Conferinta Julien Clerc

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Conférence chantée Julien Clerc, ma préférence à moi Par Ludovic Perrin et Polo

Extrait : La Cavalerie

Parmi les influences citées par la nouvelle scène française, il est des noms qui reviennent : Gainsbourg, Brassens, Barbara, Renaud, Souchon, Ferré, Dominique A. Et d’autres beaucoup moins : Yves Simon, William Sheller ou Julien Clerc. Julien Clerc, je ne me souviens pas l’avoir entendu citer à part sur la bio du site d’Émily Loizeau. Quand on m’a proposé de faire une conférence chantée, c’est pourtant le premier nom qui m’est venu à l’esprit. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, parce que, faisant partie du Club des Patineurs, c’est-à-dire des amateurs de la première heure, je voulais parler de ce qu’écoutait l’amateur de chansons avant de devenir critique musical. Ensuite, il me paraissait intéressant de resituer un artiste qui a probablement été éclipsé par les succès de ses vingt dernières années de carrière. On peut le réduire au cadre de la variété. Ce qui n’est déjà pas si mal. Mais nous avions envie de parler des autres vies de Julien Clerc. De ses autres périodes. Parler du musicien, et Polo en parlerait mieux que moi, du compositeur qui a développé un style harmonique bien à lui. Parler aussi d’un chanteur qui possède une empreinte vocale immédiate. On a pu ironiser sur son fameux bêlement, toujours est-il qu’on souhaite à bien des chanteurs d’être aussi identifiables à la première note. À l’heure où l’on s’apprête à fêter ses 40 ans de carrière, à travers Julien Clerc, c’est également une manière de faire son métier qui se dessine. Elle peut sembler anachronique. Mais n’est-ce pas déjà bien de se cantonner à son métier de chanteur, avec une élégance qui fait qu’on ne parle de ses opinions politiques ni trop de sa vie privée ou des dons que l’on fait à des œuvres caritatives ? Un type qui a cultivé une distance dans un milieu où le tutoiement et les tapes dans le dos ne s’accompagnent pas toujours des meilleures intentions.


Première partie : La première idée que contredit Julien Clerc est celle du passage obligé par la galère. Julien Clerc a tout de suite plu. Très vite et très tôt. La première fois qu’on l’entend, c’est avec cette chanson, La Cavalerie. La chanson passe à la radio. La Cavalerie est pourtant une face B - celle du single oublié L’Amour en chantier. Mais nous sommes en Mai 1968. Le disque est introuvable. Toutefois, à partir de ce moment-là, la carrière de Julien Clerc ne connaîtra aucun trou, quasiment aucune baisse de régime. Elle va aller en s’amplifiant, avec des succès qui vont devenir des tubes, au moins deux par album, sortis avec une régularité d’horloger. Et les couvertures de Salut les Copains ne vont pas tarder à admirer ce visage aux grandes boucles brunes et ce sourire si sympathique toutes dents dehors. « Les dents, les dents » : Julien Clerc a entendu ça durant toute sa carrière. En 1968, il a 21 ans. Ce garçon n’a pour l’instant que joué dans des rallyes. Après avoir échoué à Sciences Po, il se retrouve en Droit à la Sorbonne, et c’est de là qu’il va symboliser une rupture dans la continuité avec la vieille école du music-hall, dont on mesurera les effets quelques années plus tard avec l’avènement de la nouvelle chanson française des Souchon, Chedid et Sheller. Tout s’est mis en place peu de temps auparavant. On a souvent parlé de l’épisode fondateur marquant la rencontre de Julien Clerc avec son parolier, Étienne RodaGil. À l’Écritoire, un café place de la Sorbonne, le chanteur lance à la cantonnade : « Y a-t-il quelqu’un qui veuille m’écrire des chansons ? » Et une voix répond : « Oui. » C’est Étienne Roda-Gil. En réalité, Julien Clerc, qui s’appelle encore Paul-Alain Leclerc, forme déjà un tandem en chanson. Il a d’ailleurs déjà présenté les chansons qu’il écrit avec Maurice Vallet lors d’une audition où on (Jean-Jacques Souplet) lui a conseillé de changer de répertoire et de chanter comme Enrico Macias. Avec les chansons de Roda-Gil, il va séduire lors d’une deuxième audition. Ça se passe rue Lord Byron, à deux pas des Champs-Élysées. Au septième étage d’un immeuble, chez Pathé-Marconi, le jeune homme exécute Hécatombe, une chanson aux relents dylaniens qui dure plus de cinq minutes. Il est sur un piano droit, face au mur et dos au jury. Lorsqu’il se retourne, complètement en nage, Bob Soquet, le directeur artistique, qui fera se rencontrer Alain Souchon et Laurent Voulzy, lui dit : C’est pas rien. C’est la première fois que quelqu’un lui fait part de son talent, à part ses paroliers et sa petite amie de l’époque. Alors, d’où vient-il, ce chanteur, entre Léo Ferré et les Beatles, Gérard Manset et Michel Delpech ? Extrait : Laissons entrer le soleil L’extrait Laissons entrer le soleil est tiré de la comédie musicale Hair. Pour la petite histoire, le type qui a fait l’adaptation en français de cette comédie musicale qui cartonne à Londres se nomme Jacques Lanzmann. C’est lui qui a écrit tous les succès de Jacques Dutronc. Je ne sais pas si aujourd’hui un jeune Julien Clerc ferait la Star Ac ou Les 10 Commandements, en tout cas, la version française de Hair va être une bonne rampe de lancement pour le chanteur. Il compte déjà un bon carré de fans. Mais il faut consolider. Julien Clerc se produira huit mois dans Hair. C’est au théâtre de la porte Saint Martin. Au bout de ces huit mois, on (Gilbert


Bécaud) lui dira : « Terminé les pantalons violets, tu te remets en noir et tu redeviens Julien Clerc. » Si Julien Clerc ne fait pas trop état de sa vie privée, elle explique néanmoins ses tiraillements entre deux milieux sociaux, deux styles, deux époques, deux genres. Bref, gentiment le cul entre deux chaises. Et ses deux auteurs, Maurice Vallet et Étienne Roda-Gil, vont chacun le révéler à leur manière. Né le 4 octobre 1947, il appartient aux premiers enfants de divorcés comme il le chantera des années après avec la chanson Double Enfance. Ce fait de sa vie privée explique peut-être en partie les contradictions du garçon, voire les ambivalences. Julien Clerc a tout de suite été le cul entre deux chaises. Entre deux milieux sociaux, deux genres, deux styles musicaux. Maurice Vallet est la personne qui connaît le mieux Julien Clerc. C’est son copain d’enfance, une sorte de double inversé. Ils se connaissent de Bourg-la-Reine, où il est le fils du tapissier. Julien Clerc y passe la semaine chez son père. Sa belle-mère l’éduque à la musique classique, et son père le forge au gaullisme. Le week-end, il le passe, rue Poirier de Narçay, porte d’Orléans, chez sa mère. Là, c’est tradition communiste. La mère de Julien Clerc était la fille de la femme de ménage qui venait faire ses devoirs chez le père de Julien Clerc. Je ne sais pas si c’est clair. En tout cas, ils se connaissaient de l’enfance, ils ont divorcé assez rapidement et chacun est reparti dans sa vie à l’opposé l’une de l’autre. Cette part de l’histoire de Julien Clerc, c’est donc Roda-Gil qui va la sublimer, en donnant une image politisée à son chanteur. Il lui écrira une chanson pour son grand-père communiste. Mais avant, il lui donnera une conscience politique. Car, jusque-là, à part les idées gaullistes de son père, haut fonctionnaire à l’Unesco, Julien Clerc n’a pas trop d’idées sur la question. Mai 1968, il l’a passé loin des barricades, bougies et volets fermés, avec sa petite amie, dans la maison de Bourgla-Reine. Étienne Roda-Gil, lui, a déjà théorisé sur Mai 1968, non loin de là, depuis sa cité HLM d’Antony où il habite avec sa femme, Nadine Delaye, grande bourgeoise, et sa mère, qui porte le deuil. Il fume le cigare, a une belle voix grave qui convainc ses copains, des fils d’immigrés tchèques, espagnols ou polonais. Mais il ne chante pas… À travers Julien Clerc, il va inventer des chansons dont une donnera son nom à ses adeptes, le fameux Club des patineurs. Extrait : Le Patineur


Deuxième partie : Tout juste après La Cavalerie, Julien Clerc a été signé par un jeune éditeur aux éditions de Gilbert Bécaud. L’éditeur se nomme Bertrand de Labbey. C’est le futur patron de la plus grosse agence artistique en Europe : Artmedia. Et il s’occupe encore aujourd’hui de Julien Clerc. Gilbert Bécaud l’avait mandaté car il souhaitait signer de jeunes talents. Et Julien Clerc lui restera fidèle. Une carrière se fait aussi par la faculté de regrouper des équipes autour de soi. Ceux de Julien Clerc auront souvent dix ans de plus que lui. C’est ainsi qu’en février 1969, après une petite tournée de quinze dates, Julien Clerc fait la première partie de Gilbert Bécaud à l’Olympia. Faire une anglaise, cela voulait dire jouer trois chansons. Julien Clerc en fera quatre. Et si une rivalité naîtra progressivement après cet Olympia entre les deux artistes, Bécaud reprochant à De Labbey de se voir préférer Julien Clerc, il est intéressant de voir que Julien Clerc s’est imposé en se faisant adouber, un peu comme Raphael avec Jean-Louis Aubert aujourd’hui. Sur bien des points d’ailleurs, il a suivi le modèle de Gilbert Bécaud. Tous deux sont mélodistes, tous deux possèdent des voix très physiques, tous deux ont su créer des attelages avec des paroliers, en en changeant lorsqu’ils voulaient évoluer comme on changerait de peau, comme on changerait de personnage. En décembre 1970, soit deux ans après ses débuts, il fera son premier Olympia en vedette. Mais s’il a des succès, il n’a pas encore véritablement de tube. Pas en tout cas de l’ampleur qui vont suivre. Pourtant, aujourd’hui, ses spectacles se consacrent chaque fois davantage vers ses débuts aux chansons moins connues. C’est cela qui assure la respectabilité de la presse, ces Ivanovitch, Yann et les dauphins, Des jours entiers à t’aimer, Niagara, La Petite Sorcière malade, Le Patineur… Julien Clerc et Étienne Roda-Gil ont donné un nouveau sens narratif à la chanson. En s’influençant des poètes espagnols hermétiques, « Roda » casse les règles de l’image en chanson. Le même Roda, qui prend de plus en plus de place dans le trio de départ, évinçant même Maurice Vallet, dit Momo, le copain de toujours. Il fait des tubes d’un nouveau genre. Des flashes, comme sous acide, des textes écrits sur une boîte d’allumettes comme il aimait à le dire. Et quand on lui fait remarquer qu’on ne comprend pas ce qu’il chante, Julien Clerc répond : « Je vous rassure, moi non plus. » D’ailleurs, toi, Polo, je crois que ça a été aussi le cas… Exemple : Ce n’est rien. Extrait : Ce n’est rien


Troisième partie : Le tube Ce n’est rien va permettre à Julien Clerc de faire un an après un deuxième Olympia en vedette, c’est-à-dire en 1972. Cette chanson pourrait marquer aussi le sommet d’une équipe qui va certes connaître encore beaucoup de succès, comme Le Patineur, Le Cœur Volcan, Si on chantait, Je sais que c’est elle, Dansesy. Mais s’il y a une ascension dans cette équipe formée autour de Roda-Gil, Maurice Vallet et de Jean-Claude Petit, un jeune arrangeur repéré par le directeur artistique Bob Soquet, elle va néanmoins lentement se désagréger. Disons qu’une rupture dans la vie privée de Julien Clerc va en annoncer une autre, professionnelle, celle-ci. Dans un premier temps, Julien Clerc a envie de s’écarter de la partition où, jusque-là, Jean-Claude Petit notait tout, même les parties de batterie. Sur le modèle anglais, Julien Clerc va s’accompagner d’un groupe qui lit la musique sur des grilles d’accords, laissant plus de champ libre. Puis il va chercher à renouveler son pool d’auteurs. Étienne Roda-Gil a toujours aimé les femmes de Julien Clerc. Une manière peutêtre indirecte de se déclarer pour cette sorte d’auteur se rêvant Pygmalion, pour cette sorte de père spirituel, pour cette sorte de chanteur par procuration. Il a déjà écrit Je sais que c’est elle à propos de France Gall. Une autre chanson va être écrite pour la fille de Robert Gall, le compositeur de La Mamma pour Aznavour. En 1975, Julien Clerc et France Gall ont rompu. Grande tristesse. Et Julien Clerc fait ce qu’il ne fait jamais avec ses auteurs : il passe commande, souffle un thème. Et France Gall, qui a déjà eu droit à Comme d’habitude par Claude François, va avoir droit à une nouvelle chanson de rupture. L’une des plus belles écrites par Roda-Gil : Souffrir par toi n’est pas souffrir. Une chanson qui est devenue un classique avec le temps alors qu’elle n’était pas un tube de l’instant comme This Melody ou Elle voulait qu’on l’appelle Venise sur le même album. Elle se trouve sur le septième album de Julien Clerc. Ce disque sobrement intitulé N° 7 a une pochette aussi noire que son propos est sombre. Julien Clerc, pour une des premières fois, ne sourit pas dessus. Et ses nouvelles chansons vont figurer parmi ses plus mauvaises ventes — enfin des mauvaises ventes pour lui, c’est toujours au moins 100 000 exemplaires écoulés. Mais s’il ne s’est pas très bien vendu, cet album reste un de ses plus cohérents. Figurant parmi ces disques qui ne font pas de concessions à l’époque, il voit également Maurice Vallet revenir en force avec quatre chansons. Toutefois, après cette déception commerciale et la tournée difficile qui s’en suit, Julien Clerc et son agent Bertrand de Labbey décident de construire les albums autrement. En gros, de tout remettre en question. C’est-à-dire qu’on fait appel à de nouveaux auteurs, tels que Jean-Louis Dabadie, qui écrit pour Serge Reggiani et Michel Polnareff. Ou Maxime Le Forestier, vieux copain qui fera toujours des chansons d’album jusqu’aux succès Quitter l’enfance en 1991 et Double Enfance en 2005. C’est donc Dabadie qui va progressivement remplacer Roda-Gil, comme une sorte de cheville ouvrière. Et de là va naître un sentiment de jalousie exacerbé chez RodaGil. Un sentiment qu’on peut lire en 1978 dans la chanson Jaloux. « Étienne supporte très mal que je travaille avec d’autres paroliers, nous confiait Julien Clerc en 1997. C’est un sentiment de jalousie comparable à celui que vous pouvez


ressentir lorsque votre femme couche avec d’autres hommes ; ça vous est insupportable. On se situe à ce niveau-là avec Étienne. Il pense que parfois je me galvaude avec certains auteurs. Mais il ne me dit pas directement ces choses-là. On se parle très peu en fait. La fois où nous nous sommes parlés, ça a été tellement violent que depuis on évite de s’affronter comme s’il y avait un accord tacite entre nous. » L’image du couple convient bien au tandem. Même s’ils ne se retrouvent qu’autour des chansons, il y a une sorte de lien difficile à comprendre de l’extérieur. Ce sont des gens qui se connaissent sans se connaître en se connaissant très bien finalement. Ils ne sont jamais partis en vacances ensemble, ne semblent pas partager les mêmes cercles d’amis, et pourtant combien de chansons… Le divorce définitif aura lieu en 1980. Dès lors, Julien Clerc consommera littéralement des auteurs, les prenant puis s’en séparant, en en gardant toujours un noyau fidèle. Cela donne des albums plus éclatés, plus disparates. À l’heure où les radios libres apparaissent, où les chaînes musicales arrivent et où l’industrie du disque se développe plus que jamais avec l’avènement du CD, Julien Clerc semble revenir à la recette d’albums composés d’une succession de singles. Au début des années 1980, il fait donc travailler Jean-Loup Dabadie, mais aussi Jay Alanski, le compositeur du Banana Split et de Palais Royal pour Alain Chamfort, des textes qu’il reçoit par courrier de Bernard Lauze ou de Serge Gainsbourg. Avec Serge Gainsbourg, ils feront des chansons où chacun ne donnera pas le meilleur de luimême (mais ils ont désormais le même agent comme Dabadie d’ailleurs). Julien Clerc, qui a chanté Ma Préférence en duo avec Jane Birkin au moment où le couple se sépare, expérimente avec Gainsbourg de nouvelles méthodes de travail, obligé d’enfermer son auteur dans le studio où il carbure au vin blanc, n’obtenant les textes qu’à la dernière minute alors qu’il aime tant préparer ses parties avant d’entrer en studio. Il y aura aussi Luc Plamondon. C’est l’auteur de Diane Dufresne et de Starmania. Avec lui, on va entrer dans la période que déteste le plus le Club des patineurs. Et qui vaut aujourd’hui au chanteur d’être légèrement moqué : Cœur de rocker, Lili voulait aller danser…, des tubes qui vont s’accompagner d’une montée en puissance du travail scénique. En 1985, Julien Clerc, qui vient d’obtenir un énorme succès avec Mélissa, écrit par un nouvel auteur encore, David Mac Neil, le fils de Chagall, fait Bercy onze soirs. Puis, ce sera le Grand Rex et d’autres Zénith. Extrait : Pot pourri


Quatrième partie : On a pu reprocher à Julien Clerc quand il était chez Pathé Marconi de ne pas être un vendeur de singles. Il l’est toutefois devenu en changeant de maison de disques. En 1982, après quatorze ans chez la maison de disques française Pathé Marconi, il devient l’un des premiers artistes hexagonaux à rejoindre la maison montée en Angleterre par Richard Branson au milieu des années 1970. La boîte s’appelle Virgin, bientôt elle rachètera l’ancien Pathé-Marconi. Comme Renaud ou Alain Souchon trois ans plus tard, Julien Clerc marque là un changement radical. Il lui manquait à moderniser son image. Et, dans les années 1980, ce sera très chic d’être chez Virgin. On y croise Daho, les Rita Mitsouko… Et cet artiste de 35 ans ne change pas uniquement de positionnement artistique. Il va également épouser les modes du business à l’anglo-saxonne. Il ira même jusqu’à composer des publicités pour des voitures. Extrait : Pub Citroën Même si depuis 1974, où il fonde ses éditions Sidonie et Crécelles, il a déjà acquis une certaine autonomie, il va aller plus loin encore, en devenant son propre producteur. Aznavour et Bécaud l’avaient déjà fait. Mais il est l’un des premiers artistes de la plus jeune génération à gérer autant son business. Pourtant, nous disait-il, il ne comprend rien aux histoires de chiffres. « Je me suis organisé dans la vie pour faire l’artiste. Je suis très bien entouré et chacun fait son boulot. J’ai eu la chance énorme de rencontrer mon agent Bertrand de Labbey et sincèrement ça fait trente ans que je signe des papiers en regardant ailleurs quand on me les soumet. Pour ma première signature avec Bertrand, il m’avait dit : « Vous aurez un contrat avec des conditions qu’on accorde généralement à un artiste confirmé. » Ah bon ? avais-je répondu. Je ne savais pas à quoi correspondaient ces conditions. Je vous assure que je ne comprends pas très bien et je m’en fous. » Un changement de contrat donne toujours à un artiste envie de séduire. Le premier album de Julien Clerc pour Virgin s’intitule Femmes, indiscrétions, blasphèmes, les trois premiers mots de trois chansons de l’album. C’est son plus gros succès commercial avec l’innénarable Femmes je vous aime qui finira dans une publicité pour des serviettes hygiéniques, je crois. Ce succès va donner des idées au grand patron de Virgin. Richard Branson lui dit un jour : « Tu as eu la malchance d’être né français. » Et, lui préconisant une carrière planétaire, lui propose d’enregistrer ses albums en anglais. Julien Clerc avait déjà enregistré dans des langues étrangères comme cela se faisait beaucoup à l’époque pour les chanteurs de variétés. Il a enregistré en allemand, en japonais, en espagnol. Mais cette étape vers le marché anglo-saxon va s’avérer plus douloureuse. Une cassure même, comparable aux rêves déçus de Gérard Depardieu de conquérir le marché international. L’album Les Aventures à l’eau, marquant en 1987 le début d’une collaboration avec Françoise Hardy, va donc être enregistré en anglais sous le titre There is No Distance. C’est une période difficile et délicate pour le chanteur. Le sens des adaptations en anglais étant complètement différent des originaux, les auteurs anglais exigent d’être crédités comme créateurs et non comme adapteurs seulement. Julien Clerc a le sentiment d’avoir arraché leurs chansons à ses auteurs français.


Certains l’accepteront, d’autres moins. C’est le cas de Luc Plamondon, très concerné par les problèmes d’identité linguistique sur le continent nord-américain. D’où brouille. Là-dessus, le marché hollandais et allemand, jusque-là sensibles au Julien Clerc en français, rejettent les deux albums qui seront produits en anglais. En définitive, admettra Julien Clerc, « nous avons dépensé beaucoup d’énergie pour être humiliés par les Anglais. Ça m’a guéri du rêve américain. » Extrait : Fais-moi une place


Cinquième partie : Fais-moi une place va permettre à Julien Clerc de sortir des années 1980. Sur le moment, les années 1980 ont paru terriblement excitantes. John Lennon, qui ne les aura pas connues, ne disait-il pas souvent qu’il était très enthousiaste à l’idée d’entrer dans cette nouvelle décennie ? De notre point de vue d’aujourd’hui, en plein retour de la musique acoustique depuis quinze ans, elle a fait beaucoup de mal aux artistes. En tout cas, il fut difficile pour chacun d’eux de ne pas y laisser des plumes, cédant au gel et à ces sons synthétiques de batterie vieillissant terriblement les chansons. À nouveau, et ça va être de plus en plus le cas, c’est vers Roda-Gil que Julien Clerc se tournera pour se refaire une virginité. Comme cela arrive parfois, les retrouvailles se font lors d’un enterrement. En 1990, Nadine Delaye, la grande bourgeoise qui habitait dans une HLM à Antony avec Étienne Roda-Gil, cette peintre et très belle femme, meurt en 1990. « Nous nous sommes retrouvés alors que des malheurs s’abattaient sur sa vie », dira Julien Clerc. Après Fais-moi une place, le spectacle qui va suivre, Amours privées, passions publiques, va être essentiellement centré sur les débuts de Julien Clerc avec RodaGil, en tout cas toute la première partie interprétée piano-voix par le chanteur pianiste autodidacte. Ce n’est rien par exemple est là très belle version sans les arrangements d’origine. Et le live, produit par Phil Ramone, le producteur mythique de Still Crazy After All These Years pour Paul Simon, va lui être dédié ainsi qu’à Nadine. Et ce sont les collages et peintures de Nadine Delaye qui vont former la pochette de l’album qui va suivre, Utile. Pour la première fois, Roda écrit tous les textes d’un album de Julien Clerc. Durant les dix ans qu’aura duré leur séparation, il n’a pourtant pas chômé. Il a continué à faire ce qu’il avait commencé à faire depuis 1969, c’est-à-dire à commettre quelques infidélités à Julien Clerc avec le futur Alain Chamfort, alors Alain Le Govic, Claude François, Barbara, Mort Schuman, Sophie Marceau ainsi qu’une jeune interprète du nom de Vanessa Paradis. En 1987, Joe le taxi est un tube énorme. Roda-Gil a également participé à un opéra rock sur la Révolution française avec Roger Waters des Pink Floyd et il a écrit des scénarios avec le cinéaste Zulawski. Avec Julien Clerc, il va proposer une nouvelle méthode de composition. Julien Clerc, qui a l’habitude de donner des musiques à ses auteurs, parfois la même à plusieurs en même temps, dit-on, va composer pour Utile à partir des textes. Alors, l’histoire telle qu’on la connaît : tous les jours, en début de soirée, Roda-Gil passe chez Julien Clerc lui déposer un texte. Il reste cinq minutes. Et le même scénario, le lendemain. Il en restera onze chansons arrangées pour certaines par Jean-Claude Petit, un revenant lui aussi. Le tube, c’est Utile, une chanson inspirée par un récit de Juliette Gréco, choquée par un voyage au Chili. Julien Clerc dira à propos de ses retrouvailles avec Roda-Gil : « On n’avait pas écrit depuis tellement longtemps ensemble qu’il m’a vraiment balancé la came. C’était du brut, du lourd. On était moins jeunes, plus raisonnables. Il est Lion, moi Balance. Nous avons les mêmes rapports de force qu’un couple qui se réconcilie sur l’oreiller ; nous, c’est avec les chansons. Ça a été une aventure humaine à forte densité émotionnelle. »


Retour également à l’Olympia. « L’album est arrivé au bon moment quand il fallait recadrer mon image », dira le chanteur. Roda affirme alors dans la presse : « Julien Clerc, c’est comme la Révolution française, on l’accepte en bloc ou on la rejette. » Mais ils ne se retrouveront plus sur la longueur d’un album. Julien Clerc va revenir à son éclectisme d’auteurs, formant de nouveaux tandems, récemment avec Carla Bruni. Extrait : Si j’étais elle L’année prochaine, c’est-à-dire dans quinze jours, il fêtera ses 40 ans de carrière. C’est beaucoup. Quel visage prendra-t-il pour sa dernière partie de carrière ? Celle d’un crooner, une sorte de Sinatra français comme il s’y était essayé sur son unique album de reprises il y a peu, Studio ? Ou celle d’un Bécaud ou d’un Aznavour contre qui il n’a jamais essayé de lutter pour s’imposer ? En tout cas, il continuera de composer des chansons, en réécoutant Léo Ferré chaque fois qu’il s’y met, avec une forme d’humilité. « Tout est dérisoire aujourd’hui, dit-il. Tout le monde est qualifié de star. Alors, raison de plus, pour essayer de faire humblement son ouvrage. » Extrait : Ma Préférence


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