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Jeunes et actifs Portraits de jeunes gens courageux qui s’engagent en faveur des droits humains et de la liberté.
Editorial L’année dernière, les images des manifestations en Afrique du Nord et dans le Proche-Orient ont fait naître une vague d’espoir dans le monde entier. Partout, il était frappant de voir combien ces manifestations étaient portées par des personnes de la jeune génération, qui ne se sentaient pas représentées par les élites politiques et qui revendiquaient un droit de parole plus important dans la société et en politique. Ils ont exprimé avec courage qu’ils souhaitaient participer à la construction de l’avenir de leurs pays respectifs. Les adolescent-e-s et jeunes adultes sont-ils les vrais initiateurs du changement, aujourd’hui? Nous avons interviewé plusieurs jeunes personnes engagées, parmi lesquelles des représentant-e-s des Roms, des Tibétains et des Tamouls. Chacun-e d’entre eux milite corps et âme pour une amélioration de la situation des droits humains pour leur minorité respective. En 2011, la Société pour les peuples menacés (SPM) a initié deux projets de soutien pour les jeunes adultes qui veulent s’investir dans la société ou la politique. Dans le cadre du projet «Youth for Positive Change», de jeunes Roms bénéficient d’un accompagnement pour que leurs revendications au Kosovo soient mieux entendues (voir p. 4–5). A travers un autre projet, qui démarrera en 2012, la SPM soutiendra en Suisse de jeunes Tamoul-e-s qui souhaitent se lancer dans la politique (voir p. 12). Nous sommes ravis de saisir l’opportunité d’encourager ainsi de futurs acteurs et actrices du changement! Par ailleurs, nous attirons votre attention sur deux communications internes à l’association: notre assemblée générale annuelle se tiendra le 9 mai (voir p. 10), et le rapport annuel 2011 sera prochainement disponible sur notre site Internet. Par souci écologique, ce dernier ne sera pas envoyé par la poste cette année. Franziska Stocker, SPM Suisse
La Société pour les peuples menacés (SPM) est une organisation internationale des droits de l’Homme qui s’engage pour les minorités et les peuples autochtones. La SPM dénonce les violations des droits de l’Homme, informe et sensibilise l’opinion publique et représente les intérêts des personnes concernées devant les autorités décisionnaires. Elle encourage les efforts locaux effectués en faveur de la promotion des droits des minorités et peuples autochtones. En outre, elle travaille sur le plan national et international avec des organisations qui poursuivent les mêmes objectifs. La SPM bénéficie d’un statut de conseiller au Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC) ainsi qu’au Conseil de l’Europe.
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De jeunes Roms se battent pour être mieux entendus
«C’est à nous de prendre la situation en main.»
Un printemps politique birman?
Au Kosovo, de nombreux Roms se sentent incapables de dessiner des perspectives dans ce qui pays où ils ont l’impression d’être des citoyen-ne-s de seconde classe. La frustration est particulièrement palpable au sein de la jeune génération.
Tharsika Pakeerathan (23) et Kabilan Sivapatham (29), tous deux d’origine tamoule, s’investissent depuis un certain temps déjà en faveur des intérêts des Tamoul-e-s. Au cours de l’interview, ils nous ont fait part des défis que cet engagement impliquait.
Les réformes annoncées en Birmanie laissent présager que cet État pluriethnique serait à l’aube d’une transformation politique. Cependant, Bô Kyi, éminent défenseur des droits humains, déplore que la situation des prisonniers politiques et des minorités soit toujours aussi difficile.
Table de matières
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De jeunes Roms se battent pour être mieux entendus
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Nouvelles brèves
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«J' apprécie les possibilités dont je dispose ici.»
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Projets et campagnes de la SPM
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Interview avec deux jeunes Suisses d’origine tamoule
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Un printemps politique birman?
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Derrière le masque du glamour
Editrice: Société pour les peuples menacés Suisse, Schermenweg 154, CH-3072 Ostermundigen, tél. 031 939 00 00, fax 031 939 00 19, e -mail: info@gfbv.ch, Internet: www.gfbv.ch, Dons: BCBE: IBAN CH05 0079 0016 2531 7232 1 Rédaction: responsable: Franziska Stocker, collaboration: Nikolai Räber, Lea Hürlimann Graphisme/Support: Clerici Partner AG, Zurich Mise en page: Franziska Stocker Traduction: weiss traductions, Zurich Photo couverture: Manifestation pour le Tibet organisée devant l’ONU à Genève lors de la Journée des droits de l’Homme le 10 décembre 2011 par l’Association Jeunesse tibétaine en Europe (VTJE) (photo: VTJE) Photo au verso: Jeune fille rom à Mitrovica/Kosovo (photo: Franziska Stocker) Parution: trimestrielle Tirage: 1350 exemplaires Abonnement: CHF 30.–/an, prix pour les annonces sur demande Prochain numéro: sept. 2012, délai pour les annonces et la rédaction: 1er août 2012 Copyright: © 2012 Société pour les peuples menacés Suisse. La reproduction d’articles est autorisée avec référence de la source et remise d’un exemplaire à l’éditrice. Impression: gdz AG, Zurich, imprimé sur papier FSC Certificat ZEWO: La SPM est une institution d’utilité publique reconnue par le ZEWO. Il garantit l’utilisation à des fins déterminées et transparente des dons.
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4 De jeunes Roms se battent pour être mieux entendus Au Kosovo, de nombreux Roms se sentent incapables de dessiner des perspectives dans ce qui pays où ils ont l’impression d’être des citoyen-ne-s de seconde classe. La frustration est particulièrement palpable au sein de la jeune génération. C’est pourquoi un groupe de jeunes Roms s’engage pour gagner le droit de participer davantage à la prise de décisions sociétales et politiques.
Photo: YPC
Depuis août 2011, les disputes frontalières entre le Kosovo et la Serbie ont regagné en intensité. Les conséquences que la réémergence du conflit peut avoir pour les minorités, et en particulier pour les Roms, sont incertaines. La constitution du Kosovo garantit certes des droits non négligeables aux minorités mais dans les faits, l’Etat n’est pas en mesure d’assurer aux Roms des droits fondamentaux aussi élémentaires que le droit à la formation, l’accès aux soins médicaux, à un logement ou à un travail. «Plus de 95 pour cent des Roms sont sans emploi et nombreux sont ceux et celles qui se débrouillent grâce à des petits boulots à la journée. En cas de maladie, ils manquent souvent d’argent pour une prise en charge médicale suffisante. De nombreux enfants et jeunes ne vont pas à l’école ou interrompent leur scolarité prématurément», rapporte Dzafer Buzoli, collaborateur de la Société pour les peuples menacés (SPM) au Kosovo. Avec une situation déjà difficile en l’état, cet envenimement du conflit entre la Serbie et le Kosovo n’augure rien de bon. Etant donné que de nombreux Roms parlent serbe et que certains vivent dans la partie du pays où résident les Serbes du Kosovo, la majorité albanaise assimile souvent les Roms à cette communauté, qu’elle déteste; les Roms s’exposent ainsi à des discriminations supplémentaires.
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Des structures patriarcales Selon les textes institutionnels garantissant la protection des minorités, ces dernières ont en principe accès aux institutions et elles peuvent y déposer leurs requêtes. Néanmoins, les commissions officielles sont généralement composées de représentants de l’ancienne génération des Roms. Or, bien que jouissant d’une notoriété certaine dans leur communauté, ces personnes manquent de connaissances, d’expérience et de ressources pour réellement tirer profit de ces commissions de façon à améliorer les conditions politiques et socio-économiques des Roms du Kosovo. En outre, le morcellement interne des communautés nuit à l’établissement d’une politique cohérente favorable à l’ensemble des Roms. «Il n’est pas rare que les intérêts particuliers de certains clans familiaux dominent le débat politique. Il manque un sentiment d’appartenance suprarégional», critique Dzafer Buzoli. A cela s’ajoute que les acteurs de la société civile des Roms sont mal organisés. La jeune génération, et donc la défense de ses revendications, est particulièrement pénalisée par cette situation. «Au sein des organisations sociales traditionnelles des Roms, à tendance souvent fortement patriarcale, il est quasiment impossible pour les jeunes de s’exprimer, d’où l’apparition de frustration et d’apathie politique», déclare Dzafer Buzoli.
Se faire entendre: des membres du YPC lors de la production de leur émission radiophonique hebdomadaire
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Un engagement au-delà des frontières ethniques Malgré cela, on observe aussi des signes de renforcement d’une partie de la jeune génération rom, qui fait preuve d’un engagement socio-politique croissant et qui s’investit en faveur d’une réelle participation sociale et politique. Les jeunes femmes roms jouent un rôle primordial dans ce processus. La SPM a remarqué le potentiel de cette jeune génération et soutient depuis début 2011 la construction du réseau suprarégional «Youth for Positive Change» (YPC), fondé en novembre 2010 par un groupe de jeunes Roms. «L’objectif du réseau consiste à donner la possibilité à des jeunes adultes d’assumer un rôle actif dans la société kosovare et d’améliorer les conditions de vie de la communauté rom», explique Mirjeta Osmani, co-fondatrice du YPC. Le réseau ne rassemble pas que des Roms, mais compte également des Albanais-e-s, des Serbes et des Gorani. Fin 2011, le YPC dénombrait 40 membres actifs qui s’engagent bénévolement en faveur des droits des minorités.
Roms à l’échelle du Kosovo. «Les auditrices et auditeurs peuvent faire part de leurs requêtes et de leurs expériences et les diffuser en direct. Cela leur permet de faire entendre leur voix
Le YPC concentre ses efforts avant tout sur la situation au sein de la communauté rom. «Nous organisons par exemple des ateliers d’information dans les quartiers roms pour empêcher que des filles mineures soient mariées contre leur gré ou pour améliorer la position des jeunes filles au sein de leur clan», raconte Mirjeta Osmani. Elle n’est pas étonnée que les responsables roms en place voient cette évolution d’un œil plutôt sceptique. Afin d’assurer ses arrières vis-à-vis de ces anciens et de se procurer une légitimité auprès des plus jeunes habitant-e-s des quartiers, le YPC organise ce qu’il appelle des «Speak out». Ces manifestations, qui ont lieu dans des lieux publics, offrent l’opportunité aux jeunes d’exprimer leurs besoins et leurs avis sur la situation actuelle. Suite à ces rencontres de discussion, les représentant-e-s du YPC recherchent régulièrement le contact direct avec les autorités kosovares ainsi qu’avec les représentants officiels des Roms. L’idée est d’éviter que les revendications de la jeune génération soient rangées aux oubliettes et de faire en sorte que les représentants officiels des Roms s’engagent en faveur des intérêts de l’ensemble des membres de la communauté, et pas uniquement de ceux de leurs clans respectifs. La présence publique de la jeunesse des quartiers permet de donner plus de poids à ces revendications. Grâce à sa propre émission hebdomadaire à la radio, le YPC diffuse en outre des informations sur la situation des jeunes Société pour les peuples menacés Suisse
Photo: Angela Mattli
De jeunes acteurs du changement
Membres du YPC lors d’un atelier avec la SPM, planifiant ensemble des projets de soutien pour les jeunes Roms.
en public et de prendre possession d’un espace d’expression que la majorité kosovare-albanaise et la génération des Roms plus âgés ne leur reconnaissent souvent pas», se réjouit Mirjeta Osmani. Malgré la situation politique inextricable et la réémergence du conflit dans le nord du Kosovo, l’engagement de la jeune génération rom est source d’espoir: l’espoir d’un Kosovo avec une société civile qui s’engage de plus en plus en faveur de l’intégration des minorités, qui se bat pour ses droits politiques et culturels et dont les acteurs n’hésitent pas à lancer le débat sur la question du pouvoir au sein de leur propre communauté. Texte: Angela Mattli, SPM Suisse
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6 «J’apprécie les possibilités dont je dispose ici.» Norzin-Lhamo Dotschung s’engage avec l’association Jeunesse tibétaine en Europe (VTJE) en faveur du maintien de la culture tibétaine et elle se bat pour un Tibet libre et indépendant. La militante étudiante est convaincue que la résistance pacifique finira par porter ses fruits.
Photo: VTJE
C’est lors des préparatifs des Jeux Olympiques 2008 à Pékin que la jeune fille de 24 ans qui a grandi en Suisse, Nuri pour les intimes, est pour la première fois devenue concrètement attentive aux atteintes contre les droits humains au Tibet. L’impuissance face à la dictature chinoise et la quasi-imperceptibilité des voix qui s’élevaient au niveau international contre les violations continues des droits humains au Tibet ont provoqué un déclic chez la Suissesse aux origines tibétaines: «A cette époque, j’ai compris qu’il appartenait à la diaspora et surtout à nous, les jeunes, de faire connaître les revendications des Tibétaines et des Tibétains. C’est à nous de faire en sorte que la voix des habitant-e-s du Tibet soit entendue.» La jeune et courageuse étudiante en droit participe depuis 2008 activement à l’association Jeunesse tibétaine en Europe (VTJE), dont le siège se situe à Zurich, et qui compte actuellement plus de 400 membres. Depuis avril 2010, Nuri assume même la présidence de l’association. Son père faisait aussi partie de membre de l’organisation de jeunes et plusieurs de ses ami-e-s sont également de la partie. En discutant avec Nuri, il apparaît clairement que l’engagement des jeunes Tibétain-e-s est une attente centrale de la diaspora tibétaine et qu’il est source de beaucoup de considération auprès des parents: «Cette conscience politique nous est inculquée dès le berceau. On grandit dans cet environnement et plus tard, on se rend comp-
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te qu’ensemble, on peut déplacer des montagnes. Ce qui m’importe personnellement, c’est que la jeunesse tibétaine se mette en réseau et développe une vraie cohésion. Car nous avons tous le même objectif: un Tibet libre!»
Activisme politique 2.0 Afin de sensibiliser le grand public à la situation critique au Tibet, le VTJE mise sur des actions originales. «Je crois que la jeune génération a compris que les actions doivent être percutantes sur le plan médiatique. Pour cela, il faut entretenir de bons contacts avec les médias. Afin de toucher suffisamment de personnes, il faut que les journaux parlent de nous. Désormais, nous disposons de cette possibilité et savons l’utiliser à bon escient», explique Nuri. Une action guérilla menée par le VTJE en décembre dernier dans plusieurs villes de Suisse illustre concrètement cette démarche. Sous le slogan «Tibet brennt und die Welt schaut zu» (Le Tibet brûle et le monde est spectateur), des vidéos montrant de jeunes moines et nonnes tibétain-e-s s’immolant de désespoir ont été projetées sur les façades d’immeubles de différentes places publiques. Nuri explique qu’ «avec cette action, nous pouvions atteindre des passant-e-s et par là même transmettre des informations sur la situation désastreuse au Tibet aux personnes intéressées et à la presse locale.» En tout cas,
L’action «Tibet brennt und die Welt schaut zu» (Le Tibet brûle et le monde est spectateur).
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Photo: Nikolai Räber
Nuri est convaincue que ces actions sont bien acceptées par la nération au Tibet de voir qu’au sein de la diaspora aussi, nous population et qu’elles peuvent avoir des effets concrets: «De nous engageons activement. Cela encourage les jeunes là-bas ma propre expérience, j’ai pu remarquer que lors de diverses à continuer de se battre.» Il est capital que des organisations manifestations, des personnes nous ont applaudi et témoigné leur soutien. De ce fait, ils nous ont confirmé que nous avions raison d’agir comme nous le faisons. Je pense que le combat pour la liberté au Tibet suscite globalement de la sympathie de par le monde, et ce essentiellement parce que notre lutte est pacifique.» En dehors de la solidarité extérieure, la cohésion des organisations pro-tibétaines dans le contexte international est tout aussi importante. Entre-temps, les associations se comptent par dizaines tout autour de la planète. Grâce aux nouvelles technologies de communication et aux médias sociaux, il est plus simple de correspondre entre les différentes organisations. Des conférences internationales sont régulièrement organisées pour échanger sur des problèmes ou des campagnes donnés. «Les médias tels que Facebook ou Skype nous ont permis d’établir un contact plus étroit et d’améliorer la collaboration entre nous comparé à avant. Ces technologies nous offrent des Norzin-Lhamo Dotschung, présidente du VTJE moyens dont nos parents ne disposaient pas», précise Nuri au cours de l’entretien. Les nouveaux modes de communication telles que le VTJE se fassent le relais des événements au Tibet facilitent aussi le contact privé entre les Tibétain-e-s de Suisse et diffusent l’information autant que possible, car pour les et ceux qui sont restés au pays, et ce malgré des efforts assidus personnes à l’intérieur du Tibet, il est difficile de capter de la part du gouvernement chinois visant à censurer toute l’attention internationale. Ce n’est qu’à travers les organisaforme d’échange: «Au Tibet, on sait comment contourner les tions à l’étranger que leur voix parvient jusqu’à la communauté restrictions», explique Nuri. internationale pour dénoncer leur situation alarmante.
De l’éducation naît la responsabilité
Leur engagement: un devoir moral
En dehors de l’utilisation des médias sociaux et de l’organisation d’actions originales, le VTJE présente une autre caractéristique intéressante: comme Nuri, la plupart des militant-e-s de la deuxième ou de la troisième génération possèdent un diplôme d’études supérieures. «Je pense que les possibilités de formation jouent un rôle non négligeable dans le fait que nous ayons pu mettre en place des structures professionnelles ici en Occident. De la génération plus ancienne, nous avons appris que notre vie devait servir à quelque chose. Pour eux, les opportunités de formation et de travail ont été fortement limitées par l’occupation chinoise.» Connaissant l’histoire de leurs parents, de nombreux jeunes Tibétain-e-s considèrent la formation et le droit de participer au débat politique comme de réels privilèges. Nuri éprouve une reconnaissance profonde: «J’apprécie à leur juste valeur les possibilités qui me sont offertes ici, et je souhaite en faire bon usage. Le droit d’expression en Suisse est très précieux. Il est également important pour la jeune gé-
Il ressort clairement du portrait que Nuri dresse de la situation que l’engagement pour le Tibet est de l’ordre du devoir moral pour les Tibétain-e-s en exil. Quoi qu’il en soit, Nuri est convaincue qu’un jour, le combat portera ses fruits et que le Tibet sera libéré. Elle est également persuadée que seule la résis tance pacifique permettra d’atteindre cet objectif. Le fait que la jeune génération s’investisse encore dans cette lutte avec autant d’ardeur la rend optimiste, et le fait que les jeunes Tibétain-e-s sur place continuent de se battre remplit même Nuri de fierté. «C’est réjouissant de voir que la jeunesse au Tibet, qui a grandi sous l’occupation chinoise et n’a jamais connu le Tibet libre ni pu voir le Dalaï Lama, possède encore l’énergie de se battre. Je suis ravie de constater qu’à ce jour, la Chine n’a toujours pas réussi à venir à bout de cette résistance.»
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Texte: Nikolai Räber, SPM Suisse
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8 «C'est à nous de prendre la situation en main.» Tharsika Pakeerathan (23) et Kabilan Sivapatham (29), tous deux d’origine tamoule, s’investissent depuis un certain temps déjà en faveur des intérêts des Tamoul-e-s, depuis la Suisse. Au cours de l’interview, ils nous ont fait part des défis que cet engagement impliquait.
Photo: Patrik Kummer
Depuis combien de temps vous engagez-vous en faveur des intérêts des Tamoul-e-s? Tharsika Pakeerathan (T): Cela fait déjà un certain temps que je soutiens cette cause. J’ai apporté mon aide dans différentes associations, rédigé des rapports ou fait des petits discours. Ce n’est qu’après la fin de la guerre, en 2009, que je me suis réellement impliquée de manière active. A l’époque, beaucoup de Tamoul-e-s étaient traumatisé-e-s et n’avaient plus aucun espoir. Je savais que c’était à nous, les jeunes, de prendre la situation en main. La reconstruction du Sri Lanka ne pourrait pas se faire sans nous. Kabilan Sivapatham (K): A une échelle régionale, cela fait 15 ans que j’organise des événements culturels et sportifs autour de la cause tamoule. Lorsqu’en 2009, les innombrables violations des droits humains commises au Sri Lanka sont apparues au grand jour, mon engagement s’est étendu au niveau national. J’étais choqué par ce qui s’était passé au Sri Lanka et par le fait que la communauté internationale ne soit pas intervenue. Après la guerre, la violence n’a d’ailleurs pas cessé. C'est pourquoi j’ai décidé de m’investir davantage.
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Les jeunes Tamoul-e-s sont-ils nombreux à s’investir comme vous? K: D’après moi, l’engagement politique est encore insuffisant. Mais l’on remarque que de plus en plus de jeunes s’intéressent à la politique. Je m’en réjouis. J’essaye aussi d’inciter des ami-e-s à agir. T: A l’issue de la guerre, la génération plus âgée a cessé d’être politiquement engagée. C’est alors que nous avons progressivement eu le sentiment que c’était à nous, les jeunes, de faire quelque chose, qu’on comptait sur nous. Etant donné que nous parlons une langue suisse, nous sommes plus à même que nos parents d’obtenir des résultats sur le plan politique. Je crois que les jeunes ne se rendent compte que maintenant qu’ils peuvent faire entendre leur voix et changer les choses. Y a-t-il des différences entre l’ancienne et la nouvelle génération quant à la démarche adoptée? T: La génération plus âgée était avant tout active au sein de la communauté tamoule et beaucoup de personnes étaient en lien étroit avec l’organisation rebelle des Tigres tamouls.
Tharsika Pakeerathan a déjà exposé la situation au Sri Lanka lors de diverses manifestations de la SPM.
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Photos: Franziska Stocker
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Kabilan Sivapatham (à gauche) et Tharsika Pakeerathan
Ils n’ont pas intégré la jeune génération dans leurs activités. Nous, les jeunes, il nous importe de mettre des distances avec les Tigres et de promouvoir la démocratisation au sein même de la communauté tamoule. K: Selon moi, la différence majeure réside dans l’augmentation de la collaboration avec la population non tamoule. C’est à nous de rechercher la communication au-delà de notre communauté tamoule et d’informer les personnes ici sur les problèmes que rencontre le Sri Lanka. Avant, personne ne se souciait de cela, et nous remarquons que pour bon nombre de Suisses, la situation sri lankaise est méconnue. Y a-t-il des conflits entre les générations quant à la manière de procéder? K: Oui. Malheureusement, les luttes de pouvoir sont fréquentes. La génération plus âgée est réticente à céder son pouvoir, ce qui conduit à des conflits. D’après moi, la nouvelle génération est bien meilleure en matière d’organisation. T: Je vois également un autre conflit. Jusqu’à présent, seuls des hommes âgés étaient au premier plan et ces derniers
«La génération plus âgée est réticente à céder son pouvoir à nous, les jeunes.» refusent d’accepter que les jeunes souhaitent désormais participer à la prise de décision. Ils ont l’impression que tout ce que les jeunes font est mauvais et croient que nous n’avons pas encore suffisamment d’expérience. Ils sont marqués par la vie au Sri Lanka. Mais nous avons grandi en Suisse et nous ne pensons pas de la même manière. Souvent, ils ne sont même pas capables de comprendre nos idées. Il arrive même que l’on nous reproche d’être soutenus par le gouvernement sri lankais. Certains nous considèrent donc comme des «traîtres». K: Le système de castes constitue un problème supplémentaire, car l’ancienne génération y attache encore une grande importance. Par exemple, il n’est pas rare que l’on demande pourquoi ce n’est pas quelqu’un appartenant à une caste supérieure qui préside une organisation. Chez les membres de la Société pour les peuples menacés Suisse
deuxième génération, la philosophie des castes ne joue plus un aussi grand rôle. T: Cette question culturelle est souvent liée à l’endroit d’où les personnes sont originaires. En général, nous ne savons même plus qui appartient à quelle caste. Les deux générations perçoivent-elles aussi le conflit au Sri Lanka de manière différente? K: Les jeunes sont d’avis que le moment est venu de trouver une solution pacifique pour la situation au Sri Lanka. Nous voulons une solution sur le plan politique, une solution démocratique. Avez-vous pu profiter des travaux menés au préalable par la génération plus âgée? K: Je pense qu’ils ont constitué une bonne base en Suisse. Les Tamoul-e-s sont largement en réseau au niveau national et ils ont une grande cohésion sociale. Quel type d’action avez-vous mené? T: En 2010, sur l’initiative du Swiss Council of Eelam Tamils (SCET), dont je fais partie, nous avons organisé une grande manifestation de commémoration au profit des victimes de la guerre à Zurich. Devant le siège de l’ONU, à Genève, nous avons distribué des tracts où figuraient des liens vers les sites d’organisations internationales qui ont rédigé des rapports sur la situation au Sri Lanka, puis nous avons rencontré des représentant-e-s de l’ONU en personne. Là-bas, les réactions à l’égard de notre démarche étaient positives. On nous a dit que par rapport à des actions antérieures, celle-ci était plus efficace même si, de fait, elle avait rassemblé moins de personnes. Avant, les gens étaient simplement là, debout, et l’on ne communiquait pas directement avec des délégué-e-s de l’ONU. Désormais, nous savons mieux articuler nos problèmes. Par ailleurs, nous avons également mené diverses actions à l’intention de la population non tamoule. Par exemple, dans différentes villes de Suisse, nous avons diffusé le reportage «Sri Lanka’s Killing Fields», réalisé par la chaîne de télévision britannique Channel 4, qui portait sur les horreurs de la guerre. Afin que nos manifestations touchent de
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plus en plus de personnes non tamoules, nous nous associons aussi régulièrement avec des organisations suisses telles que la SPM. Récemment, lors de la diffusion d’un film à St-Gall, des spectateurs/trices nous ont dit qu’ils n’étaient pas du tout au courant de ce qui se passait au Sri Lanka. Donc je pense que notre travail de sensibilisation porte tout de même ses fruits. K: A mon avis, c’est important que nous organisions régulièrement ce type de manifestations. Sur les sites de journaux en ligne, on trouve aussi de plus en plus de commentaires de Suisses qui s’expriment sur la situation au Sri Lanka. Je crois que cela tient en partie au moins à la multiplication de nos actions. Avant, beaucoup de Suisses avaient l’impression que tous les Tamoul-e-s faisaient partie de l’organisation rebelle des LTTE. Aujourd’hui, ils se rendent compte qu’il existe aussi une «autre» communauté tamoule en Suisse. Que signifie pour vous la participation politique en Suisse, à titre personnel? K: Pour ma part, il me manque un modèle de référence. Je ne peux pas dire qu’un jour, je voudrais être comme Untel. Au sein de la communauté tamoule, il n’y a personne non plus qui pourrait nous soutenir. Mais heureusement, en Suisse, on a au moins la possibilité de s’exprimer sur le plan politique, ce qui est quasiment impensable pour les Tamoul-e-s au Sri Lanka. T: Je trouve aussi que les personnes avec une expérience de la politique sont trop peu nombreuses parmi les Tamoul-e-s en Suisse. Nous aussi, les jeunes, n’avons qu’une expérience limitée, nous en sommes à nos premiers essais. Peut-être qu’il serait utile pour nous que des experte-s non tamoul-e-s nous soutiennent. Quels sont vos souhaits pour la prochaine génération et pour l’avenir du Sri Lanka? K: Je souhaite que la prochaine génération soit plus engagée que nous, et qu’elle puisse réellement influer sur le débat politique. T: J’espère que la prochaine génération n’aura pas à faire face aux mêmes problèmes que nous. Nous avons accompli un gros travail de préparation. Sur le plan linguistique également, elle aura plus de facilités et puis elle pourra se référer à nos connaissances. Pour le Sri Lanka, je souhaite que la génération de demain puisse vivre et exprimer son opinion politique librement. Interview: Franziska Stocker, SPM Suisse
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Nouvelles brèves Bengladesh: 28 000 réfugiés birmans menacés de rapatriement Selon des sources médiatiques, le gouvernement birman a décidé d’accéder à la demande exprimée par le Bengladesh voisin de voir les quelque 28 000 réfugiés birmans, appartenant à la minorité musulmane des Rohingyas et qui se trouvent actuellement sur son sol, rapatriés dans leur pays d’origine. Pour la Birmanie, cette mesure vise à améliorer les relations tendues avec cet Etat voisin. Toutefois, ces renvois sont très problématiques car en Birmanie, les Rohingyas sont victimes de discriminations depuis des décennies et ils y sont exposés à de graves violations des droits humains. L’Etat birman leur refuse la natio nalité et limite sévèrement leurs droits fondamentaux. Source: SPM Allemagne
Mauritanie: une tentative de meurtre contre un militant des droits humains évitée de justesse Biram Dah Abeid, récompensé par le Prix des droits humains de la ville de Weimar 2011, a échappé de justesse à une tentative de meurtre à Nouakchott, la capitale mauritanienne, au début du mois de janvier. Un officier de police s’était mêlé au groupe de personnes qui assistaient à une manifestation à laquelle participait Dah Abeid. Lorsqu’il a tenté de tirer sur le militant des droits humains, les gardes du corps de ce dernier sont parvenus à le maîtriser. Dah Abeid milite pour la libération d’environ 500 000 esclaves noirs en Mauritanie. Cet engagement Société pour les peuples menacés Suisse
11 autochtones de par le monde 3
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courageux lui vaut de nombreux ennemis parmi les propriétaires d’esclaves et leurs proches qui travaillent dans l’ad ministration, la police ou la politique. En 2011, on a appris que des généraux mauritaniens avaient prévu de faire assassiner ce donneur de leçons trop gênant. Source: SPM Allemagne
au quotidien. D’après les autochtones, cette diminution est due l’industria lisation croissante de la région et au morcellement des pâturages qui en résulte. C’est pourquoi ils réclament leur intégration dans les processus de décision ainsi que le contrôle effectif de leur territoire et des matières premières qui s’y trouvent. Source: Survival International
Photo: Alexandre Buisse
Canada: la diminution de la plus grande horde de rennes du monde menace des autochtones La réduction dramatique de plus 90 pour cent de la population de rennes dans la toundra canadienne du Québec et du Labrador, où l’on ne compte plus qu’à
peine 70 000 animaux, menace les peuples autochtones des Cree et des Innus. Le caribou, nom donné au renne par les communautés locales, est essentiel pour leur culture, leurs croyances et leur vie Société pour les peuples menacés Suisse
Chine: lourdes peines pour réfuigiés ouïghours expulsés Deux ans après la reconduite de 20 réfugiés ouïghours du Cambodge vers la Chine, des informations ont enfin été transmises sur l’endroit où ils sont retenus. Ces derniers avaient fui en 2009 dans le pays voisin suite à des émeutes dans la ville d’Ouroumtchi, dans l’ouest de la Chine. Ils avaient décrit comment les forces de sécurité chinoises avaient brutalement réprimé une manifestation ouïghoure dans cette ville. Le régime chinois a qualifié les réfugiés de criminels vis-à-vis du gouvernement cambodgien et a exigé qu’ils soient rapatriés en Chine. Des organisations de défense des droits humains redoutaient que les 20 Ouïghours qui ont été renvoyés à cette occasion, dont une femme enceinte et ses deux enfants, aient à subir des actes de torture et de longues peines d’em prisonnement. Nous savons entre-temps qu’un des réfugiés renvoyés a été condamné à 17 ans de prison et deux autres à perpétuité. Les renvois de réfugiés ouïghours vers la Chine correspondent à une nouvelle tendance, observée en par-
Indiens d’Amazonie de la tribu des Yanomami (Photos: Ronald de Hommel) Indien d’Australie de la tribu des Mowanjum (Photo: Ingetje Tadros)
ticulier dans les pays dont l’économie dépend du géant asiatique. Source: Uyghur American Association (UAA)
Invitation à l’assemblée générale 2012 des membres de la SPM La Société pour les peuples menacés (SPM) invite tous ses membres à l’occasion de son assemblée générale. Date/lieu 9 mai 2012, dans les locaux de la SPM, Schermenweg 154, 3072 Ostermundigen. 19h - 19h30: assemblée générale Ordre du jour 1. Accueil par Ruth-Gaby VermotMangold, Présidente de la SPM 2. Approbation du procès-verbal de l’assemblée générale de 2011 3. Prise de connaissance du rapport annuel de 2011 4. Bilan et perspectives par Christoph Wiedmer, directeur 5. Approbation des comptes annuels pour 2011 6. Présentation du rapport de révision 2011, décharge au comité 7. Election du comité Dès 19h30, débat informel autour du sujet «La Russie après les élections: quelles conséquences pour les droits humains?», avec l’intervention de la militante tchétchène Zainap Gashaeva. Nous vous prions de vous inscrire d’ici le 1er mai 2012 par téléphone au 031 939 00 00 ou par courriel à info@gfbv.ch. 1–2012| VOICE
Campagnes et
Photo: Patrik Kummer
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Brésil: En décembre 2011, la SPM a lancé une nouvelle campagne de protection des peuples autochtones dans la partie brésilienne de la forêt amazonienne, elle a pour slogan «Defend the Amazon Protect Indiginous People’s Rights». L’existence des tribus qui vivent là-bas est de plus en plus menacée par l’exploitation des ressources naturelles. Divers projets de construction sont à l’origine de défores tation, de construction de routes, de la création d’énormes fermes de bovins et de plantations de soja et d’autres destructions. En l’espace de quelques semaines, la présidente brésilienne Dilma Rousseff a reçu plusieurs centaines d’e-mails de protestation, ce qui a permis de lancer un signal fort contre l’industrialisation galopante sur les territoires protégés. Merci de votre soutien!
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Photo: Christian Bosshard
Graphique: Feinheit
Suisse: A travers un nouveau programme de construction de capacités, la SPM souhaite transmettre aux jeunes Tamoul-e-s de la deuxième génération des compétences clés afin d’assumer un rôle actif au sein de leur diaspora. Dans ce cadre, les participant-e-s seront sensibilisé-e-s à la nécessité d’une participation politique renforcée et durable. Une fois la sélection des candidat-e-s arrêtée, le programme débutera à proprement parler au mois de mai avec une séance d’introduction pour les participant-e-s. La SPM se réjouit à l’idée de ce projet passionnant mené avec des jeunes gens intéressés et engagés.
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projets SPM
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Suisse/Kosovo: Le 18 janvier 2012, la SPM a organisé une rencontre pour débattre du caractère raisonnable des renvois vers le Kosovo de requérant-e-s d’asile roms. Le point de départ de la table ronde était la pratique plus sévère de l’Office fédéral des migrations (ODM) en matière de renvoi des réfugiés depuis que la Suisse a officiellement reconnu le Kosovo comme un Etat indépendant, en 2008. Contrairement à l’attitude adoptée en Suisse, des Länder allemands ont de leur côté interrompu les reconductions à la frontière en raison des tensions entre la Serbie et le Kosovo. Les participants au débat étaient tous aussi illustres les uns que les autres. Outre Amnesty International et le représentant de la SPM, Dzafar Buzoli, la discussion a réuni des expert-e-s de l’ODM ainsi que des personnalités politiques suisses.
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Suisse: Depuis janvier 2011, la Suisse dispose d’un arsenal juridique exhaustif pour poursuivre les criminels de guerre et les auteurs de torture qui se trouvent sur son territoire. Or, bien que les criminels choisissent souvent des pays occidentaux comme refuge et qu’ils arrivent encore à y séjourner en toute impunité, les moyens mis à disposition pour les poursuivre sont absolument insuffisants. C’est pourquoi la SPM et d’autres organisations ont exhorté la Suisse à créer une unité spécialisée dans l’enquête et la poursuite de crimes internationaux («war crimes unit»).
République démocratique du Congo (RDC): En février dernier, une collaboratrice de la SPM a participé à Kisangani à un séminaire du RRN (Réseau Ressources Naturelles), une organisation locale partenaire, pour y faire part des expériences de la SPM par rapport au principe du consentement libre, préalable et éclairé selon lequel, en cas de projet d’envergure envisagé sur leur territoire, les populations autochtones sont libres d’accorder ou non leur consentement après avoir été préalablement informées. Ce séminaire s’intègre dans une série de manifestations organisées dans différentes provinces du pays afin d’informer la population locale, les Bantous, et les peuples autochtones de la forêt (Pygmées), sur leurs droits et de renforcer leur position de négociation vis-à-vis de l’Etat et des entreprises.
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14 Un printemps politique birman? Les réformes annoncées en Birmanie laissent présager que cet Etat pluriethnique serait à l’aube d’une transformation politique. Cependant, Bô Kyi, éminent défenseur des droits humains, déplore que la situation des prisonniers politiques et des minorités soit toujours aussi difficile.
Photo: Franziska Stocker
Après des décennies de mauvaise gestion et d’isolation politique, le nouveau président birman, Thein Sein, apparaît étonnamment disposé à conduire des réformes. Sein a assoupli la censure de la presse et annoncé l’autorisation des syndicats et du droit de grève. En août 2011, une rencontre historique a eu lieu avec la cheffe de l’opposition Aung San Suu Kyi. Lors d’un entretien à ce sujet avec la BBC, l’opposante birmane s’est déclarée optimiste: «Je ne sais pas ce qu’il en est avec les autres membres du gouvernement, mais je pense que le président est vraiment à l’écoute.» Interdite jusqu’à présent, la Ligue nationale pour la démocratie (LND) présidée par Suu Kyi devrait être autorisée à participer en tant que parti politique aux élections législatives partielles d’avril 2012; en outre, le régime birman a laissé entrevoir la possibilité à la cheffe de l’opposition de se voir offrir un poste au sein du gouvernement. Ce processus d’ouverture est largement salué par l’Occident, comme en témoignent la visite en novembre dernier de la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton, en charge des affaires étrangères,
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ou encore la déclaration de Barack Obama, lors du sommet 2011 de l’ASEA, qui se veut confiant: «Après des années d’obscurantisme, nous avons vu poindre ces dernières semaines des signes de progrès». Néanmoins, malgré ces signes positifs, les organisations des droits humains font remarquer que la Birmanie demeure pour l’instant un régime autoritaire. «La communauté internationale ne perçoit la situation que de manière superficielle et croit que ces évolutions vont dans le bon sens», déclare Bô Kyi, qui se bat depuis la Thaïlande pour le destin des prisonniers politiques birmans avec l’Association d’assistance aux prisonniers politiques, l’AAPPB, dont il est le fondateur. Lui-même a passé sept années en détention. Même si récemment, plusieurs centaines de prisonniers politiques ont été libérés, l’AAPPB estime qu’il reste encore des centaines de personnes incarcérées pour raisons politiques. Dans un entretien avec la SPM, Kyi explique que «la situation dans les prisons est précaire, la torture y est monnaie courante et les soins médicaux y
Bô Kyi, récompensé par le prix suisse pour la liberté et les droits humains, en entretien à Berne avec la SPM.
sont quasi-inexistants. Sans compter que les détenus libérés n’ont pas vraiment de perspectives d’avenir». A cela s’ajoute que le régime birman nie catégoriquement l’existence de prisonniers politiques. «Jusqu’a présent, le gouvernement leur refuse toute reconnaissance et tout soutien. Il doit enfin assumer la responsabilité de la réhabilitation de ces personnes», revendique Bô Kyi. Kyi estime qu’en dehors de l’absence de libertés politiques, la situation des nombreuses minorités vivant en Birmanie continue d’être très préoccupante. Bien que dans son discours d’inau guration, Thein Sein a élevé la problématique des minorités au rang de priorité nationale et qu’un accord de cessez-le-feu a été signé avec les Karens et les Shans, la situation ne s’est pas vraiment améliorée. Par ailleurs, l’armée se distingue encore et toujours par ses violations répétées des droits humains. «La situation des minorités est difficile, confirme Bô Kyi. Des centaines de milliers de personnes ont fui les territoires à cause des affrontements.» Au vu de ces circonstances, il est encore trop tôt pour parler d’un printemps politique birman. Les beaux discours du régime doivent désormais être suivis d’effet. Des lois doivent donc être créées pour sanctionner les atteintes aux droits humains. En outre, il faut accorder des droits aux minorités ethniques, libérer tous les prisonniers politiques et les réintégrer dans la société. Kyi est toutefois conscient qu’il s’agit là d’un processus par étapes. «Nous sommes prêts à aider le gouvernement et nous savons que ce sera un travail de longue haleine», précise-t-il. Texte: Nikolai Räber, SPM Suisse
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15 Derrière le masque du glamour L’année passée, le président de la République tchétchène, Ramzam Kadyrov, a invité à plusieurs reprises des stars du football international et d’Hollywood dans la capitale. A travers ces visites «glamour», Kadyrov tente de faire croire à la communauté internationale que la situation s’est normalisée dans cette république russe marquée par deux guerres violentes.
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Le nouveau stade de football de Grozny porte le nom d’Achmat Kadyrov, père de l’actuel président tchétchène, tué dans un attentat à la bombe dans l’ancien stade Dynamo.
Photo: Christian Wyss
Lorsqu’en mai dernier, Bulat Chagaev a racheté le FC Neuchâtel Xamax, les réactions étaient mitigées. Pour certain-e-s, la polémique portait en grande partie sur la manière dont l’homme d’affaires tchétchène avait acquis sa fortune; pour d’autres, la controverse principale concernait ses liens autoproclamés avec le tristement célèbre dirigeant de la République tchétchène, Ramzan Kadyrov, mis en place et soutenu par Moscou. Même si la teneur exacte des relations entre Chagaev et Kadyrov reste opaque, tous deux encouragent l’instrumentalisation du football pour afficher une normalité de façade dans cette république toujours déchirée par les conflits. Après une rencontre très médiatisée entre des stars brésiliennes du football et le club local FC-Terek Grozny, en mars 2010, la capitale tchétchène a accueilli des sommités du ballon rond aussi illustres que Diego Maradona, Luis Figo ou encore Fabien Barthez pour l’inauguration du nouveau stade en mai 2011, un événement prétendument financé par Chagaev. Plus récemment des stars d’Hollywood ont également été invitées à Grozny, la capitale nouvellement reconstruite. Tandis que ces célébrités sont à juste titre éblouies par l’apparence ultramoderne d’une ville autrefois déchirée par la guerre, les lumières éclatantes et les gratte-ciels vertigineux dissimulent les côtés moins reluisants de la vie quotidienne en République tchétchène. L’absence d’électricité et d’eau courante, dans le meilleur des cas, et la crainte d’être assassiné, dans le pire, continuent d’être le lot quotidien de beaucoup des habitants de Grozny. Des atteintes aux droits humains aussi graves que des arrestations arbitraires, des actes de torture, des exécutions extrajudiciaires
ou encore des disparitions sont toujours monnaie courante. Bien que le nombre de ces crimes ait statistiquement diminué par rapport aux années de guerre intensive, la plupart des ONG locales estiment que la situation actuelle s'est empirée, le climat de peur palpable au sein de la population y étant pour beaucoup. Du fait de la politique officielle de punition collective, les familles hésitent à signaler des crimes ou à porter plainte, de crainte que d’autres membres de leur famille ne soient pris pour cible. En effet, la télévision locale diffuse même des images de membres de la sécurité brûlant les maisons de rebelles supposés et forçant leurs proches à se repentir publiquement. La Tchétchénie actuelle est particulièrement dangereuse pour les jeunes femmes, comme en témoignent les récents et révoltants cas de disparitions et d’abus sexuels. Qui plus est, ces crimes sont perpétrés par des membres des forces de sécurité, les infâmes «Kadyrovtsy», nom qu’ils tiennent de leur chef, et qui savent pertinemment qu’ils ne seront jamais poursuivis pour leurs actes.
L’impunité pour les auteurs de violations graves des droits humains en Tchétchénie est un lourd héritage du début de la première guerre dans la région, en 1994; un héritage qui a permis de faire en sorte qu’aucune responsabilité n’ait été réellement mise en cause pour les innombrables crimes commis contre la population civile. Au contraire, Moscou récompense ceux qui se battent pour débarrasser le pays des «terroristes», et Kadyrov lui-même a été décoré de la médaille de Héros de la Russie. Malgré tout cela, il semblerait que le Parti de l’unité russe actuellement au pouvoir ait obtenu le soutien d’un nombre record d’électeurs lors des élections parlementaires de décembre dernier. En effet, l’homme responsable de l’«opé ration anti-terroriste» lancée en 1999, Vladimir Poutine, Président en fonction à l’époque, et Ramzan Kadyrov, le dirigeant actuel, ont rassemblé pas moins de 99,5% des voix. Désormais, le suspense est à son comble: ces criminels attein dront-ils les 100% aux élections présidentielles de mars prochain? Texte: Shoma Chatterjee, SPM Suisse
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Une voix pour les persécutés www.gfbv.ch
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