Dix choix stratégiques pour les décideurs et les décideuses

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Recadrer l’engagement mondial du Canada : dix choix stratégiques pour les décideurs et décideuses


AVANT-PROPOS La plus récente décennie a été marquée par des développements politiques, technologiques, démographiques, écologiques et économiques dont la combinaison donne lieu à la situation internationale la plus difficile depuis 1945 pour les intérêts et les valeurs du Canada. La politique étrangère du Canada n’a pas encore réagi systématiquement à ces défis et à ces risques. Elle s’inscrit plutôt dans la continuité, assortie de changements ponctuels et ad hoc. Le Canada ne s’est pas adapté : il continue, dans un monde beaucoup plus incertain, à naviguer avec des hypothèses et des cadres politiques mieux adaptés au début des années 1990. Il y a par ailleurs des leçons à tirer de nos échecs à obtenir un siège non permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies. Outre la sphère du commerce multilatéral, qui a fait l’objet d’efforts concertés et qui présente des succès, les gouvernements canadiens successifs ont consacré trop peu d’attention stratégique ou de poids politique à l’élaboration et à la mise en œuvre d’une politique étrangère pour le 21e siècle. Le Canada a réagi au cas par cas à des changements particuliers – comme la détérioration des relations entre les États-Unis et la Chine – sans adopter d’approche stratégique plus large pour optimiser les intérêts canadiens à long terme. Nous reconnaissons les difficultés d’agir stratégiquement en matière de politique étrangère dans les circonstances actuelles. Les gouvernements minoritaires se concentrent souvent principalement sur des enjeux de politique intérieure. En outre, depuis son élection en octobre 2019, le gouvernement actuel a été confronté à des crises successives : l’abattage d’un avion de ligne au-dessus de Téhéran qui a tué plusieurs Canadien-nes, des manifestations contre les pipelines, des blocages ferroviaires par la Première Nation Wet’suwet’en et en solidarité avec celle-ci, le différend actuel entre le Canada et la Chine concernant la détention arbitraire de deux Canadiens, et à présent la pandémie de COVID-19. Ces événements ont exigé des réactions rapides et ont limité les possibilités d’une approche stratégique plus mûrement réfléchie. D’aucuns diraient par ailleurs qu’en ce moment le monde est trop imprévisible pour prévoir une voie claire et que le Canada devrait « jouer prudemment » et garder ses options ouvertes. Nous sommes toutefois d’avis que l’approche actuelle n’est pas viable. Comme l’avait affirmé l’ancien premier ministre britannique Harold Macmillan, les événements extérieurs ont beau être en tout temps un moteur important de l’action des gouvernements, la nécessité de la réflexion stratégique demeure incontournable. En effet, les « événements » deviennent plus difficiles à situer et à gérer en l’absence d’une évaluation rigoureuse des tendances mondiales et sans un cadre stratégique fondé sur une articulation claire d’intérêts et de valeurs. Le Canada doit donc réévaluer systématiquement son engagement mondial pour la décennie 2020 et au-delà. Cela est d’autant plus urgent à la lumière des changements fulgurants qui pourraient découler de la pandémie de COVID-19 – une crise dont les effets profonds sont encore en émergence au moment où nous finalisons ce rapport. Nous ne devrions plus supposer que le monde aura une tournure positive pour les intérêts ou les valeurs du Canada. Les dix questions stratégiques que nous abordons ci-dessous émanent d’un dialogue de groupe d’expert-es canadien-nes en politique internationale qui, tout en représentant des milieux professionnels et des alignements politiques différents, reconnaissent tous et toutes l’instabilité du moment présent et l’impératif d’articuler les choix devant lesquels le Canada se trouve. Sans nécessairement s’entendre à l’unanimité sur chaque point spécifique de ce document, toutes ces personnes en approuvent et en appuient les grands axes. Le présent document, Dix choix stratégiques, s’accompagne d’un diagnostic plus étoffé des principales tendances et des risques que celles-ci comportent pour les intérêts et les valeurs du Canada; ce document de fond est accessible ici. Notre dialogue ne visait pas à recommander une seule ligne de conduite pour le Canada, mais plutôt à définir une gamme de décisions stratégiques clés que les gouvernements canadiens auront à prendre afin de promouvoir la sécurité et la prospérité des Canadiens et Canadiennes, et de contribuer à façonner le monde qui nous entoure dans les années à venir. Le coprésident et la coprésidente, Robert Greenhill et Jennifer Welsh

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PARTICIPANT-ES

Stewart Beck, président et chef de la direction, Fondation Asie Pacifique du Canada Robert Greenhill, président exécutif, Initiative Canada Global Monika LeRoy, conseillère auprès du secrétaire général de l’Organisation des États américains; ancienne conseillère principale aux politiques auprès du ministre des Affaires étrangères Shuvaloy Majumdar, fellow sénior Munk, Politique étrangère, Institut Macdonald-Laurier John McArthur, fellow sénior, Brookings Institution; conseiller principal, Fondation des Nations Unies Rohinton Medhora, président, CIGI Bessma Momani, professeure, Université de Waterloo; fellow sénior, CIGI Taylor Owen, Chaire Beaverbrook en éthique, médias et communication; directeur du Center for Media, Technology and Democracy, Université McGill Sanjay Ruparelia, Chaire Jarislowsky en démocratie, Université Ryerson Yves Tiberghien, professeur de science politique, codirecteur du Center for Japanese Research; directeur émérite de l’Institute of Asian Research, Université de la Colombie-Britannique Jennifer Welsh, Chaire de recherche Canada 150 en gouvernance et sécurité mondiales, Université McGill; directrice, Centre d’études sur la paix et la sécurité internationale, Université McGill Marie-Joëlle Zahar, professeure, Université de Montréal; directrice, Réseau de recherche sur les opérations de paix

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UN NOUVEAU CONTEXTE MONDIAL POUR LE CANADA Le plus récent Énoncé de politique internationale du Canada date de près de deux décennies : il a été élaboré dans le sillage des événements du 11 septembre 2001. Depuis, le monde a connu des changements fondamentaux qui bouleversent bon nombre des hypothèses avec lesquelles les décideur(-euse)s politiques et les citoyen-nes du Canada fonctionnent depuis plus d’un demi-siècle, et qui remettent en question certaines des approches et certains des outils traditionnels de promotion des intérêts et des valeurs du Canada. La sécurité et la prospérité des Canadien-nes dépendent fortement du contexte mondial plus large. Pendant la plus grande partie de la période postérieure à 1945, ce contexte a été généralement favorable aux intérêts fondamentaux du Canada. Il nous a également permis par moments de projeter certaines de nos valeurs politiques les plus précieuses, notamment la démocratie, les droits de la personne et l’État de droit. Notre pays a largement bénéficié d’une structure économique mondiale particulière qui nous a permis de développer notre marché intérieur et de puiser de plus en plus dans les marchés internationaux; d’un ensemble de relations et d’institutions de sécurité qui nous ont protégés de menaces existentielles que nous avons dû affronter en 1914 puis en 1939; et d’un ensemble d’organisations et de forums multilatéraux qui ont amplifié notre voix – parfois bien au-delà de ce que notre position relative aurait permis de prévoir. En effet, l’environnement politique mondial a été relativement positif et coopératif, tant et si bien que nous l’avons parfois tenu pour acquis. Aujourd’hui, c’est à nos risques et périls que nous le faisons.

Tendances mondiales clés Les analystes ont cerné plusieurs changements marqués dans le paysage mondial, mais nos participant-es ont ciblé six développements fondamentaux qui offrent à la fois des occasions au Canada et comportent des risques importants pour la sécurité et la prospérité des Canadien-nes : •

Un glissement des rapports de force à l’échelon mondial, dans lequel se modifie le pouvoir économique et politique entre les États occidentaux et non occidentaux, en raison notamment de la croissance économique en Asie et de la nature changeante du leadership étatsunien; et dans lequel la densité et l’importance des interactions entre pays du Sud global augmentent.

Le recul de la démocratie, compte tenu à la fois du recul de la participation politique, de la liberté et de l’État de droit dans des démocraties nouvelles ou naissantes, et des défis auxquels les démocraties établies sont confrontées en raison de l’inégalité croissante et du mécontentement à l’égard des résultats obtenus par les institutions existantes.

• Un système multilatéral en fracture, en raison d’intérêts conflictuels des grandes puissances, du manque de leadership régional et mondial de la part d’acteurs clés, de faiblesses particulières de la conception et de l’application des institutions, de même de la sous-représentation continue d’États clés et des acteurs non étatiques. • Une intensification des risques de catastrophes, notamment par l’accélération des changements climatiques, l’affaiblissement des systèmes de gestion de la prolifération des armes de destruction massive et de leur utilisation, de même que l’avènement croissant de pandémies mortelles.

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UN NOUVEAU CONTEXTE MONDIAL POUR LE CANADA • Un virage numérique, qui, en dépit d’avantages immenses, a engendré une course aux armements numériques entre les modèles axés sur le marché, développés aux États-Unis, et les modèles liés au gouvernement, venant de Chine – posant des risques pour des infrastructures essentielles et pour les droits et libertés démocratiques fondamentaux. •

La nature changeante des conflits, d’une part, la possibilité d’une guerre entre grandes puissances est plus présente qu’à tout autre moment depuis la fin de la Guerre froide; d’autre part, les guerres civiles sont plus longues et particulièrement meurtrières pour les civils – générant des niveaux sans précédent de migration forcée et entraînant d’énormes régressions des gains de développement†.

Les institutions et stratégies existantes ne peuvent plus isoler totalement les Canadien-nes de ces menaces émergentes qui s’intensifient et, dans certains cas, se répètent. En outre, le Canada ne peut plus compter sur la protection d’une puissance mondiale, ce dont il bénéficiait historiquement de la part du Royaume-Uni et plus récemment des États-Unis. Bien que le leadership étatsunien dans l’ordre mondial post-1945 soit en déclin depuis quelque temps, ce phénomène s’est accéléré sous le président Trump et se poursuivra probablement sous toute administration américaine ultérieure – sur le fond sinon la forme. L’évolution de la posture mondiale des États-Unis et leurs réactions aux changements mondiaux dans l’équilibre des pouvoirs ont de profondes conséquences pour le Canada, tant dans nos relations bilatérales que dans la poursuite de nos objectifs mondiaux.

Pour une description plus étoffée des tendances identifiées par nos participant-es, voir : Robert Greenhill et Jennifer Welsh, Reframing Canada’s Global Engagement: A Diagnostic of Key Trends and Sources of Influence, août 2020.

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UN NOUVEAU CONTEXTE MONDIAL POUR LE CANADA Le bien-fondé d’un engagement international Les expert-es en politique étrangère que nous avons réuni-es ont convenu que plusieurs réalités fondamentales du Canada font en sorte que notre sécurité et notre prospérité dépendent d’un engagement international constructif : •

Premièrement, parce que le Canada ne compte que pour 2 % du PIB mondial, que son économie est fortement basée sur les exportations et que sa base manufacturière est relativement petite, il dépend de la technologie, du commerce, des investissements et des compétences pour faire croître son économie. Notre prospérité est fondamentalement affectée par les événements économiques qui surviennent au-delà de nos frontières, comme l’illustrent de façon frappante la crise financière de 2008 et le récent effondrement du prix du pétrole.

Deuxièmement, avec seulement 0,5 % de la population mondiale, le système politique du Canada – en particulier son pluralisme et son type particulier de démocratie constitutionnelle – est profondément menacé par l’absence de partenaires partageant les mêmes valeurs politiques et s’engageant dans des formes de coopération fondées sur la collaboration et la confiance.

Troisièmement, étant donné la taille et la géographie de notre territoire et les niveaux prévisibles des dépenses pour la défense ainsi que le caractère transnational des menaces contemporaines, le Canada ne peut pas assurer seul la sécurité de ses frontières ou de sa population. La sécurité des Canadien-nes passe par la coopération internationale.

• Quatrièmement, une action collective est indispensable pour aborder ou réaliser certains problèmes mondiaux (tels que les changements climatiques et les pandémies) et certaines opportunités (comme la réalisation des Objectifs de développement durable, la création d’un système de commerce international favorisant à la fois les droits de la personne et le développement économique, le développement et la distribution de technologies essentielles telles que les vaccins et les innovations vertes, de même que la bonne gouvernance numérique). Étant donné que le Canada n’est pas une grande puissance, il a intérêt à veiller à ce que les règles régissant ces formes d’action coordonnée reflètent les préoccupations du plus grand nombre plutôt que celles d’une minorité de puissants, et réduisent la capacité des forts à contraindre les faibles; il a également intérêt à ce que les mécanismes de règlement des différends soient équitables, transparents et fondés sur des règles. • Cinquièmement, un grand nombre de personnes nées à l’étranger font partie de la population de citoyen-nes du Canada tout en maintenant leurs liens transnationaux. Par conséquent, l’intérêt des Canadien-nes pour les développements mondiaux et leurs liens avec ceux-ci sont importants et croissants. • Enfin, les Canadien-nes s’attendent à ce que le Canada défende certaines choses sur la scène mondiale. Notre pays a un engagement de longue date aux droits de la personne, à la lutte contre l’injustice et à l’offre d’un refuge et d’occasions aux personnes qui fuient la violence et la persécution. On ne peut pas mettre à l’écart ces valeurs en les qualifiant de « nostalgiques » dans un monde apparemment plus polarisé et hostile. Par ailleurs, ces valeurs canadiennes ne vont pas nécessairement à l’encontre d’intérêts fondamentaux du Canada en matière de sécurité et de prospérité comme d’aucuns le prétendent souvent – mais elles sont souvent complémentaires à ces intérêts. Par-dessus tout, elles sont importantes en tant que telles pour les Canadien-nes, compte tenu du rôle du Canada dans le monde.

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L’IMPÉRATIF DE LA CLARTÉ STRATÉGIQUE Pour toutes ces raisons, le Canada ne peut pas se permettre de se replier sur lui-même, d’être paralysé par l’immobilisme ou de s’appuyer sur une politique étrangère issue d’une époque fondamentalement différente. En fait, cela encouragerait des résultats contraires aux besoins des Canadien-nes et à leurs souhaits. Notre histoire, combinée à l’ampleur et à la rapidité des transformations du contexte mondial, suggère qu’un engagement international plus proactif est essentiel pour faire progresser la sécurité, la prospérité et les valeurs fondamentales des Canadien-nes. Pour y parvenir, une réévaluation fondamentale de nos stratégies passées et actuelles est urgente et attendue depuis longtemps. Consensus chez nos participant-es : certaines approches traditionnelles du Canada en matière de politique internationale demeurent trop étroites et peu propices à faire face aux perspectives changeantes et aux effets du pouvoir dans le paysage mondial, à répondre aux risques les plus sérieux pour nos intérêts et nos valeurs, ou à tirer parti des possibilités de façonner notre avenir de manière proactive au lieu de simplement réagir à des crises successives. Pour faire progresser la sécurité et la prospérité du Canada à long terme, les Canadien-nes doivent aborder avec la direction du gouvernement dix questions difficiles mais cruciales, quant à l’engagement de notre pays dans le monde. Ce ne sont pas les seules questions auxquelles les décideur(-euse)s doivent faire face en ce qui touche l’évolution du paysage mondial et la place du Canada au sein de celui-ci, mais elles nous semblent au cœur des enjeux de notre époque. Les réponses à ces questions indiqueront quels risques pour notre sécurité et notre prospérité nous jugeons finalement les plus importants. Elles ont également des implications importantes pour décider de nos investissements d’argent, de temps et de poids politique, et pour déterminer où nous chercherons à développer une expertise et des compétences dans divers secteurs de la société canadienne. Par-dessus tout, les réponses permettront de préciser quel type d’acteur international le Canada aspire à être en 2020 et dans les décennies à venir. L’absence de consensus clair des participant-es quant aux réponses à ces questions n’est pas étonnante. Ces réponses concernent des enjeux fondamentaux et, dans certains cas, litigieux. Mais tou-te-s les participant-es ont convenu qu’il s’agit de décisions que notre pays a à envisager pour développer une approche plus stratégique et efficace, et s’engager au-delà de nos frontières.

1. Les intérêts nationaux du Canada exigent-ils qu’il renforce son rôle et son impact sur la scène internationale? Personne ne remet en question le fait que des développements majeurs sont en cours dans le monde et pourraient avoir un impact considérable sur le Canada. Les questions stratégiques clés qui suivent comprennent deux volets : pouvons-nous influencer de manière significative ces développements et, si oui, avons-nous intérêt à essayer de le faire? On pourrait considérer que, d’un point de vue réaliste, le Canada ne peut avoir que peu d’influence sur les questions internationales et que, même en tentant d’avoir un impact, il pourrait finir par nuire à ses intérêts nationaux. En ces temps de regain de la concurrence entre grandes puissances, de même que d’instabilité et d’incertitude, la meilleure stratégie pour le Canada est de se tenir « à l’abri du parapet », d’« attendre et voir », et d’éviter de choisir ouvertement un « camp » ou de prendre clairement position. En d’autres termes, l’ambiguïté constructive est la meilleure politique. Il s’agit d’une politique similaire à celle du premier ministre Mackenzie King dans l’entre-deux-guerres et aux positions de

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certain-es analystes contemporain-es. D’autres diront que le Canada fait habituellement preuve d’une capacité d’influence mondiale lorsqu’il investit ses ressources de manière appropriée et poursuit ses efforts. Notre prospérité, notre sécurité et nos valeurs sont trop liées aux développements mondiaux pour que nous puissions nous contenter d’une participation pro forma. Le pays doit examiner dans quelle mesure son intérêt national est servi lorsqu’il contribue à façonner un monde plus sûr, plus prospère et plus durable. L’intérêt du Canada est-il mieux servi en laissant d’autres pays déterminer le contexte international auquel le nôtre sera confronté dans les années à venir? Car c’est en grande partie ce que nous faisons actuellement.

2. Le Canada devrait-il renforcer son engagement international afin de réduire les risques de revers mondiaux post-COVID et d’effondrement systémique potentiel? À intervalles de quelques décennies, des crises secouent le monde et créent un potentiel de changement systémique et d’avancées ou de reculs importants dans la manière dont les sociétés interagissent et coopèrent. En six mois à peine, la COVID-19 a déjà déclenché une dislocation sociale massive, la pire crise économique depuis la Grande Dépression, et exacerbé des tensions géopolitiques, notamment entre la Chine et les États-Unis. De nombreuses choses peuvent donner l’impression d’avoir changé, mais en fait la pandémie a exposé et amplifié plusieurs des tendances que nos participant-es avaient initialement signalées. Nous savons par expérience que des crises ne conduisent pas automatiquement à des innovations productives ou à de meilleures solutions aux problèmes mondiaux; beaucoup dépend de la manière précise dont les dirigeant-es y répondent. L’ampleur et la profondeur de l’impact de la COVID-19, que nous continuons d’observer, en combinaison avec les efforts de coopération mondiale jusqu’ici tièdes, suggèrent que la demande d’« action accrue » de nombreux États va s’intensifier. La première question stratégique est de savoir s’il est dans l’intérêt national du Canada de renforcer son engagement international pour une durée limitée (peut-être deux ou trois ans) afin de répondre aux pires conséquences internationales de la COVID-19. Les arguments contre cette démarche sont que le Canada est confronté à un chômage record, au plus grand déficit depuis la Deuxième Guerre mondiale et à la pandémie qu’il doit encore combattre. Les arguments en faveur sont qu’un tel engagement accru pourrait atténuer considérablement la misère humaine, diminuer les coûts et risques futurs et, peut-être plus fondamentalement (bien que ceci soit plus difficile à quantifier), réduire le potentiel d’effondrement du système. Les effets de la crise politique et économique des années 20 et 30, notamment la montée du fascisme et l’effondrement du système de la Société des Nations, indiquent que le potentiel d’effondrement majeur des systèmes mondiaux de commerce, de sécurité collective et de développement durable ne peut être pris à la légère et ignoré. Une décision concernant une « action accrue pour répondre à la COVID-19 » est distincte de la question précédente, à savoir si le Canada devrait aspirer à accroître son rôle et son impact à long terme. Les décideur(-euse)s pourraient opter pour une augmentation de l’impact du Canada au fil du temps sans s’engager à une intensification subite – ou vice-versa. Toutefois, les réponses aux questions 1 et 2 ont d’importantes implications pour le niveau d’ambition stratégique du Canada et l’allocation de précieuses ressources publiques et privées ainsi que de poids politique. Elles nécessiteraient également d’investir dans des efforts afin d’engager un dialogue plus direct avec les Canadien-nes quant au rôle mondial contemporain de notre pays.

3. Comment le Canada devrait-il s’adapter à la nature changeante du leadership étatsunien? Nos participant-es ont convenu que le partenariat historique entre le Canada et les États-Unis a été profondément transformé par les glissements des rapports de force internationaux et les dynamiques qui y sont liées, de même que par la politique intérieure des États-Unis. Quelle que soit l’issue des élections de 2020, les relations entre nos

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deux pays ont peu de chances de retourner à la forme qu’elles avaient dans les décennies post-1945 ou peu après la Guerre froide. Est-il réaliste, ou même possible, de reconstruire notre stratégie traditionnelle consistant à utiliser notre influence à Washington pour influer sur des questions internationales – tirer parti du « pouvoir de la proximité » afin de collaborer avec les États-Unis et mettre à profit leur pouvoir pour aborder des questions mondiales touchant les deux pays? Dans quelle mesure le Canada devrait-il se concentrer sur l’atténuation des risques, en cherchant de manière défensive à réduire la possibilité que des développements aux États-Unis (ou des actions internationales de leur part) nuisent à nos intérêts économiques et politiques? Ou devrions-nous être plus disposé-es à nous associer non seulement avec nos alliés traditionnels, mais aussi avec de nouveaux acteurs afin de protéger les intérêts, les valeurs et les institutions qui nous importent et de tenter de persuader les États-Unis de continuer à contribuer activement à une résolution collaborative de problèmes mondiaux? Cette dernière position, qui implique une politique étrangère plus autonome, est bien sûr débattue depuis longtemps dans notre pays, et a de nombreux adeptes et opposant-es. Mais nous pensons qu’elle nécessite une attention et un débat renouvelés, en tant qu’option stratégique possible pour la prochaine décennie, compte tenu à la fois des tendances à long terme et des réalités géopolitiques actuelles. Dans toute évaluation stratégique de ce type, il est toutefois crucial d’adopter une « vision à long terme » plutôt que de se concentrer sur une administration en particulier. Même si la part des États-Unis dans le soutien financier à l’action mondiale est en baisse relative (et le demeurera), leur potentiel de leadership politique et intellectuel restera important.

4. Le Canada devrait-il durcir sensiblement sa position vis-à-vis de la Chine? Les participants ont convenu que, vu la position centrale de la Chine pour relever les défis mondiaux dans un avenir prévisible, le Canada devrait idéalement s’engager dans une coopération plus active. Mais les cinquante dernières années ont révélé encore plus clairement à quel point il est difficile de concilier cette coopération avec l’appui traditionnel du Canada à la démocratie, aux droits de la personne et à l’État de droit – des valeurs que la Chine a bafouées non seulement en lien avec la minorité ouïgoure et à Hong Kong, mais aussi par sa suppression croissante de la liberté politique dans la société chinoise. En outre, la position internationale de la Chine sur le plan de la diplomatie politique autant qu’économique s’est durcie. Ses objectifs dans des cadres multilatéraux particuliers peuvent être contraires à ceux du Canada; et la détention de deux citoyens canadiens suscite des préoccupations croissantes quant à la manière dont la Chine exerce son pouvoir. La question stratégique clé pour le Canada est donc de savoir si sa position vis-à-vis de la Chine au cours des 30 dernières années est encore viable : un plus grand engagement économique et d’autres types, avec l’attente d’une ouverture économique progressive et de progrès continus des droits de la personne et d’autres réformes. Dans la négative, le Canada devrait-il considérer la Chine principalement comme un concurrent stratégique avec lequel il a des intérêts conflictuels dans certains domaines tout en conservant une marge considérable de coopération continue? Ou plutôt comme un adversaire stratégique potentiel qui représente une menace importante pour nos intérêts et nos valeurs? Dans le même ordre d’idées, nous devons nous demander si la meilleure approche pour le Canada est d’avoir sa propre position stratégique vis-à-vis de la Chine ou plutôt de prendre part à une approche partagée, élaborée sciemment avec un certain nombre d’autres pays démocratiques libéraux, de l’Europe ou de l’Asie. Répondre à cette question est l’une des tâches immédiates les plus difficiles de la politique étrangère canadienne. Elle exige que les responsables politiques canadien-nes se rappellent que le tableau actuel n’est pas statique, mais en évolution. Il existe non seulement des développements cruciaux au sein de la Chine qui modifieront son rôle mondial, mais également des réactions persistantes, et dans certains cas une résistance, de la part d’autres États à l’exercice du pouvoir chinois – et tous ces facteurs pourraient affecter ses choix et actions à venir.

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5. Le Canada devrait-il tenter de réformer radicalement les institutions et processus multilatéraux? Nos participant-es se sont largement accordé-es sur le fait que des éléments clés du système multilatéral sont grinçants et, dans certains domaines, risquent de devenir obsolètes. D’autres gagnent possiblement en pertinence, en particulier au palier régional, devant des possibilités d’engagement canadien inexploitées. La question stratégique clé pour le Canada est de savoir s’il souhaite être un « mainteneur de systèmes » ou un « acteur d’innovation de systèmes ». S’attachera-t-il à améliorer le système existant tout en préservant la mosaïque mondiale de règles et d’institutions qui ont si bien servi les intérêts canadiens? Ou cherchera-t-il de manière proactive à faire en sorte que le multilatéralisme reflète les nouvelles relations de pouvoir et les défis mondiaux, notamment en créant de nouvelles structures et de nouveaux processus en marge du cadre multilatéral actuel? Le maintien du système en vigueur peut préserver les sources d’influence traditionnelles du Canada, mais au prix de trop d’institutions qui continuent de s’affaiblir, ou pire – deviennent dysfonctionnels. D’autre part, bien qu’un soutien proactif à une réforme puisse améliorer l’efficacité du cadre institutionnel traditionnel, il a des implications sur notre propre position au sein de celui-ci et sur la nature des partenaires avec lesquels nous travaillerons le plus étroitement. Plus précisément, en collaborant avec des États non occidentaux pour réformer et innover, le Canada pourrait risquer de se heurter à l’opposition d’autres puissances occidentales désireuses de soutenir le statu quo. En outre, pour répondre à ces questions, le Canada doit aller au-delà des débats traditionnels sur l’ampleur souhaitable d’une réforme des institutions et des processus existants, afin de clarifier quels objectifs il cherche réellement à atteindre par le biais de mécanismes multilatéraux, tant au niveau mondial que régional. Le multilatéralisme est en fin de compte un moyen et il ne peut se substituer à une articulation claire des fins que nous voulons atteindre.

6. Quel leadership devrait jouer le Canada pour recadrer la gouvernance numérique de modèles autoritaires ou corporatistes vers un cadre démocratique axé sur les citoyen-nes? Une question stratégique connexe est de savoir si le Canada devrait adopter un rôle plus proactif pour influencer des régimes émergents de gouvernance mondiale. Nos participant-es, par exemple, ont convenu que le Canada dispose d’une brève occasion d’agir pour influencer et définir des politiques de gouvernance numérique et en matière d’intelligence artificielle (IA). Le premier choix stratégique concernant le domaine numérique est de savoir si le Canada, dans sa politique intérieure, reste un membre de facto du bloc de données étatsunien centré sur les entreprises, s’il crée une gouvernance intérieure qui reflète plus étroitement le bloc de données du Règlement général sur la protection des données (RGPD) centré sur l’individu, de l’Union européenne, ou plutôt s’il travaillera activement à combler les écarts entre les trois blocs (Chine, États-Unis et UE). Le deuxième choix stratégique numérique concerne la manière du Canada de diriger activement un processus visant à façonner la gouvernance numérique à l’échelle mondiale. Cela pourrait inclure : un cadre éthique universalisé pour les algorithmes et l’IA; un nouveau forum de coordination mondiale pour surmonter l’émiettement géographique de la gouvernance des données; un nouveau régime mondial pour répondre à l’arbitrage fiscal par les multinationales du numérique; et une institution internationale pour façonner les normes, réglementations et politiques mondiales dans l’économie de plateforme (p. ex., un Conseil de la stabilité numérique). Le leadership dans ce domaine pourrait conduire à de meilleurs résultats et positionner favorablement le Canada dans un important nouveau domaine, mais exigerait un leadership soutenu et une volonté de résister à la pression considérable d’acteurs gouvernementaux et industriels ayant d’énormes intérêts.

7. En tant que pays ayant des intérêts considérables en Asie, le Canada devrait-il s’engager de façon importante à être plus pertinent au sein de cette région? Notre groupe d’expert-es a convenu que l’adaptation du Canada à l’évolution des rapports de force mondiaux nécessite envers l’Asie une attitude qui ne se limite pas à la réémergence de la Chine en tant que grande puissance.

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Plus précisément, la coopération avec l’Inde, la plus grande démocratie du monde et une puissance économique grandissante, sera cruciale à l’avancement de nos intérêts dans les décennies à venir. Mais quel type de relation le Canada devrait-il chercher à établir avec l’Inde d’ici 2030, compte tenu des importants défis intérieurs et régionaux auxquels cette dernière est confrontée? Et que faut-il pour y parvenir? Par ailleurs, les participant-es ont reconnu l’importance d’autres parties de l’Asie – incluant des démocraties prospères comme le Japon, la Corée du Sud et Taïwan – et de certaines sous-régions, comme l’Asie du Sud-Est. En effet, la reconnaissance par d’autres États asiatiques d’une dépendance excessive à l’égard de la Chine a donné l’impulsion nécessaire à la création de nouveaux partenariats sur un certain nombre de questions macro et microéconomiques. Cette réalité ouvre des possibilités pour le Canada. Parallèlement, d’autres questions se présentent. La première : déterminer si notre engagement serait principalement commercial ou, s’il s’étendrait à une coopération politique, culturelle, scientifique et en matière de sécurité. La deuxième : procéderait-on principalement par l’intermédiaire d’institutions multilatérales existantes, ou chercherait-on activement à prendre part aux principales organisations régionales ou, à créer de nouveaux accords institutionnels plus formels avec des États clés? De quelle façon pouvons-nous nous impliquer au sein d’organisations ou de forums dont nous ne faisons pas parti et, où le centre du pouvoir est en déplacement – de la même façon que la Chine et d’autres états ont fait promouvoir leurs intérêts au sein du Conseil de l’Arctique. La troisième : le Canada devrait-il favoriser la notion d’une région indo-pacifique? Finalement, quels investissements intérieurs le Canada devrait-il faire, notamment dans ses universités, pour développer l’expertise nécessaire à s’engager efficacement avec l’Asie dans les décennies à venir?

8. Le Canada est-il prêt à accroître son engagement à prévenir les crises, particulièrement au regard des changements climatiques et les conflits? Il est toujours préférable de prévenir l’instabilité et les conflits, plutôt que de réagir lorsque la dynamique de crise est bien engagée. Les économies de ressources et l’évitement de souffrances humaines peuvent être énormes. Toutefois, l’attention du public et des politiques n’a pas tendance à se porter sur ces points, et ce n’est pas là que le Canada a récemment investi la majeure partie de ses ressources de politique étrangère. En effet, plusieurs « pairs » du Canada au sein de l’OCDE ont pris des engagements beaucoup plus importants en matière de prévention des conflits par le biais d’outils tels que l’aide au développement ou la médiation. Bien que l’ampleur et la létalité des conflits armés évoluent, le Canada est encore largement à l’écart de leurs effets immédiats. Cela est particulièrement vrai pour la forme de conflit la plus saillante, celle de la guerre civile, qui s’est de plus en plus prolongée et internationalisée depuis quelques décennies. Néanmoins, les effets négatifs plus larges des conflits – en particulier les déplacements forcés et les revers du développement économique – ont des implications pour nous et nos plus proches alliés, et mettent à l’épreuve la profondeur et l’authenticité de nos déclarations d’une volonté d’amélioration de la prospérité et de la sécurité mondiales. En dépit d’innombrables accords régionaux et internationaux pour prévenir les conflits, les désamorcer et y répondre, il y a rarement une volonté politique de discuter des dynamiques sous-jacentes qui alimentent si souvent la violence politique contemporaine ou les conflits armés ouverts, et encore moins de prendre des mesures pour s’y attaquer. Bref, les paroles ne sont pas suivies d’actions. La question clé pour le Canada est de savoir si sa contribution internationale à la gestion de l’instabilité et des conflits sera principalement réactive – par exemple, une participation à la désescalade, à des opérations de paix, à l’aide humanitaire – ou s’il investira également de manière significative et stratégique et à long terme dans des efforts pour prévenir l’instabilité et les conflits potentiels en s’attaquant à leurs causes profondes, notamment les niveaux croissants d’inégalité économique dans le monde. La réponse à cette question a d’importantes ramifications concernant la manière dont le gouvernement canadien abordera l’aide publique au développement, la diplomatie préventive ainsi que la gestion et la résolution des conflits – soit bilatéralement, soit multilatéralement – dans les années à venir. Mais elle est également pertinente à la manière

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dont un éventail plus large d’acteurs canadiens, y compris dans le secteur privé et le secteur à but non lucratif, comprennent et poursuivent leurs relations avec d’autres sociétés qui ont un risque élevé de conflit et d’instabilité. La portée et les effets des changements climatiques, tout comme les conflits, gagnent à être desservis par des mesures préventives. De plus, les preuves scientifiques combinées à la réalité des évènements climatiques à travers le monde démontrent que notre capacité à intervenir et de renverser la tendance diminue. Une question essentielle est de savoir si le Canada, par une combinaison d’actions nationales et internationales, agit assez vigoureusement pour faire face aux risques particuliers des changements climatiques, à son propre rôle dans la dégradation de l’environnement, aux stratégies d’adaptation et à l’influence qu’il peut exercer sur les autres pays afin qu’ils fassent leur part. Les défis du changement climatique et les conflits s’entrecroisent au sein de régions les plus fragiles dans le monde. Le changement climatique est une source majeure et croissante d’instabilité, qui pourrait exacerber le risque de conflits, voire d’effondrement d’États dans plusieurs sociétés du Sud, y compris dans la région populeuse du Sahel.

9. Le soutien à la démocratie doit-il devenir un pilier plus central de la politique étrangère du Canada? Notre pays affirme depuis longtemps que la démocratie est l’une de ses valeurs politiques fondamentales. Ce qui est moins clair, c’est l’effet concret qu’a cet engagement rhétorique, ou qu’il devrait avoir, sur notre position mondiale ou nos activités spécifiques de politique étrangère touchant les trois « D » traditionnels (diplomatie, défense et développement) et au-delà. Le consensus parmi nos participant-es était que la démocratie est confrontée à de profonds défis de l’intérieur et de l’extérieur – certains acteurs mondiaux exploitant les faiblesses d’États démocratiques – et que les relations au sein de « l’Occident » traditionnel s’effritent. La principale question stratégique est de savoir si le Canada devrait chercher activement à renforcer et à approfondir l’alliance entre les démocraties et à soutenir activement la consolidation démocratique au palier international, ou s’il devrait adopter une position plus pluraliste qui implique une succession de partenariats « tous azimuts » avec divers pays sur des questions d’intérêt commun. La première option nécessite une réflexion renouvelée sur les conditions spécifiques dans lesquelles le Canada peut faire la différence, tout en atténuant autant que possible les risques politiques et économiques. Le soutien à la démocratie devrait procéder aujourd’hui d’hypothèses différentes de celles du début des années 1990 (fin de la guerre froide). Faire du soutien à la démocratie un pilier central impliquerait également de clarifier les domaines de concentration. Le Canada devrait-il se concentrer de manière proactive sur les démocraties occidentales consolidées, en encourageant le soutien et l’assistance mutuels pour s’aider les uns les autres à répondre plus efficacement aux besoins et aux aspirations des citoyen-nes ainsi qu’aux menaces extérieures? Ou devrait-il s’adresser à un éventail plus large de pays démocratiques, y compris par exemple à des démocraties naissantes où une assistance ciblée pourrait potentiellement aider à prévenir un retour en arrière? Une question connexe est de savoir si une gouvernance démocratique efficace devrait devenir un objectif plus important de la politique de développement du Canada et, le cas échéant, quels changements concrets dans les capacités et la programmation cela exigerait – p. ex., une intensification du soutien à la gouvernance inclusive, aux droits de la personne, à l’État de droit ainsi qu’à la lutte contre la corruption dans la programmation du développement, et de manière plus générale une augmentation de l’importance de la gouvernance démocratique dans la diplomatie bilatérale et multilatérale. Il pourrait également être nécessaire de repenser à quel stade le Canada met un terme à son aide internationale à des pays, car de nombreux États ayant besoin d’une aide à la gouvernance sont de la catégorie de revenu intermédiaire, au-delà de l’objectif traditionnel de réduction de la pauvreté.

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10. Le Canada doit-il renforcer et orienter les processus et capacités de politique étrangère à Ottawa de manière à les adapter aux défis de l’engagement mondial au XXIe siècle? Le consensus parmi nos participant-es était que l’engagement mondial du Canada était éparpillé entre de nombreuses institutions, questions et relations. Bien que le Canada fasse partie du G7 et ait une présence et une stature mondiales, cela ne signifie pas qu’il ne devrait pas prioriser (avec une certaine constance) des questions ou relations particulières. L’impact de notre pays a été réduit par l’absence de stratégies régionales explicites et par l’engagement limité des parties prenantes canadiennes au-delà des consultations pro forma. Pour avoir un impact dans le monde complexe et surpeuplé d’aujourd’hui, il faut des stratégies claires, alignées sur les intérêts nationaux, soutenues dans le temps et appuyées par l’ensemble des acteurs canadiens. La première question stratégique est de savoir si des changements structurels au sein du gouvernement sont nécessaires pour mieux positionner le Canada en vue d’un engagement mondial efficace. Cela pourrait inclure des réformes visant à rehausser la capacité d’adaptation et l’expertise d’Affaires mondiales Canada; à revoir le rôle du Secrétariat de la politique étrangère et de la défense au sein du Bureau du Conseil privé; à réexaminer la manière dont la Chambre des communes et le Sénat participent à la stratégie à long terme concernant le rôle mondial du Canada et la réponse aux questions internationales; à envisager la création de nouveaux mécanismes tels qu’un comité consultatif sur la politique étrangère; et à repenser la manière dont les nombreux autres ministères ayant des liens étroits avec les affaires internationales participent à l’engagement mondial de notre pays et le façonnent. Le second choix stratégique, qui est lié au premier, consiste à déterminer si le gouvernement canadien devrait confier à d’autres acteurs canadiens des rôles plus explicites et plus permanents dans l’élaboration et la mise en œuvre de la stratégie d’engagement mondial du Canada. Les gouvernements provinciaux, les villes, la société civile, les universités, le secteur privé, certaines communautés de diaspora et les groupes de réflexion pourraient tous et toutes faire une contribution majeure et plus structurée. Le choix stratégique final est de déterminer si le Canada devrait se concentrer sur le développement de domaines particuliers de capacité et d’intérêt, ce qui nécessiterait un investissement beaucoup plus profond et soutenu. Le Canada a eu une grande expertise dans des domaines jadis fort prisés, notamment le maintien de la paix. Il existe un large éventail de domaines dans lesquels on peut acquérir une expertise de calibre mondial, allant de la gouvernance démocratique et de l’État de droit, aux droits de la personne et à l’égalité des sexes, en passant par les capacités du secteur militaire et de la sécurité, la gestion des océans et des pêches et l’intelligence artificielle. Malgré les avantages théoriques évidents d’une telle approche, les gouvernements ont du mal à faire des choix stratégiques d’investissement en fonction des priorités de la politique étrangère, sans parler de leur maintien de ces choix au fil du temps et d’administrations successives.

CONCLUSION Le Canada est confronté au contexte mondial le plus difficile depuis des générations. L’avis des expert-es en politique étrangère que nous avons réuni-es est que nous ne pouvons plus nous permettre de rester dans la complaisance à l’égard de la capacité de notre pays à promouvoir sa sécurité et sa prospérité. De nombreux pays aux quatre coins du monde cherchent tant bien que mal à composer avec la nouvelle configuration des rapports de force mondiaux, dans l’intérêt du maintien de leur sécurité; à protéger leurs valeurs les plus chères; et à faire progresser, ou du moins à préserver, les niveaux de vie sur leur territoire et au-delà. Le Canada doit faire de même. En abordant les dix questions ci-dessus, les gouvernements et les autres acteurs clés peuvent commencer à élaborer une approche plus stratégique pour que le Canada puisse jouer un rôle mondial efficace et significatif. Les réponses à ces questions ne constituent pas une fin, mais seulement un point de départ. Elles doivent être soutenues par des investissements à long terme et ciblés et par une expertise approfondie, et aller au-delà du mandat donné par une seule élection. Par-dessus tout, elles doivent générer non pas une politique étrangère pour le gouvernement du Canada, mais une plateforme pour l’engagement mondial des Canadien-nes.

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REMERCIEMENTS La coprésidente et le coprésident tiennent à remercier le talentueux groupe d’experte-s en politique étrangère qui ont consacré de leur temps et de leur passion afin de nous faire part de leurs perspectives, dans ce dialogue. Nous remercions sincèrement aussi André Beaulieu, Joseph Caron et Arif Lalani pour leurs judicieux commentaires sur les versions précédentes. Un grand merci à Patrick Quinton-Brown et Marina Sharpe pour leur collaboration auprès des participant-es, leurs encouragements à la réflexion et leur assistance à la rédaction. Les assistant-es de recherche Lina Vissandjee et Ender McDuff ont apporté un soutien précieux. Canada Global est un organisme non partisan et à but non lucratif, engagé à rehausser l’impact du Canada dans le monde. L’initiative « Recadrer l’engagement du Canada dans le monde » est née d’un événement réunissant des leaders canadien-nes engagé-es dans le monde, organisé conjointement en octobre 2019 par Canada Global et le Conseil international du Canada afin de souligner le 100e anniversaire de l’exercice par le Canada de sa propre voix pour la première fois, lors de la conférence de paix de Paris, et le 50e anniversaire du rapport de Lester B. Pearson intitulé Partners in Development, dont le rôle fut marquant dans le développement international moderne. Les participant-es à cet événement anniversaire ont convenu qu’il était essentiel pour le Canada de revigorer son ambition mondiale, en commençant par une compréhension lucide du contexte international actuel et de ses implications pour le bien-être des Canadien-nes. La présente publication et son document d’accompagnement, Reframing Canada’s Global Engagement: Key Trends and Sources of Influence, en sont les premiers résultats; d’autres suivront au cours des prochains mois.

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