Greenpeace Magazine 03/2016

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En finir avec le nucléaire G REEN PEACE MEMBER 20 16, N O 3

Sept arguments pour la fin du nucléaire p. 15 Une Suisse renouvelable p. 31 Reportage: Mühleberg et sa centrale p. 36


Éditorial

Greenpeace ne baisse jamais les bras

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gé. Personne ne connaît le visage qu’aura notre société dans cinq ans. Si cette évolution rapide suscite des inquiétudes, nous préférons y voir une chance. Comment faire bouger la société pour instaurer un mode de vie qui respecte les êtres humains et la nature, et qui mette fin à l’exploitation? C’est la question que nous avons traitée en profondeur au cours des derniers mois. Des milliers de personnes à travers le monde nous ont fait part de leurs aspirations et de leurs visions. Leurs suggestions ont été analysées, débattues, travaillées dans les bureaux de Greenpeace. Avec un résultat que nous jugeons tout à fait concluant: le nouveau cadre stratégique, qui décrit comment Greenpeace entend relever les défis qui se posent à l’échelle mondiale. Tout en restant fidèles à nos valeurs – la protection de l’environnement, de la biodiversité et du climat –, nous faisons évoluer nos approches. Nous voulons travailler davantage sur les causes de la destruction environnementale. Les problèmes environnementaux comme le réchauffement climatique ou le gaspillage des ressources ne peuvent pas être résolus isolément. Ils doivent être abordés dans une vue d’ensemble. Le changement climatique est en effet étroitement lié à la question de la justice et de l’exploitation, et le pillage de la nature doit

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être envisagé dans le contexte des conflits sociaux, de la corruption et des guerres. C’est pourquoi Greenpeace renforce son travail sur les attitudes de fond et les structures de pouvoir. Promouvoir le respect de la nature et des êtres vivants et soutenir les mouvements de solidarité en faveur du bien commun sont des étapes importantes pour se rapprocher d’un monde écologique et pacifique. Mais les forces de Greenpeace ne suffiront pas à faire aboutir le changement. Il nous faudra l’aide d’un grand nombre de personnes travaillant dans le même sens. Nous aurons besoin de votre aide! En Suisse aussi, nous pouvons faire avancer les choses et obtenir la sortie du nucléaire lors de la votation de novembre. À nos yeux, c’est là une composante essentielle de la lutte pour une politique énergétique porteuse d’avenir. Verena Mühlberger et Markus Allemann Codirection Greenpeace Suisse

© NI C OL AS F OJTU / GREEN PEACE

Greenpeace s’engage avec conviction en faveur de l’initiative «Sortir du nucléaire». Notre vision est celle d’une société qui couvre ses besoins en énergie par des sources efficaces, sûres, décentralisées et entièrement renouvelables; une société qui, à l’horizon 2050, aura totalement renoncé aux énergies fossiles comme le pétrole et le gaz, et qui aura tourné le dos au nucléaire et au charbon. Les ressources naturelles doivent être préservées pour les générations futures. Cette vision peut paraître utopique. Après tout, les grandes entreprises ont toujours plus de pouvoir, le monde devient toujours plus complexe et les comportements ne sont pas faciles à changer. Au point que beaucoup estiment qu’il n’y a rien à faire, en dehors d’améliorations ponctuelles dans certains secteurs. Mais Greenpeace ne baisse jamais les bras! Nous sommes convaincus qu’en unissant nos forces, nous pouvons faire évoluer les choses, même en profondeur. Nous vivons dans un monde instable, marqué par des catastrophes environnementales, une raréfaction des ressources, des tensions sociales croissantes et la rupture de systèmes considérés jusqu’ici comme solides. Certains des plus grands groupes commerciaux n’ont même pas encore dix ans d’existence. Les nouveaux mouvements sociaux disparaissent aussi rapidement qu’ils ont émer-


Ombre mortelle Des militants de Greenpeace protestent contre les méthodes de pêche problématiques du producteur de thon Thai Union. Son thonier Explorer II utilise de puissantes lumières pour attirer le plus grand nombre possible de poissons. Les thons sont alors capturés avec une senne coulissante. Greenpeace dénonce cette méthode de pêche, mais aussi les violations des droits humains qui sont communes à bord de ces navires de pêche. 26 mai 2016, Madagascar, océan Indien


© WILL RO S E /G R E EN P E ACE



Nettoyer les plages de l’Arctique En nettoyant des plages de l’Arctique, des militants de Greenpeace ont surtout trouvé des filets, des bouées et d’autres déchets de plastique issus de la pêche. Cette action veut rappeler le problème de la pollution des océans. Les déchets ont aujourd’hui atteint les endroits les plus reculés de la planète. 26 juin 2016, Svalbard, Spitzberg, Norvège

© CHRISTIAN ÅSL U N D/G R E ENP E ACE


Protestation contre le TAFTA Un groupe de militants de Greenpeace escalade l’une des tours jumelles de 114 mètres de haut qui constituent la Porte de l’Europe à Madrid. Ils y accrochent deux banderoles géantes pour protester contre le traité de libreéchange transatlantique TAFTA. 17 mai 2016, Madrid, Espagne


© P ED RO A RM E ST R E /GR E E N P E ACE


Dossier: Le nucléaire, une technologie dépassée p. 10 Introduction: dossier thématique 10 La sortie du nucléaire en Suisse: une imposture politique 11 Données factuelles: sept arguments pour la fin du nucléaire 15 Portrait: la générosité d’une grande dame contre le nucléaire 17 Reportage: les enfants de Tchernobyl en Suisse 19 Contexte: la baisse des prix de l’électricité: une sale affaire 26 Infographie: l’avenir électrique suisse est entièrement renouvelable 31 Reportage: Mühleberg, le village qui accepte sa centrale 36 Carte: la quête des centres de stockage dans le monde 45 Recherche en communication: les déchets nucléaires, un héritage pour les générations futures 51 Dossier: le désastre atomique 56 Magazine Greenpeace No 3 — 2016

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Essai photographique Au nord de la Russie, un paysage ravagé par le pétrole Libre-échange TAFTA/TiSA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Campagnes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Éditorial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . En action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Encart Engagement pour la sortie programmée de l’énergie nucléaire . . . Mots fléchés écolos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Magazine Greenpeace en ligne:

À ne pas manquer: audition publique sur la sécurité de Beznau 1 Portraits de producteurs de courant vert: de l’éolienne privée à la centrale hydraulique communautaire Hinkley Point: les dernières nouvelles concernant le jeu de dupes atomique Points de vue: deux personnes favorables au nucléaire s’expliquent Actualités nucléaires internationales, livres et films recommandés Tribune: fissures dans le bloc des pro-nucléaires

. 58 . 68 . 70 . 1 . 2 . 25 . 72

L’axe du temps Le stockage des déchets nucléaires et le rapport des êtres humains au temps p. 9–45 Chaque jour, nous consommons de l’énergie nucléaire. Et chaque jour, les déchets nucléaires s’accumulent. Le stockage de ces déchets pose d’énormes problèmes à l’humanité. Outre la question du choix du site, l’enjeu est de concevoir des plans de sécurité pour au moins 30 000 générations. Le nucléaire est encore jeune, mais les risques encourus sont déjà grands et constituent un défi qui reste sans solution aujourd’hui. Notre axe du temps illustre le passé récent et laisse entrevoir l’infini du futur.

Vous trouverez des articles inédits du magazine sur le site Internet de Greenpeace: www.greenpeace.ch/magazine

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Suite à la page 11


Introduction

L’idéologie, cet argument massue

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velables. Celles et ceux qui présentent le nucléaire comme une bénédiction pour l’humanité, passant sous silence les énormes risques qui y sont associés, n’ont pour l’instant fourni aucun argument réel. Dire «oui» à l’initiative sur la sortie du nucléaire le 27 novembre prochain, c’est préserver l’environnement pour nous et les générations à venir, c’est être fidèle à ses idéaux. Mais c’est aussi et surtout dire «non» aux idéologies trompeuses!

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Christian Engeli Responsable de campagne chez Greenpeace Suisse Co-président de l’Alliance pour la sortie programmée du nucléaire

© NI C OL AS F OJTU / GREEN PEACE

La lutte autour du nucléaire est présentée comme une guerre de tranchées. Promoteurs et détracteurs de cette technologie se seraient retirés dans leurs tranchées idéologiques, refusant de réfléchir aux arguments de l’adversaire. Cette vision est régulièrement relayée dans le débat suisse sur l’avenir du nucléaire, notamment en lien avec les diverses votations. Elle est totalement fausse. Elle est surtout fausse en ce qui concerne le côté des opposants, qui est le nôtre. L’argument massue des défenseurs du nucléaire est de dire que les écologistes et la gauche n’auraient que des raisons idéologiques de refuser le nucléaire. Il est vrai que les raisons idéologiques ont leur place. Nous voulons prendre soin de la planète qui nous abrite. Nous voulons une production qui nuise le moins possible aux générations actuelles et futures. Mais quand on évoque l’idéologie, on sousentend qu’il n’y aurait pas de raisons «objectives» contre le nucléaire. C’est cette affirmation que nous voulons démonter dans le dossier de cette édition du magazine. Par exemple par un constat réjouissant: une énergie renouvelable à 100% n’est pas une utopie absurde, mais une visée tout à fait réaliste. Les vrais esclaves de l’idéologie, ce sont actuellement les milieux qui défendent le nucléaire. Ils brandissent des chimères appelées «réacteurs à fusion» ou «mini-centrales» et rêvent d’un nouvel essor du nucléaire, qui n’a aucune chance de se réaliser au vu des formidables taux de croissance des énergies renou-


Contexte Texte: Anne Koch

Sortie du nucléaire: la politique du flou Après cinq ans de débat sur la sortie du nucléaire, les politiciens veulent permettre aux exploitants de faire fonctionner leurs centrales nucléaires pour une durée indéfinie, sans autres rééquipements techniques pour en augmenter la sécurité. C’est cette décision irresponsable que l’initiative sur la sortie du nucléaire entend empêcher. En votant pour une sortie programmée du nucléaire en novembre prochain, la population a la possibilité de corriger les manquements du Parlement.

14 milliards d’années: naissance de l’Univers 4 milliards d’années Les plus anciennes traces minérales qui témoignent de la vie sur la planète remontent à cette époque. 2500 à 1000 millions d’années Apparition des protozoaires et des pluricellulaires 200 à 145 millions d’années Le Jurassique, le temps des dinosaures 66 à 56 millions d’années L’époque du Paléocène qui voit la disparition des dinosaures. Apparition des mammifères connus aujourd’hui. 30 millions d’années Début de la formation des Alpes, qui se poursuit à l’heure actuelle, à raison de 1 millimètre par année. 7 à 4 millions d’années La lignée du chimpanzé et celle de l’être humain se séparent. 1,8 à 0,3 million d’années Homo erectus quitte l’Afrique pour s’établir en Europe et dans le reste du monde. Il sait conserver, mais aussi allumer le feu. Il possède une langue orale avec un vocabulaire encore rudimentaire. 1 million d’années Temps nécessaire pour isoler les déchets radioactifs de la biosphère.

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La sortie du nucléaire en Suisse DÉPART

Le 11 mars 2011, trois réacteurs nucléaires de la centrale de Fukushima entrent en fusion. Le monde est saisi d’effroi. Le nucléaire est mis en doute, y compris en Suisse. Une Suisse qui abrite la plus vieille centrale nucléaire du monde: Beznau 1. Mise en service en 1969, la centrale a quarante-deux ans de fonctionnement au moment de la catastrophe. Le réacteur de Beznau 2 a deux ans de moins.

Deux mois après Fukushima, le Conseil fédéral annonce la sortie du nucléaire. Il veut interdire la construction de nouvelles centrales. Les centrales existantes resteront toutefois en service «tant qu’elles répondent aux critères de sécurité». Selon la ministre de l’Énergie Doris Leuthard, leur durée de vie pourrait être d’environ cinquante ans. La production d’énergie nucléaire devrait donc s’arrêter d’ici à 2034.

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La même année, le gouvernement et le parlement allemands décident la mise hors service immédiat de huit des seize centrales nucléaires du pays. Les centrales restantes seront progressivement arrêtées d’ici à 2022.

En Suisse, les Verts estiment que le Conseil fédéral ne va pas assez loin. Peu avant l’annonce de la sortie du nucléaire, ils avaient lancé une initiative populaire pour une sortie programmée du nucléaire, demandant l’interdiction de la construction de nouvelles centrales, mais aussi une limite claire pour l’exploitation des vieilles centrales: la durée maximale d’exploitation est fixée à quarante-cinq ans. Selon le texte de l’initiative, la dernière centrale suisse, celle de Leibstadt, s’arrêterait donc en 2029. Beznau 1 serait mise hors service une année après adoption de l’initiative.

Dès le début, l’annonce de la sortie du nucléaire ressemble à un compromis boiteux. Si la construction de nouvelles centrales est interdite, les installations existantes peuvent théoriquement continuer de fonctionner à l’infini. La fin du nucléaire n’est pas planifiée dans le temps.

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En octobre 2011, alors que les travaux d’assainissement commencent à Fukushima, la population suisse est appelée à élire les membres du Conseil national et du Conseil des États. Les médias évoquent presque quotidiennement la catastrophe au Japon. La population suisse est encore sous le choc. Pendant la campagne électorale, un grand nombre de politiques se réclament de la sortie du nucléaire, promettant de s’engager pour que les centrales soient mises hors service après cinquante ans d’exploitation au maximum.

De juin à décembre 2011, le Parlement délibère sur la sortie du nucléaire. Le débat est vif. Des élus du PLR parviennent à imposer une longue discussion sur l’opportunité d’interdire une technologie. Selon le compromis finalement accepté, l’interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires n’est pas absolue. Le Conseil fédéral est appelé à proposer une législation, et la décision en tant que telle est reportée à plus tard. En avril 2012, le Conseil fédéral constate que la sortie du nucléaire est techniquement et économiquement faisable. Sous l’égide de la conseillère fédérale Doris Leuthard, le Département de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) est chargé d’élaborer un projet de loi pour un premier train de mesures dans le cadre de la stratégie énergétique 2050.


L’initiative pour la sortie du nucléaire est déposée en novembre 2012. Un mois plus tard, l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN) émet pour la première fois des doutes sur la base légale de son propre rôle de surveillance. Vers la fin de la durée de vie des centrales, leurs exploitants pourraient en effet cesser d’investir dans la sécurité. De plus le vieillissement des installations pourrait fortement augmenter le risque d’accident nucléaire. L’IFSN suggère donc que les centrales devraient disposer, jusqu’à leur dernier jour de fonctionnement, d’une marge de sécurité suffisante. Avant 2011, l’IFSN estimait cette marge garantie par le remplacement prévu des centrales après quarante ans d’exploitation. Or l’évolution du débat politique permet aujourd’hui une durée de fonctionnement plus longue. Si les exigences de sécurité ne sont pas revues à la hausse, les risques d’une exploitation à long terme iront croissant. L’IFSN estime donc que la loi devrait inclure des exigences supplémentaires concernant la sécurité et que la poursuite de l’exploitation au-delà de quarante ans devrait être conditionnée à des obligations et à des plans d’investissement. Cependant, l’IFSN n’exprimera jamais clairement le fond de ses déclarations, à savoir que la sécurité d’une centrale nucléaire n’est plus garantie après quarante ans de fonctionnement.

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450 000 à 130 000 ans: les premiers êtres humains sur le territoire suisse Ils vivent en petits groupes, se protégeant dans des grottes, sous des rochers ou dans d’autres lieux propices. Leurs activités s’organisent autour du foyer. Le feu procure sécurité et chaleur tout en favorisant la communication.

En octobre 2013, la commission de l’énergie du Conseil national commence ses délibérations sur la stratégie énergétique 2050 et discute les suggestions de l’IFSN. Mais les partis bourgeois ne se montrent pas vraiment disposés à limiter la durée d’exploitation des centrales dans l’intérêt de la population.

C O M M I S S I O N D E L’ É N E R G I E

300 000 à 30 000 ans: première communication verbale Les premiers échanges des hommes de Néandertal sont probablement davantage des sons que des phrases. La marche en station verticale libère les mains pour la communication gestuelle et les signes, et modifie aussi la position du larynx. L’homme de Néandertal est le premier à posséder l’appareil locutoire moderne de l’Homo sapiens actuel.

CONSEIL NATIONAL 200 000 ans Durée de protection nécessaire pour les déchets radioactifs envisagée par la NAGRA, la Société coopérative nationale pour le stockage des déchets radioactifs. 100 000 à 70 000 ans Une structure langagière se met en place. Homo sapiens sapiens commence à utiliser un langage élémentaire. 40 000 ans: premières représentations figuratives La grotte du Castillo, en Espagne, recèle les plus anciennes peintures murales connues à ce jour. Que voulaient exprimer les êtres humains d’il y a plus de 40 000 ans? Nous donner des informations par des symboles? Les symboles d’avertissement que nous connaissons aujourd’hui seront-ils encore compris dans 40 000 ans?

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La sortie du nucléaire en Suisse

CONSEIL NATIONAL

En décembre 2014, après plus d’une année de travail au sein de la commission de l’énergie, le Conseil national discute de la stratégie énergétique et introduit dans la loi sur l’énergie nucléaire des dispositions nouvelles par rapport à la position du Conseil fédéral: l’interdiction de construire de nouvelles centrales est complétée par des dispositions concernant les centrales existantes. À partir de la quarantième année d’exploitation, les exploitants seraient tenus de soumettre tous les dix ans à l’IFSN un nouveau concept d’exploitation à long terme. Les centrales qui auraient plus de quarante ans de fonctionnement au moment de l’entrée en vigueur de la loi devraient être mises hors service au plus tard après soixante ans. Cette dernière disposition concernerait Beznau 1 et 2 (en service depuis 1969/ 1970) et Mühleberg (1972). CONSEIL DES ÉTATS

Ce qui, au premier abord, ressemble à une avancée est en réalité un piètre compromis. En laissant tomber les marges de sécurité supplémentaires dans le cadre du concept d’exploitation à long terme, le Conseil national balaie une des principales recommandations de sa propre commission de l’énergie. Il n’est donc plus possible d’obtenir une amélioration qualitative de la sécurité en lien avec l’exploitation des centrales vieillissantes. Les centrales de Gösgen (en service depuis 1979) et de Leibstadt (1984) pourraient fonctionner durant septante, huitante ans, voire davantage. Même pour les centrales de Beznau 1 et 2 – en service depuis quarante-sept et quarante-cinq ans – la plupart des membres du Conseil national ne se rappellent plus la promesse de limiter la durée d’exploitation à cinquante ans, engagement qu’ils avaient pris lors de la campagne électorale de 2011. Ils préfèrent au contraire rajouter encore dix ans, ce qui porte la durée d’exploitation au maximum techniquement imaginable pour une centrale de type ancien. En automne 2015, après neuf mois de discussion au sein de la commission de l’énergie du Conseil des États, celui-ci n’adhère même pas aux timides avancées décidées par le Conseil national. Il rejette tant le concept d’exploitation à long terme que la limitation de la durée d’exploitation.

Dans sa nouvelle composition nettement plus à droite, le Conseil national confirme au printemps 2016 les suppressions décidées par le Conseil des États. Les exploitants des centrales vieillissantes n’auront donc aucune exigence particulière à respecter. Quelle politique en matière de production d’électricité? Quelle politique de sécurité pour le secteur nucléaire suisse? Quand les réacteurs de Beznau, Gösgen et Leibstadt seront-ils mis hors service? Quels sont les rééquipements nécessaires dans la phase la plus critique en termes de sécurité? Personne ne le sait. Après un flou politique de cinq ans, la situation est précaire. Le Conseil fédéral et le Parlement ne contestent pas l’interdiction de construire de nouvelles centrales. Et les centrales existantes peuvent continuer de fonctionner, sans autres adaptations au niveau de la sécurité et sans limitation de leur durée d’exploitation. Le 27 novembre 2016, la population a la possibilité de réduire les risques nucléaires pour la Suisse, en acceptant l’initiative pour la sortie programmée du nucléaire qui limite la durée d’exploitation des centrales. L’initiative permet en outre une mise hors service réglementée et planifiable pour les cinq centrales suisses. C’est le seul moyen de corriger les erreurs du Parlement et de permettre à la Suisse de sortir à temps du nucléaire.

NOUVEAU

STOP Anne Koch est responsable du domaine politique chez Greenpeace Suisse.

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Données factuelles par Marco Pfister

Sept arguments pour la fin du nucléaire Le 27 novembre, la population suisse se prononcera sur l’initiative pour la sortie programmée du nucléaire. Les arguments avancés par les opposants à l’initiative sont faciles à démonter.

L’initiative pour la sortie du nucléaire n’entre pas en contradiction avec la stratégie énergétique 2050 de la Confédération, qu’elle complète et soutient en fixant des étapes clairement définies. En cas d’acceptation de l’initiative, les 2 centrales de Beznau 1 et 2 et de Mühleberg seraient mises hors service en 2017, Gösgen en 2024 et Leibstadt en 2029. Ce calendrier profiterait à l’économie suisse en stimulant les investissements dans le domaine des énergies renouvelables. Dans une Suisse qui aime le «propre en ordre», l’initiative crée une situation fiable et correspondant à la volonté de la majorité de la population. Elle balise la voie vers un avenir sans risques nucléaires. Voici les sept principaux arguments des opposants, avec à chaque fois une réponse simple et convaincante. 1

«Sans le nucléaire, c’est la débâcle. Il y aura pénurie de courant. L’approvisionnement ne sera plus garanti.» Il n’est pas question de pénurie. D’abord parce que la Suisse est l’un des pays les mieux intégrés au réseau européen et qu’elle peut à tout moment importer du courant. Ensuite, parce que la forte progression des énergies renouvelables (solaire, éolien, 3 hydraulique et biomasse) de ces dernières années en Suisse remplace déjà une centrale de la taille de Mühleberg. Et la liste pour la rétribution à prix coûtant (RPC) compte 55 000 projets en attente de construction ou de financement, avec une production totale de plus de 10 térawattheures. Avec les projets déjà réalisés, cela Magazine Greenpeace No 3 — 2016

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permettrait de remplacer plus de la moitié de l’énergie nucléaire. C’est une question de volonté politique. «Si les centrales suisses s’arrêtent, il faudra importer du courant sale provenant d’autres pays européens. La Suisse dépendra de l’étranger pour son approvisionnement et nos objectifs climatiques seront mis en péril.» Le choix ne se limite pas à la peste et au choléra. La Suisse peut tout à fait décider, comme n’importe quel consommateur, de n’acheter que du courant renouvelable. Et en exploitant pleinement notre propre potentiel d’énergies renouvelables, la mise hors service de la dernière centrale en 2029 augmentera même l’indépendance de la Suisse, car il ne faudra plus importer d’uranium. De plus, nos fournisseurs à l’étranger ont construit des capacités renouvelables qui équivalent à deux réacteurs suisses. De toute manière, les pays voisins devront forcément démanteler leurs centrales d’énergies fossiles au cours des prochaines années pour atteindre leurs propres objectifs climatiques. «Nous devrions préserver notre approvisionnement en électricité tant que les installations sont sûres. L’autorité de surveillance IFSN veillera à mettre à l’arrêt les centrales qui ne respecteraient plus les prescriptions de sécurité.» L’IFSN elle-même constate qu’elle ne peut pas jouer son rôle. C’est pourquoi elle a demandé au Parlement des améliorations


Données factuelles légales pour lui donner les moyens de remplir sa fonction et d’augmenter la sécurité. De manière tout à fait irresponsable, le Conseil national et le Conseil des États ont rejeté les demandes de l’IFSN (voir l’article sur la sortie du nucléaire en page 11). Personne, pas même l’IFSN, ne peut garantir qu’il n’y aura pas d’accident grave dans une centrale suisse. 4

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«En cas d’acceptation de l’initiative, les exploitants des centrales feront valoir des dommages-intérêts. Nous passerons deux fois à la caisse, avec nos impôts et avec la hausse du prix du courant. C’est une destruction du patrimoine national!» En fait, il y a surproduction de courant en Europe. Les prix ont donc baissé et les centrales nucléaires ne parviennent plus à produire de manière rentable. Cela n’est pas dû à l’initiative. Pour les centrales déficitaires, il n’y aura pas de dommages-intérêts à faire valoir. L’arrêt et la mise hors service d’un certain nombre de centrales peuvent contribuer à réduire la pléthore de courant. L’initiative contribue donc à assainir le marché de l’électricité et soutient en particulier l’énergie hydraulique suisse. L’exemple de Beznau prouve en outre qu’une sortie programmée est moins chère qu’un arrêt non planifié. Et infiniment moins chère qu’un accident nucléaire.

possible de compenser cette consommation supplémentaire. Et la production d’énergie renouvelable en Suisse va nettement progresser ces prochaines années. 6

«Un approvisionnement entièrement renouvelable est impossible. Il faudrait d’énormes capacités d’accumulation pour compenser l’irrégularité du courant solaire et éolien.» Les lacs de barrage des Alpes suisses représentent déjà une forte capacité d’accumulation d’énergie. Et les réseaux entre la Suisse et les autres pays sont très développés. Les calculs de Swissgrid, la société nationale pour l’exploitation du réseau, prouvent qu’un système d’approvisionnement renouvelable à 100% est faisable. Il existe des solutions peu chères pour les excédents à court terme. Et les nouvelles technologies de type smart grid, qui adaptent la production à la consommation, ont un potentiel non négligeable.

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«Les énergies renouvelables nuisent elles aussi à l’environnement.» C’est vrai, et c’est pourquoi les économies d’énergie sont la meilleure solution. Mais il existe de grandes différences entre les sources d’énergie. Le nucléaire présente un bilan écologique bien pire que toutes les énergies renouvelables si l’on prend en compte l’entier du cycle de production, de l’extraction des matières premières au recyclage et à l’élimination des déchets. De plus, le stockage définitif des déchets nucléaires reste un problème sans solution à l’heure actuelle.

«Comment renoncer au nucléaire alors que notre consommation d’électricité continue d’augmenter? La croissance démographique et économique, les pompes à chaleur et la mobilité électrique, tout cela demande une production supplémentaire.» La Suisse ne consomme pas plus qu’il y a dix ans malgré la croissance économique et démographique des dernières années. Le potentiel d’économies d’énergie n’est pas non plus épuisé, loin de là, en particulier dans la domotique. Il est vrai que les nouvelles pompes à chaleur et la mobilité électrique consomment davantage de courant. Mais comme le gaspillage concerne encore un tiers du courant, il est tout à fait Magazine Greenpeace No 3 — 2016

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Pour en savoir plus sur les arguments et les possibilités de participer à la campagne de soutien à l’initiative, voir page 25. Marco Pfister est responsable de la campagne Énergie chez Greenpeace Suisse.


Portrait Texte: Muriel Bonnardin Wethmar

La générosité d’une grande dame Il y a bientôt dix ans, une dame de la haute société décidait de léguer à Greenpeace Suisse un montant à sept chiffres. Son choix était motivé par l’engagement dont avait fait preuve Greenpeace contre les essais nucléaires des États-Unis. Cette histoire prend tout son sens à l’heure de la votation populaire sur la sortie du nucléaire. «C’était une grande dame», me raconte le vieux monsieur sympathique, assis à une imposante table en bois dans sa villa située sur la colline du Zürichberg. L’histoire remonte à 2008. Quelques semaines auparavant, nous avions appris qu’une dame que nous ne connaissions pas – appelons-la Ellen Stein – avait choisi Greenpeace et une œuvre d’entraide pour les enfants comme héritiers principaux. L’aimable monsieur est son exécuteur testamentaire. Il étale toute une série de documents, de relevés bancaires et de vieilles photos en noir et blanc, racontant qu’il était un ami de la défunte, une dame fortunée qu’il décrit en termes chaleureux. Ellen Stein était issue d’une famille bavaroise de brasseurs qui avait émigré aux États-Unis au début du XXe siècle. À l’aise sur le plan matériel, les parents s’étaient désintéressés de la fabrication de la bière pour se tourner vers les arts. À leur mort, leur précieuse collection revient à leurs trois filles. Ellen Stein décide alors de vendre sa part de l’héritage et de ne garder que deux œuvres d’art. Plus tard celles-ci seront léguées à une célèbre institution suisse du domaine des arts. Ellen Stein décède à 87 ans. Elle n’avait jamais soutenu Greenpeace, pas plus en Suisse qu’aux États-Unis. Elle n’était d’ailleurs pas du genre à faire des dons, relate son exécuteur testamentaire. Elle profitait de la vie, menait un train de vie luxueux, sans jamais devoir travailler. Elle aimait voyager et jouir du confort des grands hôtels du monde. Il lui arrivait de passer plusieurs mois dans un palace zurichois pour cultiver ses intérêts artistiques et culturels. Mais elle était aussi fermement opposée au nucléaire, ce qui peut paraître étonnant à première vue. Les essais nucléaires pratiqués par les États-Unis depuis les années 1940 la choquaient profondément, explique son ami. C’est ce mécontentement, cette indignation qui a Magazine Greenpeace No 3 — 2016

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20 000 ans La Suisse est dominée par la dernière grande glaciation, qui s’est terminée il y a environ 12 000 ans. À part l’Albis, le territoire suisse est presque entièrement recouvert d’une couche de glace de 500 à 1200 mètres d’épaisseur. 14 000 ans: les plus anciens vestiges religieux Durant environ 250 000 ans, l’homme de Néandertal dominait l’Europe. Au fil de son évolution, Homo neanderthalensis se met à utiliser des outils de pierre et de bois, à développer une religion et à enterrer ses morts. 11 500 ans Début de la phase de réchauffement qui se prolonge jusqu’à aujourd’hui. Formation des chutes du Rhin à Schaffhouse. Le réchauffement climatique empêchera-t-il une nouvelle glaciation? Difficile à dire. 10 000 ans: durée de vie moyenne d’une langue. 10 000 ans / 1000 ans? La rouille progresse… La durée de vie du revêtement en acier des fûts de déchets est limitée. 5000 ans Les premiers écrits voient le jour sur l’actuel territoire irakien et égyptien, en écriture cunéiforme et en hiéroglyphes. Le vocabulaire actuellement connu en égyptien ancien comprend environ 1000 idéogrammes. Dans des milliers d’années, les gens comprendront-ils encore les hiéroglyphes circulaires qui nous servent aujourd’hui à signaler le danger radioactif des fûts jaunes enfouis sous terre?


© ATOMC E N TR A L

La générosité d’une grande dame

Ivy Mike était le nom de code de la première bombe à hydrogène américaine testée avec succès. L’essai a eu lieu le 1er novembre 1952 à Enewetak, un atoll de l’océan Pacifique.

donné lieu à un legs pour un gros montant à sept chiffres à Greenpeace. J’apprends alors qu’Ellen Stein a procédé de manière stratégique, en choisissant consciemment l’organisation qui s’est engagée, dès sa création, contre les essais nucléaires américains à Amchitka, en Alaska. Et qui, en 1975, après une âpre lutte, a obtenu la fin des essais nucléaires dans l’atmosphère au Pacifique Sud. Ellen Stein avait rédigé son testament onze ans avant sa mort. À l’époque, elle vivait déjà en Suisse, ayant quitté les États-Unis à cause de leur politique nucléaire. Vu que c’est le plus important legs jamais laissé à Greenpeace, plusieurs autres rencontres suivront avec l’exécuteur testamentaire. Devant la tombe d’Ellen Stein, que nous avons visitée au cimetière du Zürichberg, je ressens une fois de plus la signification particulière d’une telle décision. Je suis alors emplie d’une profonde reconnaissance envers les personnes qui, au moment de quitter ce monde, favorisent une organisation qui continue de défendre leurs valeurs. Près d’une dizaine d’années plus tard, je souhaite aujourd’hui partager cette histoire. Avant une votation cruciale pour la sortie du nucléaire en Suisse, Ellen Stein aurait certainement voulu que Greenpeace s’engage dans cette campagne et que nous parlions de cette lutte. Si vous avez des questions en lien avec un testament, n’hésitez pas à contacter Claudia Steiger: par courriel: claudia.steiger@greenpeace.org. Voir aussi notre site Internet, pour une première information: www.greenpeace.ch/legs Muriel Bonnardin Wethmar: Cheffe d’équipe des dons liés aux projets, fondations et legs. Elle travaille chez Greenpeace Suisse depuis vingt-cinq ans.

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Reportage Texte: Esther Banz Photos: Reto Schlatter

Enfants de Tchernobyl: «Les enseignants nous racontent ce qui s’est passé» Trente ans après la catastrophe de Tchernobyl, les enfants de la région contaminée continuent de venir se reposer en Suisse. Quelle est l’utilité de ces vacances pour eux? Une visite dans les montagnes de Flums et une rencontre à Opfikon.


Venir en Suisse pour se reposer D’un côté de la vallée, la chaîne des Churfirsten, de l’autre les pics du massif de l’Alvier qui se dressent dans un beau ciel d’été. Devant la maison Margess, sur le versant est des montagnes de Flums, 34 enfants posent pour la photo, avec leur brosse à dents encore emballée. Ce sont des filles et des garçons de 9 à 12 ans. La plupart des garçons ont le crâne rasé et il est difficile de les différencier. Beaucoup sont très minces, comme Jaroslav, 10 ans, à genoux au premier rang. Derrière lui, Maria, 10 ans également, longs cheveux blonds en queue de cheval, porte un t-shirt rayé avec l’inscription Awesome pour magnifique, formidable. Pour Maria et Jaroslav, c’est le premier séjour en Suisse, et même la première fois qu’ils sont à l’étranger. Comme pour tous les autres enfants de cette colonie de vacances organisée par Enfants de Tchernobyl, une association créée à Walenstadt, en Suisse orientale. Les enfants passent trois semaines loin de l’Ukraine, leur pays d’origine. Situé à environ 200 kilomètres au nord-ouest de Kiev, leur village nommé Lipniki compte plus ou moins le même nombre d’habitants que Flums, explique Angelika Novitska, maîtresse de jardin d’enfants ukrainienne et principale responsable du camp. Un village presque sans magasins, sans eau courante dans les maisons. La région est pauvre et peu peuplée, sans perspectives d’emploi. La centrale nucléaire de Tchernobyl, avec son réacteur 4 qui a explosé le 26 avril 1986, se trouve à 150 kilomètres. Depuis, le village de Lipniki fait partie de la zone 3 (encadré, page 24). Le sol y est irradié, mais moins que dans la zone interdite, où il est en principe interdit d’habiter. Des enfants plus âgés leur avaient raconté leur séjour, Maria et Jaroslav savaient déjà à quoi s’attendre en Suisse. On va visiter un vrai zoo! Et une mine! Et même un château! Il y a des frites et des saucisses à manger! Et on va dans un parc d’escalade, on se balance dans l’air! Et il y aura de la baignade! Il y a de très hautes montagnes! L’air est si pur! Il y a tellement à manger! Et c’est bon! À la maison, les gens mangent ce qu’ils cultivent dans leur sol contaminé: pommes de terre, carottes, chou. Dès l’âge de 10 ans, les enfants vont eux-mêmes cueillir des champignons pour les manger et des baies pour les vendre au marché, raconte Angelika. Ils ne sont pas vraiment au courant de la contamination Magazine Greenpeace No 3 — 2016

Un système immunitaire renforcé, une prise de poids, une bonne réserve en oligoéléments, c’est le sens premier de ces vacances. de leur nourriture. Pourquoi les mères et les enseignantes le leur expliqueraient-elles? Les habitants de la zone 3 n’ont pas le choix. Ils sont obligés de manger ce qu’ils cultivent. C’est pourquoi l’association Enfants de Tchernobyl veille à une bonne et abondante nourriture pour la trentaine d’enfants du district de Lugini, invités chaque année dans un camp d’été. Depuis 2003, l’organisation du camp est assumée par les frères Luzi et Daniel Oberer, avec des amis et des connaissances. La première action de ce genre a eu lieu à Soleure en 1997, alors portée par des milieux critiques face au nucléaire qui voulaient également fournir un engagement humanitaire. Les frères Oberer y avaient participé avant de continuer ces activités en Suisse orientale dans le cadre de leur association. Luzi Oberer n’est plus membre du comité de l’association, mais reste en quelque sorte son porte-parole. Agent d’accompagnement aux Chemins de fer rhétiques, il parle couramment le russe. Les enfants viennent de seize communes. «La population de ces communes est passée de 27 000 à 17 000 habitants», raconte-t-il. Si la situation économique n’a jamais été bonne, les conditions de vie se dégradent de plus en plus pour les personnes qui restent et les enfants qui naissent dans la région. Trente ans après la catastrophe nucléaire, la vie dans la zone 3 ne s’améliore pas; au contraire, il n’y a presque pas d’emplois. D’où une forte consommation d’alcool, qui entraîne des violences domestiques, explique Luzi Oberer. «Beaucoup d’enfants ne mangent pas à leur faim. Leur système immunitaire est affaibli. C’est aussi dû aux modifications génétiques produites par l’irradiation. Les enfants sont tous plus ou moins contaminés.» Angelika Novitska précise:

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2450 ans: atomos ou l’indivisible Le philosophe grec Leucippe et son élève Démocrite désignent la plus petite unité de matière possible par le terme atomos, qui signifie l’indivisible. Les grandes lignes de leur théorie resteront une référence durant plus de 2000 ans. 500 ans: le nombre de langues est à son apogée C’est au début de l’époque coloniale que l’humanité connaît le plus grand nombre de langues. Depuis, les langues qui disparaissent sont plus nombreuses que celles qui émergent. La demivie du plutonium 239 est de 24 100 ans. Combien de langues seront encore parlées à ce moment-là? Dans le siècle à venir, estiment les experts, le nombre de langues parlées devrait passer de 6000 à 600.

Jaroslav et Maria, 10 ans, viennent du village de Lipniki et séjournent pour la première fois en Suisse.

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XIIIe–XIXe siècle: petit âge glaciaire Les glaciers en bordure des Alpes se remettent à progresser et les lacs à proximité des Alpes gèlent régulièrement en hiver, jusqu’à ce que le climat commence à se réchauffer au début du XXe siècle. Au cours de l’évolution de la planète, le passage d’une glaciation à une période chaude a toujours produit des mutations géologiques profondes du paysage. Les risques pour un site de stockage de déchets nucléaires sont impossibles à évaluer. 1896: découverte de la radioactivité Le physicien français Henri Becquerel et le couple Pierre et Marie Curie découvrent et décrivent pour la première fois la radioactivité pour l’exemple de l’uranium. La première bombe atomique sera lancée cinquante ans plus tard.

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Venir en Suisse pour se reposer «85% des enfants présentent des problèmes de santé.» Les cas de cancer de la thyroïde et de tumeurs sont nombreux. La plupart des gens ont un système immunitaire déficient. Les maladies des voies respiratoires, les problèmes gastriques et les infections se multiplient également. Luzi Oberer ajoute: «Le seul changement, c’est que les cimetières s’agrandissent.» L’association Enfants de Tchernobyl soutient aussi des projets sur le terrain, surtout dans des jardins d’enfants et des écoles. L’école de Maria et Jaroslav à Lipniki, la plus grande de la région, a ainsi été équipée de nouvelles fenêtres étanches. Selon le bulletin de l’association, cela a permis une hausse de 2° C dans les salles de classe, où la température moyenne en hiver est maintenant de 17° C. Enfants de Tchernobyl n’est pas la seule association suisse qui organise des vacances pour les enfants des régions irradiées autour de la zone interdite. D’autres structures de ce genre existent en Suisse romande ou dans le canton de Zurich, à Opfikon. À l’âge de 8 ans, Nastassia Klimava avait trouvé une famille d’accueil pour des vacances grâce à l’association zurichoise. Aujourd’hui, douze ans plus tard, elle est justement en visite chez Arlette et Jürg Rutschmann, avec qui la jeune femme de 20 ans a gardé des liens étroits. Tous les deux ans, elle séjourne quelque temps à Opfikon. Entre deux visites, c’est le couple zurichois qui se déplace à Luninez, en Biélorussie, pour voir Nastassia et sa mère. Dans cette région contaminée, la situation sanitaire et économique n’est pas meilleure que dans la zone 3 ukrainienne. Nastassia et sa mère vivent elles aussi de ce qu’elles cultivent dans leur sol contaminé. Alors que sa maman souffre de graves problèmes cardiaques, Nastassia présente une faiblesse du système immunitaire qui la rend souvent malade. Son souci de santé le plus récent est un zona. «C’est normal

«Le seul changement, c’est que les cimetières s’agrandissent.»

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pour nous, raconte Nastassia, assise sur le sofa de sa famille d’accueil suisse. Depuis notre enfance, on nous a dit que nous serions souvent malades.» En Suisse, elle reprend des forces et profite de la consultation dentaire organisée pour elle. C’est le privilège des enfants accueillis dans une famille de pouvoir construire des liens durables en Suisse. Mais ce n’est pas toujours le cas: «Nous avons eu trois autres enfants de Biélorussie, mais le contact n’est pas resté», dit Arlette Rutschmann, infirmière en pédiatrie. Le clivage entre la Suisse et la Biélorussie est tellement énorme que les attentes sont parfois démesurées: «Nous ne pouvons pas tous les aider financièrement… Tandis qu’avec Nastassia et sa mère, c’était dès le début un rapport affectueux, sans arrière-pensée. C’est toute la différence.» Arlette et Jürg Rutschmann estiment que les vacances pour les enfants qui vivent dans des situations difficiles sont une bonne chose «à condition que les enfants puissent garder le contact avec les personnes qui les accueillent au-delà de la période de vacances». Mais est-ce possible pour les enfants ukrainiens en colonie de vacances dans les montagnes de Flums? «Oui, dit une jeune monitrice bénévole, on se retrouve sur les réseaux sociaux, ce qui permet de garder un lien.» Tandis que la plupart des enfants du camp jouent aux cartes, le calme règne devant la vieille maison. Il est bientôt midi, on n’entend que les grillons et le toc-toc des bâtons des randonneurs. Jaroslav et Maria sont assis à une table dans le jardin. Ils aiment cette ancienne bâtisse rustique avec ses chambres de seulement deux lits. En Ukraine, Jaroslav vit dans un appartement d’une pièce, avec sa mère qui souffre d’une maladie oculaire. Après une longue période de chômage, son père a été mobilisé comme réserviste l’an dernier. L’enfant lui-même estime qu’il va bien, qu’il se sent en bonne santé. Mais Angelika, la responsable ukrainienne du camp, sait qu’il a des intolérances alimentaires importantes. Jusqu’à l’âge de 5 ans, il a subi toute une batterie d’examens à l’hôpital, sans que l’origine de ses problèmes gastriques soit découverte. Maria, qui a pourtant si bonne mine, souffre elle aussi de problèmes de santé inexpliqués. Elle saigne souvent du nez, les médecins ne savent pas pourquoi. «Et les parents n’ont pas les moyens de payer un examen au scanner», ajoute la monitrice.

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1903: Ernest Rutherford développe la notion de demi-vie La demi-vie désigne la période nécessaire à la dégradation de la moitié des noyaux atomiques. 1911: modèle de Bohr Tous les atomes comportent un noyau, autour duquel les électrons décrivent leur orbite. 1927: théorie contemporaine des atomes Erwin Schrödinger perfectionne le modèle de Bohr et découvre que les électrons ne tracent pas des orbites fixes autour du noyau atomique. Selon Schrödinger, on peut uniquement prédire la probabilité du lieu et de l’état d’un électron.

Les enfants ukrainiens jouent au jeu de cartes Uno.

1928: premier compteur Geiger Hans Geiger et Walter Müller développent un tube servant à compter les électrons pour mesurer la radioactivité.

Nastassia continue de rendre visite à son ancienne famille d’accueil.

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1938: première fission nucléaire Finalement, les atomes ne sont pas indivisibles. Les chimistes Otto Hahn et Fritz Strassmann projettent des neutrons sur de l’uranium et constatent pour la première fois l’existence des produits de fission. La physicienne Lise Meitner et son neveu Otto Frisch en découvrent l’explication théorique: le noyau est mis en vibration et se divise en dégageant une très forte énergie (énergie nucléaire). 1939: programme de recherche nucléaire américain Craignant que l’Allemagne nazie développe une bombe nucléaire, Albert Einstein s’engage pour le programme nucléaire américain, avec d’autres physiciens émigrés.


Venir en Suisse pour se reposer

Jouer au foot en plein air: de quoi renforcer la santé psychique mais aussi physique des enfants. Maria raconte que les écoles commémorent chaque année la catastrophe de Tchernobyl du 26 avril 1986: «Les enseignants nous racontent ce qui s’est passé.» Elle baisse les yeux pour regarder ses ongles vernis en bleu ciel. Plus tard, Maria va s’amuser dans l’eau pure de la piscine des montagnes de Flums. Avec des ailerons, car le temps ne suffit pas à apprendre à nager. Mais les enfants apprennent à se brosser les dents en présence d’une dentiste et d’une hygiéniste dentaire. Certains ont déjà des caries. La santé est une dimension importante du camp. Outre l’examen dentaire, les enfants bénéficient d’un contrôle des yeux. Les lunettes sont, le cas échéant, offertes par un oculiste. Et l’alimentation riche doit surtout améliorer l’état général des enfants: un système immunitaire renforcé, une prise de poids, une bonne réserve en oligoéléments, c’est le sens premier de ces vacances. Après le camp, les enfants devraient profiter pour au moins six mois de la bonne nourriture reçue en Suisse. De retour à la maison, il est vrai que les enfants commencent par avoir faim, dit Luzi Oberer. «Car pendant les vacances, l’estomac s’agrandit.» Dans l’ensemble, l’effet reste cependant positif.

Les zones autour de Tchernobyl En Ukraine, la région contaminée autour du réacteur est divisée en trois zones. Le périmètre immédiat de la centrale – la zone interdite Magazin Greenpeace Magazine Greenpeace Nr. 33— — 2016 2016 No

Mais organiser un tel camp, n’est-ce pas faire miroiter à des enfants défavorisés des choses qu’ils n’auront jamais? Une critique qui révulse les organisateurs. Luzi Oberer rétorque: «Ce que les enfants reçoivent ici sur le plan humain, ils l’emportent avec eux. Le temps, l’attention, le fait d’être vu comme une personne à part entière, d’être pris au sérieux, la sincérité: tout cela leur donne la force de continuer la vie chez eux.» Renforcer la santé physique et psychique des enfants est une visée centrale de l’association. Un autre objectif est de leur donner une image motivante du monde, qui puisse les inciter à bien travailler à l’école et à suivre une formation. Pour se donner les moyens de progresser, et peut-être de quitter la zone 3 pour un environnement moins nocif. Esther Banz, journaliste indépendante et maman, vit à Zurich. À l’époque de la catastrophe de Tchernobyl, elle était adolescente et vivait à Londres. Reto Schlatter vit à Zurich et est photographe indépendant depuis plus de vingt ans. Ce qui l’intéresse surtout dans son travail, c’est d’aller à la rencontre des personnes et des univers. www.retoschlatter.ch

ou Chernobyl Exclusion Zone – comprend une surface d’environ 1210 km2. Le rayon suivant est la zone 2 qui s’étend sur 6490 km2. Environ 50 000 habitants de cette zone ont été relogés ailleurs entre 1991 et 1992. La zone 3 couvre

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23 620 km2 et peut présenter une dose de radioactivité dépassant 1 millisievert par année. Plus de 600 000 personnes continuent pourtant d’y vivre.


S’engager pour un OUI fort le 27 novembre Pour la première fois depuis treize ans, la votation du 27 novembre 2016 permettra à la population suisse de se prononcer sur la sortie programmée du nucléaire. Nous avons des chances de gagner, à condition que chacune et chacun s’engage! Le monde a changé depuis la dernière initiative de 2003 demandant la sortie du nucléaire. Fukushima a montré qu’une catastrophe nucléaire est possible partout, pas seulement chez ces «incapables de Soviétiques», comme certains l’affirmaient après Tchernobyl. Les pays fortement industrialisés ne sont pas à l’abri du désastre, comme le Japon qui a subi une triple fusion du cœur. En Suisse les cinq centrales nucléaires sont encore beaucoup plus exposées car situées au milieu des agglomérations. Elles constituent d’ailleurs le plus vieux parc nucléaire du monde. La tragédie japonaise aura eu un seul aspect positif: faire de la sortie du nucléaire une option tout à fait envisageable. Au vu des réacteurs japonais détruits, qui ne sont toujours pas maîtrisés à l’heure actuelle, les garanties de sécurité claironnées par le lobby nucléaire sont parties en fumée. Mais la population suisse estelle consciente de la problématique? L’avenir le dira. Les centrales suisses vieillissent, et les risques deviennent d’autant plus grands et incalculables. La sécurité avant tout L’initiative pour la sortie programmée de l’énergie nucléaire entend supprimer le risque d’accident nucléaire grave en Suisse par une sortie raisonnable et planifiée en étapes. En cas d’adoption de l’initiative, les trois réacteurs vétustes de Beznau et de Mühleberg devraient être mis hors service en l’espace d’une année. Les deux centrales de Gösgen et de Leibstadt pourraient fonctionner quarante-cinq ans ans au maximum et devraient donc s’arrêter au plus tard en 2024 et 2029. Ou avant, si la sécurité l’exige. C’est une démarche réaliste et responsable. Il nous reste assez de temps pour passer à une production de courant renouvelable et pour améliorer l’efficacité énergétique. L’initiative a ceci de particulier qu’elle fixe des délais réalistes. Les solutions en termes de politique énerMagazine Greenpeace No 3 — 2016

gétique existent: le scénario énergétique Energy [R]evolution: un approvisionnement énergétique durable pour la Suisse, publié par Greenpeace il y a quatre ans, en témoigne. L’initiative encadre la transition énergétique suisse en fournissant des repères à tous les acteurs: aux cantons et aux communes comme aux centrales électriques. Elle peut tout à fait recueillir une majorité de votes. Une campagne forte Depuis environ quatre mois, la campagne est lancée sur les réseaux sociaux où elle rencontre un écho impressionnant. Notre site fournit des réponses à toutes les questions en lien avec la sortie du nucléaire. Et les bénévoles de Greenpeace ont déjà fourni un formidable travail, notamment en distribuant de faux comprimés d’iode et en organisant des mobilisations éclair. À l’approche de la votation, la campagne sera étoffée par des affiches, des journaux et des stands dans la rue. Participer pour gagner! Pour remporter une victoire dans les urnes, chacune et chacun doit voter OUI, bien sûr, mais aussi s’engager: distribuer des flyers, coller une affiche sur la porte de son appartement ou de sa maison, écrire une lettre de lecteur, poster sur Facebook et Twitter, faire un don… Toute contribution a son importance. Pour se renseigner sur les possibilités de soutenir la campagne, de faire un don ou de commander du matériel, voir l’encart ci-contre ou le site Internet www.sortie-programmee-nucleaire.ch.

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Ensemble, nous arriverons à obtenir un succès tant attendu! Merci de votre aide! Kaspar Schuler Directeur de l’Alliance «Sortons du nucléaire»


Contexte Texte: Stefan Hartmann

La baisse des prix de l’électricité: une sale affaire Les géants suisses de l’électricité prétendent que la baisse des prix de l’électricité serait due au subventionnement de l’énergie solaire et éolienne. Mais ils passent sous silence leur propre incapacité stratégique.


A DRIAN H UG / CREATI VE C OM MON S

À gauche: le lac de barrage de Zervreila, mis en vente par Alpiq, comme une quinzaine d’autres centrales de pompage-turbinage. L’entreprise brade son argenterie.

Il y a encore cinq ou six ans, les géants suisses de l’électricité Axpo et Alpiq faisaient de bonnes affaires avec leurs centrales hydrauliques. L’énergie en ruban produite en Suisse et à l’étranger par les centrales nucléaires, à charbon, éoliennes ou sur cours d’eau permettait de pomper l’eau la nuit pour remplir les lacs de barrage. Cette eau servait ensuite à produire du courant de pointe pour répondre à la forte demande en journée. De l’argent facilement gagné! En 2009, le secteur des producteurs d’électricité a réalisé près de quatre milliards de francs de bénéfice net, un résultat record. Mais au lieu d’investir ces milliards pour préparer la transition énergétique, les grands groupes ont préféré les investissements dans des centrales à charbon et à gaz à l’étranger. Ils ont donc contribué à l’actuelle pléthore de courant en Europe. Actuellement, le prix d’un kilowattheure (kWh) à la Bourse de l’électricité est de moins de 3 centimes, alors que le prix de revient est de 5 à 6 centimes en Suisse. Comme le rendement ne couvre plus les charges, Axpo et Alpiq se trouvent confrontées à de sérieuses difficultés économiques. Les dirigeants de ces entreprises affirment que le problème serait dû aux fortes subventions accordées par l’Allemagne à l’éolien, au solaire et à la biomasse, mais aussi au charbon allemand beaucoup trop bon marché. En réalité, ils portent eux-mêmes une part de responsabilité en raison de leur politique d’investissement hasardeuse. En Suisse, le prix de l’électricité devient un problème à partir de 2009 avec l’ouverture du marché européen. Les gros clients qui consomment plus de 100 000 kWh et les distributeurs communaux ont dorénavant le droit de s’approvisionner à l’étranger, en payant moins cher. Magazine Greenpeace No 3 — 2016

Paradoxalement, cette possibilité est exploitée également par les compagnies cantonales d’électricité qui sont les propriétaires d’Axpo et d’Alpiq. Les deux grands groupes sont donc contraints de livrer le courant à leurs propriétaires pour un prix inférieur au prix de revient. 100 000 emplois liés au charbon Quatre cinquièmes du courant consommé en Europe proviennent du charbon, du pétrole, du gaz ou du nucléaire. Le bas niveau des prix est surtout dû au charbon. Malgré la forte expansion de l’éolien et du solaire, l’extraction de charbon est maintenue artificiellement en vie, car 100 000 places de travail en dépendent directement ou indirectement en Allemagne. Le charbon est une énergie sale, qui dégage d’énormes quantités de CO2 dans l’atmosphère. Si l’extraction et la consommation de charbon sont rentables, c’est que le commerce des droits d’émission ne fonctionne pas. Le prix de la tonne de CO2 est tombé à quatre euros, alors qu’il était encore de trente euros en 2005. Selon le magazine Spiegel, les géants énergétiques Vattenfall et RWE comptent parmi les pires destructeurs du climat en Europe. Leurs rejets annuels de carbone se montent à 87 millions de tonnes. Plus du double des émissions de la Suisse. Le coût environnemental du charbon est tronqué Le prix extrêmement bas de l’énergie en ruban provenant du charbon s’explique par le fait que les coûts externes (sur le climat ou la santé) ne sont pas inclus dans le calcul. Rien n’oblige les producteurs de courant à faire face aux énormes dégâts environnementaux causés à long terme par leurs rejets de carbone. Selon une estimation de l’Union européenne, les coûts de cette destruction environnementale seraient de 122 milliards pour l’année 2012. S’y ajoutent des subventions directes à hauteur de 44 milliards de francs (selon Ecofys et l’agence AEE pour les énergies renouvelables). Ces montants sont contrebalancés par les 50 milliards d’euros dédiés au soutien de l’éolien, du solaire et de la biomasse (subventions directes et coûts indirects). Il est donc absurde de prétendre, comme le font les dirigeants des entreprises électriques suisses, que ce sont les subventions exagérées pour les renouvelables qui auraient fait chuter les prix du courant.

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Baisse des prix de l’électricité La pollution de l’atmosphère et le changement climatique qui en découlent toucheront des millions de personnes qui n’ont rien fait pour provoquer ce désastre. Le financement du relogement et des autres mesures d’urgence est déjà estimé à plusieurs milliers de milliards de francs. Pour l’Alliance climatique suisse, qui regroupe 66 organisations (dont Greenpeace), la solution est simple: le pollueur doit enfin payer le prix fort pour ses rejets de carbone dans l’atmosphère. Dans ce contexte, il est réjouissant de voir que l’Allemagne a commencé à mettre hors service ses centrales à charbon, moyennant dédommagement de leurs propriétaires par l’État. De son côté, la Suisse doit réduire à zéro ses rejets de carbone à l’horizon 2040 si elle veut respecter l’accord de Paris sur le climat. C’est le seul moyen de limiter le réchauffement de la planète à 1,5° C au maximum. Le prix du courant nucléaire est une imposture Le secteur nucléaire est lui aussi loin de supporter l’entier de ses coûts. Selon SES, la fondation suisse de l’énergie, le kilowattheure de courant nucléaire coûterait 36 centimes au lieu de 5 si les frais de mise hors service, de déconstruction et d’élimination des centrales étaient comptabilisés. Durant les quatre décennies de fonctionnement des centrales, les exploitants n’ont mis de côté que quelques mil-

La puissance totale des instalaltions non encore réalisées permettrait de remplacer trois centrales nucléaires: Beznau 1 et 2 et Mühleberg.

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liards pour la déconstruction de leurs installations et l’élimination des déchets. La SES estime que le montant nécessaire sera d’au moins 40 milliards. Le surcoût sera donc reporté sur la collectivité. Un autre problème concerne la responsabilité civile des centrales nucléaires suisses, qui couvre les dommages jusqu’à concurrence de 1,3 milliard de francs seulement. La somme est dérisoire au vu des catastrophes comme celle de Fukushima en 2011, dont les conséquences financières sont estimées à 260 milliards de dollars. Selon la chaîne de télévision allemande ARD, les accidents nucléaires survenus depuis 1952 ont occasionné des coûts d’environ 500 milliards de dollars. À noter aussi que les assurances ménage que l’on peut conclure en Suisse excluent systématiquement les coûts occasionnés par un accident nucléaire. L’Allemagne comme modèle La transition énergétique, qui suppose une réallocation radicale des ressources, ne peut réussir que si les gouvernements y adhèrent pleinement. Cette réorientation pourrait «effectivement prendre les dimensions d’une nouvelle révolution industrielle», déclare Klaus Ragaller, spécialiste du climat, dans la NZZ du 23 juin 2016. L’Allemagne est en bonne voie: en 2015, les énergies renouvelables (solaire et éolien) représentaient déjà 30% de la production d’électricité du pays. En Suisse, les lacs de barrage permettent d’atteindre 60% d’énergie renouvelable. Mais cette part est constante depuis des décennies; il n’y a guère de progrès dans ce domaine. L’Allemagne veut atteindre une proportion de 40 à 45% d’énergie renouvelable d’ici à 2025, et même de 55 à 60% d’ici à 2035. Le tournant énergétique a été entamé en avril 2000 avec l’adoption de la loi sur les énergies renouvelables. Les exploitants de centrales d’énergie renouvelable obtiennent une rétribution fixe pour chaque kilowattheure injecté dans le réseau. Les installations éoliennes, solaires et de biogaz bénéficient d’un prix fixe sensiblement supérieur à celui de la Bourse du courant EEX. Cette mesure est destinée à soutenir la compétitivité des renouvelables par rapport au charbon et au nucléaire. L’écart entre le prix de la Bourse et la rétribution fixe est financé par les consommateurs à travers leur facture de courant.

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1942: projet Manhattan Sous la direction du physicien Robert Oppenheimer, les États-Unis lancent leur programme secret appelé Manhattan Project pour la construction de deux bombes atomiques au plutonium et à l’uranium.

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55 Sept. 2015

Nov. 2015

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Mars 2016

Cours de l’action d’Alpiq Holding AG sur une année. Ce système est toutefois critiqué par le secteur énergétique conventionnel, qui a réussi à imposer une diminution continuelle des aides financières. Les objectifs climatiques sont donc remis en cause. La Suisse à la traîne Début 2013, Greenpeace dénonçait le fait que la Suisse produisait des «listes d’attente de kilowattheures» plutôt que des «kilowattheures de solaire». Fin mai 2016, près de 55 000 projets – essentiellement des installations photovoltaïques – étaient sur la liste d’attente pour la rétribution à prix coûtant (RPC) ou en procédure d’autorisation de constuire. La puissance totale des instalaltions non encore réalisées permettrait de remplacer trois centrales nucléaires: Beznau 1 et 2 et Mühleberg. Malgré tout, comme les programmes similaires dans d’autres pays, la RPC a eu pour effet de promouvoir une production de masse. Par conséquent, le prix du solaire a baissé de près de 80% depuis 2009. «Il est trop tôt d’arrêter ce soutien, car le courant nucléaire et fossile reste beaucoup trop bon marché. Les différentes énergies ne sont pas encore sur un pied d’égalité, loin de là», déclare David Stickelberger, de l’association Swissolar. Le kilowattheure d’élecMagazine Greenpeace No 3 — 2016

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Mai 2016

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2 décembre 1942: premier réacteur nucléaire Dans une cave de squash située au-dessous du stade de l’Université de Chicago, les physiciens Enrico Fermi et Leó Szilárd produisent la première réaction en chaîne contrôlée de fission nucléaire, dans un prototype de réacteur nucléaire. 16 juillet 1945: Trinity, première bombe atomique de l’histoire «Nous savions que le monde ne serait plus le même», déclare Robert Oppenheimer, le physicien à la tête du projet. La première bombe atomique explose à 5 h 29 dans le désert du Nouveau-Mexique (États-Unis). L’explosion détruit la tour d’acier qui supporte la bombe. La chaleur est encore sensible sur la peau à 20 kilomètres de distance. La fonte du sable du désert produit une substance verdâtre vitrifiée. 6 août 1945: Hiroshima et Nagasaki À 8 h 13, le capitaine Robert Lewis lâche la bombe atomique Little Boy au-dessus de Hiroshima. En l’espace de quelques secondes, les ondes de chaleur et de choc tuent 100 000 personnes. Trois jours plus tard, la bombe atomique Fat Man est lâchée sur la ville japonaise de Nagasaki: elle tuera plus de 60 000 personnes.


Baisse des prix de l’électricité tricité solaire suisse coûte actuellement environ 18 centimes et pourrait passer à environ 12 centimes d’ici 2020, selon les prévisions les plus optimistes. La différence entre le prix de revient et le prix de marché est couverte par la RPC, elle-même financée par un supplément sur les coûts de transport du réseau. Quelques années à peine après Fukushima, la pression des milieux économiques a fait oublier les courageuses promesses du gouvernement suisse en 2011. Peu après la catastrophe, Heinz Karrer, à l’époque chef d’Axpo, évoquait les risques de pénurie pour recommander la construction de nouvelles centrales, alors que la transition énergétique était à l’ordre du jour. Tandis que des entreprises comme les Forces motrices bernoises (BKW) s’adaptent aux nouvelles réalités en investissant dans la domotique ou dans des centrales éoliennes à l’étranger, Axpo et Alpiq laissent ainsi passer l’occasion de se tourner vers les renouvelables. Mais la Suisse tarde aussi à sortir du nucléaire. En 2011, l’Allemagne avait décidé la mise hors service immédiate des huit centrales les plus anciennes et l’arrêt progressif des autres d’ici à 2022. Les scénarios du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) n’envisagent pas l’arrêt de Leibstadt, la dernière centrale suisse, avant 2034. Et encore, cette limitation de la durée d’exploitation n’est même pas garantie.

Brader l’argenterie? La situation d’Axpo et d’Alpiq est tellement préoccupante que la faillite devient une menace réelle. C’est pourquoi Alpiq a décidé en mars 2016 de mettre en vente 49% de son parc hydroélectrique, y compris le barrage de la GrandeDixence. La crise prend une «envergure émotionnelle», commente le quotidien Der Bund. Pour l’expert énergétique Kurt Marti, journaliste pour le site d’information Infosperber, la situation s’apparente à la débâcle de Swissair. Comme l’ancienne compagnie aérienne suisse, Axpo et Alpiq ont misé sur une expansion (fossile) à l’étranger. La faillite d’Alpiq détruirait 8000 emplois et toute une expertise technique. Brader l’argenterie – les barrages – à des investisseurs inconnus serait une grave erreur de gestion, estiment les spécialistes. Car l’introduction d’une taxe climatique sur les énergies sales comme le gaz, le pétrole et le charbon ne saurait tarder. Le courant sale deviendra très cher et l’énergie hydraulique sera d’autant plus précieuse. D’autant qu’elle n’entre pas en concurrence avec le solaire et l’éolien, dont elle complète et égalise la production variable. Stefan Hartmann, journaliste indépendant, travaille pour l’agence Presseladen de Zurich.

L’hydraulique ne concurrence pas le solaire et l’éolien, dont elle complète et égalise la production variable.

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Infographie

Tous ensemble pour un avenir énergétique propre Voici comment assurer un approvisionnement électrique à 100% renouvelable: 3g Uagde VWe bdaUZS[`We V UW``[We ^W `gU^ S[dW est progressivement remplacé par de l’électricité produite en Suisse avec des énergies renouvelables (pages 32–33). >Å `WdY[W ZkVdSg^[cgW dWÿW g` b[^[Wd Vg ekÿ _W `Wdgétique, mais sans construction de nouvelles centrales. >S Uda[eeS`UW ^S b^ge XadfW Va[f Sha[d ^[Wg VS`e ^S bZatovoltaïque (sur les toits), puis la biomasse (bois et biogaz surtout) et l’énergie éolienne. Avec la force hydraulique, ce mix énergétique garantit notre approvisionnement tout en respectant l’environnement. Divers modèles d’avenir le confirment: les progrès de l’efficacité énergétique permettront de maintenir la consommation à son niveau actuel malgré la croissance démographique et économique et la hausse de l’électromobilité. La consommation d’énergie est d’ailleurs restée stable ces dix dernières années. Nos calculs montrent que le développement nécessaire des énergies renouvelables est réaliste dans les délais prévus. Les pays voisins prouvent que ce tempo est possible: le développement de l’éolien a progressé quatre fois plus vite ces quatre dernières années en Autriche et le Luxembourg a atteint dès 2014 le rythme de progression nécessaire en Suisse pour le solaire. Tout le monde peut participer à une production électrique décentralisée. Vous aussi! Nos trois exemples aux pages 34 et 35 montrent que vous pouvez contribuer à un système de courant renouvelable, que vous soyez locataire, propriétaire ou agriculteur. Ensemble, nous rendrons superflus les grands producteurs d’électricité. Magazine Greenpeace No 3 — 2016

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8 septembre 1953 Création de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Son rôle est de promouvoir l’utilisation pacifique du nucléaire. Elle compte aujourd’hui 143 États membres. 1954 La première centrale nucléaire commerciale est mise en service à Obninsk, en Russie. 29 septembre 1957: accident nucléaire à Maïak Une explosion se produit dans la centrale nucléaire de Maïak, libérant 80 tonnes de déchets nucléaires, avec une radioactivité de 740 millions de gigabecquerels. La surface totale contaminée est de 23 000 kilomètres carrés. 5 août 1963 À la suite des essais nucléaires, les retombées radioactives augmentent tellement que la Grande-Bretagne, l’Union soviétique et les États-Unis décident d’interdire les essais d’armes nucléaires dans l’atmosphère et sous l’eau. La France continuera ses essais nucléaires terrestres jusqu’en 1974, la Chine jusqu’en 1980. 1968 Les puissances nucléaires que sont les États-Unis, la GrandeBretagne et l’URSS signent le traité de non-prolifération, qui entre en vigueur en 1970. Ce traité interdit la diffusion des armes nucléaires tout en permettant l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire. À ce jour, 191 États ont adhéré au traité. L’Inde, le Pakistan, Israël et la Corée du Nord se tiennent à l’écart.


Pour une Suisse renouvelable

La voie commune vers un «avenir renouvelable» Comment réussir la sortie du nucléaire et obtenir un approvisionnement énergétique entièrement renouvelable produit en Suisse.

Photovoltaïque

Biomasse

Énergie éolienne

Géothermie Potentiel difficilement estimable. Technologie encore en développement.

Énergie éolienne Une éolienne pour chaque antenne de radio ou de télévision

Biomasse 1 stère de bois par personne et par année

Photovoltaïque 2,8% de la surface construite

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Énergie hydraulique

Énergie nucléaire

Aujourd’hui

Oui à la sortie programmée du nucléaire Après l’adoption de l’initiative populaire pour la sortie programmée du nucléaire, la Suisse se détourne progressivement du nucléaire d’ici à 2029.

2020

2025

2024 Mise hors service de Gösgen

2030

2029 Mise hors service de Leibstadt

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O CULUS I LLUSTRATION

2017 Mise hors service de Mühleberg et de Beznau 1 et 2 Beznau 1, le plus vieux réacteur du monde, est mis hors service en 2017, en même temps que Beznau 2 et Mühleberg.


Pourquoi choisir du courant vert?

Acheter du courant écologique, participer à un projet de production de courant renouvelable, s’engager pour une coopérative énergétique… Voici trois exemples, à titre d’inspiration.

que Strom von hier garantit la transparence et ne propose que de l’électricité hydraulique et solaire. C’est une jeune entreprise qui soutient les producteurs locaux d’électricité. L’argent que je verse sert à construire de nouvelles installations solaires. Quand je vois de nouveaux panneaux solaires sur un toit, je me dis que j’ai fait un bon investissement. www.stromvonhier.ch

Simone Knittel En tant que consommatrice, je réfléchis aux choses que j’achète. Je veux que mes choix aient un impact positif sur moi et mon environnement. Je ne veux pas d’habits Made in Bangladesh ou de poulets brésiliens. Même chose pour l’électricité. Quand j’allume la lumière, je ne veux pas devoir penser aux centrales nucléaires ou à charbon, à tous les problèmes liés à la mise hors service des centrales et à la gestion des déchets. J’ai donc opté pour le courant écologique, basé sur les éléments présents dans la nature. C’est le moyen de garantir notre approvisionnement énergétique sans nuire à l’environnement et aux générations futures. Cela me coûte environ 10% de plus que le courant le moins cher proposé par le fournisseur local. Mais je préfère avoir bonne conscience quand je reçois ma facture d’électricité! C’est une différence de prix que j’accepte également pour des habits de meilleure qualité et des meubles plus durables. C’est pourquoi j’ai choisi le courant produit par la structure Strom von hier. Le processus est simple: je ne paie qu’une seule facture pour l’électricité et la certification. Et cette offre est même moins chère que les produits régionaux et écologiques du fournisseur habituel. Qui vend d’ailleurs 40% de courant nucléaire et 7,6% de courant de source inconnue, alors

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Pablo Labhardt et Niklaus Schneider L’énergie est une question qui nous préoccupe depuis l’enfance. La maman de Pablo parlait souvent de sa participation aux manifestations contre le projet de centrale nucléaire à Kaiseraugst. Quand, arrivés à l’âge adulte, nous avons pris un appartement, nous avons eu la possibilité de choisir parmi les offres du fournisseur d’électricité. Nous avons opté pour le courant écologique, un choix en accord avec notre mode de vie durable. Déjà à l’époque, les aliments biologiques, les déplacements en transports publics et les produits équitables et solides étaient une évidence pour nous. En 2014, nous sommes passés à l’alimentation végétalienne, pour des raisons écologiques mais aussi éthiques envers les animaux. La consommation, notamment en électricité, est redevenue un réel enjeu pour nous à ce moment-là. Nous vivions dans un vieil immeuble locatif. La solution proposée par


le fournisseur ewz.solarzüri de faire installer «nos» cellules solaires sur le toit d’une école était donc très intéressante pour nous. Un panneau solaire d’un mètre carré nous sert ainsi à couvrir 10% de notre consommation électrique annuelle. 10%, c’est l’équivalent de la contribution des centrales de Beznau 1 et Mühleberg à la consommation totale de courant en Suisse. En ce qui nous concerne, nous avons donc déjà remplacé ces deux centrales! Entre-temps, nous avons déménagé et vivons dans une coopérative d’habitation, construite selon les normes Minergie et équiCoopératives énergétiques pée d’une installation photovolrenouvelables taïque. Nous avons évidemment L’installation de biogaz de gardé notre premier panneau soViège VS, avec son digesteur garlaire, pour continuer de profiter de gouillant, produit de l’électricité ce projet très utile. ewz.solarzüri écologique neutre en carbone. Il y a dix ans, Max Stalder et Herbert Bregy, les deux agriculteurs biologiques qui exploitent l’installation, ont eu l’idée avec deux autres collègues d’utiliser le purin et le fumier pour produire de l’électricité. Ces pionniers sont aujourd’hui des producteurs modernes dont la vision est devenue une entreprise viable. Ils injectent 1,4 million de kWh d’électricité écologique dans le réseau public. Dès le début, ils donnent à leur projet la forme d’une société à responsabilité limitée. Les obstacles sont nombreux: préjugés, rétribution insuffisante, matières inappropriées déposées dans leur conteneur… Pour éviter les dépôts de sacs en plastique et de couchesculottes, les deux agriculteurs élaborent, avec l’aide d’une entreprise de transport, un système de récolte qui garantit la traçabilité des matières collectées. Outre le purin et le fumier issus de leurs propres fermes, l’installation recueille aujourd’hui des déchets de restaurants et des déchets biologiques de ménages privés issus de tout le Haut-Valais. Ce système régional permet d’éviter l’acheminement des déchets en Üsserschwyz, comme disent les Haut-Valaisans pour

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désigner le reste de la Suisse. Depuis dix ans, le digesteur de Viège fonctionne sans oxygène pour transformer des déchets organiques en gaz. Un gaz qui permet à deux moteurs de produire 1,5 million de kWh de courant (100 000 kWh servent à faire fonctionner l’installation). Le courant injecté dans le réseau suffit à la consommation d’environ 400 maisons particulières. Les rejets thermiques correspondent en outre à 80 tonnes de mazout et servent à chauffer les habitations et l’eau des paysans. Tout cela sans émissions de carbone ni déchets nucléaires! Aux intéressés, les propriétaires recommandent de créer une installation communautaire et d’explorer le potentiel régional de déchets de biomasse non agricoles. Construire une telle installation est d’ailleurs plus facile aujourd’hui qu’il y a encore dix ans. Si la saleté ne donnera jamais de l’or, le purin donne du courant! Et de l’énergie propre, sans déchets radioactifs ni rejet de carbone, c’est déjà presque de l’or.


Reportage Texte: Samuel Schlaefli Photos: Nicolas Fojtu

Un mariage à toute épreuve: Mühleberg et sa centrale nucléaire Depuis quarante ans, Mühleberg vit à l’heure nucléaire. La population s’est peu à peu habituée à son réacteur. Rares sont les critiques. Et si les habitants s’inquiètent, ce n’est pas au sujet de son exploitation, mais de sa fermeture prochaine.


Mühleberg, ce sont de magnifiques fermes, soigneusement rénovées, aux fenêtres ornées de géraniums. Dans les jardins bien entretenus, on aperçoit, entre les bégonias, les marguerites éclatantes, les splendides tournesols et les coquelicots aux teintes pastel, des retraités résolus à exterminer les mauvaises herbes. On dirait que les sirènes de la globalisation ont voulu préserver cette idylle champêtre. Ici, il n’y a quasiment pas d’étrangers, aucun expatrié ou réfugié. Les terres agricoles restent épargnées par les changements d’affectation et n’ont pas été bradées sur le marché immobilier. Les petites entreprises bravent la concurrence à bas prix. On achète encore le lait et les œufs à la ferme, et le reste à la supérette. L’esplanade de l’église qui surplombe Mühleberg offre une belle vue sur les quinze hameaux que compte cette commune de 2870 habitants. La moitié de sa superficie (26 km2) est occupée par des champs et des prés, et un tiers par la forêt. Vers l’ouest, notre regard vagabonde vers le lac de Bienne et le Jura, et à l’est, vers des collines boisées derrière lesquelles se cachent l’Aar et le lac de Wohlen. La centrale – «Atomi» comme l’appellent les locaux – doit se trouver là-bas, derrière le Chräjeberg. Inutile de chercher un monstre de béton et une tour de refroidissement laissant échapper des volutes de vapeur inquiétantes, comme à Gösgen. Mühleberg est un réacteur discret. «Dans la commune, il y a des nouveaux venus qui n’ont encore jamais vu la centrale», fait observer un conseiller communal. Cible des antinucléaires depuis plus de trente ans La centrale de Mühleberg, mise en service en 1972, est la troisième plus ancienne de Suisse. Nulle part ailleurs la résistance n’a été aussi acharnée et constante. Il y a eu des manifestations devant la centrale, des marches antinucléaires pacifiques dans le village, des affrontements politiques, des pétitions, des blogs critiques et des actions retentissantes, comme en septembre 2000, lorsqu’un militant se pose sur le toit du réacteur à bord d’un parapente motorisé. Ses détracteurs déplorent régulièrement l’absence de sécurité du réacteur. Cela n’empêchera pas Mühleberg d’obtenir un permis d’exploitation illimité en 2009. Une association de militants et des habitants déposeront un recours. Le Tribunal administratif fédéral leur donnera raison. Il est frappant de constater qu’aucun des signataires habilités à recourir – les habitants des zones 1 et 2, ceux qui seraient les plus touchés en cas d’accident du réacteur – n’appartenait à la commune de Mühleberg. Les quinze signataires de la zone 1 provenaient de communes voisines. «Chez nous, personne n’a jamais eu peur de la centrale, affirme le président de la commune, René Maire. Mühleberg se porte bien.» Ce quinquagénaire trapu arborant une moustache en bataille, maître fromager de son métier et membre de l’UDC, n’a rien

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La centrale nucléaire de Mühleberg

L’enceinte de confinement du réacteur de Mühleberg (à droite).

d’un fanatique. Il est même trop modéré pour certains de ses collègues. Récemment, il n’a pas été réélu par la coopérative laitière au poste de directeur de la fromagerie Juchlishaus. Des villageois affirment que c’est parce qu’il avait approuvé une mesure de modération du trafic visant à protéger les enfants près de la nouvelle école. Cela a irrité les paysans qui doivent désormais slalomer avec leurs tracteurs et leurs chars à foin entre les îlots pour piétons. René Maire explique cet échec par sa double casquette de directeur d’entreprise et de président de la commune, mais aussi par «une certaine méfiance» à son égard. Un réacteur comme à Fukushima Le réacteur à eau bouillante de Mühleberg, de conception américaine, est de même type que les plus anciennes unités de la centrale de Fukushima Daiichi. Une expertise de l’Öko-Institut allemand, mandatée par les organisations Médecins en faveur de l’environnement, Ärzte für soziale Verantwortung et Greenpeace en 2012, a conclu que si un accident semblable se produisait ici, 185 000 personnes devraient être évacuées, notamment tous les habitants de Berne. Et si, comme à Fukushima, de grosses quantités de radioactivité se déversaient dans l’Aar et le lac de Bienne, les rives du lac seraient inaccessibles pendant des décennies et Bienne n’aurait plus d’eau potable. Les denrées agricoles récoltées jusque dans l’Allgäu, au nord du lac de Constance, devraient être incinérées.

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«La centrale nucléaire préoccupe plus les gens d’ailleurs que ceux d’ici.»

Le président de la commune n’a-t-il jamais eu de doute à propos du réacteur? «À Fukushima, disons-le franchement, ils ont été négligents; ils n’ont pas assez investi dans la sécurité!» Et à Tchernobyl, vingt-cinq ans plus tôt? «Le réacteur était en état de surchauffe parce qu’ils avaient essayé d’en tirer le maximum.» La situation ici ne serait pas comparable, explique-t-il. Il ne viendrait à l’esprit de personne de comparer les pratiques d’une entreprise suisse à celles d’une entreprise ukrainienne. Toutefois, en octobre 2013, BKW Energie (ex-Forces motrices bernoises) décidait de fermer définitivement la centrale de Mühleberg à la fin de l’année 2019, pour des raisons à la fois économiques et politiques. La centrale sera démontée au cours des quinze prochaines années. Le coût des opérations se chiffrera à plus de deux milliards de francs. Pour les antinucléaires, cette «sortie programmée» est trop lente. Jürg Joss, qui se mobilise depuis vingt-sept ans contre Mühleberg, déclare: «Les dernières années d’exploitation d’une centrale nucléaire sont les plus dangereuses.» La décision de la fermer fait miroiter une fausse sécurité. Joss et ses compagnons de route souhaitent donc que le réacteur soit débranché au plus vite. Le peuple bernois a rejeté cette exigence le 18 mai 2014 à une majorité très nette des deux tiers. À Mühleberg, 75% des votants se sont même prononcés contre. Fatigués de l’intérêt médiatique Quand on pose la question aux villageois, la situation décrite par René Maire se confirme: la centrale ne semble pas être source d’inquiétudes ou de polémiques. «La centrale nucléaire préoccupe plus les gens d’ailleurs que ceux d’ici», constate la patronne du restaurant Traube que les journalistes envahissent régulièrement, armés de micros et de caméras. La boulangère a, elle aussi, parfaitement confiance en BKW. «Qu’est-ce qui pourrait arriver? demande-t-elle. On surveille le moindre de leur mouvement. Il faut bien s’approvisionner en énergie quelque part.» Parfois, elle ne comprend pas les opposants qui sont assis derrière leur ordinateur au Palais fédéral et ne se demandent pas d’où provient l’électricité nécessaire à leur outil de travail. Le pasteur du village, Christfried Böhm, se souvient que, même après la catastrophe de Fukushima en 2011, la commune avait réagi de

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1969: explosion d’un réacteur expérimental suisse À Lucens VD, un réacteur à tubes de force explose après une année d’exploitation. Le réacteur est complètement détruit, mais la quantité de radioactivité dégagée serait modeste, selon les autorités. Il faudra attendre dix ans pour que le rapport d’expertise soit publié. 1969 Beznau, la première centrale nucléaire suisse, entre en fonction. C’est aujourd’hui la plus vieille centrale au monde en activité. 1972 La Confédération suisse et les exploitants des centrales fondent la Nagra, la Société coopérative nationale pour le stockage des déchets radioactifs. À l’heure actuelle, aucun site n’a encore été retenu pour le stockage des déchets. 1er janvier 1972: introduction du temps atomique international Le temps universel était une échelle de temps basée sur la rotation de la Terre. Or cette rotation ralentit d’une seconde tous les 18 mois, notamment en raison de la fonte des calottes polaires, du glissement des plaques tectoniques et de la force gravitationnelle de la Lune. Le temps atomique international est une échelle plus précise, basée sur la fréquence de résonance de l’atome de césium.


La centrale nucléaire de Mühleberg

manière très pragmatique aux risques posés par sa centrale. Selon lui, c’est plutôt la décision de la débrancher en 2019 qui a effarouché les habitants. Pour eux, les conséquences d’une fermeture sont beaucoup plus inquiétantes. Car, aujourd’hui encore, une soixantaine d’habitants travaillent pour l’usine hydraulique et la centrale nucléaire. Sans oublier les commerces locaux: la patronne du Traube fait office de traiteur pour certaines manifestations de BKW. Il y a dix-huit mois encore, avant que le chef de cuisine ne décide de recourir à du précuit, la boulangère fournissait des croissants frais à la cantine de BKW. Et certains habitants louent une chambre aux inspecteurs étrangers qui débarquent par centaines dans la commune lors de la révision annuelle de plusieurs semaines. Les inspecteurs ne viendront plus après 2019. Si BKW est bien vue à Mühleberg, ce n’est pas seulement comme employeur, mais aussi parce que l’entreprise entretient des contacts étroits avec la commune. Lorsque quelque chose est prévu, les habitants sont les premiers informés. Pour les séances d’information à l’école, le ou les directeurs font le déplacement. Les habitants sont invités à l’usine, où on leur fournit des renseignements de première main sur les nouvelles mesures de sécurité. Le message est toujours le même: nous jouons cartes sur table, nous remplissons toutes les exigences, nos employés maîtrisent la situation, il n’y a rien à craindre. Ensuite, on leur sert des amuse-bouche et du vin blanc. BKW participe aussi à l’entretien des routes qu’elle utilise. Et depuis qu’il est clair que les collaborateurs seront employés au-delà de 2019 et que l’entreprise restera sur le site pendant les quinze années du démontage, les craintes se sont largement évanouies. Christian Wyss fait l’éloge de BKW: «C’est une entreprise modèle. Ils n’ont jamais commis d’erreur.» Cet antinucléaire de longue date admet: «S’il y a une centrale, autant que ce soit eux qui l’exploitent.» Même les jeunes du village ne semblent pas se soucier de ce réacteur à leur porte. L’animatrice socio-culturelle Regula Vonwyler n’a pas mené de discussions à ce sujet avec ses protégés depuis bien longtemps: «Si certains sont préoccupés, c’est plutôt à cause de la fermeture prochaine de la centrale, ajoute-t-elle. Je suppose que leurs parents y travaillent.» Rêves de modernisation Pour comprendre les bonnes relations avec BKW, il faut jeter un coup d’œil sur l’histoire de Mühleberg. Les responsables politiques de cette commune qui, jusqu’à la fin du XIXe siècle, dépendait largement de l’agriculture se montrèrent très tôt favorables à la modernisation. En 1917, Mühleberg accueille un barrage de 240 mètres de long et une centrale électrique à l’embouchure du lac de Wohlen. Au début des années 1960, le canton de Berne prévoyait, avec la bénédiction du conseil communal, un aéroport intercontinental sur le sol de la commune.

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1er avril 1975: résistance pacifique contre la centrale de Kaiseraugst Première émergence en Suisse d’une résistance civile contre un projet de construction de centrale nucléaire à Kaiseraugst. L’occupation du chantier mobilise environ 20 000 personnes et dure onze semaines. Le projet sera définitivement abandonné en 1988 seulement. Les promoteurs sont indemnisés à hauteur de 350 millions de francs par la Confédération. 1975: le soleil souriant L’étudiante danoise Anne Lund invente le logo du soleil souriant rouge sur fond jaune, avec le slogan «Nucléaire? Non merci!».

Le village pittoresque de Mühleberg: les protestations y sont rares et viennent plutôt des communes voisines.

Mühleberg devait devenir ce que Kloten est aujourd’hui pour Zurich et la Suisse. Ce projet mégalomane finira toutefois dans les tiroirs. À la place, en octobre 1966, le conseil communal votera à l’unanimité le permis de construire une centrale nucléaire. Un consortium international, composé de General Electric et du groupe électronique Brown, Boveri & Cie (qui deviendra ABB en 1988), en réalise la construction. La commune se sentait flattée; le président ne négociera même pas une indemnisation pour le site. On juge inutile de le clôturer – la centrale était librement accessible – comme si une quelconque société d’ingénierie s’installait sur les bords de l’Aar. La centrale apporte des emplois: environ 350 physiciens, ingénieurs et techniciens sont embauchés, dont certains à durée indéterminée. Audébut, la plupart d’entre eux n’habitent pas encore dans le village, mais BKW construit le lotissement Steinriesel, des immeubles de deux étages comptant une centaine d’appartements. Aujourd’hui encore, les habitants aiment beaucoup le «village atomique». Situé au-dessous du centre historique, il est entouré de champs de blé, de cerisiers, de troupeaux de vaches et de forêts: il a sa propre aire de jeux et certains apprécient les vastes jardins potagers. Ces contacts étroits se manifestent aussi sur le plan politique: de 1949 à 1970, un collaborateur de haut rang de BKW avait droit à un siège dans le conseil communal de onze membres. Cela n’est plus le

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28 mars 1979: Three Mile Island Un accident dans une centrale aux États-Unis détruit un tiers du cœur du réacteur. Selon les autorités, la radiation dégagée n’est pas très élevée. Mais l’accident donne lieu à une nouvelle évaluation des risques des centrales nucléaires. 1981: création de la Human Interference Task Force Ce projet réunissant ingénieurs, physiciens nucléaires, anthropologues et linguistes vise à élaborer un message compréhensible pour empêcher l’intrusion non intentionnelle des générations futures dans un dépôt final de déchets nucléaires. Le rapport du groupe de travail paraît quatre ans plus tard. 26 avril 1986: catastrophe nucléaire de Tchernobyl Aujourd’hui encore, on trouve en Suisse des champignons et des sangliers présentant des concentrations de césium 137 supérieures à la moyenne, dues aux retombées de Tchernobyl.


La centrale nucléaire de Mühleberg

Les dettes étaient payées et le taux d’imposition a pu être abaissé, si bien qu’aujourd’hui, il compte parmi les plus bas du canton de Berne.

cas depuis que les directeurs de la centrale nucléaire ne vivent plus au village et que le conseil de sept membres est élu à la proportionnelle. Aujourd’hui, l’administration communale n’est plus chapeautée, directement ou indirectement, par BKW, assure son président. Que ce dernier soit traditionnellement un membre de l’UDC ou du PLR, favorable aux visées de BKW, devrait toutefois présenter des avantages pour l’entreprise. Outre des emplois, BKW apportait du capital. Depuis son entrée en service, la centrale nucléaire verse à la commune des taxes immobilières de 600 000 francs par an. À cela viennent s’ajouter les impôts sur le bénéfice qui dépendent du résultat annuel de BKW. Selon Christian Wyss, un socialiste qui a siégé pendant douze ans au conseil communal, un million de francs sur les douze millions que compte le budget annuel provient de la centrale nucléaire. Grâce aux gains importants réalisés par BKW, la commune a connu des années fastes: les dettes étaient payées et le taux d’imposition a pu être abaissé, si bien qu’aujourd’hui, il compte parmi les plus bas du canton de Berne. Mühleberg a construit une nouvelle école et équipé le toit d’une centrale photovoltaïque. Le crédit supplémentaire nécessaire a été approuvé sans discussion par le conseil communal. De telles facilités créent des liens, une loyauté au-delà des générations et des partis. Qui, dans de telles conditions, oserait émettre des critiques? La critique des nouveaux venus Certains habitants critiquent pourtant ouvertement la centrale nucléaire. Alan Šavar est de ceux-là. Il dirige un hôtel à Bienne et habite depuis dix ans au village. Dans les médias et sur Facebook, il s’est prononcé à plusieurs reprises en faveur de la sortie du nucléaire. Depuis que la présence de fissures a été rendue publique, il ne fait plus confiance à BKW et à l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire, l’IFSN. Le fait que le réacteur soit débranché en 2019 est un soulagement pour lui, même si les déchets radioactifs continuent de le préoccuper. Šavar

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est convaincu d’une chose: l’attitude positive de la commune à l’égard de la centrale passe par le porte-monnaie. «Je peux bien m’imaginer qu’après tout ce que l’on sait sur le réacteur, de nombreux habitants pensent comme moi, mais que la plupart ne veulent pas s’exposer.» À noter que ce sont, pour la plupart, de nouveaux venus qui critiquent la centrale. Ou du moins des habitants qui ne travaillent pas dans la commune. Comme s’il existait une sorte de code tacite interdisant aux autochtones dépendant des bonnes affaires de la commune de critiquer le réacteur. Christian Wyss est, lui aussi, un nouveau venu. Il est arrivé ici il y a trente-cinq ans et a travaillé à l’extérieur jusqu’à sa retraite anticipée. Aujourd’hui, il se réjouit de la fermeture prochaine de la centrale. La section socialiste de Mühleberg ne s’est toutefois jamais engagée activement pour une fermeture. Pourquoi? «Il y a vingt ans, nous avons décidé de geler le thème de la sortie du nucléaire», explique-t-il. Chaque fois qu’ils abordaient le sujet, ils étaient accusés de dénigrement, ce qui provoquait une guerre de tranchées de plusieurs mois au conseil communal. «C’était tout simplement un suicide politique.» Depuis que son parti se concentre sur la formation, la santé et les infrastructures – une mesure de modération du trafic par ci, un cabinet de médecins par là –, l’atmosphère est à nouveau «collégiale et constructive». Mühleberg 2 aurait été construite Les projets de Mühleberg 2 ont montré l’importance du consensus qui règne dans la commune à propos de la centrale, en raison des liens historiques avec BKW. En 2007, l’ancien directeur du groupe, Kurt Rohrbach, annonce lors d’une conférence de presse que l’entreprise prévoit un nouveau réacteur pour remplacer l’ancien. Selon Maire et Wyss, nombreux sont ceux dans la commune qui, au début, approuvent ce projet de plusieurs milliards. «La planification de la nouvelle centrale était déjà très avancée, se souvient Wyss, qui siège à l’époque dans la commission responsable du conseil communal. En cas de revirement de l’opinion publique, on ressortirait très rapidement les plans de Mühleberg 2.» Des sondages préliminaires ont lieu dès 2007. Avec le conseil communal, on détermine des sites pour l’installation et l’entreposage de matériel ainsi que des hébergements supplémentaires pour le personnel. Un petit tronçon de la route d’accès vers la nouvelle centrale est construit. Selon le président de la commune, il était même question de percer un tunnel dans le Chräjeberg pour relier le site à l’autoroute A1. Les estimations de Maire et de Wyss ainsi qu’un vote cantonal en février 2011 montrent que Mühleberg 2 aurait été construite si plusieurs réacteurs n’avaient pas explosé à Fukushima un mois avant la votation.

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1990 Quatre ans après Tchernobyl, 53% des Suisses se prononcent contre la sortie du nucléaire. Un moratoire de dix ans sur la construction de nouvelles centrales est cependant accepté en votation populaire. 1996 Le traité de l’ONU pour l’interdiction des essais nucléaires interdit tout essai d’armes nucléaires. L’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord n’ont pas signé le traité et continuent leurs essais jusqu’à l’heure actuelle. 15 mai 2003 Le moratoire sur la construction de nouvelles centrales nucléaires n’est pas prolongé. Deux tiers des votants suisses rejettent la sortie du nucléaire. 11 mars 2011: Fukushima Daiichi Un séisme de forte intensité suivi d’un tsunami détruit trois réacteurs de la centrale de Fukushima Daiichi. Les trois réacteurs subissent une fonte du cœur. Des dizaines de milliers de personnes sont évacuées. Le vent porte 80% des retombées radioactives sur l’océan, limitant les dimensions de la catastrophe.


La centrale nucléaire de Mühleberg

«La seule chose que les habitants ne voulaient pas, c’était une tour de refroidissement de 120 mètres de haut sous leur nez», se souvient Wyss. Mühleberg 2 étant censée livrer une quantité d’électricité nettement plus importante que le réacteur existant, l’Aar aurait été trop fortement réchauffée par le refroidissement du réacteur. Une tour de refroidissement était donc nécessaire. BKW a réglé la question de manière pragmatique en invitant le conseil communal à visiter la toute nouvelle génération de tours hybrides en Allemagne, beaucoup plus basses, car équipées d’une ventilation supplémentaire, sans nuage de vapeur menaçant, comme à Gösgen. La nouvelle centrale serait restée dans la cuvette des bords de l’Aar, bien cachée derrière la petite forêt du Chräjeberg. Les taxes immobilières et les impôts sur le bénéfice auraient continué d’être perçus et la symbiose entre BKW et Mühleberg aurait été à nouveau cimentée pour cinquante ans. L’idylle champêtre serait restée intacte, même après la catastrophe nucléaire de Fukushima et une nouvelle «Atomi». Samuel Schlaefli a fait des études de journalisme, de sociologie et de sciences historiques et culturelles. Il travaille aujourd’hui comme journaliste et rédacteur indépendant pour divers magazines et écrit des articles sur la durabilité, le changement climatique et les effets de la mondialisation, de préférence sous le forme de reportages lors de voyages. www.samuelschlaefli.ch

De l’atome au vent

être installées. Bientôt, les premières mesures physiques concerQui l’aurait imaginé? Après l’arrêt nant la force et la fréquence des vents vont être effectuées pour dédu réacteur, Mühleberg pourrait devenir l’un des piliers de l’énergie terminer si un tel projet est renéolienne. Le 23 juin 2016, la Confé- table. Avec des tarifs actuels de 4 à rence régionale Bern-Mittelland a 5 centimes par kilowattheure à la approuvé son plan directeur des Bourse européenne de l’électricité parcs éoliens. Ce plan coordonne (EEX), la production d’énergie éol’énergie éolienne dans la région lienne en Suisse, où les coûts d’inet souhaite qu’elle soit limitée à des vestissement sont de 15 à 20 centimes, n’est pas rentable sans sites particulièrement appropriés. subventions ou une estimation à Avec la zone Stockere-MaussRosshäusern, deux sites de la com- très long terme. Le projet va devoir surmonter deux autres obstacles: mune de Mühleberg ont été pris les zones retenues concernent en compte. souvent des parcelles appartenant La coopérative énergétique à différents propriétaires et l’acADEV étudie depuis deux ans la ceptation des éoliennes dans construction d’une centrale éola commune demeure incertaine, lienne sur le Stockere, une colline boisée de 700 mètres d’altitude, si- même si le conseil communal a tuée sur le territoire communal. manifesté de l’intérêt. Dans le meilTrois éoliennes de 140 mètres de leur des cas, la construction comhauteur au maximum doivent y mencerait dans trois ou quatre ans. Magazine Greenpeace No 3 — 2016

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Le plan directeur doit être approuvé par le canton à la fin de l’année. Ensuite, ce sera au tour du plan d’affectation, avant la votation communale. Un détail piquant: l’ADEV, qui a été créée en 1985, est issue du mouvement antinucléaire. Sur son site web, on peut lire: «L’objectif principal était d’ores et déjà clair: réaliser des installations de production d’électricité avec des participations citoyennes afin de montrer qu’un approvisionnement électrique sans recours à l’énergie nucléaire est possible.» Ses fondateurs devraient jubiler lorsqu’ils hisseront les premières éoliennes sur le Stockere, tandis que, derrière le Chräjeberg, la centrale nucléaire sera en cours de démantèlement.


Infographie

Recherche centre de stockage Dans le monde, il n’existe aucun centre de stockage à long terme pour les déchets hautement radioactifs (généralement des combustibles usés et des produits de fission provenant du premier cycle de traitement). C’est l’héritage le plus toxique et le plus dangereux qui doit être conservé en toute sécurité durant un million d’années. La recherche d’une formation géologique appropriée coûte des milliards de francs. Cette carte montre comment et où les montagnes de déchets s’amoncellent.

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Isotopes persistants et problématiques en termes de sécurité, avec indication de leur demi-vie Uranium 238 4,47 milliards d’années Uranium 235 700 millions d’années Plutonium 239 24 100 ans Plutonium 238 87,74 ans Carbone C14 5730 ans Iode 129 15,7 millions d’années Iode 131 8,02 jours, décelé dans des aliments après la catastrophe de Tchernobyl Césium 137 30,2 ans, décelable dans des aliments irradiés Strontium 90 29 ans, décelable dans des aliments irradiés Il existe de nombreux autres atomes dont le noyau est instable et donc rayonneur.


Infographie 1 2

7 4

27 12 15 20

11

26

Éléments combustibles usés en t 1 mm = 1000 t 81 093 t

25

14 20 000 t

10 000 t

1000 t

Site de stockage fixé Analyses de sites possibles en cours Pas de stratégie claire Pays sans centrale nucléaire

()

entre parenthèses après les noms des pays = année de mise en service des premiers réacteurs commerciaux


3

9

17

24 8

18

21 28 22

16

32

19

30

5

6

31 10 33 29 13

23

1 2 3 4 5 6 7 8 9

États-Unis (1960) 81 093 t Canada (1962) 51 706 t Russie (1954) 27 700 t France (1959) 15 704 t Corée du Sud (1977) 15 050 t Japon (1966) 14 500 t Grande-Bretagne (1956) 8040 t Ukraine (1977) 7610 t Suède (1972) 6257 t

10 11 12 13 14 15 16 17 18

Chine (1991) 5400 t Espagne (1986) 5266 t Allemagne (1971) 4690 t Inde (1969) 4500 t Argentine (1974) 3918 t Belgique (1974) 3890 t Roumanie (1996) 2225 t Finlande (1977) 2106 t Bulgarie (1974) 1630 t

19 20 21 22 23 24 25 26 27

Suisse (1969) 1450 t Slovaquie (1972) 1390 t Ukraine (1983) 1251 t Hongrie (1983) 1251 t Afrique du Sud (1984) 1135 t Lituanie (1983) 763 t Brésil (1982) 729 t Mexique (1989) 676 t Pays-Bas (1969) 553 t

28 Slovénie (1981) 505 t 29 Pakistan (1972) 382 t 30 Kazakhstan (1973) 300 t 31 Arménie (1976) 294 t 32 Italie (1963) 283 t 33 Iran (2011) 45 t


Inventaire des dĂŠchets nuclĂŠaires

Afrique

AmĂŠrique Asie

Afrique du Sud (1984) 1135 t ˜ >We ^ _W`fe Ua_TgĂż[T^We usĂŠs sont stockĂŠs sur le site de la centrale de Koeberg. ˜ >S ĂżdSf Y[W VW ĂżaU]SYW ĂŽnal et l’option du retraitement restent ouvertes.

Argentine (1974) 3918 t ˜ EfaU]SYW VWe ^ _W`fe combustibles usĂŠs sur les sites des centrales. ˜ 6 bŠf V ĂŽ`[f[X, cgWĂż[a` sans rĂŠponse pour l’instant. BrĂŠsil (1982) 729 t ˜ EfaU]SYW VWe ^ _W`fe combustibles usĂŠs sur le site de la centrale nuclĂŠaire. ˜ 6 bŠf V ĂŽ`[f[X, cgWĂż[a` sans rĂŠponse pour l’instant. Canada (1962) 51 706 t ˜ ?[eW Zade eWdh[UW Vg ^STadStoire souterrain de Pinawa en 2010. ˜ Bagd ^S dWUZWdUZW VĂ…g` V pĂ´t final, Ottawa mise sur les communes volontaires. ˜ >Ă…aghWdfgdW VĂ…g` fW^ V bŠf est envisagĂŠe d’ici Ă 2035. ˜ >We UaÂ?fe WĂż[_ e W` $"#$ sont de 19 milliards de francs. États-Unis (1960) 81 093 t ˜ >S cgWĂż[a` Vg ĂżaU]SYW dĂŠfinitif reste de facto sans rĂŠponse. ˜ 3bd€e VWe V UW``[We VĂ…S`Slyses, le prĂŠsident Obama a suspendu le projet Yucca Mountain en 2010 pour des raisons de sĂŠcuritĂŠ. ˜ G`W Ua__[ee[a` VĂ…WjbWdfe cherche de nouvelles solutions au problème des dĂŠchets nuclĂŠaires. ˜ 7Ăż[_Sf[a` VWe UaÂ?fe W` 2008: 96 milliards de francs (Yucca Mountain). Mexique (1989) 676 t ˜ EfaU]SYW VWe ^ _W`fe combustibles usĂŠs sur le site de la centrale nuclĂŠaire. ˜ 6 bŠf V ĂŽ`[f[X, cgWĂż[a` sans rĂŠponse pour l’instant.

ArmĂŠnie (1976) 294 t ˜ EfaU]SYW [`fWd_ V[S[dW egd le site de la centrale nuclĂŠaire. Par le passĂŠ, exportation des dĂŠchets en Russie. ˜ BSe VW ĂżdSf Y[W U^S[dW bagd les DHA. Chine (1991) 5400 t ˜ >W ha^g_W VWe V UZWfe W` Chine devrait fortement progresser ces prochaines annĂŠes; plusieurs grandes usines de retraitement sont en cours de planification. ˜ 6 bŠf [`fWd_ V[S[dW y Lanzhou (province de Gansu); mise en service d’un dĂŠpĂ´t en couche gĂŠologique profonde prĂŠvue pour 2050. ˜ 3`S^keWe W` Uagde bagd g` dĂŠpĂ´t dĂŠfinitif, notamment dans le dĂŠsert de Gobi CorĂŠe du Sud (1977) 15 050 t ˜ >We ^ _W`fe Ua_TgĂż[T^We usĂŠs sont stockĂŠs sur les sites des centrales. ˜ 6 bŠf fW_badS[dW W` ha[W VW planification. ˜ 6 bŠf W` UagUZW Y a^agique profonde: choix du site d’ici Ă 2020, mise en service prĂŠvue pour 2051. Inde (1969) 4500 t ˜ Ă€ ces 4500 t s’ajoutent des DHA issus du retraitement. ˜ >W bdaYdS__W `uclĂŠaire civil est ĂŠtroitement liĂŠ au complexe militaire. ˜ Les ĂŠlĂŠments combustibles usĂŠs sont retraitĂŠs. Plus de la moitiĂŠ de la quantitĂŠ indiquĂŠe a ĂŠtĂŠ retraitĂŠe, les dĂŠchets Ă haute activitĂŠ sont vitrifiĂŠs. Le reste (moins de 1000 t) est stockĂŠ sur le site des centrales. ˜ Construction prĂŠvue d’un dĂŠpĂ´t en couche gĂŠologique profonde. Iran (2011) 45 t ˜ >We ^ _W`fe Ua_TgĂż[T^We usĂŠs devraient ĂŞtre repris par la Russie, selon l’accord conclu avec ce pays.

DHA dĂŠchets de haute activitĂŠ tML tonnes de mĂŠtal lourd

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Japon (1966) 14 500 t ˜ 7`h[da` )""" f VW 6:3 [eege du retraitement. ˜ >W `aghWSg YaghWd`W_W`f japonais continue le retraitement Ă Rokkasho. ˜ EfaU]SYW fW_badS[dW y Da]kasho et Mutsu. ˜ >W <Sba` bd ha[f VW ĂŽjWd W` 2030 le site d’un dĂŠpĂ´t dĂŠfinitif et compte sur les communes volontaires. ˜ >STadSfa[dWe eagfWddS[`e y Mizunami (granite) et Ă Horonobe (roche sĂŠdimentaire). ˜ 7Ăż[_Sf[a` Vg UaÂ?f VĂ…g` V pĂ´t dĂŠfinitif: 28 milliards de francs. Kazakhstan (1973) 300 t ˜ 3]fSag ^S VWd`[€dW UW`fdS^W du Kazakhstan, a ĂŠtĂŠ mise hors service en 1999. Les ĂŠlĂŠments combustibles usĂŠs sont actuellement stockĂŠs Ă Semipalatinsk (ancien site d’essais nuclĂŠaires). Le problème du dĂŠpĂ´t dĂŠfinitif n’est pas rĂŠsolu. Pakistan (1972) 382 t ˜ Stockage des ĂŠlĂŠments combustibles usĂŠs sur le site de la centrale nuclĂŠaire. NuclĂŠaire civil liĂŠ au programme militaire. ˜ 6 bŠf V ĂŽ`[f[X, SgUg`W abtion retenue pour l’instant. Russie (1954) 27 700 t ˜ 7`h[da` '""" f?> VW 6:3 issus du retraitement. ˜ Secteur ĂŠtroitement liĂŠ au complexe militaire. ˜ >We ^ _W`fe Ua_TgĂż[T^We usĂŠs sont stockĂŠs sur les sites des centrales et dans les usines nuclĂŠaires de MaĂŻak et Zelenogorsk. ˜ >STadSfa[dW eagfWddS[` W` cours de planification. La roche d’accueil favorisĂŠe pour un dĂŠpĂ´t final est le granite (rĂŠgion de Zelenogorsk, en SibĂŠrie). ˜ ?[eW W` eWdh[UW bd hgW bagd 2035.


Europe Allemagne (1971) 4690 t 7`h[da` (""" f?> VW 6:3 issus du retraitement. Stockage temporaire à Ahaus, Gorleben et sur les sites des centrales. @aghW^^W bdaU VgdW VW e lection pour un dépôt en couche géologique profonde. Le dôme salin de Gorleben reste une option. Mise en service prévue en 2035 au plus tôt. Belgique (1974) 3890 t 6:3 [eege Vg dWfdS[fW_W`f EfaU]SYW [`fWd_ V[S[dW egd le site des centrales et à Dessel. 7eeS[e y f[fdW VW V _a`ÿdStion dans le laboratoire souterrain de Mol. Ni site ni échéancier prévu pour un dépôt définitif. Bulgarie (1974) 1630 t >S 4g^YSd[W XS[f dWfdS[fWd g`W partie de ses barres de combustible usé en Russie, le reste est entreposé à titre provisoire. >W bSke `ÅS bSe V U[V UW qu’il fera à long terme de ses déchets nucléaires. Espagne (1986) 5266 t EfaU]SYW [`fWd_ V[S[dW egd le site des centrales. Procédure de sélection d’un dépôt en couche géologique profonde pour 2023. Finlande (1977) 2106 t EfaU]SYW [`fWd_ V[S[dW egd le site des centrales. E[fW bd hg bagd g` V b f W` couche géologique profonde: Olkiluoto (roches cristallines). La construction du laboratoire souterrain d’Onkalo est achevée. >S VW_S`VW VÅSgfad[eSf[a` prévoit la mise en service en 2020. 5a__W W` Eg VW g`W e rie de questions reste ouverte concernant la technique d’enfouissement.

France (1959) 15 704 t 7`h[da` %$ """ f?> VW 6:3 issus du retraitement (La Hague). >We ^ _W`fe Ua_Tgÿ[T^We usés sont stockés sur le site des centrales et à La Hague. Ils sont destinés au retraitement. >W ^STadSfa[dW eagfWddS[` VW Bure étudie l’argile comme roche d’accueil en vue d’un dépôt en couche géologique profonde. 4gdW bagddS[f VWhW`[d g` e[fW de stockage définitif à partir de 2025. Grande-Bretagne (1956) 8040 t 7`h[da` '' """ f?> VW 6:3 issus du retraitement. >S bdaU VgdW VW e ^Wþ[a` d’un dépôt en couche géologique profonde est en cours. Sites favorisés dans le Cumbria. >ÅtUaeeW UZa[e[f g`W V marche particulière, prévoyant un stockage proche de la surface. Hongrie (1983) 1251 t G`W bSdf[W VWe ^ _W`fe combustibles usés a été exportée en Russie. 3`S^keWe Y a^aY[cgWe VWe roches argileuses dans les environs de Buda. Mise en service d’un dépôt en couche géologique profonde au plus tôt en 2060. Italie (1963) 283 t >Å;fS^[W S _[e Î` y eS bda duction nucléaire en 1990 après la catastrophe de Tchernobyl. >We 6:3 a`f f SUZW_[` e par bateau vers La Hague pour retraitement. BSe VW ÿdSf Y[W VW ÿaUkage définitif.

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Lituanie (1983) 763 t >S >[fgS`[W S _[e Zade eWdvice sa deuxième et dernière centrale nucléaire en 2009, à la demande de l’Union européenne. >W bSke bd ha[f g` ÿaU]SYW intermédiaire de ses déchets nucléaires à Ignalina pour une période de cinquante ans. Pays-Bas (1969) 553 t 6:3 [eege Vg dWfdS[fW_W`f L’entrepôt provisoire HABOG, à Flessingue, devrait servir jusqu’en 2103. 3gUg`W V U[e[a` `ÅWÿ bd[eW sur la future stratégie de stockage. Roumanie (1996) 2225 t EfaU]SYW [`fWd_ V[S[dW egd le site de la centrale. Après dix ans, transfert des déchets au dépôt temporaire de Cernavodă, à proximité. 6We fgVWe bd ^[_[`S[dWe sont menées en vue d’un dépôt final. Slovaquie (1972) 1390 t EfaU]SYW [`fWd_ V[S[dW egd le site des centrales. La stratégie de stockage final et l’option du retraitement restent ouvertes. G`W bSdf[W VWe ^ _W`fe combustibles usés a été exportée vers la Russie. Slovénie (1981) 505 t >W bSke eW Ua`fW`fW bagd l’instant d’un stockage intermédiaire à Krško. BSe VW ÿdSf Y[W U^S[dW bagd le stockage définitif. La Slovénie espère qu’une solution internationale sera mise en place.

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Suède (1972) 6257 t 6:3 [eege Vg dWfdS[fW_W`f EfaU]SYW [`fWd_ V[S[dW y Oskarshamn. >S Eg VW eagZS[fW aghd[d g` dépôt final à Östhammar (Forsmark) en 2030. Début prévu des travaux de construction: 2020. tfgVW VÅ[_bSþ W`h[da``Wmental en cours. Questions ouvertes sur la technique d’enfouissement. Suisse (1969) 1450 t 7`h[da` ##"" f?> VW 6:3 [esus du retraitement. 6Wgj y fda[e d Y[a`e VWvraient être comparées comme dépôts possibles en couche géologique profonde d’ici à 2023, sans préjuger du résultat. Mise en service d’un tel dépôt vers 2050–2060 au plus tôt. Ukraine (1977) 7610 t >W bSke hWgf W`fdWbaeWd eWe déchets de manière temporaire pour une durée d’au moins cinquante ans. BdW_[Wde ea`VSYWe bagd g` dépôt définitif. Les éléments combustibles usés continuent d’être acheminés vers la Russie pour retraitement.

Données collectées par Stefan Füglister, expert pour le nucléaire chez Greenpeace Suisse. Les extrapolations pour 2016 se fondent sur des chiffres plus anciens et des estimations tirées de diverses sources: EPJ Nuclear Sciences & Technologies, David Hambley et al., ainsi que Charles McCombie, Arius, Martin Forwood (CORE), Association nucléaire mondiale (rapports de pays) Autres sources: AIEA, IPFM, Nagra, etc. Les coûts indiqués en dollars ont été convertis en francs suisses au taux de change 1:1.


Inventaire des déchets nucléaires Volume total des déchets de L’inventaire des déchets nuhaute activité cléaires par pays (voir pp. 46–47) Le volume total de déchets donne une idée des quantités de hautement radioactifs issus déchets hautement radioactifs qui seront produits d’ici la fin 2016 des réacteurs commerciaux est estimé à 272 750 tML pour la fin et qui s’accumulent dans les dé2016. Ce volume devrait passer pôts intermédiaires. Ne sont pas prises en compte les autres caté- à 390 000 tML d’ici à 2030. Chaque année, la montagne de déchets gories de déchets comme les augmente de 11 500 tML, dont une déchets à moyenne et faible actipartie est prévue pour vité, dont le volume est beaucoup le retraitement. plus important. Les chiffres indiqués résultent d’estimations sur la base des don- L’AIEA avance les chiffres suivants pour 2014: nées disponibles. L’Agence inter ha^g_W fafS^ VWe ^ _W`fe nationale de l’énergie atomique combustibles usés (temporai(AIEA) admet elle-même que ses rement) stockés: 258 700 tML; relevés peuvent être imprécis. ha^g_W fafS^ VWe ^ _W`fe combustibles retirés des cenLes critères qui induisent des imtrales (et en partie retraités): précisions dans les estimations 380 500 tML (source: Nuclear sont les suivants: Technology Review 2015, AIEA, UW`fdS^We `gU^ S[dWe _[eWe y Vienne 2015). l’arrêt de manière non planifiée D’autres estimations donnent des et retards lors du remplacechiffres du même ordre de granment des éléments combusdeur. tibles (comme à Beznau); répartition variable des déchets Le facteur du retraitement sur les différentes catégories; L’industrie nucléaire se plaît USf Yad[eSf[a` bdaT^ _Sf[cgW à présenter le retraitement comme des déchets hautement radioactifs dans les usines de re- un recyclage. La procédure de traitement; retraitement influe fortement sur V ^[_[fSf[a`e V[õ dW`fWe bagd la quantité de déchets radioactifs. les déchets issus du secteur Les éléments combustibles usés militaire (non pris en compte sont dissous et les produits fissiles dans l’infographie); que sont l’uranium et le plutonium hSd[ST[^[f VW ^S USbSU[f Wf Vg sont extraits par filtration. Si le volume d’activité des usines de retraitement réduit la quantité de retraitement; déchets hautement radioactifs, il _S`cgW VW fdS`ýSdW`UW Wf VW génère un très gros volume de fiabilité des données indiquées déchets d’activité moyenne et par les pays (les annonces à faible, et dégage une pollution ral’AIEA se font sur une base vo- diologique qui dépasse les rejets lontaire). de tous les autres types d’installations nucléaires. Autres volumes de déchets Au moment de la rédaction de cet article, le waste counter de l’AIEA recensait 29 620 000 m3 de déchets de moyenne et faible activité, issus de 366 installations civiles (un chiffre qui omet vraisemblablement plus d’une centaine de réacteurs commerciaux, avec leurs déchets stockés sur place). Les compagnies minières, qui sont les pires producteurs de déchets nucléaires, ne sont pas comprises Magazine Greenpeace No 3 — 2016

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dans ce calcul: il existe en effet des centaines de mines désaffectées qui devraient en principe être assainies, notamment la mine de Wismut, sur le territoire de l’exRDA, dont l’assainissement pourrait coûter cinq milliards d’euros. Les coûts de l’élimination des déchets de haute activité Pour évaluer les coûts de l’élimination des déchets, les éléments à prendre en compte sont le type de roche d’accueil, le type de dépôt, les dimensions et les coûts de construction de l’infrastructure nécessaire (routes, voies ferrées d’accès, bâtiments en surface). Les estimations de coûts fournies par des pays qui n’ont pas encore défini leur stratégie d’élimination des déchets sont peu utiles. Les estimations varient fortement. La seule démarche pertinente est de prendre la moyenne des coûts d’élimination pour les cent prochaines années à partir des estimations de coûts par pays. Ce prix moyen est d’environ 2000 francs par kilogramme de métal lourd. Il est plus élevé dans les pays de l’OCDE, et nettement plus bas dans d’autres pays comme la Russie. À l’échelle mondiale, l’élimination des déchets coûtera donc au moins 780 milliards de francs d’ici à 2030. Si l’on se base sur les hypothèses suisses les plus récentes (2011), le montant total nécessaire pour tous les pays sera d’environ 1660 milliards de francs, supplément de sécurité compris. Mais les estimations de coût ont été revues à la hausse ces dernières années. Les sommes requises pourraient être bien plus élevées. Et tout cela ne concerne que les déchets de haute activité. Quelques décennies de production de courant nucléaire auront donc légué un grave problème financier aux générations futures.


Point de vue Texte: Inga Laas Illustration: Michael Raaflaub

Que pourrait-il arriver à l’avenir?

La Tour de Babel de la sémiologie nucléaire Les habitants de Babel voulaient construire une tour immense, gigantesque. D’abord téméraires, puis atteints de folie des grandeurs, ils commencèrent à se quereller. Voulant leur donner une leçon, Dieu créa la diversité des langues et sema la zizanie. Alors que les êtres humains n’avaient qu’une seule langue, ils ne se comprennent désormais plus. Aujourd’hui, Babel a pour nom Gorleben (D), Jura Est / Zurich-NordEst (CH) ou Bure (F). C’est là que les déchets nucléaires doivent être stockés dans un proche avenir. Un problème considérable, au sujet duquel nul n’arrive à se mettre d’accord ou à se comprendre. Surtout pas quand il s’agit de se représenter le futur: en seulement quarante-sept années d’exploitation, la centrale nucléaire de Beznau a produit des déchets qui seront radioactifs pendant un million d’années. Cela représente 33 000 générations, dont aucune ne devra se hasarder à aller à la chasse au trésor du mauvais côté du Jardin d’Éden. Or une question se pose: comment informer nos descendants de cet héritage problématique? Les linguistes estiment qu’une langue ne survit que pendant environ 10 000 ans. À titre de comparaison, l’écriture cunéiforme, première langue écrite de l’humanité, est apparue il y a 5000 ans et est aujourd’hui pratiquement incompréhensible. C’est la raison pour laquelle, en 1981, le ministère américain de l’Énergie, soucieux de savoir comment la lisibilité et la compréhension d’une information pourraient être préservées pendant des centaines de milliers d’années, a institué un groupe de recherche sur la sémiotique nucléaire, une discipline qui appréhende les déchets radioactifs comme un problème de communication. Depuis plus de trente-cinq ans, des chercheurs s’efforcent de trouver les mots qui conviennent pour décrire ces déchets qui continuent de s’accumuler. Les États-Unis prévoient actuellement une mise en œuvre concrète de leurs conclusions: dès 2033, au Nouveau-Mexique, cinquante monolithes de sept mètres de haut doivent circonscrire le centre de stockage final des déchets provenant des armes nucléaires américaines. Au cœur du complexe, un centre d’information entouré de murs doit fournir

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Demain: accident à Beznau Un accident nucléaire dans la plus vieille centrale du monde entraîne une pollution radioactive à grande échelle du Rhin, de l’Aar et des régions de France et d’Allemagne voisines. La Suisse est durement frappée par les radiations, la catastrophe se solde par une tragédie humaine. 2040 Les automobiles à essence sont remplacées par des véhicules à hydrogène et électriques. Ceux-ci font moins de bruit, mais consomment les gisements de cobalt et de cuivre. La destruction environnementale massive lors de l’extraction de ces métaux touche surtout l’Afrique. 2050 Premier dépôt final de déchets radioactifs. 2150 Les combustibles fossiles sont épuisés. La politique énergétique se tourne vers le solaire, mais le nucléaire est également remis à l’ordre du jour. 2350: neutralisation des radiations Les isotopes persistants radioactifs sont changés en isotopes de faible activité à ondes courtes au moyen de la transmutation. 12 016 La langue française s’éteint. 13 400: étanchéité du dépôt final compromise Les fûts de déchets radioactifs en acier sont depuis longtemps détruits par la rouille. Et la gaine de verre qui les recouvre ne tiendra que quelques centaines d’années de plus.


Sémiologie nucléaire

des explications sur l’héritage atomique avec des avertissements en six grandes langues mondiales: l’anglais, le français, l’espagnol, l’arabe, le russe et le chinois, ainsi que dans la langue des Indiens Navajo. On peut se demander si cela suffira et si les triangles de signalisation actuels de l’Agence internationale de l’énergie atomique seront encore compris dans des milliers d’années. Des enquêtes ont montré que les enfants prennent plutôt le panneau signalant la présence de déchets radioactifs pour une hélice d’avion que pour un avertissement d’un danger mortel. Des têtes de mort peuvent aussi bien signaler un danger vital qu’être interprétées comme l’emblème du Parti des pirates. Les idées du groupe de recherche sont tellement saugrenues qu’elles semblent presque désespérées. C’est ainsi que le linguiste Thomas Sebeok a proposé de contourner le problème de la durée limitée des symboles en fondant un «clergé du nucléaire», une organisation dont la tâche serait de retransmettre aux générations suivantes le savoir et les avertissements concernant les déchets radioactifs. Le sémioticien Roland Posner suggère, quant à lui, un «Conseil de l’avenir», composé de députés démocratiquement élus chargés de la même tâche. Le philosophe Stanislas Lem voit la solution dans la culture d’une plante qui fleurirait en cas de radioactivité, un avertissement à nos descendants qui se reproduirait de lui-même. Les écrivains Françoise Bastide et Paolo Fabbri poursuivent une idée similaire avec des chats génétiquement adaptés à la radioactivité et dont la fourrure se colorerait en réaction au rayonnement. L’impossibilité de trouver un moyen efficace témoigne surtout d’une chose: l’énergie nucléaire est et reste une voie sans issue. Et nous sommes en plein dedans. Inga Laas est rédactrice en ligne et ingénieure en sciences de l’environnement, à mi-chemin entre digital native et digital immigrant. Rat de bibliothèque qui s’assume, elle habite avec sa famille sur le Zimmerberg, dans le canton de Zurich. Quand elle n’écrit pas pour Greenpeace, elle étudie la nature et l’environnement (de préférence sans ordinateur). Elle se ressource avec le jardinage, la lecture et le bricolage. Michael Raaflaub a achevé ses études de communication visuelle à Lucerne, où il se spécialise dans l’illustration. Depuis 2009, il travaille comme illustrateur indépendant. Il vit et dessine à Berne. www.mraaflaub.ch

La durée de sécurisation des déchets radioactifs dépend des directives nationales. En Suisse, les déchets faiblement ou moyennement radioactifs doivent être isolés durant 100 000 ans, et les déchets hautement radioactifs, tels que le combustible usé, un million d’années. Passé ce délai, la radioactivité des déchets doit être retombée au niveau de rayonnement naturel. Magazine Greenpeace No 3 — 2016

Pour le cas où les sites d’entreposage choisis s’avéreraient insuffisamment sûrs, la Suisse prévoit un temps de récupération de cinquante à cent ans, alors qu’il est de cinq cents ans en Allemagne. Ensuite, le lieu de stockage profond devra être définitivement scellé. Pour l’entrepôt de déchets militaires américain au NouveauMexique, un stockage sécurisé de

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10 000 ans est considéré comme suffisant. L’illustration de la page 54 montre comment l’entrepôt doit être protégé des intrusions humaines pendant tout ce temps au moyen de panneaux de mise en garde. Qu’en serait-il pour des périodes cent fois plus longues, comme celles qui ont été prévues pour les déchets hautement radioactifs en Suisse?


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Sémiologie nucléaire

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Dossier Texte: Mathias Schlegel

Un chantier interminable et une débâcle financière: la construction de l’EPR à Olkiluoto en Finlande.

EPR: l’avenir du nucléaire appartient au passé Une exploitation sûre et un courant électrique bon marché, telles étaient les exigences que devait remplir le réacteur européen à eau pressurisée (EPR). Vingt ans plus tard, les partenaires du projet se trouvent face à un véritable désastre. Pour autant que l’EPR produise un jour de l’électricité, celle-ci sera nettement plus onéreuse que celle provenant des énergies renouvelables. Magazine Greenpeace No 3 — 2016

Deux arguments principaux ont justifié le développement de l’EPR. D’abord, l’utilisation de nouvelles technologies était censée rendre l’installation résistante à presque tous les stress externes et garantir la sécurité de la population. Ensuite, le réacteur devait développer une puissance exceptionnelle de 1650 MW, près de cinq fois la puissance de la centrale de Mühleberg. Le projet devait aussi démontrer la capacité des géants européens du nucléaire (les français Areva et EDF, ainsi que l’allemand Siemens, qui s’est depuis retiré) à développer une filière de réacteurs rentables et exportables. La majorité des centrales nucléaires européennes sont en effet construites sur la base de brevets développés par des entreprises américaines. Depuis le lancement du projet en 1992, quatre pays se sont décidés à construire un EPR: la France, la Finlande, la Chine et la GrandeBretagne. Les chantiers français (Flamanville) et finlandais (Olkiluoto) accumulent d’importants retards: ils durent depuis près de dix ans maintenant, alors qu’ils étaient censés durer quatre ans et demi. Dans les deux cas, les

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© G R EENPEAC E / NIC K C O BBING

budgets ont plus que triplé, passant de 3 à 10,5 milliards d’euros. Malgré ces difficultés, EDF a réussi à vendre deux EPR à la Grande-Bretagne en 2012. Ces réacteurs doivent remplacer les deux tranches vieillissantes de Hinkley Point, dans le sudouest du pays. Ces deux centrales devaient initialement coûter 16 milliards d’euros et permettre la production de courant dès 2017. Or les coûts sont désormais estimés à 24 ou 26 milliards d’euros, pour une mise en service qui interviendrait au plus tôt en 2023. Garantie pendant trente-cinq ans Le principal argument des partisans du nucléaire était jusqu’à présent son prix, nettement moins élevé que celui des énergies renouvelables (soleil, bois, biomasse, vent, géothermie et chaleur ambiante). Dans le cas des EPR de Hinkley Point, cet argument n’est plus défendable. Car pour accepter d’investir plus de 24 milliards d’euros dans le projet, EDF a obtenu une garantie de l’État britannique. Celui-ci s’est engagé à payer pendant trente-cinq ans un prix fixe pour le courant obtenu. Or les prix de l’électricité éolienne devraient être plus avantageux ou tout du moins équivalents à ceux des EPR au moment de l’entrée en fonction des deux réacteurs de Hinkley Point! Les Britanniques subventionneront ainsi l’énergie nucléaire à hauteur de plusieurs milliards pendant des décennies. En France aussi, le soutien public au projet est un problème pour les contribuables, car EDF est détenue à 84% par l’État. Le groupe ne peut pas compter sur le soutien des banques, celles-ci étant aujourd’hui très réticentes à l’égard d’une technologie qui, en vingt ans, a vieilli mais n’a encore jamais fonctionné. Il n’est pas du tout certain qu’EDF puisse réunir le capital nécessaire à la construction des réacteurs en GrandeBretagne, notamment à cause de son très haut niveau d’endettement. Le cours de l’action a d’ailleurs chuté de 46% ces cinq dernières années, ce qui prouve combien les investisseurs craignent pour l’avenir de l’entreprise. Le directeur financier démissionne En mars 2016, Thomas Piquemal, directeur financier d’EDF, a démissionné de son poste en exprimant des doutes sur la capacité de l’enMagazine Greenpeace No 3 — 2016

treprise à financer le projet de Hinkley Point. Devant la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, en mai 2016, il a déclaré avoir examiné diverses options de financement, mais que celles-ci ont toutes été refusées. Constatant qu’il ne pouvait plus assurer la santé financière de l’entreprise, il a quitté ses fonctions. Lors de son intervention, Thomas Piquemal a posé une question intéressante aux parlementaires: «Qui parierait 60 à 70% de son patrimoine sur une technologie dont on ne sait toujours pas si elle fonctionne alors que ça fait dix ans qu’on essaie de la construire?» La réponse est claire: une entreprise privée ne prendrait jamais un tel risque. Les dirigeants d’EDF le font parce qu’ils bénéficient de la garantie de l’État: si le projet EPR échoue, c’est la population française qui assumera les conséquences financières de décisions téméraires. Compte tenu du désastre annoncé, plusieurs voix s’élèvent pour demander que les fonds publics soient systématiquement alloués à des technologies d’avenir, comme les énergies renouvelables et les mesures visant à accroître l’efficacité énergétique. Contrairement au nucléaire, la profitabilité des énergies renouvelables n’a cessé de croître ces vingt dernières années. Mathias Schlegel est responsable de la communication au sein du bureau genevois de Greenpeace.

Hinkley Point: le jeu de dupes se poursuit Le 28 juillet dernier, le conseil d’administration d’EDF a donné son feu vert pour le projet Hinkley Point, malgré la démission de l’un de ses administrateurs et l’opposition des syndicats. Ces derniers craignent que le projet conduise EDF à la faillite. Le lendemain, et à la surprise générale, Theresa May, nouvelle cheffe du gouvernement britannique, annonce suspendre sa décision pour plusieurs mois afin d’examiner tous les contours du projet. Selon plusieurs sources, c’est la participation à hauteur du tiers de l’investissement du géant chinois CGN qui pose problème. Le 14 septembre au soir, Theresa May a contacté François Hollande pour finalement apporter son soutien à ce projet controversé, en demandant toutefois de nouvelles conditions. Le feuilleton continue.

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III. 1


Essai photographique Photos: Dmitri Leltschuk Lauréat du Greenpeace Photo Award 2014

Des prairies polluées

Traditionnellement, les Komis de l’Ijma sont des éleveurs de rennes qui vivent dans le Grand Nord de la Russie. Leur mode de vie est menacé par l’industrie pétrolière. Durant deux semaines, le photographe Dmitri Leltschuk a suivi la famille Artejev dans ses migrations.


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III. 1: environ 15 000 Komis de l’Ijma vivent dans le nord de la Russie. Les bergers emmènent leurs troupeaux comptant des milliers de rennes jusqu’à la banquise sibérienne. Une région rude, glaciale. On dit que l’été y commence fin juin et se termine fin juillet.

III. 7: les géologues russes supposent que la toundra recèle jusqu’à dix milliards de barils de pétrole dans son sol. L’économie de la Russie dépend en grande partie des hydrocarbures. L’État russe investit donc des sommes pharaoniques dans ses projets d’extraction dans l’Arctique. Sur III. 2: les Komis de l’Ijma pratiquent des milliers de mètres carrés, les sociétés de forage doivent bienl’élevage des rennes depuis le XVIe siècle. Jadis, le cuir des anitôt entreprendre de nouvelles maux était envoyé à Saint-Péters- analyses sismologiques. bourg et même à Paris. III. 8: les ouvriers des groupes péIII. 3: les rennes sont une source de troliers laissent derrière eux revenus pour ces nomades, mais des montagnes de déchets et des aussi leur aliment de base. mares polluées dégageant une odeur pestilentielle. Dmitri Artejev collecte le bois utilisable d’une III. 4: parfois, les rennes servent aussi d’animal domestique. décharge abandonnée. Les Komis Comme ici le jeune Chorej dans font brûler leurs propres déchets. la tente d’Artejev. À leur départ, le site du campement doit donner l’impression que III. 5: le troupeau d’Artejev compte personne n’y a séjourné. C’est ce quelque 3000 rennes. Tous que les ancêtres leur ont appris. doivent être marqués et vaccinés. III. 9: les éleveurs nomades et les Les cornes sclérosées doivent défenseurs de l’environnement être sciées. Comme les animaux paissent en semi-liberté dans la signalent régulièrement les fuites toundra, il faut d’abord les capturer. de pipelines. III. 6: les yourtes à toit pointu des Komis s’appellent des chums. Ces nomades vivent pratiquement coupés du reste du monde. De temps à autre (avec un peu de chance, une fois par mois), un hélicoptère leur livre des denrées alimentaires – pommes de terre, nouilles, œufs, sucreries, farine – envoyées par des amis ou des proches. En échange, ils réexpédient de la viande de renne et du poisson.

Photo Award 2016 en partenariat avec

Daniel Beltrá, Amérique du Nord Jojakim Cortis et Adrian Sonderegger, EuropE Marizilda Cruppe, Amérique du Sud Lu Guang, Asie Robin Hammond, Océanie Mário Macilau, Afrique Gideon Mendel, Afrique Cristina de Middel et Bruno Morais, Europe Rafal Milach, Europe Karen Miranda Rivadeneira, Amérique du Sud Fabrice Monteiro, Afrique

III. 10: lorsque des membres de Greenpeace ont visité la région d’Oussinsk en 2014, ils ont, en deux semaines, repéré des fuites de pétrole dans 204 endroits. Là où le pétrole s’est infiltré dans le sol, aucune herbe ne repousse. Rien qu’en 2015, 150 rennes du troupeau d’Artejev ont péri parce qu’ils avaient bu des eaux contaminées. III. 11: le 3 avril 2014, 150 Komis d’Ijma se sont réunis et ont rédigé une résolution dans laquelle ils demandent l’arrêt immédiat de l’extraction pétrolière dans leur région. Ils interpellent le groupe pétrolier Lukoil-Komi pour comportement négligent, lui reprochant notamment des fuites de pipelines dissimulées et des consultations publiques qui n’ont jamais eu lieu. III. 12: la résistance fait bouger les choses. Les Komis de l’Ijma ont enregistré de petits succès: le chef de Lukoil-Komi doit démissionner. Le gaz qui se dégage lors de l’extraction ne doit plus être brûlé par inflammation. Il existe désormais des bourses universitaires pour les Komis qui souhaitent poursuivre leurs études.

Sélectionnez parmi onze projets photographiques celui que vous préférez. Le projet qui obtiendra le plus de suffrages remportera le Prix du public d’un montant de 10 000 euros et sera publié dans le magazine Greenpeace. Deux Prix du jury d’un montant de goes Global 10 000 euros chacun seront également décernés; les projets récompensés paraîtront dans le magazine GEO.

Photo Award

www.photo-award.org Magazine Greenpeace No 3 — 2016

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Libre-échange Texte: Anne Koch

Arbitrages privés Les accords prévoient des moyens d’actions en justice particuliers pour protéger les investissements des sociétés étrangères, c’est-à-dire des mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États. Une entreprise étrangère aurait ainsi la possibilité de poursuivre un État devant un tribunal arbitral ad hoc si elle estime que ses investissements sont entravés par des lois ou des ordonnances locales. De tels tribunaux existent déjà dans des centaines d’accords bilatéraux d’investissement. La véritable raison de maintes procédures d’arbitrage n’est toutefois pas de garantir la sécurité des investissements, mais de lutter contre des réglementations officielles qui dérangent.

TAFTA, TiSA & Cie: pour la transparence et le contrôle démocratique

Plusieurs accords commerciaux sont actuellement négociés, notamment entre l’Union européenne et les États-Unis. Ils se heurtent à une résistance massive des organisations de défense de l’environnement, des organisations de protection des consommateurs et des syndicats. S’ils entrent en vigueur, ces accords risquent de redéfinir complètement le commerce mondial et de vider de leur substance la démocratie, l’environnement et les normes sociales. L’objectif premier de ces accords est de développer le libre-échange et donc de supprimer les barrières douanières et autres restrictions commerciales. Les entreprises et les investisseurs doivent bénéficier d’un meilleur accès aux marchés étrangers. Cela n’est pas problématique en soi, mais les conditions et les mécanismes d’application prévus vont à l’encontre de nos principes démocratiques et des acquis dans le domaine de la protection des consommateurs, de l’environnement et des travailleurs.

Démantèlement de l’État de droit Dans le cas du partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP ou TAFTA) et de l’accord sur le commerce des services (TiSA), les accords pourraient être appliqués «provisoirement» sans l’autorisation des parlements. Par ailleurs, il n’est pas exclu qu’ils puissent être modifiés ultérieurement sans le consentement de ces derniers.

Coopération réglementaire Selon une telle logique, les différences en matière de normes environnementales et sociales, perçues comme des obstacles inutiles au commerce et aux investissements par les partenaires contractuels, doivent pouvoir être adaptées, même après la conclusion du contrat. Deux aspects sont particulièrement problématiques. Le premier est l’«harmonisation», à savoir l’alignement des normes européennes sur les normes américaines dans le cas du TAFTA. Des lobbyistes des multinationales et le gouverneOpacité et lobbying ment américain doivent bénéficier d’un droit de Les négociations se déroulent à huis clos, regard sur le processus législatif dans l’Union mais avec la participation active des lobbyistes européenne. Un nivellement par le bas est à de l’industrie. Cette situation, qui revient à craindre et l’introduction de normes plus rigoufaire passer les profits privés avant le bien public, reuses pourrait s’avérer impossible à l’avenir. est inadmissible dans des pays démocratiques. Le second est la «reconnaissance mutuelle» En rendant publiques plus de 200 pages du pro- de normes, qui pourrait empêcher des modes jet d’accord (TTIP leaks), Greenpeace a, pour de production plus respectueux de l’environnela première fois, divulgué les positions de ment et des droits sociaux. Les produits et les l’Union européenne et des États-Unis dans ces services correspondant aux normes américaines négociations. De nombreuses craintes concermoins contraignantes seraient autorisés en nant les risques et la portée de l’accord ont été Europe, où ils jouiraient d’un avantage concurconfirmées. rentiel évident. Magazine Greenpeace No 3 — 2016

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© G OR D ON WELTER S / G R EE N P EAC E

Les répercussions sur divers aspects de notre existence seraient différentes selon les accords. Le TiSA prévoit, par exemple, un principe de «neutralité technologique» en matière énergétique: si l’énergie solaire ou hydraulique est soutenue par l’État, les centrales nucléaires et au charbon auraient droit à un soutien équivalent. Les efforts visant à assurer la transition énergétique pourraient ainsi être réduits à néant. Le TAFTA saperait les acquis en matière d’agriculture écologique, de sécurité alimentaire et de législation sur les substances chimiques. Avec les deux accords, les services publics et les biens publics fondamentaux seraient gravement menacés par la pression de la concurrence et des privatisations.

Le service de presse de Greenpeace Pays-Bas a publié des documents jusqu’à présent confidentiels sur le TAFTA.

Greenpeace exige: VWe ` YaU[Sf[a`e fdS`ebSdW`fWe- g` Ua`fd ^W [`ef[fgf[a``W^^S egbbdWee[a` VWe fd[Tg`Sgj V»SdT[fdSYW privés; g`W bdafWUf[a` VWe efS`VSdVe eaU[Sgj Wf environnementaux; ^S bdafWUf[a` VWe eWdh[UWe bgT^[Ue

Anne Koch est responsable du domaine politique chez Greenpeace Suisse.

Ensemble contre TAFTA, TiSA & Cie En juin dernier, une vaste alliance nationale composée de syndicats, de partis politiques et d’ONG actives dans les domaines de l’environnement, des droits démocratiques et de la politique du développement a été créée en Suisse. Elle a pour mission de mettre en garde contre les dangers des accords de libre-échange. En ce qui concerne le TiSA, la Suisse, en tant que partenaire des Magazine Greenpeace No 3 — 2016

négociations, serait directement touchée par les résultats de l’accord. Pour le TAFTA ou l’accord économique et commercial global (CETA), elle pourrait être fortement tentée de les rejoindre ou de négocier des accords semblables avec les États-Unis et le Canada. L’alliance réclame donc une transparence totale sur l’état des négociations et leurs résultats. Elle demande aussi qu’une éventuelle participation de la Suisse à ces traités soit soumise au référendum obligatoire. Elle a exprimé ses re-

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vendications au moyen d’une pétition (à signer ici). Une manifestation contre TAFTA, TiSA & Cie ainsi que la remise de la pétition au président de la Confédération sont prévues le 8 octobre 2016. Vous trouverez de plus amples informations sur les domaines concernés par les accords de libre-échange dans notre magazine en ligne: www.greenpeace.ch/magazine


Brèves Save the arctic

Non toxique

Les fraises suisses, notre poison quotidien

© PE D RO AR MESTR E / G R EE N P EAC E

Dans le cadre de la campagne Sans poison, Greenpeace Suisse a trouvé des pesticides sur douze des treize échantillons de fraises de culture conventionnelle, et même vingt pesticides différents sur le site de production. Les échantillons bio étaient en revanche tous exempts de substances toxiques. Le résultat est explicite et, avec la population suisse, Greenpeace Huit millions de réclame que le commerce de détail Détox propose désormais des denrées voix pour la protection Air vicié chez alimentaires non toxiques. En de l’Arctique! Mammut & Cie Suisse, chaque année, 2000 tonnes de pesticides sont déversées sur En raison du réchauffement cliInfroissables, intachables, imper- les champs, le ballast des voies matique, le volume de la banquise méables. Les exigences requises ferrées, les parcs et les jardins pride l’Arctique durant la période pour les vêtements de plein air vés. Conséquences: des colonies estivale a diminué de 75% par rap- ne sont pas franchement modestes, d’abeilles meurent, les populations port aux années 1980. La dispales conséquences non plus. Des d’oiseaux et d’amphibiens dimirition des glaces est une aubaine produits chimiques perfluorés et nuent, la biodiversité s’appauvrit. pour les multinationales qui soupolyfluorés, lesdits PFC, leur Les rivières et les lacs sont pollués haitent effectuer des forages afin confèrent les propriétés souhaiet, finalement, ce cocktail toxique de découvrir de nouveaux gisetées. Or les PFC sont soupçonnés nous empoisonne. ments de pétrole. Or, après trois de perturber l’équilibre hormonal Chaque jour, nous absorbons à ans de planification, des déet la reproduction, voire de caupetites doses des substances cancépenses de sept milliards de dollars ser des cancers. Et ils ne sont pas rigènes qui ont des effets sur notre et pas un seul litre de pétrole probiodégradables. Greenpeace a enéquilibre hormonal et peuvent duit, Shell se retire enfin de l’Arcquêté sur ce que cela signifie pour causer des dommages à l’embryon. tique. De nombreux industriels de les clients et les collaborateurs Greenpeace Suisse, Pro Natura, la pêche montrent à leur tour de Mammut & Cie. Dans l’air amBirdLife Suisse et le WWF Suisse l’exemple et renoncent à exploiter biant des filiales de Mammut, exigent une politique moderne les ressources halieutiques prove- Vaude, Haglöfs et Norrøna, ils ont et respectueuse de l’environnenant d’eaux jusqu’à présent retrouvé des concentrations de ment. Le programme de réduction couvertes par la banquise. Il s’agit PFC jusqu’à 60 fois plus élevées des pesticides élaboré par Vision là d’un incroyable succès pour que dans des bureaux ou des salles Agriculture propose des solutions. des millions de protectrices et pro- de séminaires, et même jusqu’à tecteurs de l’Arctique dans le 1000 fois plus que dans l’air extémonde. Participez et rejoignez rieur. Il est pourtant possible de se vous aussi un mouvement déjà passer des produits chimiques: soutenu par plusieurs millions de la société Vaude a annoncé qu’elle personnes! allait renoncer aux PFC d’ici 2018. L’entreprise grisonne Rotauf s’engage elle aussi en faveur d’une production non toxique, de même que la firme Páramo. Magazine Greenpeace No 3 — 2016

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de dizaines de milliers de personnes et la destruction d’un esTout ce qui brille pace vital unique en son genre. n’est pas or L’intervention de la société civile internationale, qui s’est exprimée Plus d’une centaine de scientipar le biais de 1,2 million de voix, fiques ont demandé à Greena montré que la lutte contre les peace d’accepter le «riz doré» et géants de l’économie n’était pas d’autres denrées alimentaires vouée à l’échec. Cela nous conforte génétiquement modifiées, et de dans notre engagement en faSuccès cesser de s’opposer à un produit veur de la protection de l’Amazovisant à garantir la sécurité aliolympique pour nie. Outre sa biodiversité excepmentaire. Greenpeace ne bloque tionnelle, la forêt amazonienne est Greenpeace aucune initiative qui permeten effet le poumon vert de la platrait d’éradiquer la faim dans le et les Munduruku nète. À elle seule, elle peut commonde, car la solution prônée penser le passage beaucoup trop Avec le concours des Munduruku, lent – et qui n’a que trop tardé – par les scientifiques n’en est pas Greenpeace a mobilisé 1,2 million des énergies nuisibles à l’environune. Après vingt ans de développement, le «riz doré» n’est pas de voix dans le monde contre le nement à celles qui le respectent. encore mûr pour la commercialiprojet de barrage de São Luiz do Greenpeace avait érigé pensation, comme le reconnaît l’Inter- Tapajós en Amazonie, avec succès! dant quelques semaines une stanational Rice Research Institute. L’autorité compétente en mation dans l’un des villages concerUne étude de l’Université de tière d’environnement au Brésil, nés le long de la rivière Tapajós, Washington se demande en outre l’IBAMA, n’est plus disposée à ac- dans la forêt tropicale. Les milisi ce riz est capable de remédier corder les licences pour ce projet. tants de l’organisation avaient en au manque de vitamine A dans les C’est un succès marquant pour les outre manifesté partout dans le régions pauvres: jusqu’à présent, Munduruku. Depuis des années monde devant les entreprises qui on n’a pas réussi à éclaircir dans déjà, ce peuple autochtone se bat semblaient impliquées dans le proquelle mesure le bêta-carotène – au Brésil pour la reconnaissance jet de barrage, dont le groupe allenécessaire à la formation de vitade ses terres et contre le barrage. mand Siemens, qui devait livrer les Si le barrage n’est pas construit, turbines. Des entreprises suisses mine A et contenu dans le «riz la zone n’a pas été reconnue offidoré» – pouvait être absorbé et avaient participé au dernier projet ciellement comme une terre auvalorisé par un mode d’alimentade barrage, notamment GE Retochtone pour autant, et Greention traditionnel. Fin 2017, le newable Energy (Suisse), Andritz peace réclame que cette question moratoire sur la culture commerHydro AG à Kriens et Zurich Insuciale d’organismes génétiquesoit rapidement réglée. Le Brésil rance. ment modifiés arrive à échéance. doit revoir sa politique énergéGreenpeace salue la prolongation tique. Le barrage de Tapajós n’est proposée par le Conseil fédéral. que l’un des 43 barrages prévus. Un vrai désastre quand on sait qu’un seul d’entre eux peut submerger une surface de forêt tropicale de la taille d’une grande ville. Au lieu de développer les énergies renouvelables, comme l’éolien et le solaire, le gouvernement essaie de couvrir les besoins en énergie croissants du pays au moyen de la production hydroélectrique. Il est prêt à accepter le déplacement Succès

© RO G É R I O AS SI S / G R EENP EAC E

Riz doré

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© S A R A MEDINA RODR I G UEZ ( ESP )

À gagner: une affiche «Save the Arctic»

Cette affiche a été dessinée par la protectrice de l’Arctique Sara Medina (18 ans), originaire d’Espagne, qui a remporté le concours international d’affiches lancé par Greenpeace. Envoyez la solution jusqu’au 31 octobre 2016 par courriel à redaction@greenpeace.ch ou par voie postale à Greenpeace Suisse, rédaction magazine, mots fléchés écolos, case postale 9320, 8036 Zurich. La date du timbre postal ou de réception du courriel fait foi. La voie juridique est exclue. Il ne sera entretenu aucune correspondance. Balle qui touche le filet Âtre

Durée pendant laquelle une substance nucléaire perd la moitié de sa radioactivité

Abréviation de dépôt pour déchets hautement radioactifs Fleuve du Maroc Précéda l’UE

Refus de se soumettre Source d’énergie polluante

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Moor, Sumpf

Fleuve du Nord Parasite de l’abeille

Opposition à l’entrée en vigueur d’une loi

Perroquet En bordure des avenues

Col des Alpes

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Generalversammlung

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dän. Insel nördlich von Sylt

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langohriges Feld- und Wiesentier

politisch od. wirtschaftl. abhängig, unterdrückt

ehemaliger türk. Titel altröm. Kaiser

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Grenzfluss zwischen Bosnien u. Kroatien welscher Fachbereich (Abk.) TVSender Kartoffel(Abk.) püree (Kzw.)

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europ. Bank (Abk.) ehrenhalber (Abk.)

Drehpunkt der Erde Rennschlitten

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Abk. kostendeckende Einspeisevergütung die Zeitspanne, in der die Hälfte der Atome eines radioaktiven Stoffes zerfällt

Hauptstadt der Steiermark

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schweiz. Erzähler † Einwohner (Abk.)

Astrologe Wallensteins

Grüne Partei der Schweiz (Abk.)

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Gleit- und Schmiermittel

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franzöUS-Boxsischer legende, Name † 2016 von Basel

schmutziger Energieträger

Bruttosozialprodukt (Abk.)

mitteleurop. Zeit (Abk.)

deutsches Kartenspiel

Birne (frz.)

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chem. Z. f. Thulium Skigebiet im Wallis

Bett (französisch)

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keimfrei, aseptisch

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französischer Atomkonzern

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Succéda à la S.D.N.

Expertengruppe für bestimmte Aufgaben

Manière d'être

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Identification de la tonalité

Wann entscheidet dieses Jahr das CH-Stimmvolk über die Atomausstiegsinitiative?

Bord

Science qui s’intéresse à la signalétique des déchets nucléaires

Pierre d’un noir brillant

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Schneehütte der Inuit

Mannschaft

Minibus Il croît dans l’eau

Platzdeckchen

Osten (frz.) Fürwort

24 Nebenfluss der Aare

Initialen Einsteins

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