A Kyoto, le jardin zen du Ryoan-ji

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EN COUVERTURE | Kyoto

Un jardin zen LE CHEF-D’ŒUVRE DU RYOAN-JI

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eux cent cinquante mètres carrés de gravier. Quinze pierres cernées de mousse. Et des siècles d’exégèse sur son sens et ses mystères. A Kyoto, le monastère Ryōan-ji abrite l’un des plus célèbres karesansui (jardin sec) du Japon. Son agencement s’appuie sur le principe du mitate : littéralement, «suggérer quelque chose avec tout autre chose» , et laisse libre cours, tel un tableau ­abstrait, à l’interpré­tation. Ce chef-d’œuvre date de la période Muromachi (1333-1582), marquée par l’avènement dans la société japonaise, shintoïste, de pratiques ­religieuses et culturelles importées de Chine ou de Corée. La paysagiste anglaise Sophie Walker, auteur de le Jardin japonais (éd. Phaidon, 2017), décrypte pour GEO les secrets de celui du Ryōan-ji, à ses yeux «l’une des plus belles créations humaines». Un endroit propice à la méditation et à l’atteinte du satori, l’éveil spirituel des adeptes du bouddhisme zen.

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LE SENS

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On dit souvent de ce jardin qu’il est une «tigresse traversant la mer avec ses petits» : dans le bouddhisme, cet animal fait référence à notre inconscient. Autres interprétations : ce serait un groupe d’îles au milieu d’un océan, ou une forêt de cèdres dominée par des ­montagnes. Mais chacun peut en ce lieu faire appel à son imagi­nation car, puisqu’on ne peut y déambuler, seul l’esprit y pénètre. C’est un espace propice à la fois à la réflexion, à la p ­ hilosophie, à la poésie… voire à la ­psychanalyse.

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LA CONCEPTION

Il aurait été imaginé par le célèbre moine, peintre et créateur de jardins, Sōami, mort en 1525. Une hypothèse veut que cet artiste ait pris modèle sur l’un de ses célèbres tableaux : ­Paysage des quatre saisons.

UNE ŒUVRE-MUSE

L’intemporalité et l’abstraction sophistiquée du jardin ont bouleversé ­Gropius, le fondateur du mouvement Bauhaus, mais aussi le compositeur John Cage (qui en a tiré Ryoanji, une œuvre pour voix et instruments). Le jardin a aussi inspiré un collage à David Hockney, qui avait noté que tout en étant rectangulaire, ce karesansui n’a aucun angle à 90°.

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L E G R AV I E R Chargé d’énergie invisible pour les shintoïstes, ce revêtement – qui assure surtout un drainage lors des fréquentes pluies torrentielles – arriva dans les cours des palais impériaux à l’époque de Heian (794-1192), puis

s’imposa au XIVe s. dans les temples bouddhistes zen. Pouvant évoquer une étendue d’eau, il était une alternative aux coûteux étangs d’autrefois. Au Ryōan-ji, on l’entretient avec de lourds râteaux en bois, une tâche qui participe du chemin vers l’éveil.

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L E M U R Marquée par le style chinois, l’enceinte qui entoure le jardin est faite d’argile recouverte d’huile bouillie. Blanche à l’origine, elle a aujourd’hui acquis une couleur ocre sur laquelle les pellicules d’huile créent des motifs abstraits.

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L A M O U S S E Kyoto est une ville d’eau et la mousse y pousse partout. Celle-ci a été cultivée avant d’être replantée autour des pierres. Il existe environ une centaine de variétés de mousse. Celles du Ryōan-ji sont du genre Polytrichum.

LES PIERRES Héritage de la géomancie chinoise, les quinze pierres sont divisées en cinq groupes, appelés ishigumi. Pas plus hautes que le genou, elles sont en grande partie enterrées, de sorte qu’elles ressemblent à des montagnes, dont chacune est la demeure d’une entité divine, ou kami. Les ombres que les pierres projettent sur le gravier sont l’un des éléments propices à la méditation. LE CERISIER Cet arbre si populaire au Japon a été planté ici pour favoriser la méditation sur le temps qui passe et l’acceptation de la mort. Après une floraison fugace au printemps, le sakura (son nom japonais) colore le jardin du rose de ses pétales tombés sur le gravier. Un instant empreint de mélancolie. L A P L AT E F O R M E C’est sur cette avancée en bois, le engawa, que l’on médite. Même si l’on a l’impression de voir l’ensemble du jardin depuis ce piédestal, le panorama a été conçu de manière à ce que seules quatorze pierres sur quinze soient visibles en même temps. Des éléments «cachés en pleine lumière», comme aurait dit le psychanalyste français Jacques Lacan. Secret bien gardé, en un point particulier du engawa, que les initiés repèrent à un nœud dans le bois, on peut, au prix de quelques contorsions, visualiser les quinze pierres d’un seul coup.

PAR JEAN-CHRISTOPHE SERVANT (TEXTE) ET GAËL ELEGOËT (INFOGRAPHIE)

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