Lb application des lois dans le temps

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Dr oi tde sa a i r e s


AFFAIRES

Application des lois dans le temps Vaste et délicat sujet que celui de l’application dans le temps des règles nouvelles, qui concerne toutes les disciplines du droit. Sujet sans cesse renouvelé tant les réformes s’enchaînent (réforme du Code civil, du Code du travail, de la procédure civile …). Certes, le principe paraît simple : les lois ne s’appliquent pas rétroactivement. C’est sans compter les nombreuses exceptions, dont celle de la loi interprétative, d’une actualité brûlante. En effet, la loi du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance portant réforme du droit des contrats prévoit une double entrée en vigueur : le 1er octobre 2018 pour certaines mesures ; le 1er octobre 2016 pour celles ayant un caractère interprétatif. Ce livre blanc, extrait de la nouvelle édition du Mémento Droit commercial, permet de faire le point sur la question.

Non-rétroactivité des lois et des règlements PRINCIPE DE NON-RÉTROACTIVITÉ LOIS CONCERNÉES

74450 Les lois pénales nouvelles qui édictent des sanctions plus sévères que celles antérieurement applicables ne doivent pas rétroagir (C. pén. art. 112-1 s.). La loi pénale rétroactive est inconstitutionnelle (Cons. const. 22-7-1980 : JCP G 1981.II.19603 note Nguyen Quoc Vinh) et contraire à la convention européenne des droits de l'Homme (art. 7), laquelle peut toujours être invoquée pour écarter l'application d'une loi pénale rétroactive promulguée (pour un exemple de loi pénale rétroactive, voir Loi 86-1019 du 9-9-1986 art. 19, al. 2 et Cons. const. 3-9-1986 : Rec. Cons. const. 1986.130, fixant le sens dans lequel cet article doit être entendu pour ne pas violer la Constitution ; aussi Cons. const. 11-12-2008 n° 2008-571 DC : JCP G 2009 n° 52 601 p. 49 obs. Mathieu et Verpeaux). Une loi pénale ne peut pas devenir rétroactive du seul fait que des autorisations communautaires modifient les éléments constitutifs d'une infraction et érigent en délits des faits qui n'étaient jusque-là que contraventionnels (Cass. crim. 17-12-1984 : Bull. crim. p. 1083). Les autres lois ne s'appliquent pas, par principe, rétroactivement (C. civ. art. 2). Sauf rétroactivité expressément décidée par le législateur, la loi nouvelle ne s'applique ni aux actes juridiques conclus antérieurement à son entrée en vigueur (Cass. 1e civ. 12-6-2013 n° 12-15.688 : D. 2013.1875 note Marais et Noguéro ; Cass. civ. 24-11-1955 : D. 1956.522, précisant que cette règle peut être invoquée ou retenue d'office à tout moment de la procédure même par la Cour de cassation) ni aux faits juridiques survenus antérieurement (Cass. civ. 2411-1955, précité : non-application de la loi nouvelle à des défauts de paiement antérieurs ; Cass. civ. 21-1-1971 n° 70-10.543 : JCP G 1971.II.16776 note Level : non-application de la Editions Francis Lefebvre - 1


loi nouvelle au motif que le fait faisant défaut à son application, inscription au RCS, ne pouvait pas être retenu comme une condition requise avant son entrée en vigueur ; CE 4-52016 n° 365466 : Lebon.156 : non-remise en cause d'une confiscation survenue en 1945 et qui avait produit tous ses effets avant l'entrée en vigueur de la Constitution de 1958). Une disposition n'est pas rétroactive dès lors qu'elle ne doit être appliquée que dans l'avenir (CE 19-6-1959 : Lebon 373 ; Cass. civ. 3-4-1984 : Bull. civ. I p. 105). Ainsi, une loi qui crée un véritable droit au profit d'une partie en lui conférant un titre nouveau peut être invoquée alors même que ce droit a été refusé à cette partie par une décision de justice devenue définitive (Cass. civ. 15-5-1979 : Defrénois 1980.810 note Breton). Elle ne l'est pas non plus si elle est appliquée à des faits antérieurs à son entrée en vigueur dès lors qu'elle transpose une directive et que les juges en font une exacte application au regard de la finalité de la directive (Cass. com. 20-9-2016 n° 1512.989 F-D : RJDA 2/17 n° 146). Sur le contrôle constitutionnel de la non-rétroactivité des lois, Cons. const. 11-12-2008 n° 2008-571 DC : JCP G 2009 n° 52 601 p. 49 obs. Mathieu et Verpeaux et n° 74203. La même solution vaut pour les traités (Cass. com. 8-5-1963 : Bull. civ. III p. 190). Sur l'application du principe de la non-rétroactivité des lois en matière contractuelle, n° 10611 s. Fiche complémentaire - 1. Non-rétroactivité de la loi pénale - 2. Non-rétroactivité des autres lois

74453 Toutefois, certaines lois sont valablement rétroactives. La rétroactivité est certaine lorsque la loi l'affirme expressément ; elle peut toutefois être admise implicitement lorsqu'il résulte des termes mêmes de la loi que le législateur a entendu l'appliquer même aux faits antérieurs à son entrée en vigueur (Cass. com. 6-12-2005 n° 1614 : D. 2006.136 obs. Avena-Robardet ; dans le même sens, CE 28-10-1955 : GP 1955.2.417 ; CE 7-4-1978 : Lebon 694 ; CE 14-12-1979 : Lebon 466). Un traité peut aussi déroger au principe de non-rétroactivité dès lors qu'il a été ultérieurement ratifié et publié (Cass. civ. 16-2-1965 : Clunet 1965.629 note Level). Ce sont : 1. Les lois déclarées rétroactives et applicables aux instances en cours (lois souvent dites de « validation ») si la rétroactivité est fondée sur « d'impérieux motifs d'intérêt général », l'exigence d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1 de la convention européenne des droits de l'Homme interdisant une ingérence de l'Etat dans l'administration de la justice (CEDH 28-10-1999 : D. 2000. som. 184 obs. Fricero ; CEDH 9-1-2007 : RJS 4/07 p. 299 obs. Lhernould ; CEDH 12-6-2007 n° 40191-02 : RJDA 3/08 n° 362) ; cette règle générale s'applique quelle que soit la qualification formelle donnée à la loi et même lorsque l'Etat n'est pas partie au procès (Cass. ass. plén. 23-1-2004 n° 507 : RJDA 4/04 n° 409 ; rappr. Cass. soc. 13-6-2007 n° 06-40.823 : D. 2007.2439 note C. Pérès ; CE 18-11-2009 n° 307862 : RJDA 2/10 n° 180). Une procédure est en cours jusqu'au jour où la décision à intervenir est rendue (Cass. 2e civ. 8-12-2005 n° 1872 : Bull. civ. II n° 310). Fiche complémentaire - 1. Etablissement du caractère rétroactif de la loi nouvelle - 2. Compatibilité de l'application aux instances en cours des lois nouvelles rétroactives avec la convention européenne des droits de l'Homme - 2. Compatibilité avec la Constitution des lois de validation - 3. Interprétation des lois de validation

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74456 2. Les lois qui ne portent pas atteinte aux principes constitutionnels (Cons. const. 711-1997 : JO 11 novembre p. 16390). Lorsque la loi nouvelle organise une liberté publique, elle ne peut remettre en cause les situations existantes que si ces dernières sont illégales ou si les mesures nouvelles sont nécessaires pour assurer la réalisation de l'objectif constitutionnel poursuivi (Cons. const. 11-10-1984 : AJDA 1984.684 note Bienvenu).

74459 3. Les lois interprétatives, qui précisent le sens d'une loi antérieure (cf. Cass. civ. 254-1939 : DH 1939.305 ; Cass. civ. 22-6-1983 : Bull. civ. III p. 113). Les lois sont interprétatives lorsque le législateur le dit expressément ; à défaut, une loi ne peut être considérée comme interprétative qu'autant qu'elle se borne à reconnaître, sans rien innover, un droit préexistant qu'une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse (cf. Cass. civ. 29-10-1912 : D. 1917.1.107 ; Cass. soc. 23-10-1941 : DA 1942.70; Cass. soc. 6-3-1958 : Bull. civ. IV p. 238 ; Cass. soc. 13-5-1985 : Bull. civ. V p. 208) ou si l'intention du législateur de préciser et d'expliquer le sens obscur et contesté d'un texte déjà existant est claire et formelle (Cass. soc. 20-3-1956 : GP 1956.1.352). Cette intention ne saurait se déduire du seul élément formel de l'incorporation de certaines des dispositions nouvelles à une loi antérieure (T. civ. Wassy 19-1-1954 : GP 1954.1.249) ; il ne peut pas être déduit de l'affirmation du caractère interprétatif de certaines dispositions d'un décret que les autres dispositions ont également ce caractère (Cass. soc. 18-9-1941 : GP 1941.2.537). En revanche, n'est pas interprétative la loi qui, par exemple, décide que ce ne serait plus la date de nomination à l'emploi de cadre permanent qui servirait de point de départ au délai prévu pour l'affiliation au régime des retraites, mais la date d'affectation à un emploi permanent (Cass. soc. 7-11-1963 : Bull. civ. IV p. 637 ; Cass. soc. 19-6-1963 : GP 1963.2.278 ; voir aussiCass. com. 2-10-2001 : RJDA 2/02 n° 180). Les lois interprétatives s'appliquent à toutes les situations qui n'ont pas encore été résolues par une décision de justice ayant acquis force de chose jugée (Cass. civ. 22-6-1983 : JCP G 1983.IV.277), mais pas aux faits antérieurs à l'entrée en vigueur du texte qu'elles interprètent (Cass. crim. 23-1-1989 n° 86-96.803 : Bull. crim. n° 25 ; aussi Cass. com. 2-10-2001 : RJDA 2/02 n° 180) ; Sans être expressément interprétative, la loi nouvelle peut servir à l'interprétation de la loi ancienne (Cass. ass. plén. 9-7-1982 : GP 1982.513 note Massip ; Cass. civ. 27-11982 : GP 1982.som.197), pourvu que ce rapprochement ne remette pas en cause des décisions acquises (cf. Cass. ch. mixte 30-4-1971 : GP 1971.2.565) ou n'aboutisse pas à une solution qui serait, dans les faits de l'espèce, nuisible à l'intérêt que la loi entend protéger (Cass. civ. 7-12-1971 : D. 1972.173 note Breton ; dans le même sens, CE 33-1967 : AJDA 1967.348 note Liet-Veaux, qui maintient l'autorisation dont avait bénéficié une entreprise en raison de sa conformité aux nouvelles dispositions). Fiche complémentaire - Validité des lois interprétatives

74462 4. Les lois pénales plus douces, y compris celles relatives aux contraventions (Cass. crim. 12-7-2016 n° 16-80.001), si les faits commis avant leur entrée en vigueur n'ont pas encore, à cette date, donné lieu à une décision définitive (C. pén. art. 112-1, al. 3). Même le législateur ne peut pas écarter cette rétroactivité (dite « in mitius »), qui est une règle constitutionnelle (Cons. const. 20-1-1981 : JCP G 1981.II.19701 note Franck). Cette rétroactivité doit aussi être appliquée, alors même qu'une loi promulguée l'écarterait, car elle est imposée par le pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 15-1), entré en vigueur pour la France le 4 février 1981 (Décret 81-76 du 29-1-1981 ; pour des applications de ce pacte, CA Paris 12-6-1991 : Editions Francis Lefebvre - 3


JCP G 1991.IV.401 ; T. corr. Evry 26-6-2007 : RJDA 11/07 n° 1157) et par la convention européenne des droits de l'Homme (CEDH 17-9-2009 : JCP G 2010 n° 350 p. 64 § 6 obs. Sudre). Elle est aussi applicable à la loi qui met le droit national en conformité avec le droit communautaire (CJCE 15-10-1980 aff. 387-02 : JCP G 2006.II.10020 note Dubos). Il s'ensuit, à notre avis (dans le même sens, Huet : JCP G 1989.I.3378), que doit être tenue pour caduque la jurisprudence qui refusait d'appliquer les lois nouvelles en matière de taxation des prix, par exemple, celles supprimant une taxe ou élevant un taux (Cass. crim. 15-6-1944 : DC 1944.116 note Jeantet ; pour un maintien de cette jurisprudence au regard même du pacte susvisé : CA Colmar 18-10-1991 : GP 1992.165 note Pannier), et en matière fiscale ou de change (Cass. crim. 9-1-1974 : Bull. crim. p. 32 ; Cass. crim. 13-11-1989 : Bull. crim. p. 983 ; contra Cass. crim. 2011-1978 : D. 1979.525 note Culioli et Derrida), ainsi que l'affirmation constante des décisions selon laquelle la rétroactivité de la loi plus douce s'applique en l'absence de prévisions contraires expresses (Cass. crim. 8-2-1988 : D. 1988.475 note Pannier ;Cass. crim. 12-12-1996 : RJDA 3/97 n° 461). Une loi pénale est plus douce lorsqu'elle abaisse le taux d'une peine (Cass. crim. 25-1-1972 : Bull. crim. p. 114) ou ouvre droit à une réduction de cette dernière (Cass. crim. 14-10-2014 n° 13-85.779 : Bull. crim. n° 205 ; Cass. crim. 14-4-2015 n° 15-80.858 : D. 2015. 1307 note Detraz ; Cass. crim. 15-9-2015 n° 14-86.135 : Bull. crim.), crée une condition ouvrant une possibilité nouvelle d'échapper à l'infraction (Cass. crim. 5-9-2000 : JCP 2001.II.10507 note Chevallier) ou supprime une incrimination (Cass. crim. 21-5-1992 : RJDA 7/92 n° 732 ; Cass. crim. 16-12-2009 n° 09-80.545 : RJDA 4/10 n° 392 ; Cass. crim. 14-10-2014, précité). Lorsqu'une loi contient des dispositions plus douces et d'autres plus sévères, il y a lieu, si ces mesures sont inséparables les unes des autres, d'apprécier si, dans son ensemble, la loi est ou non plus douce (Cass. crim. 10-5-1961 : Bull. crim. p. 478). L'application rétroactive n'est possible que pour les dispositions plus douces (Cass. crim. 12-1-1994 : RJDA 1/95 n° 85). Ne constituent pas des dispositions plus douces : - celles de l'article 314-1 du Code pénal réprimant l'abus de confiance, dont la définition élargie permet de poursuivre l'incrimination d'abus de blanc-seing (CA Grenoble 29-6-1994 : Bull. inf. C. cass. 1994 n° 1159) ; - celle qui supprime l'obligation sanctionnée et emporte ainsi l'incrimination, car cette disparition n'est pas alors justifiée par la nécessité d'atténuer la répression (CE 16-72010 n° 294239 : JCP G 2010 n° 44-1099 p. 2067 note Costa : à propos d'une sanction fiscale mais transposable). Lorsqu'une loi nouvelle transforme un délit en contravention, le délai de prescription de l'action publique d'un an ne se substitue à celui de trois ans qu'à compter de la date d'entrée en vigueur de ladite loi, sans toutefois que ce délai puisse excéder celui de la prescription triennale (Cass. crim. 25-2-1988 : Bull. crim. p. 254). Fiche complémentaire - 1. Existence d'une loi pénale plus douce - 2. Loi pénale nouvelle plus sévère - 3. Non-rétroactivité de mesures réglementaires moins sévères fondées sur le même support légal demeuré en vigueur RÈGLEMENTS CONCERNÉS

74465 Les règlements ne peuvent pas rétroagir et s'appliquer aux actes et aux faits antérieurs à leur entrée en vigueur (CE 28-5-1984 : GP 1985.pan.47, décret fixant son entrée en vigueur le 1er juillet 1980 alors qu'il a été publié au JO du 21 septembre 1980 ; CE 11-6-1993 : GP Editions Francis Lefebvre - 4


1994.pan.20). Les bénéficiaires ne peuvent pas réclamer l'application d'une mesure rétroactive (CE 22-12-1950 : Lebon 634 ; CE 8-11-1957 : Lebon 594). Toutefois, les règlements relatifs à l'organisation des campagnes de production de certains produits (par exemple, betterave ou pêche au thon) peuvent en raison de la nature des choses rétroagir (CE 21-10-1966 : AJDA 1967.274 concl. Baudoin ; CE 8-6-1979 : Lebon 269), à la condition qu'aucune réglementation antérieure effectivement applicable n'ait déjà été adoptée (CE 21-10-1966, précité) et que la réglementation nouvelle intervienne avant l'achèvement de la campagne (CE 21-12-1956 : Lebon 493). Par ailleurs, un règlement peut comprendre des dispositions rétroactives dans la mesure où cette rétroactivité est conforme à l'esprit et au but de la loi (CE 7-2-1958 : GP 1958.1.296). Il le peut aussi si le législateur le décide, le pouvoir réglementaire étant toujours incompétent pour le faire (Cons. const. 24-10-1969 : Rec. 32). Mais les nouvelles dispositions ne s'appliquent pas à des situations juridiquement constituées avant leur entrée en vigueur (n° 74468). NON-APPLICATION DES LOIS ET RÈGLEMENTS NOUVEAUX AUX DROITS ACQUIS

74468 La disposition nouvelle ne rétroagit pas en ce sens qu'elle ne peut pas remettre en cause un droit acquis (ou une situation juridique définitivement constituée) avant son entrée en vigueur (CRPA art. L 221-4 ; Cons. const. 29-12-2005 n° 530 : JO 31-12-2005 p. 20705 ; CE 16-6-2008 n° 296578, 296590 ; Cass. ch. réun. 13-1-1932 : D. 1932.1.18 ; Cass. ch. mixte 13-3-1981 : GP 1981.4 ; Cass. civ. 2-5-1981 : Bull. civ. I p. 145 ; sur l'application de ce principe en droit communautaire, n° 34704) ; il en est ainsi d'une disposition étrangère, la règle étant d'ordre public international français (T. civ. Seine 26-5-1936 : GP 1936.2.329). Toutefois, le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, à la condition que cette modification ou cette validation respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de nonrétroactivité des peines et des sanctions et que l'atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ; en outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle et aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d'intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle ; enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie (Cons. const. 2-3-2016 n° 2015-525 QPC). Les conséquences d'un fait intervenu sous l'empire d'une loi tombent sous les dispositions de la loi nouvelle qui ne constituent qu'une suite possible et directe de ce fait (Cass. civ. 16-11-1960 : Bull. civ. I p. 408 : application d'une loi nouvelle fixant une indemnité d'expropriation même si les déclarations d'utilité publique auxquelles cette indemnité se rapporte sont antérieures). Il y a droit acquis lorsque les actes ou les faits qui se sont produits avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle sont définitivement établis ou ont produit tous leurs effets. Tel est le cas, notamment : - d'un contrat formé (Cass. civ. 19-3-1923 : D. 1923.1.44 ; Cass. civ. 22-1-1941 : DA 1941.84) ; - d'une responsabilité constituée (Cass. civ. 18-7-1967 : D. 1968.297 note Chanveau ; Cass. crim. 18-6-1975 : GP 1975.2.661) ; - d'une prescription accomplie (Cass. soc. 5-1-1962 : Bull. civ. V p. 7) ; - d'un droit né à interjeter appel (Cass. civ. 6-11-1974 : Bull. civ. II p. 233) ; - de la situation juridique définitivement réalisée (Cass. civ. 17-7-1968 : GP 1969.1.16) ; Editions Francis Lefebvre - 5


- d'un acte de saisie régulièrement accompli (Cass. civ. 16-7-1969 : GP 1969.2.281) ; - de l'opération qui a donné naissance à un droit (CA Paris 15-6-1956 : D. 1956.508) ; - de l'effet attaché à une présomption légale (CA Lyon 7-11-1955 : GP 1956.1.43), notamment à celle de l'absence qui exclut la remise en cause des droits acquis sans fraude avant que le décès ne soit constaté, quelle que soit la date où il est survenu (C. civ. art. 119 ; Cass. 2e civ. 21-6-2012 n° 11-16.050 : Bull. civ. II n° 114) ; - du droit reconnu par un jugement, même frappé d'appel (Cass. com. 3-7-1950 : D. 1951.96 ; CA Versailles 12-1-1994 : GP 1994.som.565) ; - d'une clause résolutoire qui a produit son effet (T. com. Paris réf. 11-12-1986 : GP 1987.377) ; - de la situation créée par une adjudication (Cass. civ. 17-7-1968 : GP 1969.1.16) ; - d'une invention de salariés accomplie avant l'entrée en vigueur d'une loi nouvelle (Cass. soc. 25-2-1988 : Bull. civ. V p. 96). En revanche, n'ont pas de droits acquis, par exemple, les héritiers non réservataires sur les biens donnés par leur auteur, car leurs droits ne naissent qu'à l'ouverture de la succession (CA Paris 27-10-1982 : D. 1983.IR.175 obs. Martin), ni les parties à une contre-lettre passée en même temps que la vente d'un fonds de commerce et qui n'a été ni payée ni enregistrée (CA Paris 10-6-1937 : D. 1937.413), ni un salarié à une indemnité de licenciement tant que le contrat de travail n'est pas rompu (Cass. soc. 196-1987 : Bull. civ. V p. 254). APPLICATION IMMÉDIATE DES LOIS ET DES RÈGLEMENTS SITUATIONS EN COURS DE CONSTITUTION

74475 Lorsqu'il n'y a pas droit acquis au sens indiqué ci-dessus (n° 74468), tout ce qui n'a pas eu lieu au jour de l'entrée en vigueur de la loi ou du règlement nouveaux n'existe pas encore. On ne saurait donc, par la nature des choses, soumettre à disposition nouvelle tout acte ou tout fait, défini depuis le 1er octobre 2016 (sur cette date, n° 10000) comme « des agissements ou des évènements auxquels la loi attache des effets de droit » (C. civ. art. 1100-2), non survenu au jour de l'entrée en vigueur de la loi ou du règlement quoiqu'il entre dans son champ d'application. Il en est ainsi, par exemple : - lorsqu'une prescription n'est pas encore accomplie (Cass. soc. 5-1-1962 : Bull. civ. IV p. 7) ; - lorsqu'une demande est en cours d'instruction par l'administration (CE 7-3-1975 : Lebon 178) ; - lorsqu'une autorisation administrative n'a été accordée que pour la phase initiale d'une opération (CE 29-6-1962 : Lebon 432 concl. Ordonneau : l'autorisation d'accepter une commande d'armement laisse entière la possibilité de refuser l'autorisation d'exporter l'armement commandé) ; - lorsque l'existence d'un droit est soumise à un terme suspensif (T. par. baux ruraux de Saint-Brieuc 18-3-1985 : GP 1985.293). Fiche complémentaire - 1. Application immédiate des lois nouvelles de compétence et de procédure - 2. Non-application immédiate aux situations consommées - 3. Application immédiate des règlements

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SITUATIONS STATUTAIRES

74478 La loi ou le règlement nouveaux s'appliquent immédiatement aux effets à venir des actes ou des faits accomplis avant leur entrée en vigueur dès lors que les situations qui en sont issues sont entièrement définies par la loi ou le règlement, et donc non contractuelles (n° 10335), même lorsque semblable situation fait l'objet d'une instance judiciaire (Cass. 2e civ. 7-5-2003 n° 01-16.554 : JCP G 2003.II.10135 note Desgorces ; Cass. 3e civ. 23-3-2017 n° 16-11.081 FS-PBI : RJDA 12/17 n° 858) ; il importe peu que l'accomplissement de ces actes ou faits ait supposé une manifestation de volonté des intéressés si celle-ci n'est pas de nature à engendrer un droit acquis (cf. CE 13-2-1985 : Lebon 39 ; CA Paris 15-6-1956 : D. 1956.508 ; CA Orléans 17-10-1956 : GP 1957.1.15 ; CA Paris 26-11-1968 : D. 1969.459 note de la Marnierre) ; sur les droits acquis, n° 74468. Cette solution a été appliquée, par exemple : - aux lois modifiant l'état et la capacité des personnes (CA Paris 26-11-1968, précité) ; - aux lois ou règlements modifiant la législation et la réglementation générale concernant une activité (CE 16-4-1947 : Lebon 525 ; CE 13-10-1967 : Lebon 366 ; Cass civ. 14-3-2000 précité) ; - à l'exercice du droit de préemption d'une Safer (Cass. civ. 13-11-1984 : GP 1985.pan.372) ; - aux indivisions non conventionnelles (Cass. 1e civ. 15-1-2014 n° 12-28.378 : RJDA 5/14 n° 488). Toute dérogation à l'application immédiate de la loi nouvelle doit être restrictivement interprétée (cf. Cass. ass. plén. 3-4-1962 : GP 1962.1.391). Toutefois, il a été jugé qu'une loi nouvelle n'était pas applicable si elle avait pour objet de soumettre à réglementation le lancement d'une activité qui jusque-là n'était pas soumise à des prescriptions particulières (par exemple, CE 23-12-1964 : Lebon 655). CONTRATS EN COURS

74481 La loi nouvelle ne peut être appliquée à des contrats en cours que dans des conditions limitées (n° 10611 s.). Sauf s'il en est disposé autrement par la loi, une nouvelle réglementation ne s'applique pas aux contrats formés avant cette date (CRPA art. L 221-4). ACTES COMMUNAUTAIRES

74485 En principe, un acte communautaire (sur ces actes, n° 73535 s.) n'a pas d'effet avant sa publication (n° 73612 s.), lorsqu'il établit une règle de fond, sauf s'il ressort clairement de ses termes, finalités ou économie qu'un effet rétroactif doit lui être attribué ; en revanche, lorsqu'il pose une règle de procédure, il est applicable à tous les litiges pendants au moment où il entre en vigueur (TPICE 28-1-2004 aff. 180/01 : Rec. II-369). L'application rétroactive d'un délai de forclusion imparti pour la présentation de demandes de remboursement d'indu plus court que le précédent doit être assortie d'une période de transition suffisante pendant laquelle les demandes portant sur des sommes versées avant l'entrée en vigueur du texte instaurant le nouveau délai peuvent encore être présentées sous le régime de l'ancien délai (CJCE 24-9-2002 aff. C-255/00 : RJF 12/02 n° 1422, jugeant la période de transition insuffisante). Il peut, cependant, être rétroactif à titre exceptionnel lorsque le but à atteindre l'exige et lorsque la confiance légitime des intéressés est dûment respectée (CJCE 26-4-2005 aff. 376/02 : Rec. I-3445). Cette règle est appliquée dans les conditions suivantes. Editions Francis Lefebvre - 7


1. Le fait que l'acte ait des conséquences favorables ou défavorables pour les intéressés est indifférent (CJCE 29-1-1985 : Rec. 327 ; Cass. com. 22-10-2002 n° 1692 : RJDA 1/03 n° 99). 2. Il faut qu'il ressorte clairement des termes, de la finalité et de l'économie d'une règle communautaire qu'un effet rétroactif doit lui être attribué (CJCE 22-2-1984 : Rec. 1075 ; CJCE 1-4-1993 : Rec. 1885). 3. Le droit de réclamer la protection de la confiance légitime, qui constitue un des principes fondamentaux de la Communauté (devenue l'Union), s'étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l'administration communautaire, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître chez lui des espérances fondées ; en revanche, nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l'absence d'assurances précises que lui aurait fournies l'administration (TPICE 16-3-2005 aff. T-283/02 : Rec. II-947 ; pour des applications, CJCE 27-4-1978 : Rec. 995 ; Cass. com. 20-11-2007 n° 06-11.457 : RJDA 5/08 n° 598). La méconnaissance du principe ne peut pas non plus être invoquée par une entreprise qui s'est rendue coupable d'une violation manifeste de la réglementation en vigueur (CJCE 147-2005, aff. 65/02 et 73/02 : Rec. I-6773). La confiance légitime n'est pas violée par la survenance d'une mesure nouvelle : - lorsque la prise d'effet de la mesure nouvelle est fixée au quinzième jour après celui de sa publication et surtout lorsque les intéressés ont été avertis à l'avance de l'adoption de cette mesure (CJCE 8-6-1977 : Rec. 1063) ; - lorsqu'un opérateur économique prudent et avisé est à même de prévoir l'adoption d'une mesure communautaire destinée à contrecarrer des situations évidentes de crise (TPICE 7-71999 : Rec. II-2161) ; - lorsqu'il ressort de la motivation d'un règlement qu'il a été adopté à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision à prendre d'urgence par le Conseil des ministres (CJCE 13-61978 : Rec. 1347) ; - alors que le délai prévu pour la mise en œuvre d'une directive n'est pas expiré (CJCE 5-41979 : Rec. 1629) ; - lorsque les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d'une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d'appréciation des institutions communautaires, et cela spécialement dans un domaine comme celui des organisations communes de marché, dont l'objet comporte une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique (CJCE 8-2-2000 : Rec. I-675). Sur la reconnaissance par le Conseil d'Etat du principe de la confiance légitime, n° 74350. Une mesure nouvelle ne peut, toutefois, retirer à un intéressé un droit acquis, car elle serait contraire aux principes généraux du droit (CJCE 22-9-1983 : Rec. 2711). Une entreprise ne saurait invoquer un droit acquis au maintien d'un avantage résultant pour elle de la mise en place de l'organisation commune des marchés et dont elle a joui à un moment donné (CJCE 27-9-1979 : Rec. 2749) ni à la poursuite d'une procédure devant une autorité préalablement désignée (CJCE 24-2-1987 : Rec. 841). Fiche complémentaire - Confiance légitime DÉCISIONS DE JUSTICE

74488 Il a été catégoriquement affirmé que « nul ne peut se prévaloir d'un droit acquis à une jurisprudence figée » (Cass. civ. 9-10-2001 : D. 2001.3470 rapport Sargos note Thouvenin ; Cass. crim. 30-1-2002 : D. 2002.654 ; Cass. 3e civ. 2-10-2002 n° 1433 : RJDA 2/03 n° 214 ; CEDH 18-12-2008 : RJS 6/09 n° 596). Toutefois, compte tenu des exigences d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1 de la Editions Francis Lefebvre - 8


convention européenne des droits de l'Homme, le revirement de jurisprudence, qui n'existe que si la nouvelle décision modifie une jurisprudence bien établie (CEDH 30-8-2011 n° 32820/08 : D. 2011.2283.som.), d'une part, ne peut être effectif que si la Cour de cassation (ou le Conseil d'Etat) ne se contente pas de faire état de la nouvelle solution mais donne « des raisons substantielles » pour l'expliquer (CEDH 14-1-2010 n° 36815/03 : JCP G 2010 n° 30859 p. 1588) et, d'autre part, peut ne pas être appliqué à l'espèce qui donne l'occasion de le décider dès lors que sa mise en œuvre dans une instance en cours aboutirait à priver la victime d'un accès au juge (sur des privations d'accès au juge : Cass. ass. plén. 21-12-2006 n° 00-20.493 : RJDA 10/07 n° 1051 ; Cass. com. 13-11-2007 n° 05-13.248 : D. 2007.3010 obs. Lienhard ; Cass. com. 26-10-2010 n° 09-68.928 : Bull.civ. IV n° 159 ; sur l'existence d'un accès au juge : CEDH 26-5-2011 n° 23228/08 : JCP G 2011 n° 25-730 p. 1213 obs. Marais). Dans le même esprit, au nom de la protection du droit au recours et de la sécurité juridique, le Conseil d'Etat accepte de priver d'effet rétroactif un revirement de jurisprudence (CE 16-7-2007 n° 291545 : RJDA 10/07 n° 961 ; CE 22-12-2008 n° 313677 : RJDA 8-9/09 n° 728 ; CE 17-12-2014 n° 369037 : Lebon 392), solution confirmée par le Tribunal des conflits (T. confl. 9-3-2015 n° 3984 : RJDA 7/15 n° 540). Le Conseil constitutionnel reporte aussi les effets d'une déclaration d'inconstitutionnalité si une application immédiate de sa décision aurait pour effet de supprimer une liberté fondamentale (Cons. const. 5-10-2016 n° 2016-579 QPC : RJS 1/17 n° 38 : suppression de toute représentation syndicale commune aux agents de droit public et aux salariés de droit privé au sein du groupe de la Caisse des dépôts et consignations ; dans le même sens, Cons. const. 30-9-2016 n° 2016-571 QPC : RJF 12/16 n° 1108 ; Cons. const. 2-12-2016 n° 2016-600 QPC). Le report peut être assorti de directives ou de réserves d'interprétation qui conduisent, en quelque sorte, le Conseil constitutionnel à édicter des dispositions transitoires (Cons. const. 4-11-2016 n° 2016-594 QPC ; Cons. const. 16-9-2016 n° 2016-566 QPC ; Cons. const. 21-102016 n° 2016-588 QPC). La Cour de justice de l'UE admet aussi, à titre exceptionnel, en tenant compte des troubles graves que son arrêt pourrait entraîner pour le passé, de limiter la possibilité pour tout intéressé d'invoquer l'interprétation qu'elle donne d'une disposition du droit de l'Union ; toutefois, les conséquences financières qui pourraient résulter pour un Etat membre d'un arrêt rendu à titre préjudiciel ne justifient pas, par elles-mêmes, la limitation des effets de cet arrêt dans le temps (CJUE 29-7-2010 aff. 577/08 : Rec. I-7471). Mais le revirement de jurisprudence peut vider de toute substance l'espérance légitime des requérants de se voir reconnaître une créance (CEDH 4-2-2014 n° 29932/07 : JCP G 2014 n° 28-832 § 19 obs. Sudre). Fiche complémentaire - 1. Application non rétroactive des décisions de revirement de jurisprudence et des décisions de principe - 2. Responsabilité de l'avocat au regard des revirements de jurisprudence - 3. Irrecevabilité d'une demande de réparation devant la Cour EDH pour défaut de prise en compte d'un revirement de jurisprudence

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MÉMENTO DROI TCOMMERCI AL Unev i s i onl a r gedudr oi tc omme r c i a l

Lemé me nt oe x a mi nel e sopér at i onsquel ’ ent r epr i s er éal i s e av ecs espar t enai r ese tc e l l e squi c onc e r ne nts onpat r i moi ne I l e x pos el edr oi tc ommer c i alt r adi t i onnel Vé r i t a bl ebas ededonnéesj ur i s pr udent i el l es:pl usde25000 dé c i s i onsdej us t i c es ontc i t é e soupr é s e nt é e s

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