Mamoudzou - Dzaoudzi / Parole à la "Génération Département"

Page 1

MAMOUDZOU / DZAOUDZI PAROLE À LA «GÉNÉRATION DÉPARTEMENT»

ENSAG_2017/2018 ARCHITECTURE_VILLE_RESSOURCES Tatsiana SMYKOUSKAYA _ Gaëtane ECHE

TOME 1



MASTER «Architecture, Ville, Ressources» 2017-2018

MAMOUDZOU-DZAOUDZI TOME 1

Parole à la «Génération département»

Tatsiana SMYKOUSKAYA _ Gaëtane ECHE


SOMMAIRE INTRODUCTION

PARTIE I

ECHOS DEPUIS LA MÉTROPOLE: DUALITÉ D’UN TERRITOIRE CONTRAINT..........................................................................p.

8

1.1 DOM-TOM, LOIN DES YEUX ..............................................................................................................................p. 11 1.2 «UN PASSÉ QUI NE PASSE PAS».....................................................................................................................p. 13 . 1.3 MAYOTTE, «DE L’ÎLE AUX ENFANTS À LA POUDRIÈRE».......................................................................p. 14 1.4 GÉOGRAPHIE D’UNE ÎLE: RICHESSE ET FRAGILITÉ ..............................................................................p. 16 . 1.4.A TOPOGRAPHIE ET DÉVELOPPEMENT URBAIN

1.4.B LES RESSOURCES FRAGILES DU BIOTOPE 1.4.C PAYSAGE ANTHROPISÉ ET TENSION FONCIÈRE

1.5 UNE SITUATION URBAINE UNIQUE : MAMOUDZOU-DZAOUDZI ....................................................p. 22 1.5.A MAMOUDZOU ET SES PÉRIPHÉRIES : ZONE D’INFLUENCE ET INTERDÉPENDANCE 1.5.B LES DEUX TERRES


PARTIE II

LES ALLERS-RETOURS DE LA «GÉNÉRATION DÉPARTEMENT».............p. 28 2.1 LA « GÉNÉRATION DÉPARTEMENT » ?.........................................................................................................p. 30 2.2 UNE DÉMARCHE INSPIRANTE : ENQUÊTE «GÉNÉRATION WHAT ?!» ............................................p. 32 2.3 ENTRETIENS : VERS UNE ARCHÉOLOGIE DU QUOTIEN MAHORAIS...............................................p. 34 A : TRANSPORTS : LA MOBILITÉ INTER-INSULAIRE EN QUESTION......................................................................................p. 36 A.1. Récit de Camille A.2. Récit «transports et mobilité» : Clés de lecture A.3. L’embarcadère de la barge : entre plateforme multimodale et symbole paysager B : ATTRACTION ET APPROPRIATION : QUELS LIEUX POUR LES JEUNES DANS LA VILLE ?...............................................p. 44 B.1. Récit de Mathias B.2. Récit «attraction et appropriation» : Clés de lecture B.3. Les stades: un espace public sécurisé inattendu C : CONTRÔLE ET LAISSEZ-PASSER.......................................................................................................................................p. 52 C.1. Récit de Samirah C.2. Récit «contrôle et laissez-passer» : clés de lecture C.3. Les bidonvilles: la ville «brouillard» D : INDÉPENDANCE ET IDENTITÉ..........................................................................................................................................p. 60 D.1. Récit D.2. Récit «indépendance et identité» : clés de lecture D.3. Les bangas : rite de passage situé et construction de l’identité

CONCLUSION.....................................................................................................................................................................p. 69 BIBLIOGRAPHIE...............................................................................................................................................................p. 70 TABLE D’ILLUSTRATIONS............................................................................................................................................p. 72


6

fig.1: Une femme mahoraise devant un panneau d’interprÊtation


INTRODUCTION Le travail présenté dans ce mémoire a pour but de présenter un département français très peu (ou mal) connu : l’archipel de Mayotte et sa capitale Mamoudzou, à quelques 7842 km de Paris. Lorsqu’il nous a fallu choisir une ville d’étude pour notre diplôme, il nous a été demandé d’analyser une ville en décroissance ou en croissance. Mayotte est en la matière un territoire en croissance, en construction même. Devenue département français d’outre-mer en 2011, Mayotte est en pleine mutation, se cherchant une nouvelle identité, entre histoire coloniale, traditions locales et modernité importée. Car, finalement, que signifie devenir un territoire français aujourd’hui ?

Depuis la départementalisation, Mayotte fait face à de nombreux défis : immigration venue des Comores, autonomie face à l’importation, augmentation du niveau du vie, etc. Avec la départementalisation est venue la mise en place du système étatique métropolitain : tribunaux, impôts locaux, hôpitaux et école, principe de laïcité et services départementaux chargés de quadriller et de normaliser le territoire,... Tout à coup, il a fallu que Mayotte devienne « française » et se calque sur le modèle de développement français.

Ce premier tome de notre mémoire « Mamoudzou-Dzaoudzi, Parole à la Génération Département » a donc pour but de poser un regard attentif et sensible sur Mayotte et sa capitale, afin d’en saisir toutes les subtilités, audelà des problèmes médiatisés. Nous voulions comprendre les dynamiques à l’œuvre dans ce territoire en proie à des conflits intérieurs d’identité. Pour cela nous nous sommes tournées vers un interlocuteur inattendu : la jeunesse de Mayotte. Cette « Génération Département » nous a permis de rentrer dans le quotidien de l’île en nous décrivant sa vie, ses habitudes et ses envies, comme nous le verrons dans la deuxième partie du mémoire. Ce faisant, ils nous ont raconté leur île, à l’heure de ses grandes mutations.

7 Introduction

Les départements et régions d’Outre-Mer (les DROM, qu’on continue à tort d’appeler les DOM-TOM) ne sont pas des départements comme les autres par bien des aspects. La vision que nous en avons depuis la métropole ne représente en général pas la réalité de ces territoires, bien plus complexe que les clichés et les idées reçues que nous connaissons, issus pour la plupart du passé colonialiste français.

Les villes de l’île doivent faire de même et correspondre à la norme française, voire européenne puisque Mayotte fait désormais partie des Régions Ultra-périphériques de l’Union Européenne. En tant qu’architectes, une telle opportunité d’étudier une ville qui se transforme en profondeur nous a immédiatement fasciné. Néanmoins, cette fascination n’estelle pas elle-même issue de l’histoire de l’architecture coloniale, pensée et dessinée par les européens, mais très éloignée de la réalité et des problématiques du pays en question ?



I. ÉCHOS DEPUIS LA MÉTROPOLE : DUALITÉ D’UN TERRITOIRE CONTRAINT Dans un premier temps de notre recherche, nous avons approché Mayotte comme les métropolitaines que nous sommes. Quel écho nous parvient de Mayotte, à 7842 km de Paris ? Quelle image, sans doute déformée, nous est apparue lors de notre arpentage virtuel ? Entre paysage de cartes postales, crises sociales, et géographie insulaire que savons nous des ces « frères et sœurs », si lointains ?

fig.2: Vue de Petite Terre depuis Grand-Terre, Mayotte


N

France métropolitaine Saint-Pierre et-Miquelon Saint-Martin Saint-Barthelémy Clipperton

Guadeloupe Martinique Guyane Wallis-et-Futuna

Mayotte

Polynésie française

La Réunion

Nouvelle-Calédonie

fig.3: Carte de La France d’outre-mer

MAYOTTE

FRANCE MÉTROPOLITAINE

235 132 hab. 376 km²

0

5

10

25

50 km

64 513 242 hab. 551 500 km² 0 50 100

250

500 km

GUYANE

GUADELOUPE

COLONISATION

1503

1635

DEPARTEMENTALISATION

1946

1946

400 186 hab. 1 629 km²

MARTINIQUE

LA REUNION

MAYOTTE

1695

1710

1841

1946

1946

2011

383 806 hab. 1 128 km²

842 767 hab . 2 512 km²

POPULATION = 100 000 hab.

252 338 hab. 86 504 km²

fig.4: Schéma comparatif des DROM-COM français

235 132 hab. 376 km²


1.1 DOM-TOM, LOIN DES YEUX... zones urbaines les plus densément peuplées

Les DROM-COM représentent, avec 120 369 km², 17,9% du territoire français et 4% de la population française1. Malgré cela, la France d’Outre-Mer souffre d’un manque de représentativité2 en métropole et plus

généralement d’un manque d’intérêt de la part de la classe politique. La Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, la Réunion, et enfin Mayotte sont tous des départements d’outremer, pour la plupart devenus français durant le premier Empire colonial, au XVIIème siècle. C’est au cours du Second Empire colonial (XIXème – XXème siècle) que leur statut a peu à peu changé, entre colonie, protectorat, territoire d’outre-mer et enfin département d’outre-mer.

Devenue le cent-unième département français d’outre-mer en 2011, Mayotte est la petite dernière de cette France d’outre-mer. Depuis la départementalisation, elle connaît

la plus forte croissance démographique de France, avec un pic d’accroissement de 4,1% de la population (contre 0,4% en

France) en 2009, année du référendum pour la départementalisation. Aujourd’hui sa population est estimée à 256 518 habitants4, ce qui en fait

l’un des départements français d’outre aux 1  Source : wikipédia «outre-mer», URL : < https://fr.wikipedia. org/wiki/France_d%27outre-mer> 2 Source : Observatoire du journalisme<https://www.ojim.fr/ initiatives-diversite-medias-rien-pluralisme-idees/> 3  Ibid. 4  chiffre INSEE 2017

fig.5: Cartes postale des DOM-TOM français

IMAGE DE CARTES POSTALES En tant que français de métropole, il est parfois difficile de comprendre ce que peut représenter la vie dans un département d’outremer. Nous nourrissons donc notre imaginaire des informations qui nous parviennent amplifiées à l’extrême, si bien que l’image des Outre-mer

oscille entre un paysage de carte postale, une ouverture du journal de 20h sur une catastrophe naturelle ou encore des grévistes en colère.

Ces images d’îles paradisiaques et de cultures folkloriques sont sans doutes les plus fortes dans l’inconscient des français, soutenues par une communication des offices de tourisme et surtout par le passé colonial français. Dès le début du Premier Empire Colonial, les paysages et les ressources de ces petits bouts de terre découverts par de « courageux explorateurs » sont mis en valeur, présentés dans les expositions universelles et diffusés par le biais de cartes postales dignes de « Tintin au Congo ». 5  Ibid. 6  Article Slate.fr < http://www.slate.fr/story/108961/ mayotte-clandestins-expulsions>

11 Partie _1 ÉCHOS DEPUIS LA MÉTROPOLE : DUALITÉ D’UN TERRITOIRE CONTRAINT

Cette France d’Outre-Mer n’est pas soumise exactement aux mêmes règles et lois que les départements métropolitains. Des systèmes dérogatoires s’y appliquent en matière d’urbanisme, de fiscalité, de laïcité, d’économie et de droit social3 . Ces dérogations sont la conséquence des spécificités culturelles locales mais aussi des situations géographiques uniques de ces départements d’outre-mer : très éloignés (de 6732km à 9394km) de la métropole et situés dans des bassins géographiques bien particuliers, avec des voisins et alliés bien différents de ceux de la métropole.

(1 354 habitants/km² à Mamoudzou contre 673 habitants/km² à St Denis de la Réunion)5. Ce chiffre ne prend néanmoins pas en compte la population immigrée clandestine qui vit sur l’île, estimée à plus 100 000 personnes, ce qui représente plus de 40% de la population totale6.


1.2 « UN PASSÉ QUI NE PASSE PAS » Ce passé colonial et ses conséquences sur le territoire sont indissociables de l’histoire de Mayotte et en saisir toute l’importance est

indispensable pour comprendre la situation actuelle du département. Historiquement, l’île, ainsi que le reste des îles des Comores appartenaient à une lignée de sultans qui dirigeaient l’archipel depuis Petite Terre, à Mayotte. En 1841, le dernier sultan musulman vendit les îles aux colons français contre une protection face aux anglais et une certaine somme d’argent.

12

S’en suivirent plusieurs années d’exploitation du territoire afin d’en extraire ses richesses (essences pour parfums et sucre de cannes principalement), jusqu’en 1976, année durant laquelle, dans le contexte de décolonisation de l’Océan Indien, un référendum fut organisé dans l’archipel des Comores pour décider de l’avenir des îles. Toutes les îles (Anjouan, Grande Comores et Mohéli) votèrent pour leur indépendance exceptée Mayotte, qui décida de rester française. Cette fracture est au fondement de l’appartenance à l’identité française à Mayotte et mena à la situation actuelle de déséquilibre dans le Canal du Mozambique, entre Mayotte, française et développée, et ses voisins, beaucoup plus instables.

1946 - TOM des Comores

1961 - Statut d’autonomie interne Comores

Charles de Gaulle 1959-1969

Il fallu plusieurs années et la venue de nombreux présidents français pour que Mayotte obtienne le statut qu’elle appelait de ses souhaits dès 1976 : être un département français à part entière et rompre définitivement avec les autres îles des Comores. En effet, l’État Français a mis longtemps à se décider sur le sort de l’île, dont le retard par rapport aux restes des DOM augurait de nombreuses difficultés pour son intégration – ce qui n’a pas manqué d’être confirmé par la suite. Ce rapport très conflictuel avec ses anciennes sœurs de l’archipel, ainsi que la continuité de la colonisation avec la départementalisation a fondé un aspect contradictoire dans l’identité mahoraise : Mayotte a subi la colonisation et l’esclavagisme mais elle a décidé d’intégrer cette histoire violente afin d’obtenir le statut de département et trouver une forme d’indépendance face aux Comores. Il n’y a donc pas eu de catharsis de ce passé qui est peu à peu devenu un tabou sur l’île1.

1DRAC Mayotte, «Architecture Mahoraise», juillet 2016

1974 - Référendum 1976 - Veto 1976 - Second référendum pour l’indépendance ONU - contre le - Mayotte française rattachement de Mayotte aux Comores

Georges Pompidou 1969-1974

Valéry Giscard d’Estaing 1974-1981

François Mitterrand 1981-1995


Comores Mayotte

Comores

Mayotte, France Madagascar

La Réunion

18e siècle

Mozambique

Comores

Madagascar

Mayotte

Canal du Mozambique Madagascar ARCHIPEL DES COMORES

La Réunion

19e siècle Comores

Grande Comore

Mayotte

Mohéli

Madagascar

Mayotte

La Réunion

1972 - 2018 fig. 6, 7: Situation géographique de Mayotte dans le Canal du Mozambique et dans l’archipel des Comores

2000 - Centre d’écoute militaire à Mayotte

Jacques Chirac 1995-2007

2008 - Référendum pour la départementalisation

Nicolas Sarkozy 2007-2012

31 mars 2011 Départementalisation

fig. 8: Chronologie des changements de pouvoir dans le canal du Mozambique

2014 Région ultrapériphérique européenne

François Hollande 2012-2017

Emmanuel Macron 2017-

fig. 9: Le pouvoir français, représenté par les présidents, de plus en plus proche du peuple mahorais ?

Partie _1 ÉCHOS DEPUIS LA MÉTROPOLE : DUALITÉ D’UN TERRITOIRE CONTRAINT

Anjouan

13


14

fig.10: Différents titres des journaux décrivant les problèmes actuels de Mayotte : une forme de catastrophisme

1.3 MAYOTTE, «DE L’ÎLE AUX ENFANTS À LA POUDRIÈRE» En métropole, Mayotte souffre de son image d’île violente et pauvre. Cet « enfer au

paradis »1 connaît en effet des problèmes sociaux importants, pour la plupart dus à sa départementalisation précipitée. Ces

phénomènes, extrêmement présents dans les médias métropolitains, sont les conséquences de l’histoire post-coloniale de l’île. Mayotte est le département avec le PIB par habitant le plus bas de France, Outre-mer 1 Titre d’une émission de «Faites entrée l’accusé», en février 2016. Source : < https://www.youtube.com/channel/ UCXUSLU65KYElvyrrbQA1KIw>

et Métropole confondu, avec 7 940 euros par habitants mahorais contre 32 362 euros par habitants métropolitains2. Pourtant le niveau de vie mahorais a considérablement augmenté depuis la départementalisation (+14% en 7 ans)3, permettant aux ménages de se développer et de créer une classe moyenne mahoraise. Mayotte est cependant beaucoup plus riche que ses voisins. Le PIB par habitant est 13 fois

plus important que celui des Comores et 23 fois supérieur à celui de Madagascar4. 2 INSEE Analyses n°7, Février 2015 3 Ibid. 4 Ibid.


Ce déséquilibre de mode de vie ont créé un phénomène migratoire extrêmement important : plus de 40% de la population de l’île est immigrée clandestinement, soit environs 92 000 personnes, principalement en provenance des autres îles des Comores. La pression migratoire

est très présente dans la société, accentuant la tension entre Mayotte et ses anciennes sœurs. La police française tente d’endiguer le

problème en patrouillant dans le lagon, mais les kwassa-kwassa, des bateaux de fortunes, continuent de s’échouer chaque jour sur les plages de l’île, ramenant principalement des femmes et des enfants. Les jeunes immigrés,

fig. 11: Population mahoraise et croissance démographique

de 0 à 25 ans, représentent d’ailleurs plus de 65% de la population dans cette tranche d’âge1.

La jeunesse de Mayotte est un autre sujet d’actualité dans nos médias métropolitains. Alors que la France connaît un accroissement démographique très faible (0,4% en 2017),

du à la natalité et +0,8% au solde migratoire2. Là où la France est un pays vieillissant, Mayotte est un pays extrêmement jeune, 46% de sa population a entre 0 et 14 ans.

Cette démographie importante s’explique par l’augmentation du niveau de vie, l’amélioration des conditions médicales de l’île, la culture de l’île mais aussi par le nombre important de femmes comoriennes venants accoucher à Mayotte en espérant que leur enfant obtiendront la nationalité française. Cette jeunesse de l’île, qui pourrait être perçue comme une chance et une ressource pour son développement, est regardé avec inquiétude depuis la métropole. L’ « île aux

enfants » est devenue une « poudrière »3, où les jeunes clandestins, isolés, tombent souvent 1 INSEE Première n°1148, Février 2014 2 Ibid. 3 N. Appanah, «Mayotte, de l’île aux enfants à la poudrière», article en ligne du 05/07/2016, < http://www.liberation.fr/ debats/2016/07/05/mayotte-de-l-ile-aux-enfants-a-la-poudriere_1464214>

fig. 12: Évolutions du confort des logements au cours du temps

dans la délinquance comme dernière source de revenu. Un climat d’insécurité règne sur l’île, entrecoupé de grèves et parfois d’émeutes.

Face au développement à marche forcée instauré par la France, l’immigration massive et l’augmentation du niveau de vie, les villes de l’île sont saturées. Les mahorais quittent la « brousse » pour s’installer dans des maisons en dur qui poussent à grande vitesse dans les périphéries des villages qui, du jour au lendemain, sont devenus des villes. Ces zones urbaines ne ressemblent bien sûr pas aux villes françaises que nous connaissons et les bidonvilles ne cessent de croître dans les hauteurs des villes. Ce type d’habitat spontané, principalement occupé par les migrants clandestins, est un enjeu urbain majeur pour Mayotte, qui n’arrive pas à construire assez de logements pour sa population en augmentation constante.

15 Partie _1 ÉCHOS DEPUIS LA MÉTROPOLE : DUALITÉ D’UN TERRITOIRE CONTRAINT

Mayotte est le département français à la croissance démographique la plus importante : plus de 3,8% en 2016, dont +3%


N

ARCHIPEL DES COMORES

R E CI F D U N O R D

Grande Comore Anjouan G

L'îlot Mtsamboro

R

Mohéli A

N

R

E

C

I

F

D

U

N

O

R

D

E

V E S E R R E

Mont Mtsapéré 572m

S

T

plaine de Kawéni

GRAND TERRE

PETITE TERRE

Mont Combani 477m

N A T U R E L L E

16

Mayotte

D

L'îlot Mbouzi

plaine de Dembeni R E CI F P A M A N D Z I

RECIF HAJANGOUA

Mont Bénara 600m

D U

L'îlot Bandrélé

R E CI F B A N D R E L E

plaine de Chirongui

O N L A G

G

R E CI F B A M B O

Mont Choungui 594m

L'Îlot de Sable Blanc RECIF DU SABLE BLANC

R

A

N

D R

E

C

S

I

F

D

D

U S

0

1

5

R E C I F S A Z IL E I

10 km

U

C R E D G

R A

N

U

D

U

I F

D

fig. 13: Carte physique de Mayotte


1.4. GÉOGRAPHIE D’UNE ÎLE: RICHESSE ET FRAGILITÉ 1.4. A. TOPOGRAPHIE ET DÉVELOPPEMENT URBAIN Le département Mayotte, de par sa situation géographique dans le canal du Mozambique qui sépare l’île de Madagascar de la partie sud-est de l’Afrique, appartient à un système économique, écologique et politique situé. Ce couloir maritime est un lieu de passage privilégié autant pour la faune migratoire que pour les bateaux et les pétroliers. Elle fait géographiquement partie intégrante de l’Archipel des Comores (Anjouan, Grande Comore et Mohéli) même si dans les faits, elle en est juridiquement séparée. Les quatre îles forment une chaine volcanique, dont Mayotte est la partie la plus ancienne.

La double barrière de corail, formée par l’ancien volcan de l’île, délimite un espace aquatique protégé autour de l’archipel. C’est un des plus grands lagons du monde, de plus de 1 100 km², renfermant un biotope riche et

Ce lagon protégé permet une urbanisation dense le long des côtes. A l’inverse l’espace central de l’île est très peu urbanisé du fait du relief montagneux, avec les points culminants du Mont Bénara ou Mavingoni (660 m), Mont Choungui (594 m), Mont Mtsapéré (572 m) et Mont Combani (477 m). Le territoire est sculpté par l’érosion, découpant le sol par des pentes abruptes : 63% de la surface de Grande Terre se caractérisent par des pentes supérieures à 15% et/ou se situant à une altitude supérieure à 300 m. L’absence de construction en hauteur est également expliquée par la grande fragilité des sols, principalement des roches basaltiques et des sols argileux. L’île est inégale dans son relief, la partie Sud étant plus accessible que la partie Nord Ouest. Les quelques espaces plat se retrouvent dans la mince bande littorale : la plaine de Dembeni, la plaine de Chirongui et la plaine de Kaweni. Ce sont les espaces les plus propices à l’urbanisation.

fig. 14: Vue sur la baie de Bouéni

17 Partie _1 ÉCHOS DEPUIS LA MÉTROPOLE : DUALITÉ D’UN TERRITOIRE CONTRAINT

Le territoire de Mayotte, pour une surface totale de 376 km2 est constitué principalement de deux îles, Grande-Terre (363 km2) et PetiteTerre (11 km2) ; ainsi que de nombreux îlots. Les deux premières îles sont habitées de manière permanente, tandis que les autres îlots accueillent plutôt la faune locale et constituent un refuge pour les migrants illégaux venant des Comores.

rare, favorable à l’établissement humain dans l’Océan Indien. On y trouve une grande diversité de faune aquatique, la barrière de corail la protègeant des courants marins et des espèces prédatrices.


1.4. B. LES RESSOURCES FRAGILES DU BIOTOPE L’île de Mayotte est un territoire très dépendant économiquement de la métropole en matière d’importation de matières premières. Cette dépendance rend le territoire

sensible au contexte économique français ainsi qu’au délai de transport ente la métropole et l’île (15h d’avion et plus de 10 jours de transport maritime). Pourtant l’île a un grand potentiel d’autonomie, grâce à la richesse et la diversité de ses ressources locales, qu’il conviendrait de gérer durablement.

Le sol volcanique fertile de Mayotte engendre une végétation riche, accueillant les espèces de flore singulière comme l’ylang-ylang, la vanille, les épices, et la canne à sucre. Cette abondance fait pourtant face à la surexploitation du territoire pour ses produits de luxe destinés à l’exportation: l’agro-forêts supplante les forêts sauvages originelles et augmente le risque d’érosion. La direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DAAF) de Mayotte considère que près de 30 hectars de forêt disparaissent chaque année en toute illégalité, pour l’essentiel au profit de l’agriculture1. 1 Source : <https://www.mayotte-tourisme.com/mangroves-de-

FORÊTS PRIMAIRES

FORÊTS AGRICOLES

fig. 15: Coupe paysagère du lagon de Grande-Terre

BIDONVILLE

VILLE

MANGROVES


Le biotope du lagon crée des conditions favorables pour le développement de l’aquaculture, le deuxième type d’activité économique traditionnelle après l’agriculture. Néanmoins le réchauffement climatique, la montée des eaux (+4 cm tous les ans1) ainsi que la grande croissance de la population mettent également en danger cette réserve naturelle.

mayotte-letat-lieux-de-lonf/> 1 Source : Anne Perzo-Lafond , «Montée des eaux : Mayotte touchée par le changement de climat» Le journal de Mayotte, article du 30/11/2015.

Ces richesses naturelles remarquables de Mayotte pourraient constituer un véritable point de départ d’une stratégie de développement durable pour l’île, comme

le suggère la Chambre du Commerce et de l’Industrie mahoraise2 . Toutefois ce tte stratégie s’avère limitée par le relief contraignant et la fragilité de ses ressources, aggravée par un développement très rapide de l’île3, ainsi que par les effets du réchauffement climatique4. Source : Accord cadre de l’ADEME et la CCI en matière de développement durable, site internet de la CCI, consulté le 16/01/2018. 3 Ibid. 4 Ibid 2

19 BARRIÈRE DE CORAIL

OCÉAN INDIEN CANAL MOZAMBIQUE

Partie _1 ÉCHOS DEPUIS LA MÉTROPOLE : DUALITÉ D’UN TERRITOIRE CONTRAINT

LAGON


1.4.C. PAYSAGE ANTHROPISÉ ET TENSION FONCIÈRE Toutes ces contraintes de sol et de climat conditionnent l’appropriation du territoire de l’île. Du fait de la topographie complexe de l’île, les zones planes ont été les premiers lieux d’implantation des villages, en général proche de la baie ou d’une source d’eau potable.

fig. 16: Quartier Cavani, coté est de Grande-Terre

Le quart nord-est de l’île, de Longoni à Mamoudzou, est particulièrement marqué par l’établissement humain, contrairement au reste de l’île relativement peu peuplé (

682 hab./km², comparée à Mamoudzou qui a une densité urbaine de 1689 hab./km²)1. Du fait de l’urbanisation croissante, due l’exode rurale et à la croissance démographique, les pentes sont davantage «colonisées», transformant radicalement le paysage. On

20

fig. 17: Ville Passamainty, coté est de Grande-Terre

y trouve surtout des habitations précaires qui ne respectent pas les codes de construction imposée par le PLU et qui sont donc très fragiles au mouvement du sol et à son érosion 2. La situation est telle que l’Etat envisage d’enseigner aux jeunes élèves les règles principales de construction et de sécurité pour modifier ces pratiques3. Si l’extension urbaine progresse au rythme actuel de 175 ha par an4 , il ne restera, d’ici 2040, que 52 km² d’espaces encore « urbanisables », soit environ 13 % de la surface totale de l’archipel (cf. Carte bas de

page). Mayotte connaît en effet depuis son intégration dans les COM d’Outre-mer en 1976 une

véritable crise du foncier constructible, aggravée par une grande croissance urbaine. 1 Conseil départemental de Mayotte, «Schéma d’Aménagement Régional de Mayotte. », octobre 2012 2  « Glissement de terrain à Koungou, récupération pour tous et responsabilité pour personne ?» , Le journal de Mayotte, article du 15 janvier 2018. 3  Document de ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, « plans d’action pour le développement urbain durable à Mayottte », mars 2015 4  source : SAR

fig. 18: Agglomération de Kawéni, coté est de Grande-Terre

Depuis 2007, l’île a connu une croissance démographique de plus de 3,8%, faisant passer sa population de 186 452 à 256 518 habitants, donc plus de 75% vivent dans l’une des 4 plus grandes zones urbanisées de l’île5. On comprend donc que le peu de foncier constructible sur l’île, du fait du relief, soit devenu une ressource rare et convoitée du territoire mahorais. Cette crise du foncier disponible a pour conséquence une augmentation du prix des terrains à construire6, et donc une crise du logement sur toute l’île. 5  «Démographie de Mayotte», source wikipédia, consulté le 16/01/2018

6 source : SAR


N

14 % du territoire encore disponible 52,15 km²

2040 (estimation) - 26 % : +/-100 km²

2025 - 19 % : 72 km² 2008 - 8,5 % : 32 km² 2004 - 6 % : 25 km²

21 Partie _1 ÉCHOS DEPUIS LA MÉTROPOLE : DUALITÉ D’UN TERRITOIRE CONTRAINT

60 % : 225,6 km² Part du territoire dificillement constructible. (+15 % de pente)

0 1 fig. 19: Carte de la consommation de l’espace à Mayotte

5

10 km


N

Koungou

Majicavo Koropa

Majicavo Lamir

Agglomération de Mamoudzou

Kawéni

71 437 hab. 42,3 km² Croissance de la population urbaine + 4,5 %

Mamoudzou

Cavani Vahibé M’Tsapere

Doujani

Passamaintu

Tsountzou 1 Tsountzou 2


1.5 UN CENTRE ET SES PÉRIPHÉRIES: LE CAS PETITE TERRE/GRANDE TERRE Dans notre analyse nous nous sommes intéressées au principal pôle d’urbanisation de Mayotte, au Nord-Est de l’île. Ce pôle est constitué de deux entités urbaines majeures: Mamoudzou et Dzaoudzi. Un dialogue se met en place entre ces deux villes jumelles, l’une sur le Grande-Terre et l’autre sur Petite-Terre. D’un coté, la capitale Mamoudzou, évoluant à grande vitesse, en manque d’équipements, de logements, d’infrastructures mais toujours la ville la plus attractive de Mayotte du fait de son monopole économique; et, de l’autre coté, Dzaoudzi, chef-

lieu historique et porte d’entrée sur l’île grâce à l’aéroport. Ces deux villes forment, avec leurs périphéries, une zone urbaine unique séparée par le lagon qui connaît un densification urbaine intense. Nous percevons la dualité de ces deux villes en terme de relations, d’échanges et d’allers-retours. Il s’agit d’un jeu de balance dans une île marquée par les déséquilibres des différents pouvoirs qui l’ont colonisée au fil du temps.

Agglomération de Dzaoudzi 24 203 hab. 10,9 km² Croissance de la population urbaine + 3,5 % Labattoir

Dzaoudzi

Pamandzi

0

500

1000 m

fig. 20: Carte des agglomérations Mamoudzou et Dzaoudzi


N

24

0

1

5 km

fig. 21: Le rĂŠseau des agglomĂŠrations mahoraises


1.5. A. MAMOUDZOU ET SES PÉRIPHÉRIES : ZONE D’INFLUENCE ET INTERDÉPENDANCE L’urbanisation de Mayotte est caractérisée par la distribution inégale de la population sur le territoire avec une concentration de population sur la bande nord-est

(approximativement 121 428 habitants, soit 47% de la population totale de l’île et 62% de la population urbaine totale). Ce phénomène, déjà présent dès le XXème siècle, a été accentué par la départementalisation.. Les mahorais, traditionnellement attachés à leur mode de vie familier dans les villages, ont peu à peu changé de modes de vie et se sont rapprochés des villes et grandes zones urbaines, qui concentrent la majorité des emplois et des services, apparus avec la départementalisation. Cette concentration

autour du noyau économique et culturel de Mamoudzou crée un déséquilibre Est/Ouest sur l’île.

Cette zone urbaine de 42,3 km² représente plus de 11% du territoire de Mayotte.

Petite Terre, l’autre grande île habitée de l’archipel, avec ses 24 203 habitants, vit

aujourd’hui dans l’attraction de Mamoudzou et se développe comme une de ses zones périphériques, bien que Dzaoudzi porte toujours

le statut juridique de chef-lieu de Mayotte, hérité de la période coloniale. En effet, la situation est très déséquilibrée entre les deux capitales, Mamoudzou, capitale de facto et Dzaoudzi, capitale de jure. C’est cette situation que

nous voulons étudier, cette dualité, que nous tenterons de remettre dans son contexte politique, historique et économique.

Mamoudzou Grande Terre

Petite Terre Dzaoudzi fig. 22: Vue aérienne de Dzaoudzi sur Mamoudzou

25 Partie _1 ÉCHOS DEPUIS LA MÉTROPOLE : DUALITÉ D’UN TERRITOIRE CONTRAINT

Aujourd’hui l’agglomération de Mamoudzou est le principal pôle urbain de l’île, accueillant de plus et plus d’habitants (+ 3,8% en 2016) (source Insee). L’agglomération est composée de Mamoudzou Ville ainsi que de sept

villages : Cavani, Kawéni (activités industrielles et zone commerciale), Mtsapéré, Passamaïnty, Vahibé, Tsoundzou I et Tsoundzou II. La zone urbaine continue s’étend également au delà de ses limites administratives, avec les villes au nord, Koungou et Majivaco, ainsi que celles se situant sur Petite-Terre, Dzaoudzi, Pamandzi et Labattoir.


Grande Terre

Petite Terre

1 350 hab./km2 650 hab./km2

$$$$ $$$$$$$$ salaire médian :

587 euros

188 422 habitants

26

- Préfecture, Conseil Régional, Maison de Région - CHM - Ecoles, Collèges, Lycées - Commerces et services - Port de Mamoudzou et de Longoni

salaire médian :

1230 euros

24 410 habitants

- Aéroport de Mayotte - Section des Légionnaires de l’Armée - Central thermique des Badamiers - Carrière de Labattoire fig. 23 Schéma comparatif ente Mamoudzou et Dzaoudzi

1.5. B. LES DEUX TERRES L’inégalité entre Mamoudzou et Dzaoudzi est dans un premier lieu économique. Malgré

le fait que Mamoudzou-ville concentre la majorité des emplois de la zone urbaine (50% des emplois de l’île, publics et privés confondus, se trouvent dans la capitale), avec la présence de grandes institutions françaises comme la Préfecture, le Conseil général, la D.D.E., les banques ainsi que la seule zone commerciale et industrielle de l’île (Kawéni), le salaire moyen

des habitants de Dzaoudzi est deux fois supérieur au salaire moyen à Mamoudzou

(1230 euros contre 587 euros). Cela s’explique par une ségrégation spatial issue de l’histoire de Mayotte. Dzaoudzi est historiquement un lieu d’implantation des colons français, qui y ont donc développé un tissu

urbain et une architecture plus occidentalisée.

C’est donc le lieu d’implantation favori des européens venant s’installer sur l’île, qui habitent dans de l’habitat pavillonnaire bien éloigné de l’habitat traditionnel mahorais dense ou des bidonvilles de Grande-Terre. Ces européens, que les mahorais appellent sans animosité « mzungus » (ce qui signifie « le blanc étranger »), sont pour la plupart fonctionnaires ou dans des postes stratégiques, ce qui explique la différence de salaire entre Petite et Grande-Terre. Les deux villes, aussi différentes soient elles, font néanmoins partie d’un même système et ont besoin l’une de l’autre pour se développer, dans le contexte contraint de l’île.


Dzaoudzi, Petite Terre

fig. 24 Tissu pavillonnaire, de 1967 à aujourd’hui

Mamoudzou, Grande Terre

27

fig. 26 Tissus traditionnel mahorais, de 1800 à 2011

fig. 27 Habitat informel/bidonville 1987- aujourd’hui

Partie _1 ÉCHOS DEPUIS LA MÉTROPOLE : DUALITÉ D’UN TERRITOIRE CONTRAINT

fig. 25 Zones industrielles/commerciales, de 1980 à aujourd’hui



II. LES ALLERS-RETOURS DE LA « GÉNÉRATION DÉPARTEMENT » Nous comprenons désormais Mayotte de notre point de vue métropolitain, à partir de notre arpentage à distance. Nous le comprenons comme un territoire aux multiples contraintes, celle de son territoire, de son climat et de ses ressources mais aussi celle de l’image négative dont elle souffre, venue de problèmes sociaux profonds. Néanmoins, nous ne connaissons pas Mayotte intimement, nous ne comprenons pas la vie qui peut se dérouler dans sa capitale, Mamoudzou. Nous voulons nous plonger dans l’ambiance de la ville, de son quotidien, et pour cela nous avons cherché des guides : les jeunes mahorais.

fig. 28 Petite fille mahoraise


2.1 LA «GÉNÉRATION DÉPARTEMENT» Comme nous l’avons vu dans la première partie,

Mayotte est un département particulièrement jeune : 60% de sa population a moins de 25 ans. Un mahorais sur deux à moins de 17

ans tandis que six mahorais sur dix ont moins de 25 ans. La jeunesse du département est bien sûr un enjeu pour le développement ainsi que pour l’Éducation Nationale : l’INSEE estime qu’il faudrait construire une classe par jour afin d’accueillir tous les enfants à l’école. Elle est également une chance pour le département et la France : grâce à l’augmentation du niveau de vie et le recul de l’illettrisme, les jeunes sont le futur pour Mayotte.

Cette jeunesse est un incroyable témoin des changements majeurs qu’a connu l’île depuis le début du XXIème siècle : de collectivité

30

territoriale d’outre-mer, elle est devenue département français d’outre-mer en 2011 et région ultra-périphérique européenne en 2014.

Les jeunes mahorais nés entre 1993 et 2011 ont donc connu l’avant/après de la départementalisation, ils ont vu leurs parents

manifester pour que l’île fasse vraiment partie de la France d’outre-mer : ils sont le symbole

de la dualité de l’île, à la fois mahoraise et française. C’est cette jeunesse que les mahorais appellent communément la « Génération Département ». Bien que sept personnes sur

dix soient sans diplôme qualifiant sur l’île (toutes générations confondues), les jeunes mahorais ont parfois la chance de partir vivre et étudier en métropole (ou à La Réunion) : 11 % des moins de 25 ans sont partis en 2014. C’est donc une génération qui porte un regard bien particulier sur son île : à la fois intime et distancié, ils sont des interlocuteurs précieux pour qui veut comprendre l’île dans ses enjeux et ses potentiels. Malgré cela, les jeunes de Mayotte

sont très rarement mis en avant ou interrogés par les politiques publiques qui pourraient pourtant en tirer des leçons intéressantes.

fig. 29 Part des jeunes dans la popuation


Fig. 32 Jeunes enfants mahorais dans la rue

31 Partie _2 LES ALLERS-RETOURS DE LA «GÉNÉRATION DÉPARTEMENT»

fig. 33 Les jeunes mahorais suivent des cours de littérature au collège


2.2 UNE DÉMARCHE INSPIRANTE : LA «GÉNÉRATION WHAT ?!» Nous avons grandement été inspirées par une démarche similaire, bien qu’à une plus grande échelle, celle de « Génération What ?! » d’Outremer, produit par France Télévision. « Génération What ?! » est « un (auto) portrait des 18-34 ans d’aujourd’hui dans les Outre-mer. Nous avons choisi de nous concentrer sur leurs valeurs, leurs espoirs, leurs craintes. Leurs positions sur les grands sujets de société. Loin des clichés habituels ou des formes réductrices »1.

32

Ce type de discussion, de questionnement d’un groupe sur leur envie et leur avenir nous paraît paraissait particulièrement bien adapté à l’étude de Mamoudzou, vue par ses principaux usagers : les jeunes. Tandis que l’enquête Génération What ?! se concentrait sur des questions d’ordre culturel ou de modes de vie, nous avons souhaité nous inspirer de cette démarche pour interroger les jeunes de Mayotte sur leur territoire et leur ville.

On découvre ainsi sur leur site internet les résultats de l’enqûete sous forme de graphisme mais aussi sous forme de vidéo, où des jeunes répondent face caméra aux questions. Après les titres de journaux catastrophistes et les chiffres effrayants, ces témoignages francs, ni naïfs ni dramatiques, nous ont fait découvrir un visage inconnu des DOM-TOM et de Mayotte : celui de sa jeunesse.

1 «A propos de Génération What ?!», site internet de l’enquête.

fig. 34: Capture d’écran des vidéos témoignages de la «Génération What ?!» dans les DOM-TOM


33 Partie _2 LES ALLERS-RETOURS DE LA «GÉNÉRATION DÉPARTEMENT» fig. 35:Questions et réponses de la grande enquête «Génération What ?! Mayotte»


2.3 ENTRETIENS : VERS UNE ARCHÉOLOGIE DU QUOTIDIEN MAHORAIS Nous avons donc décidé de nous tourner vers la « Génération Département » pour nous emmener à distance jusqu’au cœur de Mayotte. Il nous a été très facile de trouver

plusieurs personnes ressources que nous avons interrogé par la suite : cette « Génération Département » est aussi, comme nous, la génération des « Millenials », connectée en permanence aux réseaux sociaux, au delà des frontières.

34

Nous avons donc fait un appel sur les réseaux et retenu cinq interlocuteurs. Ces jeunes adultes ont entre 21 et 26 ans, ils connaissent tous bien Mayotte mais ne sont pas tous originaires de l’île. Ils ont par contre tous vécu un temps en métropole pour leurs études. Ils ont tous vécu dans la zone urbaine de Mamoudzou-Dzaoudzi et en connaissent les dynamiques, d’autant plus que quatre des cinq jeunes ont suivi des études d’architecture. Ce sont donc des jeunes de la classe moyenne voire supérieure. Nos entretiens ont pris la forme de discussions guidées par des thèmes (voir annexe), thèmes que nous avons affiné au fur et à mesure et que nous avons présenté par la suite. Le but

de ces entretiens étaient donc de déceler les principales problématiques de la Mamoudzou du point de vue des jeunes.

Au travers de leurs anecdotes, nous nous sommes plongées dans l’archéologie du quotidien mahorais, dans les dynamiques de la ville, indécelables à distance et qui prennent leurs racines dans l’histoire du territoire et de la culture de l’île. Afin d’illustrer nos entretiens, nous avons décidé de représenter les récits des jeunes sousforme de bande-dessinée, à partir de photos qu’ils nous ont donné. Ils ont aussi accepter de se prêter au jeu de la carte mentale en représentant leur ville et ses différentes entités.

Enfin, nous avons extrait des quatre thématiques d’entretien des lieux que les jeunes nous désignaient comme majeurs dans la ville. Ces lieux, pièces urbaines ou tissu diffus nous permettent de rentrer dans la matérialité de la ville. Donnons maintenant la parole aux jeunes de la «Génération Département».


Portraits des jeunes

Mathias Imbert

S a m i r a h Ts i t o h a i n a

Oumou Abdallah

Camille est née en 1991 à Dzaoudzi, de mère metropolitaine et de père mahorais. Elle a grandi sur l’île jusqu’à ses 11 ans, avant de partir s’installer avec ses parents en métropole. Elle a fait ses études d’architecture à l’ENSA de la Réunion. Diplômée depuis 2017, elle a décidé de s’installer à Mayotte pour y travailler et aider à construire l’île.

Mathias est un webdesigner graphiste, il travaille donc depuis chez lui, où que soit ce chez-soi. Il est né en France métropolitaine, y a vécu jusqu’en 2015, année où son amie réunionnaise a accepté un poste de fonctionnaire à Mamoudzou. Ils ont vécu à Tsounzou pendant deux ans, avant de partir s’installer à la Réunion en 2016.

Samirah est née à Madagascar mais a grandi à Mayotte, sur Petite Terre, jusqu’à ses 18 ans. Elle y a passé toute sa scolarité avant de déménager en métropole, à Bordeaux. Elle y suit depuis 2015 des cours à l’ENSAP et compte retourner s’installer à Mayotte, si elle y trouve du travail. Elle touche une bourse de l’Etat, comme tous les jeunes des DOM-TOM.

Oumou est à moitié comoréenne et à moitié mahoraise. Elle a grandi à Doujani , en Grande-Terre, mais vit depuis 2013 à Paris. Elle suit elle aussi des études d’architecture à l’ENSA Paris Val de Seine et rentre à Mayotte dès qu’elle peut pour retrouver sa famille. Elle aimerait revenir vivre à Mayotte mais veut également monter son agence en métropole.

Mode de lecture des récits

1.

Récit dessiné : nous racontons l’anecdote d’un des jeunes interrogés en lien avec le thème de la partie. Camille Abdourazak-Augustin 25 ans - née à Dzaoudzi Architecte Mayotte : 1992 - 2001 Métropole : 2001 - 2017 Mayotte : 2017 - ...

Analyse et explication : nous donnons les clés de lecture du récit à partir de données sociales, historiques et urbaines.

Camille remonte la rue du commerce pour se rendre au collège. Il croise des amis qui s’y rendent aussi à pied. La rue est agréable, avec un large trottoir, chose rare à Mamoudzou. Elle arrive au collège à 8h et y reste jusqu’à 15h. Elle repart à pied jusqu’au rond point de la RN2, où elle attend sa mère qui sort du travail. Elles partent ensemble en voiture faire les courses dans la zone commerciale de Kawéni, au nord de Mamoudzou. On y trouve le seul supermarché à l’occidental de l’île, Jumbo. Ils font les courses puis repartent vers Mamoudzou. Ils se garent au parking de la barge, derrière le grand marché couvert et transportent leurs courses jusqu’à la barge, avant de repartir en Petite Terre.

3.

Nous observons plus précisément une situation urbaine ou architecturale et essayons d’en saisir les dynamiques. L’embarcadère de la barge : entre plateforme multimodale et symbole paysager a

Lors de nos discussions avec les jeunes interrogés est souvent revenu un lieu bien particulier pour leurs déplacements : l’embarcadère de la barge à Mamoudzou. Comme nous l’avons vu, la barge est un transport très utilisé des mahorais de tout âge. Mais plus qu’un moyen, la barge est un symbole paysager à part entière pour toutes les personnes que nous avons interrogé. C’est un lieu «hors du temps», au contact des éléments naturels de l’île : son lagon, ses îlots, son climat. Les habitants la prennent tous les jours pour certains, elle fait partie de leur quotidien mais aussi de leur imaginaire et de leur identité mahoraise.

Koungou

1.

Majicavo

Comme nous le raconte Camille dans son récit, l’un des aspects les plus caractéristiques des déplacements de Mamoudzou est le mouvement pendulaire entre le centre de Mamoudzou et ses périphéries. Du fait de la concentration des emplois et des infrastructures dans le centre de Mamoudzou (50% des emplois de l’île se trouvent dans la capitale1), les habitants des alentours se rendent quasiment tous travailler en centre ville le matin. Les écoles, collèges et lycées manquent à Mayotte, si bien que certains élèves doivent faire plus de 10 km pour se rendre en cours, accentuant ce phénomène pendulaire. Ces mouvements marquent le quotidien des mahorais, souvent coincés dans les bouchons.

Kawéni

Amphid rom e

G

Barge Grand Terre-Petite Terre

-P e t it

Labattoir

Cavani

Mamoudzou

e Ter

re

Dzaoudzi

M'Tsapere

Doujani Pamandzi Passamaintu

Tsountsou 1

Aéroport de Mayotte

Tsountsou 2

Vers la metropole

Récit en plan

Récit historique

19-eme siecle

2.

3.

4.

Fig. 1 : < http://piton.e-monsite.com>, fig. 2 : <http://leblognote.info>, fig.3 : le Jounal de Mayotte, fig.4 : Le Journal de Mayotte

Koropa

e err eT nd ra

Camille part le matin de Labattoir avec sa mère pour se rendre au collège de Mamoudzou. Ils prennent un taxi collectif jusqu’à la barge de Dzaoudzi. Le trajet dure 20 minutes, durant lequel Camille observe le paysage de la baie. C’est l’un de ses moments préférés de la journée. Arrivés à Mamoudzou, sa mère prend sa voiture qu’elle a laissé au parking de la barge, tandis que Camille se dirige à pied jusqu’au collège.

2.

1974

2011-2018

En effet, le réseau routier ne s’est pas développé au même rythme que la ville, si bien qu’il est très rapidement saturé. Cela est du historiquement au développement des réseaux durant la période coloniale. La route principale actuelle, la RN1, est située sur le tracé de la route reliant à l’époque les exploitations de cannes à sucre. Cette route suivait la côte, si bien que la route actuelle est la seule à faire le tour de l’île.

supérieure peuvent se permettre d’avoir un véhicule privé, tandis que les populations plus pauvres sont dépendantes des taxis collectifs et du stop. Certaines zones de l’île, trop éloignées du domicile, ne sont donc tout simplement pas accessibles au quotidien.. L’autre grande caractéristique du déplacement dans la capitale est le lien entre Mamoudzou, sur Grande Terre, et Dzaoudzi, sur Petite Terre. Cette commune, ainsi que toutes celles sur Petite Terre font partie de l’agglomération de la capitale, si bien que les allers-retours sont fréquents pour les habitants des deux côtés. Ce mouvement pendulaire est rendu possible par le seul transport en commun de l’île : la barge. Ces bateaux dédiés aux transports des piétons et des véhicules sont le réseau de transports en commun le plus fréquenté de l’Outre-mer avec plus de 300 000 passagers par mois2. La barge est un lien indispensable au bon fonctionnement de l’île (l’aéroport international se situe sur Petite Terre) et de la capitale (environs 30% des salariés de Mamoudzou vivent sur Petite Terre3).

La saturation des réseaux est accentuée par l’absence totale de transport en commun routier à Mamoudzou, et sur l’ensemble de l’île. Les moyens de transports sont donc majoritairement privé, les voitures et les scooters devenant peu à peu accessibles grâce à l’augmentation du niveau de vie. Pour les enfants, tout cela est synonyme d’une très grande dépendance envers leurs parents pour leur déplacement quotidien. Cela signifie également que le territoire de Mayotte n’est pas égalitaire en terme de déplacement et de rayonnement. Les métropolitains en poste à Mayotte et les mahorais de la classe moyenne

Comme on peut le voir, le déplacement est un sujet complexe pour la ville, en partie à cause du réseau routier peu développé mais aussi à cause des multiples ruptures de charges des différents modes de transports. Entre taxi collectifs, voitures privées, scooters, marche à pied, et barges, les trajets quotidiens des mahorais sont divisés en plusieurs sections, dont chaque point d’arrêt est un espace dans la ville qu’il faut penser et dessiner. Les plate-formes multi-modales, à l’image de l’embarcadère de la barge à Mamoudzou, et les parking deviennent des cœurs névralgiques de la ville, à fort potentiels urbains et programmatiques.

1 Source : «Emploi et chômage à Mayotte», dossier Pôle emploi Mayotte, août 2016

2 Source : Office maritime mahorais 3 Source : Dossier Pôle emploi, août 2016

Carte mentale d’Oumou

Carte mentale de Camille

Carte mentale de Samirah

D’un point de vue urbain, l’embarcadère de la barge sur Grande Terre est un lieu stratégique pour les transports mais aussi pour son entrée dans le centre-ville de Mamoudzou. C’est le lien entre la capitale de facto, Mamoudzou, et l’ancienne capitale de jure, Dzaoudzi. C’est un lieu d’apparence assez simple : une contre-allée face à rond point arboré, une entrée piétonne sous une structure en toile tendue blanche et un entrée voiture, un ponton et quelques bancs. Pourtant les jeunes interrogés, au travers de cartes mentales, nous ont montré une complexité du lieu inattendue. Plusieurs séquences de limites sous formes de barrières gèrent le flux intense de personnes, et permet un bon fonctionnement du l’embarcadère au cours

Fig. 1 : Les barges à l’arrivé de Dzaoudzi, source :

de la journée. La problématique des transports à Mayotte est , comme nous l’avons vu, particulièrement marquée par les différentes reprises de charges entre les différents modes de transports. L’embarcadère de la barge est un de ces lieux qui connaît à la fois un très fort flux de personnes mais aussi un temps d’attente assez long (entre 10 et 40 minutes en moyenne). Pourtant, tous les jeunes que nous avons interrogé l’on décrit comme un espace urbain qui «fonctionne assez bien», où il est agréable d’attendre et, plus important encore, qui n’est pas qu’un simple embarcadère mais un des coeurs vivants de la ville. En effet, l’embarcadère est bien plus qu’un simple point d’arrêt dans les trajets des mahorais : c’est un lieu de sociabilisation, rendu possible par plusieurs espaces de rencontre et d’attentes, restaurants brochettis et espaces ombragés. C’est également un marché en plein air, avec des mamas qui vendent des fruits et légumes à la sauvette, à la sortie de la barge. C’est un lieu de loisirs pour les enfants, qui sautent depuis le ponton dans l’eau entre deux allers-retours de la barge. C’est une porte d’entrée dans Mamoudzou et dans le quotidien de la ville.

Fig. 1 : Les barges à l’arrivé de Dzaoudzi, source :

35 Partie _2 LES ALLERS-RETOURS DE LA «GÉNÉRATION DÉPARTEMENT»

C a m i l l e Ab dou ra z ak


fig. 36: Vue sur le quai de Mamoudzou


A. Transports : la mobilité inter-insulaire en question A Mayotte, la question des transports est primordiale : la capitale Mamoudzou concentre toutes les activités et infrastructures, si bien que le mouvement pendulaire marque profondément le territoire. La question des modes de déplacements et surtout des transports en commun montre l’autonomie des jeunes sur l’île. Souvent synonyme de classe sociale supérieure, les mouvements quotidiens racontent une certaine histoire de l’île.

Tous les mahorais le disent : se déplacer sur l’île c’est de plus en plus compliqué... J’essaie de passer mon permis pour être autonome et ne plus dépendre du scooter et du taxi collectif. Le vrai problème c’est de ne pas avoir de transport en commun, je ne comprends pas qu’on en ait pas déjà, ce serait la première chose à faire selon moi. Oumou A.

«

«


Camille Abdourazak-Augustin Durant toutes ses années entre le collège et le lycée, Camille a fait l’aller26 ans - née à Dzaoudzi retour de Petite Terre jusqu’à Grande Architecte Terre pour se rendre en cours. Elle nous Mayotte : 1992 - 2001 raconte ici ce trajet quotidien, entre Métropole : 2001 - 2017 voiture, taxi et barge... Mayotte : 2017 - ...

Camille part le matin de Pamandzi, en Petite Terre, avec sa mère pour se rendre au collège de Mamoudzou. Son père est fonctionnaire, ils habitent dans un des quartiers sécurisés de Dzaoudzi. Ils ont deux voitures, l’une sur Petite Terre, que son père utilise, et l’autre sur GrandeTerre, pour sa mère.

38

Elles prennent un taxi collectif jusqu’à la barge de Dzaoudzi.

L’embarcadère de la barge est toujours plein de gens le matin, il faut parfois attendre quinze minutes la barge suivante.

Le trajet dure 20 minutes, durant lequel Camille observe le paysage de la baie. C’est l’un de ses moments préférés de la journée.

Arrivées à Mamoudzou, sa mère prend sa voiture qu’elle a laissé au parking de la barge, tandis que Camille se dirige à pied jusqu’au collège.


Camille remonte la rue du commerce pour se rendre au collège. La rue est agréable, avec un large trottoir, chose rare à Mamoudzou. Elle arrive au collège à 8h et y reste jusqu’à 15h. Elle repart à pied jusqu’au rond point de la RN2, où elle attend sa mère qui sort du travail. Elles partent ensemble en voiture faire les courses dans la zone commerciale de Kawéni, au nord de Mamoudzou. On y trouve le seul supermarché à l’occidental de l’île, Jumbo.

39

N

Centre commercial

Marché couvert Centre ville Lycée Younoussa Bamana

Embarcadère Mamoudzou

Embarcadère Dzaoudzi

Maison de Camille Légende: en taxi en barge à pied en voiture fig. 37: Récit du trajet quotidien de Camille en plan

Partie _2 LES ALLERS-RETOURS DE LA «GÉNÉRATION DÉPARTEMENT»

Elles font les courses puis repartent vers Mamoudzou. Elles se garent au parking de la barge, derrière le grand marché couvert et transportent leurs courses jusqu’à la barge, avant de repartir vers Petite Terre.


Koungou

N

Majicavo

Kawéni

Amphid rom e

Barge Grand Terre-Petite Terre

G

er r eT nd ra

Labattoir

e

-P e tit

Cavani

e Ter

Mamoudzou

re

Dzaoudzi

M'Tsapere

Doujani Pamandzi Passamaintu

Tsountsou 1

Aéroport de Mayotte

Tsountsou 2

Vers la metropole

40 0

1

2,5

5 km

Légende:

fig. 38: Carte de différents types de déplacements entre Mamoudzou et Dzaoudzi

route principale route secondaire rue

XIXème siècle

voie piétonne piste zone urbaine

1974

2011-2018

Vers France et Comores

Koungou

Koropa

Koropa

Majicavo

Majicavo

Station de dessalement Kawéni

Kawéni

Kawéni

Dzaoudzi

Dzaoudzi

Choa Cavani M'Tsapere

Mamoudzou

Cavani M’Tsapéré Doujani

Dzaoudzi Mamoudzou

Pamandzi

Passamaintu

Cavani M’Tsapéré Doujani

Pamandzi

Passamaintu

Tsountsou 1

Tsountsou 1 Aéroport de Mayotte

Aéroport de Mayotte

Vers Madagascar

Légende:

fig. 39: Développement de réseau du transport

village

voie

urbanisation

usine sucrière coloniale

barge

forets


A.2 RÉCIT «TRANSPORTS ET MOBILITÉ» : CLÉS DE LECTURE Comme nous le raconte Camille dans son récit, l’un des aspects les plus caractéristiques des déplacements de Mamoudzou est le

L’autre grande caractéristique du déplacement dans la capitale est le lien entre Mamoudzou, sur Grande Terre, et Dzaoudzi, sur Petite Terre. Cette commune, ainsi que toutes

concentration des emplois et des infrastructures dans le centre de Mamoudzou (50% des emplois de l’île se trouvent dans la capitale1), les habitants des alentours se rendent quasiment tous travailler en centre ville le matin. Les écoles, collèges et lycées manquent à Mayotte, si bien que certains élèves doivent faire plus de 10 km pour se rendre en cours, accentuant ce phénomène pendulaire. Ces mouvements marquent le quotidien des mahorais, souvent coincés dans les bouchons.

celles sur Petite Terre font partie de l’agglomération de la capitale, si bien que les allers-retours sont fréquents pour les habitants des deux côtés. Ce mouvement pendulaire est rendu possible par le seul transport en commun de l’île : la barge. Ces bateaux dédiés aux transports des piétons et des véhicules sont le réseau de transports en commun le plus fréquenté de l’Outre-mer avec plus de 300 000 passagers par mois2. La barge est un lien indispensable au bon fonctionnement de l’île (l’aéroport international se situe sur Petite Terre) et de la capitale (environs 30% des salariés de Mamoudzou vivent sur Petite Terre3).

mouvement pendulaire entre le centre de Mamoudzou et ses périphéries. Du fait de la

En effet, le réseau routier ne s’est pas développé au même rythme que la ville, si bien qu’il est très rapidement saturé. Cela est du historiquement

au développement des réseaux durant la période coloniale. La route principale actuelle,

La saturation des réseaux est accentuée par

Les plate-formes multi-modales, à l’image de l’embarcadère de la barge à Mamoudzou, et les parking deviennent des cœurs névralgiques de la ville, à fort potentiels urbains et programmatiques.

l’absence totale de transport en commun routier à Mamoudzou. Les moyens de transports

sont donc majoritairement privés, les voitures et les scooters devenant peu à peu accessibles grâce à l’augmentation du niveau de vie. Pour les enfants, tout cela est synonyme d’une très grande dépendance envers leurs parents pour leurs déplacements quotidiens. Cela signifie également que le territoire de Mayotte n’est pas égalitaire en terme de déplacement et de rayonnement. Les fonctionnaires métropolitains

et les mahorais de la classe moyenne supérieure peuvent se permettre d’avoir un véhicule privé, tandis que les populations plus pauvres sont dépendantes des taxis collectifs et du stop. 1  Source : «Emploi et chômage à Mayotte», dossier Pôle emploi Mayotte, août 2016

2  Source : Office maritime mahorais 3  Source : Dossier Pôle emploi, août 2016

41 Partie _2 LES ALLERS-RETOURS DE LA «GÉNÉRATION DÉPARTEMENT»

la RN1, est située sur le tracé de la route reliant à l’époque les exploitations de cannes à sucre. Cette route suivait la côte, si bien que la route actuelle est la seule à faire le tour de l’île.

Comme on peut le voir, le déplacement est un sujet complexe pour la ville, en partie à cause du réseau routier peu développé mais aussi à cause des multiples ruptures de charges des différents modes de transports.


Parking

Marché

Supermarché

Embarcadère Place mariage Bar «Camion rouge»

SIM Parking dans les contre-allées Bar «Camion blanc» fig. 40: Plan de l’embarcadère à Mamoudzou, Grande Terre

42

L’embarcadère de la barge se situe le long du boulevard du quai, en face de la place Mariage, la principale place de Mamoudzou. Complexe en plan, il s’agit pourtant d’un espace bien géré, qui permet les croisements de flux, entre voyageurs au départ, piéton, voiture et parking.

Carte mentale d’Oumou

Carte mentale de Camille

Carte mentale de Samirah

Marché

Embarcadère Bar «Camion blanc»

fig. 41: Ambiance du quai à Mamoudzou : une promenade a été aménagée, ainsi que des snacks, faisant du quai l’un des lieux les plus vivants de la capitale, de jour comme de nuit.


A.3 L’EMBARCADÈRE DE LA BARGE : ENTRE PLATEFORME MULTIMODALE ET SYMBOLE PAYSAGER Lors de nos discussions avec les jeunes interrogés est souvent revenu un lieu bien particulier pour leurs déplacements : l’embarcadère de la barge à Mamoudzou. Comme nous l’avons vu, la barge est un transport très utilisé des mahorais de tout âge. Mais plus qu’un moyen, la barge est un symbole paysager à part entière pour toutes les personnes que nous avons interrogé.

tous les jours pour certains, elle fait partie de leur quotidien mais aussi de leur imaginaire et de leur identité mahoraise.

La problématique des transports à Mayotte est , comme nous l’avons vu, particulièrement marquée par les différentes reprises de charges entre les différents modes de transports. L’embarcadère de la barge est un de ces lieux qui connaît à la fois un très fort flux de personnes mais aussi un temps d’attente assez long (entre 10 et 40 minutes en moyenne). Pourtant, tous les jeunes que nous avons interrogé l’on décrit comme un espace urbain qui «fonctionne assez bien», où il est agréable d’attendre et, plus important encore, qui n’est pas qu’un simple embarcadère mais un des coeurs vivants de la ville.

D’un point de vue urbain, l’embarcadère de la barge sur Grande Terre est un lieu stratégique pour les transports mais aussi pour son entrée dans le centre-ville de Mamoudzou. C’est le

En effet, l’embarcadère est bien plus qu’un simple point d’arrêt dans les trajets des mahorais : c’est un lieu de sociabilisation, rendu

C’est un lieu «hors du temps», au contact des éléments naturels de l’île : son lagon, ses îlots, son climat. Les habitants la prennent

lien entre la capitale de facto, Mamoudzou, et l’ancienne capitale de jure, Dzaoudzi.

fig. 42: Les barges à l’arrivée de Dzaoudzi

en plein air, avec des mamas qui vendent des fruits et légumes à la sauvette, à la sortie de la barge. C’est un lieu de loisirs pour les enfants, qui sautent depuis le ponton dans l’eau entre deux allers-retours de la barge. C’est une porte d’entrée dans Mamoudzou et dans le quotidien de la ville.

fig. 43: L’embarcadère à Mamoudzou

43 Partie _2 LES ALLERS-RETOURS DE LA «GÉNÉRATION DÉPARTEMENT»

C’est un lieu d’apparence assez simple : une contre-allée face à rond point arboré, une entrée piétonne sous une structure en toile tendue blanche et un entrée voiture, un ponton et quelques bancs. Pourtant les jeunes interrogés, au travers de cartes mentales, nous ont montré une complexité du lieu inattendue. Plusieurs séquences de limites sous formes de barrières gèrent le flux intense de personnes, et permet un bon fonctionnement du l’embarcadère au cours de la journée.

possible par plusieurs espaces de rencontre et d’attentes, restaurants brochettis et espaces ombragés. C’est également un marché


fig. 44: Vue sur le stade


B. Attraction et appropriation : quels lieux pour les jeunes dans la ville ? Avec plus de 60% de moins de 25 ans, Mamoudzou doit soutenir une politique de développement et de la ville tournée vers cette génération. Quels espaces lui sont dédiés ? Comment est ce que les jeunes s’approprient ces lieux ? Quelles activités rassemblent les différents groupes de jeunes de l’île ?

« Pour les enfants, c’était génial [avant la départementalisation] : les terrains de jeux c’était partout ! C’est plus pareil maintenant, les mentalités ont changé, il y a plus de voitures dans les rues, c’est devenu dangereux parfois, il faudrait qu’il y ait de vrais endroits pour les jeunes...»

Samirah T.

«

«


Mathias Imbert 26 ans - Né à Pau Web-designer 1991-2015 : France (métro) 2015 - 2017 : Mayotte 2017 - ... : La Réunion

46

Mathias a suivi son amie mutée à Mayotte pour un an. Des amis métropolitains viennent parfois leur rendre visite et Mathias devient alors guide touristique improvisé, chargé de faire découvrir les bons spots où traîner...

Mathias attend à l’aéroport ses amis qui arrivent de la métropole pour les vacances. Il décide de les emmener voir ses endroits favoris de l’île. Ils passent tout d’abord à la plage sur Petite Terre. Les jeunes adorent y passer la journée, c’est un endroit public comme les autres. En début de soirée Mathias décide de passer au stade avec ses amis : c’est l’un des seuls endroit de la ville bien éclairé la nuit et donc beaucoup de jeunes s’y retrouvent pour traîner ou jouer.


En début de soirée, ils partent en scooter dans un bar de Mamoudzou : le Barakili, où se mélange métros et mahorais. Il y a un concert de reggae-funk sur la terrasse, tout le monde danse. De l’autre côté de la route, des jeunes immigrés profitent de la musique mais n’osent pas rentrer dans le bar.

N

Bar Barakili

Quai de Mamoudzou

Stade Cavani

Plages de Moya

Banga d’Aziz

Légende: bars plages stades bangas trajet de Mathias

Aéroport de Mayotte fig. 45: Récit du trajet de Mathias en plan

47 Partie _2 LES ALLERS-RETOURS DE LA «GÉNÉRATION DÉPARTEMENT»

Mathias et ses amis croisent à la soirée Aziz, un ami mahorais qui les invite à une fête chez lui, sur la plage de M’tsapere. Il vit là seul, dans son banga qu’il a construit lui-même et organise souvent des soirées avec des amis.


N

Koungou

Majicavo Koropa

Plage de Hamaha

Lac Dziani

Kawéni

Plage de Papani Quai de Mamoudzou Labattoir

Cavani

Dzaoudzi

Mamoudzou

Plages de Moya

M'Tsapere

Doujani Pamandzi Passamaintu

Tsountsou 1

48 0

1

Légende:

2,5

5 km

fig. 46: Carte des zones d’appropriation par les jeunes

restaurant brochetti

collège/lycée

chemin randonnée

stade

plage

bar

Dzaoudzi Mamoudzou

fig. 47: Colonisation de la nature sauvage : la décentralisation des loisirs vers le lagon

fig. 48: 1987 Déplacement de l’hôtel de préfecture et du Conseil général à Mamoudzou


B.2 RÉCIT «ATTRACTION ET APPROPRIATION» : CLÉS DE LECTURE Les espaces publics étant relativement peu nombreux à Mayotte (d’après nos interlocuteurs), on peut se poser la question des lieux de rencontres et d’appropriation pour la jeunesse mahoraise. La Nature est en la matière une ressource majeure pour la ville : de part son écosystème unique au monde et son statut insulaire, Mayotte

offre de vastes espaces naturels que les jeunes n’ont pas tardé à exploiter comme une extension de l’espace public. Les plages,

Avec la départementalisation sont aussi apparues des formes de loisirs auparavant inconnus à Mamoudzou : les bars, les boîtes, les cinémas ; en somme les loisirs nocturnes occidentaux. Ces loisirs, associés à un

développement capitaliste de la société, ont bouleversé les traditions de l’île, empreintes

d’islam et de croyances. Ils font pourtant partis désormais des quotidiens des jeunes mahorais, même s’ils sont plus pratiqués par les jeunes ayant étudié en métropole ou ayant un certain niveau de vie. La plupart de ces lieux de loisir payants sont situés dans le centre de Mamoudzou, seule ville de l’île vivant après 21h.

suivit un développement rapide de la ville, auparavant simple port d’entrée sur Grande Terre, tandis que Dzaoudzi perdait peu à peu de son importance. En conséquence, la

situation est aujourd’hui déséquilibrée en faveur de Mamoudzou qui a le monopole sur tous les domaines de la société mahoraise. L’un des espaces les plus utilisés et revendiqués par les jeunes de Mayotte sont, étrangement, les stades. Les stades sont très présents dans la ville dense de Mamoudzou : on en compte treize sur l’ensemble de l’agglomération. Le stade n’est pas utilisé qu’à des fins sportives mais plutôt sociales, c’est un lieu de rassemblement et de sociabilisation pour les jeunes.

49 Partie _2 LES ALLERS-RETOURS DE LA «GÉNÉRATION DÉPARTEMENT»

les forêts, les mangroves et les îlots sont autant de lieux pour la rencontre et le jeu, la performance artistique ou les réunions publiques. Ce rapport à la Nature parfois sauvage, parfois anthropisée, est très différent de celui que nous avons en Europe, et caractérise le quotidien des mahorais. Ils sont en permanence au contact des éléments et n’associent pas forcement espaces naturels et loisirs, mais les perçoivent plutôt comme des espaces du quotidien.

Le centre de Mamoudzou concentre en général les principaux lieux de consommation et de loisirs plus occidentaux : librairies, commerces, grandes surfaces, etc. Cela est dû à son statut de chef lieu de facto depuis 1967. Auparavant c’était Dzaoudzi qui concentrait les pouvoirs et les fonctions, depuis l’arrivée des colons en 1841 qui y avaient construit la Maison du Gouverneur. Pourtant, dès les premières revendication d’appartenance au giron français, il fut décidé en métropole que les principales institutions seraient déplacées à Mamoudzou, afin d’en faire le nouveau chef lieu. S’en


Stade

Boulevard Z

éna Mdéré

Lycée Younoussa Bamana

50

fig. 49: Plan du stade à coté du Lycée Younoussa Bamana, Mamoudzou

Le stade Y. Bamana est le plus grand du centre de Mamoudzou. Faisant face au lycée, sur le début des pentes, il est très vivant le soir, dans un quartier dortoir, éteint la nuit.

fig. 50: Ambiance du stade à coté du Lycée Younoussa Bamana, Mamoudzou


B.3 LES STADES : UN ESPACE PUBLIC SÉCURISÉ INATTENDU

fig. 51: Stade de nuit

fig. 52: Stade en fête

51 Partie _2 LES ALLERS-RETOURS DE LA «GÉNÉRATION DÉPARTEMENT»

La sécurisation des lieux vient de la présence Les stades sont des anomalies dans le tissu urbain de Mamoudzou vu du ciel : ces grands permanente des jeunes mais aussi et surtout espaces vides détonnent dans la ville très par l’éclairage nocturne du stade. Ce sont les dense, où les espaces publics tendent à seuls lieux éclairés la nuit, ce qui explique leur manquer. En effet, dans nos discussions, l’un des popularité. reproches qu’on fait les jeunes à la ville mahoraise est l’absence d’espace public à part entière. D’un point de vue de la politique de la ville, on peut s’étonner de la sur-représentativité des Les stades apparaissent donc comme des stades dans l’espace urbain. N’est ce pas un opportunités rares dans la ville dense. Dans stéréotype1 que les quartiers et villes «difficiles» l’agglomération de Mamoudzou, la plupart sont soient ceux où les espaces sportifs sont les dans le périmètre proche d’une école ou d’un développés ? collège, comme dans le cas du stade Younoussa De plus, même si les jeunes que nous Bamana, représenté sur la page de gauche. Ce avons interrogé n’ont pas confirmé ou infirmé stade est en face du collège du même nom, et l’information, il a parfois été montré qu’un sert autant de cour de récréation improvisé que développement des infrastructures sportives de lieu d’attente ou de lieu de rassemblement en encourage un espace public genré en faveur des cas de séisme. jeunes garçons2, plus prompts à revendiquer ces lieux que les jeunes filles. Nous n’avons pas assez Les jeunes interrogés les définissent comme d’informations sur la société mahoraise pour des espaces publics appropriables d’après affirmer que les stades de Mayotte participent à deux critères : la diversité des usages un espace public différencié mais nous posons et la sécurisation du lieu. Les stades sont l’hypothèse que l’espace public mahorais, par majoritairement revendiqués et utilisés par les son histoire et son contexte culturel, est plus dédié jeunes de l’île, toutes tranches d’âge confondues, aux hommes et aux jeunes garçons tandis que les si bien que les «grands» surveillent les «petits». Bien femmes et les jeunes femmes sont plus tournées que les activités sportives y soient très présentes, vers la maison, la «shanza», dont elles sont les elles ne résument pas l’ensemble des usages du propriétaires et les héritières. stade : piscine improvisée, salle de répétition en plein air pour les concerts, espace d’expression pour graffeurs en herbe, lieu de rencontre pour les jeunes amoureux,... Les stades de Mayotte sont le 1 «Le sport, nouvelle recrue de la politique de la ville ?», Les Cadu développement social urbain n° 63, 2016 territoire des jeunes qui s’y retrouvent tous dès la hiers 2 «Une ville faite pour les garçons», Yves Raibaud, CNRS Le sortie de l’école. journal, 21/03/14


fig. 53: Vue d’une ruelle dans le bidonville


C. Contrôle et laissez-passer Mayotte a, de tous temps, été un territoire de pouvoir, où s’opposent différentes forces qui contrôlent des zones aux contours mouvants. Aujourd’hui l’île fait face à une délinquance juvénile importante, en grande partie due aux inégalités sociales profondes et à une immigration massive venant des Comores. Dans ce contexte tendu, certains lieux sont perçus négativement voir interdits aux jeunes de l’île. Face à la délinquance, les mahorais mettent en place des systèmes pour se protéger, morcelant la ville en zones aux limites implicitement infranchissables.

Quand je suis arrivé à Mayotte ça m’a fait bizarre, j’avais l’impression qu’il y avait des endroits où je ne pouvais pas vraiment aller, personne m’interdisait quoi que ce soit mais je sentais qu’il y avait des tensions... Aujourd’hui je comprends mieux les limites, je pourrais presque dessiner une carte alternative de Mamoudzou pour les touristes [rires] ! Mathias I.

«

«


Samirah Tsitohiana 21 ans - née à Madasgar Etudiante à l’Ensap Bordeaux 1998 - 2015 : Labbatoir 2015 - ... : Bordeaux, France

Samirah nous raconte ici une anecdote décrivant les frontières physiques et implicites entre Petite et Grande Terre et les moyens utilisés par les différents entités de pouvoir pour les tenir...

Samirah a rendez-vous avec son petit ami, Adrami. C’est un garçon important : il est le chef du gang de Kawéni, alors que Samirah vient de Labattoir, territoire du gang de Petite-Terre. Exceptionnellement, elle est autorisée à prendre la barge après 18h, autrement contrôlée par des gangs de jeunes.

54

Arrivés à Mamoudzou, ils partent en scooter vers Kawéni. Ils traversent la zone commerciale. Après la fermeture des magasins, les grilles sont baissées et des agents de sécurité surveillent les lieux, pour prévenir tout vol nocturne, très fréquents sur l’île.


Ils arrivent à Kawéni Village, où ils garent le scooter d’Adrami. Samirah se sent en sécurité, même si la nuit est tombée et que les rues se vident peu à peu. Ils montent dans le village, vers la montagne. Ils traversent une partie du bidonvilles qui s’est construit à la va-vite dans la pente. Samirah n’y va jamais, ses parents lui ont toujours dit de rester loin des immigrés comoréens qui vivent dans ses habitations informelles. Ils arrivent enfin chez Adrami, qui habite dans le quartier SIM de Kawéni.

55

Centre d’écoute millitaire

Zone industrielle de Kawéni

Usine de déssalement de Labattoir

Bidonvilles de Kawéni Maison de Adrami

Centre d’écoute millitaire

Quartier de Kawéni Trajet de la barge

Bidonvilles de Cavani

Embarcadère Mamoudzou Quartier de Cavani

Embarcadère Dzaoudzi Quartier de Labattoir

Zone militaire de Dzaoudzi Quartier de M’Tsapere

Maison de Samirah

Bidonvilles de Doujani

Quartier de Doujani

Légende:

Carrières de Labattoir Quartier de Pamandzi

zones perçues négativement zones securisées zones accés interdit zones controlées par les gangs

Quartier de Pamandzi amandzi

trajet de Samirah fig. 54: Récit du trajet de Samirah en plan

Partie _2 LES ALLERS-RETOURS DE LA «GÉNÉRATION DÉPARTEMENT»

N


Zone des gangs de Koungou

Station militaire de l'écoute

Zone industrielle de Kawéni

Station de dessalement Zone des gangs de Kawéni Police Nationale

Mamoudzou Zone des gangs de Cavani

Organisme militaire ( le DLEM)

Dzaoudzi Zone des gangs de Labattoir

Zone des gangs de Doujani Zone des gangs de Pamandzi Zone des gangs de Passamaintu

Zone des gangs de Passamaintu

56

Aéroport de Dzaoudzi

Zone des gangs de Tsountsou 1

0

1

2,5

5 km

Légende:

fig. 55: Carte des frontières physiques et sociales pour les jeunes

zones contrôlées par les gangs de Grand-Terre

zones militaires

zones contrôlées par les gangs de Petit-Terre

zones industrielles

zones des bidonvilles

XVIIIeme siècle

XIXème siècle

1987

fig. 56: Changement des lieux de pouvoir à Mayotte


C.2 RÉCIT «CONTRÔLE ET LAISSEZ-PASSER» : CLÉS DE LECTURE Mayotte souffre depuis le XIXème de profonds déséquilibres dans son territoire. Ces déséquilibres sont principalement dus à l’histoire coloniale de l’île.

Aujourd’hui la limite entre Grande Terre et Petite Terre n’est plus administrative mais est toujours bien présente dans l’esprit des jeunes que nous avons interrogés : ils se définissent

avant tout comme des «grand-terriens» ou des «petit-terriens». Cette limite est présente dans la territoire sous la forme de la barge, à la fois lien et passage contrôlé. Comme nous le

l’arrivée de nombreux immigrés comoriens.

Avec l’augmentation du niveau de vie très inégale en fonction des catégories sociales a eu pour conséquences des tensions et une délinquance qui entachent le quotidien des mahorais. Les forces de l’ordre, trop peu nombreuses, sont dépassées et échouent à contrôler la situation.

Face à ce climat parfois délétaire, les jeunes mahorais s’organisent en gangs et contrôlent leur territoire : la ville est donc fractionnée en quartiers et en zones, que les jeunes

interrogés nous ont représenté sous forme de cartes mentales (voir page suivante). De leur côté, les migrants qui tentent de s’installer durablement sur l’île se cachent dans les hauteurs de Mamoudzou, dans les pentes inconstructibles des montagnes. Leurs

habitations, faites de terre et de tôles forment un tissu informel dans la ville : des bidonvilles. Ces quartiers sont très mals vus des mahorais qui, depuis le référendum en 1976, sont «en froid» avec leurs voisins comoriens, qu’ils accusent de vouloir «coloniser» leur île et profiter des avantages sociaux qu’offre la France. Les bidonvilles sont donc des zones qu’évitent les mahorais, malgré le fait qu’ils représentent plus de 20 % de l’agglomération de Mamoudzou2.

raconte Samirah dans son histoire, il est parfois interdit aux jeunes de traverser en fonction de son origine.

1  «Mayotte, un DOM insulaire entre enclavement et ouverture», Marie-Annick Lamy-Ginier, Université de la Réunion, 11/02/2015.

2  «L’habitat à Mayotte», Instituts d’Emissions d’Outre-Mer, Note express n° 66, février 2011.

57 Partie _2 LES ALLERS-RETOURS DE LA «GÉNÉRATION DÉPARTEMENT»

Le premier déséquilibre se situe entre Grande Terre et Petite Terre, les deux principales îles de Mayotte. Lors de l’arrivée des français en 1841, ils s’installèrent à Dzaoudzi, sur Petite Terre. Ils contrôlaient alors Mayotte depuis un îlot en promontoire et dirigeaient Grande Terre, dédiée à la culture agricole et habitée uniquement par les autochtones mahorais. Aujourd’hui encore, la majorité des «mzungus», des occidentaux, souvent fonctionnaires en poste à Mayotte, habitent dans les quartiers pavillonnaires de Petite Terre. On y retrouve aussi l’ensemble des militaires de l’île, gendarmes et légionnaires, qui vivent dans des quartiers fermés et protégés. Ces zones marquent des limites claires entre ceux qui y sont acceptés ou non. De même, c’est sur Petite Terre qu’on retrouve ce qui s’apparente un peu à des Gated Communities pour européens1.

Les limites et les frontières sont surtout apparues depuis la départementalisation et


Fin de la rue à la limite du village

Bidonville installé sur les pentes inconstructibles

Cimetière à la limite du village

fig. 57: Plan du bidonville dans le quartier Kawéni, Mamoudzou

Scanned by CamScanner

58

Les bidonvilles de Kawéni ont peu à peu grimpaient les pentes. Quartier très fragile, de par sa contexte social et de risque, sa limite avec Kawéni Village est parfois flou. L’une des différences principales est l’absence de réseau viaire.

Carte mentale d’Oumou

Carte mentale de Camille

Carte mentale de Samirah

Construction legere en tole

Terrassement du sol fragile en pente avec pneu

fig. 58: Ambiance du bidonville dans le quartier Kawéni, Mamoudzou


C.3 LES BIDONVILLES : LA VILLE «BROUILLARD» Il nous a été difficile, dans un premier temps, de dessiner les limites des quartiers bidonvilles dans Mamoudzou. De notre point de vue d’européennes, nous ne faisions pas la différence entre le tissu urbain traditionnel mahorais et celui de la ville informelle qui la compose. Il a fallu que demandions aux jeunes que nous interrogions de nous dessiner des cartes mentales des zones de bidonvilles. Pour

autant, il semblerait que la ville informelle soit aussi difficile à discerner pour eux que pour nous. En effet, du fait de l’image très

négative des bidonvilles de migrants, tous les quartiers limitrophes sont considérés de la même façon, sauf s’ils ont des limites claires (par exemple séparés par une route principale, comme la RN1). Ils nous ont particulièrement parlé du quartier de Kawéni, que nous avons donc représenté sur la page de gauche.

Mamoudzou est contrainte et ne peut s’étendre vers les montagnes. Or l’habitat informel a des

Ces habitations sont pourtant bien des habitats insalubres, d’après la définition du ministère du logement2, qui ne sont reliés ni au réseau d’eau potable, ni au réseau d’assainissement. Ce sont également des quartiers très difficiles pour les enfants, bien que 65% des habitants de ces bidonvilles soient des mineurs. Ces mineurs sont pour la plupart des immigrés isolés, dont les parents ont été renvoyés vers les Comores, et qui vivent donc grâce à l’aide des autres habitants. Le gouvernement français se doit d’accueillir tous les mineurs isolés sur son territoire mais à Mayotte, il y a très peu de lieux d’accueil ou de soutien. Lorsque ces jeunes sont complètement isolés, ils tombent souvent dans la délinquance afin de subvenir à leurs besoins.

capacités adaptatives beaucoup plus grandes : les bidonvilles montent donc en hauteur et sont donc rarement reliés aux réseaux viaires

de la ville. 1 «Mayotte, cette île qui expulse plus de clandestins que toute la métropole», article de Slate.fr, 31/10/15 2 Loi n° 2011-725 du 23 juin 2011, «Logement : lutte contre l’habitat indigne dans les départements et régions d’outre-mer».

fig. 59: Les maisons en tôles des bidonvilles s’installent dans la pente

fig. 60: Un enfant du quartier de Kawéni

59 Partie _2 LES ALLERS-RETOURS DE LA «GÉNÉRATION DÉPARTEMENT»

Cette ville «brouillard», parfois cachée dans les nuages, pousse les limites de la ville «légale». Du fait de la topographie,

Cette difficulté d’accès est néanmoins une ressource pour les habitants. Souvent immigrés clandestins, ils échappent ainsi aux contrôles de police, qui les renverraient automatiquement dans leur pays natal1.


fig. 61: La village de bangas


D. Indépendance et identité Les jeunes de la «Génération Département» sont le symbole d’ une double identité, à la fois mahoraise et métropolitaine, voire européenne. Cependant la départementalisation a profondément transformé la société mahoraise a tel point que la culture et les modes de vie traditionnels ont tendance à muter, ou disparaître. Dans ce contexte, comment est ce que les jeunes perçoivent-ils leur indépendance et leur identité, ainsi que celles de leur département ? La quête d’idendité de Mayotte depuis la départementalisation fait alors écho à la quête d’identité de ces jeunes, au passage de

Moi ça me fait bizarre quand je rentre pour les vacances : tout a changé, l’île a changé, et à la fois c’est pas comme en métropole, c’est Mayotte... C’est étrange de voir son pays natal changer, en même temps on peut pas garder toutes les traditions, il faut évoluer... Camille A.

«

«

l’âge adulte.


Oumou est étudiante en architecture à Paris. Elle rentre dès qu’elle le 25 ans - Née à Mamoudzou peut à Mayotte voir sa famille mais se sent parfois un peu à part : son Etudiante à l’EnsaPVS séjour en métropole l’a changé. 1993 - 2012 : Doujani Entre Mamoudzou et Paris, elle se 2012 - ... : Paris sent parfois un peu perdue... Oumou Abdallah

62

Oumou regarde par le hublot GrandeTerre se dessiner et le sol se rapprocher peu à peu. Elle est heureuse, cela fait plus d’un an, qu’elle n’est pas rentrée à Mayotte, sa famille et son île lui ont manqué. Tout le monde l’attend à l’aéroport ! Ils prennent la barge pour rejoindre Grande-Terre et Doujani, la ville natale d’Oumou. La maison a changé, ses parents ont fait construire un étage supplémentaire. Sa mère a préparé un grand repas traditionnel, tout le monde lui pose des questions sur sa vie à Paris, sur la métropole, sur ses habitudes. Elle se sent un peu submergée et tout à coup différente, en dissonance avec ses parents et sa famille, avec les traditions et le mode de vie mahorais...


Heureusement son cousin Abdel passe la chercher pour lui changer les idées et lui montrer le banga qu’il vient de construire. Il vit dans un «village» de bangas, avec quelques amis de son âge. Alors qu’elle rentre dans l’unique pièce du banga, Oumou s’étonne : quelles vies différentes ils vivent, son cousin et elle...

63

préfecture de Mayotte mairie de Mayotte mosquée banga trajet de Oumou

Quai de Mamoudzou Quai de Dzaoudzi

Maison de Oumou

DOUJANI

Aeroport de Mayotte

Village de Banga

fig. 62: Récit du trajet de Oumou en plan

Partie _2 LES ALLERS-RETOURS DE LA «GÉNÉRATION DÉPARTEMENT»

N

Légende:


Koungou

N Majicavo Koropa

Kawéni

Quai de Mamoudzou Labattoir

Cavani

Dzaoudzi

Mamoudzou

M'Tsapere

Doujani Pamandzi Passamaintu 0

1

2,5

Légende:

64

5 km

fig.63: Carte d’évolution des tissus urbains dans la ville et des lieux de symboles

Tsountsou 1

tissu urbain traditionnel

tissu urbain pavillonnaire

mosquée

tissu urbain spontané

tissu industriel/commercial

préfecture / mairie

D.2 RÉCIT «INDÉPENDANCE ET IDENTITÉ» : CLÉS DE LECTURE Les jeunes que nous avons interrogé pour notre analyse connaissent tous la métropole, y ont vécu ou y fait leur études. Ils ont donc un regard bien particulier, différent de la majorité des jeunes de l’île. En effet, partir en métropole n’est accessible que pour la classe moyenne à aisée.

Etant donné que l’île ne possède qu’une seule université à Dembeni, seulement 15% des jeunes mahorais avait un diplôme universitaire en 20121. La dépendance à la métropole ne réside donc pas que dans l’importation de matières premières ou dans son système social, mais aussi dans la formation de sa jeunesse. 1 «Mayotte, le plus jeune département français», Insee Première, février 2014.

fig. 64: Différents types d’habitats mahorais à Mamoudzou. De gauche à droite : habitat traditionnel léger, habitat traditionnel en dur, Cases SIM et habitat contemporain dense


fig. 65: Shanza traditionnel

fig. 66: Case SIM

Aujourd’hui, Mayotte connaît des conflits intérieurs, du fait de sa situation sociale parfois explosive, mais aussi du fait de l’intégration progressive de la culture française et occidentale. Cette île musulmane à 95% ne sait plus comment respecter ses traditions tout en s’ouvrant à la laïcité, au monde normé européen et à l’économie capitaliste. S’opposent donc

La question de la parcelle, de sa propriété et de sa transmission est donc ancrée dans la culture mahoraise mais a du mal à se retranscrire dans le droit de la ville français.

parfois dans le paysage de la ville différents bâtiments, monuments-symboles de l’une ou l’autre culture: les mosquées, la maison du

«cadi» (sorte de juge populaire musulman) font face aux mairies, écoles, et préfecture où flottent le drapeau français.

visibles dans la chronologie des différents types d’habitats qui sont apparus sur l’île depuis la départementalisation.

Le phénomène de solidification des habitats en durs n’est apparu qu’avec la départementalisation4 et l’importation de matériaux de constructions modernes.

L’habitat traditionnel mahorais, dont la trace est encore visible dans le parcellaire de certains quartiers de Mamoudzou, se nomme la «shanza»1. Ce mot signifie «parcelle», non pas dans le sens juridique du terme, puisque le principe de propriété est bien différent dans la culture mahoraire, mais comme la délimitation d’un espace intime familial2. La shanza appartient à la femme de la famille : Mayotte est en

Néanmoins

on

remarque

une

certaine

2 Ibid. 3 «matrilinéaire» : l’héritage se fait de mères en filles, «matrilocale» : la résidence de la famille appartient à la femme. Source : Centre de ressource de Mayotte, article en ligne.

architectural traditionnel et un rite initiatique dans la culture mahoraise.

appropriation des codes architecturaux dans le soin et les détails que mettent les habitants à

décorer leur habitat. La couleur, les modénatures des balcons et des varangues, sont autant de façons qu’ont les mahorais d’affirmer leur identité dans la ville.

Face au phénomène de mondialisation et de normalisation que connaît l’île, l’un des effet l’une des seules sociétés musulmanes derniers espaces architecturaux traditionnels matrilinéaire et matrilocale3, où l’héritage se encore présent est le «banga». Les bangas sont transmet de mères en filles. des cabanes que se construisent les jeunes garçons quand ils sont en âge de quitter le foyer 1 «Architecture Mahoraise», Direction des Affaires Cultufamilial. Le banga est donc à la fois un espace relles, août 2017

4 Op. Cit.

65 Partie _2 LES ALLERS-RETOURS DE LA «GÉNÉRATION DÉPARTEMENT»

Les modes de vie ont peu à peu changé, les modes d’habiter également. Ces évolutions sont

Un exemple vertueux de conciliation entre les deux cultures de l’île est l’opération des Cases Sim, en 1976. Ces cases ont pensées pour être construites à partir de matériaux locaux avec des techniques constructives transmissibles aux habitants, permettant ainsi la création d’une filière durable. Les Cases SIM, de la Société Mahoraise Immobilière, sont encore aujourd’hui très populaire car elles ont marqué l’accession à la propriété de nombreuses familles.


Limite du village

Terrain naturel inconstructible Stade

Village de Bangas Plage

66

fig. 67: Plan du village des bangas ,Majicavo, Koungou, Grand-Terre

Les bangas sont la plupart du temps construits en dehors de la ville, loin des parents. Parfois construits sur des terrains qui appartiennent aux familles de jeunes, ils sont aujourd’hui en majorité construits illégalement sur des terrains inconstructibles, le long des plages ou dans les pentes des montagnes.

Toiture en fibre naturelle

Murs en torchis

Décoration de l’espace personel

fig. 68: Ambiance du village des bangas ,Majicavo, Koungou, Grand-

Ici les jeunes se sont regroupés en village, en aménageant les alentours.


D.3 LES BANGAS : RITE DE PASSAGE SITUÉ ET CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ Les bangas sont des lieux uniques, spécifiques à la culture de Mayotte et symbole de la place

des jeunes dans la société mahoraise.

Ils sont tout d’abord des lieux d’autonomie : les jeunes hommes, de 13 à 25 ans, doivent quitter le foyer famillial afin de vivre une vie autonome dans un banga qu’ils doivent construire euxmême. Ils y vivent seuls, loin de leurs parents, bien qu’ils reviennent parfois prendre leur repas dans le foyer. Ce sont également des lieux d’expression : les jeunes créent leurs nouveaux foyers en le construisant mais aussi en le décorant, peignant des fresques et des messages personnels sur les murs des cabanes.

Ce sont enfin et surtout des lieux d’affirmation de l’identité collective du peuple mahorais, qui a fait du banga un rite initiatique et une première approche du rapport au monde, à ses ressources et de la façon dont les hommes l’habitent1.

1 DRAC Mayotte, «Architecture Mahoraise», août 2017

fg. 69: Construction d’un banga

que jusqu’à leur mariage, vers 20-25 ans. Ils sont aussi éphémères par leur fragilité. Construits avec des structures légères, ils disparaissent naturellement du paysage au cours du temps, en ne laissant quasiment aucune trace2. Les jeunes les construisent eux-même, ce sont donc des bâtiments architecturaux simples, au système constructif facilement mis en œuvre avec les matériaux locaux : terre, paille, torchis, feuille de cocotier tressé et branchage. La construction est également un moment d’apprentissage

pour les jeunes : ce savoir-faire est une ressource pour la société mahoraise, car la plupart des habitations en dures de l’île sont auto-construites3. Cette tradition architecturale de bangas n’est plus aussi forte aujourd’hui, même si l’on en compte plus de 2 472 sur l’île4. L’évolution des

modes de vie, la prolongation des études pour les jeunes garçons ainsi que l’augmentation du confort des habitations ont réduit l’importance de ce rite de passage situé.

Aujourd’hui les bangas sont surtout associés à une certaine pauvreté et plus particulièrement à la situation migratoire de Mayotte. Les bangas sont en effet devenus des refuges pour les mineurs immigrants isolés. 2 Ibid. 3 Ibid. 4 Source Schéma d’Aménagement Régional de Mayotte, Conseil département de Mayotte, 09/12.

fig. 70: Banga le long de la plage

67 Partie _2 LES ALLERS-RETOURS DE LA «GÉNÉRATION DÉPARTEMENT»

Les bangas sont construits à la périphérie des villes, séparés de la vie sociale «normale» par la brousse, comme par exemple ceux au sud de Majicavo dont nous a parlé Oumou, et que nous avons représentés sur la page de gauche. Ils sont en général le long des plages et dans les pentes de la montagne, toujours sur des terrains non-constructibles.

Seul ou organisés en «village», ce sont des habitations éphémères : les jeunes n’y vivent


68


CONCLUSION Notre objectif dans ce premier tome du mémoire était de dresser un portrait actuel de Mayotte et de sa capitale, en y posant un regard attentif et sensible. Ce regard a été guidé par nos interlocuteurs : la « génération département ». Cette génération c’est un peu la nôtre, un miroir des problématiques françaises en outre-mer. Grâce à eux, que nous remercions chaleureusement, nous sommes rentrées dans la réalité du quotidien mahorais, chose que ni les journaux métropolitains, ni une étude géographique du territoire n’avaient pu nous apprendre.

En nous présentant quatre espaces dans la ville, ils nous parlent des enjeux de la capitale : transports et déplacement, espaces publics appropriables, logements décents et rapport aux traditions et à l’existant. Ces enjeux sont tous à remettre dans le contexte de déséquilibre du territoire.

L’enjeu majeur pour Mayotte est donc, selon nous, de tisser de liens entre ces entités différenciées, tout en atténuant le monopole de Mamoudzou sur la vie mahoraise en développant d’autres centres sur l’île, afin de dé-saturer la capitale et d’imaginer un autre futur pour l’urbanisation de l’île. Nous émettons l’hypothèse que le futur de Mayotte se situe dans les lieux de friction entre la ville «traditionnelle» et la ville moderne à l’occidentale, à la croisée de ces identités qui fondent la dualité urbaine mahoraise. En ce sens, la question que nous nous posons désormais pour notre projet de fin d’étude pourrait être : En quoi la dualité identitaire peut-elle être un levier de transformation de la ville existante ? Ce futur, nous avons pu le lire entre les lignes de nos entretiens avec les jeunes, dans leurs espoirs et leurs attentes. En effet, la « génération département » d’aujourd’hui est celle des jeunes actifs de demain, ceux qui auront le potentiel de prendre en main leur ville et agir. Néanmoins, le voyage que nous préparons sur place pourra peut-être nous emmener sur d’autres chemins... Affaire à suivre !

69 Conclusion

Avec eux et leur récit sensible, nous avons découvert le visage caché de Mayotte, derrière les problèmes complexes de ce territoire en construction. Bien sur, l’archipel fait face à des dynamiques de développement que nous ne pouvons ignorer. La croissance urbaine exponentielle, la problématique du logement des nouveaux arrivants ainsi que la mise aux normes de habitats déjà présents, le manque d’infrastructures sont des enjeux urbains et architecturaux que nous prenons en considération, mais notre regard a changé grâce aux jeunes que nous avons rencontré. Là où les instances métropolitaines chargées du développement urbain de l’île voient des problèmes insolubles, les jeunes de l’île s’approprient le territoire, inventent et vivent. À Mayotte, tout est à faire, mais les jeunes ne se posent pas de questions, ils font. Nous nous inspirons de leur démarche spontanée, qui nous l’espérons, trouvera sa place dans notre démarche de projet.

Déséquilibre entre Mayotte et la métropole tout d’abord, dont la relation centre/périphérie est la conséquence de l’histoire coloniale, toujours bien présente dans le rapport de dépendance de l’île envers la France métropolitaine. Déséquilibre entre GrandeTerre et Petite-Terre ensuite, l’une se développant plus rapidement que l’autre, les infrastructures étant inégalement réparties sur le territoire. Déséquilibre enfin entre Mamoudzou, le cœur vivant économique, et ses périphéries, dont Dzaoudzi, l’ancienne capitale coloniale. Ces déséquilibres, ces allers-retours de pouvoirs, ont marqué le territoire en profondeur et marquent encore le quotidien des jeunes mahorais.


BIBLIOGRAPHIE Articles de journaux (web et papier) APPANAH Natacha, «Mayotte, de l’île aux enfants à la poudrière», article en ligne du 05/07/2016, < http://www.liberation.fr/debats/2016/07/05/mayotte-de-l-ile-aux-enfants-a-la-poudriere_1464214> « Glissement de terrain à Koungou, récupération pour tous et responsabilité pour personne ?», Le journal de Mayotte, article du 15 janvier 2018. BOGGIO Philipe, «Mayotte, cette île qui expulse plus de clandestins que toute la métropole», consulté le 16/01/2018, URL : < http://www.slate.fr/story/108961/mayotte-clandestins-expulsions> NINON Joël, « La dynamique urbaine à Mayotte : l’étalement de Mamoudzou et la « périphérisation » des centres petits-terriens », Les Cahiers d’Outre-Mer [En ligne], 240 | Octobre-Décembre 2007, mis en ligne le 01 octobre 2010, consulté le 26 octobre 2017, URL : <http://journals.openedition.org/com/2504>

Sources officielles du gouvernement français 70

Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, « Plans d’action pour le développement urbain durable à mayottte », mars 2015, URL : <http://www.assemblee-nationale. fr/13/dossiers/habitat_indigne_outre-mer.asp>

CCI Mayotte, article en ligne «Développement Economique : Développement Durable», consulté en ligne le 16/01/18, URL : < http://www.mayotte.cci.fr/index.php?option=com_ k2&view=item&layout=item&id=102&Itemid=530>

Conseil départemental de Mayotte, «Schéma d’Aménagement Régional de Mayotte. VOLUME I – DIAGNOSTIC TERRITORIAL.», octobre 2012, consulte le 9 janvier 2018, URL: < www.cg976.fr/ressources/cg/diagnostic_SAR_vol1> IEDOM, «Habitat social à Mayotte» Note express n° 66, Février 2010, PDF en ligne consulté le 10/10/17, URL : < http://www.iedom.fr/mayotte/publications/les-notes-expresses/les-notesexpresses-eclairage/> Pôle emploi Mayotte, «Emploi et chômage à Mayotte», Août 2016. DRAC Mayotte, «Architecture Mahoraise», juillet 2016 SCHMIT Philippe, « Plan d’actions pour le développement urbain durable à Mayotte » des centres petits-terriens », edité par le Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, Mars 2015, mis en ligne juillet 2015, consulté le 3 janvier 2018. URL : <http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/154000486/index.shtml >


TORRE Y., AUBIE S., « Étude de la morphe-dynamique des littoraux de Mayotte. Phase 1 : synthèse, typologie et tendances d’évolution », rapport de Service public BRGM/RP-52320-FR, Juillet 2003, consulté le 3 octobre 2017. URL : <http://infoterre.brgm.fr/rapports/RP-52320-FR.pdf>

Sources web «Démographie de Mayotte», article en ligne sur wikipédia, consulté le 16/01/2018 URL : < https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mographie_de_Mayotte> «Mayotte», article en ligne sur wikipédia, consulté le 16/01/2018 URL : < https://fr.wikipedia.org/wiki/ Mayotte#Int%C3%A9gration_progressive_%C3%A0_la_R%C3%A9publique_fran%C3%A7aise> «La poétique de la ville spontanée, neo-primitifs urbains», Arpla, consulté le 16/01/2018, URL : <http://www.arpla.fr/mu/formes02/2016/01/25/la-poetique-de-la-ville-spontanee/> Site officiel de la Ministère des Outre-Mer, consulte le 7 janvier 2018, URL : <http://www.outre-mer.gouv.fr/search/all/Mayotte. Site officiel du Centre de Ressources de Mayotte, consulte le 14 décembre 2017, URL : <http://www.cdr-mayotte.fr/>

Site officiel du Services de l’État à Mayotte, consulte le 26 décembre 2017, URL :<http://www.mayotte.pref.gouv.fr/> Vidéo «Kawéni Hima», tournée par les habitants du quartier Kawéni, vue en ligne le 12/12/2017, URL : < https://www.youtube.com/watch?v=FfjmSXrJ0xE&t=1391s> Vidéo «Banga Palace, un lieu de vie pour les jeunes garçons à Mayotte», vue en ligne le 12/12/2017, URL : < https://www.youtube.com/watch?v=RUUrMQ5uPDI> Vidéo «La Mémoire des Quartiers: M’gombani Mayotte», vue en ligne le 20/11/2017, URL < https://www.youtube.com/watch?v=fMfyXWLRKkk>

Bibliographie

Site officiel du Fonds Social Européen, consulte le 14 décembre 2017, URL :<http://www.europe-a-mayotte.fr/>

71


TABLE D’ILLUSTRATIONS

72

fig.1: Récupéré le 9 janvier 2018 sur http://creationdesfantasques.com/portfolio item/ fig.2: Photo de Camille Abduzarak. fig.3: Illustration personnelle fig.4: Illustration personnelle fig.5: Collage personnelle fig.6: Illustration personnelle fig.7: Illustration personnelle fig.8: Illustration personnelle fig.9: Collage personnelle Fig.10: Collage personnelle fig. 11: Récupéré le 9 janvier 2018 sur INSEE fig. 12: Récupéré le 9 janvier 2018 sur INSEE fig.13: Illustration personnelle fig. 14: Récupéré le 8 mars 2018 sur https://www.mayotte-tourisme.com/mangroves-de-mayotte-letat-lieux-de-lonf/ fig.15: Illustration personnelle fig.16: Récupéré le 14 mars 2018 sur http://www.dronestagr.am/cavani-mayotte-2/ fig. 17: Récupéré le 14 mars 2018 sur http://www.dronestagr.am/cavani-mayotte-2// fig. 18: Récupéré le 14 mars 2018 sur http://www.arval-archi.fr/project/plan d’amenagement-de-la-zone-kaweni-amamoudzou// fig.19: Illustration personnelle fig.20: Illustration personnelle fig.21: Récupéré le 19 février 2018 sur http://journals.openedition.org/com/2504 fig. 22: Récupéré le 5 février 2018 sur https://www.populationdata.net/pays/mayotte/mayotte-dzaoudzi-mamoudzou/ fig.23: Illustration personnelle fig. 24: Récupéré le 10 décembre 2017 sur http://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.fr/2011/10/mayotteesclavagisme-moderne-et.html fig. 25: Récupéré le 10 décembre 2017 sur http://iloni.over-blog.com/article-le-nouveau-marche-couvert-41219269.html fig. 26: Récupéré le 10 décembre 2017 sur http://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.fr/2011/10/mayotteesclavagisme-moderne-et.html fig. 27: Récupéré le 10 décembre 2017 sur http://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.fr/2011/10/mayotteesclavagisme-moderne-et.html fig.28: Photo de Camille Abduzarak fig. 29: Récupéré le 10 décembre 2017 sur fig. 30: Récupéré le 10 décembre 2017 sur fig. 31: Récupéré le 10 décembre 2017 sur fig.32: Photo de Camille Abduzarak fig. 33: Récupéré le 23 décembre 2017 sur http://www.letelegramme.fr/local


73 Table d’illustrations

fig. 34: Récupéré le 5 janvier 2018 sur http://http://www.generation-what.yt/ fig. 35: Récupéré le 5 janvier 2018 sur http://http://www.generation-what.yt/ fig.36: Illustration personnelle fig.37: Illustration personnelle fig.38: Illustration personnelle fig.39: Illustration personnelle fig.40: Illustration personnelle fig.41: Illustration personnelle fig. 42: Récupéré le 23 décembre 2017 sur Le journal de Mayotte fig. 43: Récupéré le 23 décembre 2017 sur Le journal de Mayotte fig.44: Illustration personnelle fig.45: Illustration personnelle fig.46: Illustration personnelle fig.47: Illustration personnelle fig.48: Illustration personnelle fig.49: Illustration personnelle fig.50: Illustration personnelle fig.51: Récupéré le 2 janvier 2018 sur http://www.slowphoto.fr/?attachment_id=775 fig.52: Récupéré le 2 janvier 2018 sur http://club.quomodo.com/lrbbm/commissions fig.53: Illustration personnelle fig.54: Illustration personnelle fig.55: Illustration personnelle fig.56: Illustration personnelle fig.57: Illustration personnelle fig.58: Illustration personnelle fig.59: Source : «Architecture Mahoraise», DRAC, 2017 fig.60: Photo de Camille Abdourazak-Augustin fig.61: Illustration personnelle fig.62: Illustration personnelle fig.63: Illustration personnelle fig.64: Source : «Architecture Mahoraise», DRAC, 2017 fig.65: Source : «Architecture Mahoraise», DRAC, 2017 fig.66: Source : «Architecture Mahoraise», DRAC, 2017 fig.67: Illustration personnelle fig.68: Illustration personnelle fig.69: Récupéré le 20 janvier 2018 sur https://www.youtube.com/watch?v=AoTuLFHZpeE fig.70: Récupéré le 20 janvier 2018 sur http://bahari.canalblog.com/archives/2009/09/06/14977727.html fig.71: Collage personnelle, réalise à la base des donnée de https://www.geoportail.gouv.fr/carte


Mamoudzou-Dzaoudzi Parole à la «Génération département»

Mayotte, un jeune département français à 7000 km de Paris. Que savons-nous de ce département en construction, si ce n’est les titres de journaux métropolitains catastrophistes ? Que connaissons-nous de son territoire, de son climat, de ses contraintes ? En écoutant les récits de la jeunesse de Mayotte, cette « génération département », ce mémoire a pour but de dresser un portrait actuel de l’île et de sa capitale, Mamoudzou. Leurs histoires nous plongent dans l’archéologie du quotidien d’une ville complexe, marquée par des déséquilibres territoriaux et historiques qui expliquent son présent, et des initiatives qui projettent dans son futur.

fig. 71: Vue aérienne de agglomération de Mamoudzou et Dzaoudzi, Mayotte


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.