennent en priorité à ceux qui ont le moins pollué, c’est-à-dire aux pays qui avaient le plus bas niveau d’émission par habitant durant les vingt ou trente dernières années. Cette solution est équitable, mais n’a aucune chance pour le moment. Toutefois, les pays pauvres sont exemptés des exigences du Protocole de Kyoto. Les pays émergents, quant à eux, se sont opportunément engagés à réduire leurs rejets de carbone en forte croissance. Mais pour les pays les plus pauvres, il faudrait prévoir des quotas d’émission qui puissent encore augmenter. Le principe inverse stipule que les droits d’émission vont en premier lieu à ceux qui ont le plus pollué (clause d’antériorité). Injuste et inefficient, c’est pourtant le choix qu’a fait l’Union européenne quand Magazine Greenpeace Nº 2 — 2016
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elle a accordé gratuitement de gros contingents de certificats aux entreprises du secteur de l’énergie. La distribution des droits d’émission par les lois du marché (vente aux enchères) est également problématique, car elle libère les acteurs financièrement avantagés – souvent les pires pollueurs – de leur obligation à protéger l’atmosphère. G`W SgfdW bdabae[f[a` eW_T^W ^aY[cgW, V[ef[`YgWd ^We _[ee[a`e egbWdflues des émissions de subsistance. Le déplacement en avion pour des vacances aux Maldives pèserait plus lourd que le même volume de carbone dégagé par la culture du riz... Le problème est qu’il n’est pas toujours facile de définir la limite entre la subsistance et le luxe. >We Vda[fe V» _[ee[a` bagddS[W`f Sgee[ fdW V[efd[Tg e W` Xa`Uf[a` Vg nombre d’habitants. Ce principe purement théorique pour l’instant favoriserait les pays les plus peuplés et pourrait inciter à des politiques de croissance démographique. >»Sf_aebZ dW Wef g` T[W` Ua__g` 3g ^[Wg VWe bSke ^We Vda[fe d’émission pourraient être équitablement distribués entre les individus. Toutefois, il est quasi impossible de calculer les émissions pour chaque achat individuel et chaque service consommé. Pour simplifier, on pourrait appliquer le principe «cap and trade» aux sources matérielles des émissions: il suffirait alors de calculer le taux de CO2 du charbon, du pétrole et du gaz consommé. «Les quotas d’émission seraient les mêmes pour tous concernant le carbone fossile. Une structure nommée Sky Trust ferait le décompte à titre fiduciaire», propose le journaliste et auteur Marcel Hänggi. Cette proposition tiendrait compte du fait que les ressources naturelles sont aussi des biens communs. La plupart des gisements de pétrole et de gaz se sont constitués il y a 400 ou 100 millions d’années. Jusqu’ici, l’humanité a consommé 1060 milliards de barils de pétrole. Les réserves encore non exploitées se montent à 1600 milliards de barils. Divisé par les 300 millions d’années de sa formation, le volume total de pétrole correspondrait à la consommation annuelle d’environ 600 voitures parcourant chacune 40 000 kilomètres à 6 litres par 100 kilomètres (9000 barils ou 1,431 millions de litres). Alors qu’aujourd’hui la consommation est de 90 millions de barils, donc 10 000 fois plus, et cela, par jour!
Bio: Thomas Kesselring, privat-docent en philosophie à l’Université de Berne et, jusqu’en 2013, à la Haute école pédagogique de Berne, n’a pas peur d’enseigner l’éthique dans des pays situés dans la partie inférieure du globe, comme le Brésil, ou dans des pays situés tout en bas des statistiques de la Banque mondiale, comme le Salvador ou le Mozambique. Pour se changer les idées, il pratique la spéléologie. Publications sur Jean Piaget (1999), l’éthique en politique de développement (2003), l’éthique en pédagogie (2009) et en éducation (2014).
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ENTRETIEN
«La Suisse est la plaque tournante du commerce des matières premières» Texte par Pieter Poldervaart, bureau de presse Kohlenberg, Bâle
Le prix du pétrole est tombé au niveau d’il y a dix ans. L’économie et les automobilistes s’en réjouissent. Mais quel rapport avec la Suisse? On sait qu’environ 25% des matières premières, pétrole et charbon compris, transitent par des entreprises suisses. Le pays devrait donc instaurer une surveillance du marché des matières premières, comme il en existe une pour les marchés financiers. C’est ce que propose Andreas Missbach, responsable pour les matières premières, le commerce et la finance à la Déclaration de Berne.
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Des ouvriers du pétrole dans le port de Harcourt, au Nigéria.
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Le prix du pétrole connaît une baisse prolongée. Pourquoi cette chute massive des prix? Il y a une situation d’offre excédentaire et de recul de la demande. En 2015, les États-Unis sont redevenus le premier producteur de pétrole au monde, comme au début des années 1990. Le marché est submergé de pétrole. L’Europe ne s’est pas complètement remise de la crise financière et plusieurs pays émergents, par exemple le Brésil, ont des difficultés économiques. La croissance de la Chine est inférieure aux attentes. Les pays producteurs de pétrole, comme l’Arabie saoudite et la Russie, ne sont pourtant pas disposés à réduire leur production. Les économies d’énergie ne sont donc plus de mise? La chute du prix du pétrole se répercute directement sur la consommation. Comme lors de la dernière baisse, les gens achètent davantage de SUV, des véhicules à forte consommation de carburant qui représentent 40% des immatriculations de nouvelles voitures en 2015. Et les propriétaires immobiliers parcimonieux ont tendance à rester sur un chauffage à mazout plutôt que de passer à la pompe à chaleur. Le pétrole bon marché devrait booster l’économie mondiale… Pourquoi alors la baisse des marchés boursiers? De nombreux pays producteurs de matières premières sont en difficulté, notamment les pays émergents comme le Nigéria ou la Russie, qui sont tributaires du prix du pétrole. En revanche, les pays riches dépensent moins pour
«Si les bénéfices du marché des matières premières étaient entièrement alloués au développement et au social, un demi-milliard de personnes pourraient sortir de la pauvreté d’ici à 2030.»
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le carburant et le chauffage. Le revenu disponible augmente, ce qui profite à l’industrie de la consommation. Cette évolution est déjà visible aux États-Unis. En Europe, l’incertitude liée à la crise financière empêche pour l’instant une vraie reprise de la consommation. Le pétrole bon marché a-t-il aussi des avantages? Les gisements dans des régions particulièrement sensibles comme l’Arctique, les forages pétroliers en eaux profondes ou la technologie de la fracturation hydraulique ne sont plus des projets rentables. Il est vrai que les plus coûteuses parmi les productions de matières premières sont aujourd’hui suspendues: forages pétroliers en Arctique, production pétrolière en eau pro fonde au large du Brésil, fracturation hydraulique aux États-Unis, exploitation des sables bitumineux au Canada… Au-delà du pétrole, Glencore a réduit drastiquement sa production de cuivre au Congo et en Zambie. Ces projets seront toutefois réactivés dès que les prix retrouveront leur niveau de 2013! Comment enrayer les méthodes de production particulièrement polluantes? Il faudrait sortir des énergies fossiles. Or la baisse des prix du pétrole, du gaz et du charbon ne favorise pas la transition énergétique. Ce serait pourtant le bon moment pour supprimer les subventions d’usage au secteur de l’énergie. Certains pays émergents l’ont fait. Les pays riches auraient dû introduire de fortes taxes d’incitation tant que les populations étaient habituées à payer cher l’énergie consommée. Maintenant, il est presque trop tard… Qu’en est-il en Suisse? La Suisse est restée passive. La chute des prix a été une surprise. Les milieux politiques n’ont pas eu le temps de préparer des projets de loi. Et la composition actuelle du Parlement n’est pas favorable à des taxes d’incitation. Pour en revenir aux matières premières, quel est l’effet de la baisse des prix pour les entreprises de ce secteur? La Suisse est la plaque tournante mondiale pour les matières premières: environ un quart des matières premières sont négociées par des entreprises suisses. Les acteurs de ce secteur sont souvent impliqués à la fois dans la production et le commerce de matières premières. C’est le cas de Glencore, dont le siège social se trouve à Zoug. Les sociétés genevoises Vitol, Trafigura,
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© D B, BER NE
LA SUISSE ET LE COMMERCE DES MATIÈRES PREMIÈRES Mais la stratégie de l’argent propre pratiquée par les banques devrait en principe empêcher que les bénéfices tirés de ces affaires soient rapatriés en Suisse, n’est-ce pas? Le ministre du Pétrole d’un pays étranger qui arrive en Suisse avec des valises pleines d’argent pour les déposer en banque et effectuer des placements: cette situation courante il y a encore vingt ans est aujourd’hui interdite par la loi sur le blanchiment d’argent. Mais rien n’empêche de revendre en Suisse des matières Andreas Missbach (à droite) «Nous demandons premières arrachées à la population locale la mise en place d’une autorité de surveillance par des gouvernements corrompus ou produites des marchés des matières premières, comme en violation des droits humains. Les bénéfices c’est le cas pour les marchés financiers.» retirés de ce commerce peuvent être placés dans une banque suisse en toute légalité. C’est tout à fait choquant. Nous demandons la mise en place d'une Autorité de surveillance des marchés des matières premières, ou ROHMA, comme Mercuria, Gunvor et Litasco sont quant à elles c'est le cas pour les marchés financiers. surtout actives dans le commerce, même si elles Est-ce qu’une telle structure existe dans un autre pays? possèdent l’un ou l’autre gisement pétrolier Non, mais la Suisse est le principal pays ou projet minier. Or pour les négociants, un bas niveau de prix n’est pas forcément un problème: concerné par le négoce des matières premières. une baisse du chiffre d’affaires peut tout à Pour certains pays producteurs, deux tiers fait s’accompagner de bénéfices record opérés de leur production transitent par la Suisse. Les autres places commerciales pour les matières sur les variations de prix. Comment cela? premières, celles de Londres ou Dubaï par Les négociants profitent de la forte volatilité exemple, sont nettement plus petites. Et où en est la réalisation d’une telle autorité des prix. Les variations leur permettent de spéculer et de tirer profit des écarts de prix pas- de surveillance? sagers entre les différentes places commerciales. Un postulat est en suspens au Parlement. En outre, ils emmagasinent du pétrole acheté Le Conseil fédéral propose de le rejeter, et il est à bas prix, à terre mais aussi sur des superpétro- vrai que le Parlement, dans sa nouvelle comliers qui restent en mer jusqu’à ce que les prix position, ne risque pas de l’accepter. Mais remontent. L’année 2015 a été la plus rentable de la mise en place d’une telle structure n’est pas tous les temps pour les négociants de pétrole un projet à court terme. Nous voulons lancer de Genève. l’idée, avec un horizon de réalisation d’une Les négociants suisses se frottent les mains, dizaine d’années. Comme pour la surveillance mais qu’en est-il des pays producteurs? des marchés financiers, cela dépendra largePour eux c’est une véritable malédiction ment de la pression exercée sur la Suisse au des matières premières. La population de ces niveau international. pays ne profite pratiquement pas des richesses Si cette surveillance est mise en place, les du sous-sol, même dans les phases de prix entreprises visées risquent de délocaliser… élevés: contrats désavantageux pour les pays C’est toujours la même menace qui est producteurs, pratiques d’évasion fiscale de brandie. Notre idée n’est pas d’interdire le comla part des entreprises du secteur, corruption merce des matières premières, seulement de des gouvernements qui font disparaître les le réglementer, comme c’est le cas pour le secteur bénéfices dans les poches des élites…Les marchés bancaire. Il s’agit de minimiser les conséquences de la malédiction des matières premières. La ou accords de type joint-venture conclus avec ce genre de régimes se soldent inévitablement Suisse possède beaucoup d’atouts, une fiscalité par des abus. favorable, un secteur financier performant, Magazine Greenpeace Nº 2 — 2016
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des avocats spécialisés, des sociétés de contrôle des marchandises… D’ailleurs, toutes ces entreprises sont d’ores et déjà actives sur tous les continents et dans tous les fuseaux horaires. Une telle autorité permettrait-elle de faire davantage profiter les pays producteurs et leurs populations? De manière indirecte, parce que la Suisse veillerait à la transparence. Les États qui accordent des licences à des entreprises devraient à l’avenir publier leurs contrats. Des sociétés douteuses achètent parfois à peu de frais des licences d’extraction pour les revendre beaucoup plus cher à de grands groupes. Les bénéfices de revente disparaissent dans des canaux obscurs. Il faut que la population sache où vont les profits pour pouvoir demander des comptes aux gouvernements. Nous avons voulu savoir combien d’argent issu du commerce des matières premières est reversé aux dix principaux pays producteurs de pétrole en Afrique. Nos calculs indiquent que cette somme représente le double du volume de l’aide au développement allouée à ces pays. Mais la transparence ne garantit pas encore que l’argent parvienne à la population locale. Il est clair que chaque pays décide de l’usage qu’il fera de l’argent. Que l’argent serve à des projets utiles au lieu de financer des armes et des infrastructures surdimensionnées, c’est à la population d’y veiller. Mais si la Suisse inscrit un devoir de diligence dans la loi, les affaires louches avec des personnes politiquement exposées ne seront plus possibles dans notre pays. Ne serait-il pas pertinent, pour les recettes liées aux matières premières, de prévoir un pourcentage minimum qui doive obligatoirement revenir au pays producteur? Une telle solution a été discutée dans les années 1970, mais cela ne s’est jamais réalisé. Il ne serait pas très utile que la Suisse s’avance à elle seule sur cette voie. Mais l’injustice est manifeste: les pays producteurs profitent très peu des matières premières, contrairement aux pays riches. Si les bénéfices du marché des matières premières étaient entièrement alloués au développement et au social, un demi-milliard de personnes pourraient sortir de la pauvreté d’ici à 2030. Et on oublie souvent que les ressources minérales et fossiles ne sont pas infinies. Les bénéfices qui partent aujourd’hui à l’étranger ne serviront jamais à promouvoir le développement des pays producteurs. Magazine Greenpeace Nº 2 — 2016
La Suisse doit donc endosser sa responsabilité… Oui, c’est une responsabilité politique, mais aussi écologique. Du fait du commerce des matières premières, la Suisse est impliquée dans des émissions de carbone encore bien supérieures aux rejets de CO2 à l’interne. Un tiers du négoce de pétrole mondial passe par des entreprises suisses. L’acheteur final de ce pétrole est à l’étranger, et c’est là que seront comptabilisées les émissions de carbone. Mais la Suisse est impliquée et porte donc une partie de la responsabilité. C’est là une dimension encore très peu comprise par le grand public et les milieux politiques. Produits nets multipliés par dix depuis 2003 Les Académies suisses des sciences ont récemment publié un document intitulé La Suisse et le négoce des matières premières. Entre 2003 et 2011, les produits nets du commerce de transit en Suisse auraient été multipliés par dix pour atteindre 20 milliards de francs. Depuis 2010, le commerce des matières premières – plus de 3% du PIB à l’heure actuelle – a dépassé le secteur financier en termes d’exportation de services. Les quelque 500 entreprises du secteur emploient environ 10 000 salariés en Suisse, surtout à Genève, Zoug et Lugano. La part de la Suisse dans le commerce mondial des matières premières est de 35% pour le pétrole et les céréales, de 60% pour les métaux, de 50% pour le sucre et de 60% pour le café. www.academies-suisses.ch 20% de pertes Le chemin est long entre le forage pétrolier et le réservoir d’essence. L’extraction, le transport et le raffinage consomment d’énormes quantités d’énergie. En 2012, le bureau ESU-Services a étudié, sur mandat de l’Office fédéral de l’énergie, les facteurs d’énergie primaires des systèmes énergétiques. L’étude établit un facteur d’efficacité de 82% pour le diesel et de 77,5% pour l’essence davantage raffinée. Plus d’un cinquième du pétrole est donc consommé pour la production du produit final. «La production pétrolière à base de sable bitumineux ou par fracturation hydraulique consomme encore beaucoup plus d’énergie, ce qui diminue encore le degré d’efficacité», déclare Niels Jungbluth, l’un des auteurs de l’étude.
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POINT DE VUE
LA NATURE, NOTRE PREMIER PRESTATAIRE DE SERVICES Texte: Inga Laas
Le principal prestataire de services pour l’humanité, c’est la nature, c’est la Terre. Ses écosystèmes ressemblent à une entreprise complexe, impliquant un grand nombre d’acteurs qui dépendent les uns des autres. Avec des dividendes régulièrement versés, au profit de la vie! Purification de l’atmosphère, protection contre les crues, pollinisation des cultures, filtration des eaux souterraines… Ces précieux services sont fondamentaux pour notre qualité de vie. Et ce sont aussi des biens communs, gratuits, qui ne s’inscrivent pas dans un mécanisme de marché. Chacun profite de ces biens et services, mais personne ne se sent responsable de les protéger. La porte est grande ouverte à la surexploitation, et donc à la baisse de notre qualité de vie. Magazine Greenpeace Nº 2 — 2016
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Polluer coûte plus cher que protéger La protection de l’environnement coûte, mais la pollution coûte plus cher encore. L’Union européenne estime que les lacunes en matière de protection de l’environnement coûteront 4% du produit intérieur brut européen d’ici à 2050. Il faudra donc environ 585,2 milliards d’euros pour remplacer les services fournis par la nature ou pour réparer des écosystèmes détruits. Chiffrer les prestations des écosystèmes devrait à l’avenir permettre d’éviter ces coûts. C’est pourquoi la Stratégie Biodiversité Suisse de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) prévoit, d’ici à 2020, de quantifier tous les services fournis par les écosystèmes. Le but est de créer, via le mécanisme des prix, des incitations pour préserver et promouvoir les écosystèmes. La nature n’a pas de prix La quantification monétaire de la nature s’avère toutefois difficile et controversée. Les chercheurs de l’OFEV estiment que les résultats varient en fonction de la méthode de calcul choisie. Il ne s’agit donc pas de définir le prix de chaque espèce ou biotope, mais de mettre en lumière l’importance des écosystèmes pour la santé, la sécurité, la biodiversité et la performance économique. Selon les spécialistes en économie de l’environnement, il faut que les écosystèmes et leurs prestations soient pris en compte lors des décisions économiques, dans une perspective non pas monétaire mais morale. Certains critiquent cette quantification économique qui tendrait à faire de la nature quelque chose de négociable. Les unités monétaires ont pourtant l’avantage d’être largement comprises et pourraient convaincre les populations des pays riches de l’importance de la protection de l’environnement. Mais comment quantifier une forêt, par exemple? À la fois zone de loisirs, filtre naturel pour l’eau potable, refuge pour les animaux sauvages, pool de biodiversité et puits de carbone, sa valeur est difficile à chiffrer, surtout en cas d’intérêts contradictoires. Une forêt avec une haute valeur récréative peut, par exemple, perdre en termes de biodiversité. Pollinisation des cultures Bourdons, abeilles et autres pollinisateurs sont, en agriculture, un «soutien naturel à la production de biens». Sans eux, la pollinisation devrait se faire à la main, fleur par fleur. Mais le calcul de la prestation de pollinisation par les insectes est complexe. Pour les abeilles, la valeur de la pollinisation en Suisse a été chiffrée à 271 millions de francs pour l’année 2002. L’industrie pharmaceutique et cosmétique copie la nature La bioprospection est la science qui étudie l’usage économique possible des plantes. L’industrie pharmaceutique se montre particulièrement intéressée par les innombrables possibilités offertes par la nature pour le Magazine Greenpeace Nº 2 — 2016
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LA NATURE AU SERVICE DE L’ENVIRONNEMENT
développement de nouveaux produits et substances. Mais pour préserver ces richesses naturelles, il faut des conditions stables en termes de biodiversité. Les récoltes pratiquées en dehors des périodes de moisson, ou excessives par rapport à la capacité de régénération des plantes, endommagent les écosystèmes et perturbent les populations sauvages. Exemple, le candéia, un arbre qui fournit une substance anti-inflammatoire nommée alpha-bisabolol. Les cultures de candéia s’étendent au détriment des espaces naturels, favorisant l’érosion des sols et l’usage d’engrais et de pesticides. Elles produisent également des xénobiotiques, c’est-à-dire des substances bio-incompatibles que les stations d’épuration des eaux n’arrivent pas à filtrer et qui finissent donc dans les rivières et les fleuves.
La fonction protectrice des marais Drainer un marais, c’est dégager de grandes quantités de carbone et de gaz hilarant, mais aussi perturber les conditions hydrologiques du paysage. Les marais stockent des gaz nuisibles au climat, abritent des espèces rares et sont d’importants réservoirs d’eau. En effet, la tourbe peut absorber énormément d’humidité, et la végétation des marais emmagasine les précipitations pour les rejeter peu à peu sur plusieurs jours. Un système de régulation parfait pour les paysages. Protéger les marais, c’est donc travailler à respecter les objectifs climatiques, et économiser sur les frais de protection contre les crues.
Les lacunes en matière de protection de l’environnement coûteront 4% du produit intérieur brut européen d’ici à 2050. Cela correspond à 585,2 milliards d’euros.
Un hectare de réserve naturelle dans l’Union européenne fournit une prestation d’environ 3400 euros. La Suisse ne protège que 6,5% de son territoire à l’heure actuelle et devrait donc faire des progrès dans ce domaine.
Inga Laas est née en 1984. Rédactrice en ligne et ingénieure en environnement. À mi-chemin entre la «digital native» et l’«digital immigrant», elle se déclare passionnée par les livres. Elle vit dans la région de Zurich, dans le massif de collines de Zimmerberg, avec sa famille. Quand elle n’écrit pas pour Greenpeace, elle préfère approcher la nature et l’environnement hors ligne. Elle se détend par le jardinage, la lecture et le bricolage.
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Chiffres Le recul de la biodiversité et des prestations des écosystèmes représente une perte mondiale de 4000 à 18 000 milliards de francs par année (OFEV, 2015).
ÉCLAIRAGE Vue aérienne d’une parcelle achetée par Addax, à Makeni, en Sierra Leone, qui doit servir à la culture de canne à sucre.
BIOÉTHANOL: LA SUISSE MÊLÉE AU PILLAGE DES TERRES
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Texte: Samuel Schlaefli
À qui profite la libéralisation de l’achat de terres agricoles, que promet-on aux pays en développement concernés, quelles irrégularités les contrats de bail renferment-ils? Greenpeace a examiné de près l’accord conclu par une société genevoise en se basant sur des recherches menées à l’Université de Berne et par l’organisation Pain pour le prochain. L’acquisition de terres pour la production de bioéthanol en Sierra Leone effectuée parMagazine AddaxGreenpeace avait été célébrée comme un modèle d’investissement Nº 2 — 2016 durable. Le projet est aujourd’hui 17 à l’agonie.
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Un milliardaire suisse en Sierra Leone Le groupe d’investissement suisse AOG opte pour la région de Makeni, dans le centre de la Sierra Leone. Son objectif: y planter de la canne à sucre, la transformer en bioéthanol dans sa propre raffinerie et le revendre sur le marché européen. Un projet d’autant plus lucratif que l’Union européenne avait exempté la plupart des pays africains de droits de douane pour l’importation d’agrocarburants. Le climat tropical dont jouit Makeni est idéal pour la culture de la canne à sucre. La région est traversée par un fleuve qui permet d’irriguer les plantations pendant la saison sèche. Makeni est reliée à la capitale Freetown et à son port par une bonne route, et le trajet en bateau vers l’Europe est relativement court. Au printemps 2008, AOG, dont le siège social se trouve à Magazine Greenpeace Nº 2 — 2016
Lors d’une réunion au village, les habitants critiquent les contrats de bail. Genève, ouvre une filiale en Sierra Leone: Addax Bioenergy. Le fondateur d’AOG, Jean Claude Gandur, a constitué sa fortune (plus de deux milliards de dollars, selon Forbes) grâce au négoce de pétrole en Irak et au Nigéria. Il est connu pour ses bonnes relations avec les potentats de plusieurs pays africains. Gandur et son équipe procèdent avec nettement plus de sensibilité que bien d’autres investisseurs dans la région. Addax s’assure d’abord le soutien des paysans; elle les informe du projet et les implique dans sa planification. Une expertise est mandatée auprès d’un conseiller sud-africain pour montrer que les effets sur les populations et l’environnement seront acceptables. Finalement, un avocat de Freetown, connu pour ses bonnes relations avec le gouvernement, est chargé, avec trois responsables de la chefferie impliquée, de négocier les contrats de bail. Le terrain est cédé pour cinquante ans à Addax, avec une option pour vingt-et-une années supplémentaires. L’entreprise loue 54 000 hectares au total (plus de 500 kilomètres carrés, soit l’équivalent de 75 630 terrains de football); 52 villages et plus de 13 000 petits paysans sont concernés. Cet investissement suisse en matière d’agrocarburants est ainsi le plus important réalisé en Sierra Leone. En 2011, le pays a, selon des chiffres officiels, loué plus de 10% de ses terres cultivables à des investisseurs étrangers. D’après les estimations des ONG, ce serait même plus de 20%. Addax en cédera plus tard une partie; selon ses propres informations, elle utilise encore 14 300 hectares. Le prix est fixé chaque année à neuf dollars l’hectare. En compensation, l’entreprise élabore une clé de répartition sophistiquée: 50% vont
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ACCAPAREMENT DES TERRES L’histoire commence à Strasbourg et se termine dans un petit village de la Sierra Leone. En 2003, le Parlement européen adopte la directive 2003/30/CE qui encourage la production de biocarburants pour atteindre les objectifs climatiques définis dans le Protocole de Kyoto. Quatre ans plus tard, leur part dans la consommation totale d’essence et de gazole destinés aux transports est fixée à 10%. Ce qui peut paraître modeste correspond à 45 milliards de litres de carburant par an, qui doivent être fabriqués à base de végétaux. Très vite, un immense marché pour les agrocarburants voit le jour. Il n’y a pas qu’en Europe que cette directive apporte des changements significatifs. Bientôt, elle va bouleverser la vie de nombreux cultivateurs africains. La demande en matière d’agrocarburants est, soudain, tellement énorme qu’elle ne peut plus être couverte par la betterave à sucre, le maïs et le colza cultivés en Europe. La production globale de biodiesel est multipliée par 22 entre 2000 et 2010; celle de bioéthanol par trois. La Banque mondiale faisant régulièrement allusion aux terres «inutilisées» en Afrique, les investisseurs font leurs calculs: moins les terrains sont chers, plus les profits sont élevés. Si le prix d’un hectare de terres agricoles coûte entre 20 000 et 100 000 francs en Suisse, il est d’environ 10 francs dans de nombreux pays africains. Bientôt, les investisseurs européens afflueront vers l’Afrique à la recherche de terres à bas prix, notamment en Sierra Leone.
aux propriétaires du terrain, 20% aux responsables des trois chefferies, 20% aux administrateurs du district et 10% au gouvernement. Les propriétaires reçoivent en outre chaque année un dédommagement de 3,2 dollars par hectare pour les récoltes de céréales perdues. Sur 2000 hectares, un programme de développement doit être mis sur pied avec l’aide de la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Les paysans sont censés apprendre à planter du riz de manière semi-mécanique afin de garantir leur alimentation. Cet accord, qui semble correct, est subtil: personne n’est exproprié, le terrain repris est dédommagé, et les villageois sont impliqués dans les plans de la société. L’investisseur suisse fait figure d’élève modèle de la branche. Il fait tout pour ne pas apparaître dans le débat sur l’accaparement des terres (voir encadré). Pourtant, des ONG comme Pain pour le prochain ont très vite émis des critiques, suggérant que bon nombre de gens se retrouveraient les mains vides, notamment les femmes – qui, selon le droit coutumier, ne peuvent posséder de terres – et les exploitants agricoles non propriétaires, auxquels les membres des familles et les voisins prêtent du terrain qu’ils cultivent pour subvenir à leurs besoins. Le 9 février 2010, Jean Claude Gandur se rend avec le président de Sierra Leone, Ernest Bai Koroma, dans la province du Nord, où est réalisé le projet de bioéthanol. Dans un mémorandum d’entente entre Addax et l’État de Sierra Leone, l’entreprise se voit accorder des exemptions d’impôts pour les vingt prochaines années. Pour l’eau du fleuve destinée à irriguer les plantations, un prix de 0,076 cent de dollar par mètre cube est fixé. En contrepartie, Addax promet jusqu’à 4000 emplois dans les champs et dans la production de bioéthanol. On se serre la main; Gandur et Koroma sont satisfaits.
«L’investisseur suisse fait figure d’élève modèle de la branche.»
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L’un parlera à ses actionnaires de Genève d’un accord réussi pour AOG, tandis que l’autre se vantera devant ses électeurs en Sierra Leone de son engagement personnel en faveur de l’essor économique du pays. Des millions de cadeaux fiscaux Et qu’en retirent les citoyens de Sierra Leone? L’organisation caritative Christian Aid UK a calculé que la perte de recettes d’impôts résultant du régime fiscal spécial convenu avec Addax s’élève à 12 millions de dollars par an. L’entreprise devait en profiter durant treize ans, ce qui aurait conduit à des pertes de 135 millions de dollars. Une somme énorme pour un pays qui occupe l’une des dernières places de l’indice de développement humain, et où plus de la moitié des habitants de certaines régions vivent avec moins d’un euro par jour, avec une espérance de vie de 50 ans. Elisabeth Bürgi est spécialiste de droit international auprès du Centre for Development and Environment (CDE) de l’Université de Berne. Les large scale land acquisitions (LSLA), l’acquisition de grandes étendues de terres par des investisseurs étrangers, sont l’une de ses spécialités. «En matière fiscale, c’est le Far West dans de tels contrats, déclare-t-elle. Il faudrait des règlements internationaux pour endiguer la concurrence fiscale agressive, afin que les pays en développement puissent, si possible, profiter des investissements réalisés chez eux.» Jusqu’ici, il n’existe aucun règlement de la sorte, bien que, selon elle, les droits humains l’exigeraient. Même l’OCDE et le Fonds monétaire international remettent aujourd’hui en question des cadeaux fiscaux aussi généreux. Seule la Banque mondiale y tient. Dans le cadre d’un projet triennal du CDE sur les LSLA, financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique, Elisabeth Bürgi a examiné à la loupe le contrat entre Addax et l’État de Sierra Leone. En dehors des pertes de recettes fiscales, la clause de stabilité est particulièrement problématique: elle gèle le droit en vigueur au moment du contrat, et Addax n’est pas soumise aux modifications de lois qui pourraient avoir des influences négatives sur ses affaires. L’entreprise échappe ainsi aux futures réformes politiques. De plus, Addax prévoit un tribunal d’arbitrage à Londres pour les procédures juridiques. Autrement dit, les
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ACCAPAREMENT DES TERRES
Un sentiment de désolation: l’usine de canne à sucre gérée par Addax. paysans et la société civile auront encore plus de mal à porter plainte contre le projet que ce n’est déjà le cas en raison de leur analphabétisme et du manque d’accès aux moyens de communication. Les risques reportés sur les contribuables Bien que les experts internationaux critiquent depuis longtemps de tels contrats, le projet de bioéthanol de Makeni est, depuis le début, présenté comme une «aide au développement». Addax a réussi, à ce titre, à susciter l’enthousiasme de plusieurs banques de développement. Environ la moitié des 455 millions d’euros de capital d’investissement provient de banques et de fonds de développement allemands, anglais, néerlandais, belges, suédois et autrichiens. Les banques de développement néerlandaise et suédoise participent même à hauteur de 21% au capital social. La Banque africaine de développement, qui est financée par plusieurs États, dont la Suisse, y injecte 25 millions d’euros. Une part importante des investissements destinés au projet risqué d’AOG en Sierra Leone est financée par des contribuables européens, y compris suisses. Magazine Greenpeace Nº 2 — 2016
Le projet a aussi été présenté comme un modèle du point de vue de la durabilité: Addax est le premier projet de production de bioéthanol à partir de canne à sucre en Afrique inscrit dans les mécanismes de développement propre de l’UNFCC (convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques) en 2013. De l’électricité verte doit en effet être produite à partir de la biomasse – 15 mégawatts, environ 20% des besoins en Sierra Leone. Selon les calculs, cela permettrait d’éviter le rejet dans l’atmosphère de 56 000 tonnes de CO2 par an. Pour Addax, le bénéfice est double: à la production d’électricité en Sierra Leone viennent s’ajouter les certificats de réduction de CO2 négociables. Et ce, bien que plusieurs études – dont deux menées par le Laboratoire fédéral pour la science des matériaux et de la technologie (Empa) sur mandat de la Confédération – aient à l’époque déjà prouvé que la durabilité des agrocarburants était un leurre. Les chercheurs ont montré que les émissions de gaz à effet de serre sont certes moindres avec le bioéthanol qu’avec l’essence classique, mais que la charge écologique totale est nettement plus élevée, en raison notamment d’une exploitation plus intensive des sols et de l’utilisation
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«La zone des expatriés était illuminée, tandis que celle où vivaient les locaux était plongée dans l’obscurité.»
d’engrais et de pesticides. De plus, la consommation d’eau est énorme: il faut en moyenne 2100 litres d’eau pour produire un litre de bioéthanol. La même année, Addax Bioenergy s’est vue décerner une certification de durabilité par la Roundtable on Sustainable Biomaterials (RSB), la première accordée à une production de bioéthanol sur le continent africain. «Addax Bioenergy est très vite devenue un modèle de projet durable en Afrique», déclare Peter Ryus, de RSB. Il s’agit là d’un compliment entre bons amis: la RSB, dont le siège est à Lausanne, a été créée en 2007 par des multinationales et des producteurs de carburants dont Shell, Petrobas, Du Pont et... Addax Bioenergy, avec la participation de plusieurs ONG, comme le WWF et le Sierra Club. Grâce aux certifications RSB, les entreprises s’assurent l’accès au marché européen et gagnent la confiance des partenaires, dont les banques de développement. Plusieurs ONG ont critiqué très tôt la RSB pour ses pseudocertifications, l’accusant d’écoblanchiment. Le «choc des civilisations» aux portes des usines Pour en savoir plus sur la durabilité sociale et économique qu’exige la RSB, en dehors de l’aspect écologique, j’ai rencontré Fabian Käser. Le jeune socio-anthropologue et doctorant à l’Université de Berne s’est rendu à Makeni pour son travail de master à l’été 2013 afin d’y étudier, avec d’autres chercheurs, les impacts du projet. Il a vécu trois mois chez un enseignant d’une agglomération proche de l’usine de production de bioéthanol, interrogeant les habitants sur leur quotidien et partageant leur vie. Parallèlement, il s’est entretenu avec des directeurs locaux de l’entreprise. Depuis qu’il est rentré, Magazine Greenpeace Nº 2 — 2016
cette dernière a porté plainte à deux reprises auprès de l’Université de Berne. Fabian Käser ne se laisse pas intimider; ses conclusions sont solidement étayées. Käser parle d’un «choc des civilisations», de deux mondes antagonistes. La ligne de démarcation entre les deux était parfaitement visible la nuit: la zone où résident les expatriés travaillant dans les entreprises sous-traitantes d’Afrique du Sud, du Sénégal et d’Inde mandatées par Addax était illuminée, tandis que celle où vivaient les locaux – des centaines de travailleurs migrants venus de tout le pays – était plongée dans l’obscurité. Du côté éclairé, on trouvait un centre médical, des jeeps blanches et des bâtiments climatisés; côté sombre, des feux de camp, de vieilles bécanes rafistolées, des cases en torchis, et la pauvreté. Les managers et les responsables de l’entreprise, surtout des blancs originaires d’Afrique du Sud, vivaient loin de là, dans une gated community. «Bien sûr, il y en a qui ont profité de la situation pour ouvrir un bar ou vendre des denrées alimentaires aux ouvriers, trouvant ainsi de nouvelles sources de revenus», concède Käser. Mais il ne faut pas non plus enjoliver les choses: «À Makeni, personne n’avait envie de rester paysan. Les gens souhaitaient la modernisation, le bien-être, un travail à revenu fixe, une vie meilleure. Or la plupart ont été déçus.» Une enquête réalisée par Käser auprès de 504 habitants a montré que seuls un cinquième étaient employés par Addax – pour 2 à 5 dollars par jour, à peine le salaire minimum dans le service public en Sierra Leone. Ils travaillaient généralement comme journaliers, portant des sacs de ciment, installant des clôtures, creusant des tranchées, abattant des palmiers ou cultivant les terres. En raison des terrains vendus, les paysans s’attendaient à des retombées financières, de meilleures infrastructures, un emploi à l’usine. Bientôt, ils ont dû déchanter. Avec l’argent gagné, ils ne pouvaient pas acheter grand-chose, surtout qu’avec l’accroissement de la population et la disparition de ressources cruciales pour l’autosuffisance des autochtones, les prix ont fortement augmenté. Des vols, des manifestations et Ebola Fabian Käser a cherché en vain des marques de loyauté à l’égard d’Addax. La production de bioéthanol était, selon lui, constamment sabotée,
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ACCAPAREMENT DES TERRES
Les plantations de canne à sucre nécessitent de gigantesques systèmes d’irrigation.
des ouvriers de la région volant les pompes et les outils. Les uns après les autres, les managers d’Addax jetaient l’éponge. Finalement, des altercations et des révoltes ont eu lieu. La production de bioéthanol a été retardée à plusieurs reprises à cause de tels incidents. En même temps, les récoltes ont été moins fructueuses que prévu et le prix du pétrole n’a cessé de chuter depuis 2013. En plus, en mai 2014, l’épidémie d’Ebola s’est propagée en Sierra Leone. Des collaborateurs de l’entreprise sont morts et la plupart des sous-traitants ont pris la fuite. Enfin, le 28 avril 2015, l’Union européenne a édicté la directive P8_TA-PROV(2015)0100, qui limite à 7% la part des agrocarburants conventionnels pour le secteur des transports. Le marché européen si prometteur a quasiment diminué de moitié en une nuit. Les biocarburants produits à partir de déchets végétaux ont désormais la priorité. Le 24 juin 2015, Addax Bioenergy a annoncé qu’elle allait suspendre la production à Makeni. Depuis, l’usine est à l’arrêt, surveillée par des gardiens afin qu’elle ne soit pas démontée en pièces détachées. Début mars, AOG à Genève a répondu à une demande concernant l’avenir du projet, en renvoyant au communiqué publié huit mois plus tôt. Le phare du développement durable a perdu de sa superbe. Cela pourrait coûter cher au groupe, mais aussi aux banques de développement et, avec elles, aux contribuables dont l’argent est investi dans ce projet. Mais ce sont les paysans de Makeni qui paient le plus lourd tribut. Quand Addax déménagera définitivement, ils auront tout perdu: le seul employeur local et leurs terres. Magazine Greenpeace Nº 2 — 2016
Vente d’Addax en Sierra Leone: le saut dans l’inconnu En mars, lors de l’émission économique de la télévision alémanique, le ministre de l’Agriculture de Sierra Leone a annoncé que des pourparlers étaient en cours avec la société britannique Sunbird Bioenergy Ltd concernant la reprise du projet à Makeni. Au siège genevois d’AOG, fin mars, on s’est contenté de déclarer que l’évaluation était prolongée. Nul ne sait ce qu’il adviendra des contrats de bail et des 235 millions de francs provenant des fonds publics en cas de vente. Pain pour le prochain et l’ONG locale Silnorf accompagnent les populations des environs de Makeni depuis 2010. Elles exigent que les banques de développement et le SECO assument leurs responsabilités et veillent à ce qu’Addax ne tombe pas aux mains d’une société au passé douteux et que les emplois soient conservés. Plus de 180 000 hectares pillés par la Suisse La Land Matrix (www.landmatrix.org) de l’Université de Berne est la base de données la plus complète concernant les achats de vastes superficies pratiqués par des États ou des investisseurs. Au total, 40 millions d’hectares (400 000 km2) qui ont été vendus depuis 2000, dont 18 contrats portant sur un total de 180 000 hectares avec la participation de la Suisse, y sont recensés. Trois grosses ventes (170 000 hectares) ont échoué. Les plus grands investisseurs sont Glencore Xstrata avec 80 000 hectares en Ukraine et Addax Bioenergy avec 44 000 hectares en Sierra Leone. Les autres pays cibles sont le Brésil, le Nicaragua, le Myanmar et le Mozambique. Le boom des biocarburants et la recherche de nouvelles possibilités d’investissement après la crise financière de 2008 font que les sociétés européennes comptent parmi les plus gros acheteurs.
Samuel Schlaefli, né en 1979, est journaliste indépendant et rédacteur auprès de divers magazines. Il publie des articles sur le développement durable, le changement climatique et les effets de la globalisation, qu’il écrit, de préférence, lors de voyages. www.samuelschlaefli.ch
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PORTRAIT
«VENDRE À LA HAUSSE, ACHETER À LA BAISSE»
Urs Martin Springer, négociant en énergie chez BKW, explique comment l’électricité arrive jusqu’à nos prises de courant. Entretien réalisé par Hannes Grassegger
Le véritable but de mon travail est que personne ne le remarque. La plupart de mes amis ne savent même pas que ce job existe. Ils voient une centrale et savent que c’est de là que provient l’électricité disponible dans leurs prises. Or ce n’est pas aussi simple, et je m’en rends compte chaque matin, vers 8 heures, quand j’arrive à mon bureau. Je suis négociant en énergie auprès du groupe BKW (anciennement Forces motrices bernoises). Notre groupe produit environ 10 térawattheures de courant par an, mais mon département en achète et en vend dix fois plus chaque année. Ma journée de travail est consacrée au négoce, mais aussi au soutien de mon équipe, aux réunions d’informatique et aux feuilles de route des nouveaux projets. Pourquoi a-t-on besoin du négoce de l’électricité? Surtout à cause de la libéralisation du marché de l’électricité. Auparavant, les fournisseurs tels que BKW avaient leurs propres zones de desserte: on calculait la consommation prévisible des clients et on leur conseillait de s’abstenir de faire la lessive au début de l’après-midi, lorsque la consommation est la plus élevée et que la centrale ne peut pas produire autant d’énergie. Ou bien on construisait des centrales plus grandes comme réserves, que l’on pouvait mettre en route en cas de besoin. La règle était alors la suivante: «Il y en a tant qu’il y en a»... Puis on a permis aux clients de s’approvisionner auprès d’autres fournisseurs. À cela vient s’ajouter le fait que le courant vert provenant des énergies renouvelables – le soleil et le vent – dépend des conditions météorologiques. Il y a donc plus de fluctuations du réseau et l’on a par conséquent besoin de plus de négociants. Aujourd’hui, le marché remplace la réserve. Il comble les lacunes à court et à long terme et, surtout, il minimise le risque que BKW soit déficitaire ou que l’électricité vienne à manquer. Nous achetons et vendons 24 heures sur 24. Sur l’écran à ma gauche, je réponds aux mails, sur celui de droite, je peux voir ce que font mes négociants. Je vois douze tableaux de trois colonnes, des courbes rouge, verte et jaune sur fond blanc. Ce qui ressemble au baromètre de la Bourse montre les achats et les ventes d’énergie actuelles sur les Bourses françaises, allemandes et italiennes. En dessous, Magazine Greenpeace Nº 2 — 2016
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Springer discute avec un collègue de la situation sur le marché de l’électricité.
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NÉGOCE DE L’ÉLECTRICITÉ
on voit encore les prix du CO2, ce qui est important pour les centrales qui doivent en acheter. Cela ne concerne pas nos centrales hydrauliques ou nucléaires, bien sûr, mais, par exemple, notre centrale à charbon allemande. Plus la courbe monte, plus le prix est élevé. Sur l’axe horizontal, on peut voir l’heure de la journée. Oh!... aurions-nous enregistré une perte? La flèche rouge indique une vente de BKW, la flèche verte un achat. Or la flèche verte est au-dessus de la rouge. Nous avons donc acheté plus cher que nous avons vendu. Pourtant, la règle est la suivante: «Vendre à la hausse, acheter à la baisse». Un instant, je dois vite voir combien on a vendu. Bon, pas une grosse quantité. Tout va bien, cette fois encore. En plus, la tendance est à la baisse, le prix de l’électricité a continué de chuter. Nous avons peut-être rejeté une offre à temps. Le groupe BKW produit et fournit de l’électricité. Il alimente donc le réseau et livre ailleurs. Cela crée d’innombrables obligations: certaines quantités d’électricité doivent être impérativement à disposition au lieu convenu, en temps voulu et au prix qui a été défini. Parallèlement, le monde bouge. Mais l’électricité est éphémère, on ne peut pas vraiment l’entreposer; et donc, il faut l’avoir là où elle est requise, au bon moment. D’où le négoce. Mais cela le rend aussi compliqué, parce qu’il faut toujours veiller à ce qu’il y ait de la place pour les livraisons sur le réseau. C’est pourquoi, dans le marché de l’électricité, les échanges se font toujours manuellement. Le matin, nous vérifions la liste des affaires en cours, les entrées et les sorties, combien on va payer et combien on va percevoir. Et puis, il y a la réalité qui, souvent, chamboule tout. Et c’est là que le négoce intervient. Minimiser les risques, remplir les obligations. Quand on a besoin d’énergie, on en achète; quand on en a de trop, on essaie de la vendre. On appelle cela «aplanir les positions». Outre les ménages, nous ravitaillons de grandes entreprises et d’autres fournisseurs d’énergie. Nous réglons les contrats à long terme par le biais du «marché à terme», qui permet de convenir du futur prix de livraison. Pour les très grosses commandes, nous engageons parfois des négociations, comme avec cette grande société d’aluminium qui consomme beaucoup Magazine Greenpeace Nº 2 — 2016
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et veut se prémunir contre les fluctuations de prix. Notre équipe aplanit les différences journalières sur le «marché au comptant», tandis que les opérateurs essaient de corriger les écarts à court terme par rapport au plan établi au sein de l’équipe chargée des règlements intrajournaliers. Ici, certains négociants travaillent par roulement. Six longues tables alignées, six écrans sur chacune. Mais ce n’est pas pour autant un casino; mes négociants ne touchent pas de commissions et ont des limites. Ils ne peuvent pas flamber des milliards. Il en va quand même d’un ou deux millions par clic de souris! À midi, notre pause ne dure pas plus de trente minutes. Entre les réunions, je contrôle l’état du marché à l’écran. En cas d’extrême urgence, il m’arrive de devoir quitter la pièce et de crier «Stop!» Le négoce est alors suspendu. Quand le monde est sens dessus dessous. Comme lors de Fukushima, où personne ne savait si toutes les centrales nucléaires du monde seraient débranchées le jour suivant et s’il manquerait partout de l’électricité. Ou lorsque le cours plancher du franc a été soudain supprimé. C’était aussi un choc pour le prix de l’électricité. La Suisse et le groupe BKW produisent une grande part de notre énergie à partir des centrales hydrauliques, qui fonctionnent uniquement à la fonte des neiges. Nous sommes par conséquent plutôt vendeurs en été et acheteur en hiver. Ces fluctuations sont prévisibles à long terme. Pour cela, nous concluons des accords d’approvisionnement avec des centrales nucléaires françaises ou des parcs d’éoliennes allemands. Mais il y a aussi des facteurs imprévisibles: quand la Russie annonce un nouveau pipe-line, le prix de l’énergie chute à long terme; lorsqu’en Libye, des rebelles cessent de livrer du gaz à l’Italie, le prix l’énergie augmente brusquement chez nous aussi, car la demande augmente. Ou supposons qu’il n’y ait pas assez de vent en Allemagne et que l’énergie éolienne vienne à manquer; aussitôt, le prix de l’énergie atteint des sommets faramineux! Nous en informons alors notre centrale hydraulique d’Oberhasli, notre joyau. En dix minutes, nous pouvons ouvrir les vannes et, nous autres négociants, nous revendons cette électricité à bon prix. Parfois, le vent souffle à tel point que nous avons un excédent d’électricité et que les prix deviennent négatifs! Nous avons alors l’électricité et l’argent de l’électricité. Avec cette énergie, nous pompons à nouveau de l’eau pour la faire remonter dans les turbines d’Oberhasli. Le niveau du lac dépend donc du marché de l’électricité européen. Mon boulot, c’est l’économie en temps réel. J’aime ça. Même si personne n’en sait rien.
Hannes Grassegger, né en 1980, est économiste et expert des réseaux. Ses reportages présentent les différentes facettes du tournant digital. Puisque ce tournant affecte aussi l’être humain et son environnement, Hannes Grassegger collabore depuis plusieurs années pour le magazine Greenpeace.
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ESSAI PHOTOGRAPHIQUE Ill. 1
Après le retrait de nombreux groupes pétroliers, l’Arctique est confronté à une nouvelle menace: la pêche industrielle. Magazine Greenpeace Nº 2 — 2016
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par Yves Zenger
© A LEXA N DE R SE ME NOV
DES SECRETS SOUS LA GLACE
© A LEXA N DE R SE ME NOV
© G LE N N W I LLI AMS / N AT I O NA L INS TITU TE O F S TANDARDS A N D T ECHN OLO GY
Ill. 2
L’Arctique: de la glace à perte de vue. Or, là où il y a de la glace, il y a de l’eau. Or l’eau, c’est la vie. Et comment! Les eaux de l’Arctique recèlent une biodiversité qui n’a rien à envier à celle des eaux tropicales. Malgré une température de seulement 6 degrés, l’Atlantique s’épanouit, avec des récifs coralliens dont certains ont plus de 2000 ans. Zone de frai et «nurserie» de maintes espèces de poissons, cette région a une valeur inestimable pour l’océan. La grande diversité des planctons notamment – des centaines d’espèces d’algues et d’organismes multicellulaires – constitue la base de la chaîne alimentaire dans cet écosystème complexe. Les ours blancs et les phoques, mais aussi les espèces endémiques que sont la baleine boréale, le requin du Groenland et d’innombrables poissons, oiseaux et mammifères, en profitent. Il y a de la magie dans l’air – et dans l’eau: les narvals sont les licornes des mers; les gastéropodes aquatiques, aussi appelés «papillons de mer», glissent dans les profondeurs tels des Magazine Greenpeace Nº 2 — 2016
elfes, avec leurs délicates nageoires, tandis que les longs tentacules des méduses à crinière de lion rappellent la chevelure dorée de Raiponce. Toutefois, comme dans le conte des frères Grimm, de méchants sbires s’apprêtent à détruire ce paradis: les chalutiers se préparent... Avec leurs gigantesques filets de plusieurs tonnes, ils dévastent les fonds marins encore intacts. Pour eux, le réchauffement climatique est une aubaine. Car, avec le recul de la banquise, leurs navires ont champ libre. Les eaux de l’Arctique ont été moins bien étudiées que la Lune. Durant des millénaires, les grands fonds étaient censés abriter des monstres marins qui dévoraient les matelots tombés à l’eau. Il y a à peine cent cinquante ans, les biologistes prétendaient qu’il n’existait aucune vie sous-marine au-delà de 600 mètres de profondeur. Aujourd’hui, les scientifiques sont convaincus que d’innombrables espèces animales encore inconnues y vivent.
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LE MONDE IMMERGÉ DE L’ARCTIQUE Ill. 3, 4
Ill. 1 et 3 (Arctique, Russie, mer Blanche): l’ombrelle de la méduse à crinière de lion ou méduse chevelue, un animal fort rare, peut mesurer jusqu’à un mètre de diamètre. Elle possède de 70 à 150 tentacules atteignant jusqu’à 36 mètres de long. Ces méduses, qui se laissent dériver dans l’eau, vivent en petits groupes et se nourrissent presque uniquement de zooplancton. Pour attraper leurs proies, elles déploient leur ombrelle et se laissent couler, capturant de petits crustacés au moyen de leurs tentacules.
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Ill. 2 (États-Unis): les narvals, aussi appelés «licornes des mers», sont des migrateurs qui, comme la plupart des animaux, suivent leur nourriture. Ils vivent en pleine mer et partent vers le nord en mai et en juin, lorsque la glace recule peu à peu. Sensible aux transformations de l’environnement, notamment aux fluctuations de la teneur en sel de l’océan – selon que l’eau gèle ou dégèle –, le narval sait quand il est temps de changer de lieu.
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Ill. 4 (Arctique, Russie, mer Blanche): dans l’Arctique, on ne trouve que trois espèces parmi les 80 existantes de cténophores ou cténaires (du gr. ktenos, «peigne»); trois autres vivent dans les grands fonds. Le corps de ces méduses, constitué à 99% d’eau, est généralement transparent; à la surface, elles présentent huit plaques dotées de cils locomoteurs, formant des peignes. Ces peignes natatoires se relèvent de manière coordonnée (du bas vers le haut), propulsant ainsi le corps dans l’eau, la bouche en avant. Les battements des plaques ciliées produisent des couleurs d’interférence qui font apparaître les rangées de cils comme irisées. Dotées de cellules visqueuses, elles peuvent attraper les proies. De temps à autre, les tentacules se rétractent vers la bouche qui ingère leur proie. Juste avant la mise sous presse, nous apprenons un fantastique succès d’étape: après de longues et difficiles négociations, plusieurs grands distributeurs de fruits de mer et entreprises de pêche s’engagent à renoncer à la pêche au cabillaud dans des régions de la mer de Barents auparavant recouvertes de glace. Greenpeace surveillera la mise en æuvre de ces promesses. Suivi des derniers événements: www. greenpeace.ch
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ALIMENTATION
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Plus de transparence sur les pesticides Entretien rédigé par Françoise Debons Minarro, porte-parole Biodiversité & Toxiques Greenpeace Suisse
L’exposition itinérante AlimenTerre a voyagé en Suisse romande du 10 mars au 13 mai dernier, mettant l’accent sur les effets des pesticides sur la santé, l’alimentation et l’environnement. Rencontre avec le professeur Gilles-Eric Séralini, spécialiste des OGM et des pesticides à l’Université de Caen, invité d’honneur pour le lancement de cette exposition. Qu’est-ce qui vous motive dans votre combat contre les effets nocifs des pesticides et des organismes génétiquement modifiés (OGM)? En Argentine, il est terrible de voir le nombre d’enfants qui présentent des anomalies. Il y a trop de malades et de morts dans le monde en raison des toxicités cachées et frauduleuses de ces produits. Mon travail consiste à étudier les effets combinés et à long terme des polluants sur la santé. Je souhaite que les agences européennes commencent à réaliser le caractère partiel et frauduleux de leur travail jusqu’à présent. Vous parlez de trois fraudes: de quelle nature sont-elles? La première fraude des compagnies agroindustrielles consiste à déclarer le glyphosate comme principe actif alors qu’il ne s’agit pas d’un herbicide lorsqu’il est utilisé seul. Cela permet aux entreprises d’utiliser ce qui est en fait le moins toxique dans un produit tel que le Roundup pour déterminer les doses admissibles. La deuxième fraude revient à accepter des doses très élevées de pesticides dans l’eau et les aliments. Les taux dans l’eau courante sont ainsi beaucoup trop élevés. C’est une honte sur le plan scientifique et réglementaire! Enfin, dire que les autres composés du Roundup sont des Magazine Greenpeace Nº 2 — 2016
adjuvants inertes, alors que ce sont des détergents corrosifs issus du pétrole, constitue la troisième fraude. De quelle manière les pesticides vont-ils contaminer notre organisme? Ces substances toxiques se trouvent dans l’air, dans l’eau, dans les plantes et les légumes traités, dans les OGM ainsi que dans les graisses animales qui bioaccumulent les pesticides. La nourriture industrielle nous rend malades. Quelles solutions faudrait-il mettre en place pour éviter les pesticides? Tout d’abord, il existe des solutions au niveau individuel: s’éloigner le plus possible des OGM et des pesticides, c’est gagner en santé. On sait aujourd’hui qu’il y aura bioaccumulation de ces produits dans le temps et que cela favorisera le développement de maladies chroniques, voire dégénératives. Pour cela, il faut soutenir une agriculture biologique, de proximité, sans pesticides, qui permet de respecter le cycle de la vie et de nourrir le plus de monde possible. À Montréal, il y a même des jardins biologiques sur les immeubles. Et sur un plan plus institutionnel? Il est indispensable que la transparence soit une règle de base pour les études réalisées par l’industrie. Les effets sur la santé et l’environnement, mais aussi les résultats des analyses de sang, doivent être rendus publics afin que les médecins puissent les comparer avec les effets constatés sur leurs patients malades. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourrait voir s’il existe des correspondances. En rendant public ce qui est caché, on pourra enfin travailler de manière scientifique!
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BRÈVES SUCCÈS 1
NOUVELLE DIRECTION
© STEVE E RWO OD / G R EEN PEACE
Plainte contre les secteurs pétroliers et gaziers acceptée Bonne nouvelle pour la protection climatique: l’industrie pétrolière et gazière ne pourra plus se faire passer pour écolo et bon marché dans ses pubs. Mais cela ne suffit pas. Greenpeace réclame donc l’introduction d’avertissements comme pour le tabac. Le pétrole et le gaz réchauffent le climat et peuvent être mortels, en Suisse aussi.
Deux femmes à la tête de Greenpeace
© W I LL RO S E / G R EENPEACE
Greenpeace International a créé la surprise en communiquant les noms de la nouvelle direction: depuis avril 2016, deux femmes, SUCCÈS 2 Jennifer Morgan et Bunny McDiarmid, ont repris le flambeau et codirigent l’organisation. Bunny et Jennifer partagent la même vision, mais apportent des expériences différentes. Ancienne directrice de Greenpeace Nouvelle-Zélande, Bunny peut se targuer d’une carrière de trente ans chez Greenpeace. Jennifer dirigeait depuis 2009 le proAvenir ensoleillé gramme de protection du climat pour Rhodes du World Resources Institute à Factures énergétiques exorbiWashington et représentait l’orgatantes, chômage, pauvreté: tel est nisation lors de négociations interle visage qu’offre la Grèce. Or, nationales, dernièrement lors de au lieu d’emprunter de nouvelles la conférence sur le climat à Paris. Cette codirection confère à voies et de chercher des solutions l’organisation l’endurance nécesplus ambitieuses pour l’avenir, le gouvernement prévoit une nou- saire pour mener des campagnes velle centrale au fuel. Greenpeace efficaces dans un environnement a donc lancé une opération de global exigeant. Par ailleurs, elle financement participatif visant à donne l’exemple de ce qui la ca«solariser» la Grèce. La campagne ractérise: Greenpeace est ouverte a porté ses fruits: grâce à de géné- à de nouvelles formes de coopération et prend ses décisions en reux soutiens, nos supporters ont pu installer deux centrales solaires concertation. Cela correspond à Rhodes. Un premier pas vers à l’esprit des campagnes fondées l’indépendance énergétique. sur la participation et le soutien de nombreuses personnes. Bunny et Jennifer vivent cette vision et aimeraient la mettre en œuvre: «Les gens souhaitent quelque chose en quoi ils peuvent Magazine Greenpeace Nº 2 — 2016
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croire, une nouvelle idée qui leur donne une meilleure image de l’humanité, de la Terre et de notre avenir. Greenpeace peut offrir cette plate-forme. Nous travaillons partout dans le monde avec des gens d’horizons les plus divers, par-delà les frontières Nord-Sud. Notre indépendance financière nous confère une crédibilité unique quand nous disons la vérité aux puissants de ce monde.» RAPPORT D’ACTIVITÉ
Rapport annuel de Greenpeace: l’année 2015 Des milliers de personnes dans le monde ont protesté avec Greenpeace contre les projets de forage de Shell dans l’Arctique. Greenpeace Suisse a porté plainte pour publicité déloyale contre le lobby gazier et pétrolier. Avec des expéditions dans les lieux les plus inaccessibles, nous avons prouvé que les dangereux PFC, surtout présents dans les vêtements de plein air, se retrouvaient partout. Et nous avons révélé d’énormes lacunes de sécurité dans le réacteur de la centrale de Beznau I. Vous aimeriez en savoir plus sur les campagnes de Greenpeace en 2015? Sur les femmes et les hommes qui les préparent, ainsi que sur la façon dont nous avons utilisé vos dons? Lisez notre rapport annuel! www.greenpeace.ch/rapportannuel
BEZNAU
© G R EE NPEACE / C HR IS TIA N SCH MU TZ
J’aurais volontiers évité de faire appel aux juges, puisque ces procédures sont coûteuses et nous font perdre un temps fou. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé: en effet, en cas de litige, la loi sur la transparence demande aux parties d’essayer de trouver un terrain d’entente avant toute démarche juridique. J’ai donc discuté de longues heures avec les représentants de l’IFSN pour essayer de trouver un accord. Une étape louable, car elle est censée résoudre les différends et désengorger les tribunaux. Mais c’était peine perdue: le surveillant du Cuve et transparence nucléaire campant sur ses positions, la médiation a échoué. La loi prévoit ensuite que le affaiblies Préposé fédéral à protection des données et à par Florian Kasser, chargé des questions la transparence donne son avis, en espérant que nucléaires pour Greenpeace Suisse les parties s’y plient. Pour la cuve de Beznau, sa recommandation fut limpide: la censure des 950 pages est totalement injustifiée. Mais là La centrale nucléaire de Beznau fait beaucoup parler d’elle. Ses 47 ans font d’elle la plus vieille non plus, rien à faire: l’IFSN se moque de cet centrale du monde. Au début de l’année passée, avis et continue depuis de censurer la majeure partie du rapport. Voilà pourquoi nous nous je voulais en savoir plus sur l’état précis de la retrouvons désormais au tribunal. Le jugement pièce maîtresse en matière de sécurité: la cuve sous pression, dans laquelle est placé le comest attendu d’ici à la fin de l’année. Ces documents sur Beznau ne sont pas un bustible radioactif. J’ai donc demandé à consulter le rapport détaillant l’usure de la cuve auprès de cas isolé. Trop souvent, les autorités contournent l’Inspection fédéral de sécurité nucléaire (IFSN), la nouvelle loi et entretiennent l’opacité sur le gendarme du nucléaire en Suisse. leurs affaires, surtout pour protéger des intérêts Obtenir de tels documents n’a, en théorie, privés, ceux d’Axpo, le propriétaire de la centrale rien de sorcier. En effet, la loi sur la transpadans notre cas. Greenpeace est d’ailleurs implirence, en vigueur depuis 2004, permet à tout à quée dans quatre procédures judiciaires liées à la chacun, journaliste, responsable de campagne transparence: trois dans le domaine nucléaire, ou simple citoyen ou citoyenne, de demander une concernant les pesticides utilisés en Suisse. l’accès à des documents en possession des Nous ne lâchons pas le morceau: obtenir la transparence, c’est bien souvent faire avancer une autorités. Cette loi fait progresser d’un pas de cause de manière décisive. géant la transparence en Suisse, puisqu’elle Six mois à peine après ma demande d’accès représente un changement de paradigme. Avant, à ce rapport, Axpo annonçait avoir découvert les documents de l’administration étaient confidentiels et toute publication devait être dûment près d’un millier de défauts dans la cuve du justifiée; la nouvelle loi renverse la charge de réacteur n° 1 de Beznau. Leur origine reste mystérieuse. Mais une chose est sûre: ces défauts, la preuve: par principe, la population a désormais accès aux informations en possession des combinés à l’usure, affaiblissent la pièce autorités et celles-ci doivent motiver toute maîtresse de la centrale. Avec cette découverte, retenue d’informations. les 950 pages documentant la vétusté de la cuve ont donc gagné considérablement en imDans la pratique, c’est malheureusement portance. Notre détermination pour obtenir beaucoup plus laborieux. Les autorités ont du mal à s’accommoder de la nouvelle loi. L’IFSN leur publication aussi. m’a bien remis le document sur la cuve de Beznau, mais 950 des 1000 pages sont entière- Plus d’informations sur la loi sur la transparence et la marche à suivre pour commander des documents ment censurées… Je n’avais donc pas d’autre sous: https://www.oeffentlichkeitsgesetz.ch/francais/ choix que de recourir au Tribunal administratif Agir: https://byebyebeznau.ch/fr/agir fédéral. Magazine Greenpeace Nº 2 — 2016
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À gagner: trois lampes solaires en verre recyclé
30e anniversaire de la catastrophe nucléaire de...
Les lampes ont été conçues à Johannesburg et donnent du travail à 60 personnes des townships de Soweto et d’Alexandra. Envoyez la solution jusqu’au 30 juin 2016 par courriel à redaction@greenpeace.ch ou par voie postale à Greenpeace Suisse, rédaction magazine, mots fléchés écolos, Greenpeace, Badenerstrasse 171, Postfach 9320, 8036 Zurich. La voie juridique est exclue. Il ne sera entretenu aucune correspondance. Mécanisme de développement propre
Cinéaste britannique†
Ancien malfaiteur
Partie d’un mur Scion Un ancien pays de la CE Muet
Pièce de tissu recouvrant le matelas
Prélèvement fiscal
Partie du corps Points sur les voyelles
Ville de Belgique Compte postal (abrév.)
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Rush
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Difficile
Mots fléchés écolos
Physicien français †, Prix Nobel (1970)
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17 13 Base de données mondiale des transactions foncières
Vieille armée Se débarrasser de
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7e lettre grecque Organisme américain Ville où est né ToulouseLautrec
Cap catalan
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Précède le club Ville du Nord
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Autorité de surveillance (fictive) des marchés des matières premières
Modulation par Impulsion et Codage
Fait avec audace
Verdure dans le désert Préfixe
Dirige le commerce du pétrole
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Un refus
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Ville dans le Hainaut
Fleuve d’Afrique du Nord
11 Ruminant à la tête garnie de bois
Lettre de l’alphabet Symbole du röntgen
4 Déviation par rapport à la route fixée
Histoire légendaire d’une famille
Chanteur †
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Rivière du sud de l’Éthiopie
Terme des arts martiaux
La peinture en est un
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Gai luron Capitale de l’Italie
Tout ce qui possède l’existence
Radio britannique
Poème lyrique en strophes
Fève qui fournit la coumarine
Plus ancienne centrale nucléaire du monde
Port du Japon Sans retour
Réel Mère de Zeus
Cinquième anniversaire de la catastrophe nucléaire de...
Machine d’impression
Grand cerf des pays froids
Costume féminin de l’Inde
7 Plante Musique dérivée fourragère du rock Un anglais
Gave des Pyrénées Écrivain des USA † Hors service
Produits chimiques toxiques qui se déposent dans l’environnement
Analyse du potentiel d’exploitation économique des plantes
Prêtresse d’Héra, changée en génisse
Symbole de l’astate
Poisson marin estimé
Grand air d’un opéra
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Votre adresse est-elle toujours valable? Prévoyez-vous un déménagement? N’hésitez pas à nous communiquer tout changement de coordonnées par courriel à l’adresse suisse@greenpeace.org ou par téléphone au 044 447 41 71. Merci beaucoup pour votre soutien!