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Moyens ingénieux pour garder la chaîne d’approvisionnement active
PAR DOUG PICKLYK (avec la collaboration de Luc Boily)
LES GROSSISTES S’ADAPTENT À LA PANDÉMIE ET TROUVENT DES FAÇONS DE MIEUX SERVIR L’INDUSTRIE
Le modèle de chaîne d’approvisionnement dans l’industrie de la plomberie et du CVC/R (chauffage, ventilation, climatisation et réfrigération) est constamment éprouvé. Les fabricants sont toujours à la recherche de meilleures façons de mettre leurs produits en marché et d’intéresser les professionnels de l’industrie, afin qu’ils se retrouvent entre les mains de ces derniers, lesquels recommanderont, voire installeront et entretiendront ces produits.
Le réseau de distribution des grossistes s’est avéré un moyen efficace de joindre un plus grand nombre d’entrepreneurs et de techniciens dans les nombreuses régions composant un pays aussi vaste que le Canada. Les divers emplacements exploités par des grossistes sur l’ensemble du territoire servent à la fois d’entrepôts d’accessoires/pièces pratiques, de ressources d’expertise et de lieux d’accueil permettant des échanges entre collègues.
En 2020, ces précieux échanges en face à face ont été interrompus en raison de la pandémie de COVID-19, comme les distributeurs à travers le pays ont été contraints à fermer leurs portes, même s’ils ont maintenu la chaîne d’approvisionnement active, assurant ainsi les services essentiels inhérents aux domaines de la plomberie et du CVC/R.
« La pandémie a eu l’effet incontestable de changer le visage des affaires, et ce, à l’échelle de la planète. Cela nous a poussés à envisager de nouvelles solutions qui répondaient à la fois aux besoins de nos clients et qui assuraient leur sécurité et celle de leur famille », souligne François Deschènes, président et chef de la direction de Groupe Deschênes, un distributeur
Chez Groupe Deschênes, toutes les succursales ont été adaptées selon les mesures de distanciation légales, afin d’assurer la sécurité des clients et du personnel.
international indépendant établi à Montréal exploitant 186 succursales au Canada et aux États-Unis (48 au Québec) sous 6 bannières. «Je ne dirais pas que ce fut facile – j’ai moi-même eu besoin de quelques semaines pour m’habituer au télétravail et aux outils technologiques que cela nécessite – mais les résultats obtenus jusqu’à ce jour viennent récompenser les efforts de toute notre équipe. Je désire d’ailleurs profiter de cette tribune pour remercier chaque employé. Pour moi, Groupe Deschênes, comme l’industrie que nous servons, a toujours été prioritairement une histoire de gens. »
« Nous n’avons pas eu le choix de voir les choses sous un autre angle, et à nous plier aux directives gouvernementales en matière de mesures sanitaires et de sécurité, tout en poursuivant nos activités », fait pour sa part remarquer Neil McDougall, président de Groupe Master, un distributeur national dont le siège social a pignon sur rue à Montréal, et qui exploite quelque 44 succursales d’un océan à l’autre. « Curieusement, même si la pandémie a imposé une distanciation physique, elle nous a néanmoins permis de nous rapprocher de nos clients en étant plus à l’écoute de leurs besoins et en
adaptant nos services à leur nouvelle réalité. »
Pour Gail Kaufman, vice-présidente Marketing et commerce électronique chez Wolseley Canada – ungrossiste qui exploite plus de 220 succursales à travers le pays – la communication avec les clients s’est avérée un élément clé dans la gestion de cette transition. «Nous n’avons jamais cessé de fonctionner, mais nous avons dû nous adapter très rapidement, relatet-elle. Pour nous, la priorité était de savoir comment pour pouvions assurer la sécurité de nos employés et de nos clients. Nous avons donc fermé nos succursales et misé sur des communications accrues. »
Wolseley a formé une équipe interfonctionnelle pour développer un message général et intensifier la communication avec ses clients, leur faisant savoir ce que l’entreprise avait mis de l’avant pour assurer la sécurité des clients et de leurs chantiers, les services offerts en succursale et la variété d’options mise à leur disposition.
« Nous avons implanté le service Wolseley Express il y a plusieurs années [un portail en activité 24 heures par jour, 7 jours par semaine], auquel s’est ajouté un service de ramassage express. Grâce à ce service, les clients peuvent commander en ligne (ou hors ligne) et passer prendre leur commande au comptoir dans les 60 minutes. Nous n’avions pas encore ressenti le besoin d’offrir un service de livraison au véhicule, mais les mesures sanitaires sont venues justifier son instauration », fait valoir Mme Kaufman. À son avis, ce service de livraison au véhicule par les grossistes a été bien accueilli à travers le pays, tant par les distributeurs que par les clients.
Groupe Deschênes offrait également un service de livraison express et un site Internet transactionnel depuis environ cinq ans (sur lequel les clients peuvent gérer leur dossier, leurs commandes, leur historique, etc.) Néanmoins, et sans surprise, l’achalandage a connu une croissance exponentielle à l’arrivée de la pandémie, voire quadruplée. « Son utilisation est encore en hausse, mais la courbe s’est “aplanie”, pour employer un terme à la mode. Nul doute que les nouveaux outils technologiques
La livraison au véhicule est un service qui a été bien accueilli par les clients et les grossistes. Noble prévoit de continuer à offrir ce service.

développés demeureront. Par exemple, de plus en plus de distributeurs passent leur commande par texto. Ce moyen est accessible partout. Quand ils arrivent en succursale, leur commande est prête. Ce serait difficile de revenir en arrière», mentionne M. Deschênes. Il ajoute que plusieurs « habitudes covid » devraient désormais faire partie de la nouvelle « normalité » de l’industrie.
Jim Anderson, directeur général de Noble, responsable de 45 emplacements à travers l’Ontario, va dans le même sens. «Durant la première vague de la pandémie, nous avons fermé tous nos comptoirs. Comme les clients ne pouvaient plus y entrer, nous avons instauré le service de livraison au véhicule à l’extérieur. Je pense que ce fut une excellente décision. » Il poursuit que pour les entrepreneurs en plomberie ou CVC, pouvoir se garer en face du magasin et recevoir leur commande à leur véhicule a généré un gain de temps considérable. En outre, cette façon de faire a permis de réduire les risques de transmission du virus au minimum, comme aucun temps n’était passé dans un lieu public.
Même lorsque les grossistes ont rouvert leurs portes aux clients (en nombre limité), la plupart ont continué d’offrir le service de livraison au véhicule. «Je crois qu’il s’agit d’une occasion à saisir pour la plupart des grossistes, affirme M. Anderson. J’ai remarqué que plusieurs magasins de détail ont mis ce service de côté, car ils préfèrent que les gens entrent dans leurs magasins. En ce qui nous concerne, c’est le contraire. Nous préférons que les clients appellent à l’avance, afin que nous puissions préparer leur commande et qu’elle soit prête à leur arrivée.» Il ajoute également que le service de livraison au véhicule est vraiment encouragé. « En fait, ma crainte est que les gens reviennent à l’ancienne façon de faire.»
NOUVELLES FAÇONS DE FAIRE Le changement n’est jamais évident, et les grossistes ont été très reconnaissants que les gens de l’industrie s’adaptent de façon volontaire aux nouveaux modèles de livraison. «Les clients ont fait preuve de beaucoup de patience relativement aux mesures de sécurité mises en œuvre et aux changements dans la façon de les servir, reconnaît M. McDougall. Même si les mesures s’avéraient parfois restrictives et suscitaient des frustrations, nous avons continuellement essayé de minimiser leur impact. Les clients se sont toujours montrés réceptifs. »
Compte tenu du changement précipité des pratiques commerciales, Mme Kaufman de Wolseley estime que son équipe a bien réagi en mettant l’accent sur des communications fluides et ouvertes avec l’industrie. « Nous avons reçu de très bons commentaires de nos clients, plusieurs nous remerciant de les avoir tenus au courant. Nous ne les avons jamais laissés se questionner sur nos politiques d’ouverture ou d’approvisionnement.»
Wolseley utilise l’outil de gestion NPS (Net Promoter Score) qui mesure la rétention des clients. Cet outil permet à l’entreprise de surveiller les habitudes d’achat de la clientèle sur de longues périodes. «Nous avons constaté une majoration de nos scores NPS pendant la covid, remarque Mme Kaufman. Voilà pourquoi je suis convaincue que nos employés se sont surpassés, et je remercie les clients de leur fidélité. En outre, comme je sais que tous les grossistes n’étaient pas en activité, je présume qu’ils ont été sensibles à nos mesures de communication et de service. »
Une autre façon pour Wolseley de réagir au changement a été d’augmenter son offre d’équipements de protection individuelle (EPI) et de sécurité (gant, masque, écran facial, désinfectant pour les mains, etc.) pour répondre à la demande accrue. À ce propos, l’entreprise a d’ailleurs lancé un projet pilote dans 30 de ses succursales à travers le pays, et elle entend le déployer à l’échelle nationale à l’automne.
AFFAIRES EN LIGNE Avec la fermeture des succursales, les grossistes ont constaté une augmentation des commandes en ligne, à la fois via le portail Internet existant et via des demandes de renseignements ou des commandes par message texte.
M. Anderson de Noble a aussi remarqué des changements dans la façon de faire issus du téléphone intelligent désormais omniprésent. Un pourcentage élevé de commandes arrive désormais par texto et courriel. « Le téléphone ne sonne plus autant qu’avant », soutient-il, précisant que les entrepreneurs envoient aussi des photos lorsqu’ils cherchent à tracer un article. Pas surprenant que ce mode de commande ait connu une hausse substantielle depuis le début de la pandémie.
Pour François Deschênes, la santé des employés est au coeur des préoccupations de l’entreprise, comme elle influence directement la famille et les amis de ces derniers.

— François Deschênes, PDG de Groupe Deschênes
Il ne fait aucun doute que les aspects pratique et clair de cette technologie contribuent à offrir un meilleur service aux clients. « De surcroît, les services en ligne offrent la possibilité de commander en toute sécurité et dans le confort d’un bureau, indique M. McDougall. En ces temps de pandémie, ces éléments prennent vraiment tout leur sens. Comme les critères de sécurité, rapidité, facilité et flexibilité sont devenus essentiels dans les transactions avec les sous-traitants, Master s’affaire à peaufiner son offre de services en ligne afin d’optimiser l’expérience client. »
Pour les mêmes raisons, Wolseley a constaté une augmentation d’inscriptions et d’utilisation de son portail au cours des derniers mois. « De nombreux services peuvent être intégrés à l’expérience numérique, commente Mme Kaufman. Par exemple, grâce au service Wolseley Express, les commandes répétitives se voient grandement simplifiées.» Elle ajoute que les entrepreneurs peuvent toujours communiquer avec leur succursale par téléphone pour des commandes plus élaborées. «Au fil du temps, tous les types de commandes par Internet seront plus faciles. Pour l’instant, nous combinons les services en ligne et de personne à personne ».
M. McDougall abonde dans ce sens. « S’il va sans dire que les services en ligne offrent une grande flexibilité, le service à la clientèle offert en succursale demeure un élément clé de notre offre de services globale. Les clients créent des liens avec les employés en succursale. Ce sont de véritables ambassadeurs, et leur professionnalisme constitue sans équivoque un ingrédient clé de la fidélité des clients.
François ne peut pas être plus d’accord avec ce point. Tout comme son frère Martin et son père Jacques qui ont occupé la présidence avant lui, il a toujours placé les interactions humaines au coeur des services offerts par les compagnies de Groupe Deschênes. « Les gens ont des questions techniques et nous avons des réponses pour eux. En succursale, cet aspect était pris en charge tout naturellement. Nous avons donc dû être imaginatifs. Par exemple, des tablettes électroniques ont été mises à la disposition des clients en succursale, à partir desquelles ils peuvent communiquer avec notre personnel technique à l’aide de FaceTime. J’aimerais souligner ici la grande compréhension des clients. Bien que nous ayons déployé tous les efforts possibles, il est parfois difficile d’éviter des frustrations ou des retards. Je lève mon chapeau à la résilience de nos gens. Mon expérience de l’industrie pendant toutes ces années – pas seulement en cette période plus difficile – est que les gens ont toujours été portés à s’entraider. Nul doute que cet aspect vaudra certainement encore plus son pesant d’or dans les mois et les années à venir. »
LEÇONS APPRISES Outre les interactions avec les clients, les grossistes ont également dû adapter leur mode d’exploitation. Chez Noble, seuls les travailleurs clés sont demeurés en poste au siège social. La direction, quant à elle, a partagé son temps entre le travail au bureau et à domicile. «La technologie a une grande influence sur la façon dont nous sommes en mesure de faire les choses maintenant », avance M. Anderson. Comme la majeure partie de notre équipe fait du télétravail, la clé de notre transition rapide et réussie a été le type de notre système téléphonique. En effet, nos travailleurs à distance n’avaient qu’à brancher leur téléphone
Un employé de Descair (une filiale de Groupe Deschênes) procède à la désinfection des marchandises reçues. Un délai de 48 heures sera ensuite observé avant de la traiter.

résidentiel à leur modem pour avoir un accès complet à nos activités. »
Il estime que toute entreprise qui n’avait pas investi dans des systèmes téléphoniques et informatiques intégrés jusqu’à présent se penchera sans aucun doute sur la question maintenant. «Nous pouvons surveiller la productivité, les achats, le nombre de commandes saisies, etc. Nous conservons donc une vue d’ensemble sur les activités, en temps réel, de chacune de nos 45 succursales. »
Alors que la pandémie se poursuit, cette surveillance de l’entreprise permet à la direction d’ajouter ou de déplacer des personnes de façon stratégique afin de s’adapter aux changements. Par exemple, avec la mise en place du service de livraison au véhicule, plus de gens étaient requis pour répondre au téléphone. Les équipes de vente interne sont donc venues prêter main-forte au comptoir. Et comme les commandes sont centralisées dans le système, elles peuvent être reçues et saisies n’importe où dans l’entreprise, pas nécessairement à une succursale donnée.
« Nous avons constaté que nous avions moins besoin de personnel pour interagir en face à face aux comptoirs, décrit M. Anderson, mais nous avions besoin de plus de personnel pour répondre au téléphone. Nous avons donc déplacé nos ressources pour répondre à cette nouvelle réalité, et nous continuons de le faire aujourd’hui, car nous voulons maintenir l’efficacité du service de livraison au véhicule. »
VALEUR AJOUTÉE En tant qu’acteurs essentiels de la chaîne d’approvisionnement de l’industrie de la plomberie et du CVC/R, les distributeurs recherchent constamment des moyens de se différencier et d’offrir une plus grande valeur aux entrepreneurs et aux techniciens. La plupart des grossistes offrent des ensembles de produits similaires à prix concurrentiels. Leur meilleur atout consiste souvent à se démarquer par les relations qu’ils entretiennent et le service qu’ils proposent.
La menace existentielle pesant sur le modèle de distribution est sans l’ombre d’un doute l’émergence de marchés numériques comme Amazon, lesquels visent à banaliser les établissements d’affaires. Mais comme l’explique Mme Kaufman, les grossistes ont tout le loisir d’offrir une plus grande valeur en offrant des services personnalisés et en dispensant des conseils aux clients. « Comme le temps s’avère d’une immense valeur pour nos clients, la rapidité avec laquelle nous pouvons les servir se révèle cruciale, tout comme l’expertise et les conseils que nous sommes en mesure de leur offrir. Voilà donc des aspects sur lesquels nous misons. Nous considérons que notre rôle se veut d’épauler le client jusqu’à ce que le travail soit terminé. Si ce travail s’avère parfois uniquement de s’assurer qu’une commande soit prête à temps pour un travail au coin de la rue, il peut parfois s’agir de soutenir un projet de construction d’une durée de trois ans», confie-t-elle.
La réponse immédiate et les actions dictées par la pandémie de COVID19 ont renforcé la nécessité pour les grossistes de comprendre les besoins de leurs clients et de s’adapter pour y répondre. Le besoin le plus courant pour la plupart a été de mettre en oeuvre un nouveau mode d’approvisionnement. Malgré l’ampleur des défis, de belles réalisations ont pu émerger. Par exemple, M. Deschênes estime que le chiffre d’affaires du Groupe en 2020 devrait, malgré tout, ne pas être très loin de celui de 2019. «Certaines de nos succursales ont vu leurs activités réduites à 85 %, mais certaines autres ont vu les leurs majorées à 120 %. Dans l’ensemble, je dirais que les efforts de tous pour trouver des avenues de solutions ont porté fruit.» D’un naturel optimiste, M. Deschênes entrevoit aussi de belles occasions d’affaires pour les joueurs de l’industrie, notamment en matière de systèmes de purification d’air et de filtration.
Et certaines valeurs ajoutées, comme la livraison au véhicule devrait s’installer dans les moeurs. C’est à tout le moins ce que croit Mme Kaufman. «À l’origine, ce n’était pas un service [livraison au véhicule] que nous pensions instaurer à la grandeur du pays, mais les clients adorent ça, insiste-t-elle. Personne n’avait jamais dit «Je ne veux plus venir en succursale», mais maintenant qu’ils n’ont plus à y entrer, ils se disent “Oh, finalement, ça fonctionne bien”. C’est donc une façon de faire que nous cherchons à intégrer à notre offre, afin de maintenir une expérience client exceptionnelle au sein de notre réseau. Cette période nous a donc appris beaucoup de choses précieuses. Nous planchons maintenant sur les façons de nous en servir dans l’intérêt de tous », conclut-elle.
Doug Picklyk est rédacteur en chef du magazine Heating Plumbing Air Conditioning (HPAC) et directeur de contenu du présent magazine.