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L’Espagnol Belmonte cherche à libérer son amour – Constance qui porte bien son nom – prisonnier d’un autre. Enfermée dans le sérail du turc Bassa Selim, la belle Konstanze attend patiemment la libération du dehors. Sera-t-elle sauvée? Et par qui finalement?

Au-delà de cette histoire particulière, d’un amour suspendu, interrompu, c’est l’histoire universelle des hommes que nous raconte Wolfgang Amadeus Mozart: celle du désir, celle d’un désir de l’unité primordiale, d’un besoin de fusion avec l’univers et avec les autres qui nous entourent. Quoique ce désir divise et oppose…

On a souvent mis l’accent sur l’orientalisme exotique et forcé de ce «jeu chanté» (Singspiel), riche en caricatures plus osées les unes que les autres, car on est ici à l’extrême opposé du politiquement correct, à tel point que toute profondeur disparaît de cette farce, ridiculisant tour à tour le Turc ottoman aux portes de Vienne et le bourgeois viennois chantant sa belle. De la critique à la Montesquieu et du Cervantès des galères, il reste toutefois le regard ironique et inquisiteur. Mais on peut aussi revisiter cette pièce avec le regard critique d’aujourd’hui, un regard immergé dans un monde profondément différent de celui de Mozart.

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Aslı Erdoğan est turque et vit en exil en Allemagne. En 1991–1992, elle est chercheuse sur le boson de Higgs au CERN à Genève. Deux ans plus tard, elle quitte le monde de la science et livre son destin à la plume. Depuis, sa carrière d’écrivaine et d’activiste contre les fascismes et en particulier le gouvernement de son homonyme l’ont rendue célèbre dans le monde entier. Ses chroniques narrent son expérience de prisonnière politique en 2016; elle y évoque poétiquement les thèmes de la liberté piétinée et du droit universel à l’existence. Ses romans et écrits sont traduits en français, anglais, allemand et en partie interdits en turc.

Sous la plume d’Aslı Erdoğan et dans le concept du metteur en scène belge Luk Perceval, la pièce prendra cependant des résonances consonantes et dissonantes à la fois, épiques et d’une intime tristesse. Comme des Don Quichotte, les personnages esseulés perdus dans une foule qu’agite une vie absurde, n’arrivent pas à se tirer de leur propre sérail et tous les essais pour pallier l’unité, qu’elle soit sentimentale ou politique, échouent sans cesse, freinés par les ailes de moulin de la société, qui écrasent dans leurs engrenages les destins individuels et collectifs.

Le grand chef italien Fabio Biondi, vedette du renouveau de la pratique historique avec son ensemble Europa Galante, dirige pour la première fois l’Orchestre de la Suisse Romande dans cette farce douce-amère, où la jeune troupe de solistes mozartiens sera flanquée d’acteurs: leurs doubles devenus vieux. Le Grand Théâtre de Genève ouvre donc les portes du sérail pour une turquerie contemporaine, consistant en une critique dévoilée des absolutismes et abus de pouvoir en tout genre.

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Belmonte, a Spaniard, is on a mission to free his lover, the aptly-named Constance, who has been taken captive by another man. A prisoner in the seraglio of the Turkish pasha Selim, the fair Konstanze patiently awaits her freedom to come from outside the palace walls. But will it? And from whom?

Beyond this specific story of love interrupted, Mozart is telling us the universal story of humanity, or rather the Belgian director Luk Perceval is telling it through Mozart. A story of desire for timeless unity. A desire to be one with the universe and those who surround us. Even if such a desire can divide and oppose…

Performances of this “sung play” (Singspiel) have often dwelled on its exotic and somewhat contrived orientalism, piling one outrageous caricature on top of another, since the work is at the antipodes of political correctness, to the point of stripping the piece of any depth of meaning. It then becomes nothing more than an exercise in poking fun at the Ottoman Turk at the gates of Vienna or the Viennese dandy serenading his lady love. But Montesquieu’s critique and Cervantes’ time in the galleons of the Turk are also part of this ironic and inquisitive gaze. This entitles us to revisit the piece with a contemporary critical eye, one that is immersed in a world radically different from that of Mozart.

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Aslı Erdoğan is Turkish and currently living in exile in Germany. In 1991–1992, she was a researcher in physics at CERN in Geneva, working on the Higgs boson. Two years later, she quit the world of science to become a writer. Since then, she has become world famous as a writer and activist opposing fascism of every kind, particularly the government of the man with whom she shares a last name. Her novels and journals, where she raises the issue of freedom along with her experience as a political prisoner arrested in 2016, her determination to never stop writing about the constantly violated rights of individuals to exist, have been translated into French, English, German and partially censored in Turkish.

With Aslı Erdoğan’s written contributions to Luk Perceval’s stage concept, the work echoes with both consonances and dissonances of epic proportions and intimate sadness. Our Quixotic heroes are alone, lost in the madding crowd of an absurd life, unable to abduct themselves from their own seraglio. All their efforts to achieve sentimental or political unity are forever failing, frustrated by the wings of society’s windmills that crush individual and collective destinies with every spin.

The great Italian conductor Fabio Biondi, famous for his research in historically informed musical interpretation with his ensemble Europa Galante, directs the Orchestre de la Suisse Romande for the first time, with a cast of young Mozartian experts, shadowed by body doubles of themselves having aged, performing this bittersweet farce. When we open the doors of this seraglio, the Turkish delight that expects us is an unveiled critique of autocracy and abuses of power of every kind.

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