Recadrer l’engagement mondial du Canada : un diagnostic des principales tendances et sources d’influence
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INTRODUCTION Le plus récent Énoncé de politique internationale du Canada date de près de deux décennies : il a été élaboré dans le sillage du 11 septembre 2001. Au cours de cette période, le monde a connu une évolution fondamentale qui a bouleversé bon nombre des postulats avec lesquels les décideur(-euse)s politiques et les citoyen-nes canadien-nes ont fonctionné pendant plus d’un demi-siècle. D’importants changements environnementaux, technologiques, démographiques, économiques et géopolitiques, auxquels s’est maintenant ajoutée la pandémie de la COVID-19, refaçonnent le paysage mondial ainsi que les approches et les outils traditionnels pour faire avancer les intérêts et les valeurs du Canada. Plusieurs idées et pratiques normatives qui ont alimenté la politique internationale au cours des deux premières décennies après la fin de la Guerre froide sont à présent remodelées, contestées ou ouvertement remises en question. Cela s’explique en partie par un changement plus profond de l’équilibre mondial du pouvoir, dans lequel des États non occidentaux exercent une influence économique et politique accrue aux paliers bilatéral et multilatéral. Plus fondamentalement, le système d’institutions et d’alliances de l’après-Seconde Guerre mondiale, qui a soutenu une période de paix et de prospérité sans précédent pour de nombreux Canadien-nes et qui a souvent permis à notre pays d’exercer une influence considérable, est soumis à un stress sévère – voire terminal. Le plus important partenaire du Canada, les États-Unis, se retire depuis plus d’une décennie de son rôle de leader mondial, et son administration actuelle remet ouvertement en question son engagement à l’égard des normes, des règles, des organisations et des relations qui sous-tendaient les relations internationales post-1945. La nature changeante du leadership étatsunien a donné encore plus d’espace à des pays comme la Chine et la Russie pour jouer un rôle de plus en plus affirmé sur la scène internationale. Bref, le système de base est en pleine transformation. La forme que prendra son remplacement est encore incertaine, mais pourrait avoir des conséquences négatives marquées pour le Canada. Le présent rapport, Recadrer l’engagement mondial du Canada : un diagnostic des principales tendances et sources d’influence, commence par résumer un certain nombre de caractéristiques de la population, du pouvoir économique et de la position géographique et politique du Canada, qui continuent de nécessiter un engagement international. La deuxième section présente une évaluation stratégique de l’environnement mondial actuel et des risques les plus importants qu’il comporte pour les intérêts et les valeurs du Canada. Nous soulignons en particulier : • • • • • •
Un glissement des rapports de force à l’échelon mondial, dans lequel se modifie le pouvoir économique et politique entre les États occidentaux et non occidentaux, en raison notamment de la croissance économique en Asie et de la nature changeante du leadership étatsunien; et dans lequel la densité et l’importance des interactions entre pays du Sud global augmentent. Le recul de la démocratie, compte tenu à la fois du recul de la participation politique, de la liberté et de l’État de droit dans des démocraties nouvelles ou naissantes, et des défis auxquels les démocraties établies sont confrontées en raison de l’inégalité croissante et du mécontentement à l’égard des résultats obtenus par les institutions existantes. Un système multilatéral en fracture, en raison d’intérêts conflictuels des grandes puissances, du manque de leadership régional et mondial de la part d’acteurs clés, de faiblesses particulières de la conception et de l’application des institutions, de même de la sous-représentation continue d’États clés et des acteurs non étatiques. La nature changeante des conflits, d’une part, la possibilité d’une guerre entre grandes puissances est plus présente qu’à tout autre moment depuis la fin de la Guerre froide; d’autre part, les guerres civiles sont plus longues et particulièrement meurtrières pour les civils – générant des niveaux sans précédent de migration forcée et entraînant d’énormes régressions des gains de développement. Un virage numérique, qui, en dépit d’avantages immenses, a engendré une course aux armements numériques entre les modèles axés sur le marché, développés aux États-Unis, et les modèles liés au gouvernement, venant de Chine – posant des risques pour des infrastructures essentielles et pour les droits et libertés démocratiques fondamentaux. Une intensification des risques de catastrophes, notamment par l’accélération des changements climatiques, l’affaiblissement des systèmes de gestion de la prolifération des armes de destruction massive et de leur utilisation, de même que la montée de pandémies mortelles.
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Dans la troisième section, nous identifions les principales sources d’influence du Canada qui pourraient permettre à notre pays non seulement de survivre dans cet environnement international plus difficile – ce que nous pourrions considérer comme une réalisation « minimaliste » – mais également de faire progresser nos intérêts et de favoriser le développement d’un contexte mondial aligné plus étroitement sur les valeurs canadiennes. Ces facteurs incluent : • Une portée et des relations étendues, découlant de nos liens historiques avec le Royaume-Uni et la France, de notre relation privilégiée avec les États-Unis et de nos adhésions multilatérales. • Des capacités pertinentes, notamment une fonction publique compétente, une armée respectée, une économie forte, d’éminentes universités et une population transnationale, y compris des citoyen-nes ayant des liens diasporiques étroits, et des Canadien-nes travaillant pour des organisations internationales à travers le monde. • Une crédibilité établie, qui tient au fait que le Canada est largement considéré comme un pays digne de confiance qui fait des contributions internationales positives et qui s’efforce de mettre en pratique chez lui ce qu’il prêche ailleurs. • Une grande liberté d’action, en majeure partie grâce à la situation géographique du Canada et à son économie relativement saine. Alors que le Canada navigue dans un contexte mondial plus difficile, il devra également être conscient que ses contours ne sont pas statiques. Par exemple, une évolution de la situation aux États-Unis, en Chine et entre ces deux pays est probable, compte tenu à la fois de la capacité démontrée des États-Unis en matière de renouveau politique et social, des attentes et exigences de la classe moyenne chinoise, de même que de la perspective qu’une rivalité non maîtrisée puisse entraîner des pertes importantes pour les deux pays. Ces possibilités offrent au Canada des ouvertures pour des politiques intelligentes, fondées sur une compréhension claire de nos intérêts. De la même façon, d’autres pays sont à la recherche de moyens de gérer la répartition mondiale changeante du pouvoir, de relever des défis urgents comme le changement climatique et d’améliorer ou de maintenir leur niveau de vie, offrant au Canada des occasions de nouveaux partenariats. Le diagnostic que nous présentons souligne le besoin urgent de réévaluer la position du Canada dans le monde. Il devrait donc être lu conjointement à son document d’accompagnement, Recadrer l’engagement mondial du Canada : dix choix stratégiques pour les décideurs et décideuses,1 qui présente une série de questions fondamentales découlant des changements considérables survenus dans notre paysage mondial et qui incite les responsables de la politique étrangère du Canada à établir des priorités et à s’engager à investir de manière soutenue pour faire progresser la sécurité, la prospérité et les valeurs de notre pays. Le présent rapport est basé sur une recherche documentaire, des entretiens individuels et un dialogue avec un groupe d’expert-es canadien-nes en politiques internationales issu-es de différents milieux professionnels et de différentes orientations politiques.2 Leurs connaissances approfondies et leur engagement énergique ont grandement enrichi l’exercice de diagnostic. Au cours des entretiens et des discussions de groupe, un certain nombre de domaines ont fait l’objet d’un consensus. Plus précisément, il y a eu consensus sur la fragilité des architectures institutionnelles internationales courantes, sur les principaux intérêts canadiens dans ce contexte changeant et sur les types de canaux par lesquels le Canada pourrait atteindre ses objectifs. Fait tout aussi important, nos expert-es ont exprimé certains points de vue divergents. En particulier, les avis étaient partagés quant à la mesure dans laquelle le retrait des États-Unis du leadership international risque de persister avec les futures administrations; et à savoir si le comportement international de la Chine constitue une menace sérieuse aux normes, aux règles ou aux institutions existantes, ou une tentative d’accroître sa stature et son influence « de l’intérieur ». Notre évaluation des tendances et des risques mondiaux tient compte de ces différentes perspectives, de même que de l’incertitude entourant l’orientation précise de certains des risques identifiés. Toutefois, nous acceptons l’entière responsabilité des points de vue et opinions exprimés dans ce document ainsi que de toute erreur ou lacune dans l’analyse.3 Robert Greenhill, président exécutif, Canada Global Jennifer Welsh, professeure et directrice, Centre d’études sur la paix et la sécurité internationale, Université McGill Ce rapport est accessible à https://global-canada.org/fr/news/recadrer-lengagement-mondial-du-canada-dix-choix-strategiques-pour-les-decideurs-et-decideuses/ La liste des expert-es qui ont été interviewé-es et ont participé aux discussions est incluse en Annexe. 3 Les auteur-es remercient Patrick Quinton-Brown et Marina Sharpe pour leur aide à la rédaction de ce document ainsi que les assistant-es de recherche Lina Vissandjee et Ender McDuff pour leur soutien précieux. Nous tenons également à remercier Joseph Caron et André Beaulieu pour leurs commentaires judicieux sur les versions précédentes. 1 2
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1. POURQUOI LE MONDE IMPORTE POUR LE CANADA La sécurité et la prospérité économique des Canadien-nes dépendent fortement du contexte mondial plus large. Pendant la plus grande partie de la période postérieure à 1945, ce contexte a été généralement favorable aux intérêts fondamentaux du Canada. Il nous a également permis par moments de projeter certaines de nos valeurs politiques les plus précieuses, notamment la démocratie, les droits de la personne et l’État de droit. Notre pays a largement bénéficié d’une structure économique mondiale particulière qui nous a permis de développer notre marché intérieur et de puiser de plus en plus dans les marchés internationaux; d’un ensemble de relations et d’institutions de sécurité qui nous ont protégés de menaces existentielles que nous avons dû affronter en 1914 puis en 1939; et d’un ensemble d’organisations et de forums multilatéraux qui ont amplifié notre voix – parfois bien au-delà de ce que notre position relative aurait permis de prévoir. En effet, l’environnement politique mondial a été relativement positif et coopératif, tant et si bien que nous l’avons parfois tenu pour acquis. Aujourd’hui, c’est à nos risques et périls que nous le faisons. Plusieurs réalités fondamentales du Canada font en sorte que notre sécurité et notre prospérité dépendent d’un engagement international constructif : •
Puisque le Canada ne compte que pour 2 % du PIB mondial, que son économie est fortement basée sur les exportations et que sa base manufacturière est relativement petite, il dépend de la technologie, du commerce, des investissements et des compétences pour faire croître son économie. Notre prospérité est fondamentalement affectée par les événements économiques qui surviennent au-delà de nos frontières, comme l’illustrent de façon frappante la crise financière de 2008, le récent effondrement du prix du pétrole et la pandémie de COVID-19.
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Avec seulement 0,5 % de la population mondiale, le système politique du Canada – en particulier son pluralisme et son type particulier de démocratie constitutionnelle – est profondément menacé en l’absence de partenaires partageant les mêmes valeurs politiques et s’engageant dans des formes de coopération fondées sur la collaboration et la confiance.
• Étant donné la taille et la géographie de notre territoire et les niveaux prévisibles des dépenses pour la défense ainsi que le caractère transnational des menaces contemporaines, le Canada ne peut pas assurer seul la sécurité de ses frontières ou de sa population. La sécurité des Canadien-nes passe par la coopération internationale. •
Une action collective est indispensable pour aborder certains problèmes mondiaux (tels que les changements climatiques et les pandémies) et concrétiser certaines opportunités (comme la réalisation des Objectifs de développement durable, la création d’un système de commerce international favorisant à la fois les droits de la personne et le développement économique, le développement et la distribution de technologies essentielles telles que les vaccins et les innovations vertes, de même que la bonne gouvernance numérique). Étant donné que le Canada n’est pas une grande puissance, il a intérêt à veiller à ce que les règles régissant ces formes d’action coordonnée reflètent les préoccupations du plus grand nombre plutôt que celles d’une minorité de puissants, et réduisent la capacité des forts à contraindre les faibles; il a également intérêt à ce que les mécanismes de règlement des différends soient équitables, transparents et fondés sur des règles.
• Un grand nombre de personnes nées à l’étranger font partie de la population de citoyen-nes du Canada tout en maintenant leurs liens transnationaux. Par conséquent, l’intérêt des Canadien-nes pour les développements mondiaux et leurs liens avec ceux-ci sont importants et croissants.
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Enfin, les Canadien-nes s’attendent à ce que le Canada défende certaines choses sur la scène mondiale. Notre pays a un engagement de longue date aux droits de la personne, à la lutte contre l’injustice et à l’offre d’un refuge et d’occasions aux personnes qui fuient la violence et la persécution. On ne peut pas mettre à l’écart ces valeurs en les qualifiant de « nostalgiques » dans un monde apparemment plus polarisé et hostile. Par ailleurs, ces valeurs canadiennes ne vont pas nécessairement à l’encontre d’intérêts fondamentaux du Canada en matière de sécurité et de prospérité comme d’aucuns le prétendent souvent – mais elles sont souvent complémentaires à ces intérêts. Par-dessus tout, elles sont importantes en tant que telles pour les Canadien-nes, compte tenu du rôle du Canada dans le monde.
Pour toutes ces raisons, le Canada ne peut pas se permettre de se replier sur lui-même, d’être paralysé par l’immobilisme ou de s’appuyer sur une politique étrangère issue d’une époque fondamentalement différente. En fait, cela encouragerait des résultats contraires aux besoins des Canadien-nes et à leurs souhaits. Notre histoire, combinée à l’ampleur et à la rapidité des transformations du contexte mondial, suggère qu’un engagement international plus proactif est essentiel pour faire progresser la sécurité, la prospérité et les valeurs fondamentales des Canadien-nes.
2. TENDANCES MONDIALES CLÉS : IDENTIFIER LES RISQUES POUR LA SÉCURITÉ ET LA PROSPÉRITÉ DU CANADA Les analystes ont relevé plusieurs changements majeurs dans le paysage mondial, mais nous avons cerné six développements fondamentaux qui présentent à la fois des opportunités pour le Canada et des risques importants pour la sécurité, la prospérité et les valeurs des Canadien-nes au cours des prochaines décennies. Ces développements incluent une nouvelle configuration mondiale du pouvoir économique et politique, le recul de la démocratie, un système multilatéral en fracture, la nature changeante des conflits, l’évolution rapide des technologies et capacités numériques et l’intensification des risques de catastrophes, y compris la mise en danger de grands écosystèmes. Plutôt que d’identifier ces tendances et de les considérer comme des parties intégrantes des conditions « de base » de l’engagement mondial du Canada, nous sommes d’avis que les décideur(-euse)s politiques doivent définir les risques particuliers – réels ou potentiels – que ces transformations comportent pour les Canadien-nes. Dans un premier temps, nous décrivons brièvement chaque tendance, puis précisons son impact sur le Canada.
2.1. Un glissement des rapports de force à l’échelon mondial La configuration mondiale du pouvoir connaît un profond bouleversement. De nombreux(-ses) analystes décrivent les relations internationales contemporaines par la « multipolarité » – un terme qui désigne traditionnellement un système international composé d’un ensemble de grandes puissances (par exemple, avant la Première Guerre mondiale) –, mais nous croyons que le système international actuel présente un caractère différent, sans précédent clair. Plus précisément, nous assistons à un profond glissement des rapports de force caractérisé par deux éléments fondamentaux : une redistribution du pouvoir économique et politique entre les États occidentaux et non occidentaux, et une augmentation des interactions Sud-Sud.
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Entre 1995 et 2019, la part des pays du G7 dans le PIB mondial a chuté de 21 % – une diminution qui pourrait s’accentuer avec la COVID-19.4 Cette redistribution est principalement due à l’émergence de l’Asie – ou plutôt à sa réémergence – en tant que centre de pouvoir économique et potentiellement politique.5 La région est en voie de devenir un lieu clé de la croissance économique et de la consommation, si bien que certain-es observateur(-trice)s parlent d’un nouveau « siècle asiatique ».6 En 2015, l’Asie comptait déjà la moitié de la classe moyenne mondiale – ce qui a contribué à stimuler la transition vers un monde à majorité de classe moyenne. Or, au cours de la prochaine décennie, l’on s’attend à ce que 88 % de la croissance de la classe moyenne mondiale se produise en Asie.7 Même si cette projection est affectée par l’impact économique de la pandémie de COVID-19, elle indique un déclin relatif marqué du statut économique de l’Occident.
À l’aube du siècle asiatique Part du PIB mondial en $ PPA Asie
Reste du monde
Prévision
Définition de l’Asie selon la CNUCED Sources : FMI, @valentinaromei © FT
La Chine et l’Inde sont des acteurs particulièrement importants dans cette histoire en évolution. Alors que l’économie des États-Unis était huit fois plus importante que celle de la Chine en 2001, ce facteur avait chuté à 1,5 fois en 2018. L’Inde connaît également une impressionnante croissance économique depuis 2004, grâce à une hausse substantielle de l’épargne et des investissements, à un secteur des services prospère et à une augmentation des échanges commerciaux, des entrées de capitaux et des dépenses d’infrastructure. La Chine et l’Inde combinées représentaient plus de la moitié de la croissance économique mondiale en 2019;8 d’ici 2030, ces deux pays pourraient constituer plus d’un tiers (34 %) de l’économie mondiale.9
4 Ce chiffre est basé sur des données de la Banque mondiale. En excluant le Japon (seul pays asiatique du G7), la part de ce groupe dans le PIB mondial a diminué d’environ 11 % entre 1995 et 2019. Pour une estimation actualisée de la Banque mondiale tenant compte de l’impact du coronavirus sur la part du PIB du G7, voir Banque mondiale, « The Global Economic Outlook During the COVID-19 Pandemic: A Changed World » (8 juin 2020). <https://www.worldbank.org/en/news/ feature/2020/06/08/the-global-economic-outlook-during-the-covid-19-pandemic-a-changed-world>. 5 Valentina Romei et John Reed, « The Asian Century is Set to Begin », Financial Times (Londres, 25 mars 2019) <https://www.ft.com/content/520cb6f6-2958-11e9-a5ab-ff8ef2b976c7>. 6 Wang Huiyao, « In 2020, Asian Economies Will Become Larger than the Rest of the World Combined – Here’s How » (25 juillet 2019) Forum économique mondial <https://www.weforum.org/agenda/2019/07/the-dawn-of-the-asian-century/>; McKinsey Global Institute, « Asia’s Future is Now » (14 juillet 2019) <https://www.mckinsey.com/featured-insights/asia-pacific/asias-future-is-now#>. 7 World Data Lab Blog, « Emerging Trends in the Global Middle Class: A Private Conversation with Dr Homi Kharas » (17 avril 2019) <https://worlddata.io/blog/emerging-trends-in-the-global-middle-class-a-private-conversation-with-dr-homi-kharas>; Homi Kharas, « The Unprecedented Expansion of the Global Middle Class: An Update » (février 2017); Brookings Global Economy & Development Working Paper 100 <https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2017/02/global_20170228_global-middle-class.pdf>. 8 Fonds monétaire international, Perspectives de l’économie mondiale 2019. 9 Institut d’études de sécurité de l’Union européenne, « Global Trends 2030 – Citizens in an Interconnected and Polycentric World » (mai 2012) <https://www.iss.europa.eu/content/espas-report-%E2%80%98global-trends-2030-citizens-interconnected-and-polycentric-world%E2%80%99>. 5
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De façon plus générale, nous assistons également à un phénomène d’« émergence des autres »,10 propulsé principalement par une poignée de grandes économies comme l’Indonésie, la Turquie et l’Éthiopie. D’ici 2050, il est prévu que 20 des 32 premières économies mondiales (en termes de parité de pouvoir d’achat (PPA)) seront des États du monde non occidental.11 La nouvelle assertivité du Sud global se manifeste également dans les domaines de la politique et de la sécurité, comme en témoignent le renversement du schéma de contribution des pays industrialisés et en développement aux opérations de maintien de la paix et la demande croissante de postes de leadership et de pouvoirs d’établissement de l’ordre du jour au sein du système multilatéral. Cela nous amène au deuxième aspect fondamental du glissement actuel des rapports de force à l’échelon mondial : la densité croissante des interactions Sud-Sud. La proportion du commerce mondial de marchandises entre pays du Sud est passée de moins de 8 % en 1980 à 28 % en 2018.12 De même, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement a constaté que les flux Sud-Sud d’investissements directs étrangers représentent désormais plus d’un tiers des flux mondiaux.13 Ces chiffres démontrent que la dynamique économique mondiale est de plus en plus déterminée par les lieux où habite la majorité des gens. Alors que les cartes mentales qui ont guidé les décideur(-euse)s politiques occidentaux(-ales) pendant une grande partie de l’après-Guerre froide ont été marquées par l’intensification des liens entre le « Nord » et le « Sud », la profondeur de ces interactions sera bientôt surpassée par des liens de plus en plus étroits entre les sociétés de ce que l’on appelait jadis le « Tiers Monde ».
Risques pour le Canada Malgré leur potentiel de grandes opportunités économiques, ces changements structurels à la répartition mondiale du pouvoir posent au moins deux risques spécifiques pour les intérêts canadiens.
Coincé au milieu du « C2 » Premièrement, bien qu’il ne conduise pas inévitablement au conflit, ce glissement contemporain des rapports de force est un processus dynamique et incertain qui génère des effets troublants. Ceci est particulièrement le cas des grandes puissances traditionnelles du monde – notamment les États-Unis – qui s’adaptent difficilement à leur déclin relatif et s’inquiètent de plus en plus des intentions d’États en « émergence ». Jusqu’à récemment, les éléments influents de la politique étrangère étatsunienne se méfiaient des rivalités géopolitiques. Aujourd’hui, toutefois, il existe à Washington un consensus bipartite quant à la nécessité de concurrencer plus vigoureusement la Chine, compte tenu de sa puissance économique et technologique, de ses dépenses accrues en défense et de sa quête d’hégémonie en Asie.14 En conséquence, les États-Unis ont intensifié leur concurrence économique avec la Chine par des mesures comme des sanctions unilatérales, des mesures de contrôle des exportations et le plus important recours aux droits de douane par un pays depuis les années 1930. Les récentes manœuvres de l’administration Trump pour affaiblir l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), de même que son penchant stratégique pour l’Inde peuvent également être perçues comme des efforts pour contenir l’expansion chinoise. En outre, le Congrès des États-Unis a adopté des mesures plus concertées pour répondre au bilan de la Chine en matière de droits humains, notamment par le biais de récentes sanctions contre des fonctionnaires chinois pour le traitement de la minorité ouïgoure du Xinjiang.
10 Amitav Acharya, « Multilateralism and the Changing World Order » dans Thomas G Weiss et Sam Daws (éds.), The Oxford Handbook of the United Nations (2e édition, OUP 2018) 781. 11 PwC, « The World in 2050: Will the Shift in Global Economic Power Continue? » (février 2017) <http:// www.pwc.com/gx/en/issues/economy/the-world-in-2050.html>. 12 PNUD, Rapport sur le développement humain 2013 (2013) <http://hdr.undp.org/sites/default/files/hdr_2013_french.pdf>; CNUCED, « Trade Structure by Partner » (2019) <https://stats.unctad.org/handbook/MerchandiseTrade/%09ByPartner.html>. 13 CNUCED, « World Investment Report » (2015) <http://unctad.org/en/PublicationsLibrary/wir2015_en.pdf>. Aperçu disponible en français : <https://unctad.org/fr/ PublicationsLibrary/wir2015overview_fr.pdf> 14 Tarun Chhabra, Scott Moore & Dominic Tierney, « The Left Should Play the China Card: Foreign Rivalry Inspires Progress at Home » (13 février 2020) Foreign Affairs.
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Parallèlement, le président chinois Xi Jinping a pris des mesures pour consolider son pouvoir par un amendement constitutionnel supprimant les limites des mandats présidentiels et par des systèmes élargis de surveillance et de répression.15 Sous sa direction, de plus, la Chine a largement abandonné sa précédente stratégie visant à dissimuler sa force, et cherche plus visiblement à sécuriser ses objectifs territoriaux, politiques et économiques. En particulier, Xi manifeste une plus grande volonté d’agir avec fermeté dans la région immédiate de la Chine, notamment par l’adoption récente de nouvelles lois de sécurité pour Hong Kong, et il déclare fréquemment son intention de redonner à son pays une position de prédominance mondiale. De façon plus générale, le Parti communiste chinois se présente comme étant du « côté gagnant de l’histoire » et sa réflexion stratégique est fortement influencée par l’idée que les États-Unis sont une superpuissance en déclin. Les fonctionnaires chinois complètent ce tableau en présentant leur pays comme étant engagé à la préservation du système multilatéral et à son leadership16 – une prétention appuyée par d’importants investissements financiers dans des institutions mondiales et par des efforts pour exercer une influence politique accrue sur leur direction. L’interaction dynamique entre les comportements des États-Unis et de la Chine a abouti à l’émergence de ce que d’aucun-es appellent un monde « C2 » (ou « Compétition à deux »).17 De fait, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a affirmé dans un discours en juillet 2020 que la relation sino-étatsunienne était « confrontée à son défi le plus sérieux depuis le début des relations diplomatiques » au début des années 1970.18 L’un des domaines de rivalité les plus visibles est celui de la technologie et du numérique, où les États-Unis et la Chine se livrent une lutte acharnée pour la supériorité. Des signes laissent entrevoir une possible « bipolarité numérique », puisque Washington propose des régimes de contrôle des exportations technologiques évocateurs de la Guerre froide et prend des mesures pour empêcher des entreprises technologiques étrangères d’acheter des produits des États-Unis ou d’y mener des activités. Ailleurs, la rivalité sino-étatsunienne l’emporte sur les incitations économiques à la coopération et le soi-disant découplage s’étend de la technologie à la finance, menaçant de plus en plus l’industrie manufacturière et les biens de consommation. Les effets de l’intensification de la concurrence entre les deux pays dépassent les chaînes d’approvisionnement mondiales et touchent pratiquement tous les aspects des relations internationales, en plus de réduire la liberté de manœuvre de nombreux pays dont le Canada. Le risque pour le Canada est qu’il sera de plus en plus contraint de choisir entre des relations économiques accrues avec la Chine et ses relations traditionnelles avec les États-Unis en matière de politique, d’économie et de sécurité. Ce risque se manifeste déjà par la détention en Chine de deux Canadiens (Michael Kovrig et Michael Spavor) depuis que le Canada a arrêté la dirigeante de la société Huawei, Meng Wanzhou, à la suite d’une demande d’extradition de Washington, de même que par la décision attendue du Canada de permettre ou non à Huawei de participer à la construction de son infrastructure 5G. Le risque pourrait également devenir plus aigu dans le cadre du nouvel Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) – qui inclut une clause selon laquelle toute partie qui entreprend de négocier un accord de libre-échange avec la Chine (ou toute autre économie non marchande) doit signifier son intention aux autres parties –, et pour les entreprises technologiques canadiennes, qui doivent composer le mieux possible avec des blocs de données concurrents et contradictoires : le bloc étatsunien, centré sur les entreprises, et le bloc chinois centré sur l’État.
Global Times, « Constitutional Amendment Responds to New Era » (26 février 2018) Global Times, <http://www.globaltimes.cn/content/1090821.shtml>. « Multilateralism, Shared Peace and Development », déclaration de S.E. Wang Yi, conseiller d’État et ministre des Affaires étrangères de la République populaire de Chine, Débat général de la 73e session de l’Assemblée générale des Nations Unies (28 septembre 2018) <https://gadebate.un.org/sites/default/files/ gastatements/73/zh_en.pdf>. Voir également, « Jointly Shoulder Responsibility of Our Times, Promote Global Growth », déclaration de S.E. Xi Jinping, président de la République populaire de Chine, Forum économique mondial (17 janvier 2017). <https://america.cgtn.com/2017/01/17/full-text-of-xi-jinping-keynote-at-the-world-economic-forum>. 17 À distinguer de l’abréviation débutant par un « G » (pour « Groupe »), évoquant la coopération. 18 Demetri Sevastopulo et Christian Shepherd, « US sanctions top Chinese officials over Xinjiang detentions », Financial Times (Londres, 10 juillet 2020). 15 16
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À l’écart du nouveau centre de gravité Deuxièmement, la nature du glissement actuel des rapports de force pourrait écarter le Canada du nouveau centre d’innovation et de croissance économique. L’intensification des relations Sud-Sud influence non seulement le lieu de la mondialisation, mais aussi son aspect et sa forme. Des analystes suggèrent à présent que, dans la foulée des changements à l’équilibre du pouvoir économique, se produira un virage tout aussi considérable sur le plan des idées,19 où les approches occidentales au commerce et à l’investissement, au développement économique, à la paix et à la sécurité seront de plus en plus remises en question par des modèles alternatifs. En outre, au cours de la dernière décennie, la Chine est devenue un acteur clé du développement en Afrique. Il existe un risque que le Canada soit exclu du nouvel ordre économique et politique qui se développe en Asie et est dû à celle-ci. Ce risque d’exclusion se manifeste déjà dans le fait que le Canada ne fait pas partie de nouvelles institutions en Asie comme l’Organisation de coopération de Shanghai, vers laquelle le centre du pouvoir se déplace. Malgré les efforts des gouvernements et des entreprises du Canada pour diversifier le commerce et l’investissement – notamment par le biais du Partenariat transpacifique – et pour cultiver de nouvelles relations bilatérales, l’engagement mondial de notre pays demeure fortement axé sur l’espace transatlantique.
2.2. The retreat of democracy Alors qu’il y a trente ans la progression de la liberté et de l’ouverture semblait incontournable, aujourd’hui « la démocratie est en recul », comme le note la Freedom House.20 Ce ralentissement de la démocratie dure depuis un certain temps mais est particulièrement marqué depuis cinq ans. En 2019, pratiquement deux fois plus de pays dans le monde ont connu une diminution nette des droits civils et politiques plutôt qu’une amélioration.21 Fait encore plus troublant, ce déclin des niveaux de liberté n’est plus concentré dans des autocraties et des dictatures; il a atteint des pays de tous les types de régimes, y compris ceux qui sont traditionnellement considérés comme « libres ».22 Des pays qui étaient jusqu’à récemment salués pour leurs transitions démocratiques, comme la Hongrie, les Philippines, la Pologne et la Turquie, renouent avec des formes de régimes illibéraux et dans certains cas, autoritaires. L’avènement de la COVID-19 a renforcé et étendu la tendance antidémocratique mondiale, certains dirigeants ayant exploité la crise pour emprisonner des journalistes et des opposant-es, réprimer les protestations et resserrer la surveillance de leurs populations.23 Tous ces développements remettent en question l’hypothèse dominante de la fin du 20e siècle selon laquelle la lente diffusion de la démocratie dans toutes les régions du monde n’était qu’une question de temps et de prospérité économique et ne nécessitait qu’un léger coup de pouce. Au même moment, des institutions dotées de clauses démocratiques comme l’OTAN et l’UE sont réticentes à critiquer le recul des droits civils et politiques, laissant le champ libre à l’autoritarisme. Qui plus est, des démocraties établies sont absorbées par leurs propres défis politiques. Les répercussions à long terme de la crise financière de 2008 ont engendré dans de nombreux pays occidentaux la désillusion quant à ce que la démocratie peut apporter et ont rehaussé l’attrait et la force des mouvements populistes. Des politologues évoquent à présent une perspective qui paraissait inconcevable en 1989 : un processus de « déconsolidation démocratique » par lequel des citoyen-nes de démocraties prospères et matures sont positivement disposé-es à des systèmes politiques alternatifs (y compris autoritaires), et où les principales caractéristiques institutionnelles de ces démocraties, comme les systèmes de partis compétitifs, deviennent dysfonctionnelles.24 La politique démocratique est conçue pour favoriser la modération Acharya (n 10). Freedom House, ‘Freedom in the World 2019: Democracy in Retreat’ (2019) <https://freedomhouse.org/report/freedom-world/freedom-world-2019/democracy in-retreat>. 21 Freedom House, ‘Freedom in the World 2020: A Leaderless Struggle for Democracy’ (2020) <https://freedomhouse.org/report/freedom-world/2020/leaderless-struggle-democracy>. 22 Ibid. 23 Larry Diamond, ‘Democracy Versus the Pandemic’, Foreign Affairs (13 June 2020), < https://www.foreignaffairs.com/articles/world/2020-06-13/ democracy-versus-pandemic?utm_medium=newsletters&utm_source=summer_reads&utm_campaign=summer_reads_2020_actives&utm_ content=20200823&utm_term=all-actives>. 24 Roberto Stefan Foa et Yascha Mounk, « The Danger of Deconsolidation: The Democratic Disconnect » (2016) 27 Journal of Democracy 5. 19 20
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et le compromis, mais l’opinion politique est devenue profondément polarisée dans de nombreuses démocraties matures. Nous assistons également à une montée de la tyrannie de la majorité, où les discours et programmes politiques populistes bafouent les droits des minorités. Dans ce contexte élargi, le rôle historique des États-Unis en tant que bastion de la démocratie est terni par ses niveaux historiques d’inégalité des revenus, sa politique très polarisée, son impasse institutionnelle et ses pratiques préoccupantes d’« agrandissement de l’exécutif ».25 La récente gestion de la pandémie de COVID-19 aux États-Unis a d’autant plus érodé le prestige de ce pays et l’attrait de son modèle politique. De plus, l’administration étatsunienne actuelle a minimisé son rôle de leader au sein des démocraties en remettant en cause l’utilité des alliances d’États démocratiques post-1945 – notamment l’OTAN – et en faisant ouvertement l’éloge de dirigeants autoritaires. La combinaison de ces tendances rend l’« Occident » moins cohésif et moins efficace, alors qu’il était traditionnellement l’un des « clubs » internationaux les plus importants dont le Canada faisait partie. Selon le dernier rapport de la Conférence sur la sécurité de Munich, nous pourrions être en train d’assister au déclin de l’Occident en tant que configuration géopolitique cohésive qui nourrit des valeurs politiques et économiques particulières et qui agit collectivement pour les préserver et les promouvoir en cas de menace. L’époque actuelle est plutôt marquée par un « effacement de l’Occident », où des camps nationalistes et illibéraux sapent ces idéaux et ces principes, et où les défenseur-es de l’Occident libéral et ouvert sont incapables de répondre adéquatement à ces défis sur leur territoire ou d’intensifier des formes de coopération transnationale pour s’en protéger.26
Risques pour le Canada Il est impératif et prioritaire que les gouvernements et la société civile du Canada mettent de l’ordre dans notre système démocratique, en s’efforçant de renforcer l’inclusivité et l’efficacité de nos institutions représentatives, de répondre à l’aggravation des inégalités économiques et sociales, de résoudre la crise multidimensionnelle qui sévit dans les communautés autochtones et de démontrer plus globalement que la démocratie est capable de « tenir ses promesses ». Toutefois, d’aucun-es pourraient avancer que l’affaiblissement mondial de la démocratie n’est pas une préoccupation vitale pour le Canada, compte tenu de notre capacité à nous engager avec des pays qui ne sont pas des démocraties prospères et de notre besoin d’investir dans des relations avec des États hors de notre « zone de confort » traditionnelle. Néanmoins, le recul de la démocratie et la désunion en Occident pourraient laisser le Canada plus seul au monde que jamais auparavant. Cette tendance comporte au moins trois risques spécifiques pour le Canada.
Instabilité sociale et politique parmi les principaux alliés démocratiques Dans un premier temps, l’un des principaux déterminants du malaise actuel dans le monde démocratique – les réactions aux développements économiques négatifs et aux vives inégalités de revenu et de richesse – ne montre aucun signe de ralentissement. On signale souvent que les inégalités mondiales ont diminué au cours des trente dernières années (en grande partie grâce à la croissance économique de la Chine), mais les inégalités nationales ont augmenté considérablement dans de nombreux pays, en particulier dans les économies avancées de l’OCDE.27 Entre 1980 et 2016, le 1 % du haut de la répartition des revenus recevait 28 % de l’augmentation globale des revenus réels aux États-Unis, au Canada et en Europe occidentale, tandis que les 50 % du bas n’en touchaient que 9 %.28
25 Nancy Bermeo, « On Democratic Backsliding »(2016) 27 Journal of Democracy 5. Bermeo emploie l’expression « agrandissement de l’exécutif » en référence aux mesures progressives prises par des dirigeants démocratiquement élus afin d’étendre leur pouvoir, souvent en invoquant leur mandat populaire pour introduire des changements qui affaiblissent la capacité des institutions de l’État et de la société civile à surveiller l’exécutif et à le tenir responsable. 26 Conférence sur la sécurité de Munich, « Munich Security Report 2020: Westlessness » (2020) <https://securityconference.org/assets/user_upload/MunichSecurityReport2020.pdf>. 27 Le coefficient de Gini moyen parmi les pays de l’OCDE est de 0,32, le niveau le plus élevé depuis un demi-siècle (OCDE, « Inequality » <http://www.oecd.org/social/inequality.htm>). 28 En désagrégeant davantage ces données, on constate qu’en Europe occidentale, le 1 % du haut ne capte qu’une part équivalente aux 51 % du bas. En Amérique du Nord, le 1 % du haut englobe l’équivalent des 88 % du bas. Voir Facundo Alvaredo et coll. « World Inequality Report 2018 » (2017) World Inequality Lab <https://wir2018.wid.world/>. Synthèse disponible en français : <https://wir2018.wid.world/files/download/wir2018-summary-french.pdf>.
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À l’ère numérique, la concentration des revenus et de la richesse pourrait s’accentuer encore davantage en l’absence d’interventions de politiques publiques, puisque les nouvelles technologies sont généralement régies par une propriété intellectuelle exclusive qui ne peut être développée de plus en plus que par un petit nombre d’individus et d’entreprises. Certes, un nombre sans cesse croissant d’analystes convient que les profondes disparités de revenu et de richesse ont des effets néfastes sur la croissance et la performance économiques,29 mais l’effet corrosif de l’inégalité sur la stabilité sociale et politique est encore plus préoccupant. Comme le signale le Rapport sur les risques mondiaux 2020 du Forum économique mondial, « des préoccupations relatives aux inégalités sous-tendent les récents troubles sociaux sur pratiquement tous les continents » [trad.]30 et ont même bouleversé des démocraties établies, notamment le Chili et la France. Des preuves de plus en plus nombreuses indiquent également que les réactions aux inégalités nationales et les effets inégaux des politiques d’austérité ont catalysé certains des grands « événements » populistes de 2016 et 2017, notamment le vote du Brexit au Royaume-Uni. Plusieurs des plus proches alliés démocratiques et partenaires commerciaux du Canada, dont les États-Unis et le Royaume-Uni, connaissent des crises de confiance au sein de leurs partis et systèmes politiques de même que dans la cohésion sociale nécessaire à soutenir ceux-ci, comme l’illustre le graphique ci-dessous.31 Dans plusieurs cas, cet effritement de la confiance en ce que la démocratie peut apporter a stimulé une montée du populisme, une politique de majoritarisme et un sentiment nationaliste, rendant la coopération internationale nettement plus ardue.
Bond récent du mécontentement à l’égard de la démocratie aux É.-U. et au R.-U. % de répondant-es mécontent-es de la démocratie
R.-U.
US.
Source : RS Foa et coll., The Global Satisfaction with Democracy Report 2020 (Centre for the Future of Democracy, Cambridge) © FT
Voir, par exemple, Branko Milanovic, Global Inequality (Harvard University Press 2016). Forum économique mondial, « The Global Risks Report 2020 » <http://www3.weforum.org/docs/WEF_Global_Risk_Report_2020.pdf>. 31 Martin Wolf, « Covid has Exposed Society’s Dysfunctions » Financial Times (Londres, 14 juillet 2020). 29 30
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Des États autocratiques plus assertifs La géographie du Canada et la nature de ses relations avec les États-Unis ont fait en sorte qu’il a longtemps été protégé de toute perspective de conquête ou d’occupation. Mais aujourd’hui, nous faisons face à des menaces extérieures concrètes à nos valeurs et institutions politiques. Même si des États comme la Russie n’envisagent pas un changement de régime par la force, leur utilisation créative de la technologie, de la désinformation et du soutien clandestin à des acteurs politiques particuliers ont pour objectif d’affaiblir les institutions et les normes démocratiques qui remettent en cause leurs propres intérêts géopolitiques et leur légitimité interne.32 Si les chercheur-es et le gouvernement ont relevé peu d’ingérence étrangère dans les dernières élections canadiennes, cela est en partie grâce à un ensemble de politiques visant à limiter les outils opaques utilisés par des régimes étrangers pour propager la désinformation et diviser les sociétés en période électorale.33 Or il est évident que les mêmes attributs structurels de notre sphère publique numérique (le modèle financier des plateformes Internet et la nature des systèmes algorithmiques qui contrôlent ce qui est vu et quelles voix sont entendues en ligne) sont associés à une polarisation accrue et nous rendent vulnérables aux mêmes tendances politiques que d’autres pays. La complaisance n’est pas une option devant la vulnérabilité du système politique canadien aux perturbations extérieures, y compris de la part d’États autoritaires et de leurs représentant-es.
L’effritement de la paix et de la coopération démocratiques La confiance grandissante des États autoritaires est également alimentée par le sentiment de plus en plus répandu selon lequel des modèles politiques alternatifs pourraient parvenir à déloger la démocratie de sa position prééminente. Les années 1930 nous rappellent cruellement que, lorsque la démocratie ne peut pas apporter la prospérité de manière équitable, qu’elle conduit à des impasses plutôt qu’à une action décisive pour résoudre des problèmes urgents et qu’elle engendre l’instabilité politique, l’attrait d’idéologies rivales augmente inévitablement. Cette confiance réduite à l’égard de la démocratie est renforcée par l’émergence de la Chine, ce qui mène à la suggestion (en particulier dans le monde en développement) que les institutions démocratiques peuvent être dissociées des améliorations rapides de la prospérité et devraient l’être. Un groupe d’éminent-es analystes a noté que le succès du « capitalisme autoritaire » signifie que nous ne pouvons plus « supposer un consensus sur la prééminence de la démocratie parmi les principaux acteurs géostratégiques dans le monde », ce qui soulève un débat sur « la valeur même de la démocratie » [trad.].34 Les expert-es en politique étrangère du Canada ne s’entendent pas sur la vigueur avec laquelle notre pays devrait promouvoir la démocratie sur la scène internationale en réponse à ces défis. Mais plusieurs conviennent qu’un monde comportant moins de démocraties serait défavorable à la promotion des valeurs et intérêts du Canada. Les deux premières décennies de ce siècle ont vu des États occidentaux affaiblir la paix et la sécurité internationales par des campagnes musclées de changement de régime (comme en Irak), mais il n’en demeure pas moins que les États démocratiques sont plus susceptibles d’engager des relations pacifiques avec d’autres démocraties, plus disposés à protéger les droits humains de leurs citoyen-nes et moins vulnérables aux conflits civils. La coopération entre sociétés démocratiques est également beaucoup plus étroite, de sorte qu’elle permet l’atteinte d’objectifs communs grâce à un partage plus étendu des coûts et du savoir-faire.
32 Bruce Jones et Torrey Taussig, « Democracy and Disorder: The Struggle for Influence in the New Geopolitics » (février 2019) Brookings <https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2019/02/FP_20190226_democracy_report-WEB.pdf>. 33 Taylor Owen, Peter Loewen, Derek Ruths, Aengus Bridgman, Robert Gorwa, Stephanie MacLellan, Eric Merkley et Oleg Zhilin, « Lessons in Resilience: Canada’s Digital Media Ecosystem and the 2019 Election » (2020) Forum des politiques publiques <https://ppforum.ca/articles/lessons-in-resilience-canadas-digital-media-ecosystem-and-the-2019-election/>. Sommaire disponible en français : <https://ppforum.ca/wp-content/uploads/2020/05/DDP_LessonsInResilience_Sommaire_MAI2020-FR.pdf>. 34 Larry Diamond, Thomas Carothers, Jean Bethke Elshtain, Anwar Ibrahim et Zainab Hawa Bangura, « A Quarter-Century of Promoting Democracy » (2007) 18 Journal of Democracy 112.
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2.3 Un système multilatéral en fracture Il est désormais fréquent d’entendre que nombre d’outils traditionnels de coopération interétatique créés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale se révèlent inadaptés aux défis du 21e siècle. Le piétinement du cycle de Doha sur le commerce, les gains limités du cycle de négociations de Madrid sur le climat et le non-respect des accords de non-prolifération nucléaire sont autant de processus multilatéraux qui croulent sous le poids d’une rivalité géopolitique croissante et de la complexité des défis politiques. De janvier à juin 2020, la quasi-totalité des institutions mondiales – y compris le G7, le G20, l’OMS et le Conseil de sécurité de l’ONU – n’a pas réagi adéquatement à la plus importante crise sanitaire et économique que le monde ait connue depuis les années 1930. Malgré la priorité urgente du besoin de solutions mondiales aux défis croissants qui transcendent les frontières, l’incapacité à coordonner des réponses efficaces à la pandémie de COVID-19 et la récession connexe n’ont fait qu’accroître les préoccupations populaires à l’égard des mécanismes de collaboration internationale et sont une manifestation supplémentaire de la tendance au repli sur des solutions nationales. Des universitaires et analystes politiques nous rappellent à juste titre que le multilatéralisme n’échoue pas en bloc et que certaines formes de coopération internationale – notamment entre scientifiques et expert-es de la santé publique pendant la COVID-19 – sont en voie de devenir plus fréquentes et plus puissantes. Certaines institutions multilatérales parmi les plus novatrices et les plus axées sur la prestation, comme l’Alliance Gavi pour les vaccins et l’immunisation, ont récemment reçu un soutien financier record de la part de nombreux pays, y compris les États-Unis. Parallèlement, les défis se multiplient au sein de certaines institutions multilatérales plus anciennes. Trois raisons méritent d’être soulignées. La première est la présence d’intérêts apparemment inconciliables entre grandes puissances, comme l’illustrent l’incapacité persistante du Conseil de sécurité de l’ONU à convenir d’une action collective pour répondre à la guerre civile et à la crise humanitaire en Syrie, de même que l’intention et la capacité d’États spécifiques de saboter l’accord international sur des enjeux clés qui les concernent. La deuxième raison est la faiblesse ou l’absence de mécanismes d’application de nombreux traités multilatéraux et le manque de volonté politique d’obliger les « contrevenants » à rendre des comptes. En conséquence, il existe souvent un fossé considérable entre les promesses contenues dans les traités et les mesures concrètes adoptées pour respecter les engagements. Enfin, une critique courante à l’endroit du multilatéralisme actuel est qu’une grande partie de l’architecture institutionnelle originale post-1945 ne reflète pas le pouvoir et l’influence croissants des États non occidentaux et n’accorde pas aux principaux acteurs non étatiques – comme les villes, les expert-es, les organisations de la société civile et le secteur privé – des rôles formels adéquats dans la résolution directe des problèmes. La première faiblesse compromet la légitimité continue de nombreuses institutions multilatérales clés, car les « responsabilités spéciales » attribuées aux grandes puissances après la Seconde Guerre mondiale ne peuvent plus être rationalisées sur des bases empiriques ou normatives. En conséquence, alors que certains des plus ardents défenseurs du système multilatéral – dont le Canada – parlent aujourd’hui de la nécessité de préserver « l’ordre international fondé sur des règles », d’autres États notent que ces règles sont appliquées de manière sélective et que le système multilatéral n’a pas profité de manière égale à tous les États. La deuxième faiblesse – la dépendance excessive de nombreuses institutions envers l’État en tant qu’acteur clé de la gouvernance – exige trop souvent un consensus entre des gouvernements nationaux pour adopter des mesures collectives face à des problèmes mondiaux, même lorsque ce consensus aboutit effectivement à des résultats correspondant au plus faible dénominateur commun. Elle échoue également à accorder aux citoyen-nes un rôle significatif, si bien que certain-es ont la perception que la politique de leur gouvernement est définie par des technocrates dénué-es de responsabilité démocratique. Comme l’ont récemment signalé deux universitaires, « nous utilisons essentiellement la technologie institutionnelle du 17e siècle pour relever les défis du 21e siècle » [trad.].35
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Thomas Hale et David Held (éds.), Beyond Gridlock (Polity 2017).
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À ces problèmes de longue date du système multilatéral s’ajoute l’engagement faiblissant de son principal architecte – les États-Unis – à y travailler. Ces dernières années, Washington a choisi plus souvent de s’engager bilatéralement avec des États dont les intérêts convergent avec les siens que d’investir dans des formes de coopération institutionnelles établies. Cette réalité, combinée à la diplomatie « musclée » de la Chine, donne à penser que les grandes puissances d’aujourd’hui délaissent l’idée selon laquelle en faisant preuve d’une certaine retenue les États puissants peuvent amener – plutôt que contraindre – les autres à soutenir leurs priorités politiques.36
Risques pour le Canada Une réponse possible à la fracture du système multilatéral et à la volonté croissante des États-Unis de le remettre en question et de le contourner serait que le Canada se tourne vers une politique internationale basée sur les transactions. Toutefois, deux réalités particulières – sa position de relative puissance et son économie tournée vers le monde – font de l’adhésion du Canada au multilatéralisme un élément essentiel de son engagement mondial. En tant qu’État de taille et de poids économique modestes, nous bénéficions de la prévisibilité que procure un système de coopération fondé sur des règles convenues, qui atténuent le risque d’unilatéralisme des grandes puissances et évitent le règlement des différends par des luttes de pouvoir brutales, où le Canada aurait peu de chances de l’emporter. La nécessité d’une coopération multilatérale efficace vient également de certains défis mondiaux auxquels nous sommes confronté-es – comme le changement climatique, les migrations et les pandémies –, que les pays ne peuvent pas relever seuls. Outre ces considérations générales, l’affaiblissement du multilatéralisme pose au moins trois risques spécifiques pour la sécurité et la prospérité du Canada. L’effondrement du système commercial multilatéral Le système de l’OMC est mis à l’épreuve sur plusieurs fronts. L’OMC n’a pas défini de nouvelles règles à l’échelle mondiale depuis le début des années 2000. Des menaces particulières au système d’ouverture du commerce émergent également de la Chine et des États-Unis. La longue période de croissance économique de la Chine, propulsée par le marché, ne l’a pas conduite à abandonner un rôle interventionniste fort de l’État. Par ailleurs, en réponse à ce qu’ils décrivent comme l’échec de l’OMC à définir des règles de concurrence loyale et à les appliquer, les États-Unis ont imposé des droits de douane unilatéraux sur les importations chinoises, suscitant une réaction au coup pour coup de Pékin. En outre, les États-Unis ont récemment adopté des mesures pour bloquer le renouvellement du mandat de membres de l’organe d’appel de l’OMC, rendant ainsi effectivement inactif son mécanisme de règlement des différends. La pandémie de COVID-19 a exacerbé ces difficultés, car la pénurie d’équipements de protection individuelle et de dispositifs médicaux essentiels a conduit des États à cesser leurs exportations tout en investissant dans la fabrication nationale. De nombreux pays ont également déclaré l’état d’urgence, ce qui leur a permis de déroger à certaines dispositions d’accords commerciaux de longue date. À mesure que la pandémie s’est aggravée, les inquiétudes concernant la fiabilité des chaînes alimentaires internationales et d’autres chaînes d’approvisionnement essentielles ont incité les États à réfléchir à la façon dont ils peuvent protéger leur économie contre les chocs internationaux. Et en réponse à la crise économique, des pays du monde entier ont lancé des campagnes « Achetons local » pour soutenir leur reprise économique nationale. Tous ces développements contribuent à une vague mondiale de protectionnisme et à la perspective d’un raccourcissement des chaînes d’approvisionnement et d’une concentration des investissements étrangers directs chez des voisins plus proches – si ce n’est une « démondialisation » complète (comme le prédisent les scénarios les plus pessimistes). Le commerce ouvert a grandement contribué à la prospérité du Canada et demeure crucial au développement de nos industries axées sur la technologie. L’affaiblissement du système commercial multilatéral compromet par conséquent la capacité du Canada à développer son économie et l’expose au risque de dépendre excessivement d’un seul marché.
John Ikenberry, « Why the Liberal World Order Will Survive » (2018) 32 Ethics and International Affairs 17.
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Par ailleurs, la fracture du système commercial multilatéral entraîne une probabilité accrue d’engagements contradictoires; une pression sur des ressources limitées de négociation, de mise en œuvre et de compte rendu; des exigences complexes en matière de règles d’origine; et un manque de recours à des systèmes cohérents de règlement des différends. Ces risques sont toutefois atténués dans une certaine mesure par le fait que le Canada est signataire de plusieurs accords commerciaux régionaux d’importance. Conflits entre grandes puissances Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’incidence de guerres au sein d’États (guerres intra-étatiques ou civiles) s’est maintenue, mais les guerres entre États (guerres interétatiques) ont nettement diminué.37 Parmi les principaux facteurs de ce déclin des guerres majeures – y compris la destruction mutuellement assurée des armes nucléaires – figurent des réseaux d’alliances comme l’OTAN et le système de la Charte des Nations Unies. Cependant, le risque de guerre majeure entre grandes puissances n’a probablement jamais été aussi important depuis 30 ans qu’aujourd’hui et il pourrait impliquer tous les pays, y compris le Canada. Les principaux sites de concurrence susceptibles de conduire à un conflit direct sont Taïwan, Hong Kong, la mer de Chine méridionale, la région entre l’Inde et le Pakistan, la péninsule coréenne, de même que l’Ukraine et les États baltes. En outre, la confrontation entre les États-Unis et l’Iran pourrait se transformer en « guerre chaude », impliquant un ensemble plus vaste d’acteurs au Moyen-Orient et au-delà. Enfin, un certain nombre de conflits civils (notamment en Libye, en Syrie et au Yémen) se sont internationalisés, opposant de grandes puissances de par leurs alliances avec différentes parties en guerre. Les cadres multilatéraux existants ont du mal à gérer ces menaces croissantes de guerre majeure, et à plus forte raison leurs dynamiques sous-jacentes. Le Conseil de sécurité de l’ONU est de plus en plus dans l’impasse, incapable de parvenir à un accord sur des questions aussi fondamentales que l’accès humanitaire.38 Ceci porte à croire que le Conseil ne sera probablement pas en mesure de répondre efficacement à des crises impliquant des puissances clés, ou à des rivalités régionales qui menacent la paix et la sécurité internationales. Par ailleurs, de grandes puissances se soustraient à présent à des accords de paix et de sécurité préalablement négociés par le Conseil de sécurité, comme le Plan d’action global commun sur l’Iran. Le Canada a grandement bénéficié de la « longue paix des superpuissances » qui a prévalu pour de nombreux pays pendant et après la Guerre froide. Bien que nous ayons participé à des missions impliquant l’utilisation de la force armée – dans le cadre de fonctions de maintien de la paix, de lutte contre le terrorisme et de stabilisation – les Forces armées canadiennes ont été principalement déployées dans des « guerres de choix » plutôt qu’en réponse à des menaces à l’existence,39 et notre engagement a constamment diminué depuis la participation du Canada au conflit en Afghanistan. La concurrence incontrôlée entre grandes puissances et des guerres par procuration de plus en plus déstabilisatrices, couplées à un Conseil de sécurité de l’ONU de plus en plus inefficace, font craindre des conflits dont les retombées pourraient impliquer le Canada. L’influence croissante d’ordres régionaux Le multilatéralisme a beau être aujourd’hui confronté à une crise de performance et de légitimité, les institutions en général, ou toute forme de coopération internationale, ne disparaissent pas pour autant. Mais le multilatéralisme tel que nous le connaissons mieux, dans des cadres mondiaux comme l’ONU, est mis à rude épreuve. Dans certains cas, de nouvelles institutions régionales apparaissent comme organisations alternatives ou complémentaires à des organisations plus « occidentales », par exemple la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, la nouvelle Banque de développement (anciennement la Banque de développement des BRICS) et le Partenariat économique régional global. Therese Pettersson et Peter Wallensteen, « Armed Conflicts, 1945-2014 » (2015) 52 Journal of Peace Research 536. En juillet 2020, la Chine et la Russie ont opposé leur veto à une résolution du Conseil de sécurité qui aurait étendu l’aide humanitaire transfrontalière à des millions de civils syriens vulnérables. 38 La guerre en Afghanistan après 2001 peut être considérée comme une exception, car elle avait initialement été conçue en réponse à une attaque contre les États-Unis. 37
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Le Conseil de sécurité de l’ONU étant de plus en plus au point mort sur des questions de politique et de sécurité de grande importance, des organes régionaux sont positionnés pour jouer un rôle plus militant dans des questions régionales qui nécessitent une réponse internationale – que ce soit l’Union africaine, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est ou l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Le Canada a traditionnellement cherché à obtenir le statut de membre ou d’observateur dans divers organes régionaux, en raison de ses liens avec différentes régions, et on a souvent dit de lui qu’il est un « participant en série ». Pourtant, concrètement, le Canada a du mal à se tailler une place dans nombre de ces institutions et son engagement auprès de ces organes est rarement lié à des efforts multilatéraux élargis ou à une stratégie régionale à long terme. Par ailleurs, même si le Canada participe à d’importants accords et organes régionaux de son hémisphère – notamment le nouvel ACEUM et l’Organisation des États américains – il concentre son attention et son intérêt politique sur les partenariats mondiaux et transatlantiques et est donc perçu comme un État « occidental » plutôt que comme un membre majeur des « Amériques ». Le principal risque pour le Canada est celui d’être exclu de sites de coopération multilatérale régionale qui sont de plus en plus importants, ou d’y être marginal. En conséquence, des décisions qui touchent la prospérité et la sécurité du Canada n’impliqueront pas une participation canadienne significative. Les régimes multilatéraux établissent l’ordre du jour, les normes et les règles. Le fait que le Canada n’ait pas une place à la table ni la possibilité d’exprimer sa voix signifie que ces questions seront régies par d’autres, ne lui laissant d’autre choix que de suivre les règles.
2.4. La nature changeante des conflits Les conflits violents d’aujourd’hui ont peu à voir avec les guerres à l’époque de nos parents et grands-parents. Non seulement les conflits contemporains surviennent plus souvent au sein des États qu’entre eux, mais ces guerres intra-étatiques (ou civiles) sont également de plus en plus longues, durant en moyenne 20 ans.40 Cette prolongation des combats reflète le fait que les guerres civiles actuelles impliquent de nombreux acteurs aux affiliations fragmentées et aux liens étroits avec des puissances extérieures (comme ce fut le cas pendant la Guerre froide).41 Ces caractéristiques, couplées à l’engagement faiblissant des acteurs étatiques et non étatiques envers les lois relatives aux conflits armés, rendent également les guerres contemporaines particulièrement meurtrières et tragiques pour les populations civiles. Comme l’a affirmé l’ancien Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon dans son rapport pour le premier Sommet humanitaire mondial en mai 2016 : « Se moquer des règles les plus élémentaires régissant la conduite de la guerre est devenu une attitude contagieuse ». L’utilisation régulière d’armes aveugles, voire de tactiques de siège et de famine en milieu urbain est devenue pratique courante pour de nombreux belligérants actuels. Autre tendance méritant d’être soulignée : la plupart des violences meurtrières contemporaines ne se produisent pas dans des États en situation de conflit armé officiel.42 De fait, la majorité des États les plus touchés par un niveau élevé d’insécurité – comme le Salvador, le Guatemala, le Honduras, le Mexique et le Venezuela – ne sont pas officiellement en guerre au sens où l’entendent les juristes internationaux. Pourtant, une grande partie de cette violence « non guerrière » est loin d’être aléatoire; elle est même dans certains cas politiquement motivée ou liée à des réseaux criminels organisés. Fait encore plus important, ces « situations autres que la guerre » (expression retenue par le Comité international de la Croix-Rouge) engendrent des niveaux importants de migration et de graves crises humanitaires.
39 La guerre en Afghanistan après 2001 peut être considérée comme une exception, car elle avait initialement été conçue en réponse à une attaque contre les États-Unis. 40 James Fearon, « Civil War and the Current International System » (2017) 146 Daedulus 18; Richard Gowan et Stephen J Stedman, « The International Regime for Treating Civil War » (2018) 147 Daedulus 171. 41 Dans un tiers des guerres civiles actuelles, des acteurs tiers soutiennent activement une ou plusieurs des parties belligérantes par des fonds, du matériel militaire, des renseignements et/ou une couverture politique. Voir Sebastien von Einseidel, « Civil War Trends and the Changing Nature of Armed Conflict » (mars 2017) United Nations University Centre for Policy Research Occasional Paper 10 <https://collections.unu.edu/eserv/UNU:6156/Civil_war_trends_ UPDATED.pdf>. 42 Voir Geneva Declaration, « The Global Burden of Armed Violence 2015: Every Body Counts » (2015) <http://www.genevadeclaration.org/measurability/global-burden-of-armed-violence/global-burden-of-armed-violence-2015.html> (sommaire disponible en français : <http://www.genevadeclaration.org/fileadmin/docs/GBAV3/GBAV-2015-ExecSum-FR.pdf>) et Keith Krause, « From Armed Conflict to Political Violence: Mapping and Explaining Conflict Trends » (2016) 145 Daedulus 113.
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Risques pour le Canada Au niveau le plus immédiat, le Canada a été largement épargné par ces situations contemporaines de conflits et de violences. Compte tenu des autres risques sérieux pour notre sécurité, une question se pose : quel est l’intérêt du Canada dans le dénouement des conflits civils et de la violence politique ailleurs dans le monde? En 2005, lors du dernier examen de notre politique internationale, il a été clairement établi que les « États fragiles » constituaient une menace directe pour la sécurité du Canada, notamment en raison de leur vulnérabilité à l’infiltration par des groupes terroristes. La même évaluation vaut-elle en 2020? Le Canada, comme d’autres États, observe trop souvent l’escalade des crises plutôt que de s’engager dans une action préventive pour répondre aux sources du conflit et à ses effets dévastateurs. De plus, il a été souligné que des guerres civiles prolongées et d’autres situations de violence posent des risques pour les intérêts du Canada et pour ses valeurs, qui nécessitent un engagement mondial.
Migration forcée En 2019, 79,5 millions de personnes ont été déplacées de force de leurs foyers – le nombre le plus élevé jamais enregistré. Alors que plus de la moitié est restée dans le même pays et est donc considérée comme étant des « personnes déplacées à l’intérieur de leur pays », 26 millions ont traversé des frontières en tant que réfugié-es et demandeur(-euse)s d’asile.43 Divers facteurs interdépendants sont à l’origine de la recrudescence des migrations contemporaines, mais les conflits armés et la violence intercommunautaire demeurent parmi les principaux.44 Compte tenu du fait que la COVID-19 pourrait exacerber le risque de conflit au sein des États – de récentes prévisions suggérant que jusqu’à 35 pays pourraient connaître une instabilité d’ici 2022 – le phénomène de migration massive ne fera que s’amplifier.45 La géographie du Canada, une fois de plus, lui a généralement permis de choisir quand et comment il répond à la migration forcée. Le respect de nos obligations envers les réfugié-es, de même que des programmes de réinstallation très médiatisés (que ce soit pour les Sud-Asiatiques dans les années 1970 ou pour les Syrien-nes dans les années 2010) sont d’importantes illustrations de l’engagement humanitaire des Canadien-nes. Mais en réalité, ce sont d’autres pays, en particulier dans le monde en développement, qui subissent les plus grands effets des migrations de masse. La migration présente des avantages tangibles pour les sociétés d’accueil, mais elle peut également exercer de fortes pressions sur leurs économies et leurs tissus sociaux, comme l’ont montré certains exemples récents de migrations massives. Les risques d’instabilité dans les principaux pays d’accueil de réfugié-es, comme la Colombie, le Pakistan et la Turquie, ont des conséquences pour les relations et les objectifs de politique étrangère du Canada. Mais l’impact de la migration forcée due aux conflits sur certains des principaux alliés du Canada est encore plus marqué. La migration africaine due au conflit en Libye et les migrations induites par les conflits en Syrie, en Afghanistan et en Irak ont directement contribué à la crise migratoire en Europe entre 2014 et 2016, entraînant des retombées sur les développements politiques intérieurs chez des alliés et partenaires commerciaux du Canada au sein de l’OTAN. Plus près de nous, les réfugié-es fuyant la violence en Amérique centrale et du Sud ont créé une forte pression sur les infrastructures et le système politique du Mexique et ont alimenté une situation politique profondément polarisée aux États-Unis. Certain-es de ces réfugié-es d’Amérique centrale et du Sud entrent au Canada de façon irrégulière en provenance des États-Unis afin d’éviter notre Entente sur les tiers pays sûrs, qui interdit aux personnes arrivant sur une base régulière des États-Unis de demander le statut de réfugié au Canada. Cette tendance a conduit une Cour fédérale à déclarer en juillet 2020 que cette entente viole la Charte canadienne des droits et libertés – une décision qui nécessitera l’examen du Parlement et une réponse de politiques de la part du gouvernement fédéral.
UNHCR, « Aperçu statistique » (2020) <https://www.unhcr.org/fr/apercu-statistique.html>. Par exemple, sur les 28 millions de personnes nouvellement déplacées en 2018, 10,8 millions ont été déplacées en raison d’un conflit armé prolongé et de la montée de la violence intercommunautaire (Observatoire des situations de déplacement interne, « Rapport mondial sur le déplacement interne 2019 » (2019) < https://www.internal-displacement.org/global-report/grid2019/french.html>). 45 Ces projections représentent une augmentation de 56 % de la probabilité de conflit interne par rapport aux prévisions pré-pandémiques et constituent les chiffres les plus élevés en 30 ans. Voir Jonathan Moyer et Oliver Kaplan, « Will the Coronavirus Fuel Conflict? » (juillet 2020) Foreign Policy <https://foreignpolicy.com/2020/07/06/coronavirus-pandemic-fuel-conflict-fragile-states-economy-food-prices/>. 43 44
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Perturbations ou revers du développement durable L’impact le plus important et le plus dévastateur d’un conflit, cependant, est de loin celui sur la sécurité, la santé et la subsistance des populations touchées. Le Canada et d’autres États membres des Nations Unies ont investi des ressources et une attention politique considérables pour faire avancer un ensemble d’objectifs universels, les Objectifs de développement durable (ODD), qui visent à soutenir les progrès économiques, sociaux et environnementaux dans tous les pays. Il s’agit d’un bien collectif dans lequel tous ont un intérêt. Dans le contexte canadien, il est important que les objectifs ne soient pas partisans. Initialement formulés en septembre 2015 par un gouvernement d’une certaine allégeance, ils ont depuis été poursuivis par un successeur d’une autre allégeance. Le Canada a ses propres défis à relever pour réaliser les ODD au palier national, en plus de son intérêt à contribuer à les faire progresser à l’échelon mondial, en particulier dans les économies émergentes qui définissent tant de facettes de l’avenir mondial. Selon la Banque mondiale, deux milliards de personnes dans le monde vivent aujourd’hui dans des pays où les résultats de développement – et en particulier les ODD – sont affectés négativement par la fragilité de l’État, les conflits et la violence. Et d’ici 2030, jusqu’à deux tiers des personnes extrêmement pauvres dans le monde pourraient se trouver dans des régions fragiles et touchées par des conflits.46 Au cours des dernières années, des crises successives ont démontré comment les chocs dus aux conflits et à l’instabilité, touchant le développement social et économique, peuvent avoir un effet d’entraînement au palier régional autant que mondial. En particulier, les revers du développement ne feront qu’intensifier les pressions de l’émigration, mettant à l’épreuve la capacité des pays d’accueil à recevoir des millions d’individus et de groupes cherchant refuge, et exacerbant les forces du populisme et du nationalisme qui se sont élevées en conséquence dans nombre de ces États.
2.5. Un virage numérique L’une des tendances les plus fondamentales qui façonnent le contexte mondial est la révolution numérique actuelle qui transforme les sociétés humaines, les systèmes politiques et les modèles économiques. Cela inclut des progrès remarquables en matière de capacité de calcul, grâce à des technologies telles que l’informatique quantique, les semi-conducteurs et l’informatique en nuage centralisée; de nouvelles capacités d’analyse grâce au développement de l’apprentissage machine, de la vision par ordinateur et du traitement du langage naturel; et des communications améliorées grâce à l’Internet, à l’utilisation mondiale d’appareils mobiles et au déploiement de la 5G. Alors que la première vague d’expansion de l’Internet a été marquée par la prolifération des réseaux ouverts, nous sommes aujourd’hui en pleine course aux armements numériques. La concurrence entre les piles logicielles, les capacités de collecte de données et les modèles commerciaux numériques crée des conflits entre économies développées et émergentes, de même qu’au sein de pays démocratiques et autoritaires. Le contraste entre l’infrastructure numérique développée dans la Silicon Valley et celle développée en Chine est particulièrement frappant. La première est conçue selon les lois du marché, profitant de l’économie numérique sous-régie pour générer de la valeur à partir des données recueillies au sujet des utilisateurs. La seconde utilise ces mêmes données non pas au service de la valeur actionnariale, mais principalement comme un outil de contrôle social, politique et économique. Par ailleurs, la Chine exporte activement ce modèle vers des régimes illibéraux et autocratiques attirés par le pouvoir du contrôle en ligne. L’enjeu est l’architecture centrale de l’économie numérique en soi. La dynamique fondamentale du cadre actuel exerce une pression sur les institutions de gouvernance mondiale et exige la création d’un nouvel ensemble de structures juridiques, réglementaires et éthiques.
46 Voir, en général, les informations de la Banque mondiale sur les fragilités, conflits et violences, accessibles à <https://www.banquemondiale.org/fr/topic/fragilityconflictviolence/overview>.
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Risques pour le Canada Les infrastructures numériques émergentes ont permis de nouvelles formes d’action collective et une communication intégrée à l’échelle mondiale. Mais si ces capacités ont des avantages considérables – par exemple, en donnant aux nouveaux mouvements civiques des moyens d’agir, en améliorant l’inclusion sociale et politique et en stimulant la croissance économique –, elles comportent également un lot de risques importants et croissants.
Risques de sécurité Pour la plupart des pays, y compris le Canada, la sécurité du cyberespace est devenue une condition de survie fondamentale. Des fonctions vitales du gouvernement – allant de la perception des impôts à la fourniture de services publics – reposent sur des systèmes et des réseaux informatiques robustes. L’économie et l’industrie canadiennes au sens large dépendent également de machines et de réseaux complexes qui facilitent les transactions financières, la production d’électricité, les transports publics et plus encore. Toutes ces fonctions et activités sont devenues de plus en plus vulnérables aux perturbations cybernétiques intentionnelles au moyen de logiciels malveillants ou d’attaques par déni de service distribué. Des infrastructures cruciales sont également vulnérables aux attaques, à l’espionnage et au vol, tout comme la propriété intellectuelle des entreprises canadiennes et des institutions de recherche et les données classifiées de nos gouvernements.
Risques structurels La tendance à externaliser le contrôle et la gouvernance de ces infrastructures cruciales à un petit nombre d’entreprises mondiales concurrentes soulève également un profond défi structurel. Comme nous l’avons déjà souligné, ces sociétés relèvent en grande partie de deux régimes concurrents : un ensemble de sociétés étatsuniennes centrées sur les entreprises, dont la motivation première est la saisie et l’optimisation de la collecte de données dans l’intérêt de la valeur actionnariale, et un modèle chinois dont le but premier est la saisie et l’optimisation des données pour le contrôle social. Tous deux développent des capacités technologiques qui demeurent largement non régies – et avec peu de transparence ou de reddition de comptes. En outre, dans la sphère économique, les inégalités se creusent devant l’émergence de nouveaux monopoles numériques mondiaux. Des recettes fiscales sont perdues, car les sociétés d’intelligence artificielle (IA) et les plateformes numériques profitent du dysfonctionnement mondial des systèmes fiscaux pour manipuler les bénéfices déclarés dans divers pays. Entre-temps, dans l’arène politique, des plateformes numériques sont utilisées pour semer la méfiance et organiser des groupes extrémistes. Des discours néfastes sont à la fois amplifiés et canalisés vers des publics vulnérables. Parallèlement, des algorithmes s’avèrent entachés de préjugés raciaux, sexuels et sociaux séculaires et radicalisent eux-mêmes des populations. Les plateformes numériques alimentent également la polarisation politique et la détérioration du discours public. Même notre capacité à parvenir à une compréhension commune des faits et des événements se voit érodée. Des régimes illibéraux et autocratiques exploitent les nouvelles technologies pour nuire aux institutions démocratiques et aux élections et pour étouffer le discours et l’activité politiques.
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Risques existentiels La capacité des entreprises et des États à utiliser l’infrastructure numérique comme outil de surveillance et de contrôle social soulève un autre risque encore plus fondamental. À mesure qu’une plus grande partie de nos vies et de notre économie se déplace en ligne, qu’une quantité croissante de données personnelles sont collectées de manière largement non réglementée, et que les outils de collecte et d’analyse des données se raffinent, nous risquons de perdre à la fois les sources de la légitimité démocratique et même de l’agentivité humaine. La possible menace existentielle liée au développement et au déploiement non réglementés de technologies émergentes pourrait prendre diverses formes, notamment : le développement de l’intelligence artificielle sensible, l’expansion des outils technototalitaires de contrôle social (comme ceux que nous voyons développés en Chine et exportés à l’échelle internationale), l’effondrement de notre infrastructure numérique à la suite d’une cyberattaque à grande échelle et la guerre automatisée non contrôlée. Le moment et la probabilité de ces risques sont difficiles à évaluer. Comme ils sont par nature complètement nouveaux, nous sommes mal outillé-es pour nous en prémunir ou y répondre. Leurs implications sont non seulement colossales, mais aussi potentiellement irréversibles. Nous n’aurons peut-être pas la possibilité d’apprendre par l’expérience (comme nous apprenons à gérer les pandémies par notre réponse mondiale imparfaite à la COVID-19) puisque nous n’y survivrons peut-être pas en tant que société libre ou, dans le pire des cas, comme espèce.47
2.6. Des risques de catastrophes Outre les menaces existentielles posées par le virage technologique, une autre série de « risques de catastrophes » menace l’ensemble des pays, y compris le nôtre. Ces tendances ont beau se trouver à la fin de notre diagnostic, elles sont loin d’être une considération future. Au contraire, ces préoccupations font sans doute partie des priorités les plus immédiates pour toute évaluation stratégique des risques par un gouvernement – non seulement au Canada, mais partout.
Changements climatiques Les changements climatiques constituent la première de ces priorités urgentes. Si les économies continuent sur leur lancée, une confluence de facteurs de stress environnementaux et écologiques mettra en péril nos systèmes naturels vitaux, provoquant des effets catastrophiques. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) et les changements climatiques qui en découlent engendrent des catastrophes naturelles plus fréquentes et plus dévastatrices, notamment des inondations, des sécheresses et des feux de forêt; cela finira par rendre certaines régions du monde inhabitables. Et les risques des changements climatiques ne se limitent pas à l’avenir. Les bouleversements et les perturbations économiques provoqués par des modifications brutales de l’environnement naturel sont déjà associés entre autres à des conflits violents et à des migrations forcées – les États les plus pauvres étant parmi les plus durement touchés. Ainsi, deux tiers des États les plus fragiles au monde sont fortement exposés aux effets négatifs des changements climatiques.48 Malgré ces risques actuels et futurs, les efforts déployés pour lutter contre les changements climatiques n’ont pas atteint les objectifs établis. Les États sont actuellement sur une trajectoire de réchauffement de 3,2 degrés Celsius d’ici 2100,49 très loin de la cible de l’accord de Paris visant à limiter le réchauffement à 1,5 degré. Cela signifie que des réductions encore plus substantielles des émissions de GES seront nécessaires dans l’avenir, même si elles interviendront peut-être trop tard, après que nous aurons franchi un point de non-retour de dommages écologiques irréversibles.
Elon Musk, « Artificial Intelligence is our biggest existential threat » The Guardian (Londres, 27 octobre 2014). USAID, « The Intersection of Global Fragility and Climate Risks » (2018) <https://pdf.usaid.gov/pdf_docs/PA00TBFH.pdf>. 49 Programme des Nations Unies pour l’environnement, « Emissions Gap Report 2019’ (20 novembre 2019) <https://www.unenviroment.org/resources/emissions-gap/report-2019>. 47 48
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Le Canada fait face à un ensemble particulier de menaces liées au changement climatique. Notre pays se réchauffe à un rythme environ deux fois plus rapide que le reste du monde; dans les régions nordiques, le réchauffement est trois fois plus rapide que la moyenne mondiale. L’augmentation des températures cause déjà des vagues de chaleur plus fréquentes, des changements aux régimes de précipitations, une réduction de la couverture de neige et de glace, un rétrécissement et un amincissement de la glace de la mer Arctique et des modifications au débit du Gulf Stream.50 Le Groupe conseil d’expert-es convoqué par le Secrétariat du Conseil du Trésor en 2019 a identifié un certain nombre de domaines clés où les effets des changements climatiques seront probablement les plus sérieux, y compris les risques pour les maisons, les bâtiments et les infrastructures essentielles en raison de conditions météorologiques extrêmes et de la probabilité accrue de pannes de courant; les risques pour les infrastructures, les biens et les personnes dans les communautés côtières et nordiques, en raison de l’élévation du niveau de la mer et des changements de température; et les risques pour nos écosystèmes et nos espèces – en particulier pour les oiseaux et les animaux se reproduisant dans l’Arctique, en raison de la réduction de la glace de mer –, et pour les pêches, vu le changement des conditions des eaux marines et douces. Chaque région du Canada sera affectée différemment, certaines connaissant davantage de sécheresses et d’incendies, d’autres un risque accru d’inondations. Cependant, toutes sont confrontées à la perspective de perturbations des modes de subsistance, de menaces à la biodiversité et de risques pour la santé physique et mentale et le bien-être des populations, en raison des dangers qui accompagnent les phénomènes météorologiques extrêmes, la dégradation de la qualité de l’air et l’augmentation de l’éventail des agents pathogènes à transmission vectorielle. Même si l’adaptation peut réduire les coûts des changements climatiques, ces risques ne peuvent être éliminés que par une diminution des émissions de GES à l’échelle mondiale, en particulier par l’industrie. Cette responsabilité est partagée par tous les pays. L’appel à la lutte contre les émissions n’est toutefois pas épargné par la controverse, tant à l’échelon national qu’international. Au pays, ses détracteurs font valoir que les coûts de la réduction des émissions pour l’industrie nationale sont disproportionnés par rapport à l’impact mondial et que l’industrie nationale a déjà fait plus que les pires pollueurs du monde pour réduire ses émissions. Ils affirment également que même si l’industrie pétrolière produit d’importantes émissions de GES, elle continuera à représenter une part importante de l’économie mondiale, que le Canada y participe ou non. Il convient également de reconnaître qu’il existe des scénarios plausibles dans lesquels le Canada peut tirer des avantages économiques des changements climatiques.51 Les décideur(-euse)s canadien-nes sont donc confronté-es à diverses conséquences économiques et environnementales des changements climatiques à court et à moyen terme ainsi qu’à une polarisation politique continue découlant de cette question.
L’utilisation d’armes de destruction massive Toutes les armes sont susceptibles de causer des dommages à grande échelle, mais la diplomatie contemporaine et le droit international ont placé certaines armes mortelles dans une catégorie particulière étant donné leur nature indiscriminée et leur capacité à causer la destruction bien au-delà du pays cible initial. Puisque les armes nucléaires sont le « sommet destructeur » de ces armes de destruction massive (ADM),52 elles ont dominé les efforts de coopération en matière d’ADM, donnant lieu à un ensemble d’accords conclus sur plus de 50 ans appelé « ordre nucléaire ».
50 Conseil des académies canadiennes, « Les principaux risques des changements climatiques pour le Canada : Le comité d’experts sur les risques posés par les changements climatiques et les possibilités d’adaptation » (2019) <https://rapports-cac.ca/wp-content/uploads/2019/07/Rapport Les-principaux-risques-des-changements-climatiques-pour-le-Canada.pdf>. 52 Jeff Rubin, « Economic Opportunities from a Changing Climate » (2017) CIGI Paper No 118 <https://www.cigionline.org/publications/economic-opportunities changing-climate>. 52 Michael Clarke, « Weapons of Mass Destruction » dans Haleet Held (note 35) 230.
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Aujourd’hui, cet ordre semble s’éroder. Premièrement, le dense réseau de traités mutuels de réduction des armements entre la Russie et les États-Unis se relâche, aucun des deux pays n’investissant l’effort politique nécessaire pour répondre à la spirale de méfiance qui sévit. Cela augmente le risque de guerre nucléaire ¬– intentionnelle ou accidentelle – et intensifie les doutes quant à l’un des principaux fondements du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) : l’engagement des États nucléaires au désarmement. Un deuxième élément d’instabilité découle de l’incapacité du TNP et des cadres connexes à limiter l’acquisition d’armes nucléaires, ce qui a conduit à l’émergence de trois nouvelles puissances nucléaires (Inde, Corée du Nord et Pakistan) et à la possibilité que d’autres pays (Iran, Arabie saoudite et Turquie) développent des armes nucléaires. Ces nouvelles puissances nucléaires potentielles sont situées dans des environnements hostiles et, dans certains cas, sont plus instables au plan national que la première génération d’États nucléaires. En outre, les nouvelles technologies soulèvent la perspective de cyberattaques contre des infrastructures nucléaires et la possibilité d’une guerre nucléaire accidentelle. Le risque d’escalade involontaire de conflits conventionnels en un conflit ambigu s’est également accru, comme l’illustrent de récents incidents entre l’Inde et le Pakistan. Enfin, l’existence même d’un plus grand nombre d’États possédant l’arme nucléaire rend l’équilibre des pouvoirs plus complexe et les systèmes de dissuasion plus incertains. Parallèlement, l’on s’inquiète de plus en plus de la croissance et de la propagation des armes biologiques, en particulier à des groupes armés non étatiques qui pourraient en déclencher les effets dévastateurs. Contrairement aux armes nucléaires et chimiques, les efforts internationaux pour répondre à la possible menace d’armes biologiques ont pris du retard. La Convention sur les armes biologiques ou à toxines de 1975, négociée sous les auspices des Nations Unies, exclut toujours des États clés qui soulèvent des préoccupations quant à la prolifération. Fait encore plus inquiétant, elle ne contient toujours pas de clauses de vérification – en grande partie en raison du nombre considérable d’agents nocifs potentiels, de la nature incertaine des biotechnologies en évolution rapide (y compris le génie génétique) et des implications économiques ou commerciales d’une vérification intrusive concernant des technologies de pointe dans l’industrie biotechnologique.
Pandémies mondiales Bien avant la pandémie de COVID-19, des universitaires et des responsables des politiques soulignaient les risques de catastrophes posés par des pathogènes et des maladies infectieuses capables de tuer en grand nombre, de surcharger les infrastructures sanitaires et de dévaster les économies nationales et mondiales.53 Des maladies infectieuses ont certes dévasté des sociétés humaines à travers l’histoire, mais il est désormais largement reconnu que la mondialisation – y compris les voyages aériens et les modèles de commerce, de finance et de production alimentaire qui nécessitent la circulation d’un grand nombre de personnes et de biens – a créé un monde plus interconnecté que jamais sur le plan « pathogénique »,54 ce qui amplifie les risques et l’impact des pandémies. Lors du dernier examen de la politique étrangère du Canada en 2005, des enquêtes indiquaient que les Canadien-nes étaient « de plus en plus inquiets de leur exposition à des maladies infectieuses, qu’ils classent parmi les menaces les plus sérieuses à leur sécurité au XXIe siècle ».55 Au cours de la dernière décennie, d’autres épidémies de maladies infectieuses ont intensifié les préoccupations concernant les profondes implications politiques, économiques et de sécurité des pandémies et de la résistance aux antimicrobiens. En pleine crise d’Ebola, en 2014, le Conseil de sécurité de l’ONU a déclaré que l’épidémie constituait une « menace pour la paix et la sécurité internationales » et a créé la Mission des Nations Unies pour l’action d’urgence contre l’Ebola, la toute première mission de santé onusienne.56 Lors d’un sommet ultérieur du G7, la chancelière allemande Angela Merkel et le premier ministre britannique David Cameron se sont joint-es au président étatsunien Barack Obama pour affirmer que l’épidémie d’Ebola avait été un signal d’alarme pour la communauté mondiale et ses institutions, qui étaient lentes et mal préparées à réagir. Les États n’ont toutefois pas pris les mesures nécessaires pour renforcer la capacité de réponse mondiale et coordonnée aux menaces de pandémie. 53 Voir, par exemple, Michael T Osterholm et Mark Olshaker, Deadliest Enemy : Our War Against Killer Germs (Little Brown, 2017). Voir également Michael T Osterholm et Mark Olshaker, « Chronicle of a Pandemic Foretold: Learning from the COVID-19 Failure—Before the Next Outbreak Arrives » (juillet/août 2020) Foreign Affairs. 54 Sue Peterson, « Global Health and Security: Reassessing the Links », dans Alexandra Gheciu et William C Wohlforth (eds), The Oxford Handbook of International Security (OUP 2018). 55 Gouvernement du Canada, « Énoncé de politique internationale du Canada. Fierté et influence : notre rôle dans le monde – Survol ». (2005) 7 http://www.operationspaix.net/DATA/DOCUMENT/3461~v~Enonce_de_Politique_Internationale_-_Survol.pdf. 56 UNSC Rés. 2177 (18 septembre 2014).
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La crise de la COVID-19 a sombrement illustré les résultats de ce manque de préparation. Outre le bilan de la COVID-19, qui dépassait en août 2020 les 800 000 décès dans le monde,57 des expert-es craignent une résurgence d’autres maladies infectieuses pendant que les systèmes de santé sont perturbés ou surchargés. Par exemple, on pourrait dénombrer jusqu’à 1,4 million de décès supplémentaires liés à la tuberculose.58 La pandémie de COVID-19 a également des effets économiques dévastateurs, plongeant le monde dans sa pire crise économique depuis la Grande Dépression59 et faisant de 2020 la première année depuis 1998 où la pauvreté mondiale augmentera.60 Selon les projections de base de la Banque mondiale, la pandémie entraînera une contraction de 5 % de la croissance économique mondiale et plongera 71 millions de personnes dans la pauvreté extrême en 2020. Le scénario le plus pessimiste prévoit une chute de 8 % de la croissance mondiale et 100 millions de personnes en situation de pauvreté extrême.61 Or les effets de la COVID-19 s’étendent bien au-delà de la santé publique et de l’économie, créant une série de crises interconnectées qui touchent à la fois les pays industrialisés et en développement. Mais malgré la nécessité évidente d’action collective et de solidarité internationale sur de nombreux fronts, les efforts de coopération ont jusqu’ici été cruellement insuffisants et l’action unilatérale a servi de voie de repli. De fait, la pandémie a mis en relief ou amplifié plusieurs des tendances néfastes que nous avons décrites précédemment, notamment la rivalité sino-étatsunienne, et elle « se transforme sous nos yeux en une crise systémique de la mondialisation ».62 En particulier, la pandémie a révélé les limites de notre système de commerce mondial, notamment le manque de fiabilité des chaînes d’approvisionnement internationales pour les produits essentiels et les questions de droits de propriété intellectuelle sous-jacentes à la recherche de vaccins contre le SRAS-CoV-2. La pandémie a également aggravé la crise du niveau de vie dans le monde en développement, où les effets économiques de la COVID-19 se feront davantage sentir. À titre d’exemple, les transferts de fonds devraient diminuer de 109 milliards $US en 2020.63 Les impacts sociaux, fiscaux, économiques et politiques plus larges de la COVID-19 pourraient faire reculer le développement d’une décennie ou plus, supprimant les gains liés aux ODD d’ordre économique et rendant d’autres ODD plus difficiles à réaliser – comme ceux en matière de santé, d’assainissement et de coopération mondiale. Surtout, la pandémie a mis en évidence l’insuffisance de la coopération internationale pour y répondre, car les institutions existantes n’ont pu jusqu’à présent mobiliser qu’une fraction des ressources nécessaires pour contenir le virus et ses répercussions économiques. Les organisations comme l’OMS sont souvent fortement contraintes par les divergences d’intérêts de leurs États membres. Comme l’ont indiqué avec justesse deux experts : « Si nous ne changeons pas le mode de fonctionnement d’institutions comme… [l’OMS] et si nous ne faisons pas davantage pour mobiliser des ressources d’acteurs privés, nos attentes ne seront pas satisfaites. »64 Les États doivent tirer de toute urgence les leçons qui commencent à se dégager de cet épisode tragique pour concevoir des réponses coopératives plus solides et plus efficaces, compte tenu notamment de la possibilité d’une pandémie encore plus meurtrière dans l’avenir. Des réponses nationales apportent une certaine lueur d’espoir. La pandémie de COVID-19 a suscité des innovations politiques, comme l’illustrent l’expansion rapide de la marge de manœuvre budgétaire, la refonte des filets de sécurité sociale, la prise en considération sérieuse de l’idée d’un revenu de base universel et la manière dont les pratiques scientifiques traditionnelles et les principes de gouvernance numérique se sont adaptés à l’impératif de rapidité. Cet esprit d’innovation axé sur les solutions pourrait s’étendre à la coopération internationale, ou alors une deuxième vague du virus pourrait conduire des pays à redoubler d’efforts pour adopter des approches privilégiant leur propre bien-être. Dans ce contexte où des résultats diamétralement opposés sont possibles, le Canada a la possibilité de prendre la tête du premier groupe. Cela dit, voyons à présent les atouts dont il dispose pour y arriver. Coronavirus Research Centre, John Hopkins University, « COVID-19 : Data in Motion » <https://coronavirus.jhu.edu/>. Geoffrey York, « The COVID-19 Pandemic Could be “Devastating” for Battles Against Tuberculosis, HIV and Malaria » The Globe and Mail (Toronto, 22 mai 2020) <https://www.theglobeandmail.com/world/article-the-covid-19-pandemic-could-be-devastating-for-battles-against/>. 59 Norman V Loayza, « Costs and Trade-Offs in the Fight Against the COVID-19 Pandemic: A Developing Country Perspective » (15 mai 2020) World Bank Group Research and Policy Brief No. 35 <https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/33764>. 60 Banque mondiale, « Macro Poverty Outlook, Spring 2020 Report » (2020) <https://www.worldbank.org/en/publication/macro-poverty-outlook>. 61 Daniel Gerszon Mahler et coll., « Actualisation des estimations de l’impact de la pandémie de COVID-19 sur la pauvreté » (8 juin 2020) < https://blogs.worldbank.org/fr/opendata/actualisation-estimations-impact-de-la-pandemie-covid-19-sur-la-pauvrete-dans-le-monde>. 62 Bertrand Badré et Yves Tiberghien, « Pour un renouveau du multilatéralisme » (18 juin 2020). Project Syndicate <https://www.project-syndicate.org/commentary/ covid19-pandemic-crisis-of-globalization-international-leadership-by-bertrand-badre-and-yves-tiberghien-1-2020-06/french?barrier=accesspaylog>. 63 Nations Unies, « External Finance and Inclusive Growth, Discussion Note », Réunion de haut niveau des Nations Unies sur le financement du développement à l’ère de la COVID-19 et au-delà (28 mai 2020) <https://www.un.org/sites/un2.un.org/files/discussion_note_4-external_finance_for_inclusive_growth-_hle_f fd_covid-5-25-20.pdf>. 64 (note 62). 57 58
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3. SOURCES D’INFLUENCE CANADIENNE ET OCCASIONS D’IMPACT Nous avons délibérément concentré notre diagnostic sur les risques émanant de changements dans l’environnement mondial, car nous pensons que le Canada a trop longtemps supposé la continuation d’un contexte favorable à la poursuite de ses intérêts et de ses valeurs. Même si tous les risques décrits sont considérables, ils ne sont pas nécessairement de même priorité. En outre, les tendances qui créent ces risques peuvent aussi, dans certains cas, offrir au Canada des possibilités d’améliorer sa sécurité et sa prospérité. Dans la présente section, nous décrivons certains atouts particuliers dont le Canada dispose pour affronter les principales caractéristiques de notre paysage mondial en évolution, de manière à atténuer les risques et à tirer parti des opportunités. L’influence du Canada sur les enjeux mondiaux est nécessairement limitée. Nous ne dominons aucune région et ne pouvons à nous seuls imposer notre volonté sur aucun enjeu international. En revanche, l’histoire a démontré que nous pouvons avoir un impact considérable si nous comprenons les sources de l’influence canadienne et si nous les utilisons intelligemment. Le Canada possède plusieurs atouts précieux qui, lorsque combinés, lui sont uniques parmi les nations. Ces atouts se classent en quatre grandes catégories : portée et relations, capacités, crédibilité et liberté d’action.
Portée et relations Grâce à sa géographie, à son histoire et à ses langues, le Canada entretient depuis 200 ans une relation privilégiée avec la première économie mondiale (d’abord le Royaume-Uni, puis les États-Unis) ainsi qu’avec un troisième membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la France. Bien que cette relation n’ait pas été automatiquement une source d’influence, elle a grandement facilité l’accès à des lieux décisionnels sur des questions touchant notre sécurité et notre prospérité. Depuis l’époque où il a été l’un des premiers membres de la Société des Nations, il y a cent ans, le Canada est devenu un multilatéraliste accompli. Il est membre fondateur de l’ONU (et de toutes les organisations importantes de l’ONU), de l’OTAN, du G20, du Commonwealth, de la Francophonie, de l’APEC et de l’OMC. Bien que le Canada soit la plus petite économie du G7, sa participation est engagée et efficace. La direction tournante du G7 lui permet de contribuer à l’élaboration du programme international. Lorsqu’utilisée de manière stratégique, l’appartenance à ces forums peut aider le Canada à poursuivre des objectifs importants, comme l’a fait Brian Mulroney en s’appuyant sur le Commonwealth et le G7 pour accroître la pression sur l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid; comme l’ont fait Jean Chrétien et Lloyd Axworthy en développant le programme de « Protection des civils » au sein du système onusien; et comme l’a fait Stephen Harper avec le G20 en réponse à la crise financière de 2008. Outre son engagement au sein des « grands clubs », le Canada a su travailler avec d’autres pays « aux visées similaires », des coalitions d’« ami-es » sur des enjeux particuliers et de vastes coalitions de pays du G7 et du G20. Il s’est également montré efficace dans sa collaboration avec des ONG pour faire avancer des objectifs communs, une compétence qui a fait ses preuves lors de la campagne canadienne visant à interdire les mines terrestres antipersonnel dans les années 1990. Grâce à un engagement judicieux, le Canada a pu créer une superpuissance virtuelle en réseau65 qui a conduit à la ratification d’un traité international malgré les objections de la Chine, de la Russie et des États-Unis.
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Robert Greenhill, « Making A Difference? External Views on Canada’s International Impact » (2004) Institut canadien des affaires internationales 6.
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Bien que la portée et les relations du Canada l’aient traditionnellement bien servi, des lacunes importantes se révèlent. Premièrement, l’accès du Canada à des puissances clés, en particulier aux États-Unis, est devenu de plus en plus incertain.66 L’importance relative des partenaires traditionnels du Canada – en particulier les États-Unis, le Royaume-Uni et la France – et la capacité des forums multilatéraux auxquels il appartient (comme le G7) à apporter des solutions à des problèmes urgents sont toutes deux en déclin. La possible expansion du G7 à un G10 pourrait créer des occasions supplémentaires pour le Canada de collaborer avec des États partageant les mêmes idées, mais elle pourrait également diluer son influence au sein de ce nouveau groupe. Deuxièmement, bien qu’il soit lié au Mexique par un accord commercial complet, le Canada n’a pas encore réalisé le potentiel d’une collaboration plus approfondie avec cet acteur important de l’hémisphère occidental ni avec d’autres États clés de l’Amérique latine proche. Enfin, nous n’avons pas encore exploité la possibilité d’établir des relations solides avec des démocraties non occidentales qui partagent nos valeurs politiques, comme le Japon, ou avec l’UE, avec laquelle nous partageons des intérêts communs contemporains en matière de sécurité et de prospérité. En bref, il existe un danger que le Canada demeure piégé dans de vieilles relations et de vieilles méthodes alors que le monde change. Notre accès aux principales économies émergentes, notamment en Asie, et nos relations avec elles sont relativement limités, même si la classe moyenne de cette région est en pleine croissance – un segment qui, en théorie, exige une bonne gouvernance et est attiré par celle-ci.67 Les relations du Canada avec de nombreux pays clés du G20, comme la Chine, la Russie et l’Arabie saoudite, se sont détériorées au fil des ans. Le deuxième échec du Canada en dix ans à obtenir un siège non permanent au Conseil de sécurité – en recevant encore moins de voix en 2020 qu’en 2010 – témoigne des limites de ses relations actuelles.
Capacités L’influence internationale du Canada a traditionnellement été favorisée par d’importantes capacités gouvernementales : un service extérieur compétent possédant une grande expérience de l’engagement multilatéral et la capacité de gérer efficacement des campagnes et des projets complexes; un programme de développement aux ressources modérées (quoiqu’en déclin); et une armée efficace et hautement interopérable avec ses alliés de l’OTAN. En outre, le gouvernement canadien possédait des capacités complémentaires précieuses dans d’autres domaines, comme le commerce international et les finances. Ce vaste ensemble de capacités a permis au gouvernement canadien de mener des initiatives multidimensionnelles, telles que le suivi de la campagne diplomatique réussie contre l’apartheid par des programmes de développement novateurs pour aider l’Afrique du Sud pendant la transition vers un régime majoritaire, le soutien aux transitions démocratiques en Amérique latine et, plus récemment, le travail en coulisses pour réformer des procédures clés de l’OMC. À cet égard, le Canada dirige le « Groupe d’Ottawa » (composé du Canada, de l’Australie, du Brésil, du Chili, de l’UE, du Japon, du Kenya, de la Corée du Sud, du Mexique, de la Nouvelle-Zélande, de la Norvège, de Singapour et de la Suisse) visant à relever des défis du système de l’OMC, notamment le mécanisme de règlement des différends et la fonction de négociation. Une autre capacité du gouvernement canadien est le pouvoir de la bourse. Possédant la dixième plus forte économie mondiale et le plus faible ratio dette/PIB du G7, le Canada a la capacité d’apporter une contribution significative à la résolution de nombreux défis non militaires dans le monde, s’il le souhaite. Par exemple, le budget total de l’OMS (quelque 3 milliards $US) représente moins d’un cinquième d’un pour cent du PIB canadien. Enfin, il importe de souligner les précieuses capacités canadiennes extérieures au gouvernement. Notons particulièrement les capacités de puissance discrète des universités publiques du Canada, y compris leur corps professoral et leur importante population d’étudiant-es étranger(-ère)s; les sociétés et les petites et moyennes entreprises canadiennes qui sont des leaders mondiaux ou sont actives sur les marchés internationaux et/ou dans le développement; les liens diasporiques du Canada avec des sociétés internationales; notre ouverture continue à l’immigration; et la présence de Canadien-nes dans des organisations internationales de premier plan. 66 Déjà en 2004, la future conseillère à la sécurité nationale, Susan Rice, notait que « l’influence du Canada sur la politique quotidienne des États-Unis était marginale ». Voir Susan Rice, « Canada’s Relationship with the U.S.: Turning Proximity into Power—An American Perspective » dans Graham F Walker (éd.) Independence in an Age of Empire: Assessing Unilateralism and Multilateralism (Université Dalhousie 2004) 125. 67 Nancy Birdsall, « Does the Rise of the Middle Class Lock in Good Government in the Developing World? » (2015) Centre for Global Development <https://www.cgdev.org/publication/does-rise-middle-class-lock-good-government-developing-world>.
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Cependant, à l’instar de sa portée, les capacités du Canada ont également diminué au cours des dernières années. Bien qu’elle soit toujours respectée, la capacité du Service extérieur canadien à élaborer et à mettre en œuvre des solutions innovantes n’a pas évolué. Dans l’intervalle, d’autres pays ont augmenté leurs capacités. La part des dépenses en développement par rapport au revenu national frôle son niveau le plus bas en 50 ans et se situe bien en deçà de celle de plusieurs pairs du Canada au sein de l’OCDE. De plus, depuis le retrait militaire du Canada de l’Afghanistan, la disposition à exposer les Forces armées canadiennes à des dangers est limitée. Les contributions canadiennes au maintien de la paix sont à leur plus bas depuis 60 ans et la participation du Canada à la mission au Mali est largement considérée comme une entreprise minimaliste.
Crédibilité Dans un monde où la confiance fait défaut, le Canada figure au sommet des évaluations internationales de la confiance et est généralement considéré comme ayant une influence mondiale positive.68 Ceci n’est pas un mince exploit et relève de notre histoire sans aucun rôle de puissance coloniale au-delà de nos frontières ainsi que d’un bilan de 75 ans de contributions internationales positives. Le Canada est également perçu comme un acteur international de confiance, car ce rôle est conforme à ses intérêts : en tant que puissance moyenne dotée d’une économie ouverte, nous avons beaucoup à gagner d’un système international qui fonctionne adéquatement. Comme l’a affirmé à propos du Canada un observateur international, « lorsqu’on est modeste au plan militaire et limité économiquement, il est important d’être vertueux, d’avoir une politique très cohérente, d’être conséquent dans ses actions et d’avoir la réputation d’être sans arrière-pensée » [trad.].69 La crédibilité du Canada à l’étranger est également favorisée par le relatif succès de sa société et de son économie. En dépit du traitement honteux qu’il continue de faire subir à ses populations autochtones, et des préjugés et de la discrimination qu’y vivent les personnes racisées, le Canada est généralement perçu comme un pays qui tente de mettre en pratique chez lui ce qu’il prêche à l’étranger et qui considère le respect des ODD comme une responsabilité à la fois nationale et internationale. La crédibilité du Canada est renforcée par ses antécédents de respect de ses engagements. Par exemple, le Canada s’acquitte systématiquement et ponctuellement de ses cotisations internationales. Il tient promesse, même en cas de changement de gouvernement : le gouvernement Harper a donné suite à l’engagement pris par le gouvernement Chrétien à Monterrey de doubler l’aide internationale avant 2010; et le gouvernement de Justin Trudeau a maintenu l’engagement pluriannuel du gouvernement Harper en matière de santé maternelle, néonatale et infantile. Cependant, ces dernières années, le fait d’avoir maintenu l’aide au développement à un niveau historiquement bas tout en proclamant que « le Canada est de retour » a nui à la crédibilité du pays et pourrait avoir contribué à son incapacité à recueillir davantage de voix dans sa campagne au Conseil de sécurité. En somme, même si la communauté internationale estime généralement que les intentions du Canada sont bonnes, l’écart croissant qui se creuse entre son discours et ses ressources affecte sa position et sa capacité à exercer une influence.
Liberté d’action De nombreux pays sont limités dans leurs actions internationales en raison de conflits ou de crises à leurs frontières, d’une instabilité politique interne ou de vieux engagements sérieux à certaines relations ou questions géographiquement définies. Le Canada, en revanche, dispose d’une liberté d’action relativement grande à l’international. Il est avantagé par sa situation géographique : entouré de glace ou d’eau sur trois côtés, et à côté du pays le plus puissant et le plus prospère du monde. Bien que la gestion des relations avec les États-Unis ait toujours été l’un des objectifs les plus importants de la politique étrangère canadienne et que ceci ait comporté des moments difficiles, nous avons été largement à l’abri de la 68 Voir, par exemple, le premier rang du Canada quant à la fiabilité, dans le rapport « Best Countries 2020 » de US News & World Report (US News & World Report, ‘Best Countries’ (2020) https://www.usnews.com/news/best-countries/articles/2020-01-15/us-trustworthiness-rating-dives-in-2020-best-countries-report), et le sondage d’Ipsos classant le Canada en tête des pays ayant une « influence positive sur les affaires mondiales » (Ipsos, « Dangerous World » (13 juin 2017) <https://www.ipsos.com/sites/default/files/2017-06/G%40%20Dangerous%20World-Report-2017-06-13_0.pdf>). 69 Greenhill (note 65) 34.
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menace d’invasion, de relations de voisinage litigieuses et de dynamiques intérieures déstabilisatrices. En conséquence, le Canada a la liberté de choisir les régions géographiques et les questions de fond qu’il souhaite privilégier. En outre, notre pays possède une économie saine qui – comme le démontre la réponse du gouvernement à la COVID-19 – offre la marge budgétaire nécessaire pour répondre à d’importants chocs internationaux. Ce contexte clément change rapidement. La relation avec les États-Unis est devenue plus instable et moins prévisible, en particulier sous l’administration Trump. La renégociation de l’ALENA a absorbé une part considérable de l’attention internationale récente du gouvernement canadien. À l’avenir, la fonte des glaces de l’Arctique et l’ouverture des voies navigables signifient que de nombreux pays revendiqueront des droits de passage dans les territoires canadiens. L’étranger proche pourrait ainsi jouer un rôle plus important que ce à quoi nous étions habitués. Par ailleurs, devant les défis croissants de l’ouverture du commerce, les sources traditionnelles de richesse et les stratégies économiques du Canada pourraient devenir moins résilientes, nous laissant moins d’options macroéconomiques pour préserver notre prospérité et l’augmenter. Enfin, alors que la grande liberté d’action du Canada lui a procuré une flexibilité stratégique considérable, elle s’est également révélée comme une faiblesse. Dans le monde complexe et dense d’aujourd’hui, un engagement profond et soutenu est essentiel à l’impact. Des États de plus petite taille, comme la Norvège et Singapour, ont identifié des domaines d’engagement clés et ont développé une expertise importante. Compte tenu de sa taille et de ses adhésions, le Canada a des intérêts étendus et participe à de nombreuses tables, mais il a été moins stratégique en ce qui concerne l’investissement de temps et de ressources dans un ensemble de priorités fondamentales et la promotion d’un soutien sociétal plus large à leur réalisation. Finalement, la combinaison des atouts que sont sa vaste portée et ses relations, ses capacités pertinentes, sa crédibilité établie et sa grande liberté d’action confère au Canada un profil international quasi incomparable. Néanmoins, pour chacune de ces quatre sources d’influence, la position du Canada s’est probablement dégradée en comparaison avec le passé. En outre, la capacité du Canada à tirer pleinement parti de ces sources d’influence dépendra de plus en plus d’une évaluation beaucoup plus rigoureuse des domaines où ses contributions sont susceptibles d’avoir des résultats positifs et disproportionnés, et où les développements extérieurs sont les plus susceptibles d’affecter nos intérêts et nos valeurs. Des exemples de réalisations internationales dirigées par le Canada dans le passé prouvent qu’il peut faire une différence. Mais sa réussite future requiert des choix stratégiques clairs.
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4. CONCLUSION Notre diagnostic de l’environnement mondial a mis en évidence un ensemble de tendances fondamentales qui posent des défis pressants pour tous les secteurs de la société canadienne. La plupart des défis présentent également des opportunités, mais les responsables des politiques de notre pays sont aujourd’hui confronté-es à un contexte international beaucoup moins favorable qu’en 1990, lorsque la Guerre froide a pris fin, ou en 1945 lorsque les principaux éléments de l’architecture institutionnelle mondiale ont vu le jour. À la lumière des tendances que nous avons décrites, le Canada – comme de nombreux pays – est susceptible de se préoccuper d’un ensemble de tâches essentielles : gérer des dynamiques de pouvoir complexes afin de trouver l’espace nécessaire à la promotion des intérêts canadiens; améliorer le niveau de vie et le bien-être social devant des menaces économiques, écologiques et sanitaires; trouver des solutions coopératives à des problèmes impliquant tous les pays, petits et grands; et protéger et respecter nos valeurs les plus chères. Même si, comme nous le soutenons, le Canada a besoin d’une stratégie d’engagement mondial, celle-ci devra être étayée par des stratégies régionales beaucoup plus ambitieuses, basées sur la valorisation à long terme de l’expertise et des relations régionales. Notre stratégie mondiale devrait également s’appliquer à l’ensemble du Canada, en activant des institutions et groupes clés des secteurs public, privé et à but non lucratif, tant au pays qu’à l’étranger. Notre population diversifiée, qui entretient de nombreux liens internationaux, pourrait également être mobilisée plus efficacement en tant qu’atout essentiel du Canada. Plus que tout, le moment est venu de mobiliser d’importantes ressources et d’investir stratégiquement pour faire progresser la sécurité et la prospérité du Canada. Au moment où notre pays est sur le point d’amorcer un ambitieux plan de relance national pour se sortir des effets de la pandémie et de la récession qu’elle a causée, nous devons également réfléchir à la proportion du PIB que nous sommes disposés à consacrer à la protection de cet investissement en contribuant à un monde plus sûr et plus équitable. Ce faisant, nous devrions délaisser les objectifs chiffrés du passé pour miser davantage sur des investissements financiers qui reflètent un véritable engagement au partage international des obligations, qui soient durables et qui soient dirigés stratégiquement pour réaliser nos priorités. Mais d’abord, nous devons définir ces priorités. Notre examen des tendances mondiales et des sources d’influence canadienne se veut un outil pour aider à cerner un ensemble de questions stratégiques clés et pour susciter des discussions à ce sujet. (Veuillez consulter le document d’accompagnement ici.) En délibérant sur les réponses possibles, les Canadien-nes contribueront à refaçonner la stratégie de notre pays en matière d’engagement mondial pour 2020 et au-delà.
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ANNEXE : Collaborateur(-trice)s expert-es Les personnes suivantes ont participé à des entretiens individuels et à des discussions de table ronde et ont régulièrement fourni des informations sur les principales tendances mondiales, et ce à titre personnel. Stewart Beck, président et directeur général, Fondation Asie Pacifique du Canada Arif Lalani, diplomate canadien; ex-ambassadeur; membre du conseil d’administration, Centre for International Governance Innovation (CIGI) Monika LeRoy, conseillère du Secrétaire général de l’Organisation des États américains; ancienne conseillère principale aux politiques auprès du ministre des Affaires étrangères Shuvaloy Majumdar, attaché supérieur de recherches Munk en politique étrangère, Institut Macdonald-Laurier John McArthur, attaché supérieur de recherches, Brookings Institution; conseiller principal, Fondation des Nations Unies Rohinton Medhora, président, CIGI Bessma Momani, professeure, Université de Waterloo; attachée supérieure de recherches, CIGI Taylor Owen, Chaire Beaverbrook en éthique, médias et communications; directeur du Centre pour les médias, la technologie et la démocratie, Université McGill Sanjay Ruparelia, Chaire Jarislowsky pour la démocratie, Université Ryerson Yves Tiberghien, professeur de sciences politiques, codirecteur du Centre de recherches japonaises; directeur émérite de l’Institut de recherche asiatique, Université de la Colombie-Britannique Marie-Joëlle Zahar, professeure, Université de Montréal; directrice, Réseau de recherche sur les opérations de paix
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