Gomez laureen mention recherche

Page 1

Corps et mouvement: Perception de l’espace architectural Mention recherche

Mention Recherche sous la direction de Philippe Liveneau. Équipe d’encadrement : Philippe Liveneau Grégoire Chelkoff

Architecte, Docteur SPI, (RDL, Cresson), TPCAU Architecte, HDR / (Cresson) - Professeur, HDR, STA

Jury de Soutenance de la Mention Recherche : Philippe Liveneau Grégoire Chelkoff Magali Paris Olivier Baverel Olivier Balay Eric Blanco Martial Balland

Architecte, Docteur SPI, (RDL, Cresson), TPCAU Architecte, HDR / (Cresson) - Professeur, HDR, STA Ingénieur Agronome, Docteur, (Cresson) - VT Ingénieur, Docteur, HDR, (EPC Navier) - Professeur, HDR, STA Architecte, Doctorant (AE&CC) / TPCAU Docteur, HDR, Directeur adjoint Grenoble INP - Génie Gomez Industriel. Associate professor inLaureen Product design and development / G-SCOP lab, collaborative design team. Docteur, HDR, Laboratoire Interdisciplinaire de Physique (UJF)

Mention recherche Session 2017 Architecture, Ambiances et Cultures Numériques

Digital RDL Research by design laboratory



Corps et mouvement: Perception de l’espace architectural Laureen Gomez

Mention Recherche sous la direction de Philippe Liveneau. Équipe d’encadrement : Philippe Liveneau Grégoire Chelkoff

Architecte, Docteur SPI, (RDL, Cresson), TPCAU Architecte, HDR / (Cresson) - Professeur, HDR, STA

Jury de Soutenance de la Mention Recherche : Philippe Liveneau Grégoire Chelkoff Magali Paris Olivier Baverel Olivier Balay Eric Blanco Martial Balland

Architecte, Docteur SPI, (RDL, Cresson), TPCAU Architecte, HDR / (Cresson) - Professeur, HDR, STA Ingénieur Agronome, Docteur, (Cresson) - VT Ingénieur, Docteur, HDR, (EPC Navier) - Professeur, HDR, STA Architecte, Doctorant (AE&CC) / TPCAU Docteur, HDR, Directeur adjoint Grenoble INP - Génie Industriel. Associate professor in Product design and development / G-SCOP lab, collaborative design team. Docteur, HDR, Laboratoire Interdisciplinaire de Physique (UJF)

Mention recherche Session 2017 Architecture, Ambiances et Cultures Numériques

Digital RDL Research by design laboratory



REMERCIEMENTS Je tiens à remercier Philippe Liveneau responsable du master architecture, ambiances et cultures numériques qui m’ a offert l’opportunité de chercher, d’expérimenter et de concevoir par prototypage mes idées durant cette année. Je le remercie également pour son temps et son investissement dans le cadre de cette mention recherche. Pour ses conseils et son soutient. Je remercie également Grégoire Chelkoff pour cette formation sur les notions d’ambiances architecturales qu’il a su m’offrir, ses conseils avisés , son soutient et le temps qu’il a su m’accorder durant cette année de Master 2. Je tiens à remercier les étudiants du master qui ont apporté une ambiance détendue, chaleureuse et joyeuse. Nous avons su nous entre-aider, partager et nous soutenir. Et pour finir je tiens à remercier tout particulièrement Gael Chauvin et Maxime Bonnefoy qui ont su m’accompagner et me soutenir tout au long de cette recherche.

5



INTRODUCTION La problématique de recherche développée reflète la construction d’une pensée issue d’un parcours personnel et d’une spécialisation de master (architecture, ambiances et cultures numériques) dans le cadre du diplôme de fin d’études d’architecture. Ce travail s’inscrit dans une recherche dédiée à la perception des formes non-standards. Il s’agit d’étudier les changements de perception d’une paroi en fonction des variations de saillance de son état de surface. Nous faisons l’hypothèse que les variations morpho-angulométriques d’un espace impliquent une modification de la perception et des usages par les individus. La perception est un sujet d’étude qui a suscité le questionnement de nombreux théoriciens dans diverses disciplines. Aujourd’hui, dans le domaine de l’architecture, ce sujet demeure central; notamment à travers les travaux de recherches développés depuis une trentaine d’années et particulièrement autour de la notion d’ambiance architecturale au sein du laboratoire CRESSON. En effet, l’architecture est partout autour de nous, nous évoluons avec elle et comme le disait Maurice Merleau-Ponty : « Notre corps n’est pas d’abord dans l’espace : il est à l’espace». De ce constat, il semble important pour les architectes d’étudier les incidences des configurations spatiales générées par leurs surfaces de contours 7


sur la perception du corps humain. Étant ancienne patineuse et chorégraphe professionnelle, les notions de mouvement et de corps ont toujours su susciter mon intéressement. Par ce parcours singulier, je porte un grand intérêt sur l’articulation entre l’expérience sensible de l’espace et la force motrice qui induit la forme d’expression. En effet, le corps en mouvement et sa perception sont étroitement liés et expriment le vécu de notre environnement. Aujourd’hui, ces notions m’habitent. Dans chaque espace qui m’entoure, je décompose la gestuelle et l’expression corporelle de mes semblables. Une sorte de ballet qui se modifie au grès des spatialités. Dans le cadre de mon année de Master 2 à l’ENSAG, deux temps pédagogique m’ont permis de développer mon sujet au plan théorique et expérimental: le séminaire thématique de la filière AACN et l’optionnelle recherche transversale sur la perception des formes non-standards. ( Research by Design) Dans le cadre du séminaire « esthétiques des ambiances » (master 2 AACN- ENSAG, 2017); nous avons forgé un regard critique sur notre perception esthétique de l’espace architectural. Ce séminaire nous a permis d’examiner l’émergence de différentes théories esthétiques (comme science de la sensibilité) depuis sa naissance (A. G. Baumgarten) jusqu’à certaines théories actuelles se développant en intégrant de nouveaux acquis des sciences et de l’art. Ce séminaire nous a aussi permis de comprendre l’esthétique à partir des propositions de Hans-Robert Jauss, trois aspects qu’il distingue pour analyser toute œuvre (dont l’architecture fait bien sûr partie) : 8


la catharsis, l’aisthesis et la poeisis. La dimension aisthesique intégrant l’expérience du lieu et donc le mouvement. Comme on le verra les apports de Shusterman avec ce qu’il nomme la somaesthétique, nous a permis de voir aussi en séminaire l’émergence des dimensions proprioceptives et kinesthésiques. Ces dimensions du mouvement ont été abordées en différentes recherches et expérimentations du CRESSON menées depuis 2003. Dans le cadre de mon optionnelle, j’ai reçu une formation à la recherche architecturale à partir d’une production d’artefacts dont le protocole de production, d’analyse et la mise en perspective réflexive à partir de la production d’un article, m’a permis d’appréhender une méthodologie de recherche ancrée dans l’expérimentation et l’expérience. Ainsi, cette triple formation, architecture, patinage et chorégraphie, m’offre la possibilité d’appréhender la complexité de cette thématique par une approche multiple de la recherche. Aujourd’hui, l’architecture ne cesse de se moderniser grâce aux nouveaux outils numériques et aux avancées technologiques. Les possibilités morphologiques d’un espace deviennent infinies, et suscitent un questionnement sur le devenir de nos villes et sur l’impact que ces formes non-standards peuvent avoir sur l’être humain. De ce fait, cette recherche exploratoire permettra par son approche scientifique et expérimentale précise de répondre à ces enjeux de l’architecture de demain. Sensible au devenir esthétique de nos villes et au bienêtre de ses habitants, je me questionne sur mon rôle en tant que future architecte vis-à-vis de ce renouvellement morphologique de l’espace architectural. Cette 9


thématique est notamment portée par la chaire «Digital RDL /Research by Design Laboratory, L‘écologie numérique, le design environnemental, l’architecture 2.0 » Ainsi la compréhension de l’impact que peuvent avoir des formes non-standards sur la perception d’un être humain devient une problématique fondamentale. La mention recherche que je présente développe quatre modalités d’investigations et de dimensions spécifiques à la thématique de la perception des formes non-standards dans le champ de l’architecture. Elle s’organisera autour d’études théoriques issues des courants de pensée de diverses disciplines sur le thème de la perception avec des expérimentations situées. Ces dernières seront accompagnées de dispositifs technologiques de mesure afin d’obtenir des données précises et objectivantes sur ce sujet. Cette corrélation pluridisciplinaire et mon expérience permetteront d’aborder la question de la perception des formes non-standards dans l’architecture au prisme d’un regard attentionné et un recul critique sur le positionnement du corps dans l’espace et sur son expressivité. La mention recherche que je soutiens doit être développée dans le cadre d’un stage recherche sous la direction de Philippe Liveneau au sein de Digital RDL dans le contexte de la chaire partenariale D.R.D.L – Ecologie numérique, designenvironnemental – architecture 2.0.

10


Plan de recherche Le plan de cette recherche s’organise selon quatre temporalités qui ont généré cette orientation de thématique. Nous verrons dans un premier temps une approche située, avec une première expérience d’étude sur l’observation des mouvements des usagers de Grenoble INP, puis nous nous intéresserons à une approche théorique sur la thématique du corps pluridisciplinaire, puis nous basculerons sur une approche expérientielle des corps, de l’espace et des sensations et pour finir nous auront une approche expérimentale qui s’orientera vers une hypothèse pour un protocole de recherche. Ces temps ne s’organisent pas de manière chronologique mais relatent la construction d’une conviction d’une préoccupation personnelle continue issue d’un parcours singulier.

11


SOMMAIRE Introduction I. Temps 1- Approche située Etude des corps en mouvement sur le site de l’INP - Première approche expérimentale - Terrain d’étude - Observation des mouvements des corps - Protocole - Interprétation de cette approche - Écoute des usagers - Protocole - Interprétation de cette approche - Cartographies d’analyse - Conclusion

17 18 21 23 29 31 32 34 37 39

II. Temps 2- Approche théorique Un corps pluridisciplinaire A) Une Approche pluridiciplinaire

12

- Le mouvement vu au prisme de la neurophysiologie - La perception vu au prisme de la psychologie - La perception vu au prisme de la phénoménologie - La perception vu au prisme de la philosophie. - Synthèse pluridiciplinaire

65 60 56 52 43


B). Le corps dans l’ architecture - Le corps objet - Le corps-édifice - Le modulor - Santiago Calatrava

68 70 71 75

- Le corps sujet - La promenade architecturale - Peter Zumthor - Bernard Tschumi

76 78 82

III. Temps 3- Approche expérientielle Corps- Espace- Sensations - Le patinage élément de départ de la kinesthésie 86 - Être chorégraphe, perception du positionnement 92 du corps dans l’espace - Perception de la verticale dans un espace architectural 102

IV. Temps 4 - Approche expérimentale Hypothèse d’un protocole de recherche

- Situations - Invariants - Variants - Paramètres d’observations - Hypothèse de dispositifs

- Hypothèse de retranscription - Protocole explicatif

Bibliographie Annexe

116 117 118 120 122 123 124 129 130 13



I. Temps 1Approche située Étude des corps en mouvement sur le site de l’INP


16


PREMIÈRE APPROCHE EXPÉRIMENTALE Dans le cadre du projet de fin d’étude, notre approche fût dans un premier temps de se rendre sur le site afin de le comprendre et de s’imprégner de l’ambiance du lieu. Aller sur le terrain et se mettre en immersion. Ce temps d’observation était essentiel pour comprendre les véritables enjeux du projet. Pour cela, afin d’appréhender la complexité de la situation, nous avons successivement mené trois observations. Trois approches du site, de ses environs et de ses usagers qui nous permettraient, une fois liées entre-elles, de faire émerger une direction projectuelle. Ces observations nous on permis de retranscrire les mouvements des usagers dans le site de l’INP: nous les avons décliné en fonction des trajectoires, des rugosités et des spatialités. Pour cette première approche d’étude des mouvements des usagers de l’INP nous étions une équipe de trois personnes, Maxime Bonnefoy, Gael Chauvin et moi même. Cette étude à été effectuée à 3 reprises sur 3 jours distinct.

17


TERRAIN D’ÉTUDE L’institut Polytechnique de Grenoble - Génie Industriel- se situe dans le centre ville de Grenoble. Il est entouré par les rue Casimir Brenier et Barbillon ainsi que l’avenue Felix Viallet. La partie Est du site est adjacente à un îlot d’habitation. L’entrée principale de l’école se situe au sud, avenue Felix Viallet, une seconde se situe au nord, rue Casimir Brenier. Son emplacement offre un panorama au nord sur la Bastille et les montagnes de la Chartreuse. IER

RUE BARBILLON

_Plan Masse Existant 1:500e.

ILOT VOISIN

10 m

RUE CASIMIR BREN

AVENUE FELIX VIALLET

18


vue panoramique Nord de Genoble INP

Site 46 Avenue Félix Viallet GRENOBLE 45° 11’ 16’’ N, 5° 43’ 37’’ E

Usagers - 600 étudiants - 80 étudiants étrangers -30 enseignants chercheurs - 23 employés administratives - Laboratoire de recherche GSCOP - Intervenants extérieurs 19



OBSERVATION DES MOUVEMENTS DES CORPS Cette observation est celle des mouvements de ces usagers, étudiés depuis plusieurs points de vues extérieur. En se rendant à plusieurs reprises sur le site de l’INP, équipés de caméras, nous avons observer la nature et la quantité des déplacements et autres mouvements des usagers. Ces données collectées, nous les avons assemblées dans une vidéo de synthèse (en annexe) et un ensemble de chronophotographies à partir desquelles nous avons ensuite identifié des situations.


PV90

PV90

C

U 001

B

F'0

_Plan RDC Existant 10 m

D 003 

C0

A REZ DE CHAUSSEE

A

_Aile Sud - Façade intérieure

22


PROTOCOLE Pour l’observation des mouvements des usagers de l’INP nous étions une équipe de trois personnes, Maxime Bonnefoy, Gael Chauvin et moi même. Cette étude à été effectuée à 3 reprises sur 3 jours distinct. - Matériel : 1 dictaphone, 3 caméras, 1 luxmètre - 3 journées d’intervention : mercredi 8 mars 2017 à 12h jeudi 9 mars 2017 a 13h vendredi 10 mars 2017à 18h - 3 angles de vue différents : A ---> 4 ème étage SUD B ---> point central accueil C ---> porche secondaire - Temps de prise de vue B ---> 1h10 minutes A ---> 43 minutes C ---> 1h03 minute

23


_Chronophotographies n°1 : agrégations

Conclusions 0’

2’

8’

10’

16’

18’

24’

26’

Sur cette suite de photos nous remarquons que les corps se rejoignent, s’arettent, reste imobilent, puis repartent. Nous remarquons une agrégations des corps, un point de rassemblement. 24


4’

6’

12’

14’

20’

22’

28’

30’

Point de vue B, temps de prise de vue 30 minutes, date de prise de vue Mercredi 8 mars 2017 à 13h30

25


_Chronophotographies n°2_ canalisation

0’’

20’’

1’20’’

1’40’’

2’40’’

3’

4’

4’20’’

Etude des déplacements des corps dans l’axe principal du site INP 26


40’’

1’

2’

2’20’’

3’20’’

3’40’’

4’40’’ 5’ Point de vue B, temps de prise de vue 30 minutes, date de prise de vue Vendredi 10 mars 2017 à 17h 27


_Chronophotographies n°2 : confrontation

0’’

1’’

2’’

3’’

4’’

5’’

6’’

7’’

Sur cette suite de photos nous remarquons que les corps immobilent se déplacent à l’approche de la voiture, il existe une confrontation entre le véhicule et les corps. Point de vue B, temps de prise de vue 30 minutes, date de prise de vue Mercredi 8 mars 2017 à 12h 10 28


INTERPRÉTATION Cette dernière observation, nous a permis de façon plus objective de comprendre le fonctionnement du site de l’INP. Par la chronophotographie nous avons pu mettre en exergue les différents rythmes de déplacements, les trajectoires. Nous avons également compris où se situaient les lieux de rassemblement avec leurs dysfonctionnements. Nous avons pu remarquer la superposition des piétons et des automobilistes, du dérangement qu’elle provoque. De plus, nous avons pris conscience de différentes temporalités de la présence des étudiants. Nous voyons un système d’agrégation et de dispersion en seulement 30 minutes, les corps s’arrêtent, sont quasiment immobiles puis repartent. On remarque également que ces même corps lorsqu’ils sont confrontés à une voiture sortent de leur immobilité et se déplacent pour laisser passer la voiture. Nous remarquons également que pour aller d’un même point A à un même point B les usagers n’ont pas la même trajectoire, il existe des variances. Au-delà de l’impression de vitesse que l’on peut observer à l’oeil nu, la chronophotographie fût un bon outil pour mesurer la valeur réelle d’une vitesse. Cette observation, nous a permis de répertorier et de retranscrire de manière plus précise et mesurée les différents phénomènes issus des mouvements des usagers. 29


30


ÉCOUTE DES USAGERS PROTOCOLE D’OBSERVATION Cette observation est une écoute, celle des usagers. Ce sont après tout les premiers concernés par notre projet. Ceux-ci ont des profils multiples ; nous avons recueilli les propos d’étudiants de plusieurs promotions, d’étudiants étrangers, d’enseignants, de chercheurs et de personnels administratifs. À l’aide d’une grille d’analyse, nous avons ordonné leurs propos et avons ainsi pu intégrer à notre reflexion leurs points de vue critiques sur les espaces, leurs sensibilités et leurs diagnostics quant aux dysfonctionnements du bâtiment. Les éléments les plus révélateurs sont utilisés dans la bande sonore de la vidéo en annexe. Par leur récit des lieux, nous avons pu comprendre les mouvements des usagers dans les bâtiments, comment se repèrent-ils ? Où se rendent-ils ? Quels sont leurs déplacements dans la journée ?

31


PROTOCOLE Matériel 1 dictaphone, 1 caméra

Journée d’intervention Jeudi 9 mars 2017 à 13h

Sujets inteviewés > 3 étudiants en première année INP génie industriel > 1 étudiant en 3 ème année de licence pro en littérature jeunesse > 3 étudiants en 2 ème année ICL. Génie Industriel > 1 chercheur laboratoire de l’INP, partie Sud-Est du bâtiment > 5 étudiants érasmus Master 2 de recherche > 7 étudiants en 2 ème année INP génie industriel associatifs

Thèmes abordés > Fréquence à l’école - emplois du temps > Transports utilisés > Migration sur d’autre pôles de l‘INP > Travail hors temps scolaire à l’école > Liens entre profs - pratique - recherche > Utilisation des machines et robots > Déambulations et dysfonctionnements dans l’école > Connaissance des lieux de toute l’école > Où sont les lieux de rencontre et détente > Ambiance de l’école > Changements à proposer 32


« Desfois il y a du monde et on ne peut pas se poser. » « Quand on veut s’aérer on est obligé de redescendre dans la cour. Il n’y a aucun accès extérieur dans le bâtiment. » « Définitivement, la partie thermique : le confort dans le bâtiment, c’est catastrophique. L’été, c’est un grille-pain et l’hiver on se caille. » « Il y a déjà beaucoup d’ajout de bâtiments dans la cours, dur d’imaginer de venir rajouter un nouveau.

« Il n’y a quasiment pas d’espace pour se retrouver tranquillement, ils sont trop petits et on est gêné par les gens qui passent »

« j’aimerais bien voir ce que fond les autres promos, ca m’interesse mais c’est compliqué, on sait jamais où c’est » « Je savais même pas qu’on pouvait utiliser l’imprimante 3D, mince j’ai pris un abonnement au fablab»

« c’est triste, c’est tout gris, j’aimerais avoir plus de végétation » 33


INTERPRÉTATION Pour cette deuxième observation, la parole des usagers est venue compléter notre vision du site. D’après leurs témoignages, nous avons remarqué plusieurs dysfonctionnements, notamment sur le fait des lieux de rencontre. En effet, la composition architecturale complexe de ce lieu ne propose pas d’endroit pour favoriser les échanges entre les différentes promotions et les équipes enseignantes. Ceux ci sont trop dispersés, trops petits et mal situés. Un autre point qui est ressorti, c’est le manque d’espaces extérieurs, les étudiants sont alors obligés de descendre dans la cour. À cet endroit, il n’existe aucun aménagement paysager et urbain, les étudiants s’assoient sur quelques bornes de délimitations entre piétons et voitures. Dans cet espace attenant à l’entrée du hall, les étudiants se font déranger par les voitures qui essayent de se frayer un chemin. Nous avons remarqué également chez les étudiants, une envie de connaître le travail de leurs confrères, créer des liens verticaux entre les promotions. Ces remarques montrent une défaillance dans la communication, qui selon nous est dûe à un complexe architectural trop fragmenté. Ce grand labyrinthe possède également des problèmes thermiques, qui donnent de l’inconfort aux usagers. Cette approche nous a permis de comprendre de manière plus sensible les mouvements des corps, il existait des émotions, des ressentiments chez les individus qui ne sont pas mesurable à l’aide d’outils en observateur 34


Retranscription de ces observations par vidéo

« Recit d’un lieu » , 3 minutes , https://vimeo.com/220211615.

35


TRAJECTOIRES noeuds contournements endiguements filtrations Piétons voitures

dispersions

vélo

RUGOSITÉS 10 m

répulsion

_ Cartographie des trajectoires, échelle 0

attraction ralentissement accélération stagnation lisse

rugueux

SPATIALITÉ couloirs additions Limites Seuils Entre-Deux Obstacles 1:500 0

Limites 10m Seuils Entre-Deux Obstacles

1:500 0

10m

imbrications franchissements transitions


CARTOGRAPHIES D’ANALYSE Ces analyses nous ont permis de dégager des cartographies issue de la trajectoire des usagers, du rythme de déplacement c’est à dire la rugosité des usagers et la morphologie de l’espace dans lequel ils evluent. Sur la cartographie des trajectoires on distingue 3 types d’usager les piétons, les cyclistes et les automobilistes. Respectivement les lignes représentent les traces des usagers nous permettant de comprendre les espaces plus ou moins fréquentés. Ainsi plusieurs phénomènes émergent dans ces parcours, nous visualisons des situations d’enroulement, des réunions, des séparations Dans cette cartographie nous avons répertorié les rythmes de déplacement des corps dans les bâtiments: leur vitesse. Pour réaliser ces rythmes nous nous sommes référés à nos observations chronophotographiques effectuées au préalable. Nous traduisons ces rythmes par un indice de rugosité, c’est à dire, le pourcentage d’accroche des corps avec le sol. Le rouge traduisant une importante rugosité, donc l’immobilité quasiment totale des corps en opposition au bleu représentant un espace plus lisse où les mouvements sont fluides. Nous remarquons en dessous du bâtiment pont une rugosité maximale. Dans cet espace les étudiants s’immobilisent, c’est un point de transition dans leur vitesses de déplacement. Cette cartographie relate des phénomènes d’attraction, de répulsion, de ralentissement, d’accélération et de stagnation. Dans la cartographie des spatialités nous constatons que le grand volume de la cour est finalement encombré, fragmenté et contraint nos déplacement. Cela fabrique des micro-lieux, Cela va impacter notre perception de l’environnement bâti, Nous dégageons comme phénomènes spatiaux des couloirs, des encombrements, des imbrications, des confinements, des transitions , et des franchissements.

37



CONCLUSION Cette première recherche in-situ effectuée en groupe a su conforter l’idée que l’architecture et le mouvement sont étroitement liés. Cette analyse montre qu’il existe différents facteurs, phénomènes, variances au sein des trajectoires des usagers ainsi que dans leurs rythmes de déplacement. Il semblait donc interessant d’étudier plus en détail les mouvements de ces corps à l’intérieur du site en se demandant quel sont les facteurs qui influencent leurs mouvements. Quel est ce corps qui travers l’architecture? Mais de quel corps il s’agit? Ces questions ont suscité une certaine curiosité et ont orienter le sujet de cette recherche. Ainsi cette recherche s’intéresse au mouvement dans l’architecture, à ce mouvement vécu, perçu par ce corps en action, à ce corps qui ce déplace, à celui qui sculpte l’espace, à celui qui perçoit. Pour cela, Il semble intéressant de se tourner vers d’autre champs disciplinaires qui ont su appréhender la thématique de la perception.


40


II. Temps 2Approche théorique Un corps pluridisciplinaire

41


42


A) Une Approche pluridiciplinaire

Le mouvement vu au prisme de la neurophysiologie- A. BERTHOZ Alain Berthoz professeur au collège de France, ingénieur, psychologue et neurophysiologiste dirigeant le Laboratoire de physiologie de la perception et de l’action, définit le mouvement comme un sixième sens : « Nous n’avons pas que cinq sens. En plus des capteurs de la vision, de l’audition, du toucher, du goût et de l’olfaction, nous avons aussi des capteurs qui détectent le mouvement »1. En effet, il existe un plaisir du mouvement exécuté ou perçu, à l’égal qu’il existe un plaisir dans chacun des autres sens. Selon lui, le sens du mouvement ou kinesthésie, c’est à dire la perception consciente ou non des différentes parties du corps, est un sens qui a été oublié du fait que les capteurs kinesthésiques sont distribués sur l’ensemble du corps et non pas réunis dans un seul organe spécifique. À cela, il ajoute qu’il n’existe pas de mouvement sans pensée. De ce fait, il décrit le cerveau comme un simulateur d’hypothèses sur les possibiAlain Berthoz, Le cerveau et le mouvement : le sixième sens, Conférence du 7 février 2000 1

43


lités de réalisation de mouvements qu’il projette sur le monde, et non pas, un ordinateur qui calcule et retranscrit des informations collectées par les sens. Ainsi, la perception de notre espace n’est pas passive, mais au contraire, Berthoz la définit comme dynamique et active. Bertoz qualifie le cerveau comme une « machine biologique»2 capable d’anticiper. Cette capacité fait partie des fondements du cerveau. Il explique que les espèces qui ont su remporter l’épreuve de la sélection naturelle sont celles, qui ont su anticiper et gagner quelques millisecondes pour échapper aux prédateurs ou attraper leurs proies. Le cerveau est donc un prédicteur et un simulateur d’action. Il doit être capable d’anticiper l’action du mouvement, c’est la base de la survie des espèces vivantes. Le neurophysiologiste illustre ces propos en prenant pour exemple le guépard et l’antilope. En effet, « capturer une proie, c’est deviner les actions de l’animal que l’on veut capturer. Echapper à un prédateur, c’est deviner les intentions de celui qui vous attaque. Il ne s’agit pas de réflexes, de réponses passives de stimuli sensoriel, mais c’est la capacité du cerveau à être un prédicteur à simuler les action de l’autre.»3 Ainsi, l’antilope pour échapper à un prédateur doit agir le plus rapidement possible. Le cerveau n’a pas le temps de réunir toutes les informations sensorielles, de les traiter et seulement après produire une action. Il doit les sélectionner et agir. De Entretien avec Alain Berthoz, professeur au Collège de France par Odile Rouquet le 22 mai 2003, rechercheenmouvement.org 3 Alain Berthoz , le sens du mouvement, edition odile Jacob 2

44


la même manière, le guépard doit être capable d’anticiper les mouvements de sa proie et non de suivre sa trajectoire pour arriver à ses fins. Pour cela, le cerveau puise dans sa mémoire des actions passées pour prendre des décisions. Berthoz explique que le cerveau ne fait pas seulement une sélection de ces capteurs au moment de l’action, il prédit l’état dans lequel ils vont être. Ainsi, le cerveau va visualiser mentalement le mouvement qu’il va effectuer, il va le simuler. C’est le cas également chez les skieurs professionnels. En effet, « un skieur n’a pas le temps dévaluer tous ces mouvements sur la piste, il simule la trajectoire dans sa tête et ne fait que vérifier de temps en temps l’état de quelques indices sensoriels qui lui sont utiles pour connaitre sa position ou la distance aux piquets.»4 Berthoz nous explique que les capteurs issus de la vision sont les capteurs les plus sollicités pour le mouvement. En effet, dans un premier temps on perçoit, puis on agit. Pour illustrer ses propos, il prend exemple sur l’action de contourner une table. Il explique que ce ne sont pas nos pieds qui vont nous guider puis ensuite le regard, mais que c’est le regard qui commence à guider la rotation, ensuite la tête et enfin le corps tout entier. Selon lui, nous devons dire « aller où on regarde» et non « regarder là où on va»5. C’està-dire, nous avons l’action qui est la résultante de la visualisation et non l’inverse. En effet, il place le rôle du regard comme élément référentiel dans l’exécution d’un mouvement et y ajoute la simulation mentale de la trajectoire. Alain Berthoz op cit p39 Entretien avec Alain Berthoz, professeur au Collège de France par Odile Rouquet le 22 mai 2003, rechercheenmouvement.org 4 5

45


Néanmoins, le mouvement peut être traité par le cerveau à l’aide d’autres capteurs sensoriels lorsque le sens de la vue ne peut être utilisé. Alors, ce sont d’autres informations qui sont collectées par le cerveau et qui prennent le relais pour exécuter la suite du mouvement. Si nous prenons l’exemple d’un perchiste professionnel, dans la totalité de son mouvement, le cerveau devra présélectionner certains capteurs sensoriels qui sont importants pour effectuer correctement le mouvement. En effet, lors du positionnement de la perche, le sportif doit se placer de telle manière qu’il perd tous repères visuels ; à ce moment là, le cerveau bascule sur ses capteurs kinesthésiques, et notamment les capteurs vestibulaires, afin qu’il puisse aligner son corps dans le prolongement de la perche et donc réussir son saut. Ainsi, le sens du mouvement est une construction multi-sensorielle, c’est à dire une association entre plusieurs capteurs sensoriels. Mais comme évoqué précédemment, le cerveau n’utilise pas tous les capteurs sensoriels en simultané mais sélectionne les plus importants, les capteurs utiles au bon déroulement de l’action prévue. Décision et choix du mouvement Il faut ajouter que toute action chez l’homme est issue d’une décision, d’un choix que nous faisons contrairement par exemple à la tique où l’action résulte de stimuli sensoriel. En effet, il nous explique lors d’un entretien par Odile Rouquet le 22 mai 2003 : «Le pro-

46


Fonctionnement des capteurs vestibulaires

crédit photo : theoriesensorielle.com

47


blème que nous avons, qu’à notre cerveau, ce n’est pas seulement de contrôler des mouvements, des actions, des phases... Il est de choisir dans le répertoire de l’ensemble des mouvements, des combinaisons de mouvements qui donneront un vrai geste qui exprimera l’intention et qui au fond, constitue ce qu’on peut appeler un acte et pas seulement une action. Ceci suppose une décision.»6 Il explique alors que lorsque l’on fait un geste, un mouvement, nous avons fait le choix de faire celui là en éliminant tous les autres. C’est prendre la décision de faire ce geste en fonction du contexte où l’on se trouve, en fonction de nos émotions ou de notre apprentissage. En effet, ces gestes sont issus d’une sorte de répertoire interne qui nous sont innés ou appris. Il rajoute à cela que « la perception est décision puisque percevoir c’est à tout moment choisir le sens de ce que l’on veut voir, [...] le cerveau au fond est une machine qui décide en fonction du passé, de la mémoire, de l’intention»7. A cette vision cognitive il ajoute une autre dimension celle de l’émotion. En effet il explique que l’émotion est à prendre également en compte dans l’étude des mouvements. En effet, pour l’homme, la perception du mouvement est plus complexe, le cerveau n’est pas une simple machine qui serait issue d’un corps mécanique exécutant ses mouvements à l’égal d’un robot. Il explique ces propos en prenant exemple sur le comportement des personnes atteintes de dépression qui auront une expression différente des personnes dite Alain Berthoz op cit p39 Entretien avec Alain Berthoz, professeur au Collège de France par Odile Rouquet le 22 mai 2003, rechercheenmouvement.org 6 7

48


joyeuses. Il est impossible alors de dissocier l’étude de l’expression par le corps. Il reste dans le domaine des neurosciences beaucoup de recherches à faire. Il faudrait notamment intégrer des danseurs à cette étude qui, selon lui, ont énormément à transmettre sur ce sujet. Ainsi, le cerveau cognitif est en relation avec le cerveau émotif. « Ma conception personnelle est que l’émotion n’est pas seulement réaction, pas seulement non plus régulation de l’homéostasie ; elle est aussi anticipation ; c’est un mécanisme de création d’un contexte qui permet de prédire les conséquences de l’action. Pour moi, l’émotion est aussi un mécanisme qui a été inventé au cours de l’évolution pour donner une espèce de contexte à la prédiction. C’est pour cela que je dis : L’émotion est à l’action ce que la posture est au geste”8 C’est pourquoi, Pour conclure, la pensée de Berthoz sur le mouvement exprime la conviction que le mouvement est un sixième sens, dans lequel le cerveau sélectionne les informations les plus importantes données par les capteurs sensoriels répartis sur l’ensemble du corps afin de réaliser l’action au plus rapide. Le mouvement est alors une action simulée au préalable, issue de notre mémoire, en lien avec notre contexte et nos émotions. Suite à cette étude, il semblait intéressant d’étudier les théories du mouvement dans d’autres disciplines traitants de la perception, celle du corps sensible mais également celle de la perception visuelle. 8

Entretien avec Alain Berthoz, op cit p44

49


Sciences cognitives Alain Berthoz

MOUVEMENT 6 SENS

CERVEAU COGNITIF

«MACHINE BIOLOGIQUE»

PRÉDICTEUR SIMULATEUR D’ACTION

PERCEPTION

SELECTIONNER ET AGIR

MULTISENSORIELLES

CAPTEURS KINESTHÉSIQUES

MUSCLES, LIGAMENTS, ARTICULATIONS PEAU...

CAPTEURS VESTIBULAIRES

CONNAISSANCE DES DÉPLACEMENTS RELATIFS LES UNS PAS RAPPORT AUX AUTRES

50

SENS DE LA VISION

SIMULER AU PRÉALABLE

PUISER DANS LE MÉMOIRE

RELATION AVEC LE MONDE


PERCEPTION DYNAMIQUE

MOUVEMENT CONTINU

CERVEAU EMOTIF

DECISION

EMOTION

CONTEXTE

Synthèse 51


Le mouvement vu au prisme de la psychologie -J.J GIBSON Nous nous sommes référés au psychologue J. James Gibson, en prenant appui sur son ouvrage « Approche écologique de la perception visuelle » paru en 1979. En tant que psychologue de la perception, il se positionne par rapport aux courants scientifiques dominants de son époque : le behaviorisme (déterminisme du comportement sous l’angle purement physique et matériel du corps) et le cognitivisme (approche computationnelle et neurologique des comportements) pour définir les phénomènes perceptifs qu’il qualifie d’affordances. Il suggère ainsi que l’environnement dans lequel un individu est intégré dispose de qualités qui pourront stimuler ses perceptions et orienter ses actions. En effet, le terme « affordance »9 est la traduction littérale du verbe « to afford » en anglais, signifie « offrir », « fournir » et qu’en ce sens, les effets recherchés sur la perception et la mobilisation des corps sont vécus non comme des prescriptions comportementales mais bel et bien comme des possibilités qui apportent une qualité potentielle d’usage. Il nous explique qu’il existe un mouvement dans toute perception, et un ajustement dynamique de l’environnement. Il illustre ses propos à travers une expérience dans un train: Si un train part en sens GIBSON J. J., Approche écologique de la perception visuelle, éd. Dehors, Bellevaux, 2014. 9

52


inverse de la gare, nous avons l’impression que notre train bouge, tant que nous n’avons pas trouvé de repère fixe pour s’en assurer. De ce fait, il explique que l’objet qui sera perçu ne sera plus le corrélat d’une représentation, mais plutôt compris comme un pôle d’interaction directement accessible à l’exploration. L’environnement est alors indissociable de la vision. Selon la théorie de Gibson, le flux et les perturbations dans la structure du réseau optique d’un observateur sont à l’origine de la perception et permettent le renseignement sur l’environnement. Il explique que c’est le flux optique qui est le matériau de base et non une image rétinienne comme le décrivait ses prédécesseurs. Ainsi, Gibson exprime le fait que la perception n’est pas statique mais en mouvement. La perception est alors un processus de résonnance, entre le mouvement de l’observateur et son environnement. En effet notre organisme est en perpétuelle réadaptation avec l’évolution de notre environnement. Par exemple lorsque nous recevons une balle, notre réseau optique nous permet de détecter : - la forme de l’objet, ce qui nous permettra de savoir si nous pouvons la rattraper avec une main ou deux en fonction de sa dimension ; - la texture, matérialité de l’objet ; - mais également la vitesse de déplacement de l’objet. En effet pour cette dernière l’environnement autour de la balle devient un référent statique permettant ainsi de détecter l’objet en mouvement et d’adapter la gestuelle à la bonne réception.

53


De ce fait, Gibson met l’accent sur le fait que le sens de la vue joue un rôle dominant dans la perception de notre environnement. La perception et l’action sont en perpétuelle connexion.

54


SPYCHOLOGIE DE LA PERCEPTION J.J GIBSON

FLUX OPTIQUES

RAISONNANCE AJUSTEMENT CONTINU

PERCEPTION DYNAMIQUE

PERCEPTION DE L’ENVIRONNEMENT

AFFORDANCES

Synthèse 55


LE MOUVEMENT VU AU PRISME DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE M.MERLEAU-PONTY

Maurice Merleau-Ponty est un philosophe du XXème siècle mort en 1961, il propose une théorie en 1945 sur la phénoménologie de la perception à travers son ouvrage. Il tente d’expliquer les phénomènes de la perception. Son approche par la phénoménologie s’oppose à la philosophie transcendantale du fait qu’elle se veut objectivante c’est-à-dire construite à partir d’un sujet concret. Il mêle ses idées sur la phénoménologie en corrélant des théories issues des disciplines des sciences de la neurophysiologie et de la psychologie. En effet, sa pensée s’oriente vers l’idée que le corps n’est pas seulement un objet, mais qu’il est également un corps sensible. Il met en relation le « corps propre» c’est à dire le corps qui nous appartient et qui ressent, avec le corps objet celui qui peut être décortiqué, le corps anatomique. Selon lui le corps est à la fois «moi et mien», ainsi il pose la théorie que ce «corps propre» dont il parle est autant objet que sujet. Il ajoute que le corps de l’homme ne se partage pas seulement entre «mon corps» et «mon

56


âme» comme l’évoque Descartes, mais que ce corps est une unité vivante. Il explique que ce dernier est alors en continuité avec son environnement, que ces deux entités forment au final un ensemble. En effet, l’expérience d’un individu de son propre corps et de son espace n’est pas vécue par un observateur extérieur mais bien par celui qui vit l’expérience. De plus il émet l’hypothèse que le mouvement du corps n’est pas issu uniquement d’une causalité mais d’une intentionnalité. C’est à dire, que le mouvement découle plus d’un choix volontaire que d’un reflexe. Ainsi, Merleau-Ponty introduit dans sa discipline le concept de «schéma corporel» qui est utilisé par les disciplines des sciences cognitives, en rattachant, à l’idée fonctionnaliste du corps, l’expérience sensorielle. De ce fait, l’expérimentation de la spatialité d’un individu serait issue de l’interprétation des informations sensorielles mises en relation avec son corps et ses capacités d’action. Il écrit « l’expérience révèle sous l’espace objectif, dans lequel le corps finalement prend place, une spatialité primordiale dont la première n’est que l’enveloppe et qui se confond avec l’être même du corps (d’où la notion de corps propre ou phénoménal). Être corps, c’est être noué à un certain monde [...] notre corps n’est pas d’abord dans l’espace : il est à l’espace »10 Nous ressentons alors dans les propos de MerleauPonty cette volonté de rattacher le corps à son environnement et de les traiter comme une seule entité. A cela, nous comprenons que ce corps qui nous définit est à la fois sujet et objet, un corps sensible qui prend des décisions d’action en fonction de la perception de son espace. 10 Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1945 p.184

57



PHÉNOMENOLOGIE DE LA PERCEPTION

M. MERLEAU-PONTY

CORPS OBJET

CORPS SUJET

SCHÉMA CORPOREL

CORPS PROPRE 1 SEUL CORPS

UNITÉ VIVANTE ENSEMBLE

CONTINUITÉ AVEC L’ENVIRONNEMENT

INTENTIONNALITÉ DU MOUVEMENT

E X P É R I M E N TA TION DE L’ESPACE

CORPS

I N T E R P R É TAT I O N DES INFORMATIONS SENSORIELLES

CAPACITÉ D’ACTION

Synthèse 59


Le mouvement vu au prisme de la philosophie. R. SHUSTERMAN

La pensée soma-esthétique du philosophe américain Richard Shusterman est au plus proche du corps, celui qui perçoit et qui agit, celui qui vit consciemment. Il s’intéresse en particulier à la notion de proprioception, un terme qu’il utilise et qui définit une perception sensible de la position des différentes parties du corps. Dans ses écrits, il place le corps comme sujet d’étude principal, il ne le considère non pas comme le « tombeau de l’âme », une enveloppe charnelle qui matérialiserait l’être humain et nous ferait dire « j’ai un corps », pensant celui-ci détaché du soi, mais le définit plutôt comme un élément pensant, produisant ses propres actions et réactions avec sa propre perception de l’environnement, ce qui nous ferait dire « je suis un corps » et prendre conscience d’un tout. Le mouvement, la posture, l’effort, etc… sont, en eux-mêmes, des éléments générateurs de la compréhension de l’espace. Il nomme la soma-esthétique comme «ce nouveau champs de recherche. Il explore l’expérience et les usages que quelqu’un peut faire de son corps comme lieu de jugement sensoriel-esthétique et de façonnement créatif de soi-même.» Ainsi selon lui la soma-esthétique est une expérience corporelle basée sur la compréhension du corps des actes moteurs et des postures. De ce fait, le corps ne doit plus être

60


considéré comme un état subjectif purement abstrait et intellectuel, mais comme un corps conscientisé, une dimension du vécu qui peut être en même temps issue d’un ressenti physique et d’une analyse rationnelle. Selon Richard Shusterman, «lorsque nous évoluons dans un espace architectural, nous pouvons faire une mise au point sur les sensations que nous recevons de manière aveugle, nous donnant ainsi l’occasion de mieux sentir certaines parties de notre corps. Ce procédé débouche alors sur une prise de conscience du soi. Ainsi être attentif à notre perception kinesthésique et proprioceptive, nous donne accès à notre perception interne, musculaire, articulaire et plus particulièrement à l’ensemble des perceptions qui nous renseigne sur la position et les mouvements de certaines parties du corps.»11 En effet, lorsque nous déambulons dans un espace, nous sentons le contact plus ou moins rugueux de nos pieds sur la matière, une sensation haptique se manifeste. Nous adaptons également notre vitesse de déplacement. De ce fait, les impressions kinesthésiques de notre mouvement ainsi que les impressions proprioceptive de notre équilibre s’adaptent au contexte dans lequel nous évoluons. À cela il ne faut pas oublier d’ajouter les impressions de changement qui sont ressenties par notre chair, les variations de température mais également les mouvements de l’air. Toutes ses sensations participent selon Shusterman à instaurer une atmosphère, et que c’est cette prise de conscience du ressenti de ses phénomènes Angélique THEBERT «Le corps», conférence mars 2013, Éditions M-Éditer

11

61


kinesthésiques qui est indispensable dans la critique de l’espace. Ainsi selon Shusterman le corps est conscientisé, il ressent des sensations, une perception interne, issue de nos capteurs kinesthésiques. Nous pouvons faire le lien avec les propos d’Alain Berthoz en neurophysiologie qui explique que nous avons un sixième sens et que le cerveau capte des informations sensorielles kinesthésiques pour réaliser un mouvement. De plus, il nous explique que lorsque nous sommes dans une situation où les capteurs de la vision ne sont pas les plus utiles, d’autres capteurs kinesthésiques prennent le relais afin d’aboutir le mouvement. Shusterman précise, par son approche philosophique, que lorsque que nous sommes dans une situation dépourvue de la vision, nous pouvons prendre conscience de manière plus facile de notre proprioception, et de notre corps conscientisé.

62


Synthèse

PHILOSOPHIE DE LA PERCEPTION SHUSTERMAN

SOMAESTHÉTIQUE

CORPS SENSIBLE

EXPÉRIENCE CORPORELLE DE

L’ESPACE

DE MANIÈRE AVEUGLE

KINESTHÉSIE PROPRIOCEPTION

CORPS CONSCIENTISÉ

ACCENTUATION

CONNAISSANCE DU SOI

63


SYNTHÈSE PLURIDISCIPLINAIRES CONVERGENCES D’IDÉES ?

NEUROSCIENCES A. BERTHOZ

PHILOSOPHIE SHUSTERMAN

CERVEAU COGNITIF

SOMAESTHÉTIQUE

«MACHINE BIOLOGIQUE»

CORPS SENSIBLE

PERCEPTION MULTISENSORIELLES

EXPÉRIENCE CORPORELLE DE L’ESPACE

DE MANIÈRE AVEUGLE

ACCENTUATION

64

CAPTEURS KINESTHÉSIQUES

KINESTHÉSIE PROPRIOCEPTION

CORPS CONSCIENTISÉ

MUSCLES, LIGAMENTS, ARTICULATIONS PEAU...

CONNAISSANCE DU SOI

CONNAISSANCE DES DÉPLACEMENTS RELATIFS LES UNS PAS RAPPORT AUX AUTRES

SENS DE LA VISION

CAPTEURS VESTIBULAIRES

R E L AT I O N AVEC LE MONDE


PHÉNOMENOLOGIE DE LA PERCEPTION M. MERLEAU-PONTY

SCHÉMA CORPOREL

CERVEAU EMOTIF

PRÉDICTEUR SIMULATEUR D’ACTION

PUISER DANS LE MÉMOIRE

PSYCHOLOGIE DE LA PERCEPTION J.J GIBSON

CONTINUITÉ AVEC L’ENVIRONNEMENT

EXPÉRIMENTATION DE L’ESPACE

INTENTIONNALITÉ DU MOUVEMENT

DECISION

CORPS

EMOTION I N T E R P R É TAT I O N DES INFORMATIONS SENSORIELLES

CAPACITÉ D’ACTION

CONTEXTE

FLUX OPTIQUES

RAISONNANCE AJUSTEMENT CONTINU

PERCEPTION DYNAMIQUE

PERCEPTION DE L’ENVIRONNEMENT

AFFORDANCES

65



Suite à ses théories du corps et de sa perception issues de diverses disciplines, il semblait intéressant d’étudier cette question de la place du corps dans le domaine de l’architecture. Nous avons pu voir qu’il existait deux approches du corps, celle du corps objet, issue des sciences cognitives et celle du corps sujet de la psychologie pour reprendre les termes de Merleau-Ponty. Nous nous intéresserons donc dans un premier temps à la place de ce corps objet, ce corps anatomique dans l’architecture puis nous basculerons sur cette approche du corps sensible, celui qui est conscient et qui éprouve.

67


B) LE CORPS DANS L’ ARCHITECTURE

1- Le corps objet

Le corps-édifice Cette notion, où la représentation de l’architecture à l’image du corps, est inspirée des théoriciens de la Renaissance italienne. Leurs volontés étaient d’instaurer l’image du corps comme élément générateur de l’architecture. En effet, ce corps objet serait utilisé tant du point de vue de sa composition morphologique que de ses capacités structurelles. L’un des théoriciens référents est Alberti, selon lui le plan doit être pensé comme l’organisation du corps, en pensant membres par membres mais qui pour autant restent connectés ensemble avec harmonie.

M. Perelman, Construction du corps. Fabrique de l’architecture, Paris, Les Éditions de la Passion, 1994, p. 96. 12

68


Il instaure alors le terme de « corps-édifice», en expliquant que « Corps et architecture ne font plus qu’un pour former la figure étonnante du corps-édifice.»12 Il rapproche le fait que le corps de l’homme est également constitué de pleins, de vides, de creux, d’entrées qui sont là pour le bon fonctionnement du corps et selon lui il en est de même pour l’architecture. Il ajoute à cela, que chaque individu est unique, que l’image corps n’est pas identique entre deux personnes et qu’il existe des variantes dans cette même composition morphologique. Pour lui, l’architecture doit être pensée selon les mêmes codes, sur une même base de composition mais avec des variantes qui feront que les édifices seront dissemblables les uns des autres. Le corps devient également unité de mesure, ce corps anthropomorphique est alors décortiqué et devient un instrument de mesure et de proportion pour l’architecture. Nous pouvons notamment faire référence à Francesco di Giorgio Martini. En effet le corps humain devient selon lui le modèle de la structure, il fait notamment référence de la perfection des proportions du visage de l’homme.

69


Le modulor De la même manière, dans une époque plus récente nous pouvons faire référence à Le Corbusier. Il prend alors comme unité de mesure le corps humain mais aux proportions idéales, celui d’un corps unique. Il instaure alors le Modulor, une échelle qui suit la progression de la suite de Fibonacci qui est issue du nombre d’or. Il représente alors la silhouette d’un homme debout ayant le bras levé. Selon lui, l’utilisation du corps dans ses proportions parfaites est essentielle dans la composition architecturale. En effet, il explique que l’espace architectural doit être à l’échelle du corps humain afin que l’homme s’y reconnaisse. De ce fait, l’architecte pense instaurer un nouveau système de mesure issu de la morphologie du corps, donc une conception architecturale plus adaptée que le système métrique usuel.

Le modulor, Le Corbusier 70


Santiago Calatrava D’une autre manière, il existe des architectes qui se sont également inspirés de ce corps objet pour la réalisation d’édifices. Nous pouvons faire référence à Santiago Calatrava qui s’inspire, dans certaines de ses constructions, du corps humain. Cet architecte ingénieur espagnol trouve dans la morphologie du corps humain une harmonie transposable dans l’architecture. A l’inverse de Le Corbusier qui standardise la morphologie du corps statique, Calatrava va quant à lui s’inspirer de ce corps en mouvement et le retranscrire en objet stationnaire. Le corps alors n’est plus un système de mesure, mais bien une inspiration dans sa composition morphologique. Le travail de cet architecte se rapprocherait plus des théories issues de la Renaissance où les corps ne sont pas morphologiquement semblables. L’utilisation du corps-édifice n’est plus basée que sur le plan mais de manière formelle. En effet, dans ses oeuvres, il traite l’opposition d’ombre et lumière entre un corps décharné et musclé, la raideur et la souplesse, les dimensions et proportions.... Dans son oeuvre architecturale «Turing Torso», construite en 2004 à Malmö en Suède, il met en forme la rotation d’un buste humain à travers sept cubes empilés sur un support d’acier reprenant l’idée d’une spirale rappelant l’image de la colonne vertébrale. Ces neufs cubes empilés les uns sur les autres en se décalant petit à petit sur un même axe créent ainsi une impression de dynamisme et de tension. Calatrava n’utilise pas alors la totalité de la morpho-

71


Table avec plateau en verre

Turning Torso, Malmö Suède

Planétarium/IMAX Theater à Valence en Espagne.

72


logie du corps humain mais vient sélectionner des parties de ce dernier. Ainsi il peut mettre en forme aussi bien trois doigts de la main dans le projet du pont d’Orléans, que l’oeil dans le projet planétarium/ IMAX Theater à Valence en Espagne.

De ce fait le corps objet a su inspirer de nombreux artistes, architectes au cours d’ époques très différentes. Néanmoins l’architecture est vécue à travers l’homme qui la traverse, qui la parcourt, qui exécute un mouvement, la regarde et l’explore. Ce corps qui se déplace est un corps sensible, qui éprouve, qui vit: un corps sujet.

73



2) Le corps sujet

L’architecture n’est pas une simple oeuvre d’art qui serait contemplation, elle est avant tout affordance et appropriation et comme le disait J.Gibson elle est espace, elle est notre environnement. Ainsi nait la déambulation, le parcours d’espace architectural à un autres, le geste devient alors le trajet, le trajet devient trajectoire. C’est ce corps sujet, ce corps sensible, vivant, conscientisé qui évolue dans cette espace, c’est lui qui agit et qui perçoit. L’architectecture est un art qui est vecu qui est issu d’une immesion total des corps Ainsi nous nous intéresserons dans cette partie aux architectes qui font découvrir leurs architectures de manière sensible à ce corps. Comment certaines architectures favorisent une prise de conscience chez un individu que son corps est conscientisé? En effet un corps qui percoit l’architecture est un corps qui est en mouvement.

75


Promenade architecturale Il est intéressant d’intégrer de nouveau Le Corbusier dans cette partie basé sur le corps sujet. L’architecte reprend la notion de perception mouvement, avec comme référent le plan comme générateur « Le plan est le générateur. Sans plan, il y a désordre, arbitraire. Le plan porte en lui l’essence de la sensation»13. Il porte alors une importance au mouvement dans l’architecture. En effet dans ses projet il s’intéresse particulière à la perception visuelle que va avoir un visiteur mais également à son ressenti. Il nous expose dans son architecture de La Maison La Roche l’expression de «promenade architectural». Ce concept se décompose par l’addition de point de vue successif offert à tous les étages de l’édifice modifiant ainsi constamment la perception du visiteur. Cette composition permet au visiteur de mêler expérience visuelle et kinesthésique. À cela, le Corbusier par sa promenade architecturale mêle à l’architecture le corps et le temps. Ainsi l’un de ces principes de conception est que l’expression architecturale doit prendre en compte le mouvement du corps et de la perception sensorielle du visiteur.

Le Corbusier, vers une architecture, ed Flammarion, 1995 p. 33

13

76


Maison La Rche, Le Corbusier


Peter Zumthor Perter Zumthor est un architecte qui conçoit son architecture en s’inspirant du corps morphologique tout en intégrant le corps qui ressent. C’est un architecte qui fait particulièrement attention à la dimension sensible de l’architecture. «penser l’architecture, la conception d’un édifice, exige de partir des intentions architecturales, c’est à dire des impressions corporelles qu’une architecture est susceptible de produire»14. Dans son ouvrage Atmosphère il nous explique dans un premier temps que l’architecture est anatomique. Il la compare à un corps. En effet, il crée une véritable métaphore où la peau chez les hommes représenterait en architecture l’enveloppe et la membrane serait la matière du bâtiment. « Le corps! pas l’idée du corps - le corps lui même ! qui peut me toucher »15. Une protection vis-à-vis des éléments extérieurs mais en contact avec ces derniers. Pour apporter la partie sensible dans son architecture, il utilise les souvenirs de son enfance et retransmet ses propres situations vécues dans ca composition architectural. «Quand je pense à l’architecture, des images remontent en moi. Beaucoup de ces images sont en rapport avec ma formation et mon travail d’architecte. Elles contiennent le savoir sur l’architecture que j’ai pu accumuler au cours du temps. D’autres Angélique THEBERT «Le corps», conférence mars 2013, Éditions M-Éditer ZUMTHOR P., Atmosphères : environnements architecturaux, ce qui m’entoure, éd. Birkhäuser, Bâles, 2008. p 23 14 15

78


Chapel Bruder Klaus, Peter Zumthor 79


évoquent mon enfance. Je me rappelle le temps où je faisais l’expérience de l’architecture sans y réfléchir.»16 Zumthor à travers sont architecture nous invite à faire l’expérience de sensation corporelle, selon lui il y a de qualités architecturales qu’à travers l’atmosphère que créait une architecture, c’est la capacité à provoquer une émotion chez l’homme. Une architecture qui est capable de mettre a l’unisson notre état intérieur et ce qui nous entoure. Nous pouvons voir que Zumthor s’inscrit dans le domaine de la phénoménologie, où le corps et l’espace selon Merleau-ponty est une seule entité: «notre corps n’est pas d’abord dans l’espace : il est à l’espace »17 Ainsi à travers son architecture l’architecte Suisse, conçoit son architecture en modifiant l’atmosphère des espaces, c’est au visiteur par son mouvement, sa déambulation qui va être confronté à ces variances. Zumthor contrairement à Le Corbusier, n’impose pas un parcours, mais laisse le choix au visiteur. Une sorte de « voyage de découverte» 18Dans son ouvrage Atmosphere Il nous parle alors de «flânerie libre»19 qui permet au visiteur d’avoir une expérience lui étant propre et non programmée.

Peter ZUMTHOR, Penser l’architecture, Springer Science & Business Media, 2008 p7` 17 Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1945 p.184 18 Zumthor, op.cit p 76 16

80


kolumba museum Peter Zumthor

81


BERNARD TSCHUMI

Bernard Tschumi, dans ses ouvrages Manhattan Transcripts, tente de théoriser les mouvements en proposant une retranscription de ces derniers. Selon lui, l’architecture se caractérise par une fragmentation, une discontinuité des formes, des usages et des valeurs sociales. L’architecture n’est plus alors un tout mais plutôt une fragmentation de dispositifs qui se combinent : « Il n’y a jamais d’architecture sans espace, sans programme, sans mouvement mais aujourd’hui ces notions ne peuvent plus se rapporter à un système unificateur, à un langage unique». Par cette conviction, B.Tschumi remet en cause les moyens de représentation de l’architecture qui lui semble aujourd’hui limités et propose de ce fait une autre lecture de l’architecture. En effet, le vécu d’un espace architectural ne se comprend pas seulement à partir d’un plan, d’une coupe ou d’une perspective mais également par l’action, le mouvement, et l’évènement qu’un usager peut faire. Son système de notation se décompose en une succession complexe de cadrage qui confronte l’espace, le mouvement et l’action formant ainsi une séquence. Dans ces derniers il combine, «les représentations architecturales, des photographieS d’évènements particuliers et des diagrammes fléchés de chorégraphies diverses»20 20

82


_ Bernard Tschumi, manhattan transcripts, 1978.

83


84


III. Temps 3Approche expérientielle Corps- Espace- Sensations

85


Le patinage élément de départ de la kinesthésie La première expérience où j’ai mis mon corps à l’épreuve fût sur la glace. J’ai pratiqué 18 ans de patinage artistique en commençant à l’âge de trois ans. Je fus sportive de haut niveau, accumulant 6 titres de championne de France et championne de la Nation’s cup on ice 2011, (championnat du monde) de Ballet sur glace à Cap Cod (USA). Dans ce cadre sportif, j’ai du allier et maîtriser les mouvements de mon corps dans un environnement donné. Cette nouvelle motricité qui diffère de la marche qu’on appellera classique, devait combiner et transmettre l’expressivité, l’intentionnalité, la sensibilité et la technique. Le patinage, mais également la chorégraphie me permettent aujourd’hui de porter un regard différent sur l’architecture et m’aident chaque jour à redécouvrir mon rapport corporel à l’édifice. Ainsi, par ce parcours, j’ai évolué et grandi avec l’apprentissage du mouvement et de la gestion de mon corps. Grâce à des cours de danse et d’expression corporelle, j’ai très vite compris que mon corps était en perpétuelle connexion avec son environnement. Sans même avoir de connaissance architecturale, mais simplement en ayant conscience de la gestuelle de mon corps sur une glace au périmètre limité, je pouvais alors transposer cette connaissance

86


87


en dehors de ces frontières. Avoir la maitrise de son corps, en comprendre son mouvement, son expressivité, vous fait très vite réaliser qu’il existe une relation entre corps et architecture. J’ai pu remarquer au fil des années que, comme sur la glace, différents facteurs peuvent influencer ma gestuelle et mon rythme de déplacement. Mon ressenti se modifie selon la matérialité des surfaces, la hauteur des volumes, la luminosité, la résonance, mais également l’atmosphère que me transmet le lieu. Ainsi, un patineur reproduisant pour la centième fois la même chorégraphie mais dans un lieu différent modifie et impacte sa gestuelle directement. Prenons comme exemple la surface de la glace. Il semblerait absurde de dire que la glace a différentes matérialités, en soi, ce n’est que de l’eau à l’état gelé. Mais pourtant, pour les professionnels, la glace a une densité plus ou moins importante. Certaines seront dites «molles et d’autre dures». Cette nuance de perception, influe directement sur la vitesse de déplacement et l’accrochage de la lame dans la glace. Les glaces dites «dures» empêchent la pénétration de la lame ce qui diminue les frottements et permet une plus grande vitesse. Un autre exemple, les modifications des dimensions du périmètre de la glace. Le rétrécissement de seulement deux mètres sur soixante mètres, va influencer la trajectoire, la perception et la posture par

88


une plus grande inclinaison du corps. Ainsi, avant toute nouvelles performances dans un nouveau lieu, les compétiteurs ont le droit à cinq minutes dit d’échauffement afin de re-paramétrer son corps et sa gestuelle dans ce nouvel environnement. De ce fait, j’ai du très vite apprendre à analyser les spécialités de mon environnement et ses composantes, afin de mieux maitriser mon corps, avoir une conscience du soi. Aujourd’hui, je parlerai de proprioception, un terme utilisé par Richard Shausterman. Dans ses écrits, il place le corps comme sujet d’étude principal. Selon lui, le corps ne serait pas le «tombeau de lame» ou autrement dit une enveloppe charnelle qui matérialiserait l’être humain. On ne peut plus alors dire «j’ai un corps» et le détacher du soi mais «je suis un corps» et prendre conscience d’un tout. Il le place comme élément pensant, produisant ses propres actions et réactions avec sa propre perception de l’environnement. Le mouvement, la posture, l’effort ...etc. font, en soi, partie des éléments générateurs de la compréhension de l’espace. En patinage, cette prise de conscience est primordiale. L’écoute de son corps, son mouvement et ses reflexes sont la clef de la réussite. En effet, le corps est l’élément premier de la retranscription sensible et esthétique d’une chorégraphie. En neurophysiologie, Alain Berthoz a fait de ce sujet un élément de recherche où le mouvement serait notre sixième sens. Dans son écrit « le sens du mouvement», il propose d’intégrer à nos cinq sens un si-

89


xième : le mouvement «je propose qu’on revienne à une classification des sens qui correspondent à des fonctions perceptives. Ainsi, au sens du goût de l’odorat, du toucher, de la vision, de l’audition, il faut ajouter, comme d’ailleurs le fait la langue commune, celui du mouvement, de l’espace, de l’équilibre, de l’effort, du soi, de la décision, de la responsabilité, de l’initiative, etc.»21 Selon lui, la particularité de ce nouveau sens, est qu’il n’est pas localisé comme les autres mais réparti sur l’ensemble du corps. Il est donc plus difficile d’en faire une catégorie , alors que le plaisir du mouvement effectué ou perçu fait bien partie d’un ressentiment, d’une expérience ressenti sensorielle. Ainsi, le sens du mouvement nous oblige à porter un regard nouveau sur le fonctionnement de notre cerveau. Il n’est plus seulement un traiteur de données. Il fait l’hypothèse des potentialités de mouvement, d’action et de gestuelle avant de les tester dans la réalité. «le cerveau sert à prédire le futur, à anticiper les conséquences de l’action»22 . Parfois ces mouvements produits suite à cette analyse sont erronés et ont besoin d’un réajustement. Ce phénomène est pour moi compréhensible. La persévérance et l’ajustement sans cesse du mouvement, de l’impulsion, de la gestuelle furent récurrents pour atteindre la figure technique souhaitée. Un travail mental de visualisation du mouvement est nécessaire en amont. Berthoz en fait la comparaison avec les compétiteurs de ski, qui en soi, possèdent de nombreux points communs avec les compétiteurs de Alain Berthoz, Le cerveau et le mouvement : le sixième sens, Conférence du 7 février 2000 22 Alain Berthoz , ibid 21

90


patinage. Vient alors la notion de mémoire du mouvement, que je n’avais pas conscientisé avant d’étudier l’architecture et de m’intéresser aux théories du mouvement. En effet, chaque chorégraphie nécessite une mémoire de la trajectoire, de la posture de la gestuelle. Pour appuyer ces propos, je vous parlerais de la figure appelée : pirouette , c’est à dire exécuter plusieurs rotations sur un même axe vertical. Cette figure nécessite une mémoire du mouvement en rotation. En effet, la vitesse giratoire est telle qu’il nous est impossible d’analyser le nombre de rotation, l’œil humain n’a pas le temps de traiter les images. De ce fait, cette figure s’effectue uniquement par mémoire et ressenti interne des rotations.

Le patinage fût pour moi une formation complète sur la connaissance de mon corps, sa proprioception, sa kinesthésie. Il est l’élément déclencheur de cette recherche et ce questionnement entre relation du corps et de l’architecture, perception de l’espace.

91


2. Être chorégraphe, Première approche du positionnement du corps dans l’espace Par la suite, j’ai eu la chance d’être chorégraphe pour des troupes de ballet sur glace et compétiteur de patinage artistique. Un exercice qui cette fois-ci se traduisait dans un premier temps par le ressenti de la musique et du lieu, puis par la transmission de la gestuelle du corps et enfin par la perception de l’ensemble des mouvements. Trois étapes cycliques qui aujourd’hui m’aident à appréhender l’architecture de la même manière. Être chorégraphe fut la première étape dans la compréhension de l’existence d’un autre langage: celui de la gestuelle et du mouvement. Le décompte, la rythmique, l’appellation en un terme d’une succession de mouvements sont en soi un langage à part entière. A l’égale des partitions de musique, la chorégraphie se lit également dans le temps. Suivant un protocole de notation, [voire pièce graphique p94], j’ai élaboré un langage compréhensible avec les danseurs. Une trace écrite des mouvements et figures à réaliser. Par exemple, nous pouvons voir en noir la trajectoire de la chorégraphie entière commencée par un point annoté Dep (départ) et terminé par un point fin. Sur cette ligne trajectoire sont mis en rouge les éléments techniques obligatoires dans la chorégraphie: L’Att (attitude), Twizz (twizzle), Cir (circulaire) et Pir (pirouette). Chaque

92


élément technique est détaillé par un enchainement de mouvements : comme par exemple pour la circulaire, c’est à dire la réalisation de mouvement suivant une trajectoire ronde durant un tour complet. Nous pouvons lire sur cette dernière: Rocker AvD croise - Bracket AG - Twizzle AvD x2 - Choctaw AD - Contre Rocking D°AD - Croise - Cactus - Mohawk AD - Double trois. Chaque élément est un mouvement qui par son addition effectue un ensemble de gestes et de rotations. Les mots en majuscules sont des termes techniques répertoriés dans le langage du patinage, les abréviations sont, quant à elles, une indication sur le sens de rotation, exemple: AVD = Avant Droit; D°AD = Dedans avant droit ; °DAG= Dehors arrière gauche...etc. Des termes qui permettent une lecture facile de la chorégraphie. Dans mon protocole de notation lors de mes années de chorégraphe, chaque chorégraphie avait sa propre feuille avec la trajectoire située, les moments de retournements indiquants le sens de déplacement avant ou arrière, l’emplacement des éléments techniques, le nom du danseur, sa catégorie, le nom de la musique et le temps de la chorégraphie. Par ce système, six ans plus tard, il m’est toujours possible de comprendre et de reproduire cette chorégraphie. Suivant ce même principe, nous pouvons faire référence à la notation de Laban, également appelée cinétographie ou labanotation. Cette classification du mouvement a été créée en 1926 par Rudolf Laban, dans ses premiers essais de transcriptions du mouvement, extraits de son oeuvre « Choreographie, Iéna, Eugen Diederichs, 1926 » disponible à la Mé-

93


94


diathèque du CND - Fonds Albrecht Knust. Comme j’en ai ressenti le besoin avec mes propres schémas et retranscriptions à mon échelle, Laban a mis en place une notation de la lecture du mouvement qui est compréhensible par tous. Durant toute sa vie, Il a recherché un système d’analyse du mouvement afin que la danse soit reconnue comme « art majeur», comme la musique et les beaux arts. En analysant les mouvements de l’être humain dans le volume qui l’entoure, la kinesphère, il a imaginé des « gammes référentielles » susceptibles de donner au danseur des outils pour s’entraîner et composer. Pour une lecture facile de cette notation, il utilise un signe de base qui à lui seul répertorie de nombreuses informations: la direction du mouvement, l’instant où il le commence et le termine, sa durée, la trajectoire et la vitesse. Reprenant la même typologie qu’une portée de musique, ce signe s’inscrit dans des colonnes où le début et la fin du mouvement, sa durée et sa répétition sont inscrits dans une portée segmentée par les mesures de la partition musicale. Les lignes verticales de la portée quant à elles permettent le suivi en continu du mouvement des différentes parties du corps. La ligne médiane représente l’axe de symétrie du corps, permettant de savoir s’il s’agit des mouvements de la partie gauche ou droite en incluant chaque modification d’appui. Cette notation se lit alors de bas en haut. Pour la lecture horizontale, les pictogrammes permettent la lecture des parties du corps en mouvement et d’associer la combinaison de leurs actions. Les développements, longi-

95


tudinal et latéral de la portée, permettent de situer le corps dans l’espace et son avancée temporelle sur la musique. Un système de notation qui s’est très vite répandu dans le monde entier et a su inspirer de grands chorégraphes comme Pina Bausch. « Ce n’est pas un hasard si ce système d’analyse et de reconstruction du mouvement s’est progressivement répandu dans le monde entier. On ne dira jamais assez que, si les moyens audio-visuels apportent une «image» immédiate, une impression d’ensemble, ils ne permettent pas la mise à plat d’un style, d’une composition chorégraphique, d’une analyse structurelle. Ils fournissent une mémoire globale dont l’utilisation reste subjective. La mémoire proposée par un texte est objectivement organisée et laisse à l’interprète le choix de sa compréhension.»22 Rudolf Laban, précurseur et théoricien de la danse expressionniste voit en l’être humain un danseur et tout mouvement est susceptible d’être un mouvement dansé. Selon lui, l’âme, le corps et l’esprit sont les 3 composantes de la nature humaine entretenant des relations complexes. Ainsi, une tension corporelle déterminée produit des sentiments déterminés et inversement. De la même façon, il parle de pensée en mouvement pour la relation entre le corps et l’esprit.

Extraits de textes de Jacqueline Challet-Haas parus dans la revue Marsyas (juin 1988) et Nouvelles de Danse N° 25 : dossier autour de Rudolf Laban . 22

96


97


Ces théories peuvent s’étendre et s’appliquer à l’architecture. En effet, toute architecture est un cadrage du mouvement. Comme le chorégraphe aux danseurs, l’architecte orchestre ses mouvements. De la même façon il en donne un sens, il en raconte une histoire. A ce jour, lorsque je réfléchis à un nouvel espace architectural, je prends en compte les différentes réactions et postures que peuvent avoir le corps, comment il déambulerait, comment il croiserait un autre corps, etc.... Une projection mentale de notre architecture qui se découvre par le corps. Ainsi, déambuler dans un espace est une chorégraphie, s’assoir sur un banc ou monter les escaliers n’est ni plus ni moins qu’un mouvement qui peut devenir une danse. Ces gestuelles du quotidien ont été mises en scènes et intensifiées par la chorégraphe belge de danse contemporaine Anne Teresa De Keersmaeker dans son oeuvre Rosas Danst Rosas de 1983. Dans cette dernière, l’artiste met en scène quatre mouvements pour quatre danseuses, sur le fond d’une musique rythmée voire saccadée de Thierry de Mey et Peter Vermeersch. Toute la chorégraphie se passe sur des chaises dans un décor stérile qui nous ferait penser à un lieu désaffecté. Dans un premier temps, l’artiste met en scène des danseurs allongés, reprenant l’idée du réveil sur des bruits de soufflement et de sons répétés rappelant le temps qui s’écoule. Se dégage alors une sensation d’oppression, où la gestuelle est rythmée entre mouvement rapide et immobilité. Nous retrouvons par la suite les différentes postures cette fois- ci plus

98


verticales, où les danseurs se retrouvent assis sur des chaises. Une mise en scène de mouvements répétitifs du quotidien, avec une volonté chorégraphique très mécanique et féminine. En effet, les quatre danseuses s’adonnent à des jeux de séduction : se dénudant l’épaule, jetant un regard en arrière, passant une main dans les cheveux, croisant les jambes etc... Des mouvements saccadés qui, néanmoins, par un système de la technique du canon, apportent une fluidité dans la perception de cette performance. Par ce système Anne Teresa De Keersmaeker vient sublimer le quotidien et mettre en exergue des mouvements simples à l’aide de la danse. De ce fait, nous pouvons penser que la danse et l’architecture ont en commun de nombreux paramètres dont celui de la gestion du mouvement. Selon moi, si on aborde l’architecture comme une scène, on prend très vite conscience que ce qui anime et qui fait vivre nos villes et nos édifices ce sont les usagers. De ce point de vue là, l’architecte réfléchit à la chorégraphie et à l’histoire qu’il veut raconter.

99


Anne Teresa De Keersmaeker, Rosas Danst Rosas de 1983

Ce parcours effectué avant mon entrée en école d’architecture m’a permis d’appréhender l’architecture d’une autre manière. En effet, du fait des compétitions internationales que j’ai effectuées, j’ai pris conscience que, dans son domaine, la danse pouvait en soi être un langage qui traverse les frontières. Par cette réflexion, je me suis interrogée de savoir si cette pensée serait transposable à l’architecture. Existe t-il un langage universel en architecture ? Je me suis alors positionnée en fin de troisième année sur ce sujet dans le cadre de mon rapport d’étude de licence.

100


Dans le cadre d’une option recherche effectuée en 2016 au sein de l’ENSAG, Option Research by Design, je me suis intéressée à la perception de la verticale dans un espace architectural. Cette recherche exploratoire avais pour but d’étudier les effets de la verticale sur la perception d’un individu. Cette dernière fut une entrée en matière dans la thématique de la perception en architecture.


Perception de la verticale dans un espace architectural. Entrée en matière : En revisitant l’univers du pilotis et de la verticalisation de l’architecture cette recherche à pour but de faire l’hypothèse d’un espace verticaliser par le pilotis. Ainsi, par la perception, l’expérimentation et la sensation, ce travail de recherche vise donc à mettre en place un protocole d’expérience d’un projet situé d’un espace verticalisé dans l’objectif de dégager des paramètres qualitatifs fondamentaux de cet espace. Contexte A ce jour, les villes implantées à proximité de cour d’eau tel que les fleuves où les rivages maritimes sont sujets directement au dérèglement climatique et principalement à la montée des eaux. Beaucoup d’entre elles recherchent des systèmes architecturaux et urbains afin de continuer leur expansion tout en intégrant ce nouveau paramètre. Vient alors une course à l’innovation sur la gestion des ressources liées à l’eau et notamment au sein de l’architecture et des aménagements urbain. De nombreuses villes et pays Européen, tel que Rotterdam ou Dordrecht aux les Pays-Bas, Hambourg ou Mayence en Allemagne ou Bordeaux en France 1(«Villes inondables, Prévention, résilience, adaptation», Jean Jacques Terrin, Edition parenthèse, 2014.)

102


intègrent déjà dans leurs conception de nouvelles architecture ce phénomène éminent. Néanmoins, l’architecture liée à l’eau ne reste pas un phénomène nouveau. Les citées lacustres, des villes entières construite sur l’eau à l’aide de pilotis remontent à la période du néolithique. Ces dernières, qui se caractérisent par une forme d’habitat sur des plateformes en bois surélevées furent utilisées principalement à des fins de pisciculture. La surélévation d’une architecture à l’aide de pilotis est ainsi une manière des plus ancienne pour construire sur l’eau. Cette surélévation et donc cette élévation par la verticalité d’une architecture est un enjeux tant du point de vue technique que sensible. Et c’est sur ce denier point que cette recherche s’oriente : quelle perception sensible apporte la verticalité d’un projet dans un espace situé.

Recherche par expérimentation Pour comprendre cette problématique, il était nécessaire de chercher des références architecturales liées à la surélévation de l’architecture par le pilotis afin de tirer les lignes génératrices de cette composition spatiale.

103


Il semble que, ce qui qualifie cet espace architectural par le pilotis dépend de : - La position du sujet qui observe - La densité de pilotis, c’est-à-dire la trame - Le déplacement et la perception visuelle - Le contexte Cette recherche exploratoire vise donc à mettre en place un prototype à échelle 1, en définissant une trame dans un contexte situé. Ce prototype évolura en fonction de la densité de la trame. Les points de vue et les paramètres de la position du sujet seront modifiés. Pour retranscrire cette expérience sensible, l’usilisation de la photographie semble la plus adaptée.

Expérimentation - création du prototype

Afin d’obtenir des résultats sensibles de cette expérimentation, le choix à été de faire une installation d’éléments verticaux dans un contexte situé à échelle 1. Le site de projet est la cour intérieure de l’école d’architecture de Grenoble. Elle est le point de rencontre entre différents types d’architectures. Un lieu stratégique, qui permet de faire interagir l’installation avec des architectures complexes. Elle aura comme objectif la compréhension de sa dimension sensible dans une double situation de mise en perspective et frontalité. 104


0 2 5

1 3

4

Trame

Figure 1. Plan de la cour de l’ENSAG, disposition de la trame


L’étape suivante fut de choisir comment représenter cette verticalité. Le choix matériel s’est orienté vers le réemploi de tubes de bambous disponible à l’école. Ce profil, qu’est le bambou, est intéressant et une bonne entrée en matière pour cette expérimentation sensible de la verticalité. Ce sont des tubes ronds, de grandes dimensions, résistants, qui ne se déforment pas et léger. Le dernier critère fut décisif pour faciliter la manipulation du prototype. Les tubes de bambou ont alors été triés afin d’obtenir un paterne semblable. Cette étape fut primordiale afin d’éviter des perturbations visuelles non voulues dans l’expérimentation. Ce trie s’est effectué sur une centaine de bambous en les classant par taille et par diamètre afin de sélectionner 40 bambou semblabes pour le prototype. L’enjeu suivant fut de trouver un système de fixation de ces tubes verticaux. La volonté première était d’expérimenter la perforation du sol à l’aide d’une pelle. Cette technique permet d’obtenir des lignes verticales qui émanent directement du sol, sans perturbation visuelle. Le système de perforation fut non concluant, le sol étant trop résistant. La solution suivante était de fabriquer des plots d’ancrage à chaque base des bambous. Pour cela, l’utilisation d’un assemblage de briques étaient le plus adapté. Ces blocs de terre cuite furent idéals pour l’expérimentation, facile à manipuler par leur dimension, mais massive par leur densité. L’étape suivante fut la recherche d’un calepinage entre les briques

106


pour permettre un bon maintient du tube. Ce résultat fut l’empilement 2/2 par un système de croix. La hauteur minimum pour le maintien du tube correspondait à un empilements de 7 briques. Ce fut avec cet assemblage que la création des socles de maintien fûent possible, c’est a dire 14 briques par plots. La difficulté dans la mise en place de ce prototype fut d’obtenir des verticales parfaites au sein d’un site avec un terrain accidenté, d’un calepinage imparfait, de la forme légèrement courbé des tubes de bambous et de l’impact du vent sur des tubes légers à 5 mètres de hauteur. Néanmoins, l’expérience fut concluante, et certains paramètres sensibles ont put être dégagés.

Figure 3. Visuel de la trame mis en place

107


Figure 2. Assemblage des briques pour former les socles de maintien

Interprétation L’expérimentation de cet espace révèle que la verticalité des éléments interagissent directement avec son environnement. Il existe alors différentes perceptions sensibles de cet espace: - Effet de brouillage du contexte - Effet de synchronisation - Effet visuel entre le rapport entre la figure et le fond

108


brouillage

syncronisation

Figuge/Fond

Figure 4. Paramètres sensibles révélés à travers la photographie d’un espace verticaliser situé

Effet de brouillage : la trame verticale disparaissait avec sont contexte. Émane alors une confusion visuelle entre l’environnement et les verticales misent en place. Effet de synchronisation : dans d’autres cas, ces lignes verticales se synchronisent avec l’architecture environnante, et permettent une perception visuelle rythmée des façades avoisinantes. Effet de figure/fond : ce dernier point sensible met en exergue la géométrie architecturale perceptible du contexte. Cette première investigation fut concluante, ainsi pour aller plus loin dans cette expérimentation sensible d’un espace verticalisé, le changement de paramètres s’imposaient. 109


Changement de paramètres Changement de la hauteur de perception Suite au premier résultats, il semblait intéressant de faire changer quelques paramètres du prototype afin de voir si la perception sensible de cet espace se modifiait. Le premier paramètre modifié fut le niveau de perception de l’espace verticalisé: changement du point de vue à différentes hauteur : 15 cm, 45 cm, 160cm, 200 cm, 240 cm. Pour cette expérience, la même focale fut gardé et le même emplacement en gardant un point fixe. Les résultats de cette expérience n’ont pas été concluants, aucun nouveau paramètre sensibles fondamentaux s’est révélés. La seconde expérimentation fut de rester à la même hauteur, mais faire changer l’objectif d’angle d’incidence. De même, aucun nouveau paramètre par la retranscription photographique. Changement de média Lors de cette expérimentation, de nouveaux paramètres sensibles semblaient se dévoiler par le mouvement. Ainsi, le choix de représentation photographique n’était plus suffisant, c’est pourquoi il semblait intéressant de retranscrire ces nouvelles sensations par la vidéo. Cette expérience met en évidence que le mouvement dans un espace verticalisé révèle des effets d’émergences, un jeu entre apparition et disparition des élément environnant. De plus par ce phénomène s’ajoute un effet de révélation, et notamment lorsque les contrastes entre l’espace verticalisé et le contexte est grand : comme par exemple, un parcours de nuit. Le dernier effet fut le plus important, celui de la double lecture entre le premier champ de vision et le dernier. Il existe alors une perturbation visuelle due à des profondeurs de champs différents. Ainsi, ses effets sont retrancrit à travers trois photos, mais également une vidéo afin de re transcrire ses paramètres sensibles fondamentaux liés au mouvement. 110


111

Figure 5. Modification de la hauteur de perception


profondeur de champ l’infinie

emergence : apparition disparition

révélation

Figure 6. Paramètres sensibles révélés à travers la video d’un espace verticaliser situé

La vidéo d’expérimentation est visible sur ce lien : https:// vimeo.com/195231158

112


Conclusion Diagramme phénoménologique de l’expérience sensible d’un espace vertical

n tio p rce e pe tiqu sta

figure / forme brouillage

syncronisation Vertical

profondeur de champ infinie

émergence apparition disparition

en on pti ent rce m pe uve mo

révélation

113



IV. Temps 4 Approche expérimentale Hypothèse d’un protocole de recherche


116


Situations

SITUATION 1

SITUATION 2

GSEducationalVersion

SITUATION 3 117 GSEducationalVersion


INVARIANTS

x

L=x

b

a

l=a l=b

e=c c

c

y

118

h=y


La longueur (L) du prototype est identique aux trois situations

La largeur ( l) du prototype est identique aux trois situations La profondeur des saillances de la paroi reste identique aux 3 situations

L’écartement (e) des saillances de la paroi reste identique aux 3 situations La hauteur (h) du prototype reste identique aux 3 situations L’emplacement géographique reste identique aux 3 situations

119


VARIANTS

120


Saillance du relief de la paroi Individu, sujet à l’expérimentation

121


Paramètres d’observations

TRAJECTOIRE Tracé du mouvement

RUGOSITÉ Vitesse de déplacement

POSITIONNEMENT DU REGARD Points d’accroches visuels

GESTUELLE DU CORPS Postures

AVIS DU SUJET ( INTERVIEW) Perception personelle

122


Hypothèses de dispositifs

TRAJECTOIRE Papier blanc en revêtement de sol ( trace) marqueur chimique, revélateur lumière noir Capteur de position GPS RUGOSITÉ Chronophotographie Capteur de position, GPS POSITIONNEMENT DU REGARD Lunette « eye tracking»

GESTUELLE DU CORPS Caméras différents points de vues Capteurs corporels

AVIS DU SUJET ( INTERVIEW) Questionnaire

123


Hypothèse de retranscription

124

0s

1s

2s

3s 4s 5s

6s

7s

8s


Posture

Trajectoire

temps 9s

10s

11s

12s

13s

14s

15s

125


SYNTHÈSE Suite à une approche théorique corrélant plusieurs courants de pensées sur la perception dans diverses disciplines, cette recherche exploratoire réunit plusieurs paramètres d’observations se basant sur ces derniers. Le dispositif des lunettes eyes tracking, reprend l’hypothèse de Alain Berthoz sur le fait que avant d’effectuer un mouvement nous positionnons le regard puis nous nous déplaçons. J.Gibson, en psychologie, quant à lui, nous parle d’affordances. C’est à dire les possibilités d’actions qu’un individu perçoit visuellement dans son environnement. Nous pouvons également faire référence à Merleau-Ponty qui exprime l’importance de la vision dans la perception, il explique que l’expérimentation de la spatialité d’un individu serait issue de l’interprétation des informations sensorielles mises en relation avec son corps et ses capacités d’action. Ainsi le sens de la vue a une grande importance dans cette étude, et explique l’interet d’étude de ce paramètre sur le positionnement précis du regard chez un individu. L’étude de la trajectoire ainsi que de la rugosité, quant à elles, permettent de comprendre et de mettre en relation le prototype spatial avec le corps. D’observer des variations de comportements dans une même situation et les trois situations entre elles. ( inter et trans) Nous pourrons observer les différentes affordances que cet espace génère. L’étude de la posture nous donne des indications sur la kinesthésie de l’individu et sur la réaction corporelle : la soma-esthétique décrit pas R. Shusterman. Une étude plus approfondie devra se mettre en place liant des specialistes de la gestuelle afin d’obtenir une interprétation objective de ses résultats. Nous pourrons ainsi écarter les gestuelles dites «parasites», des gestuelles liées à la perception de l’espace. 126


Afin d’avoir un retour sur la sensation propre de chaque individu un questionnaire sera mis en place. Il abordera les questions du ressentiment général du prototype, d’appréciation esthétique, des points d’attractions visuelles. Ce questionnaire permettra d’apporter un complément d’informations qui n’est pas mesurable en tant qu’observateur. En effet en neurophysiologie, Alain Berthoz évoque ce cerveau émotif, où le mouvement découle d’une décision, d’une émotion qui nous est propre. Ainsi ce paramètre d’étude apportera une précision sur la perception d’un espace vu par le sujet concerné. Dans un deuxième temps, en complément, il serait intéressant de refaire la même expérimentation, c’est à dire faire parcourir le prototype à un individu mais cette fois ci de manière aveugle, autrement dit sans le sens de la vision. En effet, cette situation peut révéler des points d’analyses plus précis. Il existe une mémoire du mouvement, ainsi l’individu connaitra déjà sa trajectoire. Néanmoins, la conscience du corps, la kinesthésie comme l’exprime le philosophe Shusterman, s’intensifie lorsque l’on fait l’expérience d’un espace de manière aveugle. Ainsi, cette expérimentation peut faire l’hypothèse qu’il existe plus d’appréhension du corps à traverser un espace anguleux par exemple. De la même manière, le même questionnaire sera demandé. Cette expérimentation s’appliquera sur une diversité d’individu, et s’itèrera de nombreuse fois afin d’obtenir des points de convergences et d’établir une théorie sur la perception des formes non standard aux variations morpho-angulométrique chez un individu. L’ajout de dispositifs technologiques pour l’étude sera un véritable atout sur la collecte et l’analyse de données précises. 127


128


Bibliographie BERTHOZ A., Le sens du mouvement, éd. Odile Jacob, 1999. BOURGEOIS J., Représentations motrices et perception de l’espace péripersonnel, thèse en psychologie, sous la direction de COELLO Y., université Lille 3, 2012. p.48-49 FORMIS B., « Richard Shusterman, Conscience du corps. Pour une soma-esthétique », Mouvements, 2009/1 (n° 57), p. 155157. URL : http://www.cairn.info/revue-mouvements-2009-1page-155.htm (consulté le 18.03.17) GIBSON J. J., Approche écologique de la perception visuelle, éd. Dehors, Bellevaux, 2014. PREAMECHAI Sarawut, Dispositifs architecturaux et mouvements qualifiés : recherche exploratoire sur les conduites sensori-motrices des passants dans les espaces publics intermédiaires, 2006. MERLEAU-PONTY .M, Phénoménologie de la perception, ed.Gallimard, 1945 PERELMAN.M., Construction du corps. Fabrique de l’architecture, Paris, Les Éditions de la Passion, 1994, SHUSTERMAN R., Soma-esthétique et architecture : une alternative critique, éd. Haute école d’art et de design, Genève, 2010. TORGUE H. Ambiance urbaine et ville sensorielle, Cresson, UMR, 2015. ZUMTHOR P., Atmosphères : environnements architecturaux, ce qui m’entoure, éd. Birkhäuser, Bâles, 2008. 129


Annexes

Nous avons réalisé une vidéo synthéthisant l’ensemble des conclusions tirées de nos observations. Cette vidéo est disponible sur internet, à l’adresse suivante : « Recit d’un lieu » , 3 minutes , https://vimeo.com/220211615.

130


131


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.