Objet lambotte

Page 1

L’OBJET DU MÉLANCOLIQUE Marie – Claude LAMBOTTE Parmi les symptômes de la mélancolie les plus souvent observés, outre l’inhibition, le négativisme généralisé et l’autodévalorisation, il y a, plus communément, le désintérêt du monde et de soi. Sans doute est-ce bien dans le cabinet de l’analyste que ce dernier symptôme a tout loisir de s’exprimer sachant qu’à l’extérieur de ce lieu, autrement dit dans la vie courante, il peut revêtir des formes très diverses qui peuvent aller de la plainte quérulente à l’agitation hypomaniaque interprétée, à tort, comme une attitude des plus actives. Mais cette attitude disparaît sitôt passé le seuil du cabinet de l’analyste et, à sa place, s’installe le silence ou les paroles d’impuissance relatives à la vanité des choses du monde. Rien ne m’intéresse, et d’ailleurs, rien ne vaut la peine qu’on s’intéresse à quoi que ce soit. Pour les autres, ça marche, ils s’impliquent dans des tas de choses, mais pour moi, ce n’est pas possible. Dépourvue de tout relief, la réalité du sujet mélancolique apparaît nivelée, plane, désespérément neutre, au point que tous les objets se juxtaposent sans qu’aucun ne puisse jamais acquérir plus de valeur qu’un autre. Tel pourrait se formuler le désintérêt mélancolique qui, au-delà même de l’ennui, relève de la nature du rapport qu’entretient le sujet avec la réalité, autrement dit avec cette image qu’il porte en lui et qui n’a pas rempli sa fonction, celle de lui présenter le monde à sa ressemblance. Il s’agit, bien sûr, de l’impact foncier du narcissisme originel et de la part de réel qu’il détient sous la caution symbolique de l’Autre. « Autrement dit, en citant Lacan, c’est l’image spéculaire en tant que telle, chargée du ton, de l’accent spécial, du pouvoir de fascination, de l’investissement propre qui est le sien dans le registre libidinal, bien distingué par Freud sous le terme d’investissement narcissique. »1 C’est donc la fonction de cette image spéculaire que nous interrogerons d’abord, et ceci relativement au rapport qu’entretient le sujet mélancolique avec la réalité dans la mesure où elle constitue, pour l’humain, le monde objectal comme tel. Mais la suite de la cure avec un tel patient révèle encore que l’intérêt peut à nouveau se faire jour et que, simultanément, la réalité peut regagner un certain relief. C’est au moment où le sujet mélancolique décrit un type d’activité tout à fait particulier auquel il s’adonne inlassablement et qui relève d’une sorte d’ordonnancement de son propre environnement. Cela peut concerner l’arrangement intérieur d’un appartement, la description d’une promenade comme on ferait celle d’un tableau ou bien encore la constitution d’une collection. C’est une activité de composition qui relie ces diverses occupations et 1

J. Lacan, Le séminaire, Livre VIII : Le transfert (1960-1961), Seuil, Paris, 1991, p. 434.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.